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24/02/2011 | FRANCE | N°07BX00424

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre (formation à 3), 24 février 2011, 07BX00424


Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 23 février 2007, présentée pour la SOCIETE VEAU DU PERIGORD, société par actions simplifiée, dont le siège est à Veyrines-de-Domme (24250), représentée par son président, par la SCP Perret-Nunez-Kahan-Bureau ; la SOCIETE VEAU DU PERIGORD demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0500003 en date du 12 décembre 2006 par lequel le Tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 688 218,10 euros en réparation du préjudice qu'elle allègue avoir

subi en raison de l'interdiction de commercialiser le thymus de bovins entr...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 23 février 2007, présentée pour la SOCIETE VEAU DU PERIGORD, société par actions simplifiée, dont le siège est à Veyrines-de-Domme (24250), représentée par son président, par la SCP Perret-Nunez-Kahan-Bureau ; la SOCIETE VEAU DU PERIGORD demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0500003 en date du 12 décembre 2006 par lequel le Tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 688 218,10 euros en réparation du préjudice qu'elle allègue avoir subi en raison de l'interdiction de commercialiser le thymus de bovins entre le 10 novembre 2000 et le 1er octobre 2002 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser ladite somme de 688 218,10 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 octobre 2004 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne ;

Vu le règlement (CE) n° 999/2001 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 ;

Vu la directive 89/662/CEE du Conseil du 11 décembre 1989 ;

Vu la décision n° 2000/418/CE de la Commission du 29 juin 2000 ;

Vu le code rural ;

Vu le décret n° 71-636 du 21 juillet 1971 ;

Vu l'arrêté du 17 mars 1992 relatif aux conditions auxquelles doivent satisfaire les abattoirs d'animaux de boucherie pour la production et la mise sur le marché de viandes fraîches et déterminant les conditions de l'inspection sanitaire de ces établissements, modifié notamment par les arrêtés des 10 novembre 2000, 7 novembre 2001, 28 mars 2002 et 26 septembre 2002 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 janvier 2011 :

- le rapport de Mme Madelaigue, premier conseiller ;

- les observations de Me Nunez, pour la SOCIETE VEAU DU PERIGORD ;

- les conclusions de M. Normand, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée aux parties :

Considérant que la SOCIETE VEAU DU PERIGORD, qui exerce une activité de négoce et d'abattage d'animaux de boucherie et notamment de bovins, a adressé le 7 octobre 2004 au ministre de l'agriculture une réclamation, rejetée par décision du 2 novembre 2004, tendant à la réparation du préjudice commercial qu'elle affirme avoir subi en raison de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée, du 10 novembre 2000 au 1er octobre 2002, de commercialiser le thymus de bovins, du fait des interdictions édictées par les arrêtés ministériels des 10 novembre 2000, 7 novembre 2001 et 28 mars 2002 ; que, par jugement du 12 décembre 2006, le Tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de condamnation de l'Etat présentée par la SOCIETE VEAU DU PERIGORD à la suite du rejet de sa réclamation ; que cette société relève appel de ce jugement ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

En ce qui concerne la période antérieure au 1er juillet 2001 :

Considérant qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 9 de la directive 89/662/CEE du Conseil du 11 décembre 1989 relative aux contrôles vétérinaires applicables dans les échanges intracommunautaires dans la perspective de la réalisation du marché intérieur : Chaque Etat membre signale immédiatement aux autres Etats membres et à la Commission, outre l'apparition sur son territoire des maladies prévues par la directive 82/894/CEE, l'apparition de toute zoonose, maladie ou cause susceptible de constituer un danger grave pour les animaux ou la santé humaine (...) Dans l'attente des mesures à prendre, conformément au paragraphe 4, l'Etat membre de destination peut, pour des motifs graves de protection de la santé publique ou de santé animale, prendre des mesures conservatoires à l'égard des établissements concernés ou, dans le cas d'une épizootie, à l'égard de la zone de protection prévue par la réglementation communautaire. Les mesures prises par les Etats membres sont communiquées sans délai à la Commission et aux autres Etats membres ; que le paragraphe 4 du même article dispose que : Dans tous les cas, la Commission procède au sein du comité vétérinaire permanent, dans les meilleurs délais, à un examen de la situation. Elle arrête, selon la procédure prévue à l'article 17, les mesures nécessaires pour les produits visés à l'article 1er et, si la situation l'exige, pour les produits d'origine ou les produits dérivés de ces produits. Elle suit l'évolution de la situation et, selon la même procédure, modifie ou abroge, en fonction de cette évolution, les décisions prises ;

Considérant que, la Commission a, sur le fondement des dispositions précitées, adopté la décision n° 2000/418/CEE du 29 juin 2000 réglementant l'utilisation des matériels présentant des risques au regard des encéphalopathies spongiformes transmissibles ; que selon son article 1er, cette décision s'applique à la production et à la mise sur le marché des produits d'origine animale issus de matériels d'animaux des espèces bovine, ovine ou caprine ou contenant ces matériels ; que l'article 3 de cette décision fait obligation aux États membres d'enlever et détruire, à partir du 1er octobre 2000, les matériels à risques spécifiés prévus à l'annexe I ; que figure parmi les matériels visés par cette annexe le thymus des bovins âgés de plus de six mois, au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ainsi qu'au Portugal, à l'exception de la région autonome des Açores ;

Considérant qu'ainsi que l'a jugé la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt du 5 décembre 2000, Eurostock Meat Marketing Ltd (C-477/98), il résulte de l'article 9, paragraphe 1, quatrième alinéa de la directive 89/662/CEE qu'un Etat membre de destination peut, pour des motifs graves de protection de la santé publique ou de la santé animale, prendre des mesures conservatoires dans l'attente des mesures devant être arrêtées par la Commission conformément au paragraphe 4 du même article ; que cet article a pour objet la mise en place d'un régime de sauvegarde communautaire destiné à remplacer les mesures conservatoires, éventuellement disparates, prises dans l'urgence par les Etats membres en cas de danger grave ; qu'un Etat membre peut adopter des mesures conservatoires lorsque la Commission n'a pas encore statué sur la nécessité de mettre en place un régime communautaire de sauvegarde, pour les motifs graves de protection de la santé publique ou animale qu'il allègue ; que le droit communautaire ne s'oppose pas non plus, ainsi que l'a jugé la Cour de justice des Communautés européennes dans l'affaire mentionnée précédemment, à l'adoption de mesures conservatoires par les Etats membres dans l'attente de l'entrée en vigueur d'une mesure déjà adoptée par la Commission sur le fondement du paragraphe 4 de l'article 9 de la directive du 11 décembre 1989 cité ci-dessus mais dont la date d'application a été reportée, à la condition que celle-ci n'ait pas été différée au motif explicite qu'aucune mesure quelconque, nationale ou communautaire, ne serait nécessaire avant cette date ; qu'il exclut, en revanche, lorsque la Commission a pris, en application de ces dispositions, des mesures qui sont entrées en vigueur, qu'un Etat membre arrête des mesures conservatoires temporaires, dès lors que celles-ci ne sont pas justifiées par des éléments nouveaux permettant d'estimer qu'il existe des motifs graves de protection de la santé publique dont la Commission n'a pu tenir compte lors de l'adoption de sa décision ou dont il apparaît manifestement qu'ils étaient inconnus de la Commission lorsqu'elle a pris sa décision ;

Considérant que, pour introduire dans la réglementation interne, par l'arrêté ministériel du 10 novembre 2000 pris sur le fondement de l'article 3 du décret du 21 juillet 1971 susvisé, l'interdiction litigieuse de commercialisation du thymus (...) des bovins, quel que soit leur âge , le ministre de l'agriculture a invoqué, dans la note de notification de cette mesure à la Commission, la clause de sauvegarde de l'article 9 de la directive 89/662/CEE du 11 décembre 1989 précitée et, notamment, un avis rendu par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) ; que, toutefois, cet avis recommandant, par mesure de précaution, et bien qu'aucune étude n'ait jamais rapporté leur infectiosité, d'exclure de la chaîne alimentaire les thymus des bovins, quel que soit leur âge, datait du 15 mars 2000 ; qu'il était donc antérieur aux mesures communautaires définies par la décision susmentionnée du 29 juin 2000, en application du paragraphe 4 de l'article 9 de la directive invoquée par le ministre de l'agriculture français ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que, depuis l'intervention de cette décision, auraient existé des éléments nouveaux qui, même sans certitudes scientifiques, eussent été de nature à nourrir de nouveaux soupçons sur l'infectiosité du thymus et, par suite, auraient été susceptibles de constituer un motif grave de protection de la santé publique, dont la Commission n'aurait pu tenir compte, lors de l'adoption de sa décision ou qui auraient manifestement été inconnus d'elle ; qu'ainsi, la France, qui n'a pas contesté la légalité de la décision communautaire du 29 juin 2000, ne se trouvait pas, en novembre 2000, dans la situation visée au paragraphe 1 de l'article 9 de la directive du 11 décembre 1989, où elle pouvait, en cas d'apparition d'une zoonose ou maladie, prendre des mesures conservatoires pour des motifs graves de protection de la santé publique et dans l'attente des mesures à prendre, conformément au paragraphe 4 ;

En ce qui concerne la période postérieure au 1er juillet 2001 :

Considérant que le premier paragraphe de l'article 4 du règlement (CE) n° 999/2001 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 fixant les règles pour la prévention, le contrôle et l'éradication de certaines encéphalopathies spongiformes transmissibles dispose que : En ce qui concerne la mise en oeuvre des mesures de sauvegarde, les principes et dispositions de l'article 9 de la directive 89/662/CEE (...) sont d'application ; que l'article 8 de ce règlement prévoit l'enlèvement et la destruction des matériels à risques spécifiés conformément à son annexe V ; que celle-ci ne fait figurer le thymus des bovins sur la liste de ce règlement que dans les pays de catégorie 5, c'est-à-dire au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et au Portugal à l'exception de la région autonome des Açores ;

Considérant qu'en maintenant après le 1er juillet 2001, date d'entrée en vigueur du règlement du 22 mai 2001 précité, l'interdiction de commercialisation du thymus de tous les bovins, la France a ajouté aux restrictions prévues dans l'intérêt de la santé publique par la réglementation communautaire ; que, si ce règlement a prévu dans son article 4 que des mesures de sauvegarde peuvent être adoptées, notamment selon les principes et dispositions de l'article 9 de la directive 89/662/CEE, il ne résulte pas de l'instruction que des éléments nouveaux, pouvant permettre d'estimer qu'il existait des motifs graves de protection de la santé publique, auraient justifié le maintien, après le 1er juillet 2001, de l'interdiction de commercialisation du thymus de tous les bovins, puis le renouvellement de cette interdiction jusqu'au 31 mars 2002, par l'arrêté du 7 novembre 2001, et, enfin, l'autorisation de commercialisation limitée introduite par l'arrêté du 28 mars 2002 ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, l'illégalité des mesures précitées d'interdiction puis de restriction de la commercialisation du ris de veau, qui ont été édictées en violation des obligations communautaires qui s'imposaient à la France, est fautive et engage la responsabilité de l'Etat ; que, par suite, la SOCIETE VEAU DU PERIGORD est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande ;

Sur l'évaluation du préjudice :

Considérant que la SOCIETE VEAU DU PERIGORD s'est trouvée, en raison de l'interdiction de consommation des thymus de jeunes bovins édictée par les arrêtés litigieux du ministre de l'agriculture, dans l'impossibilité de commercialiser cet abat pendant une période de vingt-deux mois et vingt jours ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que la requérante aurait pu procéder à des ventes à compter du 1er avril 2002, date d'entrée en vigueur de l'arrêté précité du 28 mars 2002, lequel a maintenu de sérieuses restrictions à la commercialisation des thymus ; qu'il résulte des états détaillés produits par la SOCIETE VEAU DU PERIGORD que, durant ladite période, celle-ci a abattu 50 068 veaux ; qu'elle établit que le prix moyen du ris de veau commercialisé par elle durant les douze mois précédant l'interdiction litigieuse peut être fixé, pour un poids moyen effectivement constaté de 0,798 kg, à 16,68 euros par kilogramme ; que, si le ministre de l'agriculture fait valoir en défense que l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (l'OFIVAL) mentionne un cours moyen, durant l'année 2000, compris entre 12,96 euros et 14,48 euros, il ne verse au dossier aucun élément à l'appui de ses allégations pour démontrer que le cours moyen précité de 16,68 euros le kilo serait surévalué ; qu'un tel prix ne tient pas compte, cependant, ainsi que le fait valoir le ministre, de la baisse des prix des bovins achetés aux éleveurs à partir d'octobre 2000, et spécifiquement des abats, dans le contexte de la seconde crise dite de la vache folle ; qu'eu égard à ces éléments, il y a lieu d'estimer que le prix moyen du ris de veau pendant la période d'interdiction doit être affecté d'un abattement de 50 % ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par la SOCIETE VEAU DU PERIGORD du fait de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de commercialiser le ris de veau frais, dans les conditions susdécrites, en fixant l'indemnité qui lui est due à la somme de 333 218 euros ;

Sur les intérêts :

Considérant que la SOCIETE VEAU DU PERIGORD a droit aux intérêts des sommes qui lui sont dues à compter du 8 octobre 2004, date de la réception par l'administration de sa demande préalable ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SOCIETE VEAU DU PERIGORD et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Bordeaux du 12 décembre 2006 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à payer à la SOCIETE VEAU DU PERIGORD une somme de 333 218 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 8 octobre 2004.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par la SOCIETE VEAU DU PERIGORD est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à la SOCIETE VEAU DU PERIGORD une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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N° 07BX00424


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 07BX00424
Date de la décision : 24/02/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme TEXIER
Rapporteur ?: Mme Florence MADELAIGUE
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : SCP PERRET NUNEZ KAHAN BUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2011-02-24;07bx00424 ?
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