Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 janvier 1992 et 6 mai 1992 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'Université de Lille-II, ayant son siège ..., représentée par son président en exercice dûment habilité ; l'Université de Lille-II demande au Conseil d'Etat d'annuler le décret n° 91-1161 du 7 novembre 1991 portant création et organisation provisoire de l'université du Littoral ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son article 34 ;
Vu la loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 modifiée sur l'enseignement supérieur ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Japiot, Auditeur,
- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de l'Université de Lille-II et de la Société de Lille,
- les conclusions de M. Schwartz, Commissaire du gouvernement ;
Sur la légalité externe :
Considérant qu'aux termes de l'article 21 de la loi susvisée du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur : "Les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel sont créés par décret après avis du conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche" ;
Considérant que le décret attaqué, portant création et organisation provisoire de l'université du Littoral, ne comporte aucune disposition d'ordre statutaire et n'avait, dès lors, ni à être pris en Conseil d'Etat, ni à être contresigné par le ministre chargé de la fonction publique ;
Considérant que ni les dispositions susrappelées de la loi du 26 janvier 1984, ni aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait la consultation préalable du conseil d'administration de l'université requérante, alors même que le décret attaqué était susceptible de modifier l'affectation des biens mis à la disposition de ladite université par l'Etat ;
Sur la légalité interne :
Considérant qu'aux termes de l'article 21 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée sur l'enseignement supérieur, dans sa rédaction issue de la loi du 25 juillet 1994 : "Les décrets portant création d'établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel peuvent déroger aux dispositions des articles 25 à 28, 30,31, 34 à 36, 38 à 40, à l'exception de l'article 38-1, de la présente loi pour une durée de cinq ans. Les dérogations ont pour seul objet d'expérimenter dans les nouveaux établissements des modes d'organisation et d'administration différents de ceux prévus par les articles susmentionnés. Elles assurent l'indépendance des professeurs et des autres enseignants-chercheurs par la représentation propre et authentique de chacun de ces deux ensembles et par l'importance relative de cette représentation au sein de l'organe délibérant de l'établissement. Elles assurent également la représentation propre et authentique des autres personnels et des usagers. Elles ne peuvent porter atteinte au principe de l'élection des représentants de ces différentes catégories au sein de l'organe délibérant" ; qu'en vertu de l'article 2 de la loi susmentionnée du 25 juillet 1994, ces dispositions sont applicables aux établissements existants, notamment à l'université du Littoral, à compter de la date de publication du décret qui les a institués ; qu'ainsi, la légalité du décret attaqué doit être appréciée au regard desdites dispositions ;
Considérant qu'en prévoyant des dérogations temporaires aux dispositions de la loi du 26 janvier 1984 modifiée, sur le fondement de l'article 21 de ladite loi, le décret attaqué n'a eu ni pour objet ni pour effet de créer une nouvelle catégorie d'établissements publics et n'a donc pas méconnu les dispositions de l'article 34 de la Constitution ;
Considérant que les dispositions législatives susrappelées autorisent le pouvoir réglementaire à prévoir, à l'occasion de la création de l'université du Littoral, des modalités d'organisation de l'établissement qui dérogent, pendant une durée maximale de cinq ans, aux dispositions des articles 25 à 28, 30, 31, 34 à 36 et 38 à 40 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée ; que, par suite, le moyen tiré de ce que ces dérogations auraient excédé les simples "adaptations" autorisées par l'article 21 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée, dans sa rédaction initiale, est inopérant ; que ces dérogations ne sont pas excessives au regard de l'objectif assigné par les dispositions susrappelées de la loi du 26 janvier 1984 dans sa rédaction issue de la loi du 25 juillet 1994 ;
Considérant que le conseil d'orientation de l'université institué par le décret attaqué n'a qu'une existence provisoire et un rôle purement consultatif ; qu'ainsi, les dispositions prévoyant qu'une partie des membres du conseil d'orientation est nommée par le ministre de l'éducation nationale ne méconnaissent pas les principes d'autonomie et de démocratie garantis par la loi ; que la composition et le mode d'élection du conseil d'université, organe délibérant de l'université du Littoral, assurent la représentation propre et authentique des professeurs, des enseignants-chercheurs, des autres personnels et des usagers ;
Considérant qu'en application des dispositions de l'article 47 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée, relatif aux pouvoirs de substitution conférés au ministre de l'éducation nationale en cas de carence de l'organe délibérant d'un établissement, le décret attaqué a pu sans méconnaître le principe d'autonomie des universités, donner compétence au ministre de l'éducation nationale pour arrêter les statuts de l'université du Littoral si ceux-ci ne sont pas adoptés par le conseil d'université avant l'expiration du délai de transition prévu par la loi ;
Considérant qu'en vertu des pouvoirs qu'il tient de l'article 21 de la loi susvisée du 26 janvier 1984 en vue de la création de nouvelles universités, le Gouvernement a pu, sans méconnaître le principe d'autonomie des universités, transférer à l'université du Littoral les biens, droits et obligations des universités de Lille I, Lille II et Lille III affectés aux antennes de Boulogne, Calais et Dunkerque dont il avait décidé le rattachement à ladite université ;
Considérant, en dernier lieu, qu'il résulte des pièces du dossier que la croissance des effectifs des étudiants dans les régions du Nord-Pas-de-Calais et de Picardie et l'augmentation des besoins de la population de ces régions en matière d'enseignement supérieur sont de nature à justifier légalement la création d'une nouvelle université ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'éducation nationale et de la culture, que l'Université DE LILLE-II n'est pas fondée à demander l'annulation du décret n° 91-1161 du 7 novembre 1991 ;
Article 1er : La requête de l'Université de Lille-II est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Université de Lille-II, au Premier ministre, au ministre de l'économie et des finances et au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.