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19/05/2016 | FRANCE | N°15MA01713

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre - formation à 3, 19 mai 2016, 15MA01713


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) JT a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune de Marseille à lui verser une somme de 18 410 811,05 euros assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation en réparation de préjudices résultant de l'exercice fautif du droit de préemption urbain sur un ensemble industriel situé 287 chemin de la Madrague-Ville.

Par un jugement n° 1304186 du 24 février 2015, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. r>
Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 24 avril 2015, complétée ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) JT a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune de Marseille à lui verser une somme de 18 410 811,05 euros assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation en réparation de préjudices résultant de l'exercice fautif du droit de préemption urbain sur un ensemble industriel situé 287 chemin de la Madrague-Ville.

Par un jugement n° 1304186 du 24 février 2015, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 24 avril 2015, complétée par un mémoire enregistré le 26 février 2016, la SCI JT, représenté par MeA..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 24 février 2015 ;

2°) de condamner la commune de Marseille à lui verser la somme de 18 410 811,05 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 mars 2013 et de la capitalisation à compter du 9 mars 2014 puis à chaque échéance annuelle, à parfaire en fonction du préjudice de pertes de loyers subi à compte du 1er janvier 2013 et jusqu'à la restitution et reconstruction du bien ;

3°) subsidiairement, de désigner un expert afin de déterminer la valeur locative du bien concerné et le montant des loyers perçus par la commune de Marseille, et d'établir le préjudice résultant de la préemption illégale et du maintien fautif dans les lieux de la commune ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Marseille une somme de 5 400 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'illégalité de la décision de préemption est la cause directe et certaine de la perte des loyers qu'elle aurait dû percevoir par transfert des baux conclus par le vendeur sur 11 des 13 lots de l'immeuble ;

- le tribunal aurait dû tenir compte de la poursuite des baux commerciaux en cours dans l'immeuble préempté d'où un préjudice de perte de chance ;

- à supposer même que les preneurs aient donné congé dès l'acquisition de l'immeuble, ils devaient au propriétaire une somme de 340 000 euros par application de l'article L. 145-9 du code de commerce ;

- les premiers juges ont considéré à tort que le préjudice ne pouvait consister en la valeur locative brute des locaux, alors que les baux commerciaux font peser exclusivement sur le preneur la charge de l'entretien et de la fiscalité de l'immeuble ;

- elle a toujours maintenu son intention d'acquérir le bien.

- la commune de Marseille, qui ne lui a pas rétrocédé le bien malgré ses démarches, a au contraire détruit une grande partie des locaux loués ce qui lui crée un préjudice supplémentaire ;

- la prescription quadriennale ne peut s'appliquer à sa créance et lui a été en outre irrégulièrement opposée.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 décembre 2015, la commune de Marseille conclut à la confirmation du jugement contesté, au rejet de la requête de la SCI JT, et à ce que soit mise à la charge de celle-ci une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande de la SCI JT est irrecevable ;

- la créance dont se prévaut la requérante était prescrite à compter du 31 décembre 2007 en vertu de la loi du 31 décembre 1968 ;

- la décision de préemption litigieuse étant justifiée au fond par un projet d'intérêt général, elle n'a commis aucune faute susceptible d'ouvrir droit à réparation à la SCI JT ;

- la caducité de la promesse de vente fait obstacle à ce que la requérante se prévale d'un quelconque droit sur le bien préempté ;

- la SCI JT ne démontre aucun préjudice réel et certain ;

- les bâtiments présents sur le terrain étaient vétustes, présentaient des risques et ne pouvaient être conservés sans un coût prohibitif ;

- l'expertise sollicitée est inutile.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de commerce ;

- le code de l'urbanisme ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Hameline,

- les conclusions de M. Revert, rapporteur public,

- les observations de Me B...substituant Me A...représentant la SCI JT, et celles de Me C...représentant la commune de Marseille.

Vu la note en délibéré présentée pour la SCI JT le 2 mai 2016 ;

1. Considérant que, par un jugement du 22 mars 2012, le tribunal administratif de Marseille a annulé pour excès de pouvoir la décision du 27 août 2003 par laquelle le maire de Marseille avait décidé d'exercer le droit de préemption urbain sur une parcelle cadastrée section M n°48 comportant des bâtiments à usage d'entrepôts et de bureaux située 287 chemin de la Madrague-Ville, dont la SCI JT s'était portée acquéreur ; que ce jugement a été confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 5 décembre 2013 devenu définitif ; que la SCI JT a demandé au tribunal administratif de Marseille, après sommation interpellative à la commune du 8 mars 2013 demeurée sans réponse, la réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision de préemption et des agissements consécutifs de la commune de Marseille pour un montant total de 18 410 811,05 euros ; que le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande par un jugement du 24 février 2015, dont elle interjette appel ;

2. Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la demande de la SCI JT ;

Sur le bien-fondé du jugement contesté :

En ce qui concerne la réparation des préjudices résultant de l'illégalité de la décision de préemption du 27 août 2003 :

3. Considérant que si toute illégalité qui entache une décision de préemption constitue en principe une faute de nature à engager la responsabilité de la collectivité au nom de laquelle cette décision a été prise, une telle faute ne peut donner lieu à la réparation du préjudice subi par le vendeur ou l'acquéreur évincé lorsque, les circonstances de l'espèce étant de nature à justifier légalement la décision de préemption, le préjudice allégué ne peut être regardé comme la conséquence du vice dont cette décision est entachée ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. " ; qu'il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption ;

5. Considérant que l'arrêté de préemption du 27 août 2003, annulé en raison de l'incompétence de son auteur, mentionnait que l'acquisition du terrain en cause était nécessaire en vue de constituer un " pôle logistique technique " afin de regrouper des services techniques de la commune de Marseille alors dispersés sur plusieurs sites et de réorganiser la répartition de ses locaux avec ceux de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole ; que la commune justifiait ainsi, à la date de la décision, d'un projet d'opération répondant aux conditions fixées par les dispositions précitées du code de l'urbanisme ; que la SCI JT ne conteste pas utilement la réalité, à cette date, du projet de la commune qui justifiait ainsi légalement l'exercice du droit de préemption ; que la circonstance que la commune ait manifesté l'intention, plusieurs années plus tard, de donner une autre destination à l'immeuble demeure à cet égard sans influence ; que, par suite, les préjudices dont se prévaut la requérante du fait de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée, en raison de la préemption, de donner suite à la promesse de vente de l'immeuble qu'elle avait contractée, ne peuvent être regardés comme la conséquence directe du vice de légalité externe dont est entachée la décision du 27 août 2003 ;

En ce qui concerne la réparation du préjudice résultant de la démolition de bâtiments par la commune de Marseille postérieurement à la préemption :

6. Considérant que l'annulation par le juge de l'excès de pouvoir de l'acte par lequel le titulaire du droit de préemption décide d'exercer ce droit emporte pour conséquence que ce titulaire doit être regardé comme n'ayant jamais décidé de préempter ; qu'ainsi, cette annulation implique nécessairement, sauf atteinte excessive à l'intérêt général appréciée au regard de l'ensemble des intérêts en présence, que le titulaire du droit de préemption, s'il n'a pas entre temps cédé le bien illégalement préempté, prenne toute mesure afin de mettre fin aux effets de la décision annulée ; qu'il doit proposer à l'acquéreur évincé puis, le cas échéant, au propriétaire initial d'acquérir le bien, et ce, à un prix visant à rétablir autant que possible et sans enrichissement sans cause de l'une quelconque des parties les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle ; que ce prix doit notamment prendre en compte les éventuelles modifications apportées au bien consécutivement à l'exercice de la préemption litigieuse ;

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que plusieurs bâtiments à usage d'entrepôts et de locaux industriels existant sur le terrain à la date de la promesse de vente initiale entre la CCPMA Retraite et la SCI JT ont été démolis par la commune de Marseille après que celle-ci ait exercé le droit de préemption ; que, par jugement du 22 mars 2012, confirmé par arrêt de la Cour déjà mentionné du 5 décembre 2013, le tribunal administratif de Marseille a toutefois enjoint à la commune de Marseille sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, en conséquence de l'annulation de la décision de préemption, de proposer à la SCI JT la rétrocession du terrain dans un délai de deux mois au prix de la déclaration d'intention d'aliéner modifié afin de prendre en compte la démolition partielle de bâtiments existants sur la parcelle ; qu'ainsi, et sans qu'ait d'influence à cet égard la circonstance que la commune ait méconnu le délai qui lui était ainsi imparti, celle-ci demeure tenue, à la date du présent arrêt, de rétrocéder la parcelle préemptée à la SCI JT à un prix tenant compte de la différence de valeur vénale résultant de la destruction de bâtiments opérée sur la parcelle postérieurement à 2003 ; que, par suite, la SCI JT ne peut faire valoir qu'elle aurait subi, du fait de cette même démolition de bâtiments, un préjudice certain lui ouvrant par ailleurs droit à réparation pour un montant de 10,4 millions d'euros qui n'est, au demeurant, aucunement établi ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de diligenter l'expertise demandée, que la SCI JT n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Marseille a rejeté les conclusions de sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Marseille, qui n'est pas la partie perdante, voit mise à sa charge une quelconque somme au titre des frais exposés par la SCI JT et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune sur le fondement des mêmes dispositions ;

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SCI JT est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Marseille en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière JT et à la commune de Marseille.

Délibéré après l'audience du 25 avril 2016, où siégeaient :

- M. Bocquet, président,

- M. Pocheron, président-assesseur,

- Mme Hameline, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 19 mai 2016.

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N° 15MA001713


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15MA01713
Date de la décision : 19/05/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Services de l'urbanisme.

Urbanisme et aménagement du territoire - Procédures d'intervention foncière - Préemption et réserves foncières - Droits de préemption - Droit de préemption urbain.


Composition du Tribunal
Président : M. BOCQUET
Rapporteur ?: Mme Marie-Laure HAMELINE
Rapporteur public ?: M. REVERT
Avocat(s) : GUIN

Origine de la décision
Date de l'import : 17/06/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2016-05-19;15ma01713 ?
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