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21/06/2010 | FRANCE | N°06PA03105

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 21 juin 2010, 06PA03105


Vu la requête, enregistrée le 23 août 2006, présentée pour Mme Nicole A, demeurant ..., par Me Coudray ; Mme A demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0212519/5-2 en date du 22 juin 2006 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de 1'Etat à lui verser la somme de 227 638, 25 euros avec intérêts au taux légal au titre des préjudices qui ont résulté du retard avec lequel a été pris le décret n° 99-121 du 15 février 1999 fixant les conditions d'intégration de certains agents non titulaires du ministère de l'

équipement, des transports, et du logement dans le corps de fonctionnaires de...

Vu la requête, enregistrée le 23 août 2006, présentée pour Mme Nicole A, demeurant ..., par Me Coudray ; Mme A demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0212519/5-2 en date du 22 juin 2006 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de 1'Etat à lui verser la somme de 227 638, 25 euros avec intérêts au taux légal au titre des préjudices qui ont résulté du retard avec lequel a été pris le décret n° 99-121 du 15 février 1999 fixant les conditions d'intégration de certains agents non titulaires du ministère de l'équipement, des transports, et du logement dans le corps de fonctionnaires de catégorie A ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 227 638, 25 euros, sauf à prévoir que l'indemnité représentative du préjudice de pension sera versée sous la forme d'une rente mensuelle indexée, d'un montant 383, 71 euros sauf à parfaire, avec intérêts au taux légal et capitalisés ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 650 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 83-481 du 11juin 1983 ;

Vu la loi n° 84-16 du 11janvier 1984, modifiée ;

Vu le décret n° 99-121 du 15février1999 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 juin 2010 :

- le rapport de M. Piot, rapporteur,

- les conclusions de Mme Dely, rapporteur public,

-et les observations de Me Coudray, pour Mme A ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant que Mme A, recrutée en qualité d'agent contractuel le

1er juin 1971 par le ministre de l'équipement, demande la condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait du retard pris par l'administration pour édicter le décret organisant l'accès des personnels non titulaires du ministère de l'équipement aux corps de catégorie A de la fonction publique, conformément au principe d'intégration fixé par la loi du

11 janvier 1984 ; qu'elle fait appel du jugement en date du 22 juin 2006 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande et conclut à ce titre à la condamnation de l'Etat à lui payer la somme de 227 638, 25 euros, avec intérêts et capitalisation, en réparation du préjudice de carrière qu'elle a subi du fait de ce retard, du surcoût de cotisations de sécurité sociale, de la minoration de sa pension de retraite, de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence q'elle a subis ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'aux termes de l'article 73 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique : Les agents non titulaires qui occupent un emploi présentant les caractéristiques définies à l'article 3 du titre 1er du statut général ont vocation à être titularisés, sur leur demande, dans des emplois de même nature qui sont vacants ou qui seront créés par les lois de finances (...) ; que l'article 79 de la même loi prévoit également que des décrets en Conseil d' Etat peuvent organiser pour les agents non titulaires mentionnés aux articles 73, 74 et 76 de la loi l'accès aux différents corps de fonctionnaires suivant certaines modalités ; qu'aux termes de l'article 1 du décret susvisé du 15 février 1999 : Les agents non titulaires du ministère de l'équipement, des transports et du logement et de ses établissements publics qui occupent un emploi présentant les caractéristiques définies à l'article 3 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée et qui remplissent les conditions énumérées aux articles 73 et 74 (1°) de la loi du 11 janvier 1984 susvisée ont vocation à être titularisés, sur leur demande, dans un corps de fonctionnaires de catégorie A déterminé en application de l'article 80 de cette dernière loi, dans les conditions fixées par le tableau de correspondance annexé au présent décret (...) ; que ce même décret énonce dans son article 3 que : la titularisation prévue à l'article 1er (...) est subordonnée à la réussite d'un examen professionnel pour lequel, précise l'article 4, les agents no n titulaires disposent d'un délai d'un an à compter de la date de publication du décret pour déposer leur candidature ;

Considérant que le Gouvernement avait l'obligation de prendre les décrets d'application des dispositions précitées de la loi du 11 janvier 1984 dans un délai raisonnable ; qu'en ce qui concerne les agents non titulaires du ministère de l'équipement ayant vocation à être nommés dans un corps de catégorie A le délai de quinze ans pris pour édicter les dispositions d'intégration doit être regardé comme ayant excédé la durée raisonnable, et a donc été constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

Considérant que si Mme A n'a pas jugé opportun de demander sa titularisation en application du décret précité du 15 février 1999, cette circonstance, quels qu'en soient les motifs, est sans influence sur l'étendue de la réparation à laquelle elle a droit, laquelle doit s'apprécier par comparaison entre le déroulement de sa carrière consécutif à l'abstention fautive de l'Etat et le déroulement de carrière qui aurait été le sien si au 1er janvier 1987, avait été publié le décret d'application dont s'agit, comme en avait l'obligation l'administration, qui ne se prévaut à cet égard d'aucune difficulté particulière ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, depuis son recrutement en qualité de non titulaire, la requérante a exercé, au sein de différents services déconcentrés du ministre de l'équipement, des transports et du logement, des fonctions de responsabilité dans lesquelles elle a donné entièrement satisfaction ; qu'ainsi l'examen professionnel d'intégration susmentionné qu'aurait eu à présenter Mme A n'aurait pas été hors de sa portée ; que, par suite, l'absence de publication dudit décret à la date susindiquée l'a privé d'une chance sérieuse d'être titularisée lui causant ainsi un préjudice certain ;

Sur le préjudice :

Considérant, d'une part, que, dans le dernier état de ses conclusions, l'administration admet qu'eu égard à ses mérites professionnels, l'intéressée a perdu une chance sérieuse d'accéder au grade d'attaché principal d'administration centrale à compter du 1er juillet 1995, soit 8 ans et 6 mois après le 1er janvier 1987, si elle avait été titularisée à cette date, conformément à la durée moyenne de promotion de l'ensemble des attachés d'administration central intégrés entre 1985 et 1989 ;

Considérant, d'autre part, que le Gouvernement avait l'obligation de prendre les décrets en Conseil d'Etat prévus par les articles 79 et 80 de la loi du 11 janvier 1984 dans un délai raisonnable qui est en l'espèce largement dépassé ; que toutefois, il résulte des dispositions précitées, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 28 mai 1996, que les agents non titulaires du niveau de la catégorie A, quelles que soient les fonctions qu'ils exercent et le niveau et la nature des emplois qu'ils occupent, ne peuvent accéder aux corps de fonctionnaires de la catégorie dite A supérieure ; qu'ainsi, l'auteur du décret attaqué pouvait légalement prévoir, en application des dispositions précitées de l'article 80 de la loi du 11 janvier 1984 complétée par la loi du 28 mai 1996, que les agents non titulaires du niveau de la catégorie A avaient seulement vocation à être titularisés dans des corps d'attachés d'administration centrale, d'ingénieurs de travaux ou des corps d'attachés d'administration centrale, d'ingénieurs de travaux ou des corps de niveau équivalent et n'ouvrir aucune possibilité de titularisation dans un corps de catégorie supérieure ; qu'il s'en suit, que l'abstention prolongée du Gouvernement de prendre les décrets prévues par la loi du 11 janvier 1984 n'est pas, dans ces conditions, constitutive d'une faute ayant privé Mme A de la possibilité d'être intégrée dans le corps des administrateurs civils ; que la requérante ne saurait dès lors soutenir qu'elle a subi un préjudice né de l'absence de titularisation dans ce corps ;

Considérant, en premier lieu, que le comportement fautif de l'Etat est à l'origine pour Mme A d'une perte de rémunération et d'un trop versé de cotisations sociales qui doivent donner lieu à indemnisation ; que notamment le retard à édicter le décret dont s'agit a eu pour effet que les conditions dans lesquelles elle aurait pu être titularisée en 1999 étaient moins avantageuses pour elle que son maintien dans la situation de contractuel, ce qui n'eût pas été le cas si elle avait pu être titularisée en 1987 ; que par suite la période pendant laquelle doit se calculer son droit à réparation défini ci-dessus va du 1er janvier 1987 au 18 janvier 2012, date de son départ à la retraite ; qu'en demandant la somme de 97 524 euros, Mme A n'a pas fait une appréciation exagérée de ces chefs de préjudices ; que, par suite, il y a lieu de lui allouer la somme de 97 524 euros ;

Considérant, en deuxième lieu, que, du fait du retard pris dans sa carrière,

Mme A subit un préjudice lié à la minoration du montant de sa pension de retraite ; que, toutefois, Mme A n'a pas encore été admise à faire valoir ses droits à la retraite, et n'atteindra cet âge que le 18 janvier 2012 ; qu'ainsi, à la date du présent arrêt, la réalité d'un tel préjudice ne peut être tenue pour établie ; que, par suite, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'indemnisation présentée à ce titre par Mme A ;

Considérant, enfin, que si le préjudice moral allégué par la requérante n'est pas établi, elle a subi des troubles dans ses conditions d'existence du fait de son maintien dans une situation non statutaire jusqu'en 1999 ; qu'il sera fait une juste appréciation de la réparation due de ce chef de préjudice en condamnant l'Etat à verser une somme de 1 000 euros ;

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

Considérant que les sommes mentionnées ci-dessus doivent porter intérêts à compter du 6 septembre 2002, date de l'enregistrement de sa demande devant le Tribunal administratif de Paris ;

Considérant que, le 5 novembre 2004, date de la première demande par

Mme A de capitalisation des intérêts, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément à l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande à cette date, ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 500 euros au titre des frais exposés par Mme A et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement susvisé du Tribunal administratif de Paris en date 22 juin 2006 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme A la somme de 98 524 euros assortie des intérêts au taux légal, à compter du 6 décembre 2002. Les intérêts échus le 5 novembre 2004 seront capitalisés à cette date, ainsi qu'à chaque échéance annuelle pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'Etat versera à Mme A une somme de 500 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A est rejeté.

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N° 06PA03105


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. FOURNIER DE LAURIERE
Rapporteur ?: M. Jean-Marie PIOT
Rapporteur public ?: Mme DELY
Avocat(s) : COUDRAY

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Date de la décision : 21/06/2010
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 06PA03105
Numéro NOR : CETATEXT000022512630 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2010-06-21;06pa03105 ?
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