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18/02/2008 | FRANCE | N°06PA00614

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8éme chambre, 18 février 2008, 06PA00614


Vu la requête, enregistrée le 16 février 2006, présentée pour M. Daniel X demeurant ... par Me Benjamin ; M. X demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0411485/7 du Tribunal administratif de Paris en date du 16 décembre 2005 qui a rejeté sa demande tendant d'une part à l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre des transports a rejeté sa demande indemnitaire en date du 30 décembre 2003, d'autre part à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 63 192 euros en réparation du préjudice financier subi, ainsi qu'une somme de 1

500 euros en réparation de son préjudice moral, augmentées des intérêts ...

Vu la requête, enregistrée le 16 février 2006, présentée pour M. Daniel X demeurant ... par Me Benjamin ; M. X demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0411485/7 du Tribunal administratif de Paris en date du 16 décembre 2005 qui a rejeté sa demande tendant d'une part à l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre des transports a rejeté sa demande indemnitaire en date du 30 décembre 2003, d'autre part à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 63 192 euros en réparation du préjudice financier subi, ainsi qu'une somme de 1 500 euros en réparation de son préjudice moral, augmentées des intérêts légaux à compter du 30 décembre 2003 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 63 192 euros au titre de son préjudice financier et 1 500 euros au titre de son préjudice moral, augmentées des intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2003 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 300 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

……………………………………………………………………………………………………...

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 janvier 2008 :

- le rapport de M. Didierjean, rapporteur,

- les observations de Me Benjamin pour M. X et celles de Mme Ubéda-Saillard représentant le ministère de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables ;

- et les conclusions de Mme Desticourt, commissaire du gouvernement ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête ;

Considérant que la République française et le Royaume Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ont signé le 12 février 1986 à Cantorbéry un traité concernant la construction et l'exploitation par des sociétés privées d'une Liaison Fixe Transmanche, prévoyant notamment en son article 10 la mise en place d'une Commission intergouvernementale pour suivre au nom des deux Gouvernements et par délégation de ceux-ci l'ensemble des questions liées à la construction et à l'exploitation de la Liaison Fixe, puis ont conclu le 14 mars 1986, en tant que co-concédants, une concession unique quadripartite avec, d'une part la société de droit français France Manche S.A., d'autre part la société de droit britannique The Channel Group Ltd, ce traité et cette concession excluant expressément tout apport budgétaire et garantie financière ou commerciale des deux Etats ; qu'enfin, un groupement dénommé « Eurotunnel » a été constitué par les sociétés Eurotunnel S. A. et Eurotunnel P.L.C., sociétés mères des deux sociétés concessionnaires ; que M. X, agissant en tant qu'actionnaire de la société Eurotunnel S.A, dont chaque action était jumelée à une action de la société Eurotunnel P.L.C, demande à la cour d'infirmer le jugement en date du 16 décembre 2005 par lequel le Tribunal administratif de Paris a refusé de condamner l'Etat français à l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la dépréciation des titres Eurotunnel dont il a fait l'acquisition à plusieurs reprises entre 1987 et 1996 ;

Considérant que pour faire jouer la responsabilité de la puissance publique, M. X fait, de manière générale, valoir, d'une part, que l'Etat aurait délibérément sacrifié les intérêts des petits épargnants, incités abusivement à devenir actionnaires de la société Eurotunnel afin de permettre la réalisation de la Liaison Fixe Transmanche sans fonds publics, et, d'autre part, que l'Etat aurait manqué gravement à son devoir de surveillance des sociétés concessionnaires en raison tant des erreurs commerciales commises lors du lancement du projet, que des conditions fautives dans lesquelles la Commission intergouvernementale aurait assuré les missions qui lui étaient dévolues par le traité de Cantorbéry et le contrat de concession ;

Sur la responsabilité alléguée de l'Etat résultant des fautes qu'il aurait commises en incitant les épargnants à souscrire des titres Eurotunnel :

Considérant, en premier lieu, que M. X ne critique pas directement le principe même du recours à la technique du financement de projet, c'est-à-dire, l'absence de tout financement et de toute garantie financière consentis par les Etats, caractéristique première du projet de Liaison Fixe Transmanche clairement affirmée par l'article premier du traité de Cantorbéry du 12 février 1986 et réaffirmée par les articles deux et cinq du contrat de concession du 14 mars 1986 ;

Considérant, en deuxième lieu, que si M. X tente de démontrer que l'Etat français aurait abusivement suscité les petits actionnaires à souscrire au capital de la société Eurotunnel en produisant de nombreux documents relatifs aux déclarations du chef de l'Etat ou de membres du gouvernement, aux travaux parlementaires favorables au projet et plus généralement aux soutiens élogieux et médiatisés des autorités françaises et britanniques, il n'établit pas que l'ensemble des déclarations ou interventions dont il fait état, qui ne fait qu'illustrer l'adhésion largement majoritaire des responsables politiques de l'époque à un projet d'une importance économique et politique exceptionnelle et dont les prévisions de rentabilité n'étaient pas initialement mises en doute, devrait être regardé comme ayant eu pour objet d'inciter abusivement les épargnants à souscrire au capital d'Eurotunnel ;

Considérant en troisième lieu que si la note en date du 10 novembre 1987, destinée à diffuser auprès des chefs de postes comptables du réseau de Côte d'Or du Trésor public la fiche descriptive du titre Eurotunnel, fait état des perspectives financières attrayantes de cette valeur en termes de dividendes assurés sur une longue période et, à titre spéculatif, de plus values, il résulte des pièces du dossier que ces mentions ne peuvent être regardées comme fautives compte tenu du caractère complexe et novateur que présentait, à cette date, le projet de Liaison Fixe Transmanche sur les plans techniques, financiers et commerciaux et des incertitudes qui pouvaient en découler pour les prévisions de rendement des capitaux investis ; qu'ainsi cette note, dans les termes administratifs et mesurés qu'elle emploie et à supposer qu'elle ait servi de référence à l'information donnée au requérant pour l'acquisition d'actions de la société, ne présente pas le caractère d'une incitation publicitaire abusive à la souscription de ces actions par les épargnants ; qu'au surplus, le requérant prenant nécessairement des risques en souscrivant au capital relatif à un projet s'inscrivant dans le long terme et présentant des aléas, pouvait, en se tenant informé par tous moyens de l'évolution technique, financière et commerciale du projet, prendre en compte la modification des données initiales sur lesquelles il se serait fondé, pour tirer profit des plus values réalisées ou limiter ses moins values, en cédant ses titres au moment opportun, ainsi d'ailleurs qu'il l'a fait en 1993, ou en ne souscrivant pas aux nouvelles émissions de 1994 et 1996 ; qu'ainsi il n'est pas établi que les préjudices du requérant trouvent leur origine dans les fautes alléguées ;

Considérant enfin que M. X, dans son mémoire en réponse au courrier de la cour relatif au moyen d'ordre public susceptible d'être soulevé au regard de l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître de la responsabilité éventuelle de l'Etat à raison de fautes qu'aurait commises la Commission des opérations de bourse, à l'occasion de l'introduction en bourse du titre Eurotunnel ou du visa des prospectus financiers diffusés lors des argumentations du capital de 1987, 1990, 1994, 1997, a expressément mentionné ne pas avoir entendu mettre en cause la responsabilité de l'Etat sur ce terrain ;

Sur la responsabilité alléguée de l'Etat résultant des fautes qu'il aurait commises dans l'exercice de ses obligations de direction et de surveillance du projet Eurotunnel :

En ce qui concerne les fautes alléguées de l'Etat commises hors sa qualité de concédant d'Eurotunnel :

Considérant que si M. X entend mettre en cause la responsabilité de l'Etat, en dehors même de sa qualité de concessionnaire, en raison de fautes graves qu'il aurait commises, d'une part, avant la signature du traité de Cantorbéry puis du contrat de concession susvisé, d'autre part en raison de ses interventions durant la réalisation du projet, il n'établit pas au moyen des pièces qu'il produit, l'existence ou le caractère fautif de décisions, de carences ou d'interventions de l'Etat antérieures ou contemporaines à la mise en oeuvre du contrat de concession ayant pu être en lien direct avec les difficultés financières de la société Eurotunnel et des préjudices qui en auraient découlé pour lui ;

En ce qui concerne les prétendues fautes de l'Etat dans l'exercice de ses obligations de contrôle et de surveillance en sa qualité de co-concédant ou du fait du comportement de la Commission intergouvernementale :

Considérant qu'aux termes de l'article, 10 du traité franco-britannique du 12 février 1986 susvisé : « (l) Une Commission intergouvernementale est mise en place pour suivre au nom des deux Gouvernements et par délégation de ceux-ci l'ensemble des questions liées à la construction et à l'exploitation de la Liaison Fixe. (2) A l'égard des Concessionnaires, les deux Gouvernements exercent, par l'intermédiaire de la Commission intergouvernementale, leurs droits et obligations au titre de la Concession à l'exception de ceux concernant la modification, la prolongation, la suspension, la résiliation ou le transfert de cette dernière. (3) Au titre de sa mission, la Commission intergouvernementale doit notamment : (a) superviser la construction et l'exploitation de la Liaison Fixe ; (b) entreprendre toutes consultations nécessaires avec les concessionnaires ; (c) prendre des décisions au nom des deux Gouvernements pour l'exécution de la Concession ; (d) approuver les propositions du Comité de sécurité faites en application l'article 11 ; (e) élaborer ou participer à l'élaboration de tout règlement- applicable à la Liaison Fixe, y compris en matière maritime et d'environnement, et en assurer le suivi ; (f) examiner toute question qui lui serait soumise par les Gouvernements, Le Comité de sécurité ou dont l'examen lui paraîtrait nécessaire ; (g) émettre des avis et recommandations à l'égard des deux Gouvernements ou des Concessionnaires. (…) » ; que l'article 11 du même traité a prévu la mise en place d'un Comité de sécurité « pour conseiller et aider la Commission intergouvernementale sur toutes les questions liées à la sécurité de la construction et de l'exploitation de la Liaison Fixe », que par ailleurs aux termes de l'article 2 de la Concession quadripartite du 14 mars 1986 susvisée : « les concessionnaires ont le droit et l'obligation d'assurer … la conception, le financement, la construction et l'exploitation …. D'une Liaison Fixe Transmanche. Les concessionnaires agissent à leurs risques et périls et sans appel à des fonds gouvernementaux ou à des garanties gouvernementales de nature financière ou commerciale, quelque soient les aléas rencontrés … les gouvernements garantissent aux concessionnaires la liberté de fixer leur politique commerciale … les concédants n'interviennent pas dans la gestion ou l'exploitation de la Liaison Fixe » ; qu'aux termes de l'article 27 du contrat « relations avec la Commission intergouvernementale : 27.1 La Commission intergouvernementale est chargée de superviser, au nom des concédants, la construction et l'exploitation de la Liaison Fixe par les concessionnaires. 27.2. le Comité de sécurité est chargé d'exercer les fonctions prévues à l'article 11 du traité, sous l'autorité de la Commission intergouvernementale. 27.3 la Commission intergouvernementale agit au nom et pour le compte des deux concédants et s'efforce de faciliter les relations entre les concédants et les concessionnaires. 27.4 Après consultation des concessionnaires, la Commission intergouvernementale peut élaborer des règlements applicables à la Liaison Fixe auxquels force exécutoire est donnée en droit interne … 27.5 les Concessionnaires doivent suivre les instructions données par la Commission intergouvernementale et le Comité de sécurité dans l'exercice de leurs fonctions prévues à l'article 27.1 et 27.2 ; les Concédants, la Commission intergouvernementale et le Comité de sécurité ne prennent ni n'exécutent de décisions contraires à la présente concession. 27.6 Les concessionnaires fournissent à la Commission intergouvernementale et au Comité de sécurité, dans les délais raisonnables qui leur sont assignés, tous rapports et informations concernant l'exécution de leurs obligations que ces organismes jugent nécessaires. Les concessionnaires soumettent conjointement un rapport annuel de leur activité à la Commission intergouvernementale. 27.7 les Concédants s'assurent que dans l'exercice de leurs fonctions, la Commission intergouvernementale et le Comité de sécurité prennent les mesures appropriées pour faciliter l'exécution de la Concession. Les Concédants, la Commission intergouvernementale et le Comité de sécurité prennent en considération les préoccupations commerciales légitimes des concessionnaires, notamment pour éviter des dépenses et des délais inutiles » ;

Considérant en premier lieu qu'il résulte expressément des clauses précitées du contrat de concession quadripartite qu'à compter de l'approbation du contrat qu'ils avaient signés, les concessionnaires étaient seuls décideurs et par conséquent responsables de la conception, du financement, de la construction et de l'exploitation de la Liaison Fixe Transmanche ; que par suite, si M. X fait valoir que la dépréciation des titres Eurotunnel était en germe dans la structuration initiale du projet en raison des manquements dans la définition préalable des besoins, de l'implication excessive des entreprises actionnaires dans la réalisation du projet, de la mauvaise appréciation tant des coûts de construction que du calendrier de réalisation et des recettes d'exploitation, du caractère déséquilibré du contrat avec les compagnies ferroviaires, enfin des prises de sûreté excessives des banques prêteuses et de leur mainmise sur la gestion de la société Eurotunnel, ainsi que des lacunes des dirigeants et des maîtres d'oeuvre, ces griefs ne peuvent être imputés directement à l'Etat concédant qui n'avait aucune responsabilité directe ou déléguée ni dans la conception, le financement la construction et l'exploitation de l'ouvrage, ni dans la composition du capital d'Eurotunnel, la désignation des membres de son conseil d'administration ou de sa direction ;

Considérant en second lieu que M. X reprend ces mêmes griefs en faisant valoir que cet ensemble de défectuosités et insuffisances du projet de Liaison Fixe Transmanche est imputable aux insuffisances de la Commission intergouvernementale dans l'exercice des missions qui lui avaient été déléguées, pour la part qui le concerne, par l'Etat français ; qu'il résulte tant des termes de l'article 10 précité du traité que des clauses susvisées du contrat de concession relatives au rôle de la Commission et à ses rapports avec les concessionnaires, que compte tenu d'une part de la liberté exceptionnelle laissée par le traité et le contrat de concession aux concessionnaires dans l'exercice de leurs responsabilités, d'autre part des pouvoirs limités, hors les questions relevant de l'élaboration et du contrôle des normes de la sécurité et de la sûreté, de suivi, de liaison et de surveillance qui étaient conférés à cet organisme dans son rôle de superviseur du projet de Liaison Fixe, M. X n'établit pas que la Commission intergouvernementale aurait manqué à ses obligations en ne s'opposant pas aux diverses dérives d'ordre organisationnel, technique, financier et commercial qu'il invoque ; que si M. X impute par ailleurs son préjudice au déficit d'information des actionnaires, il n'appartenait pas à la Commission intergouvernementale d'intervenir dans les opérations boursières relatives à la constitution et à l'augmentation du capital, qui relevait de la seule responsabilité des sociétés Eurotunnel SA et Eurotunnel PLC, sous le contrôle de l'autorité boursière ;

Considérant enfin que si M. X impute une partie des difficultés financières d'Eurotunnel aux exigences excessives, en matière de sécurité, de la Commission intergouvernementale et du Comité de sécurité qui auraient, selon lui, contribué à l'alourdissement des charges, il ne résulte de l'instruction ni que le coût des règles édictées était exagéré au regard des normes de sécurité exigées en matière de police et de santé publique, ainsi qu'aux contraintes de sécurité de l'ouvrage et des rames de transport des personnes et du fret, ni que les exigences en la matière des Etats concédants aient été elles mêmes excessives ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. X n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant d'une part, à l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre des transports a rejeté sa demande indemnitaire en date du 30 décembre 2003, d'autre part à ce que l'Etat soit condamné à lui verser des sommes en réparation de son préjudice financier et de son préjudice moral ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, supporte la somme que M. X demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête susvisée de M. X est rejetée.

2
N° 06PA00614


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8éme chambre
Numéro d'arrêt : 06PA00614
Date de la décision : 18/02/2008
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. ROTH
Rapporteur ?: M. Philippe DIDIERJEAN
Rapporteur public ?: Mme DESTICOURT
Avocat(s) : SCP HUGLO LEPAGE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2008-02-18;06pa00614 ?
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