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16/11/1998 | FRANCE | N°175142

France | France, Conseil d'État, 5 / 3 ssr, 16 novembre 1998, 175142


Vu la requête sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 21 novembre 1995, 21 mars 1996 et 5 février 1997 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Roger X..., demeurant ..., Les Clayes-sous-Bois (78340) ; M. Sille demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule l'arrêt du 19 septembre 1995 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, d'une part, annulé le jugement du 8 février 1994 par lequel le tribunal administratif de Versailles a condamné la commune de Maurepas à lui verser la somme de 249 060 F avec intérêts en réparation d

u préjudice résultant pour lui du coût des études et des plans rela...

Vu la requête sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 21 novembre 1995, 21 mars 1996 et 5 février 1997 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Roger X..., demeurant ..., Les Clayes-sous-Bois (78340) ; M. Sille demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule l'arrêt du 19 septembre 1995 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, d'une part, annulé le jugement du 8 février 1994 par lequel le tribunal administratif de Versailles a condamné la commune de Maurepas à lui verser la somme de 249 060 F avec intérêts en réparation du préjudice résultant pour lui du coût des études et des plans relatifs au projet immobilier dit "Le Clos du Village", d'autre part, rejeté sa demande tendant à ce que la commune de Maurepas soit condamnée à lui verser la somme de 5 952 859,49 F avec intérêts en réparation dudit préjudice et du manque à gagner résultant pour lui de l'abandon par la commune du projet dont il s'agit ;
2°) condamne la commune de Maurepas à lui verser une somme de 20 000 F au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Thiellay, Auditeur,
- les observations de la SCP Tiffreau, avocat de M. Roger X... et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la commune de Maurepas,
- les conclusions de M. Salat-Baroux, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumises aux juges du fond que le maire de la commune de Maurepas a délivré à M. Sille un permis de construire quatorze maisons individuelles sur deux terrains lui appartenant dans le centre de la ville ainsi qu'un permis de démolir les constructions existantes ; que, toutefois, à la suite de pourparlers avec la collectivité locale qui souhaitait voir étendre l'opération à deux terrains préemptés par elle et contigus des précédents pour y incorporer des logements à vocation sociale et une maison communale, M. Sille s'est engagé, le 13 octobre 1989, à renoncer au moins provisoirement au bénéfice du permis de construire susmentionné, à régler à la commune le prix d'acquisition des deux terrains préemptés et à participer au financement des équipements publics envisagés sous réserve qu'un accord intervienne en ce sens et que le nouveau projet soit compatible avec le coefficient d'occupation des sols ; que les études et les plans de ce nouveau projet, dit "Clos du Village", ont été réalisés par M. Sille tandis que, par une délibération de son conseil municipal en date du 16 février 1990, la commune décidait d'engager une procédure de modification du plan d'occupation des sols ; que, par une délibération du 25 juin 1990, le conseil municipal, au vu de l'avis défavorable du commissaire-enquêteur, a renoncé à cette modification, rendant impossible, de ce fait, la réalisation du "Clos du Village" ; qu'en conséquence, M. Sille a saisi le tribunal administratif de Versailles puis la cour administrative d'appel de Paris en vue d'obtenir la condamnation de la commune de Maurepas à l'indemniser, à hauteur de 5 952 859,49 F, du préjudice qu'il estimait avoir subi ;
Considérant que dans ses productions devant la cour, M. Sille avait demandé que la responsabilité de la commune soit engagée en raison des engagements pris et non tenus et ceci même sans faute ; que la cour, après avoir relevé que la commune n'avait commis aucune faute en renonçant à poursuivre la procédure de révision du plan d'occupation des sols, n'a pas examiné l'éventuelle responsabilité de ladite commune en raison du préjudice anormal qu'aurait subi, en l'espèce, M. Sille ; que la cour n'ayant ainsi pas répondu à l'un des moyens de la requête, son arrêt doit être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987 susvisée et de juger l'affaire au fond ;

Sur la responsabilité :
Considérant, en premier lieu, que, comme l'ont décidé les premiers juges, si la responsabilité de la puissance publique peut se trouver engagée, même sans faute, sur le fondement du principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, au cas où une mesure légalement prise a pour effet d'entraîner au détriment d'une personne physique ou moraleun préjudice spécial et d'une certaine gravité, il n'en est pas ainsi en l'espèce dès lors que M. Sille, en sa qualité de professionnel de l'immobilier, ne pouvait ignorer les aléas qui pèsent nécessairement sur la réalisation d'un programme immobilier tel que celui qui était projeté en l'espèce et pour la réalisation duquel il fallait notamment modifier les dispositions du plan d'occupation des sols et obtenir l'accord du conseil municipal ; que M. Sille devait normalement envisager l'éventualité où, face aux résultats négatifs de l'enquête publique et à l'hostilité rencontrée par le projet, celui-ci serait abandonné par la commune ; qu'ayant assumé ce risque en toute connaissance de cause, il ne saurait utilement soutenir qu'il a subi un préjudice anormal et que la commune doit supporter les conséquences onéreuses résultant pour lui de la renonciation au projet ;
Considérant, en second lieu, qu'en renonçant, en raison notamment des résultats de l'enquête publique et de l'avis négatif formulé par le commissaire-enquêteur, à poursuivre la procédure de modification de son plan d'occupation des sols nécessaire à la mise en oeuvre du projet du "Clos du Village", la commune de Maurepas n'a commis, en prenant cette décision, aucune faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de M. Sille ;
Considérant, toutefois, qu'en incitant fermement et "sous peine de rupture des pourparlers", M. Sille à s'engager à ses frais dans l'étude du projet dont il s'agit, et à présenter des "plans explicites" et le bilan de l'opération, la commune de Maurepas a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de M. Sille ; qu'il y a lieu cependant de tenir compte de l'imprudence commise par ce dernier en engageant des frais dans une opération dont il ne pouvait ignorer le caractère aléatoire ; que, dans ces conditions, les premiers juges ont procédé à une juste appréciation des faits de l'espèce en ne mettant à la charge de la commune que la moitié du préjudice indemnisable ;
Sur le préjudice et le montant de l'indemnité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction et qu'il n'est d'ailleurs pas contesté que M. Sille a fourni des avant-projets qui comportaient notamment des plans d'architecte très élaborés ; que M. Sille justifie avoir pour cela supporté des honoraires d'architecte pour un montant de 498 120 F ; que si M. Sille soutient avoir également supporté des "frais d'études et recherches", des "frais généraux", des "agios" et un "manque à gagner", la réalité de ces divers chefs de préjudice n'est pas établie ; que, compte tenu du partage de responsabilité retenu plus haut, il y a lieu de confirmer la condamnation de la commune de Maurepas à verser à M. Sille une somme de 249 060 F portant intérêts à compter du 3 septembre 1989 ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. Sille n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Versailles en date du 8 février 1994 ; que, par suite, les conclusions incidentes de la commune de Maurepas tendant à l'annulation de ce jugement en tant qu'il l'a condamnée à verser à M. Sille la somme de 249 060 F doivent être également rejetées ;
Sur l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 :
Considérant que les conclusions incidentes de la commune de Maurepas dirigées contre le jugement du tribunal administratif de Versailles, étant rejetées, il n'y a pas lieu de condamner M. Sille à lui verser la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle ;
Considérant que les dispositions susanalysées font obstacle à ce que M. Sille, qui n'est pas la partie perdante dans la présente affaire, soit condamné à verser à la commune de Maurepas la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Considérant qu'il y a lieu, en revanche, de faire application des mêmes dispositions et de condamner la commune de Maurepas à verser à M. Sille la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 19 septembre 1995 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par M. Sille devant la cour administrative d'appel de Paris et les conclusions incidentes formées par la commune de Maurepas devant cette cour sont rejetées.
Article 3 : La commune de Maurepas versera à M. Sille une somme de 20 000 F en application des dispositions de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Roger Sille, à la commune de Maurepas, au président de la cour administrative d'appel de Paris et au ministre de l'équipement, des transports et du logement.


Synthèse
Formation : 5 / 3 ssr
Numéro d'arrêt : 175142
Date de la décision : 16/11/1998
Sens de l'arrêt : Annulation
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours en cassation

Analyses

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - FAITS SUSCEPTIBLES OU NON D'OUVRIR UNE ACTION EN RESPONSABILITE - AGISSEMENTS ADMINISTRATIFS SUSCEPTIBLES D'ENGAGER LA RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - PROMESSES - Incitation à engager l'étude d'un programme immobilier dont la réalisation est subordonnée à la modification du plan d'occupation des sols - Faute de nature à engager la responsabilité de la commune.

60-01-03-03, 60-02-05(1), 60-04-02-01 En incitant fermement et "sous peine de rupture des pourparlers" M. S. à s'engager à ses frais dans l'étude d'un programme immobilier tel que celui qui était projeté et pour la réalisation duquel il fallait notamment modifier les dispositions du plan d'occupation des sols, et à présenter des "plans explicites" et le bilan de l'opération, la commune a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de M. S. Il y a lieu cependant de tenir compte de l'imprudence commise par ce dernier en engageant des frais dans une opération dont il ne pouvait ignorer le caractère aléatoire. Mise à la charge de la commune de la moitié seulement du préjudice indemnisable.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICES DE L'URBANISME (1) Incitation à engager l'étude d'un programme immobilier dont la réalisation est subordonnée à la modification du plan d'occupation des sols - Faute de nature à engager la responsabilité de la commune - (2) Abandon d'un projet immobilier par une commune - Préjudice résultant pour un promoteur du coût des études et plans et du manque à gagner résultant de l'abandon du projet - Absence de caractère anormal.

60-02-05(2), 60-04-01-05-03 M. S., en sa qualité de professionnel de l'immobilier, ne pouvait ignorer les aléas qui pèsent nécessairement sur la réalisation d'un programme immobilier tel que celui qui était projeté et pour la réalisation duquel il fallait notamment modifier les dispositions du plan d'occupation des sols et obtenir l'accord du conseil municipal. Il devait normalement envisager l'éventualité où, face aux résultats négatifs de l'enquête publique et à l'hostilité rencontrée par le projet, celui-ci serait abandonné par la commune. Ayant assumé ce risque en toute connaissance de cause, il ne saurait utilement soutenir qu'il a subi un préjudice anormal et que la commune doit supporter les conséquences onéreuses résultant pour lui de la renonciation au projet.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - PREJUDICE - CARACTERE SPECIAL ET ANORMAL DU PREJUDICE - ABSENCE DE CARACTERE ANORMAL - Abandon d'un projet immobilier par une commune - Préjudice résultant pour un promoteur du coût des études et plans et du manque à gagner résultant de l'abandon du projet.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - CAUSES EXONERATOIRES DE RESPONSABILITE - FAUTE DE LA VICTIME - Existence - Imprudence commise par un promoteur en engageant des frais dans une opération dont il ne pouvait ignorer le caractère aléatoire - Exonération partielle de la responsabilité de la commune.


Références :

Loi 87-1127 du 31 décembre 1987 art. 11
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75


Publications
Proposition de citation : CE, 16 nov. 1998, n° 175142
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Vught
Rapporteur ?: M. Thiellay
Rapporteur public ?: M. Salat-Baroux
Avocat(s) : SCP Tiffreau, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, Avocat

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1998:175142.19981116
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