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19/06/2020 | FRANCE | N°18MA02830

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 19 juin 2020, 18MA02830


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société UNITe a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 15 septembre 2015 par lequel le préfet de Corse a établi la liste des cours d'eau mentionnée au 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement dans le bassin de Corse, ou, à titre subsidiaire, d'annuler partiellement cet arrêté en tant qu'il classe sur cette liste la rivière Manganello.

Par un jugement n° 1600949 du 18 avril 2018, le tribunal administratif de Bastia a rejeté cette demande.

Pr

océdure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société UNITe a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 15 septembre 2015 par lequel le préfet de Corse a établi la liste des cours d'eau mentionnée au 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement dans le bassin de Corse, ou, à titre subsidiaire, d'annuler partiellement cet arrêté en tant qu'il classe sur cette liste la rivière Manganello.

Par un jugement n° 1600949 du 18 avril 2018, le tribunal administratif de Bastia a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 18 juin 2018 et le 8 août 2019, la société UNITe, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 18 avril 2018 ;

2°) à titre principal, d'annuler l'arrêté du 15 septembre 2015 du préfet de Corse et à titre subsidiaire, d'annuler cet arrêté en tant qu'il classe la rivière Manganello sur la liste des cours d'eau mentionnée au 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de ce que la procédure préalable à l'édiction de l'arrêté contesté est irrégulière faute d'avoir respecté le principe constitutionnel de participation ;

- ils n'ont pas répondu au moyen tiré de ce que le comité de bassin a été irrégulièrement saisi ;

- le panel d'usagers de l'eau invité à la concertation préalable à l'établissement de l'avant-projet de liste était insuffisant, particulièrement en l'absence des producteurs d'hydro-électricité ;

- le public n'a été concerté que postérieurement à l'établissement des avant-projets de liste, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 214-110 du code de l'environnement ;

- la consultation institutionnelle a été insuffisante du fait des carences de l'étude d'impact ;

- l'association du comité de bassin a été purement formelle ;

- le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Corse a été irrégulièrement associé à la procédure ;

- les documents soumis à la consultation du public étaient insuffisants ;

- les observations émises au cours de la consultation n'ont aucunement été prises en compte ;

- l'inscription des cours d'eau sur la liste établie par l'arrêté contesté n'est pas justifiée au regard des critères prévus au 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement ;

- le classement en litige ne tient aucun compte des projets hydroélectriques en cours ;

- l'arrêté querellé est entaché d'erreur manifeste d'appréciation quant aux impacts du classement sur la petite hydroélectricité et est contraire aux objectifs du schéma régional climat air énergie ;

- le ruisseau Manganello ne répond pas aux critères de classement fixés au 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juillet 2019, la ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coutier, premier conseiller,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant la société UNITe.

Une note en délibéré présentée par la ministre de la transition écologique et solidaire a été enregistrée le 12 juin 2020.

Considérant ce qui suit :

1. La société UNITe relève appel du jugement du 18 avril 2018 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 septembre 2015 par lequel le préfet de Corse a établi la liste des cours d'eau mentionnée au 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement dans le bassin de Corse, ou, à titre subsidiaire, à l'annulation partielle de cet arrêté en tant qu'il classe sur cette liste la rivière Manganello.

2. Aux termes des dispositions de l'article L. 214-17 du code de l'environnement : " I. - Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous-bassin : 1° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux parmi ceux qui sont en très bon état écologique ou identifiés par les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux comme jouant le rôle de réservoir biologique nécessaire au maintien ou à l'atteinte du bon état écologique des cours d'eau d'un bassin versant ou dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée est nécessaire, sur lesquels aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle à la continuité écologique (...) / II.- Les listes visées aux 1° et 2° du I sont établies par arrêté de l'autorité administrative compétente, après étude de l'impact des classements sur les différents usages de l'eau visés à l'article L. 211-1. (...) ". Aux termes de l'article R. 214-110 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Le préfet du département établit un avant-projet de liste à l'issue d'une concertation avec les principaux représentants des usagers de l'eau dans le département, la fédération départementale ou interdépartementale des associations de pêche et de protection du milieu aquatique, les associations agréées de protection de l'environnement qu'il choisit et la commission locale de l'eau lorsqu'il existe un schéma d'aménagement et de gestion des eaux approuvé. (...) / Le préfet coordonnateur de bassin établit un projet de liste par bassin ou sous-bassin et fait procéder à l'étude, prévue au II de l'article L. 214-17, de l'impact sur les différents usages de l'eau des inscriptions sur cette liste projetées ; cette étude comporte une analyse des coûts et des avantages économiques et environnementaux, en distinguant les avantages marchands et non marchands. (...) ".

3. Il résulte des dispositions précitées que l'autorité administrative compétente est tenue, lorsqu'elle envisage de classer des cours d'eau au titre du 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, de procéder à une concertation préalable à l'établissement de l'avant-projet de liste de ces cours d'eau, notamment avec les principaux représentants des usagers de l'eau dans le département.

4. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il résulte de l'instruction qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

5. Il résulte de l'instruction, particulièrement de l'étude d'impact du classement des cours d'eau réalisée par l'administration en application du II de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, que la production d'énergie hydro-électrique constitue l'une des utilisations majeures de l'eau au sein du périmètre territorial concerné, le résumé non technique de cette étude indiquant d'ailleurs que les impacts les plus importants concernent le développement du potentiel de la petite hydroélectricité.

6. Pour justifier que l'obligation mentionnée à l'article 3 ci-dessus a effectivement été satisfaite, la ministre produit devant la Cour une lettre du préfet de Corse en date du 18 décembre 2013 conviant ses destinataires à une " réunion inter-départementale de lancement de la concertation ", prévue le 8 janvier 2014. La ministre joint à cette lettre un document comportant les coordonnées des personnes à qui cette lettre est censée avoir été adressée. Figurent majoritairement parmi ces personnes des représentants de collectivités territoriales, d'établissements publics et d'association ainsi que vingt personnes nommément désignés en qualité de " professionnels du canyonisme ". Si des représentants des sociétés EDF et Véolia sont également mentionnés sur cette liste, il n'est pas allégué par la ministre qu'ils auraient été mandatés pour représenter l'ensemble des exploitants d'ouvrages de production hydroélectrique présents sur le territoire Corse, particulièrement les petits producteurs d'énergie hydro-électrique, lesquels doivent être regardés comme faisant partie des principaux représentants des usagers de l'eau au sens et pour l'application des dispositions de l'article de l'article R. 214-110 et qui sont, ainsi qu'il résulte de l'instruction, au moins au nombre de deux. Il ne résulte pas de l'instruction que l'administration aurait tenté d'associer ces exploitants, où même une personne morale habilitée à les représenter, l'invitation de représentants de l'Office d'équipement hydraulique de Corse, des chambres de commerce et d'industrie et les chambres des métiers de la Haute-Corse et de la Corse du Sud à participer à la réunion du 8 janvier 2014 ne pouvant y suffire, et pas davantage, à la supposer même établie, celle de la commune de Vivario sur le territoire de laquelle la société UNITe envisageait d'implanter son installation. La circonstance selon laquelle tant la société UNITe que la commune de Vivario ont pu faire valoir leurs observations dans le cadre de l'étude d'impact menée en application du troisième alinéa de l'article R. 214-110 du code de l'environnement en vue de l'établissement, par le préfet coordonnateur de bassin, du projet de liste, soit postérieurement à l'établissement par le préfet du département de l'avant-projet, ne saurait compenser l'absence de prise en compte des représentants de la petite production hydroélectrique au stade de la concertation sur cet avant-projet de liste. Dans ces conditions, et eu égard, en outre, aux effets du classement d'un cours d'eau au titre du 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, qui fait obstacle à ce qu'une autorisation ou une concession puisse être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle à la continuité écologique, la société UNITe est fondée à soutenir qu'en ne conviant à la concertation au stade antérieur à l'établissement de l'avant-projet de liste aucun des petits producteurs d'énergie hydro-électrique, le préfet de Corse a méconnu les dispositions de l'article R. 214-110. Par suite, l'arrêté querellé a été pris au terme d'une procédure irrégulière. Cette irrégularité est de nature, en l'espèce, à avoir privé la société d'une garantie.

7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué ni d'examiner les autres moyens de la requête, que la société UNITe est fondée à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

8. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société UNITe et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bastia du 18 avril 2018 et l'arrêté du 15 septembre 2015 du préfet de Corse sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à la société UNITe une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société UNITe et à la ministre de la transition écologique et solidaire.

Copie en sera adressée au Préfet de Corse.

Délibéré après l'audience du 5 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. Guidal, président-assesseur,

- M. Coutier, premier conseiller.

Lu en audience publique le 19 juin 2020.

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N° 18MA02830

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA02830
Date de la décision : 19/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

27-01-01 Eaux. Régime juridique des eaux. Régime juridique des cours d'eau.


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: M. Bruno COUTIER
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE LYON

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-06-19;18ma02830 ?
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