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29/12/2016 | FRANCE | N°14VE03239

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 7ème chambre, 29 décembre 2016, 14VE03239


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Total Finance Exploitation a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la réduction à hauteur de 283 669 euros des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre des années 2008 à 2010.

Par un jugement n° 1304529 du 22 septembre 2014, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 21 novembre 2014 et les 22 mai et 7 juillet 2015, la

société TOTAL FINANCE venant aux droits de la société Total Finance Exploitation, représentée p...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Total Finance Exploitation a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la réduction à hauteur de 283 669 euros des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre des années 2008 à 2010.

Par un jugement n° 1304529 du 22 septembre 2014, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 21 novembre 2014 et les 22 mai et 7 juillet 2015, la société TOTAL FINANCE venant aux droits de la société Total Finance Exploitation, représentée par Me A...et MeB..., avocats, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de prononcer la réduction des impositions litigieuses ;

3° de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les prêts accordés aux sociétés Total EetP Bolivie, Total EetP Iraq, Total EetP Kazakhstan, Elf Petroleum Iran SA, Total EetP Azerbaidjan BV et Total EetP Trinidad BV ouvrent droit à déduction de la taxe en vertu du b) du V de l'article 271 du code général des impôts dès lors que les bénéficiaires sont des établissements des sociétés emprunteuses situés en dehors de l'Union européenne ; ni les dispositions du b) du V de l'article 271 du code général des impôts, ni l'article 169 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006, dont ces dispositions assurent la transposition, ne permettent d'exclure le bénéfice de la déduction de taxe lorsque le preneur est un établissement situé en dehors de l'Union européenne dont le siège est situé dans un Etat membre de l'Union ; les termes de la doctrine administrative 3 L551 du 10 mai 1996 n° 3 qui, dans le cas de prêts accordés à des personnes morales, limitent le droit à déduction aux prestations fournies à des clients n'ayant dans l'Union européenne ni leur siège social ni le lieu de leur activité, ajoutent une condition non prévue par la loi fiscale ;

- les dispositions de l'article 271 du code général des impôts doivent être interprétées par référence aux règles relatives au lieu des services bancaires et financiers ; ces dispositions ont pour objet de permettre aux opérateurs financiers de réduire leurs coûts en récupérant la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont, dite " taxe cachée " ; en vertu des dispositions de l'article 259 B du code général des impôts, applicable jusqu'au 31 décembre 2009, et des dispositions de l'article 259 du même code, applicables à compter du 1er décembre 2010, le lieu d'imposition des prestations de service dépend du lieu où le preneur a établi son siège ou dispose d'un établissement stable auquel la prestation est rendue ; les réglementations des autres Etats membres de l'Union européenne sont, pour la plupart, en ce sens ;

- le lieu d'imposition des prêts litigieux correspond aux établissements stables situés en dehors de l'Union européenne qui bénéficient des prêts pour les besoins de leur activité d'exploration et de production d'hydrocarbures ; les sociétés emprunteuses exercent leur activité en dehors de l'Union européenne dans le cadre de contrats conclus avec les autorités locales et des compagnies pétrolières ; les prêts litigieux permettent la réalisation des études techniques et des infrastructures préalables nécessaires pour engager les activités de production en dehors de l'Union européenne ; les contrats de prêts stipulent expressément qu'ils doivent permettre le financement du développement industriel des emprunteurs ; le prêt accordé à la société Total EetP Bolivie mentionne expressément la succursale établie en Bolivie ; la circonstance que les prêts ont été conclus au nom des sociétés emprunteuses est sans incidence et résulte de l'absence de personnalité juridique des établissements stables ; l'existence de ces installations en dehors de l'Union européenne a été admise par le service ; les liasses fiscales déposées par les sociétés emprunteuses, qui distinguent les résultats imputables au siège du résultat total de la société, permettent d'établir que les prêts litigieux ont été affectés aux besoins des succursales établies en dehors de l'Union européenne et inscrits à leur bilan ; ces déclarations permettent également d'établir que les succursales disposent des actifs nécessaires à la réalisation de leurs activités pétrolières ; ces éléments permettent d'établir que les prêts litigieux ont été utilisés par les établissements stables situés en dehors de l'Union européenne.

.................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 ;

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- la directive 2008/8/CE du Conseil du 12 février 2008 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Chayvialle,

- et les conclusions de M. Delage, rapporteur public.

1. Considérant que la société Total Finance Exploitation a pour activité le financement des sociétés du groupe Total par l'octroi de prêts ; que, pour déterminer son coefficient de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée pour les années 2008 à 2010, elle a inclus au numérateur du rapport du coefficient de taxation, prévu à l'article 206 de l'annexe II au code général des impôts, les intérêts perçus au titre de prêts dits d'" exploitation " accordés à certaines sociétés du groupe ayant leur siège en France ou aux Pays-Bas ; que le service vérificateur a remis en cause cette inclusion au motif que les prêts litigieux n'ouvrent pas droit à déduction en application du b) du V de l'article 271 du code précité ; qu'en conséquence de la réduction du coefficient de déduction applicable à la société Total Finance Exploitation, le service vérificateur a remis en cause les remboursements de crédits de taxe sur la valeur ajoutée accordés à cette dernière au titre des années litigieuses et a mis en recouvrement des rappels de taxe d'un montant de 293 575 euros ; que la société TOTAL FINANCE, venant aux droits de la société Total Finance Exploitation, relève appel du jugement du 22 septembre 2014 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la réduction à hauteur de 283 669 euros des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge ;

2. Considérant, d'une part, qu'en vertu des articles 205 et 206 de l'annexe II au code général des impôts, la taxe sur la valeur ajoutée grevant les biens et services utilisés par un assujetti concurremment pour la réalisation d'opérations ouvrant droit à déduction et d'opérations n'ouvrant pas droit à déduction est déductible selon le coefficient de taxation, lequel est déterminé par un rapport dont le numérateur est le chiffre d'affaires afférent aux opérations ouvrant droit à déduction et le dénominateur le chiffre d'affaires afférent aux opérations imposables ; qu'aux termes du 1. du I de l'article 271 du code précité : " La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. " ; que les activités liées à l'octroi de crédits sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée en application des dispositions du a du 1° de l'article 261 C du même code ; que, toutefois, aux termes du V. de l'article 271 de ce code, dans la rédaction applicable aux rappels litigieux : " Ouvrent droit à déduction dans les mêmes conditions que s'ils étaient soumis à la taxe sur la valeur ajoutée : (...) b) Les services bancaires et financiers exonérés en application des dispositions des a à e du 1° de l'article 261 C lorsqu'ils sont rendus à des personnes domiciliées ou établies en dehors de la Communauté européenne (...) " ; que ces dispositions, prises pour l'adaptation de la législation nationale à l'article 17 de la directive du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, repris à l'article 169 de la directive du

28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, selon lequel les opérations d'octroi de crédit exonérées de taxe ouvrent droit à déduction " lorsque le preneur est établi en dehors de la communauté ", doivent être interprétées à la lumière des objectifs de ces directives concernant la détermination du lieu des prestations de service en cause ;

3. Considérant, d'autre part, qu'en vertu tant de l'article 56 de la directive 2006/112 du 28 novembre 2006 dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 31 décembre 2009, que de l'article 44 de cette directive dans sa rédaction modifiée par la directive 2008/8 du 12 février 2008, en vigueur à compter du 1er janvier 2010, le lieu d'établissement du preneur, à retenir pour déterminer le lieu d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée d'une opération bancaire rendue à un assujetti, est l'endroit où se situe le siège de son activité économique ou l'établissement stable pour lequel la prestation est fournie ; qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de l'arrêt Welmory sp. Z o.o. du 16 octobre 2014 (C 605/12), que le point de rattachement le plus utile afin de déterminer le lieu des prestations de services, du point de vue fiscal et, partant, prioritaire, est celui où l'assujetti a établi le siège de son activité économique et que la prise en considération d'un autre établissement ne rentre en compte que dans le cas où ce siège ne conduit pas à une solution rationnelle ou crée un conflit avec un autre État membre ; qu'un établissement stable ne peut être utilement regardé, par dérogation au critère du siège, comme lieu des prestations de service, que s'il se caractérise par un degré suffisant de permanence et une structure appropriée, en termes de moyens humains et techniques, lui permettant de recevoir et d'utiliser les services qui lui sont fournis pour les besoins propres de cet établissement ;

4. Considérant que la réduction demandée correspond à la prise en compte pour le calcul du coefficient de taxation prévu à l'article 206 de l'annexe II au code général des impôts, des intérêts versés par les sociétés Total EetP Bolivie, Total EetP Iraq, Total EetP Kazakhstan, Elf Petroleum Iran SA, Total EetP Azerbaidjan BV et Total EetP Trinidad BV, dont le siège est situé en France ou aux Pays-Bas et dont l'objet est la prospection et l'exploitation de gisements pétroliers situés en dehors de l'Union européenne ; que la société requérante soutient que les prêts doivent être regardés comme ayant été accordés aux établissements constitués par les sociétés emprunteuses en dehors de l'Union européenne ;

5. Considérant, en premier lieu, s'agissant des intérêts versés par les sociétés Total EetP Bolivie et Elf Petroleum Iran SA, qu'il résulte de l'instruction que les sociétés emprunteuses ont conclu avec les autorités de Bolivie et d'Iran des contrats d'exploitation de gisements pétroliers situés dans ces pays le 4 décembre 2007 et ont constitué à cet effet des succursales régulièrement immatriculées auprès des autorités locales ; que les liasses fiscales des sociétés emprunteuses, produites par la société requérante pour la première fois en appel et dont les mentions ne sont pas contestées par le ministre de l'économie et des finances, indiquent que ces succursales constituées en dehors de l'Union européenne disposent de moyens techniques et humains importants et ont pris en compte les intérêts des prêts litigieux pour la détermination de leur résultat ; que la société requérante justifie ainsi de l'existence d'établissements stables constitués par les sociétés emprunteuses en dehors de l'Union européenne auxquels les prestations ont été fournies ; que, dans ces conditions, le rattachement au siège des sociétés Total EetP Bolivie et Elf Petroleum Iran SA, situé en France, ne conduirait pas à une situation rationnelle du point de vue fiscal dans la mesure où il méconnaîtrait le lieu réel où les prêts litigieux ont été utilisés ; que, dans ces conditions, et alors même que les sociétés dont le siège social est en France sont désignées comme les emprunteurs par les contrats de prêts et sont astreintes à leur remboursement, les prêts litigieux doivent être considérés comme fournis à des établissements stables situés en dehors de l'Union européenne ; que, dès lors, les prêts litigieux doivent être regardés, au sens et pour l'application des dispositions du V de l'article 271 du code général des impôts, comme des services rendus à des personnes établies en dehors de la Communauté européenne et ouvrant droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ;

6. Considérant, en second lieu, s'agissant des intérêts versés par les autres sociétés du groupe Total, qu'il ne résulte pas de l'instruction que la société Total EetP Trinidad BV, dont le siège est aux Pays-Bas, disposerait d'un établissement stable en dehors de l'Union européenne ; que si les sociétés Total EetP Kazakhstan, Total EP Azerbaïdjan BV et Total EetP Irak ont constitué des succursales en dehors de l'Union européenne, il ne résulte pas de l'instruction que ces dernières disposeraient de structures appropriées leur permettant de recevoir et d'utiliser les financements litigieux ; qu'en particulier, les extraits produits par la société requérante de contrats d'exploitation conclus avec les autorités locales, en partenariat avec des compagnies pétrolières étrangères, ne comportent aucune précision sur les moyens techniques et humains dont disposeraient les succursales établies par les sociétés emprunteuses en dehors de l'Union européenne ; qu'ainsi, les prêts accordés à ces sociétés ne peuvent être regardés, au sens et pour l'application du V de l'article 271 du code général des impôts, comme des services rendus à des personnes établies en dehors de la Communauté européenne et ouvrant droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société requérante est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la réduction des rappels de taxe sur la valeur ajoutée correspondant à la prise en compte, au numérateur du rapport prévu pour le calcul du coefficient de taxation, des intérêts reçus au titre des prêts accordés aux sociétés Total EetP Bolivie et Elf Petroleum Iran SA ;

8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société TOTAL FINANCE de la somme de 1 500 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DÉCIDE :

Article 1er : Les intérêts reçus au titre des prêts accordés aux sociétés Total EetP Bolivie et Elf Petroleum Iran SA sont pris en compte au numérateur du rapport prévu pour le calcul du coefficient de taxation de la société TOTAL FINANCE.

Article 2 : Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la société TOTAL FINANCE au titre des années 2008 à 2010 sont réduits par application du coefficient de taxation déterminé conformément à l'article 1er.

Article 3 : Le jugement n° 1304529 du 22 septembre 2014 du Tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à la société TOTAL FINANCE la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la société TOTAL FINANCE est rejeté.

2

N° 14VE03239


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 14VE03239
Date de la décision : 29/12/2016
Type d'affaire : Administrative

Composition du Tribunal
Président : Mme HELMHOLTZ
Rapporteur ?: M. Nicolas CHAYVIALLE
Rapporteur public ?: M. DELAGE
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/01/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2016-12-29;14ve03239 ?
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