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29/12/1999 | FRANCE | N°197502

France | France, Conseil d'État, 3 / 5 ssr, 29 décembre 1999, 197502


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 juin et 23 octobre 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNAUTE URBAINE DE LILLE, représentée par le président en exercice du conseil de communauté ; la COMMUNAUTE URBAINE DE LILLE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 5 mai 1998 de la cour administrative d'appel de Nancy en tant que, par cet arrêt, la cour a annulé, à la demande de M. Jean-Paul X..., le jugement du tribunal administratif de Lille en date du 7 juillet 1994 et l'a condamnée à payer, d'une part,

une somme de 100 000 F à M. Jean-Paul X... en son nom personnel...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 juin et 23 octobre 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNAUTE URBAINE DE LILLE, représentée par le président en exercice du conseil de communauté ; la COMMUNAUTE URBAINE DE LILLE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 5 mai 1998 de la cour administrative d'appel de Nancy en tant que, par cet arrêt, la cour a annulé, à la demande de M. Jean-Paul X..., le jugement du tribunal administratif de Lille en date du 7 juillet 1994 et l'a condamnée à payer, d'une part, une somme de 100 000 F à M. Jean-Paul X... en son nom personnel ainsi qu'une somme de 25 000 F pour le compte de son fils mineur Mario X... et, d'autre part, une somme de 25 000 F à M. Jean-François X... ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Séners, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Vincent, Ohl, avocat de la COMMUNAUTE URBAINE DE LILLE et de Me Balat, avocat de M. Jean-Paul X...,
- les conclusions de M. Stahl, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi :
Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour censurer le jugement par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande des consorts X... tendant à ce que la COMMUNAUTE URBAINE DE LILLE soit déclarée responsable des conséquences dommageables de l'action des services d'incendie et de secours qui sont intervenus dans la nuit du 25 au 26 septembre 1986 à Halluin, dans l'immeuble sis au n° 142 de la rue de Lille, la cour administrative d'appel de Lille s'est fondée sur l'absence d'appel immédiat aux services médicaux d'urgence, l'heure d'arrivée sur les lieux du véhicule de liaison, l'intérêt qui aurait pu s'attacher au recours à des techniques d'extinction des flammes différentes de celles qui ont été mises en oeuvre, le délai qui a été nécessaire pour descendre au sol deux des victimes, le fait qu'un seul sapeur pompier a porté secours aux trois victimes retenues dans l'immeuble et la présence sur place d'une seule équipe médicale d'urgence alors que des soins devaient être donnés à deux victimes ;
Considérant qu'en déduisant de l'ensemble de ces circonstances que pouvait être imputée aux services de secours présents sur les lieux une faute lourde de nature à engager en l'espèce la responsabilité de la COMMUNAUTE URBAINE DE LILLE, la cour a procédé à une qualification juridique erronée des faits de l'espèce ; que, par suite, et sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur le fondement juridique sur lequel la responsabilité a été engagée dès lors que ce fondement n'a pas été contesté par la COMMUNAUTE URBAINE DE LILLE, l'arrêt attaqué doit être annulé ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que, si une note en délibéré a été produite devant le tribunal administratif de Lille, une telle production, du seul fait qu'elle est intervenue après la clôture de l'instruction, ne pouvait être examinée par ce tribunal ;
Sur les conclusions de la commune d'Halluin tendant à sa mise hors de cause :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 5215-20 du code général des collectivités territoriales : "Sont transférés à la communauté urbaine les compétences attribuées aux communes dans les domaines suivants : ( ...) 5° Services d'incendie et de secours ( ...)" ; qu'aux termes de l'article L. 5215-22 du même code : "Pour l'exercice de ses compétences, la communauté urbaine est substituée de plein droit aux communes, syndicats ou districts préexistants constitués entre tout ou partie des communes qui la composent" ; qu'aux termes, enfin, de l'article L. 5215-24 de ce code : "Le transfert de compétences à la communauté urbaine emporte transfert au président et au conseil de communauté de toutes les attributions conférées ou imposées par les lois ou règlements respectivement au maire et au conseil municipal" ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que les dommages imputables à des défauts d'organisation ou de fonctionnement des services d'incendie et de secours engagent la responsabilité de la communauté urbaine à l'exclusion de celle de la commune sur le territoire de laquelle est survenu le sinistre ; que, dès lors, il y a lieu de faire droit aux conclusions de la commune d'Halluin, qui est au nombre de celles qui composent la COMMUNAUTE URBAINE DE LILLE, tendant à sa mise hors de cause dans la présente affaire ;
Sur la responsabilité de la COMMUNAUTE URBAINE DE LILLE :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les sapeurs pompiers du centre de secours d'Halluin, alertés à 0h37, sont arrivés sur les lieux du sinistre à 0h44 et ont immédiatement combattu l'incendie qui s'était déclaré au rez-de-chaussée de l'immeuble ; que les flammes ont été abattues à 0h50 ; que, dès qu'il a paru possible, eu égard à la chaleur et aux fumées, de porter secours aux trois personnes inanimées qui se trouvaient dans une pièce du premier étage donnant sur la rue, un sauveteur a pénétré dans cette pièce par la fenêtre au moyen d'une échelle à coulisse ; que la première personne secourue a pu être descendue par cette échelle à 1h05 et réanimée par les équipes médicales présentes sur les lieux ;
Considérant, en revanche, qu'il résulte de l'instruction que, pour descendre les deux autres personnes, les services de secours ont décidé, alors même que la fenêtre permettant leur évacuation n'était située qu'à quatre mètre du sol, d'utiliser l'échelle pivotante automatique qui avait servi à combattre l'incendie ; que cette manoeuvre, qui a nécessité l'installation d'une nacelle sur l'échelle pivotante, a contraint les sauveteurs à maintenir le jeune Jérôme X..., inanimé, au bord de la fenêtre du premier étage pendant quatorze minutes ; qu'à son arrivée au sol, l'intéressé n'a pu être réanimé malgré les soins qui lui ont été prodigués ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, eu égard, notamment, à la faible hauteur à laquelle se trouvaient les victimes, aux moyens en hommes et en matériel dont disposaient les sauveteurs et au délai qui a été nécessaire pour amener au sol Jérôme X..., le déroulement des opérations de sauvetage doit être regardé comme entaché d'erreurs constitutives d'une faute de nature à engager la responsabilité de la COMMUNAUTE URBAINE DE LILLE ; que, par suite, les consorts X... sont fondés à demander l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la communauté urbaine à indemniser le préjudice moral qu'ils ont subi du fait du décès de M. Jérôme X... ;
Sur le préjudice subi par les consorts X... :
Considérant que, dans les circonstances de l'affaire, il sera fait une justeappréciation de la douleur morale éprouvée par les consorts X... en allouant à M. Jean-Paul X..., père de la victime, une somme de 100 000 F, à MM. Jean-François et Mario X..., ses demi-frères, une somme de 25 000 F chacun et à Mlle Mylène X..., sa demi-soeur, âgée de huit mois seulement au moment des faits, une somme de 5 000 F ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

Considérant que les consorts X... ont droit aux intérêts des sommes susmentionnées à compter du jour de la réception par la COMMUNAUTE URBAINE DE LILLE de la demande préalable formulée le 27 décembre 1990 par M. Jean-Paul X... ;
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 23 février 1994, 27 juin 1995 et 5 septembre 1996 ; qu'à chacune de ces dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner la COMMUNAUTE URBAINE DE LILLE à payer aux consorts X... une somme de 35 000 F au titre des frais exposés par eux, tant en appel qu'en cassation, et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy, en date du 5 mai 1998, est annulé.
Article 2 : La COMMUNAUTE URBAINE DE LILLE est condamnée à verser à M. Jean-Paul X... la somme de 100 000 F, à MM. Mario et Jean-François X... la somme de 25 000 F chacun, à Mlle Mylène X... la somme de 5 000 F, avec intérêts au taux légal à compter du jour de la réception par la COMMUNAUTE URBAINE DE LILLE de la demande préalable formulée le 27 décembre 1990. Les intérêts échus les 23 février 1994, 7 juin 1995 et 5 septembre 1996 seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : La commune d'Hallouin est mise hors de cause.
Article 4 : La COMMUNAUTE URBAINE DE LILLE versera aux consorts X... une somme de 35 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par les consorts X... devant la cour administrative d'appel de Nancy et le Conseil d'Etat est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNAUTE URBAINE DE LILLE, à la commune d'Halluin, aux consorts X... et au ministre de l'intérieur.


Sens de l'arrêt : Annulation condamnation d'une communauté urbaine
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours en cassation

Analyses

60-02-06-01 RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICES PUBLICS COMMUNAUX - SERVICE PUBLIC DE LUTTE CONTRE L'INCENDIE -Faute - Existence - Délai nécessaire à l'évacuation d'une victime excessivement long en raison de la mise en place d'un équipement particulier alors que la victime se trouvait à une faible hauteur et eu égard aux moyens en hommes et matériel dont disposaient les sauveteurs.

60-02-06-01 Un incendie s'est déclaré de nuit au rez-de-chaussée d'un immeuble. Après avoir abattu les flammes, les pompiers ont secouru, dès qu'il a paru possible, et sauvé une première personne qui se trouvait au premier étage de l'immeuble par l'intermédiaire d'une échelle à coulisse. En revanche, pour descendre les deux autres personnes qui se trouvaient là, les services de secours ont décidé, alors même que la fenêtre permettant leur évacuation n'était située qu'à quatre mètres du sol, d'utiliser l'échelle pivotante automatique qui avait servi à combattre l'incendie. Cette manoeuvre, qui a nécessité l'installation d'une nacelle sur l'échelle pivotante, a contraint les sauveteurs à maintenir l'une des victimes inanimée au bord de la fenêtre du premier étage pendant quatorze minutes. A son arrivée au sol, cette victime n'a pu être réanimée. Dans les circonstances de l'espèce, eu égard notamment à la faible hauteur à laquelle se trouvaient les victimes, aux moyens en hommes et en matériel dont disposaient les sauveteurs et au délai qui a été nécessaire pour amener au sol la victime, le déroulement des opérations de sauvetage doit être regardé comme entaché d'erreurs constitutives d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration.


Références :

Code civil 1154
Code général des collectivités territoriales L5215-20, L5215-22, L5215-24
Loi 87-1127 du 31 décembre 1987 art. 11
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75


Publications
Proposition de citation: CE, 29 déc. 1999, n° 197502
Publié au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : Mme Aubin
Rapporteur ?: M. Séners
Rapporteur public ?: M. Stahl
Avocat(s) : SCP Vincent, Ohl, Me Balat, Avocat

Origine de la décision
Formation : 3 / 5 ssr
Date de la décision : 29/12/1999
Date de l'import : 05/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 197502
Numéro NOR : CETATEXT000008063524 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;1999-12-29;197502 ?
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