La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/07/1994 | FRANCE | N°125201

France | France, Conseil d'État, 8 / 9 ssr, 22 juillet 1994, 125201


Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 avril 1991 et 19 août 1991 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Marie-Elisabeth X..., demeurant ..., M. Pierre X..., demeurant à Saint-Paul-Cap-de-Joux (Tarn), Mme Geneviève X..., demeurant ... et M. Philippe X..., demeurant château du Seuil, quartier de Puyricard, Aix-en-Provence ; les consorts X... demandent que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement en date du 19 février 1991 par lequel le tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté leurs demandes tendant d'une part à l'an

nulation des décisions expresse du 16 novembre 1987 et implicite ...

Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 avril 1991 et 19 août 1991 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Marie-Elisabeth X..., demeurant ..., M. Pierre X..., demeurant à Saint-Paul-Cap-de-Joux (Tarn), Mme Geneviève X..., demeurant ... et M. Philippe X..., demeurant château du Seuil, quartier de Puyricard, Aix-en-Provence ; les consorts X... demandent que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement en date du 19 février 1991 par lequel le tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté leurs demandes tendant d'une part à l'annulation des décisions expresse du 16 novembre 1987 et implicite intervenue en 1989, par lesquelles le directeur des services fiscaux de la Guadeloupe a rejeté leurs demandes de rectification des registres du cadastre de Saint-Martin, tendant à faire apparaître leur droit de propriété sur certaines parcelles, d'autre part à ce que soit constatée la régularité des titres de propriété qu'ils invoquent sur lesdites parcelles ;
2°) annule lesdites décisions ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le décret du 21 mars 1882 ;
Vu le décret n° 55-885 du 30 juin 1955 ;
Vu la loi du 3 janvier 1986 et le code du domaine de l'Etat ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Chabanol, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Garaud, avocat de Mme Marie-Elisabeth X...,
- les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, compte tenu tant des termes des demandes adressées par les requérants à l'administration des services fiscaux de la Guadeloupe que du contenu de la réponse expresse qui leur a été faite par le directeur agissant au nom du service des affaires foncières et domaniales, la demande dont ils ont saisi le tribunal administratif tendait à la fois à ce que soient annulés les refus qui leur avaient été opposés de rectifier des documents cadastraux et à ce que leur soit reconnu un droit de propriété sur un certain nombre de parcelles situées sur l'île de Saint-Martin ;
En ce qui concerne la compétence du tribunal administratif :
Considérant que le refus opposé aux requérants se fonde sur la domanialité publique des parcelles concernées, dont l'administration soutient qu'elles se trouvent dans la zone dite des cinquante pas géométriques ; qu'ainsi la revendication de propriété dont les requérants ont saisi sur ce point le tribunal administratif portait sur le bien-fondé de l'exception de domanialité publique opposée à leur demande ; qu'il n'appartient qu'à la juridiction administrative de connaître de telles contestations ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que, en se prononçant sur leur demande sans les avoir invités à saisir préalablement le juge judiciaire de la question préjudicielle de propriété des parcelles dont s'agit, le tribunal administratif aurait excédé ses compétences ;
En ce qui concerne la compétence de l'autorité administrative :
Considérant que le directeur départemental des services fiscaux tire de l'article R.158 du code du domaine de l'Etat sa compétence pour se prononcer sur l'étendue et les limites du domaine public de l'Etat ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que, saisie de leur demande, cette autorité ne pouvait pas y statuer sans s'être préalablement adressée à l'autorité judiciaire ;

En ce qui concerne la domanialité publique des parcelles litigieuses :
Considérant qu'en vertu de l'article 37 de la loi susvisée du 3 janvier 1986 dans sa rédaction applicable à l'espèce, codifiée à l'article L.87 du code du domaine de l'Etat, est rangée dans le domaine public "la zone comprise entre la limite du rivage de la mer et la limite supérieure de la zone dite des cinquante pas géométriques" ; que ladite zone, instituée dans les "îles d'Amérique" par Ordre du Roi du 6 août 1704, faisait alors partie du domaine de la Couronne et comme telle était soumise aux règles qui s'appliqueront ensuite au domaine public ; qu'elle existait ainsi dans toutes les îles françaises d'Amérique, y compris l'île de Saint-Martin appartenant pour partie au royaume depuis le traité du 23 mars 1648 , ainsi que le rappelle l'ordonnance royale du 9 février 1827 ; que sa largeur a été fixée à l'époque à 81,20 mètres comptés à partir du rivage de la mer ; que si les requérants font état, sans d'ailleurs en établir l'existence, d'une dépêche ministérielle qui aurait, en 1859, ramené cette largeur à 48,70 mètres pour la Guadeloupe et ses dépendances, une telle décision ne pouvait légalement modifier la consistance du domaine public ; qu'ainsi les parcelles dont la propriété est revendiquée par les requérants, dont il est constant qu'elles sont situées dans la zone de 81,20 mètres comptés à partir du rivage, se trouvent dans la zone des cinquante pas géométriques mentionnée à l'article 37 précité de la loi du 3 janvier 1986, et donc appartiennent au domaine public ;
Considérant il est vrai que les requérants se prévalent, d'une part, des dispositions du même article qui font échapper à la règle qu'elles instituent "les parcelles appartenant en propriété à des personnes publiques ou privées qui peuvent justifier de leur droit", d'autre part, des dispositions de l'article 38 de la même loi qui réservent expressément "les droits des tiers résultant soit de titres validés en vertu des dispositions de l'article 10 du décret n° 55-885 du 30 juin 1955 ... soit de ventes ou promesses de vente consenties ultérieurement par l'Etat ..." ;

Considérant en premier lieu que les requérants ne soutiennent pas avoir bénéficié de ventes ou promesses de ventes consenties par l'Etat après le 30 juin 1955 ; qu'il est constant que les titres qu'ils détiennent, soit n'ont pas été soumis dans le délai prévu par ce texte à la commission instituée par l'article 10-2 du décret susmentionné, soit n'ont pas été reconnus par ladite commission ; qu'ils ne sont ainsi pas fondés à se prévaloir des dispositions de l'article 38 précité de la loi pour faire échec à la domanialité publique résultant de l'article 37 du même texte ;
Considérant en second lieu que les requérants se fondent tant sur leurs titres de propriété que sur la circonstance que leurs auteurs auraient, dans le courant du XIX° siècle, acquis par prescription les parcelles revendiquées pour soutenir qu'ils justifient d'un droit au sens des dispositions de l'article 37 de la loi susmentionnée ;
Considérant, d'une part, qu'en se bornant à faire état de titres de propriété, établis à des dates antérieures à celle de l'intervention du décret susvisé du 21 mars 1882, c'est- à-dire pendant une période au cours de laquelle la zone des cinquante pas appartenait au domaine public et se trouvait donc inaliénable, les requérants ne justifient en tout état de cause pas d'un droit sur lesdites parcelles qui soit opposable à l'Etat ;
Considérant, d'autre part, que la zone des cinquante pas géométriques était imprescriptible tant qu'elle faisait partie du domaine public de l'Etat ; que, si le décret susvisé du 21 mars 1882 a prévu, à certaines conditions, que certaines parcelles pourraient en être cédées il n'a pas eu pour effet de déroger à l'imprescriptibilité de cette zone, qui ne s'est trouvée supprimée dans son principe que par le décret susvisé du 30 juin 1955 plaçant cette zone dans le domaine privé de l'Etat ; que les requérants ne sont donc pas fondés à se prévaloir d'une acquisition par prescription des parcelles en cause antérieurement à 1955 ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté leur revendication de propriété ;
Sur le refus de modifier les inscriptions cadastrales :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que le directeur des services fiscaux a refusé de modifier les inscriptions cadastrales pour y faire apparaître les requérants comme propriétaires des parcelles en litige ; que les requérants ne sont dès lors pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation du refus dont s'agit ;
Article 1er : La requête des consorts X... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme Marie-Elisabeth X..., M. Pierre X..., Mme Geneviève X..., M. Philippe X... et au ministre du budget.


Synthèse
Formation : 8 / 9 ssr
Numéro d'arrêt : 125201
Date de la décision : 22/07/1994
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours pour excès de pouvoir

Analyses

DOMAINE - DOMAINE PUBLIC - CONSISTANCE ET DELIMITATION - DOMAINE PUBLIC ARTIFICIEL - BIENS FAISANT PARTIE DU DOMAINE PUBLIC ARTIFICIEL - Domaine public par détermination de la loi - Zone dite des cinquante pas géométriques (article L - 87 du code du domaine de l'Etat).

24-01-01-01-01, 46-01 En vertu de l'article L.87 du code du domaine de l'Etat dans sa rédaction issue de la loi du 3 janvier 1986, la zone dite des cinquante pas géométriques, d'une largeur de 81,20 m comptés à partir du rivage, appartient au domaine public. Ne peuvent se prévaloir des dispositions du même article qui font échapper à cette règle "les parcelles appartenant en propriété à des personnes ... qui peuvent justifier de leur droit" des requérants qui se bornent à faire état d'une part de titres de propriété antérieurs à l'intervention du décret du 21 mars 1882, c'est-à-dire à une époque où ladite zone appartenait au domaine public et se trouvait donc inaliénable, et d'autre part d'une acquisition par prescription antérieure à l'entrée en vigueur du décret du 30 juin 1955 qui a seul mis fin à l'imprescriptibilité de cette zone.

OUTRE-MER - DROIT APPLICABLE DANS LES DEPARTEMENTS ET TERRITOIRES D'OUTRE-MER - Domaine - Domaine public par détermination de la loi - Zone dite des cinquante pas géométriques (article L - 87 du code du domaine de l'Etat).


Références :

Code du domaine de l'Etat R158, L87
Décret du 21 mars 1882
Décret 55-885 du 30 juin 1955 art. 10-2
Loi 86-2 du 03 janvier 1986 art. 37, art. 38
Ordonnance royale du 09 février 1827
Traité du 23 mars 1648


Publications
Proposition de citation : CE, 22 jui. 1994, n° 125201
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Rougevin-Baville
Rapporteur ?: M. Chabanol
Rapporteur public ?: M. Bachelier
Avocat(s) : Me Garraud, Avocat

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1994:125201.19940722
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award