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05/06/2018 | FRANCE | N°16NC02079

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 05 juin 2018, 16NC02079


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... Del Popolo a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 8 août 2013 par lequel la ministre de la justice a prononcé son licenciement pour abandon de poste et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation de ses préjudices.

Par un jugement n° 1304416 du 28 juillet 2016, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 septembre 2016 et trois mémoire

s complémentaires enregistrés le 1er février 2017, le 11 octobre 2017 et le 7 mai 2018, M. C.....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... Del Popolo a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 8 août 2013 par lequel la ministre de la justice a prononcé son licenciement pour abandon de poste et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation de ses préjudices.

Par un jugement n° 1304416 du 28 juillet 2016, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 septembre 2016 et trois mémoires complémentaires enregistrés le 1er février 2017, le 11 octobre 2017 et le 7 mai 2018, M. C... Del Popolo, représenté par Me D..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 28 juillet 2016 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 8 août 2013 ;

3°) d'ordonner une expertise aux fins de se prononcer sur l'ensemble de ses préjudices ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser, à titre de provision, la somme de 100 000 euros en réparation de ses préjudices, cette somme étant assortie des intérêts légaux capitalisés ;

5°) d'enjoindre à l'Etat de procéder à sa réintégration et de reconstituer sa carrière, sous astreinte, et de reconnaître l'imputabilité au service de tous ses accidents de travail ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le signataire du mémoire en défense n'a pas qualité pour agir ;

- l'arrêté contesté a été signé par une autorité incompétente ;

- les accidents dont il a été victime sont imputables au service, notamment l'accident survenu le 11 janvier 2011 à l'origine de son licenciement ;

- l'administration n'a pas évalué les risques auxquels il était exposé, en méconnaissance des articles L. 4121-1 à L. 4121-3 du code du travail ;

- la directrice interrégionale des services pénitentiaires Est-Strasbourg et l'ensemble des membres de la direction interrégionale étaient incompétents pour saisir la commission de réforme et se prononcer sur l'imputabilité au service de ses accidents de travail ;

- la mise en demeure de reprendre ses fonctions est irrégulière dès lors qu'elle lui a été envoyée à une adresse erronée, qu'elle a été signée par une autorité incompétente, qu'elle omet de préciser l'adresse du service et comporte des mentions incomplètes ;

- il n'a pas été avisé de cette mise en demeure ;

- son absence est justifiée par un certificat médical de prolongation d'arrêt de travail ;

- le licenciement litigieux est à l'origine de multiples préjudices.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 avril 2018, la ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

La ministre de la justice fait valoir que :

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés ;

- le recours présente un caractère abusif.

M. Del Popolo a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 décembre 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq,

- et les conclusions de M. Collier, rapporteur public.

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. Del Popolo, secrétaire administratif affecté à la maison d'arrêt de Sarreguemines, a été placé en congé de maladie ordinaire du 11 janvier 2011 au 31 janvier 2012 ; que l'intéressé, qui conteste le refus de l'administration d'imputer ses arrêts de travail au service, ne s'est pas soumis aux opérations d'expertise médicale diligentées en vue de l'examen de sa situation par le comité médical, malgré les multiples convocations qui lui ont été adressées au cours des années 2012 et 2013 ; qu'après avoir mis en demeure M. Del Popolo de reprendre ses fonctions le 5 août 2013 au plus tard, la ministre de la justice a, par un arrêté du 8 août 2013, prononcé son licenciement pour abandon de poste ; que le requérant fait appel du jugement du 28 juillet 2016 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté et à la condamnation de l'Etat à réparer l'ensemble de ses préjudices ;

Sur la recevabilité du mémoire en défense présenté par la ministre de la justice :

2. Considérant que, par une décision du 29 décembre 2017 publiée au Journal officiel de la République française du 10 janvier 2018, M. A...B..., chef du bureau du contentieux administratif, a reçu délégation pour signer au nom de la ministre de la justice l'ensemble des actes relevant du bureau du contentieux administratif et du conseil de la sous-direction des affaires juridiques générales et du contentieux, à l'exclusion des décrets ; que les circonstances que l'arrêté de délégation de signature ne précise pas expressément que M. B...est le chef du bureau du contentieux administratif, que le mémoire déposé le 24 avril 2018 omette de rappeler la qualité d'administrateur civil hors classe de M. B...et que celui-ci ait signé ledit mémoire sous un cachet visant " le ministre de la justice " sont sans incidence sur la compétence de l'intéressé pour défendre au nom de la ministre ; que la fin de non recevoir opposée par M. Del Popolo au mémoire en défense présentée par l'administration ne peut qu'être écartée ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. Considérant qu'une mesure de radiation des cadres pour abandon de poste ne peut être régulièrement prononcée que si l'agent concerné a, préalablement à cette décision, été mis en demeure de rejoindre son poste ou de reprendre son service dans un délai approprié qu'il appartient à l'administration de fixer ; qu'une telle mise en demeure doit prendre la forme d'un document écrit, notifié à l'intéressé, l'informant du risque qu'il court d'une radiation des cadres sans procédure disciplinaire préalable ; que lorsque l'agent ne s'est pas présenté et n'a fait connaître à l'administration aucune intention avant l'expiration du délai fixé par la mise en demeure, et en l'absence de toute justification d'ordre matériel ou médical, présentée par l'agent, de nature à expliquer le retard qu'il aurait eu à manifester un lien avec le service, cette administration est en droit d'estimer que le lien avec le service a été rompu du fait de l'intéressé ;

4. Considérant que la directrice interrégionale des services pénitentiaires Est-Strasbourg a, par un courrier daté du 12 juillet 2013, mis en demeure M. Del Popolo de reprendre ses fonctions à la maison d'arrêt de Sarreguemines le lundi 5 août 2013 à 9 heures, sous peine d'être licencié pour abandon de poste sans respect de la procédure disciplinaire ; qu'il ressort des pièces du dossier que cette mise en demeure a été adressée à M. Del Popolo au 2 A rue de Forbach à Behren-lès-Forbach alors que l'intéressé réside, dans la même ville, au 2 rue de Forbach, où lui étaient jusqu'alors adressés tous les courriers transmis par le service ; qu'il ne ressort d'aucune pièce du dossier et qu'il n'est pas soutenu par l'administration que le requérant présenterait quelque lien que ce soit avec le 2 A rue de Forbach qui correspond à l'adresse d'une entreprise d'électroménager ; que, dans ces conditions, alors que le pli a été retourné à l'administration le 2 août 2013 sans avoir été remis à son destinataire, M. Del Popolo est fondé à soutenir que sa radiation des cadres pour abandon de poste n'a pas été régulièrement prononcée ; qu'à cet égard, la circonstance que le pli a été renvoyé au service avec la mention " pli avisé et non réclamé " plutôt qu'avec la mention " n'habite pas à l'adresse indiquée " n'est pas de nature à établir que M. Del Popolo aurait été destinataire d'un avis de passage lui permettant de retirer le pli litigieux auprès des services postaux, malgré l'erreur entachant l'adresse du destinataire ; que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de légalité soulevés par M. Del Popolo, celui-ci est donc fondé à soutenir que la décision le radiant des cadres pour abandon de poste doit être annulé ;

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

5. Considérant qu'en raison de l'annulation, pour excès de pouvoir, de la décision de radiation des cadres pour abandon de poste au motif qu'il n'a pas été régulièrement mis en demeure de rejoindre son poste dans un délai approprié, M. Del Popolo a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de cette mesure illégalement prise à son encontre ; que sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente un lien direct de causalité ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. Del Popolo, dont le congé de maladie ordinaire a pris fin le 1er février 2012, s'est soustrait, au cours de l'année 2012, aux opérations d'expertise psychiatrique diligentées aux fins que le comité médical se prononce sur sa situation et la prolongation de son congé de maladie ; que la séance de ce comité a dû en conséquence être ajournée les 15 mars 2012, 26 avril 2012 et 24 mai 2012 ; que l'administration lui ayant demandé par un courrier du 25 mai 2012, de justifier de son absence, le requérant s'est borné en réponse à solliciter la reconnaissance de l'imputabilité au service du " choc émotionnel " qu'il aurait subi à la lecture de ce courrier, sans chercher à prendre l'attache du service aux fins de permettre l'examen de son dossier par le comité médical ; qu'il a encore refusé de se soumettre à l'expertise à laquelle il avait été régulièrement convoqué le 10 septembre 2012 chez un psychiatre agréé, conduisant à un nouvel ajournement du comité médical, puis a refusé de se rendre à l'expertise prévue le 6 février 2013 et, après que les opérations d'expertise aient à nouveau été repoussées, à celle du 15 mars 2013 ; que, le 1er juillet 2013, il a informé l'administration de son refus de se soumettre à la visite médicale prévue à son domicile le 8 juillet suivant ; qu'ainsi, M. Del Popolo, qui s'est toujours borné à transmettre tardivement des avis d'arrêt de travail couvrant partiellement ses périodes d'inactivité en contestant les refus d'imputabilité au service malgré les avis défavorables de la commission de réforme, a systématiquement fait obstacle à l'établissement, par un médecin agréé, du rapport qui aurait permis à l'administration de se prononcer sur le caractère justifié de ses arrêts de travail et sur son aptitude à exercer ses fonctions de secrétaire administratif ; que le comportement du requérant a conduit l'administration à procéder à plusieurs reprises à des retenues sur traitement pour absence de service fait ; que, dans ces conditions, eu égard à la circonstance que M. Del Popolo s'est placé de lui même dans une situation irrégulière depuis 2012, il n'établit pas que les préjudices dont il demande réparation, notamment ses pertes de revenus, seraient imputables à la mesure de licenciement pour abandon de poste décidée le 8 août 2013 ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que M. Del Popolo est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 août 2013 ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Considérant que l'annulation de la décision évinçant irrégulièrement M. Del Popolo n'implique pas que ses arrêts de travail soient reconnus comme imputables au service ; qu'en revanche, l'annulation d'une décision ayant irrégulièrement évincé un agent public impose à l'autorité compétente de procéder à la réintégration juridique de l'intéressé à la date de cette décision, de prendre rétroactivement les mesures nécessaires pour reconstituer sa carrière et le placer dans une situation régulière et, à défaut d'une nouvelle décision d'éviction, de prononcer sa réintégration effective dans un emploi correspondant à son grade ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'adresser à la ministre de la justice une mesure d'injonction en ce sens en lui accordant un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt et sans qu'il soit besoin d'assortir cette mesure d'une astreinte ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant, d'une part, que M. Del Popolo n'allègue pas avoir exposé de frais autres que ceux pris en charge par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale qui lui a été allouée ; que, d'autre part, l'avocat de M. Del Popolo n'a pas demandé que lui soit versée par l'Etat la somme correspondant aux frais exposés qu'il aurait réclamée à son client si ce dernier n'avait bénéficié d'une aide juridictionnelle totale ; que dans ces conditions, les conclusions de la requête tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg n° 1304416 du 28 juillet 2016 est annulé en tant qu'il rejette la demande de M. Del Popolo tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 août 2013 par lequel la ministre de la justice a prononcé son licenciement pour abandon de poste.

Article 2 : L'arrêté du 8 août 2013 par lequel la ministre de la justice a prononcé le licenciement de M. Del Popolo pour abandon de poste est annulé.

Article 3 : Il est enjoint à la ministre de la justice de prendre les mesures nécessaires pour reconstituer la carrière de M. Del Popolo et placer celui-ci dans une situation régulière à compter de la date de son éviction et, à défaut d'une nouvelle décision d'éviction, de prononcer sa réintégration effective dans un emploi correspondant à son grade, dans un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... Del Popolo et à la ministre de la justice.

Copie en sera adressée à la direction interrégionale des services pénitentiaires Est-Strasbourg.

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N° 16NC02079


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16NC02079
Date de la décision : 05/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-10-04 Fonctionnaires et agents publics. Cessation de fonctions. Abandon de poste.


Composition du Tribunal
Président : M. MARINO
Rapporteur ?: M. Jean-Marc GUERIN-LEBACQ
Rapporteur public ?: M. COLLIER
Avocat(s) : ODENHEIMER et HENNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 12/06/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2018-06-05;16nc02079 ?
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