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31/01/2000 | CANADA | N°2000_CSC_8

Canada | R. c. R.A.R., 2000 CSC 8 (31 janvier 2000)


R. c. R.A.R., [2000] 1 R.C.S. 163

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

R.A.R. Intimé

et

Le procureur général du Canada et

le procureur général de l’Ontario Intervenants

Répertorié: R. c. R.A.R.

Référence neutre: 2000 CSC 8.

No du greffe: 26377.

1999: 25, 26 mai; 2000: 31 janvier.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory*, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’appel du manitoba

Droit criminel -- Détermination de la pein

e -- Emprisonnement avec sursis -- Accusé déclaré coupable d’un chef d’agression sexuelle et de deux chefs de voies de fait simples -- Changements...

R. c. R.A.R., [2000] 1 R.C.S. 163

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

R.A.R. Intimé

et

Le procureur général du Canada et

le procureur général de l’Ontario Intervenants

Répertorié: R. c. R.A.R.

Référence neutre: 2000 CSC 8.

No du greffe: 26377.

1999: 25, 26 mai; 2000: 31 janvier.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory*, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’appel du manitoba

Droit criminel -- Détermination de la peine -- Emprisonnement avec sursis -- Accusé déclaré coupable d’un chef d’agression sexuelle et de deux chefs de voies de fait simples -- Changements survenus dans les dispositions relatives à la détermination de la peine et les faits pertinents après le procès mais avant l’appel visant la peine -- La Cour d’appel a-t-elle commis une erreur en substituant une ordonnance d’emprisonnement avec sursis à la peine d’incarcération qui avait été infligée? -- Contrôle de la peine prononcée par la Cour d’appel -- Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 718.2.

Droit criminel -- Détermination de la peine -- Modifications législatives -- Accusé déclaré coupable d’un chef d’agression sexuelle et de deux chefs de voies de fait simples -- Modification des dispositions relatives à la détermination de la peine après le procès mais avant l’appel visant la peine -- L’accusé avait-il droit au bénéfice de l’application des nouvelles dispositions relatives à la détermination de la peine? -- Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, art. 44e).

L’accusé a été déclaré coupable d’un chef d’agression sexuelle et de deux chefs de voies de fait contre une ancienne employée. Il a été condamné à un an d’incarcération et trois années de probation sous surveillance pour le chef d’agression sexuelle, et au paiement d’amendes pour les deux chefs de voies de fait. Il a interjeté appel des déclarations de culpabilité et des peines prononcées contre lui. Par suite de l’entrée en vigueur, après le procès mais avant l’audition de l’appel, de modifications aux dispositions du Code criminel relatives à la détermination de la peine, les tribunaux pouvaient désormais octroyer le sursis à l’emprisonnement aux délinquants condamnés à une peine d’emprisonnement de moins de deux ans. Outre cette modification du droit applicable, une formation différente de la Cour d’appel du Manitoba avait annulé, peu de temps avant l’appel, deux déclarations de culpabilité pour agression sexuelle prononcées plus tôt contre l’accusé.

Les déclarations de culpabilité afférentes aux trois chefs d’accusation ont été confirmées par la Cour d’appel, qui a cependant jugé que l’accusé avait droit au bénéfice de l’application des nouvelles dispositions relatives à la détermination de la peine. Compte tenu des changements survenus dans le droit applicable et les circonstances pertinentes, la Cour d’appel a considéré qu’il s’agissait, en réalité, d’un appel de novo de la détermination de la peine. Elle a accueilli l’appel de la peine et infligé à l’accusé un emprisonnement global de neuf mois, soit une période de six mois pour l’agression sexuelle et des périodes de deux mois pour le premier épisode de voies de fait simples et d’un mois pour le deuxième, à être purgées consécutivement dans la collectivité.

Arrêt (le juge en chef Lamer et le juge Iacobucci sont dissidents): Le pourvoi est accueilli.

Les juges L’Heureux-Dubé, Gonthier, McLachlin, Major, Bastarache et Binnie: La Cour d’appel a eu raison de juger que l’intimé avait droit, en appel, au bénéfice de l’application du régime d’octroi du sursis à l’emprisonnement. Toutefois, la Cour d’appel a fait erreur en infligeant une peine d’emprisonnement avec sursis de six mois pour l’agression sexuelle. Cette peine était inappropriée eu égard à la gravité des infractions commises et de la culpabilité morale dont l’accusé a fait preuve en abusant de sa situation d’autorité. En raison de la présence de cette circonstance aggravante et de la nature violente et avilissante des agressions commises, les objectifs punitifs de dénonciation et de dissuasion revêtent un caractère particulièrement pressant en l’espèce. La Cour d’appel a commis une erreur en n’accordant pas tout le poids requis par ces objectifs et en infligeant une courte peine d’emprisonnement avec sursis, alors qu’une peine d’incarcération était la sanction préférable. Par conséquent, la peine d’un an d’incarcération prononcée par le juge du procès pour l’agression sexuelle est rétablie. Cette peine sera suivie d’un emprisonnement avec sursis de trois mois pour les voies de fait simples et de la période de trois ans de probation imposée par le juge du procès pour l’agression sexuelle. Il y a toutefois lieu de surseoir à l’exécution de ces peines, étant donné que le délinquant a purgé au complet sa peine de neuf mois d’emprisonnement avec sursis.

Le juge en chef Lamer et le juge Iacobucci (dissidents): La Cour d’appel a eu raison de juger que l’accusé avait droit, en appel, au bénéfice de l’application du régime d’octroi du sursis à l’emprisonnement. L’accusé a droit au bénéfice de toute modification des dispositions relatives à la détermination de la peine qui était en vigueur au moment de l’appel et qui établit une peine moins sévère. L’emprisonnement avec sursis étant une sanction moins privative de liberté que l’incarcération, elle emporte allégement de la sanction au sens de l’al. 44e) de la Loi d’interprétation.

Notre Cour doit faire montre d’une certaine retenue à l’égard des peines déterminées par les cours d’appel. La question du degré de retenue dont notre Cour doit faire montre envers les peines infligées par les cours d’appel ne se soulèvera qu’exceptionnellement, compte tenu du fait que notre Cour n’entend que rarement des appels relatifs à la peine. Par conséquent, quoique la peine imposée par la Cour d’appel semble relativement clémente, il n’y a pas lieu de la modifier étant donné que la Cour d’appel a soigneusement examiné les principes pertinents de détermination de la peine et tenu compte de la preuve au dossier.

Jurisprudence

Citée par le juge L’Heureux-Dubé

Arrêts appliqués: R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61, 2000 CSC 5; R. c. Dunn, [1995] 1 R.C.S. 226; arrêts mentionnés: R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595; R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330; R. c. Boudreau, [1996] N.W.T.J. No. 107 (QL); R. c. Audet, [1996] 2 R.C.S. 171; Janzen c. Platy Entreprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252; R. c. R.N.S., [2000] 1 R.C.S. 149, 2000 CSC 7.

Citée par le juge en chef Lamer (dissident)

R. c. Dunn, [1995] 1 R.C.S. 226; R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61, 2000 CSC 5; R. c. L.F.W., [2000] 1 R.C.S. 132, 2000 CSC 6; R. c. R.N.S., [2000] 1 R.C.S. 149, 2000 CSC 7; R. c. Bunn, [2000] 1 R.C.S. 183, 2000 CSC 9; R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500.

Lois et règlements cités

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, partie XXIII [rempl. 1995, ch. 22, art. 6], art. 718, 718.1, 718.2 [mod. 1997, ch. 23, art. 17], 742.1 [rempl. 1997, ch. 18, art. 107.1].

Loi de 1996 visant à améliorer la législation pénale, L.C. 1997, ch. 18, art. 107.1.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 44e).

Loi modifiant le Code criminel (détermination de la peine) et d’autres lois en conséquence, L.C. 1995, ch. 22.

Doctrine citée

Marshall, Patricia. “Sexual Assault, the Charter and Sentencing Reform” (1988), 63 C.R. (3d) 216.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba (1997), 125 C.C.C. (3d) 558, 123 Man. R. (2d) 91, 159 W.A.C. 91, [1998] 2 W.W.R. 707, [1997] M.J. No. 539 (QL), qui a accueilli l’appel de l’accusé contre la peine d’emprisonnement d’un an assortie de trois ans de probation, ainsi que les amendes que lui avait infligées le juge Schwartz. Pourvoi accueilli, le juge en chef Lamer et le juge Iacobucci sont dissidents.

Matthew Britton, pour l’appelante.

James E. McLandress, pour l’intimé.

S. Ronald Fainstein, c.r., pour l’intervenant le procureur général du Canada.

Kenneth L. Campbell et Gregory J. Tweney, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

Version française des motifs du juge en chef Lamer et du juge Iacobucci rendus par

1 Le Juge en chef (dissident) — Le ministère public se pourvoit en l’espèce contre la décision de la Cour d’appel du Manitoba de substituer une ordonnance d’emprisonnement avec sursis à la peine d’incarcération infligée par le juge qui a déterminé la peine. Le présent pourvoi a été entendu en même temps que les affaires R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61, 2000 CSC 5; R. c. L.F.W., [2000] 1 R.C.S. 132, 2000 CSC 6; R. c. R.N.S., [2000] 1 R.C.S. 149, 2000 CSC 7, et R. c. Bunn, [2000] 1 R.C.S. 183, 2000 CSC 9. Tous ces pourvois portent sur les principes qui régissent l’octroi du sursis à l’emprisonnement dans le cadre du nouveau régime établi par la loi. Les présents motifs s’attachent principalement à l’application des principes énoncés dans l’arrêt Proulx, précité. Le présent pourvoi soulève également la question de l’incidence de changements qui surviennent dans le droit et dans les faits entre le prononcé de la peine par le juge du procès et l’audition de l’appel.

I. Les faits

2 Le 2 mai 1996, l’intimé a été déclaré coupable d’un chef d’agression sexuelle et de deux chefs de voies de fait contre une ancienne employée de sa ferme, qui était âgée d’une vingtaine d’années au moment des événements pertinents. Je m’en remets à l’exposé des faits qu’a préparé la Cour d’appel ((1997), 123 Man. R. (2d) 91, à la p. 96) et auquel ont souscrit les parties dans leurs observations écrites à notre Cour:

[traduction] En novembre 1990, [l’intimé] était à harnacher un cheval dans son écurie lorsqu’il a immobilisé la plaignante, a glissé ses mains dans son pantalon et a tiré les poils de son pubis. Il l’a ensuite entraînée dans une stalle et lui a ordonné de s’étendre sur la paille. Il lui a ensuite retiré son pantalon et lui a introduit un doigt dans le vagin, après quoi il lui a dit de n’en parler à personne et il est allé prendre son petit déjeuner.

Le deuxième événement s’est produit en février 1991. Pendant que la plaignante passait un collier à un cheval dans l’écurie, [l’intimé] a tiré sur le collier, faisant trébucher la plaignante qui s’est alors retrouvée au sol. Il a passé un bras autour de son cou, puis a introduit un doigt dans chacune de ses narines et a tiré si fort qu’il l’a fait saigner.

Les voies de fait faisant l’objet du troisième chef d’accusation sont survenues au cours de l’été 1991, lorsque [l’intimé] s’est amené dans le potager où travaillait la plaignante et lui a dit que c’était l’heure de manger. Il l’a alors saisie par derrière par les poignets, puis a dit à ses deux fils et à un ami de la prendre par les pieds et ils l’ont transportée dans la maison. La plaignante s’est débattue, les garçons ont lâché ses pieds, mais [l’intimé] l’a tirée par ses poignets dans une allée de gravier. Pendant l’événement, [l’intimé] a dit à la plaignante qu’elle était grosse et il a ri. Il lui a aussi dit que, lorsqu’il lui disait d’aller manger, elle devait le faire.

3 En juin 1996, l’intimé a été condamné à un an d’incarcération pour le chef d’agression sexuelle et au paiement d’amendes pour les deux chefs de voies de fait. Il a interjeté appel des déclarations de culpabilité et de la peine. Après le procès, mais avant l’audition de l’appel, les modifications apportées à la partie XXIII du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, par la Loi modifiant le Code criminel (détermination de la peine) et d’autres lois en conséquence, L.C. 1995, ch. 22 (le «projet de loi C‑41»), sont entrées en vigueur.

II. Les dispositions législatives pertinentes

4 Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46

718. Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants:

a) dénoncer le comportement illégal;

b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

f) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

718.1 La peine est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.

718.2 Le tribunal détermine la peine à infliger compte tenu également des principes suivants:

a) la peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant; sont notamment considérées comme des circonstances aggravantes des éléments de preuve établissant:

(i) que l’infraction est motivée par des préjugés ou de la haine fondés sur des facteurs tels que la race, l’origine nationale ou ethnique, la langue, la couleur, la religion, le sexe, l’âge, la déficience mentale ou physique ou l’orientation sexuelle,

(ii) que l’infraction perpétrée par le délinquant constitue un mauvais traitement de son conjoint ou de ses enfants;

(iii) que l’infraction perpétrée par le délinquant constitue un abus de la confiance de la victime ou un abus d’autorité à son égard;

(iv) que l’infraction a été commise au profit ou sous la direction d’un gang, ou en association avec lui;

b) l’harmonisation des peines, c’est‑à‑dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

c) l’obligation d’éviter l’excès de nature ou de durée dans l’infliction de peines consécutives;

d) l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient;

e) l’examen de toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones.

742.1 Lorsqu’une personne est déclarée coupable d’une infraction -- autre qu’une infraction pour laquelle une peine minimale d’emprisonnement est prévue -‑ et condamnée à un emprisonnement de moins de deux ans, le tribunal peut, s’il est convaincu que le fait de purger la peine au sein de la collectivité ne met pas en danger la sécurité de celle‑ci et est conforme à l’objectif et aux principes visés aux articles 718 à 718.2, ordonner au délinquant de purger sa peine dans la collectivité afin d’y surveiller le comportement de celui‑ci, sous réserve de l’observation des conditions qui lui sont imposées en application de l’article 742.3.

III. L’historique des procédures judiciaires

A. Cour du Banc de la Reine du Manitoba (motifs justifiant la peine), C.R. 94-03-0028, 6 juin 1996

5 Le 6 juin 1996, lorsque l’intimé s’est vu infliger sa peine, le projet de loi C‑41 n’était pas encore en vigueur. Par conséquent, le juge Schwartz, qui a déterminé la peine, n’avait pas la faculté de prononcer l’emprisonnement avec sursis.

6 Ce dernier a tout d’abord fait remarquer que l’affaire avait suscité beaucoup d’intérêt parce que l’intimé était bien connu au sein de sa collectivité et dans le milieu des courses de chevaux. Il a affirmé que l’intimé était un membre à la fois estimé et engagé de la collectivité où il résidait. Il avait un mariage solide et une entreprise prospère. Pour déterminer la peine appropriée, le juge Schwartz a examiné les différents principes applicables en la matière. Il a estimé que, en l’espèce, les objectifs de dissuasion générale et de dénonciation semblaient avoir plus d’importance que les autres objectifs. Il s’est dit convaincu que l’intimé ne récidiverait vraisemblablement jamais et qu’il était réadapté. S’il s’était agi de sa seule préoccupation, il n’aurait pas ordonné l’incarcération de l’intimé. Toutefois, afin de dissuader autrui d’agir ainsi et d’indiquer au reste de la collectivité le caractère répréhensible de la conduite de l’intimé, il a jugé qu’une peine d’emprisonnement s’imposait. Relativement au chef d’agression sexuelle, le juge Schwartz a condamné l’intimé à une peine d’un an d’incarcération, à purger consécutivement à celle qui lui avait déjà été infligée par suite d’une déclaration de culpabilité antérieure pour deux autres chefs d’agression sexuelle. La peine d’emprisonnement devait être suivie de trois années de probation sous surveillance. Pour ce qui est des accusations de voies de fait, l’intimé a été condamné au paiement d’amendes de 10 000 $ et de 2 000 $ ou, à défaut de paiement, à des peines d’emprisonnement d’un an et de trois mois respectivement.

B. Cour d’appel du Manitoba (1997), 123 Man. R. (2d) 91

7 L’intimé a interjeté appel de la déclaration de culpabilité et de la peine. Les déclarations de culpabilité afférentes aux trois chefs d’accusation ont été confirmées par la Cour d’appel.

8 Avant l’audition de l’appel, le projet de loi C‑41 est entré en vigueur. Le sursis à l’emprisonnement pouvait désormais être octroyé aux délinquants condamnés à une peine d’emprisonnement de moins de deux ans. Outre cette modification du droit applicable, un changement était également survenu dans les circonstances pertinentes à la détermination de la peine. Au moment du prononcé de celle-ci par le juge du procès, l’intimé venait tout juste d’être déclaré coupable de deux chefs d’agression sexuelle dans une affaire distincte et condamné à deux peines concurrentes de 10 mois d’emprisonnement. Peu avant l’appel, une formation différente de la Cour d’appel du Manitoba avait annulé ces déclarations de culpabilité: (1997), 118 Man. R. (2d) 37. De plus, lorsque l’appel a été entendu, l’intimé avait déjà versé 10 000 $ à la plaignante, conformément à un règlement intervenu devant la Commission des droits de la personne du Manitoba.

9 La Cour d’appel a jugé que l’intimé avait droit au bénéfice de l’application des nouvelles dispositions en matière de détermination de la peine entrées en vigueur après le prononcé initial de la peine. Compte tenu des changements survenus dans le droit applicable et les circonstances pertinentes, la Cour d’appel a considéré qu’il s’agissait, en réalité, d’un appel de novo de la détermination de la peine.

10 La Cour d’appel a examiné les différentes décisions rendues en application du régime d’octroi du sursis à l’emprisonnement et a jugé que, en raison de la confusion suscitée par les dispositions pertinentes, celles‑ci avaient été appliquées de manière incohérente. Selon elle, la modification qui a été apportée à l’art. 742.1 pour y ajouter l’exigence relative à la conformité à l’objectif et aux principes de la détermination de la peine (Loi de 1996 visant à améliorer la législation pénale, L.C. 1997, ch. 18, art. 107.1), et qui est entrée en vigueur le 2 mai 1997, a semblé indiquer que les tribunaux devraient prendre deux fois en compte les principes de détermination de la peine: d’abord au moment de décider de l’opportunité et, le cas échéant, de la durée de l’incarcération, et ensuite au moment de décider si la peine devrait être purgée au sein de la collectivité. La Cour d’appel a souligné que, malgré cette modification, l’aspect central des dispositions dans leur ensemble demeurait l’utilisation de l’emprisonnement comme mesure de dernier recours dans la détermination de la peine, et qu’aucune infraction et aucun délinquant n’étaient d’office exclus du champ d’application du nouveau régime d’octroi du sursis à l’emprisonnement, pourvu que les exigences relatives à la durée de l’emprisonnement infligé et à l’absence de danger pour la collectivité soient respectées.

11 Dans la présente affaire, la Cour d’appel a estimé que l’intimé était un bon candidat à l’octroi du sursis à l’emprisonnement. Il était peu probable qu’il récidive et sa réinsertion sociale ne posait pas problème. Mais, surtout, les objectifs de dénonciation et de dissuasion seraient effectivement réalisés s’il était contraint à vivre au sein de sa petite collectivité, tout en étant ouvertement assujetti à des limites strictes dans ses déplacements et ses activités. L’incarcération de l’intimé aurait pour seul but de chercher à venger ou à châtier la manière tout à fait inacceptable dont il a traité sa jeune et vulnérable employée. Rien dans la preuve n’indiquait que l’intimé risquait de mettre en danger la sécurité de la collectivité. Pour tirer cette conclusion, la Cour d’appel a gardé à l’esprit tous les principes de détermination de la peine énoncés dans le Code criminel, y compris le principe que le délinquant ne doit pas être privé de sa liberté si les circonstances justifient des sanctions moins contraignantes. La Cour d’appel a jugé que la honte, la déconsidération et la condamnation de la collectivité, conjuguées aux conditions strictes que serait tenu d’observer l’intimé, suffiraient à bien lui faire comprendre que sa conduite était tout à fait inacceptable et qu’un changement immédiat et radical s’imposait.

12 La Cour d’appel a accueilli l’appel de la peine et a infligé à l’intimé un emprisonnement global de neuf mois, soit une période de six mois pour l’agression sexuelle et des périodes de deux mois pour le premier épisode de voies de fait simples et d’un mois pour le deuxième, à être purgées consécutivement. Estimant qu’il s’agissait d’un cas justifiant l’application de l’art. 742.1, la cour a ordonné à l’intimé de purger sa peine au sein de la collectivité. En sus des conditions obligatoires prévues, la Cour d’appel a ordonné à l’intimé d’accomplir 100 heures de service communautaire pendant les six premiers mois, de suivre un cours destiné aux délinquants sexuels choisi par son agent de surveillance et de s’abstenir de quitter sa ferme, sauf dans certains cas limités.

IV. La question en litige

13 La question en litige dans le présent pourvoi est de savoir si la Cour d’appel a commis une erreur en substituant une ordonnance de sursis à l’emprisonnement à la peine d’incarcération infligée par le juge du procès.

V. L’analyse

A. Bénéfice en appel du régime d’octroi du sursis à l’emprisonnement

14 La Cour d’appel a eu raison de juger que l’intimé avait droit, en appel, au bénéfice de l’application du régime d’octroi du sursis à l’emprisonnement. Je fonde cette conclusion sur l’al. 44e) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, dont voici le texte:

44. En cas d’abrogation et de remplacement, les règles suivantes s’appliquent:

. . .

e) les sanctions dont l’allégement est prévu par le nouveau texte sont, après l’abrogation, réduites en conséquence;

15 Comme l’a dit mon collège le juge Major dans R. c. Dunn, [1995] 1 R.C.S. 226, au par. 27:

Je conclus que l’al. 44e) de la Loi d’interprétation résout la question que soulève le présent pourvoi. Lorsqu’une modification à une disposition portant sur l’imposition de sentences a été apportée après la déclaration de culpabilité et le prononcé de la sentence par le juge du procès, mais avant qu’il n’ait été statué sur l’appel, le contrevenant a le droit de bénéficier de la peine la moins sévère.

Le même raisonnement s’applique en l’espèce. L’intimé a droit au bénéfice de toute modification des dispositions relatives à la détermination de la peine qui était en vigueur au moment de l’appel et qui établit une peine moins sévère ou, suivant le texte de l’al. 44e), entraîne l’allégement de la sanction originale.

16 À l’issue du procès, l’intimé a été condamné à une peine d’emprisonnement d’un an. Les tribunaux ont maintenant la faculté, en vertu de l’art. 742.1, de prononcer l’emprisonnement avec sursis dans les cas où le délinquant est condamné à un emprisonnement de moins de deux ans, dans la mesure où les autres préalables prévus par la loi sont respectés. Si le régime d’octroi du sursis à l’emprisonnement et les autres dispositions du projet de loi C‑41 concernant la détermination de la peine avaient été en vigueur au moment du prononcé de la peine, le juge du procès aurait pu envisager la possibilité d’accorder le sursis à l’emprisonnement. Cette constatation découle de l’al. 718.2e), qui précise que le tribunal doit examiner toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances. L’emprisonnement avec sursis étant une sanction moins privative de liberté que l’incarcération, elle emporte allégement de la sanction au sens de l’al. 44e) de la Loi d’interprétation. Par conséquent, l’intimé devrait avoir droit, en appel, au bénéfice de l’application du régime d’octroi du sursis à l’emprisonnement.

B. Contrôle de la peine prononcée par la Cour d’appel

17 En raison des changements qui sont survenus entre le procès et l’audition de l’appel dans le droit applicable et les circonstances pertinentes, la Cour d’appel a procédé à nouveau à la détermination de la peine de l’intimé, comme elle était habilitée à le faire. Cette situation soulève la question de savoir quelle est la norme de contrôle que doit appliquer notre Cour à l’égard de la peine infligée par la Cour d’appel.

18 Dans Proulx, précité, notre Cour s’est penchée sur la norme de contrôle applicable par les cours d’appel à l’égard de la peine prononcée par le juge du procès. Elle a réitéré la conclusion suivante, prononcée dans R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, au par. 90:

[S]auf erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur les facteurs appropriés, une cour d’appel ne devrait intervenir pour modifier la peine infligée au procès que si elle n’est manifestement pas indiquée.

19 Comme l’a expliqué notre Cour dans M. (C.A.), précité, au par. 91, cette norme de contrôle préconisant la retenue a de «profondes justifications fonctionnelles». Voici deux des justifications qui ont été énoncées dans M. (C.A.). Premièrement, du fait qu’il sert en première ligne de notre système de justice pénale, le juge qui détermine la peine a généralement plus d’expérience pratique en la matière que bon nombre de juges des cours d’appel. Deuxièmement, facteur plus important encore, il connaît généralement mieux la collectivité où l’infraction a été perpétrée et il est donc mieux placé pour fixer une peine appropriée.

20 À la lumière de ce qui précède, je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu de faire montre du même degré de retenue envers une peine infligée par une cour d’appel qu’envers celle prononcée par le juge du procès. Cela ne veut toutefois pas dire que notre Cour ne doit faire montre d’aucune retenue envers les peines infligées par une cour d’appel. En effet, les cours d’appel provinciales sont plus fréquemment saisies d’appels relatifs à la peine que notre Cour qui, comme il est précisé au par. 2 de l’arrêt Proulx, précité, entend rarement des appels de cette nature. De plus, quoique les cours d’appel soient généralement plus éloignées des collectivités où les infractions ont été commises que les juges appelés à déterminer les peines, elles sont néanmoins presque invariablement plus près de celles‑ci que ne l’est notre Cour.

21 Par conséquent, je suis d’avis que notre Cour doit faire montre d’une certaine retenue à l’égard des peines déterminées par les cours d’appel. Je m’empresse toutefois d’ajouter que la question du degré de retenue dont notre Cour doit faire montre envers les peines infligées par les cours d’appel ne se soulèvera qu’exceptionnellement, compte tenu du fait que notre Cour n’entend que rarement des appels relatifs à la peine.

C. Application au présent cas des principes énoncés dans Proulx

22 Je ne modifierais pas la peine infligée par la Cour d’appel, et ce malgré le fait que cette dernière semble avoir appliqué une démarche rigide en deux étapes, dérogeant ainsi à celle exposée dans Proulx, précité. Avant de rendre sa décision, la Cour d’appel a soigneusement examiné la preuve au dossier, soulignant que depuis la détermination initiale de la peine, les déclarations de culpabilité prononcées contre l’intimé à l’égard d’autres agressions sexuelles avaient été annulées et que ce dernier avait versé 10 000 $ à la plaignante conformément à un règlement intervenu devant la Commission des droits de la personne du Manitoba. La cour a jugé que la sécurité de la collectivité ne serait pas mise en danger par la présence de l’intimé, d’une part parce qu’il était peu probable que l’intimé récidive et d’autre part parce que sa réinsertion sociale ne posait pas problème. La Cour d’appel a pris en considération le principe de la modération dans le recours à l’incarcération et elle a examiné les objectifs pertinents de la détermination de la peine. Elle est arrivée à la conclusion que la honte, la déconsidération et la condamnation de la collectivité que s’était attiré l’intimé, conjuguées aux conditions strictes auxquelles il serait assujetti dans l’exécution de sa peine, répondraient suffisamment aux objectifs de dénonciation et de dissuasion. La Cour d’appel a reconnu le caractère avilissant de la conduite de l’intimée vis‑à‑vis de son employée, mais elle a jugé que ce fait ne constituait pas un empêchement absolu à l’octroi du sursis à l’emprisonnement dans les circonstances. Elle a infligé une peine d’emprisonnement de neuf mois assortie de conditions rigoureuses comme la détention à domicile, le service communautaire et la participation à un programme de traitement destiné aux délinquants sexuels (choisi par l’agent de surveillance de l’intimé). Quoique cette peine semble relativement clémente et que, si j’avais présidé le procès, j’aurais peut-être infligé soit une peine d’emprisonnement avec sursis plus longue soit une peine d’incarcération, j’hésite, pour les raisons exposées aux par. 20 et 21, à substituer mon opinion à celle de la Cour d’appel.

VI. Le dispositif

23 Étant donné que la Cour d’appel a soigneusement analysé les principes pertinents de détermination de la peine et tenu compte de la preuve, je n’estime pas être justifié d’intervenir. Je rejetterais donc le pourvoi.

Version française de jugement des juges L’Heureux-Dubé, Gonthier, McLachlin, Major, Bastarache et Binnie rendu par

24 Le juge L’Heureux‑Dubé -- Le présent pourvoi porte sur la question de savoir si la Cour d’appel a commis une erreur en condamnant l’intimé -- qui était l’employeur de la plaignante -- à une peine d’emprisonnement de neuf mois avec sursis pour un chef d’agression sexuelle et deux chefs de voies de fait simples. Plus précisément, la peine comprenait six mois pour le chef d’agression sexuelle, ainsi que deux mois et un mois respectivement pour les chefs de voies de fait simples. En toute déférence, j’estime que la Cour d’appel a fait erreur en infligeant une peine d’emprisonnement de six mois avec sursis pour l’agression sexuelle. En agissant ainsi, elle a substitué une courte période d’emprisonnement avec sursis à la peine d’incarcération d’un an prononcée au procès. Au regard des principes de détermination de la peine énoncés dans le pourvoi connexe R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61, 2000 CSC 5, j’estime que la peine infligée par la Cour d’appel est inappropriée eu égard à la gravité des infractions commises et à la culpabilité morale dont l’intimé a fait preuve en abusant de sa situation d’autorité.

25 J’adopte l’exposé des faits et des décisions antérieures tel que relaté par le Juge en chef, et je souscris aux principes de détermination de la peine et à l’état du droit énoncés dans l’arrêt Proulx, précité. Je reconnais également que, conformément à la décision de la majorité de notre Cour dans R. c. Dunn, [1995] 1 R.C.S. 226, l’intimé avait droit au bénéfice de l’application des nouvelles dispositions en matière de détermination de la peine établies par le projet de loi C‑41 (maintenant L.C. 1995, ch. 22).

26 Quoique la Cour d’appel ait été habilitée à réviser la sentence de l’intimé, elle aurait dû reconnaître que la conclusion du juge du procès que la peine juste et appropriée pour l’agression sexuelle selon les anciennes dispositions -- un an d’incarcération et trois années de probation -- reflétait bien la gravité des actes en cause ainsi que le besoin de dénonciation et de dissuasion générale en l’espèce. (En ce qui concerne la gravité de l’agression sexuelle en tant qu’infraction et, de façon plus générale, son caractère insidieux au sein de la collectivité canadienne, voir: R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595, à la p. 669; R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330, aux par. 68 à 75, le juge L’Heureux‑Dubé; quant aux problèmes de détermination de la peine en matière d’agression sexuelle, voir: P. Marshall, «Sexual Assault, the Charter and Sentencing Reform» (1988), 63 C.R. (3d) 216.)

27 La Cour d’appel a substitué une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis à la peine d’incarcération d’un an qui avait été imposée au procès, imposant ainsi une peine beaucoup plus clémente (voir Proulx, précité, au par. 44). Je suis d’avis que, ce faisant, la cour a sérieusement mis de côté la nécessité d’accorder tout le poids requis pour rencontrer les objectifs de dénonciation et de dissuasion dans des cas tels que celui-ci.

28 La Cour d’appel a dit que, en l’espèce, ces objectifs pourraient [traduction] «effectivement être réalisés si l’appelant [intimé], qui est une personne bien en vue, [était] forcé de vivre au sein de sa petite collectivité et que sa liberté de se déplacer et de vaquer à ses activités était ouvertement assujettie à des restrictions rigoureuses» ((1997), 123 Man. R. (2d) 91, à la p. 99). À mon avis, bien que le fait pour le délinquant de purger sa peine au sein de la collectivité, en détention à domicile, puisse, dans certaines circonstances, produire le degré de dénonciation et de dissuasion approprié, ces mesures n’envoient pas un message suffisamment fort en l’espèce.

29 Le juge Schwartz a reconnu qu’il n’y avait que peu ou pas de risque que l’intimé récidive et que, avec le soutien de sa famille et de ses amis, celui‑ci pourrait se réhabiliter. Néanmoins, il ressort du dossier que le juge du procès était au courant du fait qu’un bon nombre de membres de la communauté de l’intimé l’appuyaient et avaient tendance à rejeter l’idée qu’il ait pu commettre l’infraction dont il avait été déclaré coupable. Tenant compte de ces facteurs, le juge Schwartz a souligné que, en raison de la gravité de l’agression sexuelle et des autres voies de fait perpétrées, le tribunal se devait de signaler à la collectivité que ce type de comportement était répréhensible et ne serait pas toléré. Pour lui, cela signifiait que les objectifs de dissuasion générale et de dénonciation étaient ici plus importants que l’objectif de réinsertion sociale. De fait, il a indiqué qu’il considérait que la peine d’emprisonnement d’un an requise par le ministère public pour l’agression sexuelle se situait à [traduction] «l’extrémité inférieure de la fourchette des peines applicables», et il a dit ceci:

[traduction] Au nom de la collectivité, la cour dénonce [les comportements telles les agressions sexuelles] dans la détermination de la peine. Plus la conduite doit être dénoncée, plus sévère sera la peine infligée afin d’indiquer que la collectivité ne tolérera pas ce genre de conduite de la part de ses membres.

(B.R. Man., C.R. 94-03-0028, 6 juin 1996, à la p. 4 (transcription).)

30 Les modifications apportées au régime de détermination de la peine par le projet de loi C‑41 habilitaient la Cour d’appel à soupeser à nouveau les objectifs de dénonciation, de dissuasion et de réinsertion sociale, compte tenu de l’importance nouvelle accordée aux objectifs de justice corrective. Ces modifications permettaient également à la cour d’envisager la possibilité d’infliger une peine d’emprisonnement avec sursis. Quoique la cour n’ait tiré aucune conclusion indiquant que l’intimé manifestait volontairement des signes de remords ou reconnaissait sa responsabilité pour les actes qu’il avait commis, elle a souligné que, depuis le prononcé de la peine initiale, l’intimé avait versé la somme de 10 000 $ à la plaignante en règlement de la procédure engagée par celle‑ci devant la Commission des droits de la personne du Manitoba relativement aux mêmes événements. Ce fait militait en faveur de la poursuite d’objectifs de justice corrective et, par conséquent, en faveur du prononcé d’une peine d’emprisonnement avec sursis. (Voir l’al. 718f) du Code Criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, et l’arrêt Proulx, précité, au par. 113.) À mon avis, toutefois, ce facteur n’était pas important au point d’écarter le besoin d’infliger une peine d’incarcération d’un an afin de dénoncer et dissuader suffisamment ce genre de crime tel que déterminé par le juge du procès.

31 Je suis consciente du fait que, avant d’entendre cet appel, la Cour d’appel avait annulé des déclarations de culpabilité pour agression sexuelle prononcées antérieurement contre l’intimé dans deux affaires distinctes. Cette décision a eu pour effet d’éliminer une des circonstances aggravantes dont le juge du procès avait tenu compte dans la détermination de la peine. Cependant, je souligne que subsistaient plusieurs autres circonstances aggravantes, notamment: l’abus d’autorité commis par l’employeur à l’égard d’une employée (voir le sous‑al. 718.2a)(iii) du Code criminel); le caractère violent et avilissant des actes de l’intimé; la naïveté et la vulnérabilité de la plaignante, ainsi que le tort causé à sa carrière et à sa vie familiale. À mon avis, ces facteurs aggravants étaient suffisants pour militer contre la courte peine d’emprisonnement avec sursis imposée par la Cour d’appel.

32 La Cour d’appel a commis une erreur en ne tenant pas suffisamment compte de la principale circonstance aggravante en l’espèce: l’abus de sa situation d’autorité dont s’est rendu coupable l’intimé en agressant la plaignante sur les lieux de travail. (Pour une affaire où un comportement semblable a été considéré à juste titre comme un facteur aggravant, voir: R. c. Boudreau, [1996] N.W.T.J. No. 107 (QL) (C.S.), au par. 18; pour une analyse générale du sens des expressions «situation d’autorité» et «situation de confiance», voir: R. c. Audet, [1996] 2 R.C.S. 171, aux par. 33 à 45; pour une affaire où on a reconnu l’influence, dans le contexte du harcèlement sexuel, du pouvoir et de l’autorité dont jouissent les employeurs vis‑à‑vis de leurs employés, voir: Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252, à la p. 1281.)

33 Dans l’arrêt Proulx, précité, notre Cour a déclaré ceci, au par. 114:

Lorsque des objectifs punitifs tels que la dénonciation et la dissuasion sont particulièrement pressants, par exemple en présence de circonstances aggravantes, l’incarcération sera généralement la sanction préférable, et ce en dépit du fait que l’emprisonnement avec sursis pourrait également permettre la réalisation d’objectifs correctifs.

En raison de l’abus par l’intimé de sa situation d’autorité et de la nature violente et avilissante des agressions qu’il a commises, les objectifs punitifs de dénonciation et de dissuasion revêtent un caractère particulièrement pressant en l’espèce. La Cour d’appel a donc fait erreur en infligeant une courte peine d’emprisonnement avec sursis, alors qu’une peine d’incarcération était la sanction préférable.

34 Pour ces motifs, j’estime que la peine d’emprisonnement avec sursis de six mois infligée pour l’agression sexuelle était une sanction inappropriée dans les circonstances. Tout comme il l’a fait dans l’affaire R. c. R.N.S., [2000] 1 R.C.S. 149, 2000 CSC 7, le ministère public a concédé, au cours des plaidoiries, qu’il ne sollicitait pas de sanction additionnelle, maintenant que l’intimé a entièrement purgé sa peine d’emprisonnement avec sursis. Par conséquent, puisque cela n’aurait aucune conséquence d’ordre pratique pour l’intimé, je n’ai pas à décider si une peine de cette nature, mais plus longue et assortie de conditions plus rigoureuses, pouvait respecter les nouveaux principes de détermination de la peine. Pour ce qui est des chefs de voies de fait simples, le ministère public a reconnu, en appel, que les amendes infligées au procès n’étaient pas une sanction appropriée. Je souscris donc à la conclusion de la Cour d’appel que les peines d’emprisonnement avec sursis de deux mois et d’un mois infligées à l’égard des chefs de voies de fait simples étaient des sanctions appropriées.

35 Par conséquent, j’accueillerais le pourvoi, j’annulerais la peine d’emprisonnement avec sursis de six mois infligée par la Cour d’appel pour l’agression sexuelle et je rétablirais la peine d’un an d’incarcération prononcée par le juge Schwartz à l’égard de cette infraction. Cette peine sera suivie d’un emprisonnement avec sursis de trois mois pour les voies de fait simples et de la période de probation de trois ans imposée par le juge du procès pour l’agression sexuelle. Toutefois, je surseoirais à l’exécution de ces peines en l’espèce, en raison des concessions faites par le ministère public au cours des plaidoiries devant notre Cour.

Pourvoi accueilli, le juge en chef Lamer et le juge Iacobucci sont dissidents.

Procureur de l’appelante: Justice Manitoba, Winnipeg.

Procureurs de l’intimé: Taylor, McCaffrey, Winnipeg.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada: Le sous-procureur général du Canada, Ottawa.

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario: Le ministère du Procureur général, Toronto.

* Le juge Cory n’a pas pris part au jugement.



Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : R.A.R.

Références :
Proposition de citation de la décision: R. c. R.A.R., 2000 CSC 8 (31 janvier 2000)


Origine de la décision
Date de la décision : 31/01/2000
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2000 CSC 8 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2000-01-31;2000.csc.8 ?
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