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15/01/2014 | FRANCE | N°12-20688

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 15 janvier 2014, 12-20688


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles L. 1152-1, L. 1152-2, L. 1152-3 et L. 1154-1 du code du travail ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., engagée le 1er mars 2004 par la société Arvato communication services France en qualité de chargée de clientèle, a été licenciée le 9 octobre 2007 pour absences répétées désorganisant le fonctionnement de l'entreprise ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale d'une demande d'annulation de son licenciement, estimant que ses absences répétées étaient

la conséquence d'un harcèlement moral dont elle était l'objet ;
Attendu qu...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles L. 1152-1, L. 1152-2, L. 1152-3 et L. 1154-1 du code du travail ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., engagée le 1er mars 2004 par la société Arvato communication services France en qualité de chargée de clientèle, a été licenciée le 9 octobre 2007 pour absences répétées désorganisant le fonctionnement de l'entreprise ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale d'une demande d'annulation de son licenciement, estimant que ses absences répétées étaient la conséquence d'un harcèlement moral dont elle était l'objet ;
Attendu que pour la débouter de sa demande, l'arrêt retient que si les pièces produites par la salariée tendent à établir des faits laissant présumer des agissements répétés de harcèlement moral de la part de son employeur, l'intéressée en revanche ne produit aucun élément, tel qu'un certificat médical ou même des attestations, susceptible de prouver que le harcèlement moral dont elle a été l'objet était la cause de ses absences répétées ou participait au processus qui les avait générées ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté l'existence d'agissements susceptibles d'altérer la santé physique ou mentale de la salariée et permettant de présumer l'existence d'un harcèlement, en sorte qu'il revenait à l'employeur d'établir que le licenciement était justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 septembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne la société Arvato communication services France aux dépens ;
Vu les articles 700 du code de procédure civile et 37-2 de la loi du 10 juillet 1991, condamne la société Arvato communication services France à payer à la SCP Boré et Salve de Bruneton la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze janvier deux mille quatorze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour Mme X...

Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté Madame X... de sa demande tendant à voir constater la nullité de son licenciement pour harcèlement moral ;
AUX MOTIFS QUE " Il résulte de la combinaison des articles L. 122-45 et L. 122-49, alinéa 3, du Code du travail, recodifiés aux articles L. 1132-1 et L. 1152-3 de ce même code, que si les absences pour maladie du salarié sont la conséquence du harcèlement moral dont il a été l'objet, son licenciement est nul, l'employeur ne pouvant en ce cas se prévaloir de la perturbation que les absences causent au fonctionnement de l'entreprise ;
QU'aux termes de l'article L. 122-49, alinéa 1 du Code du travail, recodifié à l'article L. 1152-1 du même code, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que d'après l'article L. 122-52 du Code du travail, recodifié à l'article L. 1154-1 du même code, dès lors que le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement ;
QU'en l'espèce, au soutien de ses allégations de harcèlement moral, Myriam X... épouse Y... verse aux débats :- des comptes-rendus de réunions de délégués du personnel tenues entre les 8 novembre 2005 et 11 juin 2008, dont celui relatif à la réunion du 16 mai 2007 qui mentionne notamment deux questions ainsi libellées de la CGT : * " Suite aux différentes convocations et sanctions prises ces dernières semaines, certains chargés de clientèle se demandent quelles sont les fonctions exactes des responsables opérationnels d'activité et de leur hiérarchie car ils se sentent constamment épiés et surveillés, la direction envisage-telle une communication à ce sujet ?'', les représentants de la direction ayant invité la CGT à formuler sa question pour la prochaine réunion, ce qui n'a pas été fait ainsi qu'il ressort du compte rendu de la réunion suivante ; * " La majorité des salariés ne comprennent pas la politique de management appliquée sur le site et se demandent si réellement on s'occupe du bien-être des salariés de l'entreprise et de leurs motivations, pensez vous faire quelque chose pour améliorer le moral des salariés qui se sentent exploités et totalement démotivés ?'', les représentants de la direction ayant fait état d'une feuille de route précédemment communiquée à l'ensemble du personnel ;- un article de presse, daté de novembre 2007, faisant état d'un débrayage d'une cinquantaine de salariés d'Arvato Services se plaignant de " conditions de travail déplorables ", de " stress " et de " pression insupportable " ;- une attestation d'Alain Z..., délégué syndical CGT, qui indique avoir assisté Myriam X... épouse Y... lors d'un entretien de celle-ci avec la responsable des ressources humaines le 18 mai 2007 ; que cette dernière a rappelé le coût de l'absentéisme et la liste des différents arrêts où le site de Metz n'avait pas pu assurer la prise d'appels prévue, ni accepter les appels supplémentaires demandés par le client ; qu'à la question portant sur la cause de ses arrêts de maladie, Myriam X... épouse Y... a expliqué en pleurs qu'elle était en procédure de divorce, que celle-ci se passait mal, qu'elle était harcelée par son époux, qu'elle avait des crises d'angoisse et avait même fait une tentative de suicide ; qu'elle a dit faire son possible pour être présente le plus possible en ajoutant que cela était parfois difficile ; qu'Alain Z... indique avoir également assisté l'intéressée lors de son entretien du 19 septembre 2007 ; que Myriam X... épouse Y... a rappelé qu'elle était sous traitement à la suite de ses problèmes personnels ; que d'autres personnes, davantage absentes qu'elle, n'étaient pas convoquées à ce type d'entretiens ; qu'elle a fait valoir que la décision de l'affecter dans une certaine équipe ne l'avait pas aidée, pas plus que son binôme ; qu'en dépit de cela, les notes des écoutes étaient bonnes ; qu'en définitive, Myriam X... épouse Y... a reconnu avoir du mal à remonter la pente à cause de ses soucis familiaux ;- une attestation de Myriam A...., ancienne collègue, qui indique avoir travaillé dans la même équipe que Myriam X... épouse Y..., à savoir " l'équipe maladie " qui était appelée " l'équipe des bras cassés " par les autres collègues ou " les vacanciers " par les responsables ; qu'il en résultait un sentiment d'humiliation et de mise à l'écart ; que les membres de cette équipe étaient écoutés en permanence ; que les débriefings, effectués par trois responsables dans un bureau ouvert exposé à la vue de tous, étaient angoissants et humiliants ; qu'elle a vu Myriam X... épouse Y... pleurer sur les plateaux et avoir des crises d'angoisse à la suite d'entretiens concernant ses absences, la responsable des ressources humaines la pressant de questions pour connaître les motifs de ses absences ; qu'elles étaient sur planifiées ; que les responsables reprochaient à Myriam X... épouse Y... de se rendre trop aux toilettes alors qu'elle leur en avait expliqué la nécessité du fait de problèmes de santé ;- un certificat médical établi le 7 juin 2007 par le CHR de Metz Thionville mentionnant que Myriam X... épouse Y... a été hospitalisée le 5 octobre 2006 à la suite d'une intoxication médicamenteuse volontaire et qu'un suivi psychiatrique lui a été proposé lors de sa sortie ;

QUE le compte rendu de la réunion des délégués du personnel du 16 mai 2007 et l'article de presse font état d'un climat de suspicion ainsi que de pression dans l'entreprise et en tous les cas ressenti comme tel par un nombre certain de salariés ; que pour ce qui concerne Myriam X... épouse Y..., il ressort de l'attestation de Myriam A... des pratiques à son égard consistant en une mise à l'écart de l'intéressée avec quelques autres salariés, des remarques désobligeantes, des mesures de surveillance particulièrement étroites et des questions pressantes émanant d'une responsable sur sa vie privée ;
QUE face à ces éléments, la société Arvato prétend que Myriam X... épouse Y... ne verse aux débats aucun témoignage permettant de présumer l'existence d'un quelconque acte de harcèlement moral ; que (cependant) les pièces susvisées ont été régulièrement produites et tendent à établir des faits laissant présumer des agissements répétés de harcèlement moral ; que force est de constater que la société Arvato ne fournit aucune indication sur les méthodes et les conditions de travail précisément mises en oeuvre à l'époque sur le site de Metz susceptible de démentir les éléments ci-dessus, pas plus qu'elle ne verse aux débats de témoignage contredisant le contenu de l'attestation de Myriam A... ; qu'elle ne donne pas davantage la moindre explication tenant par exemple aux contraintes imposées par son activité ou au comportement de Myriam X... épouse Y... pour justifier certains des faits résultant de cette attestation ; que l'obtention par cette société d'un label de responsabilité sociale le 13 décembre 2006 n'est pas de nature à remettre en cause la réalité d'un harcèlement moral visant Myriam X... épouse Y..., s'agissant, d'après une lettre du comité de labellisation, d'un label décerné à la société toute entière, alors que celle-ci a plusieurs sites distincts, sur la base d'un audit dont le financement n'est pas précisé qui a consisté en l'analyse de données purement déclaratives assortie d'un déplacement sur le site de Laxou et non sur celui de Metz où Myriam X... épouse Y... travaillait ; qu'en outre, le document relatif au contenu du label démontre que pour les conditions de travail, les critères pris en compte concernent essentiellement les conditions matérielles (ventilation, éclairage, espace de repos...) qui ne sont pas en question dans les faits portant sur Myriam X... épouse Y... ; que la circonstance que la fiche datée du 3 mai 2004 de la médecine du travail ne fasse état d'aucune doléance de Myriam X... épouse Y... concernant ses conditions de travail et la déclare apte est en tout état de cause indifférente puisqu'elle est bien antérieure aux absences reprochées à l'intéressée ;
QU'en revanche, la société Arvato produit aussi un compte rendu d'entretien du mois d'octobre 2006 de Myriam X... épouse Y... avec un de ses responsables ; qu'il est vrai que dans ce compte rendu, la salariée ne mentionne pas souffrir d'un stress en lien avec ses conditions de travail et indique de sa main " je constate une baisse au niveau de mon travail, suite à de graves problèmes personnels, ce qui explique mes arrêts de travail " ; que ce compte rendu rejoint d'ailleurs l'attestation d'Alain Z... dont il ressort que lors de ses entretiens de mai et septembre 2007, Myriam X... épouse Y... n'a pas prétexté de pressions exercées dans le cadre de son activité professionnelle mais a fait état de graves problèmes familiaux pour expliquer ses absences ;
QUE si l'absence de toute plainte par la salariée concernant ses conditions de travail à l'occasion d'entretiens avec son responsable direct ou la responsable des ressources humaines n'est pas suffisante pour remettre en cause la présomption de l'existence d'agissements répétés de harcèlement moral à son égard qui résulte notamment de l'attestation de son ex-collègue de travail, il n'en demeure pas moins que lors de ces entretiens, Myriam X... épouse Y... a clairement expliqué ses arrêts de travail par des problèmes personnels liés à un divorce difficile ; que force est de constater qu'elle ne produit strictement aucun élément, tel qu'un certificat médical ou même des attestations, susceptible de prouver que les agissements de son employeur sont en fait la cause de ses absences ou ont participé au processus qui les a générées ; que faute d'établir que ses absences sont la conséquence du harcèlement moral dont elle a été l'objet, Myriam X... épouse Y... doit être déboutée de sa demande visant à voir dire que son licenciement est nul " ;
1°) ALORS QUE lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; que, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en déboutant Madame X... de sa demande en annulation de son licenciement prononcé en conséquence d'un harcèlement moral, après avoir constaté que les agissements reprochés à l'employeur étaient établis, qu'ils permettaient de présumer ce harcèlement moral, et que la Société Arvato Communication Service France ne fournissait aucun élément susceptible de les justifier, aux termes de motifs pris de sa défaillance dans la démonstration du lien causal entre " le harcèlement dont elle a été l'objet " et la dégradation de son état de santé la Cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 1154-1 du Code du travail ;
2°) ALORS QUE lorsque le salarié établit des éléments permettant de présumer qu'il a été victime d'un harcèlement moral, il incombe à l'employeur de démontrer que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que si le salarié établit qu'il a été victime d'agissements répétés ayant eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail de nature à altérer sa santé physique ou mentale et, concomitamment, que son état de santé s'est effectivement dégradé, le contraignant à suspendre son activité professionnelle, il incombe à l'employeur de démontrer que le licenciement décidé en conséquence de la désorganisation provoquée par son absence est justifié par des éléments étrangers à tout harcèlement et, partant, que la maladie ayant causé cette absence est elle-même étrangère au harcèlement subi ; qu'en rejetant la demande de Madame X..., dont elle constatait qu'elle avait été victime d'agissements de harcèlement moral, au motif qu'elle ne démontrait pas le lien causal existant entre ce harcèlement et la pathologie dépressive à l'origine de son licenciement quand il incombait à l'employeur de démontrer que la maladie à l'origine de ce licenciement était totalement étrangère aux faits de harcèlement qu'il lui avait fait subir, la Cour d'appel, qui a renversé la charge de la preuve, a violé l'article 1154-1 du Code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 12-20688
Date de la décision : 15/01/2014
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Sociale

Analyses

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE - Licenciement - Cause - Cause réelle et sérieuse - Applications diverses - Maladie du salarié - Nécessité de pourvoir au remplacement définitif d'un salarié dont l'absence prolongée ou les absences répétées perturbent le fonctionnement de l'entreprise - Motif des absences - Eléments objectifs étrangers à tout harcèlement - Preuve - Charge - Détermination - Portée

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Maladie du salarié - Cause - Harcèlement moral - Portée

En application des articles L. 1152-1, L. 1152-2, L. 1152-3 et L. 1154-1 du code du travail, dès lors que sont constatés des agissements susceptibles d'altérer la santé physique ou mentale du salarié et permettant de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à l'employeur d'établir que le licenciement pour absences répétées du salarié liées à une maladie est justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Encourt la censure, l'arrêt qui pour débouter un salarié de sa demande d'annulation de son licenciement pour absences répétées désorganisant le fonctionnement de l'entreprise, retient que si les pièces produites par celui-ci tendent à établir des faits laissant présumer des agissements de harcèlement moral de la part de l'employeur, le salarié en revanche ne produit aucun élément, tel qu'un certificat médical ou même des attestations, susceptible de prouver que le harcèlement moral dont il a été l'objet était la cause de ses absences répétées ou participait au processus qui les avait générées


Références :

articles L. 1152-1, L. 1152-2, L. 1152-3 et L. 1154-1 du code du travail

Décision attaquée : Cour d'appel de Metz, 26 septembre 2011

Sur la nécessité d'établir un lien entre les faits de harcèlement et le motif du licenciement pour en prononcer la nullité, à rapprocher :Soc., 20 avril 2005, pourvoi n° 03-41916, Bull. 2005, V, n° 149 (cassation)


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 15 jan. 2014, pourvoi n°12-20688, Bull. civ. 2014, V, n° 16
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2014, V, n° 16

Composition du Tribunal
Président : M. Bailly (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat général : M. Weissmann
Rapporteur ?: Mme Depelley
Avocat(s) : SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Célice, Blancpain et Soltner

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2014:12.20688
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