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07/06/2012 | FRANCE | N°11NT03076

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 07 juin 2012, 11NT03076


Vu, enregistrée au greffe de la cour le 5 décembre 2011, la décision du 16 novembre 2011 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi en cassation présenté par la COMMUNE DE CHERBOURG-OCTEVILLE, a annulé l'arrêt n° 09NT00882 du 29 septembre 2010 de la cour administrative d'appel de Nantes qui avait rejeté la requête de cette commune tendant à l'annulation du jugement n° 07-900 du 11 février 2009 par lequel le tribunal administratif de Caen avait lui-même rejeté sa demande à fin de condamnation de l'Etat (ministre du budget) à lui payer la somme d

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Vu, enregistrée au greffe de la cour le 5 décembre 2011, la décision du 16 novembre 2011 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi en cassation présenté par la COMMUNE DE CHERBOURG-OCTEVILLE, a annulé l'arrêt n° 09NT00882 du 29 septembre 2010 de la cour administrative d'appel de Nantes qui avait rejeté la requête de cette commune tendant à l'annulation du jugement n° 07-900 du 11 février 2009 par lequel le tribunal administratif de Caen avait lui-même rejeté sa demande à fin de condamnation de l'Etat (ministre du budget) à lui payer la somme de 3 375 400 euros, augmentée des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait des fautes commises par l'administration fiscale à l'occasion de l'établissement et du recouvrement de la taxe professionnelle due par la direction des constructions navales (DCN) pour son établissement situé à Cherbourg au titre des années 1996 à 2001, et a renvoyé l'affaire devant ladite cour ;

Vu la requête, enregistrée le 10 avril 2009, présentée pour la COMMUNE DE CHERBOURG-OCTEVILLE, représentée par son maire en exercice, par Me Valadou, avocat au barreau de Quimper ; la COMMUNE DE CHERBOURG-OCTEVILLE demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 07-900 du 11 février 2009 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme 3 375 400 euros en réparation du préjudice que lui ont causé les fautes commises par l'administration fiscale à l'occasion de l'établissement et du recouvrement de la taxe professionnelle due par la société anonyme " Direction des constructions navales " (DCN) ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 375 400 euros majorée des intérêts

au taux légal à compter du 27 décembre 2006, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisés ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code civil ;

Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 mai 2012 :

- le rapport de M. Hervouet, premier conseiller,

- les conclusions de M. Degommier, rapporteur public,

- et les observations de Me Allaire, substituant Me Valadou, avocat de la COMMUNE DE CHERBOURG-OCTEVILLE ;

Considérant que la COMMUNE DE CHERBOURG-OCTEVILLE a, par une lettre en date du 19 juillet 2004, demandé à l'administration fiscale de procéder à la rectification de la valeur locative déclarée par la direction des constructions navales (DCN) à raison de son établissement de Cherbourg-Octeville en vue du calcul de la cotisation de taxe professionnelle afférente à l'année 2001, et d'émettre en conséquence un rôle supplémentaire au titre de cette année ; que, saisi d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le rejet implicite opposé par le service à cette demande et la décision confirmative du directeur des services fiscaux de la Manche en date du 18 novembre 2004, le tribunal administratif de Caen a, par un jugement du 21 février 2006 devenu définitif, annulé ces décisions au motif que la valeur locative litigieuse avait été déterminée, jusqu'en 1999, compte tenu d'un prix de revient déclaré hors taxe sur la valeur ajoutée des immobilisations de l'établissement de la DCN sis à Cherbourg-Octeville, en méconnaissance des dispositions combinées des articles 1469 et 1499 du code général des impôts et 310 HF de l'annexe III au même code ; que, saisie par la COMMUNE DE CHERBOURG-OCTEVILLE, par un courrier du 22 décembre 2006 reçu le 27, d'une demande de versement d'une indemnité d'un montant égal à celui des recettes fiscales dont elle a estimé avoir été privée au titre des années 1996 à 2001, l'administration n'a pas répondu ; que, saisi de ce nouveau litige, le tribunal administratif de Caen a, par un jugement du 11 février 2009, confirmé par un arrêt de la cour en date du 29 septembre 2010, rejeté la demande de la commune tendant à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice qu'elle estimait avoir subi à raison de la carence fautive de l'administration fiscale, au motif qu'en liquidant la taxe professionnelle sur la base de la valeur locative des immobilisations corporelles déclarée par la DCN dont elle n'avait pas de raison de suspecter qu'elle avait été déterminée compte tenu d'un prix de revient ne comprenant pas la TVA, l'administration n'avait commis aucune faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; que, par une décision rendue le 16 novembre 2011, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, sur pourvoi de la COMMUNE DE CHERBOURG-OCTEVILLE, a annulé l'arrêt précité et a renvoyé l'affaire devant la cour ;

Considérant qu'une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard d'une collectivité territoriale ou de toute autre personne publique si elle leur a directement causé un préjudice ; qu'un tel préjudice peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et notamment du fait de ne pas avoir perçu des impôts ou taxes qui auraient dû être mis en recouvrement ; que l'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité ;

Sur l'exception de prescription :

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi susvisée du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. / Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public " ; qu'aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par (...) / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance (...) / Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption (...) " ; qu'aux termes de l'article 3 de la même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement " ; qu'il résulte de ces dispositions, notamment, que le point de départ de la prescription quadriennale est la date à laquelle la victime est en mesure de connaître l'origine du dommage dont elle entend obtenir réparation, ou du moins de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de l'administration ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'accroissement des bases de la taxe professionnelle due par la DCN au titre de l'année 2002 par rapport à celles de la taxe due au titre de l'année précédente a été porté à la connaissance de la COMMUNE DE CHERBOURG-OCTEVILLE au cours de l'année 2002, lorsque le service des impôts lui a communiqué les matrices de taxe professionnelle au titre de cette année ; que, par suite et en tout état de cause, lorsqu'elle a, le 22 décembre 2006, adressé à l'administration fiscale une demande d'indemnité en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait des fautes commises par l'administration fiscale à l'occasion de l'établissement et du recouvrement de la taxe professionnelle due par la DCN au titre des années antérieures à l'année 2002, la créance litigieuse n'était pas prescrite ;

Sur la responsabilité :

Considérant, d'une part, que la COMMUNE DE CHERBOURG-OCTEVILLE a, par une réclamation présentée le 19 juillet 2004, demandé au service des impôts de rectifier les bases de la taxe professionnelle due par la DCN au titre de l'année 2001 et d'émettre un rôle supplémentaire, en invoquant l'augmentation brutale de la valeur locative des matériels et outillages déclarée entre les années 1999 et 2000, périodes de référence pour le calcul de la taxe professionnelle due au titre des années 2001 et 2002 ; qu'en s'abstenant d'engager une procédure de contrôle de manière à être en mesure de notifier des redressements avant le 1er janvier 2005, date d'expiration du délai de reprise de la taxe professionnelle due au titre de l'année 2001, l'administration, qui n'avait procédé à aucune vérification des bases d'imposition de celle-ci depuis plusieurs années, a commis une faute de nature à engager son entière responsabilité à l'égard de la collectivité territoriale ;

Considérant, d'autre part, qu'en ne procédant durant plusieurs années à aucune vérification des bases d'imposition à la taxe professionnelle due par la DCN à raison de ses installations de Cherbourg-Octeville, alors que les difficultés inhérentes à l'établissement de ces bases avait déjà été relevées à l'occasion de deux litiges opposant le contribuable à l'administration fiscale et portant sur des impositions des années 1980, le service des impôts a également commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de la collectivité territoriale ; que toutefois, eu égard à la double circonstance que la COMMUNE DE CHERBOURG-OCTEVILLE n'a présenté aucune contestation relative à la taxe professionnelle avant la fin de l'année 2004 et que la construction navale militaire a connu à partir de 1997 des transformations substantielles et, notamment, en 2000 puis en 2003, des changements de statut pouvant rendre plus complexe l'établissement des bases de la taxe professionnelle, il y a lieu d'estimer que la responsabilité de l'administration fiscale ne peut être engagée, s'agissant des années antérieures à l'année 2001 alors exclues de son droit de reprise, qu'à hauteur du tiers des préjudices subis par la commune à raison de la sous-estimation des cotisations de taxe professionnelle ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a estimé que la responsabilité de l'Etat (ministre du budget), n'était pas engagée à raison des carences invoquées par la COMMUNE DE CHERBOURG-OCTEVILLE ; qu'il y a lieu, par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens, relatifs au préjudice qu'elle estime avoir subi, qui ont été soulevés par cette dernière tant en première instance qu'en appel ;

Sur le préjudice :

Considérant que le préjudice subi par une commune en raison de la faute commise par l'administration lors de l'évaluation de la valeur locative d'un bien pour le calcul de la taxe professionnelle est constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la variation de la valeur locative des matériels et outillages entre les années 1999 et 2000, constatée dans les bases de la taxe professionnelle au titre des années 2001 et 2002, est due, outre au recours à des matériels et outillages nouveaux, en particulier dans le cadre d'un nouveau programme de construction de sous-marins, à la circonstance que la base de la valeur locative des matériels et outillages déclarée hors taxe par la DCN jusqu'en 2001 a été, à partir de l'année 2002, déclarée taxe sur la valeur ajoutée comprise, ainsi qu'elle aurait dû l'être auparavant ; que le ministre, dont l'administration a reconnu que la principale justification de l'augmentation des bases d'imposition constatée en 2002 est due à la TVA et a indiqué que le site de Cherbourg-Octeville avait déclaré jusqu'en 1999, année de référence de la taxe professionnelle due au titre de l'année 2001, ses immobilisations hors taxe, n'établit pas que la DCN n'aurait pas enregistré hors TVA la totalité des immobilisations et les loyers des équipements et biens immobiliers pris en location ; que, par suite, le préjudice subi par la COMMUNE DE CHERBOURG-OCTEVILLE au titre de l'année 2001, constitué de sa perte de recettes, est égal à la taxe professionnelle due par la DCN sur la valeur de la TVA applicable aux matériels et outillages utilisés en 1999, application faite de l'abattement de 16 % prévu par l'article 1472 A bis du CGI et du taux de la taxe professionnelle alors en vigueur ; que ce préjudice ressortit ainsi à 441 898 euros pour l'année 2001 ; que, s'agissant des années antérieures, ce préjudice sera, compte tenu du partage de responsabilité arrêté ci-dessus, limité pour chaque année, au tiers de la perte de recettes déterminée selon les mêmes modalités de calcul soit, compte tenu des taux applicables, 167 020 euros, 159 346 euros et 160 616 euros au titre, respectivement, des années 1998, 1999 et 2000 ; qu'enfin, s'agissant des années antérieures à l'année 1998, les pièces produites au dossier par la requérante ne permettent pas d'établir avec une précision suffisante sa perte de recettes et, par conséquent, de déterminer la réalité et l'étendue de son préjudice ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la COMMUNE DE CHERBOURG-OCTEVILLE est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande indemnitaire ;

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

Considérant, d'une part, qu'il y a lieu de condamner l'Etat à payer les intérêts au taux légal sur la somme de 928 880 euros mise à sa charge par le présent arrêt à compter du 27 décembre 2006, date de réception par l'administration fiscale de la demande préalable de la COMMUNE DE CHERBOURG-OCTEVILLE ;

Considérant, d'autre part, que la COMMUNE DE CHERBOURG-OCTEVILLE a demandé la capitalisation des intérêts par un mémoire enregistré le 27 avril 2007 au greffe du tribunal administratif ; qu'à cette dernière date, les intérêts n'étant pas dus pour une année entière, il n'y a lieu, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, de faire droit à la demande de capitalisation qu'à compter du 27 décembre 2007, date à laquelle était due, pour la première fois, une année entière d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat le versement à la COMMUNE DE CHERBOURG-OCTEVILLE de la somme de 1 500 euros qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 07-900 du 11 février 2009 du tribunal administratif de Caen est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à payer à la COMMUNE DE CHERBOURG-OCTEVILLE la somme de 928 880 euros (neuf cent vingt huit mille huit cent quatre-vingt euros), avec intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2006. Les intérêts échus à la date du 27 décembre 2007, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'Etat versera à la COMMUNE DE CHERBOURG-OCTEVILLE une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la COMMUNE DE CHERBOURG-OCTEVILLE est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la COMMUNE DE CHERBOURG-OCTEVILLE et au ministre de l'économie, des finances et du commerce extérieur.

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N° 11NT03076 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 11NT03076
Date de la décision : 07/06/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Fondement de la responsabilité - Responsabilité pour faute - Application d'un régime de faute simple.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Services économiques - Services fiscaux.


Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: M. Christophe HERVOUET
Rapporteur public ?: M. DEGOMMIER
Avocat(s) : VALADOU

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2012-06-07;11nt03076 ?
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