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02/09/2008 | FRANCE | N°04PA01380

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8éme chambre, 02 septembre 2008, 04PA01380


Vu la requête, enregistrée le 16 avril 2004, présentée pour la société de droit italien SIRIO ANTENNE SRL dont le siège est situé Strada dei Colli Sud, 1/Q à Volta Mantovana (MN) 4649, Italie, élisant domicile au cabinet de Me Salem, 1 rue Madame à Paris (75006), par celui-ci ; la société SIRIO ANTENNE SRL demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement nº 0019136/7 en date du 5 décembre 2003, par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 20 octobre 2000 du directeur général des impôts, rejetant sa demande

d'indemnisation ;

2°) de condamner l'État au versement d'une somme de 43 3...

Vu la requête, enregistrée le 16 avril 2004, présentée pour la société de droit italien SIRIO ANTENNE SRL dont le siège est situé Strada dei Colli Sud, 1/Q à Volta Mantovana (MN) 4649, Italie, élisant domicile au cabinet de Me Salem, 1 rue Madame à Paris (75006), par celui-ci ; la société SIRIO ANTENNE SRL demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement nº 0019136/7 en date du 5 décembre 2003, par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 20 octobre 2000 du directeur général des impôts, rejetant sa demande d'indemnisation ;

2°) de condamner l'État au versement d'une somme de 43 399 939, 06 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de l'entrée en vigueur et de l'application de la taxe résultant des dispositions de l'article 302 bis X du code général des impôts, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 25 septembre 2000 et les intérêts des intérêts ;

3°) subsidiairement, de nommer un expert aux fins d'évaluation du préjudice subi ;

4°) de mettre la charge de l'État une somme de 30 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité instituant la communauté européenne signé le 25 mars 1957 et notamment ses articles 30 et 37, ensemble le décret du 28 janvier 1958 portant publication dudit traité ;

Vu l'arrêt n° 109/98 du 22 avril 1999 de la Cour de justice des communautés européennes ;

Vu le code général des impôts ;

Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 juin 2008 :

- le rapport de M. Privesse, rapporteur,

- les observations de Me Salem, pour la société SIRIO ANTENNE SRL,

- les conclusions de Mme Desticourt, commissaire du gouvernement ;

Et connaissance prise de la note en délibérée présentée le 25 juin 2008, par Me Salem, pour la société SIRIO ANTENNE SRL ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

Considérant que la responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée d'une part, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi à la condition que cette loi n'ait pas entendu exclure toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés, et d'autre part, en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France ;

Considérant qu'en vertu de l'article 83 de la loi de finances rectificative n° 92-1476 du 31 décembre 1992, codifié à l'article 302 bis X du code général des impôts, les livraisons en France de postes émetteurs-récepteurs fonctionnant sur canaux banalisés dits postes « CB » ont été soumis, à partir de janvier 1993, à une taxe forfaitaire fixée initialement à 250F par appareil ; que, par un arrêt du 22 avril 1999 rendu dans l'affaire n° 109/98 « CRT France International SA », la Cour de Justice des communautés européennes a jugé que les articles 9, 12 et 113 du traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne « ... s'opposent à une taxe mise à la charge des fabricants, importateurs et personnes qui effectuent des livraisons en France de postes CB importés d'Etats membres telle que celle dont le régime est fixé à l'article 302 bis X du code général des impôts... », après avoir relevé qu'une telle imposition constituait « ...une taxe d'effet équivalent à un droit de douane interdite par les articles 9 et 12 du traité... » ; que la société de droit italien SIRIO ANTENNE SRL, spécialisée dans la fourniture d'accessoires radio, et notamment d'antennes destinées aux postes émetteurs-récepteurs fonctionnant en bande CB, recherche la responsabilité de l'Etat français en tant que principal fournisseur de l'une des deux sociétés françaises, la S A Dirland, commercialisant ce type d'appareils, à raison des conséquences de l'introduction en France de la taxe litigieuse, afin d'obtenir réparation des préjudices qu'elle allègue avoir subi et dont elle évalue le montant à la somme totale de 43 399 939, 06 euros sur la période de 1993 à 2000 ; que la société SIRIO ANTENNE SRL relève régulièrement appel du jugement susmentionné du 5 décembre 2003, ayant rejeté cette demande d'indemnisation ;

Considérant en premier lieu, que la responsabilité de l'Etat est recherchée à raison des conséquences de la mise à la charge du principal client en France de la société SIRIO ANTENNE SRL d'une taxe qui a été jugée contraire aux stipulations du traité de Rome ; que, dès lors, le ministre défendeur ne peut se prévaloir de la circonstance qu'antérieurement à l'arrêt susmentionné, la Commission des communautés européennes avait classé sans suite la plainte déposée contre la France concernant cette même taxe ;que le ministre ne peut davantage soutenir que cette taxe était justifiée par les impératifs de la gestion du spectre radioélectrique, élément du domaine public, alors que son fait générateur était la livraison en France des appareils et de leurs accessoires, et non pas l'utilisation de ce spectre, comme l'a expressément rappelé l'arrêt de la Cour de Justice du 22 avril 1999 précité ; que s'il invoque la circonstance que cette taxe ne serait pas propre à la France, il ne l'établit pas, et ne peut soutenir que les sociétés françaises concernées n'auraient pas elles-mêmes subi un préjudice du même ordre, alors que celles-ci se sont également pourvues devant les juridictions et ont obtenu des indemnisations ; qu'enfin, l'incidence sur le marché français de la CB de la taxe sur la livraison des appareils mise en vigueur de manière définitive à partir du 6 janvier 1993, sous réserve d'une exemption jusqu'au 31 mars 1993 pour les livraisons procédant de contrats conclus antérieurement, doit être appréciée non pas par rapport à la taxe à l'acquisition des appareils issue de l'article 40 de la loi de finances rectificative du 1er décembre 1991, qui, à supposer même qu'elle ne soit pas entachée du même vice d'inconventionnalité, n'a pas reçu d'application effective, faute de mesures prises en ce sens, mais par rapport à la taxe d'usage payable tous les cinq ans à raison des appareils utilisées mise en place par la loi de finances pour 1987, qui, eu égard à son assiette et à ses modalités de perception a laissé libre cours au développement des communications par la CB ;

Considérant en deuxième lieu, que la société SIRIO ANTENNE SRL, expose, en s'appuyant notamment sur une expertise comptable effectuée à son initiative, que les effets négatifs de la taxe inconventionnelle sur ses livraisons à destination de son contractant français, la SA Dirland, qui représentaient en 1992 48% du total de ses ventes, masqués au cours de l'exercice 1993 par le régime transitoire applicable au premier trimestre, se sont fait fortement sentir à partir de 1994, année au cours de laquelle le recul de ses ventes en France a atteint 75%, sans ensuite pouvoir regagner les niveaux atteints auparavant, alors qu'elle avait été conduite à lancer d'importants investissements et une réorganisation de ses structures dans le cadre de la législation italienne ; qu'elle soutient que toutes les sociétés exerçant leur activité dans le domaine de la CB ont vu la même décroissance se produire sur la même période, et notamment la société distributrice concurrente de son contractant français, à savoir la société « Président », dont elle produit les comptes pour l'exercice 1995, mentionnant en outre qu'il n'existait alors aucune fabrication d'appareils CB sur le territoire français ;

Considérant en troisième lieu, que ni la relative saturation du marché, après l'important équipement des routiers lors de la grève de l'été 1992, suivie d'une certaine désaffection des utilisateurs des postes « CB », ni la concurrence de la téléphonie mobile dont l'essor se situe seulement entre 1997 et 2000, ainsi que cela n'est pas utilement contredit, ne suffisent à justifier la mévente importante et brutale de ces appareils « CB » à partir de 1994 ; que ce recul des ventes était d'ailleurs propre à la France et n'a pas eu d'équivalent dans les autres pays de l'Union européenne tant au cours de l'année 1994 que des suivantes, sans que le ministre puisse pertinemment invoquer des différences de réglementation entre Etats ; qu'enfin, le ministre ne saurait sérieusement mettre en cause, en l'absence de toute précision à ce sujet, les conditions de gestion de l'entreprise requérante ;

Considérant que, dès lors qu'il y a eu méconnaissance d'une disposition internationale par une disposition législative interne, qu'un préjudice direct en est résulté, sans l'intervention d'aucune autre circonstance particulière et l'intéressée n'ayant pu obtenir par ailleurs réparation dudit préjudice, la société SIRIO ANTENNE SRL est fondée à rechercher la responsabilité de l'Etat envers elle, à raison de la taxation de l'importation des postes « CB », en tant que principal fournisseur des antennes qui leur étaient destinées ;

Sur l'exception de prescription quadriennale :

Considérant qu'aux termes de la loi susvisée du 31 décembre 1968 : « Art 1er : - Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements, des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis... Art 2 : la prescription est interrompue par : - toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. - Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance. Art. 3 : « La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui ne peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement. » ;

Considérant qu'en l'espèce le point de départ du délai de prescription est au premier janvier de l'année suivant la date d'apparition du dommage, à savoir au premier janvier 1994 ; que ce délai a été interrompu pour les années 1994 à 1995 par les plaintes déposées tant par la société requérante que par son acquéreur intracommunautaire, à savoir la société anonyme Dirland, lesquelles ont été classées par la Commission européenne lors de sa séance du 18 octobre 1995, le rouvrant ainsi jusqu'au 31 décembre 2000 ; que la société requérante a présenté le 18 septembre 2000 à l'administration française une demande tendant à l'indemnisation du préjudice né de l'entrée en vigueur de la taxe sur les postes CB instituée tant par l'article 83 de la loi nº 92-1476 du 31 décembre 1992, que par l'article 27 de la loi nº 93-1353 du 30 décembre 1993, codifiés sous l'article 302 bis X. du code général des impôts, les dispositions fiscales susmentionnées ayant été jugées contraires à l'état du droit communautaire par l'arrêt du 22 avril 1999 de la Cour de Justice des Communautés Européennes sous la référence C-109/98 ; qu'ainsi, le ministre défendeur n'est pas fondé à opposer à la société requérante l'exception de prescription quadriennale ;

Sur le préjudice de la société :

En ce qui concerne les chefs de préjudice ouvrant droit à réparation :

Considérant que la société SIRIO ANTENNE SRL est fondée à obtenir l'indemnisation de ses préjudices, à condition d'en établir, d'une part, le caractère certain et, d'autre part, leur lient de causalité direct avec le paiement par son client français de la taxe contestée ;

Considérant que si la société SIRIO ANTENNE SLR allègue une dévalorisation de son fonds de commerce, ce chef de préjudice ne peut être pris en compte, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que les biens incorporels concernés auraient été vendus à perte ou auraient fait l'objet de vaines tentatives de cession durant la période incriminée ; que de même ne saurait ouvrir droit à réparation la perte de chance de développement de son activité mise en avant par la société, alors que d'importants aléas économiques et techniques dus notamment à la concurrence régnant dans ce secteur des radiocommunications rendaient les projets de croissance allégués, envisagés à partir de 1994, comme comportant une certaine marge d'erreur, et surtout à partir de 1997 eu égard au développement de la téléphonie mobile ; qu'en revanche, la société établit, par des données précises et détaillées, l'existence d'un effondrement des ventes de postes « CB » dès l'année 1994 et, par suite, de ses recettes, mettant en péril, au moins pour partie, la poursuite de son exploitation ; qu'il résulte de ce qui précède que seul ce dernier chef de préjudice doit être regardé comme certain ;

En ce qui concerne le montant de la réparation :

Considérant que la réparation due ne peut être estimée par référence au chiffre d'affaires ou à la marge commerciale, mais seulement par référence à l'évolution du bénéfice net avant impôt constaté, qui peut se déduire, dans l'étude comptable produite par la société, de la rubrique « Rimanenze Finale » ; qu'il y a lieu de prendre en compte l'évolution constatée des bénéfices de la société SIRIO ANTENNE SRL sur le marché français jusqu'à l'instauration de la taxe litigieuse, compte non tenu de l'effet d'aubaine lié à la mise en place du permis à points au 1er juillet 1992, ainsi que le fort déclin de ces bénéfices prévisible après l'année 1997, en raison de la marginalisation des ventes des postes CB par la très forte croissance de la téléphonie mobile en France après cette date ; qu'il sera ainsi fait une juste évaluation de la perte de bénéfices subie par la société en la fixant à la somme de 2 500 000 euros ;

Sur les intérêts :

Considérant que la société SIRIO ANTENNE SRL a droit au versement des intérêts moratoires au taux légal à compter du 25 septembre 2000, date de réception de sa demande préalable d'indemnisation, ainsi qu'aux intérêts des intérêts à compter du 18 février 2002, date d'enregistrement au tribunal administratif de Paris de la première demande de capitalisation utile, et à chaque échéance annuelle jusqu'au paiement des sommes dues en principal ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés dans la présente instance par la société SIRIO ANTENNE SRL et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 5 décembre 2003 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la société SIRIO ANTENNE SRL, à titre de dommages et intérêts, une somme de 2 500 000 (deux millions cinq cent mille) euros.

Article 3 : La somme fixée à l'article précédent portera intérêts au taux légal à compter du 25 septembre 2000. Les intérêts échus au 18 février 2002 et, ensuite à chaque échéance annuelle jusqu'au paiement du principal, seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 4 : L'Etat versera à la société SIRIO ANTENNE SRL une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la société SIRIO ANTENNE SRL est rejeté.

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N° 04PA01380


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8éme chambre
Numéro d'arrêt : 04PA01380
Date de la décision : 02/09/2008
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. ROTH
Rapporteur ?: M. Jean-Claude PRIVESSE
Rapporteur public ?: Mme DESTICOURT
Avocat(s) : SALEM

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2008-09-02;04pa01380 ?
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