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02/09/2014 | FRANCE | N°13-83351

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 02 septembre 2014, 13-83351


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Alain X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de SAINT-DENIS DE LA RÉUNION, chambre correctionnelle, en date du 18 avril 2013, qui, pour obtention de suffrage ou abstention de vote par don ou promesse en qualité de fonctionnaire public, l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis, trois ans d'interdiction des droits civiques, civils, et de famille et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du

3 juin 2014 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Alain X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de SAINT-DENIS DE LA RÉUNION, chambre correctionnelle, en date du 18 avril 2013, qui, pour obtention de suffrage ou abstention de vote par don ou promesse en qualité de fonctionnaire public, l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis, trois ans d'interdiction des droits civiques, civils, et de famille et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 3 juin 2014 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, M. Beauvais, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire MAZIAU, les observations de Me SPINOSI, de la société civile professionnelle BARTHÉLEMY, MATUCHANSKY, VEXLIARD et POUPOT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MATHON ;
Vu les mémoires, en demande et en défense, produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-3, 111-4, 121-1 et 121-3 du code pénal, L. 106 du code électoral, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel a déclaré M. X... coupable de fraude électorale ;
"aux motifs que l'article L.106 du code électoral dispose que quiconque, par des dons ou libéralités en argent ou en nature, par des promesses de libéralités, de faveurs, d'emplois publics ou privés ou d'autres avantages particuliers, faits en vue d'influencer le vote d'un ou de plusieurs électeurs aura obtenu ou tenté d'obtenir leur suffrage, soit directement soit par l'entremise d'un tiers, quiconque, par les mêmes moyens, aura déterminé ou tenté de déterminer un ou plusieurs d'entre eux à s'abstenir, sera puni de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 15 000 euros ; que l'article L. 109 du même code dispose que dans les cas prévus aux articles L. 106 à L. 108, si le coupable est fonctionnaire public, la peine sera double ; que les articles L. 106 et L. 109 précités sont applicables aux faits de l'espèce s'agissant de :*la qualité de fonctionnaire public d'Alain, Robert X... le maire d'une commune a des tâches d'administration publique comme la publication des lois et règlements ; qu'il est également représentant de l'état en tant qu'officier d'état civil et officier de police judiciaire; sa qualité de "fonctionnaire public" ne peut, donc, être valablement contestée : qu'en l'espèce, M. Alain, Robert X... a été maire de Saint-Leu dans le temps de la prévention des faits reprochés, soit de juillet 2007 à mars 2008 ; qu'il était, donc, fonctionnaire public lors de la commission des faits ; que le texte de l'article LI09 du code électoral, qui aggrave la prévention fixée par l'article LI06 du même code, lui est, en conséquence, applicable ;*la qualité d'électeurs des personnes visées par le dispositif d'aide aux paiements des factures d'eau à Saint-Leu ; que le prévenu prétend que l'instruction n'apporte pas la preuve que la ou les personnes supposées avoir été influencées avaient de façon impérative la qualité d'électeur au jour de la commission des faits ; qu'or, le dispositif d'aide au paiement des factures d'eau mis en place sous la responsabilité du maire de Saint-Leu en décembre 2007 visait 319 bénéficiaires, tous administrés de la ville de Saint-Leu ; qu'il est évident, à moins que le fait de ne pas être inscrit sur les listes électorales soit un critère d'attribution de cette nouvelle aide, ce qui n'est pas démontré, que parmi ces 319 bénéficiaires, au moins une personne était inscrite sur les listes sus-dites ; qu'au surplus et de façon encore plus probante, les témoins entendus dans le cadre de l'enquête pénale n'ont pas contesté leur qualité d'électeur ; que l'un d'entre eux a même précisé qu'il avait voté en mars 2008 en faveur d'Alain, Robert X... en raison de la mise en place de cette aide alors qu'il aurait autrement voté pour Mme Huguette Y... (Jean Luc Z...) ; qu'un autre déclare encore n'avoir pas voté pour le maire de Saint- Leu ( Rolande A..., épouse Tailame C...) ; qu'iI suffit qu'un seul électeur ait pu être influencé pour que le texte de l'article L. 106 précité s'applique; en l'espèce, au moins deux personnes ayant la qualité d'électeurs ont pu être influencées ; que l'argument développé par M. X... à ce sujet doit en conséquence être écarté ; que la mise en place du dispositif d'aide au paiement des factures d'eau validée par le conseil municipal de Saint-Leu présidé par M. X... le 6 décembre 2007 n'est pas contestable dans sa légitimité ni dans son principe mais est répréhensible au regard des textes précités dans sa mise en oeuvre et dans la communication faite à son sujet dans la période qui a précédé les élections municipales de mars 2008 ; qu'ainsi, si un tel dispositif peut répondre à un souhait de favoriser le respect du droit à l'eau potable pour tous les administrés de la commune et à une volonté de préparer la mise en régie totale de la gestion de l'eau par la commune de Saint-Leu, les conditions de sa mise en oeuvre sont répréhensibles ; que M. X... a été maire de Saint-Leu de 1999 à mars 2008 ; qu'il résulte clairement de la procédure que c'est uniquement à partir de juin-juillet 2007, après l'élection de Mme Y... dans la deuxième circonscription de la Réunion comprenant Saint-Paul et huit mois avant les municipales de 2008, qu'une réflexion a été engagée par la mairie de Saint-Paul sur les impayés de factures d'eau ; que les enquêteurs ont retrouvé comme premier élément à ce sujet un mail en date du 10 juillet 2007 adressé par M. D..., ingénieur chargé de l'eau à la mairie de Saint-paul, envoyé à Veolia au sujet d'une demande d'édition complète des impayés d'eau ; que M. E..., chef du service client à Veolia, confirme en outre que c'est fin 2007 que la mairie de Saint-Paul a demandé à ses services d'émettre une liste des clients en contentieux ayant une dette supérieure à 500 euros ; qu'aucun élément de la procédure, contrairement à ce que prétend le prévenu, ne permet d'affirmer que l'initiative d'une telle démarche appartient en réalité à Veolia qui aurait voulu modifier les termes de son contrat ou aurait envisagé de faire procéder à des coupures d'eau ; que de même, l'argument précisant qu'il s'agissait en réalité de préparer la fin du contrat avec Veolia dans la perspective d'une reprise de la gestion de l'eau en régie ne peut qu'être écarté puisque la fin de ce contrat était fixé à 2010, soit trois ans plus tard, et qu'au surplus, la question des impayés n'était pas un préalable indispensable aux négociations avec Veolia puisque l'actuelle maire de Saint-Leu n'a pas eu besoin de mettre cette question en débat avec Veolia pour Finaliser en juillet 2010 la fin du contrat en cours et la mise en place d'un régie communale ; que la date de la mise en place d'une réflexion sur le dispositif litigieux, soit juin/juillet 2007, est un premier élément qui retient l'attention dans l'appréciation globale des faits reprochés ; que cet élément, seul, ne suffirait pas à caractériser une volonté d'influencer les votes de mars 2008 mais il est corroboré par les conditions plus qu'étonnantes de mise en place de ce nouveau dispositif ; que, sans qu'aucune investigation sérieuse n'ait été conduite sur l'origine des impayés de factures d'eau, ce qui aurait pu permettre de faire la différence entre les impayés pour dysfonctionnements du réseau d'eau, pour difficultés financières ou abus, le CCAS de Saint-Leu va, da façon surprenante et inhabituelle, établir une liste de "bénéficiaires" dont certains ne relevaient même pas de la liste du contentieux de Veolia ou qui pour la grande majorité n'avaient sollicité aucune aide en ce sens ou encore, respectaient un échéancier accordé par Veolia, qu'à l'élaboration hasardeuse de la liste des bénéficiaires s'est ajouté un traitement plus que confus et incomplet des dossiers de ces derniers puisque les enquêteurs ont noté que de nombreux documents manquaient et que des renseignements sur la situation des intéressés n'étaient pas systématiquement fournis ; que M. X... ne peut valablement se cacher derrière les faiblesses du CCAS de Saint-Leu alors que la directrice de cet organisme, Mme Ericka F... épouse G... a déclaré "qu'en interne au CCAS, elle était chargée de coordonner la volonté du cabinet du maire" et qu'en outre, les délibérations prises par le CCAS s'agissant du dispositif en cause ont toutes été signées par M. X... en tant que président ; que l'élaboration de la liste des bénéficiaires du dispositif porte la marque d'une réelle impréparation, voire, d'une certaine précipitation d'autant plus remarquable qu'elle a été réalisée sans aucune réflexion globale sur la problématique des impayés et sans analyse approfondie des situations individuelles concernées ; que cette impréparation se retrouve lors du conseil municipal du 6 décembre 2007 puisque, si le dispositif est validé, aucune précision n'est apportée quant à son financement à venir, alors que le budget engagé s'annonce comme conséquent s'agissant d'un budget total évalué à 1 300,00 euros pour 500 familles ; qu'en conséquence, les conditions de la mise en place du dispositif ne résultent pas d'une réflexion globale s'agissant de la question de l'eau sur la commune de Saint-Leu mais illustre une volonté, dans un temps court et avec des moyens limités, d'influencer par une aide exceptionnelle par son montant (1 300,00 euros) et sa mise en place les votes des électeurs ; que cette analyse est, au surplus, confirmée par le choix fait par M. X... de communiquer sur cette aide exceptionnelle ; qu'ainsi, jusqu'a la veille des élections de mars 2008, M. X... va s'assurer que son action en faveur des bénéficiaires du dispositif est non seulement facilitée mais remarquée par ces derniers: qu'il demande, ainsi, le 5 septembre 2007 a Veolia d'interrompre l'action de fermeture des compteurs d'eau pendant l'opération d'enquête sur les impayés ; qu' il demande a Veolia le 26 décembre 2007 de ne pas faire figurer l'encours des dettes sur les factures de la prochaine campagne à destination des clients bénéficiaires de l'aide ; que lorsque Veolia fait une erreur de mailing en février 2008, il adresse une lettre à Veolia demandant de procéder à l'envoi d'un courrier, pour confirmer que la dette est bien éteinte et prise en charge par la CCAS, ce qui sera fait par envoi le 6 mars 2008 par Veolia de 180 courriers remis en mains propres aux bénéficiaires de l'aide ; que sur ce point, le directeur général de Veolia déclare que l'erreur de mailing a entraîné une réaction violente de M. H... qui a déclaré que "cela pourrait être préjudiciable à M. X... pour les élections" ; qu'enfin, M. X... va adresser à chacun des bénéficiaires de l'aide litigieuse un courrier daté du 26 février 2008, soit quelques jours avant le scrutin de mars 2008, aux termes duquel il annonce "avoir le plaisir de faire savoir que, sur sa proposition, le commission permanente du CCAS a décidé de réserver une suite favorable à la demande d'aide financière" ; que cette seule dernière lettre, adressée dans une période sensible au cours de laquelle le maire se devait de rester discret et mesuré, est l'exemple même d'une communication mise en place de façon délibérée à son profit et ce, avec les moyens mis à sa disposition en tant que maire et dans un but évident d'influer sur l'élection à venir ; qu'il apparaît, en conséquence, qu'au-delà de la mise en place d'un dispositif d'aide inhabituelle et d'une ampleur remarquable, M. X... a cherché à valoriser ce dispositif et à communiquer à ce sujet jusqu'au terme de la campagne électorale de mars 2008 dans l'objectif de faire pencher en sa faveur le vote des bénéficiaires de cette aide, trompant ainsi la sincérité du scrutin ; que plusieurs témoins entendus dans l'enquête ont, d'ailleurs, confirmé avoir été influencé dans leur vote par la mise en place à leur profit de l'aide en cause ; que les éléments matériels de l'infraction sont caractérisés d'une part, par la signature apportée par le prévenu aux principales délibérations ayant abouti à la mise en place du dispositif courant 2007, au niveau du CCAS et du conseil municipal de Saint-Leu et d'autre part, par la signature et l'envoi des courriers ci-dessus énumérés ; que l'élément intentionnel se déduit des conditions particulières de mise en place du dispositif telles que détaillées ci-dessus, du caractère inhabituel et d'une ampleur remarquable de l'aide accordée et de la communication faite au sujet de celle-ci par le prévenu jusqu'à la veille du premier tour des municipales de mars 2008 ; que la culpabilité de M. X... est suffisamment établie par ces éléments ; que le jugement déféré sera en conséquence confirmé sur la culpabilité du prévenu » ;
"1°) alors que, nul n'est pénalement responsable que de son propre fait ; que l'auteur d'un délit de corruption électorale doit avoir accompli des dons, libéralités en argent ou en nature, ou des promesses de libéralités, de faveurs, d'emploi publics ou privés ou d'autres avantages particuliers ; qu'en l'espèce, le dispositif d'aide au paiement des factures d'eau supposé constituer l'élément matériel du délit a été décidé collectivement par le Conseil d'administration du centre communal d'action sociale de Saint-Leu ; que la seule « signature apportée par le prévenu aux principales délibérations ayant abouti à la mise en place du dispositif courant 2007, au niveau du CCAS et du conseil municipal de Saint-Leu » n'était pas de nature à engager la responsabilité personnelle de M. X....
"2°) alors qu'en tout état de cause, le juge ne peut retenir le délit prévu par l'article L. 106 du code électoral sans caractériser l'intention de l'auteur d'influencer l'électorat ; qu'en l'espèce, le dispositif d'aide au paiement des factures d'eau mis en place par la commune s'inscrivait dans l'exercice des fonctions de maire, fût-ce en période préélectorale, de sorte que l'intention délictueuse ne pouvait en être déduite ; que si la cour d'appel a constaté que certains électeurs avaient effectivement pu être influencés, elle n'a pas caractérisé l'intention qu'avait M. X... d'assurer, par ce biais, sa promotion électorale, de sorte que sa décision n'est pas justifiée" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable, et a ainsi justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis .
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 7 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, L.106 du code électoral, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel a confirmé la déclaration de culpabilité de M. X... du chef de corruption électorale ;
"alors que les dispositions de l'article L. 106, alinéa 1, du code électoral, qui ne permettent pas de définir avec suffisamment de précision les contours du délit de corruption électorale, sont contraires au principe de la légalité criminelle et au principe de clarté et d'intelligibilité de la loi pénale, garantis notamment par les articles 7 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme ; qu'il y a lieu, dès lors, de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel ; qu'à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, l'arrêt attaqué se trouvera privé de base légale au regard des principes constitutionnels susvisés" ;
Attendu que, par arrêt du 14 janvier 2014, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article L.106 du code électoral ;
D'où il suit que le moyen est inopérant ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le deux septembre deux mille quatorze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 13-83351
Date de la décision : 02/09/2014
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, 18 avril 2013


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 02 sep. 2014, pourvoi n°13-83351


Composition du Tribunal
Président : M. Louvel (président)
Avocat(s) : SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard et Poupot, SCP Spinosi et Sureau

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2014:13.83351
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