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26/05/2010 | FRANCE | N°338596

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 26 mai 2010, 338596


Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 12 avril 2010, présentée pour la société MR. BRICOLAGE, dont le siège est 1, rue Montaigne à La Chapelle-Saint-Mesmin (45380), représentée par ses représentants légaux ; elle demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision n° 10-DCC-01 de l'Autorité de la concurrence en date du 12 janvier 2010 autorisant l'acquisition par la société MR. BRICOLAGE du contrÃ

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2°) de mettre à la charge de l'Etat ...

Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 12 avril 2010, présentée pour la société MR. BRICOLAGE, dont le siège est 1, rue Montaigne à La Chapelle-Saint-Mesmin (45380), représentée par ses représentants légaux ; elle demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision n° 10-DCC-01 de l'Autorité de la concurrence en date du 12 janvier 2010 autorisant l'acquisition par la société MR. BRICOLAGE du contrôle exclusif de la société Passerelle ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient qu'elle a intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation de cette décision qui lui fait grief et qu'en conséquence sa requête est recevable ; que l'urgence est caractérisée, dès lors que le processus de rupture du contrat entre la filiale Le Club et les sept adhérents concernés doit être engagé au plus tard à la fin du mois de juin 2010 pour que cette rupture soit effective le 31 décembre 2010 et que le magasin de Mende doit être cédé au plus tard le 12 juin 2010, de sorte que la rupture des contrats et la cession auront eu lieu avant le jugement au fond, ce qui rendra la situation irréversible ; que cette décision lui cause un préjudice commercial, stratégique et financier, dès lors que l'image et l'attractivité du réseau Le Club en seront affaiblies et que les intérêts économiques et l'attractivité des adhérents concernés seront également atteints ; que la cession d'un magasin Mr. Bricolage lui cause un préjudice financier irréversible ; qu'il existe un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée ; qu'en premier lieu, elle est entachée d'une insuffisance de motivation faute d'établir en fait et en droit dans quelle mesure les adhérents des réseaux Mr. Bricolage et Le Club ne sont pas indépendants ; qu'en deuxième lieu, la décision est entachée d'une insuffisance de motivation et d'une contradiction de motifs, dès lors qu'elle est fondée sur des versions erronées des contrats des magasins concernés par les engagements et non sur les contrats pertinents et qu'elle considère que les adhérents avec enseigne ayant conclu l'avant-dernière version du contrat d'adhésion ne sont pas indépendants, alors qu'elle consacre l'indépendance des adhérents sans enseigne ayant conclu ce même contrat ; qu'en troisième lieu, la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, d'une erreur de qualification juridique et d'une erreur de droit dès lors que la nouvelle entité n'a pas pour objectif de favoriser les mouvements entre enseignes ; qu'en quatrième lieu, elle est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle méconnaît la pratique décisionnelle de l'Autorité de la concurrence relative aux franchisés et affiliés ; qu'en cinquième lieu, la décision est entachée d'une dénaturation des liens qu'elle entretient avec ses adhérents et d'une erreur de droit, dès lors que la Charte la liant à ses adhérents garantit leur indépendance commerciale et tarifaire ; qu'en sixième lieu, elle est entachée d'une erreur de qualification juridique en considérant que les adhérents avec enseigne ne sont pas autonomes vis-à-vis du réseau Le Club sur la base d'éléments contenus dans la version 2009 du contrat d'adhésion, alors même que le contrat en vigueur pour la grande majorité des adhérents est la version précédente ; qu'en tout état de cause, la version 2009 du contrat d'adhésion prévoit et garantit l'indépendance des adhérents du réseau Le Club ; qu'en septième lieu, la décision attaquée est entachée d'une erreur de qualification juridique des liens entre les adhérents sans enseigne et le réseau Le Club, dès lors que les contrats d'adhésion dans leur version 2009 ne remplacent pas les contrats signés antérieurement et ne servent que de base de négociations entre les parties ; qu'ainsi la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une erreur de droit en tant qu'elle intègre les adhérents aux réseaux Mr. Bricolage et Le Club dans l'analyse concurrentielle, notamment dans le calcul des parts de marché des parties à l'opération sur les marchés locaux de la vente au détail de bricolage ; qu'en huitième lieu, elle méconnaît le principe d'égalité et les principes de sécurité juridique et de confiance légitime ; qu'en neuvième et dernier lieu, elle viole le droit des ententes puisqu'en plaçant les magasins adhérents et les magasins intégrés sur le même plan juridique, elle a pour effet de méconnaître l'interdiction légale qui s'impose au groupe issu de la concentration de déterminer la politique commerciale et tarifaire des adhérents ;

Vu la décision dont la suspension est demandée ;

Vu la copie de la requête en annulation ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 10 mai 2010, présenté pour l'Autorité de la concurrence, qui conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société MR. BRICOLAGE la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; l'Autorité de la concurrence soutient, à titre principal, que la requête en annulation est irrecevable, dès lors que la requérante n'a pas intérêt à agir contre une décision qui lui donne satisfaction ; que le comportement déloyal de la requérante à son égard emporte l'irrecevabilité de la requête ; qu'à titre subsidiaire, il n'y a plus lieu de statuer sur la requête, dès lors que la cession des titres et le paiement du prix sont intervenus le 20 janvier 2010, soit postérieurement à l'introduction de la requête, de sorte que, compte tenu du caractère indivisible de l'autorisation et des engagements, la décision contestée a déjà été entièrement exécutée ; qu'à titre encore plus subsidiaire, la condition d'urgence n'est pas remplie, dès lors que la suspension de la décision dans son ensemble serait encore plus préjudiciable à la requérante en ce que l'autorisation de la concentration elle-même serait suspendue ; que l'intérêt public concurrentiel dans les zones de chalandise concernées par les engagements commande l'urgence à ne pas suspendre ; qu'il appartenait à la requérante d'informer ses cocontractants des engagements qu'elle a pris ; que le préjudice économique résultant de la réalisation des engagements de non renouvellement de sept contrats et de cession d'un magasin est faible ; que l'atteinte à la compétitivité du groupe n'est pas caractérisée ; que le préjudice sur d'éventuelles opérations futures n'est pas établi ; qu'en outre, il n'existe aucun doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, dès lors que celle-ci est suffisamment motivée en droit comme en fait ; que le moyen tiré de la contradiction de motifs n'est pas fondé, dès lors que, s'agissant de l'avant-dernière version des contrats, l'Autorité ne relève qu'une relative indépendance des cocontractants et tire de son analyse prospective que l'évolution de la situation conduira à une intégration plus marquée ; que la décision contestée ne méconnaît pas la pratique décisionnelle de l'Autorité de la concurrence puisqu'elle suit la méthode dégagée par la décision du ministre C-2000-300 Carrefour/Promodès ; qu'elle n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation ni d'erreur de qualification juridique des faits pour fonder son analyse prospective, dès lors qu'elle s'est appuyée sur des éléments du dossier de notification ; qu'en ce qui concerne les liens entre les magasins adhérents et les têtes de réseau, elle n'a pas dénaturé les contrats d'adhésion dès lors que l'analyse d'ensemble des clauses de la charte de l'adhérent permet de conclure à un manque d'autonomie des adhérents au réseau Mr. Bricolage ; qu'elle était fondée à considérer que l'opération en cause entraînerait une intégration plus poussée des adhérents au réseau Le Club ; qu'ainsi, les moyens tirés de la dénaturation des conventions et de l'erreur de qualification juridique doivent être écartés ; qu'en outre, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité et du principe de sécurité juridique doit également être écarté, dès lors que les opérations de concentration doivent faire l'objet d'une analyse au cas par cas ; qu'enfin, le moyen tiré de ce que la décision méconnaîtrait l'impossibilité légale pour la nouvelle entité de fixer la politique commerciale et tarifaire de ses adhérents est inopérant ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de commerce ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société MR. BRICOLAGE et, d'autre part, l'Autorité de la concurrence ;

Vu le procès-verbal de l'audience du 17 mai 2010 à 10 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de MR. BRICOLAGE ;

- les représentants de MR. BRICOLAGE ;

- Me Baraduc, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Autorité de la concurrence ;

- les représentants de l'Autorité de la concurrence ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;

Considérant que, le 30 octobre 2009, la société MR. BRICOLAGE, spécialisée dans la distribution de matériel de bricolage, de jardinage et de matériaux en grandes surfaces de bricolage et qui réunit 478 magasins dont 74 magasins intégrés et 404 magasins adhérents, a notifié à l'Autorité de la concurrence, en application de l'article L. 430-3 du code de commerce, la prise de contrôle exclusif des sociétés et participations contrôlées par la société Passerelle, qui intervient sur le même marché et dont la filiale Le Club anime 360 magasins dont 15 magasins détenus en propre et 345 magasins adhérents ; que, par décision du 12 janvier 2010, l'Autorité de la concurrence a autorisé cette opération sous réserve du respect par la société MR. BRICOLAGE de huit engagements consistant, d'une part, dans le non renouvellement, lors de leur prochaine échéance le 31 décembre 2010, de sept contrats d'adhésion au réseau Le Club et, d'autre part, dans la cession du magasin Mr. Bricolage de Mende ; que le transfert des titres et le paiement du prix entre les deux sociétés ont eu lieu, le 20 janvier 2010 ; que la société MR. BRICOLAGE demande la suspension de la décision du 12 janvier 2010 ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir opposée par l'Autorité de la concurrence ;

Considérant que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ;

Considérant que, pour justifier de l'urgence à prononcer la suspension demandée, la société MR. BRICOLAGE fait valoir, d'une part, que la réalisation des engagements de non renouvellement des contrats d'adhésion lui causera un préjudice irréversible et immédiat, dès lors que, pour être mené à bien avant le 31 décembre 2010, le processus de non renouvellement de ces contrats devra débuter dès le mois de juin 2010 et qu'il aura pour conséquence un bouleversement de la stratégie commerciale du groupe ainsi qu'un préjudice financier lié à la diminution du nombre d'adhérents, la perte de chiffre d'affaires sur chaque marché local concerné pouvant atteindre 20 % ; que, d'autre part, la cession du magasin de Mende entraînera une perte financière, dès lors que, si elle n'est pas réalisée avant le 12 juin 2010, le magasin sera susceptible d'être vendu sans condition de prix minimum ; qu'enfin, les magasins concernés par le non renouvellement des contrats d'adhésion et la cession subiront un préjudice commercial et financier dès la réalisation des engagements ;

Considérant, toutefois, que contrairement à ce que soutient la société MR. BRICOLAGE, il convient d'apprécier l'urgence qu'elle invoque et l'atteinte portée à sa situation au regard de l'impact financier des engagements litigieux sur les surfaces de vente et le chiffre d'affaires de la nouvelle entité et non de prendre en compte les effets potentiels sur chacune des zones de chalandise en cause ; qu'il n'est pas contesté que les sept magasins concernés par le non renouvellement de leur contrat ne représentent que 0,9 % des surfaces de vente des réseaux de la seule société MR. BRICOLAGE en France et que la perte financière engendrée par la diminution du nombre d'adhérents ne représente que 0,07 % de son chiffre d'affaires, de sorte que la réalisation de ces engagements a un impact encore plus faible sur la nouvelle entité ; qu'en outre, la cession du magasin de Mende était prévue antérieurement à l'opération de concentration et n'a qu'un effet négligeable sur les surfaces de vente et le chiffre d'affaires de la nouvelle entité ; qu'enfin, il ne ressort ni des pièces du dossier ni des indications données par les parties lors de l'audience que la réalisation des engagements litigieux serait de nature à affecter l'image et l'attractivité des réseaux Mr. Bricolage et Le Club dans des conditions propres à caractériser en elles-mêmes une situation d'urgence ; qu'ainsi, il n'est pas établi que la réalisation des engagements litigieux aurait des conséquences telles qu'elle caractériserait une situation d'urgence ;

Considérant, au surplus, que, dès lors que la société MR. BRICOLAGE a proposé, elle-même, les engagements en cause pour remédier aux effets anticoncurrentiels de l'opération identifiés par l'Autorité de la concurrence, sur le fondement de choix stratégiques et commerciaux qu'elle a faits en toute connaissance de cause compte tenu de l'intérêt que l'opération de concentration continuait à présenter pour la nouvelle entité, et à supposer même que ces engagements aient été pris par la société pour éviter le délai supplémentaire qu'aurait représenté l'examen approfondi prévu par l'article L. 430-6 du code de commerce, elle ne peut utilement, en l'espèce, soutenir que ces engagements portent une atteinte grave et immédiate à ses intérêts caractérisant l'urgence nécessaire à la suspension de la décision du 12 janvier 2010 ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la condition d'urgence n'étant pas remplie, les conclusions à fin de suspension présentées par la société MR. BRICOLAGE doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la société MR. BRICOLAGE et non compris dans les dépens ; qu'il y n'a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'Autorité de la concurrence au titre des mêmes dispositions ;

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de MR. BRICOLAGE SA est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'Autorité de la concurrence au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à MR. BRICOLAGE SA et à l'Autorité de la concurrence.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 338596
Date de la décision : 26/05/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 mai. 2010, n° 338596
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Glaser
Rapporteur ?: M. Emmanuel Glaser
Avocat(s) : SCP BARADUC, DUHAMEL ; SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:338596.20100526
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