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19/03/2008 | FRANCE | N°269134

France | France, Conseil d'État, 7ème sous-section jugeant seule, 19 mars 2008, 269134


Vu 1°), sous le n° 269134, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 juin et 25 octobre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE DUMEZ S.A., dont le siège est 16, rue de la Ville l'Evêque à Paris (75008), agissant par ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège, et la SOCIETE DE COMMERCE FRANCAISE POUR L'ENTREPRISE GENERALE (SOCOFREG), anciennement dénommée G.T.M.-C.I., dont le siège est 1, cours Ferdinand de Lesseps à Rueil-Malmaison (92500), agissant par ses représentants

légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège ; la SOC...

Vu 1°), sous le n° 269134, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 juin et 25 octobre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE DUMEZ S.A., dont le siège est 16, rue de la Ville l'Evêque à Paris (75008), agissant par ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège, et la SOCIETE DE COMMERCE FRANCAISE POUR L'ENTREPRISE GENERALE (SOCOFREG), anciennement dénommée G.T.M.-C.I., dont le siège est 1, cours Ferdinand de Lesseps à Rueil-Malmaison (92500), agissant par ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège ; la SOCIETE DUMEZ S.A. et la SOCIETE DE COMMERCE FRANCAISE POUR L'ENTREPRISE GENERALE (SOCOFREG) demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 22 avril 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leur recours contre le jugement du 17 décembre 1998 par lequel le tribunal administratif de Paris les a déclarées solidairement responsables, avec les sociétés Bec frères, Bouygues, Muller travaux publics, Razel frères et Spie Batignolles des conséquences dommageables du dol dont a été victime la Société nationale des chemins de fer français (S.N.C.F.) à l'occasion de la passation du marché de travaux ayant pour objet la construction de la section 21 de la ligne de train à grande vitesse (T.G.V.) Rhône-Alpes ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 17 décembre 1998 et, à titre principal, de rejeter la demande de la S.N.C.F. devant ce tribunal comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître, à titre subsidiaire, de rejeter cette demande comme irrecevable, à titre infiniment subsidiaire, d'ordonner avant dire droit la production par la S.N.C.F. de diverses pièces nécessaires à la solution du litige ;

3°) de mettre à la charge de la S.N.C.F., par application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 20 000 euros au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;

Vu 2°), sous le n° 269248, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 juin et 28 octobre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE SPIE, venant aux droits de la société Spie Batignolles, dont le siège est 10, avenue de l'Entreprise, Pôle Vinci à Cergy-Pontoise (Cedex 95863) ; la SOCIETE SPIE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 22 avril 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son recours contre le jugement du 17 décembre 1998 par lequel le tribunal administratif de Paris l'a déclarée solidairement responsable, avec les sociétés Dumez S.A., Bec frères, Bouygues, G.T.M.-C.I., Muller travaux publics et Razel frères des conséquences dommageables du dol dont a été victime la Société nationale des chemins de fer français (S.N.C.F.) à l'occasion de la passation du marché de travaux ayant pour objet la construction de la section 21 de la ligne de train à grande vitesse (T.G.V.) Rhône-Alpes ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 17 décembre 1998 et de rejeter la demande de la S.N.C.F. devant ce tribunal ;

3°) de mettre à la charge de la S.N.C.F., par application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, les sommes de 76 225 et 15 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés par elle, respectivement, devant les juges du fond et en cassation ;


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Vu 3°), sous le n° 269281, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 juin et 2 novembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS, dont le siège est Challenger, 1, avenue Eugène Freyssinet à Guyancourt (78280) ; la SOCIETE BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 22 avril 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son recours contre le jugement du 17 décembre 1998 par lequel le tribunal administratif de Paris l'a déclarée solidairement responsable, avec les sociétés Dumez S.A., Bec frères, G.T.M.-C.I., Muller travaux publics, Razel frères et Spie Batignolles des conséquences dommageables du dol dont a été victime la Société nationale des chemins de fer français (S.N.C.F.) à l'occasion de la passation du marché de travaux ayant pour objet la construction de la section 21 de la ligne de train à grande vitesse (T.G.V.) Rhône-Alpes ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 17 décembre 1998 et de rejeter la demande de la S.N.C.F. devant ce tribunal ;

3°) de mettre à la charge de la S.N.C.F., par application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 15 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;


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Vu 4°), sous le n° 269308, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 juin et 25 octobre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE ENTREPRISE RAZEL FRERES, dont le siège est 4, rue René Razel, Christ de Saclay à Orsay (91400), représentée par ses dirigeants en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège ; la SOCIETE ENTREPRISE RAZEL FRERES demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 22 avril 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son recours contre le jugement du 17 décembre 1998 par lequel le tribunal administratif de Paris l'a déclarée solidairement responsable, avec les sociétés Dumez S.A., Bec frères, Bouygues, G.T.M.-C.I., Muller travaux publics et Spie Batignolles des conséquences dommageables du dol dont a été victime la Société nationale des chemins de fer français (S.N.C.F.) à l'occasion de la passation du marché de travaux ayant pour objet la construction de la section 21 de la ligne de train à grande vitesse (T.G.V.) Rhône-Alpes ;


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Vu 5°), sous le n° 269312, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 juin et 30 septembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE BEC FRERES, dont le siège est 1111, avenue Justin Bec à Saint-Georges-d'Orques (34680) ; la SOCIETE BEC FRERES demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 22 avril 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son recours contre le jugement du 17 décembre 1998 par lequel le tribunal administratif de Paris l'a déclarée solidairement responsable, avec les Société Dumez T.P., Bouygues, G.T.M.-B.T.P., Muller T.P., Razel frères et Spie Batignolles des conséquences dommageables du dol commis par elles au détriment de la S.N.C.F. à l'occasion de la passation du marché de travaux ayant pour objet la construction de la section 21 de la ligne de T.G.V. Rhône-Alpes ;

2°) réglant l'affaire au fond, de condamner la S.N.C.F. à lui verser, à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, une somme de 2 286 735,26 euros assortie des intérêts de droit à compter de sa demande et des intérêts des intérêts, et de mettre à la charge du même établissement, au titre des frais exposés par elle devant les juges du fond et non compris dans les dépens, la somme de 45 734,71 euros, assortie, dans les mêmes conditions, des intérêts de droit et des intérêts des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de la S.N.C.F., par application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 5 000 euros au titre des frais exposés par elle en cassation et non compris dans les dépens ;



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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code civil ;

Vu la loi n° 97-137 du 13 février 1997 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Mettoux, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Defrenois, Levis, avocat de la SOCIETE DUMEZ et de la SOCIETE DE COMMERCE FRANÇAISE POUR L'ENTREPRISE GENERALE (SOCOFREG), de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SOCIETE RAZEL FRERES, de Me Odent, avocat de la société nationale des chemins de fer français, de la SCP Parmentier, Didier, avocat de la SOCIETE SPIE, de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la SOCIETE BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS et de Me Bouthors, avocat de la SOCIETE BEC FRERES,

- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, Commissaire du gouvernement ;


Considérant que les requêtes susvisées tendent à l'annulation d'un même arrêt ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par une seule décision ;

Sur le moyen tiré de l'incompétence de la juridiction administrative :

Considérant que, pour confirmer le jugement du tribunal administratif de Paris déclarant sept sociétés de travaux publics solidairement responsables des conséquences dommageables subies par la S.N.C.F. en raison du dol commis lors de la passation du marché de travaux de la section 21 du T.G.V. Rhône-Alpes, la cour administrative d'appel de Paris a estimé, dans l'arrêt attaqué, que le marché conclu par la S.N.C.F. en vue de la réalisation de la section 21 était un contrat administratif et que le litige, mettant en cause les conditions dans lesquelles le marché a été attribué et formé, relevait de la compétence de la juridiction administrative ;

Considérant que certaines des sociétés requérantes soutiennent que l'action en responsabilité fondée sur des manoeuvres dolosives tendant à induire une personne en erreur en vue de la déterminer à passer un contrat n'a pas de caractère contractuel, que l'action tendant à engager la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle de personnes privées ressortit à la seule compétence des juridictions de l'ordre judiciaire et que c'est, dès lors, à tort que la cour administrative d'appel de Paris a admis la compétence des juridictions de l'ordre administratif pour connaître du litige ;

Considérant que les litiges nés à l'occasion du déroulement de la procédure de passation d'un marché public relèvent, comme ceux relatifs à l'exécution d'un tel marché, de la compétence des juridictions administratives, que ces litiges présentent ou non un caractère contractuel ;

Considérant que le présent litige a pour objet l'engagement de la responsabilité de sociétés en raison d'agissements dolosifs susceptibles d'avoir conduit une personne publique à contracter avec elles à des conditions de prix désavantageuses et tend à la réparation d'un préjudice né des stipulations du contrat lui-même et résultant de la différence éventuelle entre les termes du marché de travaux publics effectivement conclu et ceux auxquels il aurait dû l'être dans des conditions normales ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus, qu'ainsi que l'a jugé à bon droit la cour administrative d'appel de Paris, un tel litige relève de la compétence des juridictions administratives, alors même qu'il met en cause une méconnaissance par les sociétés de leur obligation de respecter les règles de la concurrence et non une faute contractuelle ;

Sur les moyens relatifs à la régularité de la procédure devant la cour :

Considérant en premier lieu que, s'il est reproché à la cour d'avoir fondé sa décision quant à la recevabilité de la demande de première instance sur des procès-verbaux d'audition et de constat de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes qui n'ont pas été communiquées aux parties, aucune atteinte au principe du contradictoire ne peut être relevée de ce chef, lesdits procès-verbaux, dont les requérantes ne soutiennent même pas ne pas avoir eu connaissance, n'étant qu'un des éléments établissant la constatation de l'entente avant le 1er janvier 1997 et faisant l'objet d'une synthèse, dont l'exactitude n'est pas contestée, dans la décision du 29 novembre 1995 du Conseil de la concurrence également citée par la cour, la circonstance que cette décision a été ultérieurement annulée, pour d'autres motifs, par la cour d'appel de Paris étant à cet égard indifférente ; que la cour, ce faisant, n'a pas méconnu les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant en deuxième lieu qu'en n'ordonnant pas de mesures d'instruction tendant à la communication de documents, la cour, qui était souveraine pour apprécier la nécessité de telles mesures, n'a entaché son arrêt d'aucune irrégularité procédurale ;

Considérant en troisième lieu que le moyen tiré par la SOCIETE RAZEL FRERES de ce que la cour aurait dénaturé ses conclusions en ne relevant pas qu'une exception d'incompétence territoriale du tribunal administratif de Paris avait été soulevée, non seulement par la Société Muller travaux publics, mais également par elle-même, ne peut qu'être écarté, la cour ayant confirmé la compétence de ce tribunal ;

Sur les moyens relatifs à la motivation de l'arrêt attaqué :

Considérant que le moyen tiré du défaut d'une analyse suffisante des moyens des parties manque en fait ;

Considérant que la cour a suffisamment motivé son arrêt, au regard des moyens soulevés devant elle par les sociétés requérantes, en se référant, après avoir exposé les faits, aux constatations du Conseil de la concurrence pour caractériser la faute et en qualifiant, au vu de l'instruction, de dolosif le comportement des entreprises ; que, de même, la cour, qui n'avait pas à répondre à chaque argument des parties, n'a entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation ni en jugeant que le préjudice subi par la S.N.C.F. correspondait au surcoût supporté à raison des manoeuvres dolosives des entreprises, ni en retenant la responsabilité solidaire des entreprises RAZEL FRERES et BEC FRERES après avoir relevé qu'elles soutenaient ne pas s'être livrées aux pratiques anticoncurrentielles spécifiques au marché de la section 21, ni en affirmant, sans en détailler les raisons, que l'organisation des jeux olympiques d'hiver à Albertville imposait à la S.N.C.F. de démarrer les travaux rapidement ;

Considérant que, s'il est reproché à la cour de n'avoir répondu ni au moyen tiré de ce que la loi du 13 février 1997 ne fait exception au transfert à Réseau ferré de France des droits de la S.N.C.F. que pour ceux afférents à des dommages constatés avant le 1er janvier 1997 et non pour ceux résultant de faits dommageables survenus avant cette date, ni à celui tiré de ce que les manoeuvres n'auraient pu, dans les circonstances de l'espèce, revêtir aucun caractère déterminant quant aux conditions de prix auxquelles a été passé le marché, ni enfin à celui tiré de ce que le surcoût allégué aurait été en définitive supporté par les usagers du réseau ferré et non par la S.N.C.F., il ressort des termes mêmes de l'arrêt attaqué que la cour, qui a regroupé les éléments de sa réponse aux divers moyens des parties, a répondu à l'ensemble des moyens soulevés devant elle ; qu'elle n'était pas tenue de répondre point par point à chacun des arguments avancés par les entreprises requérantes ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les moyens relatifs à l'insuffisance de motivation de l'arrêt doivent être écartés ;

Sur les moyens relatifs au contrôle de la régularité de la procédure devant le tribunal administratif :

Considérant qu'en estimant que le tribunal administratif avait respecté les exigences de la procédure contradictoire sur l'ensemble des éléments invoqués par les parties et qu'il n'avait pas à faire droit à des demandes de mesures d'instruction complémentaires relatives à la connaissance des manoeuvres litigieuses qu'aurait acquise la S.N.C.F. avant la passation du contrat, mesures dont la nécessité relève de l'appréciation souveraine des juges du fond, la cour n 'a méconnu ni les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatives au droit à un procès équitable, ni l'article R. 611-1 du code de justice administrative, ni le principe du contradictoire ;

Sur les moyens relatifs à l'intérêt à agir de la S.N.C.F. :

Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la loi du 13 février 1997 portant création de l'établissement public Réseau ferré de France en vue du renouveau du transport ferroviaire: Réseau ferré de France est substitué à la Société nationale des chemins de fer français pour les droits et obligations liés aux biens qui lui sont apportés, à l'exception de ceux afférents à des dommages constatés avant le 1er janvier 1997 et à des impôts ou taxes dont le fait générateur est antérieur à cette même date.... ;

Considérant que les sociétés requérantes soutiennent que l'action relative à la responsabilité du surcoût éventuellement supporté pour l'acquisition d'ouvrages d'infrastructure ferroviaire appartient entièrement, en vertu de la loi du 13 février 1997, à Réseau ferré de France, auquel les ouvrages ont été apportés à leur valeur nette comptable, la S.N.C.F. ne pouvant plus dès lors subir aucun préjudice à raison du prix qui a été payé ; qu'elles ajoutent que, si l'article 6 de la loi du 13 janvier 1997 fait une exception à la substitution de Réseau ferré de France à la S.N.C.F. pour les droits afférents à des dommages liés aux biens transférés constatés avant le 1er janvier 1997, la cour a commis une erreur de droit en jugeant que la constatation des dommages était antérieure à cette date, puisqu'elle ne pouvait intervenir avant la saisine du tribunal administratif, elle-même postérieure au transfert, et en admettant que les dommages en cause pouvaient être regardés comme liés aux biens apportés en propriété à Réseau ferré de France ; qu'en outre le rapport public de la Cour des comptes pour 1996, sur lequel s'est fondée la cour, n'aurait analysé le surcoût supporté par la S.N.C.F. que pour les marchés du T.G.V. Nord, et non pour ceux du T.G.V. Rhône-Alpes ;

Considérant que, pour admettre l'intérêt à agir de la S.N.C.F., la cour s'est fondée, en premier lieu, sur ce que le dommage, et non seulement l'entente à l'origine de celui-ci, avait été constaté notamment par la Cour des comptes avant le 1er janvier 1997 et, en second lieu, sur ce que la S.N.C.F. conservait, en dépit de la transmission de propriété à Réseau ferré de France, un intérêt direct et certain à demander, en tant que maître d'ouvrage, la réparation d'un préjudice lié à un marché de travaux dont elle avait signé le 28 décembre 1992 le décompte général et définitif ;

Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article 6 de la loi du 13 février 1997 que l'action en responsabilité non-contractuelle intentée à raison d'un dol subi entre 1989 et 1990 par la S.N.C.F., dont les effets se sont de surcroît réalisés dans les termes d'un contrat dont l'exécution s'est achevée en 1994 et dont le caractère dommageable a été constaté avant le 1er janvier 1997, ainsi qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond, lesquelles n'ont pas été dénaturées même si le calcul du surcoût effectué par la Cour des comptes s'est fondé sur les seules données concernant le T.G.V. Nord, n'a pas été transférée à Réseau ferré de France comme liée aux biens et immeubles qui lui ont été apportés en propriété ; que c'est dès lors sans erreur de droit que la cour a retenu l'intérêt de la S.N.C.F. à agir en réparation du préjudice que lui a occasionné le comportement des sociétés requérantes à raison des dommages constatés avant le 1er janvier 1997 à des biens dont elle avait alors la propriété ;

Sur l'irrecevabilité alléguée de l'action de la S.N.C.F. en l'absence de procédure précontentieuse :

Considérant que le moyen tiré par la SOCIETE BEC FRERES de ce que la cour aurait dû relever d'office l'irrecevabilité de la demande présentée par la S.N.C.F., faute pour celle-ci d'avoir préalablement mis en oeuvre la procédure précontentieuse prévue par les documents contractuels, doit être écarté, l'irrecevabilité alléguée n'étant, en tout état de cause, pas d'ordre public ;

Sur les moyens relatifs à la responsabilité fondée sur le dol :

Considérant que, pour juger que la responsabilité pécuniaire des entreprises co-contractantes de la S.N.C.F. était engagée, les juges du fond ont estimé qu'il leur appartenait, en présence de manoeuvres dolosives qui, sans être la cause déterminante de la volonté de contracter de la partie qui en a subi les effets, l'ont amenée à accepter des conditions plus onéreuses que celles auxquelles elle aurait dû normalement souscrire, non de prononcer la résolution du contrat, mais de réparer le préjudice subi par cette partie en lui octroyant des dommages-intérêts ;

Considérant que les sociétés requérantes soutiennent que la cour a, à cet égard, commis des erreurs de droit, respectivement en confondant les responsabilités contractuelle et délictuelle, en jugeant que le dol était incident et n'affectait pas de nullité tout le contrat et en ne relevant donc pas la nullité du marché litigieux, alors qu'une erreur sur le prix vicie nécessairement le contrat ;

Considérant que les actions en nullité devant le juge du contrat et en responsabilité quasi-délictuelle auxquelles peut donner lieu un dol viciant le consentement d'une partie à entrer dans des liens contractuels sont indépendantes l'une de l'autre et qu'il appartient à la partie qui en a subi les effets de choisir de s'engager dans l'une ou l'autre des deux actions, ou dans les deux ; que, la S.N.C.F. ayant opté pour une action visant non à la constatation de la nullité du contrat mais à l'octroi d'une indemnité réparant son préjudice, a placé le litige, ainsi qu'elle en avait la possibilité, sur le terrain de la responsabilité quasi-délictuelle des entreprises mises en cause ; que les fautes des entreprises, au regard des règles du doit de la concurrence, ont été effectivement examinées par la cour sur ce terrain ; que, si la cour a relevé à tort que le dol, bien qu'affectant le consentement sur le prix offert, ne devait pas entacher de nullité l'ensemble du contrat, cette circonstance a été sans incidence sur les motifs sur lesquels elle s 'est fondée pour retenir la responsabilité des entreprises dès lors qu'elle ne s'est pas prononcée en qualité de juge du contrat sur la validité de celui-ci, mais a statué, ainsi qu'il a été dit, sur la responsabilité quasi-délictuelle des entreprises à raison de leurs agissements dolosifs ;

Considérant que, si les requérantes font en outre valoir que la cour aurait entaché son arrêt d'erreur de droit en présumant le dol, il ne ressort pas de l'arrêt attaqué que la cour, en qualifiant de dol les comportements soumis à son appréciation, ait mis en oeuvre une telle présomption ; que, s'il est également reproché à la cour de s'être fondée, pour caractériser les comportements en cause, sur une décision du Conseil de la concurrence ultérieurement annulée par la cour d'appel de Paris, la référence faite par l'arrêt attaqué aux circonstances de fait retenues par le Conseil de la concurrence, et qui ont au demeurant été confirmées en substance par l'autorité judiciaire, n'est pas constitutive d'une erreur de droit ; que le moyen soulevé par la SOCIETE BOUYGUES T.P. et tiré de ce que l'ensemble des procédures initiées par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie devant le Conseil de la concurrence, y compris l'arrêt du 13 juillet 2004 de la Cour de cassation, serait entaché d'une violation du droit au procès équitable est inopérant pour la même raison, la cour s'étant bornée à faire référence aux constatations opérées dans ces procédures pour procéder à son appréciation souveraine des faits ;

Considérant ensuite que, si les requérantes reprochent à la cour d'avoir entaché son arrêt d'erreur de droit en qualifiant les faits de dol sans avoir préalablement établi avec certitude l'existence d'un surcoût effectivement supporté par la S.N.C.F. et représentant pour celle-ci un préjudice réel, il ressort des termes mêmes de l'arrêt attaqué que la cour a jugé, dans son appréciation souveraine des faits, que les manoeuvres litigieuses avaient engendré pour la S.N.C.F. un surcoût, la question, distincte, du montant du préjudice correspondant n'ayant pas été tranchée par le jugement du tribunal administratif de Paris dont elle était saisie en appel et ne lui étant dès lors pas soumise ;

Considérant que les requérantes soutiennent également, d'une part, que le dol constitue une qualification juridique erronée en raison de la connaissance qu'avait la S.N.C.F. des manoeuvres, de son expérience de tels marchés, de l'exigence d'une vigilance raisonnable qui s'imposait à elle et des modalités de la négociation avec le groupement attributaire , d'autre part, que constitue une erreur de droit le fait d'avoir estimé que la signature par la S.N.C.F, en connaissance de cause, du décompte général et définitif du marché ne faisait pas obstacle à son action ; que, toutefois, en retenant que ni l'expérience de maître d'ouvrage de la S.N.C.F., ni l'exigence d'une vigilance normale, ni la signature du décompte général et définitif, à une date à laquelle le dol n'avait pas encore été établi dans toute son ampleur, ne faisaient obstacle à ce que puisse être constaté, en l'espèce, l'effet dolosif des manoeuvres dirigées contre l'entreprise publique, la cour, qui a souverainement apprécié les faits soumis à son examen, n'a commis ni erreur de droit ni erreur de qualification juridique ; que la cour n' a pas entaché son arrêt de contradiction de motifs en prenant en considération des procès verbaux de la direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes établis en 1990 puis en relevant que le dol avait été ultérieurement établi dans toute son ampleur ; que de même, elle a pu retenir, sans contradiction de motifs, que le dol n'était pas établi dans toute son ampleur à la date de signature du décompte général et définitif et que les dommages ont néanmoins été constatés avant le 1er janvier 1997 ;

Considérant que si, pour écarter le moyen tiré de ce que la S.N.C.F. aurait eu connaissance des agissements des entreprises en cause à une date qui lui permettait encore de ne pas contracter avec elles, la cour a relevé que l'organisation des jeux olympiques d'hiver à Albertville imposait à la S.N.C.F. de démarrer les travaux rapidement et ne lui permettait plus de passer un nouvel appel d'offres, elle n'a, ce faisant, commis ni erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier, mais a souverainement apprécié une circonstance de fait pertinente aux fins de la constitution des éléments du dol ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les moyens tirés d'erreurs de droit relatives à la responsabilité fondée sur le dol doivent être écartés ;

Sur le moyen relatif à la prescription quinquennale :

Considérant que, l'action indemnitaire engagée par la victime du dol n'étant pas une action en nullité ou rescision au sens de l'article 1117 du code civil, les requérantes ne sauraient en tout état de cause se prévaloir de ce que l'article 1304 de ce code prévoit qu'une telle action « dure cinq ans » ; que le moyen doit dès lors être écarté ;

Sur les moyens relatifs au préjudice et au lien de causalité :

Considérant que les moyens tirés de ce que la cour n'aurait pas procédé à une recherche concrète du préjudice mais en aurait seulement postulé l'existence à partir du constat des pratiques anti-concurrentielles et n'aurait en particulier pas recherché si la S.N.C.F. n'avait pas été indemnisée à l'occasion du transfert de ses actifs à Réseau ferré de France, et de ce que le rapport de l'expertise diligentée par le tribunal administratif démontrerait l'absence de préjudice réel supporté par la S.N.C.F. sont inopérants dès lors que la cour était saisie en appel d 'un jugement avant-dire droit par lequel le tribunal administratif avait réservé la question de l'évaluation du préjudice ;

Considérant qu'en retenant qu'il existait entre les agissements dolosifs des entreprises en cause et l'excès de prix supporté par la S.N.C.F. pour l'exécution des travaux un lien de causalité engageant la responsabilité de ces entreprises, la cour, qui a souverainement apprécié l'existence de ce lien de causalité, n'a pas commis une erreur de qualification en lui attribuant un caractère direct ;

Sur les moyens relatifs au partage de responsabilité :

Considérant que, si les requérantes invoquent les erreurs de droit et de qualification juridique qu'aurait commises la cour en omettant de prendre en compte, en vue du partage de responsabilité, le défaut de vigilance attribué à la S.N.C.F. dans la négociation des termes du contrat, la cour toutefois, après avoir exactement qualifié de dol le comportement des entreprises, qualification qui implique que les manoeuvres aient eu un caractère déterminant, n'a ensuite commis ni erreur de droit ni erreur de qualification juridique en excluant toute faute de la S.N.C.F. de nature à exonérer les auteurs des manoeuvres dolosives d'une partie de leur responsabilité ; que les moyens relatifs au partage de responsabilité doivent dès lors être écartés ;

Sur les moyens relatifs à la solidarité entre les sociétés requérantes :

Considérant que les requérantes contestent que leur responsabilité solidaire à raison des manoeuvres ait pu être déduite par la cour de leur seule convention de groupement, laquelle ne concernait que l'exécution du contrat, sans que le rôle particulier de chacune des entreprises dans les faits reprochés ait été recherché, en inférant en particulier la participation à l'entente des SOCIETES ENTREPRISE RAZEL FRERES et BEC FRERES du seul bénéfice qu'elles ont tiré du marché alors qu'aucun comportement anticoncurrentiel de leur part n'aurait été mis en évidence ;

Considérant que l'évaluation du degré de participation de chacune des entreprises concernées à l'entente dolosive organisée au détriment de la S.N.C.F. relève de l'appréciation souveraine des juges du fond ; que, s'il est vrai que celle-ci ne peut pas reposer sur le fondement du seul fait qu'elles ont constitué entre elles une convention de groupement et ont bénéficié du marché, la responsabilité étant recherchée sur une base quasi-délictuelle, donc individuelle, et un tel groupement n'ayant , en lui-même, aucun caractère illégal et ayant pour objet la réalisation des travaux, qui est étrangère au litige, une telle circonstance peut toutefois être prise en compte comme un indice de la participation à une entente, lorsque celle-ci est constituée ; que l'arrêt attaqué a nécessairement pris en compte la convention de groupement de cette manière; que, l'entente ayant été établie par l'autorité judiciaire pour l'ensemble des marchés en cause, la solidarité des entreprises concernées par l'attribution du marché de travaux de la section 21 pouvait, sans erreur de droit, être déduite par la cour de l'ensemble des éléments dont elle disposait, alors qu'elle n'était valablement saisie d'aucun appel en garantie de la part des entreprises, celui formé devant le tribunal administratif de Paris par la SOCIETE RAZEL FRERES à l'encontre des autres entreprises jugées solidairement responsables ayant été expressément réservé par cette juridiction; que, dès lors, les moyens relatifs à la solidarité, laquelle s'applique aux entreprises ayant participé à l'entente dolosive conclue en vue de la signature du marché, doivent être écartés ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les requêtes doivent être rejetées ;

Sur les conclusions relatives à l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la S.N.C.F., qui n'est pas la partie perdante dans l'instance, le paiement d'une somme à ce titre ; qu'il y a lieu de mettre à la charge de chacun des cinq sociétés ou groupes de sociétés requérants, la SOCIETE DUMEZ S.A. ensemble avec la SOCIETE DE COMMERCE FRANCAISE POUR L'ENTREPRISE GENERALE (SOCOFREG), la SOCIETE SPIE, la SOCIETE BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS, la SOCIETE ENTREPRISE RAZEL FRERES et la SOCIETE BEC FRERES la somme de 2 500 euros que la S.N.C.F. demande, dans chacune des affaires, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;




D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de la SOCIETE DUMEZ S.A. et de la SOCIETE DE COMMERCE FRANCAISE POUR L'ENTREPRISE GENERALE (SOCOFREG), de la SOCIETE SPIE, de la SOCIETE BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS, de la SOCIETE ENTREPRISE RAZEL FRERES et de la SOCIETE BEC FRERES sont rejetées.
Article 2 : La SOCIETE DUMEZ S.A. ensemble avec la SOCIETE DE COMMERCE FRANCAISE POUR L'ENTREPRISE GENERALE (SOCOFREG), la SOCIETE SPIE, la SOCIETE BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS, la SOCIETE ENTREPRISE RAZEL FRERES et la SOCIETE BEC FRERES paieront chacune à la S.N.C.F. une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE DUMEZ S.A. et à la SOCIETE DE COMMERCE FRANCAISE POUR L'ENTREPRISE GENERALE (SOCOFREG), à la SOCIETE SPIE, à la SOCIETE BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS, à la SOCIETE ENTREPRISE RAZEL FRERES, à la SOCIETE BEC FRERES et à la S.N.C.F.


Synthèse
Formation : 7ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 269134
Date de la décision : 19/03/2008
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 19 mar. 2008, n° 269134
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Schwartz
Rapporteur ?: M. Philippe Mettoux
Rapporteur public ?: M. Boulouis Nicolas
Avocat(s) : SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER ; ODENT ; SCP DEFRENOIS, LEVIS

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2008:269134.20080319
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