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26/11/2020 | FRANCE | N°19-16435

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 26 novembre 2020, 19-16435


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

MF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 26 novembre 2020

Cassation partielle

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 1275 F-P+B+I

Pourvoi n° H 19-16.435

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 NOVEMBRE 2020

La société Cybele Rent, société à responsabil

ité limitée, dont le siège est Anse des Cayes, Bungalow 3, 97133 Saint-Barthélemy, a formé le pourvoi n° H 19-16.435 contre l'arrêt rendu le 25 fév...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

MF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 26 novembre 2020

Cassation partielle

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 1275 F-P+B+I

Pourvoi n° H 19-16.435

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 NOVEMBRE 2020

La société Cybele Rent, société à responsabilité limitée, dont le siège est Anse des Cayes, Bungalow 3, 97133 Saint-Barthélemy, a formé le pourvoi n° H 19-16.435 contre l'arrêt rendu le 25 février 2019 par la cour d'appel de Basse-Terre (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Pantaenius, société de droit allemand, dont le siège est 34 quai Charles Rey, 98000 Monaco (Monaco),

2°/ à la société Ace European Group Ltd, société de droit anglais prise en sa succursale française, dont le siège est 8 avenue de l'Arche, 92419 Courbevoie,

3°/ à la société Ace European Group Ltd, société de droit allemand, dont le siège est Lurgiallee 10, 60439 Francfort (Allemagne),

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bouvier, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Cybele Rent, de la SCP Richard, avocat de la société Pantaenius et des sociétés Ace European Group Ltd, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 octobre 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bouvier, conseiller rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 25 février 2019), la société Cybele Rent, qui a pour objet social la vente, la location de tout matériel roulant homologué à usage routier, éco durable et naviguant, la création et la promotion d'événements commerciaux et culturels et toutes les activités de conseil en découlant, est propriétaire d'un voilier qui s'est échoué, le 14 octobre 2012, lors du passage de la tempête Rafael.

2. La société Cybele Rent a assigné la société Pantaenius en exécution du contrat « multirisques plaisance » qu'elle avait souscrit, le 6 décembre 2011.

3. La société Pantaenius, affirmant qu'elle avait agi en qualité de courtier pour le compte de la société d'assurance de droit anglais, Ace European Group Ltd, cette dernière est intervenue à l'instance ainsi que la société de droit allemand, également dénommée Ace European Group Ltd.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. La société Cybele Rent fait grief à l'arrêt de dire que son préjudice total était évalué à la somme de 60 013,31 euros, franchise déduite et de rejeter sa demande tendant à l'indemnisation de son préjudice commercial à hauteur de 327 500 euros alors « qu'en toute hypothèse, les clauses d'exclusion doivent être formelles et limitées, et doivent se référer à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées qui excluent toute interprétation, de façon à permettre à l'assuré de connaître exactement l'étendue de la garantie ; qu'en jugeant que la clause selon laquelle « sont exclus de l'assurance les pertes et dommages indirects (par exemple diminution de l'aptitude à la course, moins value, dépréciation) » était formelle et limitée, bien qu'elle ait donné à la notion de dommage indirect ainsi visée un sens qui n'est pas celui admis par la jurisprudence, la cour d'appel, qui a ainsi interprété cette notion visée par la clause, a violé l'article L. 113-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :

5. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion de garantie ne peuvent être tenues pour formelles et limitées dès lors qu'elle doivent être interprétées.

6. Pour rejeter la demande de la société Cybele Rent en indemnisation de son préjudice commercial, l'arrêt énonce que l'article 6a des conditions conventionnelles applicables du contrat d'assurance prévoit expressément que « sont exclus de l'assurance les pertes et dommages indirects (par exemple diminution de l'aptitude à la course, moins-value, dépréciation) » et que cette clause suffisamment explicite s'entend comme excluant tout préjudice qui ne découle pas directement du fait générateur, telle précisément la perte de revenus tirée de l'arrêt de l'exploitation.

7. La décision ajoute qu'il n'y a pas lieu de considérer cette clause comme vidant la garantie de sa substance et que c'est à raison que la réparation du préjudice commercial réclamée a été écartée par le premier juge.

8. En statuant ainsi, alors que cette clause d'exclusion de garantie, en ce qu'elle ne se réfère pas à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées, n'est pas formelle et limitée et ne peut recevoir application en raison de son imprécision, rendant nécessaire son interprétation, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

9. La cassation partielle de l'arrêt, qui ne porte que sur le chef de décision rejetant la demande d'indemnisation du préjudice commercial allégué, entraîne par voie de conséquence celle du chef de décision fixant la somme allouée à la société Cybele Rent au titre de son entier préjudice.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le préjudice total de la société Cybele Rent est évalué à la somme de 60 013,31 euros, franchise déduite et rejette toute autre demande plus ample ou contraire, l'arrêt rendu le 25 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;

Remet, sur ces points l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre, autrement composée ;

Condamne la société Pantaenius, société de droit allemand, la société ACE European Group Ltd, société de droit anglais, et la société ACE European Group Ltd, société de droit allemand, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Pantaenius, la société de droit anglais ACE European Group Ltd et la société de droit allemand ACE European Group Ltd et les condamne à payer à la société Cybele Rent la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt-six novembre deux mille vingt et signé par lui et Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux articles 452 et 456 du code de procédure civile.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société Cybele Rent.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le préjudice total de la société Cybele Rent était évalué à la somme de 60 013,31 euros, franchise déduite et d'AVOIR rejeté la demande de la société Cybele Rent tendant à l'indemnisation de son préjudice commercial à hauteur de 327 500 euros ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE la société Cybele Rent fait état d'un préjudice commercial à hauteur de la somme totale de 327 500 euros, son activité de location, vente de bateau de plaisance ayant été interrompue depuis 67 mois du fait du sinistre du 10 octobre 2012 alors qu'elle venait d'achever des travaux de rénovation à hauteur de 67 000 euros ; qu'elle conteste la validité de la clause tirée de l'article 6a de la police souscrite qui exclurait l'indemnisation des "dommages indirects" aux motifs que l'assureur n'établit pas la réunion des conditions de l'exclusion et que cette clause ne répond pas aux exigences de l'article L. 113-1 du code des assurances ; que les sociétés intimées concluent au rejet de cette demande, les conditions de l'assurance en cause excluant formellement l'indemnisation d'un tel préjudice indirect et la société Cybele Rent ayant également l'obligation contractuelle de prendre toutes mesures conservatoires pour éviter l'aggravation du sinistre, ce qu'elle n'a pas fait en favorisant au contraire l'immobilisation du voilier ; qu'elles rappellent que le préjudice commercial d'une entreprise qui a des charges ne peut se confondre avec la perte de recettes ; qu'il est exact que l'article 6a des conditions conventionnelles applicables, prévoit expressément que "sont exclus de l'assurance les pertes et dommages indirects (par exemple diminution de l'aptitude à la course, moins-value, dépréciation)" ; que cette clause suffisamment explicite s'entend comme excluant tout préjudice qui ne découle pas directement du fait générateur telle précisément la perte de revenus tirée de l'arrêt de l'exploitation ; qu'aussi, peu important les conditions alléguées du déroulement de l'activité touristique de la société Cybele Rent, il n'y a pas lieu de considérer cette clause comme vidant la garantie de sa substance et c'est à raison que la réparation du préjudice commercial réclamée par cette dernière a été écartée par le premier juge ; que contrairement à ce qui a été soutenu par la société Cybele Rent, le jugement querellé est parfaitement motivé et il a été considéré, sans contradiction de motifs, que la résiliation dont s'est prévalu – certes à tort – l'assureur, étant intervenue en août 2012, soit avant la réalisation du sinistre, elle n'a pu conduire à une inexécution fautive de celui-ci, combattue par la présente procédure ;

ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE s'agissant du préjudice commercial, il ressort des conclusions de la société Cybele Rent qu'elle fonde sa demande sur l'article 1147 du code civil en arguant que l'assureur a commis une faute en refusant sa garantie alors que sa résiliation était irrégulière ce qui l'a empêchée de faire réparer son navire et lui a causé un préjudice qui ne cessera qu'avec la réparation du navire ; que toutefois, le refus d'indemnisation de l'assureur, qui s'est prévalu de la résiliation du contrat en août 2012, soit avant la réalisation du sinistre, et bien que cette résiliation n'est pas été considérée comme valable en raison du prélèvement de prime intervenu dans le délai de l'article R. 113-10 du code des assurances, ne constitue pas une inexécution fautive au sens de l'article 1147 du code civil ; que par conséquent, la société Cybele Rent ne peut demander réparation de son préjudice commercial sur ce fondement ; que par ailleurs, il apparait que le préjudice commercial allégué est un dommage indirect exclu de la garantie contractuelle en application de l'article 6 des Conditions Multirisques Plaisance Pantaenius 16.11001/EU/0111 ; que la demande tendant à la réparation d'un préjudice commercial sera donc rejetée, sans qu'il ne soit nécessaire d'examiner les arguments des parties concernant la régularité de l'activité commerciale de la société Cybele Rent ;

1°) ALORS QUE les notions légales ou jurisprudentielles visées par les clauses d'exclusion de garantie doivent appliquées de façon stricte selon le sens qui leur est donné par la jurisprudence ; qu'en retenant que les pertes d'exploitation subies par la société Cybele Rent en raison de l'immobilisation de son navire constituaient un préjudice indirect au sens de la clause d'exclusion de garantie en cause, quand, selon le sens donné par la jurisprudence à cette notion, elles constituaient un préjudice direct, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;

2°) ALORS QU'en toute hypothèse, les clauses d'exclusion doivent être formelles et limitées, et doivent se référer à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées qui excluent toute interprétation, de façon à permettre à l'assuré de connaître exactement l'étendue de la garantie ; qu'en jugeant que la clause selon laquelle « sont exclus de l'assurance les pertes et dommages indirects (par exemple diminution de l'aptitude à la course, moinsvalue, dépréciation) » était formelle et limitée, bien qu'elle ait donné à la notion de de dommage indirect ainsi visée un sens qui n'est pas celui admis par la jurisprudence, la cour d'appel, qui a ainsi interprété cette notion visée par la clause, a violé l'article L. 113-1 du code des assurances.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 19-16435
Date de la décision : 26/11/2020
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Analyses

ASSURANCE (règles générales) - Garantie - Exclusion - Exclusion formelle et limitée - Définition - Clause nécessitant une interprétation (non)

ASSURANCE (règles générales) - Police - Clause - Clause d'exclusion formelle et limitée - Clause excluant les pertes et dommages indirects (non) ASSURANCE DOMMAGES - Garantie - Exclusion - Exclusion formelle et limitée - Définition - Clause nécessitant une interprétation (non)

Il résulte de l'article L. 113-1 du code des assurances que les clauses d'exclusion de garantie ne peuvent être tenues pour formelles et limitées dès lors qu'elle doivent être interprétées. Une clause excluant de la garantie "les pertes et dommages indirects (par exemple diminution de l'aptitude à la course, moins-value, dépréciation)", en ce qu'elle ne se réfère pas à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées, n'est pas formelle et limitée et ne peut recevoir application en raison de son imprécision, rendant nécessaire son interprétation


Références :

Article L. 113-1 du code des assurances.

Décision attaquée : Cour d'appel de Basse-Terre, 25 février 2019

A rapprocher : 3e Civ., 27 octobre 2016, pourvoi n° 15-23841, Bull. 2016, III, n° 140 (cassation), et les arrêts cités.


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 26 nov. 2020, pourvoi n°19-16435, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : M. Pireyre
Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Richard

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.16435
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