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30/05/2007 | FRANCE | N°251144

France | France, Conseil d'État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 30 mai 2007, 251144


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 octobre 2002 et 9 mai 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. René A, demeurant ...; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 9 juillet 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation du jugement en date du 3 décembre 1996 par lequel le tribunal administratif de Papeete a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la délibération n° 95-126 AT du 24 août 1995 de l'assemblée territorial

e de la Polynésie française portant aménagement du régime fiscal des véhi...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 octobre 2002 et 9 mai 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. René A, demeurant ...; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 9 juillet 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation du jugement en date du 3 décembre 1996 par lequel le tribunal administratif de Papeete a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la délibération n° 95-126 AT du 24 août 1995 de l'assemblée territoriale de la Polynésie française portant aménagement du régime fiscal des véhicules automobiles importés destinés aux entrepreneurs de taxis, d'autre part, à l'annulation de cette délibération et enfin, à ce que soit mise à la charge du territoire de la Polynésie française la somme de 20 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

2°) statuant au fond, d'annuler pour excès de pouvoir cette délibération ;

3°) de mettre à la charge du territoire de la Polynésie française le versement de la somme de 3 000 euros à M. A et de 2 000 euros à la SCP Delaporte, Briard, Trichet au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des douanes ;

Vu la loi n° 84-820 du 6 septembre 1984 modifiée portant statut du territoire de la Polynésie française, désormais abrogée ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;

Vu la délibération n° 90-104 AT de l'assemblée territoriale de la Polynésie française du 25 octobre 1990 portant réglementation des activités d'entrepreneurs de taxis, de voitures de remise et de voitures de service particularisé ;

Vu le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Claude Hassan, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de M. René A,

- les conclusions de Mme Claire Landais, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la délibération n° 95-126 AT de l'assemblée territoriale de la Polynésie française portant aménagement du régime fiscal des véhicules automobiles importés destinés aux entrepreneurs de taxis : « Les véhicules automobiles repris à la codification 87.03 du tarif des douanes, neufs ou rénovés et destinés à la profession d'entrepreneur de taxi, sont exonérés à l'importation du paiement du droit de douane et du droit fiscal d'entrée » ; que, pour obtenir l'annulation de cette délibération, M. a fait valoir que le traitement différencié qui en résultait pour les entrepreneurs de taxis et ceux de voitures de remises était contraire au principe d'égalité devant les charges publiques ; qu'en se bornant à constater que les professions d'entrepreneur de taxis et d'entrepreneur de voitures de remise « ne se trouvent pas placées dans la même situation, notamment en ce qui concerne les obligations de service et l'encadrement de leurs tarifs », sans rechercher si la différence de traitement instaurée par la délibération dont il s'agit n'est pas manifestement disproportionnée par rapport aux différences qui séparent ces deux activités de transport de personnes par véhicules automobiles, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ; que son arrêt en date du 9 juillet 2002 doit, dès lors, être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur la compétence de l'assemblée territoriale de la Polynésie française :

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 6 septembre 1984 portant statut du territoire de la Polynésie française, en vigueur à la date de la délibération attaquée : « Les autorités du territoire sont compétentes dans toutes les matières qui ne sont pas réservées à l'Etat en vertu des dispositions de l'article 3 de la présente loi » ; qu'aux termes de cet article 3, dans sa rédaction issue de l'article 1er de la loi n° 90-612 du 12 juillet 1990 : « Les autorités de l'Etat sont compétentes dans les matières suivantes : / (...) 5° Relations financières avec l'étranger et commerce extérieur, sauf les restrictions quantitatives à l'importation, le programme annuel d'importation et les autorisations préalables aux projets d'investissements directs étrangers » ; que l'article 62 de la loi du 6 septembre 1984 précise que « Toutes les matières qui sont de la compétence du territoire relèvent de l'assemblée territoriale, à l'exception de celles qui sont attribuées par la présente loi au conseil des ministres du territoire ou au président du gouvernement du territoire » ; que l'article 29 de la même loi dispose enfin : « En cas de circonstances exceptionnelles, le conseil des ministres peut décider de suspendre ou de réduire, à titre provisoire, tous droits fiscaux d'entrée et de sortie et tous droits indirects frappant les articles à la production, à la circulation ou à la consommation. / (...) Si la décision de suspension ou de réduction n'est pas ratifiée par l'assemblée territoriale, son application cesse à compter de la décision de l'assemblée » ; qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'exonération de marchandises à l'importation du paiement du droit de douane et du droit fiscal d'entrée, qui n'entre pas dans le champ d'application du 5° de l'article 3 précité de la loi du 6 septembre 1984, est une matière qui ne relève pas de la compétence de l'Etat ; qu'à l'exception de la faculté de suspension à titre provisoire et en cas de circonstances exceptionnelles conférée au conseil des ministres par l'article 29 précité, cette matière n'est pas au nombre de celles attribuées par cette même loi au conseil des ministres ou au président du gouvernement du territoire ;

Considérant, d'autre part, que si les dispositions du 1 de l'article 1er du code des douanes, aux termes desquelles « Le territoire douanier comprend les territoires et les eaux territoriales de la France continentale, de la Corse, des îles françaises voisines du littoral, et des départements d'outre-mer de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion », ne mentionnent pas le territoire et les eaux territoriales de la Polynésie française, elles ne sont, en tout état de cause, pas de nature à déterminer pour ce motif l'autorité compétente pour fixer les droits de douane et taxes d'effet équivalent pour les marchandises à l'importation en Polynésie française ; que l'absence de conformité de ces dispositions à des conventions ou accords internationaux ne saurait par suite être utilement invoquée au soutien du moyen tiré de l'incompétence de l'assemblée territoriale de Polynésie française pour prendre la délibération contestée ;

Considérant enfin que les stipulations d'un accord international dépourvues d'effet direct ne peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, y compris à l'encontre d'un acte réglementaire ; que M. n'invoque avec précision aucune stipulation produisant des effets directs tant de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce signé à Genève le 30 octobre 1947 que de l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce signé à Marrakech le 15 avril 1994, qu'il se borne à mentionner ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. n'est pas fondé à soutenir que la délibération contestée aurait été prise par une autorité incompétente ;

Sur la méconnaissance du principe de la liberté du commerce et de l'industrie :

Considérant que la circonstance que des véhicules automobiles importés sur le territoire de la Polynésie française ont à supporter des droits de douane et des droits fiscaux d'entrée différents selon qu'ils sont destinés à l'exercice de la profession d'entrepreneur de taxis ou à celui de la profession d'entrepreneur de voitures de remise n'est pas par elle-même de nature à porter atteinte au principe de la liberté du commerce et de l'industrie ;

Sur l'atteinte portée au principe d'égalité :

Considérant que la différence de traitement résultant de l'application des dispositions de la délibération contestée de l'assemblée territoriale de la Polynésie française est en rapport avec l'objet poursuivi par cette délibération, lequel consiste, de même que la délibération n° 77-62 AT du 16 juin 1977 exonérant des droits de douane à l'importation des véhicules neufs ou à l'état neuf, en provenance de tous pays et destinés aux seuls chauffeurs de taxi professionnels, laquelle a été abrogée par l'article 6 de la délibération du 24 août 1995 attaquée, à encourager le renouvellement et l'amélioration de la qualité du parc des véhicules de taxis de la Polynésie française ;

Considérant que l'effet de la différence de traitement dont il s'agit consiste en une réduction du coût moyen du kilomètre parcouru pour les véhicules utilisés par les seuls entrepreneurs de taxis ; que cette réduction est à apprécier en regard des conditions différentes dans lesquelles les deux professions en cause facturent les prestations qu'elles fournissent à leurs clients respectifs ; qu'aux termes de l'article 4 de la délibération n° 90-104 AT de l'assemblée territoriale de la Polynésie française du 25 octobre 1990 portant réglementation des activités d'entrepreneurs de taxis, de voitures de remise et de voitures de service particularisé, la tarification des taxis « est fixée (...) par arrêté en conseil des ministres » ; qu'en revanche, s'agissant des voitures de remise définies à l'article 16 de la même délibération comme « des véhicules automobiles de louage de grand luxe (...) qui (...) offrent aux passagers les conditions de confort, les aménagements intérieurs et la puissance réclamée pour le transport des plus hautes personnalités et la clientèle internationale de haut niveau », l'article 20 de cette délibération dispose : « les conditions tarifaires des prestations assurées par les voitures de remise sont librement fixées à l'avance entre les parties » ; que la différence de traitement analysée plus haut n'est pas manifestement disproportionnée par rapport à la différence qui sépare les deux professions au regard des conditions de la formation des prix de leurs prestations ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. n'est pas fondé à soutenir que la délibération contestée n'aurait pas respecté les exigences inhérentes au principe d'égalité ;

Sur le détournement de pouvoir allégué :

Considérant que la circonstance qu'un contentieux abondant existait à la date de cette délibération entre M. et le territoire de la Polynésie française, notamment à propos de l'application de la délibération du 16 juin 1977 mentionnée plus haut, laquelle instaurait déjà des mesures fiscales favorables aux entrepreneurs de taxis mais non à ceux de voitures de remise, n'est pas de nature à faire considérer comme établi le détournement de pouvoir allégué ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Papeete a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la délibération en litige ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge du territoire de la Polynésie française les sommes que demandent M. et son conseil, tant en appel qu'en cassation, au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 9 juillet 2002 est annulé.

Article 2 : La requête présentée par M. devant la cour administrative d'appel de Paris est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. René , au président de l'assemblée de la Polynésie française, au président de la Polynésie française et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - VIOLATION DIRECTE DE LA RÈGLE DE DROIT - PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT - ÉGALITÉ DEVANT LES CHARGES PUBLIQUES - OBLIGATIONS DU JUGE SAISI D'UN MOYEN TIRÉ DE LA MÉCONNAISSANCE DE CE PRINCIPE EN CAS DE CONSTATATION D'UNE DIFFÉRENCE DE SITUATION EN RAPPORT AVEC L'OBJET DE L'ACTE LITIGIEUX - INCLUSION - EXAMEN - MÊME D'OFFICE - DU CARACTÈRE NON DISPROPORTIONNÉ DE LA DIFFÉRENCE DE TRAITEMENT [RJ1].

01-04-03-02 Saisi d'un moyen tiré de ce qu'un acte administratif méconnaît le principe d'égalité, le juge ne peut, pour l'écarter, se borner à constater l'existence d'une différence de situation en rapport avec l'objet de cet acte mais doit, en outre, même en l'absence d'une argumentation spécifique du requérant sur ce point, rechercher si la différence de traitement résultant de l'acte litigieux n'est pas manifestement disproportionnée par rapport à cette différence de situation.

PROCÉDURE - POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE - QUESTIONS GÉNÉRALES - MOYENS - OBLIGATIONS DU JUGE SAISI D'UN MOYEN TIRÉ DE LA MÉCONNAISSANCE DU PRINCIPE D'ÉGALITÉ EN CAS DE CONSTATATION D'UNE DIFFÉRENCE DE SITUATION EN RAPPORT AVEC L'OBJET DE L'ACTE LITIGIEUX - INCLUSION - EXAMEN - MÊME D'OFFICE - DU CARACTÈRE NON DISPROPORTIONNÉ DE LA DIFFÉRENCE DE TRAITEMENT [RJ1].

54-07-01-04 Saisi d'un moyen tiré de ce qu'un acte administratif méconnaît le principe d'égalité, le juge ne peut, pour l'écarter, se borner à constater l'existence d'une différence de situation en rapport avec l'objet de cet acte mais doit, en outre, même en l'absence d'une argumentation spécifique du requérant sur ce point, rechercher si la différence de traitement résultant de l'acte litigieux n'est pas manifestement disproportionnée par rapport à cette différence de situation.


Références :

[RJ1]

Cf. Assemblée, 28 juin 2002, Villemain, n° 220361-228325, p. 229.


Publications
Proposition de citation: CE, 30 mai. 2007, n° 251144
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Delarue
Rapporteur ?: M. Jean-Claude Hassan
Rapporteur public ?: Mme Landais
Avocat(s) : SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER ; SCP VIER, BARTHELEMY, MATUCHANSKY ; SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET

Origine de la décision
Formation : 10ème et 9ème sous-sections réunies
Date de la décision : 30/05/2007
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 251144
Numéro NOR : CETATEXT000018006176 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2007-05-30;251144 ?
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