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31/05/2010 | FRANCE | N°317006

France | France, Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 31 mai 2010, 317006


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 juin 2008 et 9 septembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNE DE PARNES, représentée par son maire ; la COMMUNE DE PARNES demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 2 avril 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif d'Amiens du 5 octobre 2006 rejetant sa demande de condamnation solidaire en réparation des dégradations de la toiture de l'église Saint Josse

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2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif d'Amiens ;

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Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 juin 2008 et 9 septembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNE DE PARNES, représentée par son maire ; la COMMUNE DE PARNES demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 2 avril 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif d'Amiens du 5 octobre 2006 rejetant sa demande de condamnation solidaire en réparation des dégradations de la toiture de l'église Saint Josse ;

2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif d'Amiens ;

3°) de condamner solidairement les sociétés Lelu et Tuilerie de Pontigny Aleonard ainsi que M. Vincent A à lui verser la somme de 83 146,81 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 23 février 2004 avec capitalisation ;

4°) de mettre à la charge des sociétés Lelu et Tuileries de Pontigny Aleonard ainsi que de M. Vincent A le versement d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil, notamment les articles 1792 et 2270 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Cytermann, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de Me Balat, avocat de la COMMUNE DE PARNES, de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la société Lelu, de Me Blondel, avocat de la société Tuilerie de Pontigny Aleonard et de la SCP Boulloche, avocat de Vincent A,

- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Balat, avocat de la COMMUNE DE PARNES, à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la société Lelu, à Me Blondel, avocat de la société Tuilerie de Pontigny Aleonard et à la SCP Boulloche, avocat de Vincent A ;

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que des travaux de réfection de la toiture de l'église Saint-Josse, appartenant à la COMMUNE DE PARNES, ont été entrepris en 1992 ; que leur réception a été prononcée sans réserve le 30 septembre 1993 ; qu'un délitement des tuiles posées au cours de ces travaux a été constaté dès 1997 ; que la COMMUNE DE PARNES se pourvoit en cassation contre l'arrêt en date du 2 avril 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif d'Amiens du 5 octobre 2006 rejetant sa demande de condamnation solidaire en réparation des dégradations de la toiture de la société Lelu, de la société Tuilerie de Pontigny Aléonard, de M. Vincent A, architecte en chef des monuments historiques, et de l'Etat, maître d'oeuvre ;

Considérant qu'il résulte des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil, que des dommages apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans ; qu'ainsi, en rejetant les conclusions de la COMMUNE DE PARNES au motif que les désordres constatés n'évoluaient pas de manière à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination avant l'expiration du délai décennal de garantie, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ; que par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la COMMUNE DE PARNES est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur la responsabilité et sur le montant des réparations :

Considérant qu'il ressort des conclusions présentées par la COMMUNE DE PARNES devant le Conseil d'Etat, qui constituent le dernier état de ses écritures, que la requérante a renoncé tant à ses conclusions dirigées contre l'Etat qu'à ses demandes d'indemnisation au titre des troubles de jouissance d'une part, des frais de l'étude demandée par l'expert d'autre part ;

Considérant, en premier lieu, que la société Tuilerie de Pontigny Aléonard, aux droits de laquelle est venue la société Wienerberger, qui a fabriqué les tuiles utilisées au cours des travaux, n'avait pas de lien contractuel avec le maître d'ouvrage des travaux de réfection ; que la juridiction administrative n'est, dès lors, pas compétente pour connaître des conclusions de la commune dirigées contre cette société ; qu'il y a lieu, en conséquence, d'annuler le jugement attaqué du tribunal administratif d'Amiens en tant qu'il a statué sur ces conclusions puis, par voie d'évocation, de les rejeter comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens, que les désordres qui ont affecté l'église de Parnes sont imputables à M. A, maître d'oeuvre, qui a choisi un modèle de tuile inapproprié et déterminé les conditions dans lesquelles les tuiles seraient posées, et à la société Lelu, qui a réalisé les travaux ; que la commune est par suite, fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif d'Amiens s'est fondé sur la circonstance que les désordres avaient leur cause dans ce vice de fabrication pour exonérer de toute responsabilité au titre de la garantie décennale M. A et la société Lelu ;

Considérant, en troisième lieu, que dans son rapport remis le 19 septembre 2003, l'expert a estimé que si à cette date, aucune infiltration n'avait été constatée, la détérioration des tuiles allait en provoquer à court terme, et a préconisé des réparations urgentes ; que le rapport de l'architecte en chef des monuments historiques en date de juillet 2006 relève que l'église connaît " un état de très grande fragilité, de fatigue et d'usure digne d'inquiétude, et cela en raison de réparations parfois problématiques faites récemment comme la pose de tuiles gélives" et constate que " le mauvais état des couvertures de l'édifice est à l'origine de nombreuses fuites qui percolent au travers des maçonneries " ; qu'ainsi, et compte tenu des conclusions des rapports précités, les désordres constatés au cours du délai d'épreuve de la garantie décennale étaient de nature à rendre l'ouvrage, dans un délai prévisible, impropre à sa destination ou à compromettre sa solidité ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la COMMUNE DE PARNES est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de M. A et de la société Lelu à l'indemniser sur le fondement de la garantie décennale ;

Considérant que le rapport de l'expert évalue à 83 146,81 euros TTC le montant des réparations à effectuer, sans que cette évaluation soit utilement contestée ; qu'il y a lieu de condamner solidairement M. A et la société Lelu à verser cette somme à la COMMUNE DE PARNES, assortie des intérêts moratoires à compter du 22 février 2004, avec capitalisation ;

Sur les conclusions d'appel en garantie :

Considérant que la société Tuilerie de Pontigny Aléonard, aux droits de laquelle est venue la société Wienerberger, n'ayant, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, pas de lien contractuel avec le maître d'ouvrage, les conclusions d'appel en garantie dirigées contre elle par M. A et la société Lelu ne doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ; qu'il y a lieu, en revanche, de faire droit à hauteur de 50 % aux conclusions d'appel en garantie dirigées par la société Lelu contre M. A ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la société Lelu et de M. Vincent A le versement à la COMMUNE DE PARNES de la somme de 3 000 euros chacun au titre de l'ensemble de la procédure ; que les mêmes dispositions font obstacle à ce que soient mises à la charge de la COMMUNE DE PARNES les sommes demandées à ce titre par la société Wienerberger, la société Lelu et M. A ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 2 avril 2008 de la cour administrative d'appel de Douai est annulé.

Article 2 : Le jugement du 5 octobre 2006 du tribunal administratif d'Amiens est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions de la COMMUNE DE PARNES dirigées contre la société Tuilerie de Pontigny Aléonard.

Article 3 : Les conclusions de la COMMUNE DE PARNES dirigées contre la société Tuilerie de Pontigny Aléonard et les conclusions d'appel en garantie présentées par M. Vincent A et la société Lelu dirigées contre cette société sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 4 : La société Lelu et M. Vincent A sont condamnés à verser à la COMMUNE DE PARNES la somme de 83 146,81 euros assortie des intérêts au taux légal avec capitalisation à compter du 22 février 2004.

Article 5 : M. A est condamné à garantir la société Lelu à hauteur de 50 % des sommes mises à sa charge par la présente décision.

Article 6 : Le surplus du jugement du tribunal administratif d'Amiens en date du 5 octobre 2006 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 7 : La société Lelu et M. Vincent A verseront chacun à la COMMUNE DE PARNES la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 8 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel et de la demande de la COMMUNE DE PARNES devant le tribunal administratif d'Amiens est rejeté.

Article 9 : Les conclusions présentées par la société Lelu, la société Wienerberger et M. Vincent A sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 10 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE PARNES, à la société Lelu, à la société Tuilerie de Pontigny Aléonard et à M. Vincent A.

Copie en sera adressée pour information au ministre de la culture et de la communication.


Synthèse
Formation : 7ème et 2ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 317006
Date de la décision : 31/05/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01-04-005 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE, L'ENTREPRENEUR ET LE MAÎTRE DE L'OUVRAGE. RESPONSABILITÉ DES CONSTRUCTEURS À L'ÉGARD DU MAÎTRE DE L'OUVRAGE. RESPONSABILITÉ DÉCENNALE. CHAMP D'APPLICATION. - INCLUSION - DÉSORDRES ÉVOLUTIFS [RJ1].

39-06-01-04-005 Il résulte des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil que des dommages apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Par conséquent, erreur de droit à avoir rejeté le bénéfice de la garantie décennale au motif que les désordres constatés n'évoluaient pas de manière à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination avant l'expiration du délai décennal de garantie.


Références :

[RJ1]

Cf. 25 mai 1966, Société anonyme Société de constructions industrielles publiques et privées, n° 66317, p. 364 ;

13 janvier 1984, O.P.H.L.M. de Firminy, n° 34135, T. p. 672 ;

30 décembre 1998, Andrault, Parat et Carré, n° 165042, p. 521. Comp., notamment, Cass. 3e civ., 8 octobre 2003, Syndicat des copropriétaires de la Résidence la Croix du Sud c/ CAP et autres, n° 01-17.868, Bull. civ. III, n° 170.


Publications
Proposition de citation : CE, 31 mai. 2010, n° 317006
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Stirn
Rapporteur ?: M. Laurent Cytermann
Rapporteur public ?: M. Boulouis Nicolas
Avocat(s) : SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER ; BLONDEL ; SCP BOULLOCHE ; BALAT

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:317006.20100531
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