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16/11/1992 | FRANCE | N°68822

France | France, Conseil d'État, 6 / 2 ssr, 16 novembre 1992, 68822


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 22 mai 1985 et 28 août 1985 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la Société anonyme "Entreprise Razel Frères", dont le siège est Christ de Z..., BP 109 à Orsay (Essonne), et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° annule les articles 5, 6 et 7 du jugement du 20 mars 1985 par lequel le tribunal administratif de Poitiers, après avoir condamné la société des Autoroutes du Sud de la France à verser aux époux X... la somme de 87 109,66 F et à supporter les frais d'expertise, a c

ondamné la Société anonyme "Entreprise Razel Frères" à garantir la socié...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 22 mai 1985 et 28 août 1985 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la Société anonyme "Entreprise Razel Frères", dont le siège est Christ de Z..., BP 109 à Orsay (Essonne), et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° annule les articles 5, 6 et 7 du jugement du 20 mars 1985 par lequel le tribunal administratif de Poitiers, après avoir condamné la société des Autoroutes du Sud de la France à verser aux époux X... la somme de 87 109,66 F et à supporter les frais d'expertise, a condamné la Société anonyme "Entreprise Razel Frères" à garantir la société des Autoroutes du Sud de la France des sommes que celle-ci est amenée à verser en exécution du jugement et a rejeté les conclusions dirigées par la Société anonyme "Entreprise Razel Frères" contre la société des Autoroutes du Sud de la France ;
2° rejette l'appel en garantie dirigée par la société des Autoroutes du Sud de la France contre la Société anonyme "Entreprise Razel Frères" ;
3° subsidiairement, condamne la société des Autoroutes du Sud de la France et la société Scetauroute à la garantir,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ;
Vu l'article 35 du décret du 26 octobre 1849, modifié par le décret du 25 juillet 1960 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Savoie, Auditeur,
- les observations de Me Odent, avocat de la Société anonyme "Entreprise Razel Frères", de la S.C.P. Desaché, Gatineau, avocat de M. et Mme X... et de la SCP Célice, Blancpain, avocat de la société des Autoroutes du Sud de la France,
- les conclusions de Mme de Saint-Pulgent, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les époux X... ont demandé la réparation des désordres constatés dans leur maison d'habitation sise à Saint-Georges-les-Côteaux (Charente Maritime) à la suite des travaux de construction de l'autoroute A 10 à proximité immédiate de cette maison ainsi que l'indemnisation des troubles de jouissance résultant de ces travaux ;
Sur la compétence de la juridiction administrative :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du constat d'huissier du 27 septembre 1979 et du rapport de l'expert nommé par les premiers juges, que les désordres affectant l'immeuble des époux X... sont imputables, d'une part, aux vibrations provoquées par les engins de chantier et, d'autre part, aux tirs de mine qui ont été pratiqués ; que les engins de chantier constituent des véhicules au sens des dispositions de la loi du 31 décembre 1957 ; que cette loi attribue d'une manière générale aux tribunaux de l'ordre judiciaire la connaissance des actions en responsabilité tendant à la réparation des dommages de toute nature causés par un véhicule sans comporter d'exception notamment lorsque les dommages ont été causés par un véhicule participant à l'exécution d'un travail public ; que les conclusions tendant à la réparation des dommages causés pour les vibrations provoquées par les engins de chantier ne relèvent donc pas de la compétence de la juridiction administrative ; que, par suite, l'entreprise requérante et la société des Autoroutes du Sud de la France, par la voie de l'appel provoqué, sont fondées à demander la réformation du jugement attaqué en tant que, par ledit jugement, le tribunal administratif de Poitiers s'est reconnu compétent pour statuer sur la demande de réparation des préjudices causés par les engins ;

Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les désordres affectant l'immeuble des époux X... et qui sont imputables aux tirs de mine sont la conséquence directe des tirs effectués sur le chantier et engagent la responsabilité de la société des Autoroutes du Sud de la France ; que les époux X... n'ont pas commis de faute de nature à exonérer totalement ou partiellement ladite société de sa responsabilité ; que cette société n'est donc pas fondée à soutenir, par la voie de l'appel provoqué, que c'est à tort que les premiers juges l'ont reconnue entièrement responsable des dommages dont s'agit ;
Considérant qu'aux termes de l'article 35 du cahier des clauses administratives générales applicable au marché conclu entre la société des Autoroutes du Sud de la France et la Société anonyme "Entreprise Razel Frères" que l'entrepreneur a, à l'égard du maître de l'ouvrage, la responsabilité pécuniaire des dommages causés aux personnes et aux biens par la conduite des travaux ou leur modalité d'exécution ; qu'elle ne peut invoquer aucune prescription particulière ou aucun ordre de service de nature à l'exonérer de cette responsabilité ; qu'en vertu des dispositions du cahier des clauses techniques particulières, il lui appartenait de pratiquer les tirs de mine de telle manière qu'il n'en résulte pas de dommages pour les propriétés voisines ; qu'ainsi, la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Poitiers l'a condamnée à garantir la société des Autoroutes du Sud de la France des condamnations prononcées contre elle à ce titre, ni à demander à être elle-même garantie par la société des Autoroutes du Sud de la France ou par la société Scetauroute, en sa qualité de maître d'oeuvre, dès lors qu'aucune faute de conception ou de surveillance ne résulte de l'instruction ;

Sur les préjudices :
Considérant que la part des désordres qui est imputable aux tirs de mine correspond à 50 % de l'ensemble des dommages dont les époux X... demandent réparation ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, qui n'est pas utilement contesté, que le coût de remise en état de la propriété des requérants s'élève à 62 700 F ; qu'il sera fait une exacte évaluation d'une part, du préjudice matériel résultant pour les époux X... de l'exécution de ces travaux publics en fixant le montant à ladite somme et d'autre part, des troubles de jouissance qui en ont résulté pour eux en fixant le montant de l'indemnité due à ce titre à 20 000 F ; que, compte tenu de l'usage que M. et Mme X... ont de leur bien, et de la date d'achèvement de cet immeuble, les travaux effectués sur cette maison ne justifient pas un abattement de vétusté ; qu'ainsi le montant auquel ont droit les époux X... en réparation des désordres qui sont imputables aux tirs de mine s'élève à 41 350 F ;
Considérant que si, dans leur recours incident, les époux X... demandent que l'indemnité correspondant aux travaux de réfection de leur immeuble soit réactualisée au jour du jugement, il n'est pas établi qu'ils n'aient pas eu les moyens de procéder à la réalisation desdits travaux, qui ont d'ailleurs été effectués en 1984 et 1985, en octobre 1983, date où les désordres étaient connus dans toute leur ampleur et où il pouvait être utilement procédé à leur réparation ; qu'en revanche, ils ont droit aux intérêts légaux sur la somme de 41 350 F à compter de l'enregistrement au greffe du tribunal administratif, de leur demande de première instance soit le 6 juin 1981 ; que s'ils demandent que soient pris en compte des désordres affectant une clôture et le revêtement d'un cours de tennis, il ne résulte pas de l'instruction que le lien de causalité entre ces désordres et les tirs de mine soit établi ; que, dès lors, ces conclusions incidentes ne peuvent qu'être rejetées ;

Considérant que les frais d'expertise s'élevant à 10 994,10 F doivent rester à la charge de la Société anonyme "Entreprise Razel Frères" ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la Société anonyme "Entreprise Razel Frères" et la société des Autoroutes du Sud de la France par voie de l'appel provoqué sont seulement fondées à demander la réformation du jugement du tribunal administratif en tant qu'il a fixé à 87 109,66 F la somme que la société des Autoroutes du Sud de la France a été condamnée à verser aux époux X..., somme qui doit être ramenée à 41 350 F ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers est annulé en tant que, par ledit jugement, ce tribunal s'est reconnu compétent pour statuer sur la demande des époux X... tendant à la réparation des préjudices causés par les engins du chantier de construction de l'autoroute A 10.
Article 2 : La demande des époux X... tendant à ce que soient réparés les préjudices causés par les engins du chantier de construction de l'autoroute A 10 est rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 3 : La somme de 87 109,66 F que la société des Autoroutes du Sud de la France a été condamnée par l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Poitiers en date du 20 mars 1985 à verser à M. et Mme X..., est ramenée à 41 350 F. Ladite somme portera intérêts au taux légal à compter du 6 juin 1981.
Article 4 : Le jugement susvisé du tribunal administratif de Poitiers est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 3 de la présente décision.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la Société anonyme "Entreprise Razel Frères", de l'appel provoqué de la société des Autoroutes du Sud de la France et du recours incident des époux X... est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la Société anonyme "Entreprise Razel Frères", à M. et Mme Y...
X..., à la société des Autoroutes du Sud de la France, à la société Scetauroute et au ministre de l'équipement, du logement et des transports.


Sens de l'arrêt : Annulation rejet incompétence
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

- RJ1 - RJ2 COMPETENCE - REPARTITION DES COMPETENCES ENTRE LES DEUX ORDRES DE JURIDICTION - COMPETENCE DETERMINEE PAR DES TEXTES SPECIAUX - ATTRIBUTIONS LEGALES DE COMPETENCE AU PROFIT DES JURIDICTIONS JUDICIAIRES - COMPETENCE DES JURIDICTIONS JUDICIAIRES EN MATIERE DE RESPONSABILITE DES PERSONNES PUBLIQUES - VEHICULES - NOTION DE DOMMAGE CAUSE PAR UN VEHICULE - Existence - Dommages causés par des engins de chantier participant à l'exécution de travaux publics - pour la partie des désordres qui leur sont imputables (1)-(2).

17-03-01-02-01-05-02, 17-03-02-06-01, 67-02-01, 67-05-005 Requérants ayant demandé la réparation des désordres constatés dans leur maison d'habitation à la suite des travaux de construction de l'autoroute A 10 à proximité immédiate de cette maison ainsi que l'indemnisation des troubles de jouissance résultant de ces travaux. Les désordres affectant l'immeuble des époux G. sont imputables d'une part aux vibrations provoquées par les engins de chantier et d'autre part aux tirs de mine qui ont été pratiqués. Les engins de chantier constituent des véhicules au sens des dispositions de la loi du 31 décembre 1957. Cette loi attribue d'une manière générale aux tribunaux de l'ordre judiciaire la connaissance des actions en responsabilité tendant à la réparation des dommages de toute nature causés par un véhicule sans comporter d'exception notamment lorsque les dommages ont été causés par un véhicule participant à l'exécution d'un travail public. Les conclusions tendant à la réparation des dommages causés pour les vibrations provoquées par les engins de chantier ne relèvent donc pas de la compétence de la juridiction administrative. Mais les désordres affectant l'immeuble des époux G. et qui sont imputables aux tirs de mine sont la conséquence directe des tirs effectués sur le chantier pour l'exécution de travaux publics et engagent la responsabilité de la société des Autoroutes du Sud de la France devant la juridiction administrative. Evaluation de la part des désordres imputables aux tirs de mine à 50 %.

- RJ1 - RJ2 COMPETENCE - REPARTITION DES COMPETENCES ENTRE LES DEUX ORDRES DE JURIDICTION - COMPETENCE DETERMINEE PAR UN CRITERE JURISPRUDENTIEL - TRAVAUX PUBLICS - DOMMAGES DE TRAVAUX PUBLICS - Divers cas de compétence de la juridiction judiciaire - Dommages imputables à des engins de chantier participant à l'exécution de travaux publics.

- RJ3 TRAVAUX PUBLICS - REGLES COMMUNES A L'ENSEMBLE DES DOMMAGES DE TRAVAUX PUBLICS - NOTION DE DOMMAGES DE TRAVAUX PUBLICS - Dommages imputables à l'activité d'un chantier public - Exclusion de la notion de dommages de travaux publics des désordres imputables aux engins de chantiers (3).

- RJ3 TRAVAUX PUBLICS - REGLES DE PROCEDURE CONTENTIEUSE SPECIALES - COMPETENCE - Compétence du juge administratif - Dommages imputables à l'activité d'un chantier public - Compétence de la juridiction administrative pour connaître de ces dommages sauf ceux imputables à des engins de chantier (3).


Références :

Loi 57-1424 du 31 décembre 1957

1.

Rappr. T.C. 1961-11-20, Mme Kouyoumdjian, p. 882. 2.

Cf. C.E. 1975-06-25, "Société entreprise industrielle", p. 386. 3.

Cf. T.C. 1961-11-20, Mme Kouyoumdjian, p. 882 et C.E. 1975-06-25, "Société entreprise industrielle", p. 386


Publications
Proposition de citation: CE, 16 nov. 1992, n° 68822
Publié au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : Mme Bauchet
Rapporteur ?: M. Savoie
Rapporteur public ?: Mme de Saint-Pulgent
Avocat(s) : Me Odent, SCP Desaché, Gatineau, SCP Célice, Blancpain, Avocat

Origine de la décision
Formation : 6 / 2 ssr
Date de la décision : 16/11/1992
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 68822
Numéro NOR : CETATEXT000007807015 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;1992-11-16;68822 ?
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