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31/03/2010 | FRANCE | N°313762

France | France, Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 31 mars 2010, 313762


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 février et 28 mai 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNE DE CHATEAUNEUF-DU-RHONE, représentée par son maire ; la COMMUNE DE CHATEAUNEUF-DU-RHONE demande au Conseil d'Etat

1°) d'annuler l'arrêt du 27 décembre 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement du 23 novembre 2005 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé, à la demande de M. Charles A, le permis de construir

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Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 février et 28 mai 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNE DE CHATEAUNEUF-DU-RHONE, représentée par son maire ; la COMMUNE DE CHATEAUNEUF-DU-RHONE demande au Conseil d'Etat

1°) d'annuler l'arrêt du 27 décembre 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement du 23 novembre 2005 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé, à la demande de M. Charles A, le permis de construire délivré le 24 mai 2005 par le maire de Châteauneuf-du-Rhône à M. B et Mlle C, et, d'autre part, au rejet de la demande de M. A devant le tribunal administratif de Grenoble ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande devant le tribunal administratif de Grenoble ;

3°) de mettre à la charge de M. A le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Richard Senghor, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Gadiou, Chevallier, avocat de la COMMUNE DE CHÂTEAUNEUF-DU-RHÔNE et de Me Spinosi, avocat de M. A,

- les conclusions de M. Cyril Roger-Lacan, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Gadiou, Chevallier, avocat de la COMMUNE DE CHÂTEAUNEUF-DU-RHÔNE et à Me Spinosi, avocat de M. A ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu'il peut être utilement soutenu devant le juge, à l'appui d'une demande d'annulation d'un permis de construire, que le permis a été délivré sous l'empire d'un document d'urbanisme illégal - sous réserve, en ce qui concerne les vices de forme ou de procédure, des dispositions de l'article L. 600-1 du même code -, à la condition que le requérant fasse en outre valoir que ce permis méconnaît les dispositions pertinentes du document d'urbanisme immédiatement antérieur, ainsi remises en vigueur ; que, par un jugement du 23 novembre 2005, le tribunal administratif de Grenoble a annulé un permis de construire délivré par le maire de Châteauneuf-du-Rhône à M. B et Mlle C au seul motif que le plan local d'urbanisme de cette commune était entaché d'illégalité ; que, pour demander l'annulation de ce jugement, la COMMUNE DE CHATEAUNEUF-DU-RHONE soutenait notamment devant la cour administrative d'appel de Lyon que l'illégalité du plan local d'urbanisme, à la supposer établie, n'était pas à elle seule suffisante pour entraîner l'annulation du permis de construire litigieux et devait seulement conduire à apprécier la légalité de celui-ci au regard des dispositions de l'ancien plan d'occupation des sols ; que la cour s'est bornée à confirmer l'annulation du permis par voie de conséquence de l'illégalité du plan local d'urbanisme, sans se prononcer sur ce moyen, qui n'était pas inopérant ; que, par suite, son arrêt doit être annulé pour insuffisance de motivation ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur la requête d'appel de la commune :

Considérant que la circonstance que, postérieurement à l'annulation par le tribunal administratif de Grenoble du permis de construire litigieux, le maire de Châteauneuf-du-Rhône a délivré un nouveau permis de construire à M. B et Melle C ne rend pas sans objet l'appel de la commune à l'encontre du jugement du 23 novembre 2005 ; qu'elle n'ôte pas davantage à la commune son intérêt pour faire appel contre ce jugement ; que, par ailleurs, contrairement à ce qui est soutenu, les conclusions de la commune ne sont pas dirigées contre les seuls motifs du jugement, mais également contre son dispositif ; que, par suite, les fins de non recevoir opposées par M. A à la requête d'appel de la commune ne peuvent qu'être écartées ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme : " L'annulation ou la déclaration d'illégalité d'un schéma de cohérence territoriale, d'un plan local d'urbanisme, d'une carte communale, d'un schéma directeur ou d'un plan d'occupation des sols ou d'un document d'urbanisme en tenant lieu a pour effet de remettre en vigueur le schéma de cohérence territoriale, le schéma directeur ou le plan local d'urbanisme, la carte communale ou le plan d'occupation des sols ou le document d'urbanisme en tenant lieu immédiatement antérieur. " ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, les premiers juges ont annulé le permis de construire litigieux par voie de conséquence de l'illégalité du plan local d'urbanisme ; que toutefois l'illégalité du document d'urbanisme sous l'empire duquel un permis de construire a été délivré n'a pas par elle-même pour effet d'entraîner l'illégalité de ce permis, ce dernier ne constituant pas un acte d'application de cette réglementation ; qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble s'est fondé sur ce motif pour annuler le permis de construire litigieux ;

Considérant toutefois qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A devant le tribunal administratif de Grenoble ;

Sur la légalité du permis de construire litigieux :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 123-7 du code de l'urbanisme: " Les zones agricoles sont dites "zones A". Peuvent être classés en zone agricole les secteurs de la commune, équipés ou non, à protéger en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles. / Les constructions et installations nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif et à l'exploitation agricole sont seules autorisées en zone A. Est également autorisé, en application du 2° de l'article R. 123-12, le changement de destination des bâtiments agricoles identifiés dans les documents graphiques du règlement. " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article R. 123-8 du même code : " Les zones naturelles et forestières sont dites "zones N". Peuvent être classés en zone naturelle et forestière les secteurs de la commune, équipés ou non, à protéger en raison soit de la qualité des sites, des milieux naturels, des paysages et de leur intérêt, notamment du point de vue esthétique, historique ou écologique, soit de l'existence d'une exploitation forestière, soit de leur caractère d'espaces naturels. " ; qu'aux termes du troisième alinéa du même article R. 123-8 : " ... des constructions peuvent être autorisées dans des secteurs de taille et de capacité d'accueil limitées, à la condition qu'elles ne portent atteinte ni à la préservation des sols agricoles et forestiers ni à la sauvegarde des sites, milieux naturels et paysages. " ; qu'aux termes par ailleurs de l'article L. 123-3-1 du code de l'urbanisme : " Dans les zones agricoles, le règlement peut désigner les bâtiments agricoles qui, en raison de leur intérêt architectural ou patrimonial, peuvent faire l'objet d'un changement de destination, dès lors que ce changement de destination ne compromet pas l'exploitation agricole. " ; qu'aux termes de l'article R. 123-12 du même code : " Les documents graphiques prévus à l'article R. 123-11 font également apparaître, s'il y a lieu (...) 2° Dans les zones A, les bâtiments agricoles qui, en raison de leur intérêt architectural ou patrimonial, peuvent faire l'objet d'un changement de destination, dès lors que ce changement de destination ne compromet pas l'exploitation agricole. " ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que la possibilité ouverte par le troisième alinéa de l'article R. 123-8 du code de l'urbanisme de créer, à l'intérieur des zones N naturelles et forestières, des secteurs où des constructions peuvent être autorisées sous condition, ne peut permettre de créer à l'intérieur d'une zone A des micro-zones N constructibles, dès lors qu'elles ne répondent pas à l'objectif de protection soit des milieux naturels et des paysages, soit d'une exploitation forestière, soit des espaces naturels auquel est subordonnée, en vertu du premier alinéa du même article, l'institution de zones N ; que, par ailleurs, les dispositions de l'article L. 123-3-1 du même code permettent le changement de destination des bâtiments agricoles, dès lors que celui-ci intervient dans le volume existant, sans faire l'objet d'une extension, et que les bâtiments concernés sont désignés dans le règlement de la zone A, sans qu'il soit nécessaire de procéder à la délimitation d'un zonage particulier à l'intérieur de celle-ci ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et notamment du rapport de présentation du plan local d'urbanisme de la COMMUNE DE CHATEAUNEUF-DU-RHONE révisé en 2004, que ses auteurs ont identifié sur un secteur de la commune une trentaine de bâtiments ou groupes de bâtiments ayant autrefois constitué le siège d'exploitations agricoles, aujourd'hui inutilisés et allant vers un état d'abandon ; qu'ils ont créé à l'intérieur de la zone agricole A couvrant le secteur, et où sont seules autorisées les constructions liées à une exploitation agricole, des micro-zones N délimitées en englobant au plus près les constructions existantes ; que ces groupes de bâtiments disséminés, correspondant chacun à une seule ancienne exploitation agricole, ne peuvent être regardés comme constituant ni des hameaux, ni des entités formant des éléments du paysage ; que ces micro-zones correspondent à un secteur Nh dont le règlement permet l'aménagement pour l'habitation des constructions existantes ainsi que leur extension dans la limite de 300 m2 de surface hors oeuvre nette ; que les auteurs du plan local d'urbanisme ont en réalité entendu permettre que la reprise d'anciens bâtiments de fermes s'accompagne d'une possibilité d'extension, laquelle est en principe exclue en zone agricole ; qu'aux termes même du rapport de présentation du plan local d'urbanisme, la création de ces secteurs Nh de la zone naturelle est justifiée par le souci de " densifier l'urbanisation de ces secteurs " ; que, par suite, si, présentant un intérêt patrimonial, ces bâtiments étaient susceptibles d'entrer dans les prévisions de l'article L. 123-3-1, ils ne relevaient pas, en l'absence de toute référence à un objectif de protection des milieux naturels et des paysages ou de protection des espaces naturels, de celles de l'article R. 123-8 définissant la vocation des zones N ; qu'en conséquence, l'institution de micro-zones N dans la zone A du plan local d'urbanisme de la COMMUNE DE CHATEAUNEUF-DU-RHONE résultant de la révision arrêtée en 2004 est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'au regard, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, des dispositions du plan d'occupation des sols immédiatement antérieur au plan local d'urbanisme dont l'illégalité a été précédemment déclarée, il ressort des pièces du dossier que la parcelle accueillant le bâtiment concerné par le permis de construire litigieux était classée en zone NC ; qu'eu égard à la vocation exclusivement agricole assignée à la zone NC, le maire de la COMMUNE DE CHATEAUNEUF-DU-RHONE ne pouvait pas, sans méconnaître le document d'urbanisme ainsi remis en vigueur, accorder légalement un permis de construire à M. B et Melle C en vue de changer la destination d'un bâtiment à vocation agricole en bâtiment à usage exclusif d'habitation ;

Considérant, en troisième lieu, qu'aucun des autres moyens soulevés par M. A n'est susceptible de fonder l'annulation du permis de construire attaqué ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la COMMUNE DE CHATEAUNEUF-DU-RHONE n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 24 mai 2005 ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de M. A et de mettre à la charge de la COMMUNE DE CHATEAUNEUF-DU-RHONE une somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de M. A, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que réclame au même titre la COMMUNE DE CHATEAUNEUF-DU-RHONE ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 27 décembre 2007 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé.

Article 2 : La requête de la COMMUNE DE CHATEAUNEUF-DU-RHONE présentée devant la cour administrative d'appel de Lyon est rejetée.

Article 3 : La COMMUNE DE CHATEAUNEUF-DU-RHONE versera à M. A une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la COMMUNE DE CHATEAUNEUF-DU-RHONE est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE CHATEAUNEUF-DU-RHONE, à M. Charles A et au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-01-01-01-03-03-01 URBANISME ET AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE. PLANS D'AMÉNAGEMENT ET D'URBANISME. PLANS D'OCCUPATION DES SOLS ET PLANS LOCAUX D'URBANISME. LÉGALITÉ DES PLANS. LÉGALITÉ INTERNE. APPRÉCIATIONS SOUMISES À UN CONTRÔLE D'ERREUR MANIFESTE. CLASSEMENT ET DÉLIMITATION DES ONES. - CAS D'ERREUR MANIFESTE D'APPRÉCIATION - IDENTIFICATION DANS LA ZONE AGRICOLE D'UN PLAN LOCAL D'URBANISME DE MICRO-ZONES N (NATURELLES ET FORESTIÈRES) CONSTRUCTIBLES DÉLIMITÉES EN ENGLOBANT AU PLUS PRÈS LES CONSTRUCTIONS EXISTANTES.

68-01-01-01-03-03-01 L'identification dans la zone A (agricole) d'un plan local d'urbanisme, où sont seules autorisées les constructions liées à une exploitation agricole, de micro-zones N (naturelles et forestières) constructibles délimitées en englobant au plus près les constructions existantes et correspondant à un secteur Nh dont le réglement permet l'aménagement pour l'habitation de constructions existantes ainsi que leur extension dans la limite de 300 m2 de surface hors oeuvre nette (SHON) est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors que ces bâtiments ne relevaient pas, en l'absence de toute référence à un objectif de protection des milieux naturels et des paysages ou de protection des espacts naturels, d'une zone N.


Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 31 mar. 2010, n° 313762
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Vigouroux
Rapporteur ?: M. Richard Senghor
Rapporteur public ?: M. Roger-Lacan Cyril
Avocat(s) : SCP GADIOU, CHEVALLIER ; SPINOSI

Origine de la décision
Formation : 6ème et 1ère sous-sections réunies
Date de la décision : 31/03/2010
Date de l'import : 23/03/2016

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 313762
Numéro NOR : CETATEXT000022057625 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2010-03-31;313762 ?
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