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30/06/2020 | FRANCE | N°19MA00580

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 30 juin 2020, 19MA00580


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Phoenix Union Co a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012, de la retenue à la source qui lui a été réclamée au titre des années 2011 et 2012, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1505132 du 29 octobre 2018, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

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Par une requête et des mémoires, enregistrés le 6 février 2019, le 11 avril 2019 et le 15 nove...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Phoenix Union Co a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012, de la retenue à la source qui lui a été réclamée au titre des années 2011 et 2012, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1505132 du 29 octobre 2018, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 6 février 2019, le 11 avril 2019 et le 15 novembre 2019, la société Phoenix Union Co, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nice du 29 octobre 2018 ;

2°) de prononcer la décharge des impositions en litige et des pénalités correspondantes ;

3°) de condamner l'Etat aux entiers dépens et de mettre à sa charge une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé, faute de s'être prononcé sur les moyens relatifs à l'acte anormal de gestion soulevés dans son mémoire du 14 septembre 2018 ;

- elle n'était pas passible de l'impôt sur les sociétés sur le fondement de l'article 206 du code général des impôts ;

- les revenus imposés par l'administration fiscale ne pouvaient être regardés comme passibles de l'impôt sur les sociétés sur le fondement du I de l'article 209 du code général des impôts ;

- l'article 26 de la convention fiscale franco-suisse fait obstacle à ce qu'elle soit assujettie à l'impôt sur les sociétés en France ;

- dès lors qu'elle ne peut être regardée comme ayant perçu des revenus provenant de biens immobiliers situés en France au sens de l'article 6 de la convention fiscale franco-suisse, les revenus en question relèvent de l'article 23 de la convention, et ne sont donc imposables qu'en Suisse ;

- l'imposition en France des revenus de ses immeubles est contraire à l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui garantit la libre circulation des capitaux ;

- elle peut se prévaloir de l'interprétation administrative de la loi fiscale donnée par la doctrine administrative référencée BOI-IS-CHAMP-60-10-20, n° 270, et BOI-ENR-AVS-10-10-20, n° 160 ;

- l'administration ne caractérise pas l'existence d'un acte anormal de gestion ;

- l'article 21 de la convention fiscale franco-canadienne fait obstacle à l'application de la retenue à la source aux revenus réputés distribués à son associé, M. B..., qui réside au Canada.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 5 août 2019, le 3 juin 2020 et le 10 juin 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la société Phoenix Union Co ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention entre la France et la Suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune signée le 9 septembre 1966 ;

- la convention entre la France et le Canada tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune signée le 2 mai 1975 ;

- le code de commerce ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Barthez, président assesseur, pour présider la formation de jugement, en application de l'article R. 22226 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les conclusions de Mme Boyer, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. A l'issue de la vérification de comptabilité dont la société de droit suisse Phoenix Union Co a fait l'objet, portant sur la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012, l'administration fiscale a notamment estimé que cette société avait commis un acte anormal de gestion en renonçant à percevoir des loyers en contrepartie de la mise à disposition d'appartements dont elle est propriétaire, situés à Cannes, et qu'elle était passible de l'impôt sur les sociétés en France à raison de ces bénéfices. La société Phoenix Union Co fait appel du jugement du 29 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été ainsi assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012, de la retenue à la source qui lui a été réclamée au titre des années 2011 et 2012, et des pénalités correspondantes.

I. La régularité du jugement :

2. Les premiers juges ont expressément répondu, au point 13 de leur jugement, au moyen tiré de ce que l'administration n'aurait pas caractérisé l'existence d'un acte anormal de gestion commis par la société Phoenix Union Co. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité pour avoir omis de répondre à ce moyen.

II. Le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :

S'agissant de l'application de la loi fiscale :

3. En premier lieu, aux termes du 1 de l'article 206 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions des articles 8 ter, 239 bis AA, 239 bis AB et 1655 ter, sont passibles de l'impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet, les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions, les sociétés à responsabilité limitée n'ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes (...) et toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif ". Il appartient au juge de l'impôt, saisi d'un litige portant sur le traitement fiscal d'une opération impliquant une société de droit étranger, d'identifier dans un premier temps, au regard de l'ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, le type de société de droit français auquel la société de droit étranger est assimilable. Compte tenu de ces constatations, il lui revient ensuite de déterminer le régime applicable à l'opération litigieuse au regard de la loi fiscale française.

4. Les sociétés anonymes de droit suisse constituent des sociétés de capitaux inscrites au registre du commerce et la responsabilité de leurs associés est limitée au montant de leurs apports. Il résulte de l'article 2 des statuts de la société Phoenix Union Co que celle-ci a notamment pour but " l'exploitation par bail de tous immeubles bâtis ou non bâtis ou de tous droits réels " et " l'acquisition, la vente, la location de tous biens immobiliers ". Le capital social de la société Phoenix Union Co est constitué de cinquante actions nominatives et si au cours des années en litige, la totalité des actions composant ce capital était détenue par un seul associé, ses statuts n'excluaient pas la possibilité que celui-ci soit détenu par plusieurs actionnaires, chaque action pouvant, selon l'article 8 des statuts, être transférée par la remise du titre. Ainsi, alors même que son capital était détenu par un actionnaire unique, la société Phoenix Union Co est assimilable à une société anonyme de droit français et doit être regardée comme commerciale du seul fait de sa forme sociale. Par suite, elle est passible de l'impôt sur les sociétés en application des dispositions précitées de l'article 206 du code général des impôts, sans qu'il soit besoin de s'interroger, en tout état de cause, sur la nature civile ou commerciale de son objet ou sur le caractère lucratif de son exploitation ou de ses opérations.

5. En deuxième lieu, aux termes du I de l'article 209 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés d'après les règles fixées par les articles 34 à 45, (...) et en tenant compte uniquement des bénéfices (...) mentionnés aux a, e, e bis et e ter du I de l'article 164 B (...) ". Aux termes du I de l'article 164 B du même code : " Sont considérés comme revenus de source française : / a. Les revenus d'immeubles sis en France ou de droits relatifs à ces immeubles ; (...) ".

6. Il résulte des dispositions citées au point précédent que la société Phoenix Union Co était passible de l'impôt sur les sociétés à raison des revenus tirés des appartements dont elle était propriétaire, situés à Cannes.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites (...) ". Aux termes de l'article 65 du même traité : " 1. L'article 63 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les Etats membres : a) d'appliquer des dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis (...) 3. Les mesures et procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l'article 63 (...) ". Il résulte de ces stipulations, telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt du 8 novembre 2007, Amurta SGPS (affaire C-379/05, point 32), que lorsqu'un Etat membre exerce sa compétence fiscale à l'égard de contribuables résidents et non-résidents, pour que la réglementation fiscale nationale qu'il applique à ces contribuables puisse être regardée comme compatible avec les stipulations du traité relatives à la liberté de circulation des capitaux, la différence de traitement qu'elle instaure entre les contribuables selon leur Etat de résidence doit concerner des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou être justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général.

8. L'imposition contestée n'introduit aucune distinction entre les contribuables selon que le siège de la société se trouve en France, dans un autre Etat membre de l'Union européenne, en Suisse ou dans tout autre Etat. Elle n'est donc pas constitutive d'une restriction aux mouvements de capitaux interdite par ces stipulations du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

9. Il n'est pas contesté qu'au cours des années litigieuses la société requérante a mis gratuitement à la disposition de son associé unique deux appartements situés à Cannes, dont la valeur vénale est supérieure à 7 millions d' euros. Ce faisant, elle a renoncé sans contrepartie à percevoir des recettes qu'une gestion normale de ses biens lui eut procurées. La circonstance qu'elle a notamment pour objet social la mise à disposition gratuite de ses immeubles à ses actionnaires est sans incidence à cet égard, alors qu'en tout état de cause, elle a également pour objet l'acquisition, la vente et la location de tous biens immobiliers. Par ailleurs, contrairement à ce qui est soutenu, une société de capitaux attribuant la jouissance gratuite à un associé d'un immeuble dont elle est propriétaire en France doit en tout état de cause être regardée comme exerçant une activité lucrative. En conséquence, l'administration était fondée à réintégrer dans les résultats de la société Phoenix Union Co les revenus que ses immeubles étaient susceptibles de lui procurer dans les conditions normales du marché locatif, et à imposer les sommes correspondantes à l'impôt sur les sociétés.

S'agissant de la convention franco-suisse en vue d'éviter les doubles impositions :

10. En premier lieu, aux termes du 1 de l'article 6 de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966, relatif aux revenus immobiliers et agricoles : " Les revenus provenant de biens immobiliers (...) sont imposables dans l'Etat contractant où ces biens sont situés ". Aux termes du 1 de l'article 23 de la même convention, relatif aux revenus non spécialement visés : " Les éléments du revenu d'un résident d'un Etat contractant, d'où qu'ils proviennent, dont ce résident est le bénéficiaire effectif et qui ne sont pas traités dans les articles précédents de la présente convention ne sont imposables que dans cet Etat ".

11. Les revenus correspondant à la mise à disposition gratuite d'un immeuble sont assimilables à des revenus provenant de biens immobiliers au sens des stipulations précitées de l'article 6 de la convention précitée et ne peuvent par suite, contrairement à ce que soutient la société Phoenix Union Co, être regardés comme étant des revenus non mentionnés dans la convention relevant de son article 23 qui sont imposés exclusivement dans l'Etat de résidence de la société. Dès lors, et conformément au paragraphe 1 de cet article 6, les revenus d'une société de droit suisse provenant de biens immobiliers situés en France sont imposables dans cet Etat. C'est donc à bon droit que la société Phoenix Union Co a été imposée à l'impôt sur les sociétés en France sur la base des revenus correspondant au prix normal de location qu'elle aurait pu tirer de ses appartements situés à Cannes durant la période d'occupation gratuite par son associé.

12. En deuxième lieu, aux termes du 1 de l'article 26 de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966, relatif à l'égalité de traitement : " Les nationaux d'un Etat contractant ne sont soumis dans l'autre Etat contractant à aucune imposition ou obligation y relative, qui est autre ou plus lourde que celle à laquelle sont ou pourront être assujettis les nationaux de cet autre Etat se trouvant dans la même situation (...) ". La société Phoenix Union Co n'apporte pas la preuve qu'en méconnaissance de ces stipulations, elle aurait été soumise en France à une imposition autre ou plus lourde qu'une société française possédant un immeuble en France.

S'agissant de l'interprétation administrative de la loi fiscale :

13. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration (...) ".

14. D'une part, la situation de la société requérante n'entre pas dans les prévisions de la doctrine administrative référencée BOI-IS-CHAMP-60-10-20, n° 270, relative aux revenus des immeubles figurant à l'actif une entreprise ayant son siège en France. Elle ne peut, dès lors, s'en prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

15. D'autre part, elle n'est pas fondée à invoquer la doctrine contenue dans la documentation administrative référencée BOI-ENR-AVS-10-10-20, n° 160, laquelle a trait non pas à l'impôt sur les sociétés mais aux droits d'enregistrement et ne contient aucune règle dont l'intéressée pourrait se prévaloir pour faire échec à son assujettissement à l'impôt sur les sociétés.

En ce qui concerne la retenue à la source :

16. Aux termes de l'article 1 de la convention franco-canadienne du 2 mai 1975 : " La présente Convention s'applique aux personnes qui sont des résidents d'un Etat contractant ou de chacun des deux Etats ". Aux termes du 1 de l'article 4 de la même convention : " Au sens de la présente Convention, l'expression " résident d'un Etat contractant " désigne : a) Toute personne qui, en vertu de la législation de cet Etat, est assujettie à l'impôt dans cet Etat en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue, à l'exclusion des personnes qui ne sont assujetties à l'impôt dans cet Etat que pour les revenus de sources situées dans cet Etat ; (...) ".

17. L'administration fiscale a soumis à la retenue à la source les revenus distribués par la société Phoenix Union Co, correspondant aux avantages occultes consentis à son associé, M. B..., par le biais de la mise à disposition gratuite des appartements dont elle est propriétaire. Si l'administration admet que M. B... est un résident du Canada, la société requérante, dont le siège est situé en Suisse, et qui n'est assujettie à l'impôt en France que pour les revenus des appartements qui y sont situés, ne peut être regardée comme résidente de la France au sens de l'article 4 de la convention fiscale franco-canadienne. Par suite, elle ne peut se prévaloir des stipulations de cette convention.

18. Il résulte de tout ce qui précède que la société Phoenix Union Co n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nice a rejeté société demande.

III. Frais liés au litige :

19. En premier lieu, les dispositions de l'article L. 7611 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société Phoenix Union Co au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

20. En second lieu, aucun dépens n'ayant été exposé dans cette instance, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société Phoenix Union Co tendant à l'application des dispositions de l'article R. 7611 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la Société Phoenix Union Co est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la Société Phoenix Union Co et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 16 juin 2020, où siégeaient :

M. Barthez, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 22226 du code de justice administrative,

Mme Carotenuto, premier conseiller,

Mme C..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 30 juin 2020.

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N° 19MA00580


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