Vu, 1°) sous le n° 109684, la requête enregistrée le 8 août 1989 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Y..., demeurant ... ; M. Y... demande au Conseil d'Etat d'annuler le jugement du 13 juin 1989 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande dirigée contre la délibération en date du 4 décembre 1986, par laquelle le conseil général du département des Alpes-Maritimes a décidé :
- d'une part, de confirmer l'inscription, au budget primitif de 1987, d'un crédit supplémentaire de 7 800 000 F pour la construction d'un établissement d'enseignement destiné à accueillir les élèves scolarisés par l'association "American International School" à Nice ;
- d'autre part, de donner délégation à son bureau à l'effet : 1°) de décider de l'affectation du reliquat qui apparaîtrait disponible à son enveloppe globale de 27 000 000 F affectée au financement de ce projet ; 2°) d'approuver la convention à intervenir entre le département et l'American International School, concernant les conditions de la mise à disposition des bâtiments à cette association ;
Vu 2°), sous le n° 110057, la requête enregistrée le 28 août 1989 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. X..., demeurant ... (06100) ; M. X... demande au Conseil d'Etat d'annuler le jugement du 13 juin 1989 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande dirigée contre la délibération en date du 4 décembre 1986, par laquelle le conseil général du département des Alpes-Maritimes a décidé :
- d'une part, de confirmer l'inscription, au budget primitif de 1987, d'un crédit supplémentaire de 7 800 000 F pour la construction d'un établissement d'enseignement destiné à accueillir les élèves scolarisés par l'association "American International School" à Nice ;
- d'autre part, de donner délégation à son bureau à l'effet : 1°) de décider de l'affectation du reliquat qui apparaîtrait disponible sur l'enveloppe globale de 27 000 000 F affectée au financement du projet ; 2°) d'approuver la convention à intervenir entre le département et l'American International School, concernant les conditions de la mise à disposition des bâtiments ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu l'article 69 de la loi du 15 mars 1850 ;
Vu l'article 2 de la loi du 30 octobre 1886 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mlle Fombeur, Auditeur,
- les observations de Me de Nervo, avocat du département des Alpes-Maritimes et de Me Ricard, avocat de l'American International School ;
- les conclusions de Mme Maugüé, Commissaire du gouvernement ;
Sur la jonction :
Considérant que les requêtes n°s 109684 et 110057 de MM. Y... et X... sont dirigées contre le même jugement et la même délibération du conseil général des Alpes-Maritimes ; qu'elles présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour être statué par une seule décision ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que, par délibération en date du 7 décembre 1984, le conseil général des Alpes-Maritimes a affecté un crédit de 25 millions de francs à la construction à Nice d'un établissement d'enseignement destiné à être loué à l' "American International School" pour y établir un collège international de langue anglaise ; que le 17 juin 1986, le bureau du conseil général donnait son accord au lancement des travaux de la tranche ferme dans le cadre du crédit voté de 25 millions de francs et autorisait le président du conseil général à signer les marchés avec les entreprises retenues ; que, par une nouvelle délibération, en date du 4 décembre 1986, le conseil général a décidé de "confirmer l'inscription au budget primitif 1987 du crédit de 7 800 000 F, de donner délégation au bureau : 1°) pour décider de l'affectation du reliquat qui apparaîtrait disponible sur le crédit global de 27 millions de francs ; 2°) pour approuver la convention à intervenir entre le département et "l'American International School" concernant les conditions de la mise à disposition des bâtiments" ;
Considérant que MM. Y... et X... ont demandé l'annulation de cette dernière délibération en invoquant notamment l'illégalité des deux premières ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté leurs demandes au motif que la délibération du 4 décembre 1986 se bornait à exécuter et à adapter les dispositions des délibérations antérieures lesquelles, faute d'avoir été attaquées dans les délais du recours contentieux, étaient devenues définitives ;
Considérant, d'une part, que la délibération attaquée, en tant notamment qu'elle déléguait au bureau du conseil général l'approbation de la convention à intervenir entre le département et "l'American International School", ne peut être regardée comme une simple mesure d'exécution des deux décisions antérieures qui ne se prononçaient pas sur la nature et les modalités de mise à la disposition d'un établissement d'enseignement de nationalité étrangère d'un bâtiment scolaire construit par le département ;
Considérant, d'autre part, que si les délibérations précitées du conseil général des Alpes-Maritimes et du bureau dudit conseil en date du 7 décembre 1984 et du 17 juin 1986 ont fait l'objet d'une publication au bulletin des actes administratifs du conseil général des Alpes-Maritimes les 10 et 15 février 1985 pour la première et le 16 juillet 1986 pour la seconde, il ressort des pièces du dossier que les extraits ainsi publiés, qui ne mentionnaient pas la mise à disposition des locaux à construire à "l'American International School" et n'en précisaient pas davantage les conditions, ne comportaient pas des indications suffisantes permettant d'apprécier la légalité de ces deux délibérations ; que celles-ci qui n'ont ainsi pas fait l'objet d'une publicité régulière, ne sont pas devenues définitives ; que, par suite, MM. Y... et X... pouvaient invoquer leur illégalité à l'appui de leurs conclusions dirigées contre la délibération du 4 décembre 1986 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté comme irrecevables les conclusions dirigées contre la délibération du 4 décembre 1986 ; qu'ainsi, ce jugement doit être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par MM. Y... et X... devant le tribunal administratif de Nice ;
Sur la légalité de la délibération litigieuse :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des demandes :
Considérant, en premier lieu, que "l'American International School" et le département des Alpes-Maritimes soutiennent que "l'American International School" est une "société sans but lucratif" de droit américain qui entend organiser dans les bâtiments mis à sa disposition par le département une scolarité destinée à des élèves anglophones et sans aucun rapport avec le système éducatif français ; qu'à ce titre et en application de la convention d'établissement conclue entre la France et les Etats-Unis d'Amérique le 25 novembre 1959, cette école ne saurait être concernée par la législation française relative notamment à l'aide à l'enseignement privé ; qu'une telle argumentation doit être écartée dès lors qu'aucune disposition expresse de la convention d'établissement susmentionnée ne soustrait des organismes ayant un statut et une activité comparables à ceux de "l'American International School" du champ d'application des lois de la République française ;
Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 69 de la loi du 15 mars 1850 : "Les établissements libres peuvent obtenir des communes, des départements ou de l'Etat un local et une subvention, sans que cette subvention puisse excéder le dixième des dépenses annuelles de l'établissement. Les conseils académiques sont appelés à donner leur avis préalable sur l'opportunité de ces subventions ..." ; qu'il ressort de ces prescriptions, qui s'imposaient au département des Alpes-Maritimes, que seul un local scolaire existant peut être mis à la disposition d'un établissement d'enseignement libre par une collectivité territoriale, notamment un département ; qu'en prévoyant par les délibérations du conseil général et du bureau des 7 décembre 1984 et 17 juin 1986 la construction d'un bâtiment destiné à "l'American International School" puis, par la délibération du 4 décembre 1986, de passer une convention de mise à disposition du bâtiment à cet organisme, le département des Alpes-Maritimes a méconnu les dispositions de l'article 69 de la loi du 15 mars 1850 précitée, alors même que cette convention devait prévoir le versement d'un loyer par "l'American International School" ; que ces délibérations sont ainsi entachées d'illégalité ;
Considérant enfin qu'il ressort des dispositions de l'article 2 de la loi du 30 octobre 1886 sur l'organisation de l'enseignement primaire qu'est interdite l'utilisation de fonds publics au bénéfice d'écoles primaires privées sous réserve de dérogations concernant notamment les établissements primaires privés sous contrat, au titre desquelles ne figurent pas les classes correspondantes au niveau d'enseignement primaire organisées par l' "American International School" dans son établissement ; que, par suite, les délibérations susmentionnées des 7 décembre 1984, 17 juin 1986 et 4 décembre 1986 sont également entachées d'illégalité dans la mesure où elles ont pour effet d'utiliser des fonds publics au bénéfice d'un établissement privé accueillant des élèves du niveau de l'enseignement primaire ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que MM. Y... et X... sont fondés à demander l'annulation de la délibération du 4 décembre 1986 ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice en date du 13 juin 1989 ensemble la délibération du conseil général des Alpes-Maritimes du 4 décembre 1986 sont annulés.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à MM. Y... et X..., à l'AmericanInternational School on the Côte d'Azur, au département des Alpes-Maritimes, au ministre des affaires étrangères et au ministre de l'éducation nationale.