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07/12/2001 | CANADA | N°2001_CSC_85

Canada | Bande indienne d'Osoyoos c. Oliver (Ville), 2001 CSC 85 (7 décembre 2001)


Bande Indienne d’Osoyoos c. Oliver (Ville), [2001] 3 R.C.S. 746, 2001 CSC 85

Bande indienne d’Osoyoos Appelante

c.

La ville d’Oliver et Sa Majesté la Reine du Chef

de la Province de la Colombie‑Britannique Intimées

et

Le procureur général du Canada et la Banque indienne

de Squamish Intervenants

Répertorié : Bande indienne d’Osoyoos c. Oliver (Ville)

Référence neutre : 2001 CSC 85.

No du greffe : 27408.

2001 : 12 juin; 2001 : 7 décembre.

Présents : Le juge en chef McLachlin et les juges L’H

eureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVO...

Bande Indienne d’Osoyoos c. Oliver (Ville), [2001] 3 R.C.S. 746, 2001 CSC 85

Bande indienne d’Osoyoos Appelante

c.

La ville d’Oliver et Sa Majesté la Reine du Chef

de la Province de la Colombie‑Britannique Intimées

et

Le procureur général du Canada et la Banque indienne

de Squamish Intervenants

Répertorié : Bande indienne d’Osoyoos c. Oliver (Ville)

Référence neutre : 2001 CSC 85.

No du greffe : 27408.

2001 : 12 juin; 2001 : 7 décembre.

Présents : Le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un jugement de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1999), 172 D.L.R. (4th) 589, 122 B.C.A.C. 220, 200 W.A.C. 220, 68 B.C.L.R. (3d) 218, [1999] 4 C.N.L.R. 91, [1999] B.C.J. No. 997 (QL), 1999 BCCA 297, qui a confirmé une décision de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique (1997), 145 D.L.R. (4th) 552, [1998] 2 C.N.L.R. 66, [1997] B.C.J. No. 828 (QL). Pourvoi accueilli, les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Major et Bastarache sont dissidents.

Louise Mandell, c.r., Leslie Pinder et Clarine Ostrove, pour l’appelante.

Barry Williamson et Gregg Cockrill, pour l’intimée la ville d’Oliver.

Timothy P. Leadem, c.r., Paul Yearwood et Hunter Gordon, pour l’intimée Sa Majesté la Reine du Chef de la Province de la Colombie‑Britannique.

Gerald Donegan, c.r., Kathy Ring et Mary King, pour l’intervenant le procureur général du Canada.

John R. Rich et F. Matthew Kirchner, pour l’intervenante la Bande indienne de Squamish.

Version française du jugement du juge en chef McLachlin et des juges Iacobucci, Binnie, Arbour et LeBel rendu par

Le juge Iacobucci --

I. Introduction

1 Dans le présent pourvoi, notre Cour est appelée à décider si la bande indienne d’Osoyoos (la « Bande ») a le pouvoir d’évaluer et de taxer une parcelle de terrain qui traverse la réserve numéro 1 de la Bande. Pour répondre à cette question, il faut déterminer si la parcelle en cause est située « dans la réserve » au sens de l’al. 83(1)a) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5. En l’espèce, la principale question de droit est l’interprétation qu’il convient de donner au décret qu’a pris le gouverneur en conseil, en 1957, en vertu de l’art. 35 de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, ch. 149, et qui conférait à la province de la Colombie‑Britannique un droit sur la parcelle en litige.

2 Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la Bande peut taxer la parcelle en question et, en conséquence, j’accueillerais le pourvoi.

II. Les faits

3 Bien que mon collègue le juge Gonthier ait décrit de façon claire le contexte du présent pourvoi, je préfère exposer les faits et le contexte pertinents pour les fins de l’examen et de l’analyse.

4 La réserve numéro 1 de la Bande (la « Réserve »), qui est située près de la ville d’Oliver dans la vallée de l’Okanagan dans le sud de la Colombie‑Britannique, est une réserve au sens de la Loi sur les Indiens.

5 À un certain moment avant le 25 mars 1925, on a construit un canal d’irrigation en béton d’une superficie totale de 56,09 acres sur une parcelle de terrain scindant la Réserve en deux. La construction du canal visait à contribuer au développement agricole de la région d’Okanagan sud en Colombie‑Britannique. Toutefois, ce n’est qu’en 1957 qu’on a tenté d’officialiser les droits sur les terres formant le canal.

6 Le 25 avril 1957, en vertu du pouvoir prévu à l’art. 35 de la Loi sur les Indiens, le gouverneur en conseil a pris le décret 1957‑577 relativement à la parcelle de terrain occupée alors par le canal d’irrigation. Le décret était ainsi rédigé :

[traduction]

ATTENDU que le ministre de l’Agriculture de la province de la Colombie‑Britannique a demandé, pour les besoins d’un canal d’irrigation, les terres décrites ci‑après, qui constituent une portion de la réserve indienne numéro un de la bande indienne d’Osoyoos, dans ladite province;

ET ATTENDU que la somme de 7 700 $ a été reçue de la province de la Colombie‑Britannique à titre de paiement complet des terres demandées, conformément à l’évaluation approuvée par le conseil de la bande indienne d’Osoyoos le 30 mars 1955 et par les fonctionnaires de la Division des Affaires indiennes;

À CES CAUSES, il plaît à Son Excellence le gouverneur général en conseil, sur la recommandation du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et conformément aux dispositions de l’article 35 de la Loi sur les Indiens, de consentir à la prise de ces terres par la province de la Colombie‑Britannique et d’en céder la gestion et la maîtrise à Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie‑Britannique :

DESCRIPTION

L’ensemble des droits de passage, dans la réserve numéro un de la bande indienne d’Osoyoos, dans la province de la Colombie‑Britannique, lesdits droits de passage s’étendant sur une superficie d’environ cinquante‑six acres et neuf centièmes, tels qu’ils sont représentés, lisérés de rouge, sur le plan enregistré numéro Irr deux mille cent trente‑quatre des registres d’arpentage des Affaires indiennes à Ottawa; à l’exception toutefois de toute la portion située à l’intérieur des limites du droit de passage servant à une route, ce droit de passage étant représenté, liséré de rouge, sur le plan enregistré sous le numéro Rd trois mille six cent quatre‑vingt de ces registres, dont une copie est déposée au bureau d’enregistrement des droits immobiliers du district de Kamloops à Kamloops, sous le numéro A mille trois cent soixante‑dix‑sept; à l’exception également de toutes les routes réservées par la province de la Colombie‑Britannique, au moyen du décret provincial numéro mille trente‑six, et aussi sous réserve d’une servitude existante relative à une ligne de haute tension, octroyée à West Kootenay Power and Light Company Ltd., au moyen du décret C.P. 143, daté du 25 janvier 1937, pour une période de trente ans, ce droit de passage ayant une superficie d’environ 22 acres et deux dixièmes, et est représenté sur un plan d’arpentage préparé par R.P. Brown, B.C.L.S., en date du 16 novembre 1936 et inscrit au registre de la Division des Affaires indiennes sous le numéro de plan M. 2691.

Le tout sous réserve des mines et des minéraux et du droit de les exploiter.

7 Le pouvoir du ministre provincial de l’Agriculture d’exproprier des terres aux fins d’exécution de travaux d’irrigation était prévu à l’art. 21 de la Water Act, R.S.B.C. 1948, ch. 361. Ce pouvoir n’a pas été invoqué officiellement. Le gouverneur en conseil a plutôt donné suite à la demande du ministre en permettant un octroi en vertu du par. 35(3) de la Loi sur les Indiens sans expropriation officielle. Le décret était le seul texte autorisant le transfert de la parcelle en question.

8 Le 12 septembre 1961, les terres formant le canal ont été inscrites au bureau d’enregistrement des droits immobiliers à Kamloops par voie de certificat de titre incontestable au nom de Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie‑Britannique.

9 Actuellement, la ville d’Oliver exploite et entretient le canal. La source du pouvoir en vertu duquel la ville d’Oliver occupe les terres formant le canal est incertaine. À la lumière de ce qu’on lui a dit, la Cour d’appel a tenu pour acquis que la ville d’Oliver était partie à un bail conclu avec la province. Toutefois, les parties conviennent maintenant qu’il n’existe aucun document constatant un bail.

10 En 1994, en application de l’art. 83 de la Loi sur les Indiens, le conseil de la Bande indienne d’Osoyoos (le « conseil de bande ») a pris des règlements administratifs en matière d’évaluation et de taxation foncières (la « réglementation ») applicables aux terres situées dans la Réserve.

11 La réglementation pourvoit à la nomination d’un évaluateur chargé de leur application. En vertu de ce pouvoir, le conseil de bande a nommé la B.C. Assessment Authority (ci‑après la « Commission d’évaluation foncière ») comme évaluatrice.

12 Le 28 août 1995, le conseil de bande a adopté une résolution (1995‑65) ordonnant à la Commission d’évaluation foncière d’évaluer les terres formant le canal et de les inscrire au rôle d’évaluation de la Bande pour 1996. La Commission d’évaluation foncière a inscrit ces terres dans les registres de la Bande. Elle les a évaluées ainsi :

Terrain

Améliorations

Valeur imposable

Lot A

37 100 $

95 300 $

132 400 $

Lot B

36 200 $

99 200 $

135 400 $

Lot C

63 800 $

110 000 $

173 800 $

Lot D

26 400 $

56 900 $

83 300 $

——————‑

——————‑

——————‑

163 500 $

361 400 $

524 900 $

13 La ville d’Oliver s’est opposée à l’évaluation des terres formant le canal par la Bande. La ville d’Oliver et la province ont été invitées à présenter des observations à la Commission de révision de l’évaluation foncière de la Bande. La Commission de révision a décidé de suspendre l’instance et de soumettre à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique un exposé de cause comportant les deux questions suivantes :

[traduction]

1. Est‑ce que les terres prises en vertu de l’art. 35 de la Loi sur les Indiens sont des « immeubles [ou] des droits sur ceux‑ci » situés dans la réserve d’une bande au sens de l’al. 83(1)a) de la Loi sur les Indiens et sont, de ce fait, évaluables et imposables en vertu du règlement d’évaluation foncière de la bande et imposables en vertu de son règlement en matière de taxation?

2. Si l’article 35 de la Loi sur les Indiens permet de retirer à des terres leur qualité de terres de réserve, est‑ce que le décret fédéral 1957‑577, en vertu duquel les terres ont été transférées, a eu cet effet sur les terres en cause, de sorte qu’elles ne sont pas évaluables et imposables par la bande indienne d’Osoyoos?

14 Le juge en chambre a répondu « non » à la question 1 et « oui » à la question 2. Il a donc conclu que la parcelle en question n’était pas située dans la Réserve et n’était pas visée par le pouvoir de taxation reconnu à la Bande par l’al. 83(1)a).

15 En appel, les juges majoritaires de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique ont confirmé la décision du juge en chambre. Le juge Lambert, dissident, aurait accueilli l’appel.

III. Les dispositions législatives pertinentes

16 Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, ch. 149

2. (1) Dans la présente loi, l’expression

. . .

o) « réserve » signifie une parcelle de terrain dont le titre juridique est attribué à Sa Majesté et qu’Elle a mise de côté à l’usage et au profit d’une bande;

18. (1) Sauf les dispositions de la présente loi, Sa Majesté détient des réserves à l’usage et au profit des bandes respectives pour lesquelles elles furent mises de côté; et, sauf la présente loi et les stipulations de tout traité ou cession, le gouverneur en conseil peut décider si tout objet, pour lequel des terres dans une réserve sont ou doivent être utilisées, se trouve à l’usage et au profit de la bande.

35. (1) Lorsque, par une loi du Parlement du Canada ou d’une législature provinciale, Sa Majesté du chef d’une province, une autorité municipale ou locale, ou une corporation, a le pouvoir de prendre ou d’utiliser des terres ou tout droit y afférent sans le consentement du propriétaire, ce pouvoir peut, avec le consentement du gouverneur en conseil et aux conditions qu’il est loisible à ce dernier de prescrire, être exercé relativement aux terres dans une réserve ou à tout intérêt y afférent.

(2) À moins que le gouverneur en conseil n’en ordonne autrement, toutes les matières concernant la prise ou l’utilisation obligatoire de terres dans une réserve, aux termes du paragraphe (1), doivent être régies par la loi qui confère les pouvoirs.

(3) Lorsque le gouverneur en conseil a consenti à l’exercice des pouvoirs mentionnés au paragraphe (1) par une province, autorité ou corporation, il peut, au lieu que la province, l’autorité ou la corporation prenne ou utilise les terres sans le consentement du propriétaire, permettre un transfert ou octroi de ces terres à la province, autorité ou corporation, sous réserve des conditions prescrites par le gouverneur en conseil.

(4) Tout montant dont il est convenu ou qui est accordé à l’égard de la prise ou de l’utilisation obligatoire de terrains sous le régime du présent article ou qui est payé pour un transfert ou octroi de terre selon le présent article, doit être versé au receveur général du Canada à l’usage et au profit de la bande ou à l’usage et au profit de tout Indien qui a droit à l’indemnité ou au paiement du fait de l’exercice des pouvoirs mentionnés au paragraphe (1).

Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5

83. (1) Sans préjudice des pouvoirs que confère l’article 81, le conseil de la bande peut, sous réserve de l’approbation du ministre, prendre des règlements administratifs dans les domaines suivants :

a) sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’imposition de taxes à des fins locales, sur les immeubles situés dans la réserve, ainsi que sur les droits sur ceux‑ci, et notamment sur les droits d’occupation, de possession et d’usage;

. . .

(2) Toute dépense à faire sur les fonds prélevés en application du paragraphe (1) doit l’être sous l’autorité d’un règlement administratif pris par le conseil de la bande.

(3) Les règlements administratifs pris en application de l’alinéa (1)a) doivent prévoir la procédure de contestation de l’évaluation en matière de taxation.

Water Act, R.S.B.C. 1948, ch. 361

[traduction]

21. (1) Dans le présent article et dans les trois suivants, le mot « terres » s’entend également des domaines, droits, intérêts ou servitudes relatifs à celles‑ci.

(2) Les détenteurs de permis ont le droit d’exproprier les terres raisonnablement requises pour la construction, l’entretien, l’amélioration ou l’exploitation de tout ouvrage autorisé par leur permis, et le détenteur d’un permis autorisant la dérivation des eaux à des fins domestiques ou pour un réseau d’aqueduc a en outre le droit d’exproprier toute terre dont la maîtrise l’aiderait à empêcher la pollution des eaux qu’il est autorisé à dériver, et, avec le consentement du lieutenant gouverneur en conseil, le détenteur d’un permis autorisant la construction d’un barrage a également le droit d’exproprier toute terre qui serait inondée si le barrage était construit et utilisé à la hauteur maximale autorisée. Le propriétaire de la terre expropriée doit être indemnisé pour celle‑ci par le détenteur du permis, auquel cas la procédure d’expropriation et la méthode de détermination de l’indemnité sont celles prescrites par règlement.

IV. Les décisions des juridictions inférieures

A. Cour suprême de la Colombie‑Britannique (1997), 145 D.L.R. (4th) 552

17 Relativement à la première question énoncée, le juge Mackenzie a examiné les décisions applicables des tribunaux de la Colombie‑Britannique en corrélation avec le texte des dispositions législatives pertinentes. Il a conclu que le sens ordinaire des termes utilisés au par. 35(3) de la Loi sur les Indiens menait inéluctablement à la conclusion que cette disposition permet la cession d’un intérêt en fief simple sur des terres de réserve. De plus, la cession d’un fief simple absolu exclut les terres visées de la réserve et, de ce fait, les terres prises en vertu de l’art. 35 ne sont plus des terres de réserve et ne sont pas évaluables ou imposables en vertu de l’al. 83(1)a). Le juge MacKenzie a en conséquence répondu par la négative à la première question.

18 Relativement à la deuxième question énoncée, le juge Mackenzie a conclu que les mots clés du décret ne comportaient pas de termes restrictifs. À son avis, les mots « pour les besoins d’un canal d’irrigation » n’ont pas créé une servitude ni un fief résoluble assorti d’un intérêt réversif, et il n’y avait pas non plus de mots susceptibles d’être qualifiés de condition. Il a conclu ainsi, au par. 6 :

[traduction] Le transfert de la gestion et de la maîtrise n’est assorti d’aucune restriction qui en ferait l’équivalent d’une servitude. À mon avis, il s’agit en l’espèce du transfert de la gestion et de la maîtrise pour une période indéterminée, soit l’équivalent d’un fief absolu ou d’un transfert résoluble lorsque les terres visées cesseraient d’être utilisées aux fins d’irrigation. Les terres sont toujours utilisées à ces fins et aucun événement susceptible de mettre fin au transfert de la gestion et de la maîtrise n’est survenu.

19 Le juge Mackenzie a rejeté l’argument voulant qu’un fief résoluble visant des terres de réserve soit imposable. Il a conclu qu’un tel fief résoluble faisait perdre aux terres en question leur qualité de terres de réserve aux fins de taxation pendant la durée du fief.

20 Enfin, tenant pour acquis -- sans trancher la question -- que les minéraux demeurent dans la réserve, le juge Mackenzie a conclu que le pouvoir de taxer les terres de réserve ne s’étend pas aux mines et minéraux réservés.

21 Pour les motifs qui précèdent, le juge Mackenzie a répondu par l’affirmative à la deuxième question.

B. Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1999), 172 D.L.R. (4th) 589

1. Les juges Newbury et Prowse

22 Rédigeant les motifs de la majorité, Madame le juge Newbury a commencé son analyse en exprimant l’opinion qu’il n’était ni opportun ni utile d’étudier le titre aborigène relativement aux questions énoncées. À son avis, la véritable question litigieuse dans le cadre de l’appel était de savoir si la « prise » effectuée au moyen du décret avait eu pour effet d’enlever aux terres visées leur qualité d’immeubles « situés dans la réserve ».

23 Madame le juge Newbury a ensuite examiné les principes applicables à l’interprétation des lois et documents en cause dans la présente affaire. Elle a estimé que, à l’instar de l’intention de tout propriétaire dont les terres sont expropriées, [traduction] « l’intention des Autochtones n’est généralement pas pertinente dans de telles circonstances, où l’intérêt public général prévaut sur les droits et les désirs du propriétaire » (par. 90). Elle a toutefois souligné que des considérations spéciales s’appliquaient en l’espèce du fait que des terres de réserve étaient en litige. De façon particulière, elle a conclu que les concepts du droit des biens en common law ne s’appliquaient pas aux terres autochtones et que l’obligation de fiduciaire de la Couronne exigeait que les droits et avantages des Indiens soient interprétés de la façon y portant le moins atteinte possible. Ce principe d’« atteinte minimale » se traduit par une règle d’interprétation voulant que les ambiguïtés d’un acte instrumentaire ou d’un texte de loi profitent aux Indiens, puisque la Couronne est présumée ne pas vouloir contrevenir à son obligation de fiduciaire. Le juge Newbury a souligné que cette approche respecte et complète la règle d’interprétation applicable en droit de l’expropriation et selon laquelle il faut résoudre les ambiguïtés en faveur du propriétaire dont la terre est prise.

24 Néanmoins, le juge Newbury a ensuite conclu, au par. 93, que la raison d’être de cette approche était la nécessité de veiller à ce que [traduction] « l’intention des Autochtones » ne soit pas frustrée par l’application de « règles formalistes qui, pourrait‑on soutenir, leurs sont étrangères ». En l’espèce, dans le cas d’une expropriation effectuée en vertu de l’art. 35, où les parties principales sont le gouvernement fédéral et un gouvernement provincial, qui sont tous deux familiers avec les concepts du droit des biens en common law, l’examen s’attachera aux termes restrictifs « formalistes ».

25 Madame le juge Newbury a ensuite interprété les termes utilisés dans le décret. Elle a souligné, au par. 97, que celui‑ci parlait de la prise de « terres », du paiement « des terres » et du transfert de « la gestion et [de] la maîtrise ». Examinant la question d’un point de vue non formaliste, elle a dit être d’avis que si l’intention avait été de créer une servitude, le décret ferait mention non pas des « terres » elles‑mêmes mais d’un droit de passage ou d’un droit d’« usage » des terres.

26 Madame le juge Newbury s’est alors demandée si l’utilisation de l’expression « droits de passage » sous l’intertitre « Description » modifiait la teneur du document ou créait une ambiguïté. Elle a conclu que l’usage moderne de cette expression ne correspondait pas toujours à ce concept en common law. À son avis, il est conforme à la jurisprudence ayant dégagé, en dehors du contexte autochtone, la nature des droits de passage, de considérer que l’usage du terme « droits de passage » au pluriel témoigne de l’absence de toute restriction assortissant le pouvoir de la province d’utiliser les terres, et que la réserve relative aux mines et aux minéraux dénote l’intention d’accorder la propriété absolue des droits de surface.

27 Madame le juge Newbury a poursuivi en expliquant, au par. 105, que le décret n’a pas uniquement octroyé un droit de passage à la province, mais il lui conféré des droits exclusifs de jouissance et de possession qui sont incompatibles avec la possibilité que les terres continuent d’être détenues par Sa Majesté du chef du Canada « à l’usage et au profit d[e la] bande ». Le décret fait état de « la prise de ces terres », non pas simplement du droit de les utiliser ou passer sur celles‑ci; rien n’indiquait que la province acquérait autre chose que des droits exclusifs (que ce soit en fief simple ou jusqu’à ce que les terres cessent d’être utilisées aux fins d’irrigation); et le décret cède « la gestion et la maîtrise » des terres à la province -- formulation incompatible avec la possibilité que les terres continuent d’être détenues « au profit de » la Bande.

28 Madame le juge Newbury a souscrit à l’opinion du juge en chambre que le décret n’envisage pas l’expropriation d’un simple droit de passage, mais bien celle des « terres » elles‑mêmes, qui ont ainsi été exclues de la Réserve. Elle a conclu, d’une part, qu’une interprétation non formaliste des termes utilisés ne révélait aucune ambiguïté dans le décret et, d’autre part, que les règles ordinaires de la common law applicables aux servitudes et aux droits de passage étayaient cette conclusion. Par conséquent, le juge Newbury a rejeté l’appel, avec l’appui de Madame le juge Prowse.

2. Le juge Lambert (dissident)

29 De l’avis du juge Lambert, le titre aborigène était très nettement une question en litige dans l’affaire dont il était saisi. Il a conclu que, en droit, le droit des Indiens sur les terres des réserves est le même droit que celui constitué par le titre aborigène, et il a pris connaissance d’office du fait que la Bande détenait le titre aborigène sur les terres de la Réserve. En conséquence, le juge Lambert a amorcé son analyse de la première question en se demandant si la prise forcée de terres avait pour effet d’éteindre le titre aborigène.

30 En bref, il a répondu que l’art. 35 de la Loi sur les Indiens n’était pas suffisamment clair et net pour éteindre le titre aborigène, de sorte que celui‑ci demeurait une charge grevant toute terre prise en vertu de cet article ou tout droit sur une telle terre, notamment un droit semblable ou équivalant à un fief simple. Par conséquent, à son avis, une terre qui n’a pas fait l’objet d’une cession absolue, mais qui est prise en vertu de l’art. 35 à l’intérieur des limites géographiques d’une réserve, demeure un immeuble « situ[é] dans la réserve » aux fins de taxation en vertu de l’al. 83(1)a) de la Loi. En conséquence, le juge Lambert aurait répondu par l’affirmative à la première question.

31 Quant à la deuxième question, le juge Lambert a énoncé les principes suivants, qui régissent l’interprétation d’un décret touchant les droits des Indiens sous la protection de la Couronne. Premièrement, les ambiguïtés d’un texte de loi touchant des terres indiennes doivent recevoir l’interprétation la plus favorable aux droits des Indiens à laquelle peut raisonnablement se prêter le texte : voir Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, et Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85. Deuxièmement, il faut donner à un texte de loi une interprétation et une application qui ne portent qu’une atteinte minimale aux droits des Indiens si cette interprétation et cette application sont compatibles avec une interprétation raisonnable du texte en question : voir Bande indienne de Semiahmoo c. Canada, [1998] 1 C.F. 3 (C.A.), p. 25; R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, p. 1119. Troisièmement, il ne faut pas que des règles de cession formalistes guident la résolution de questions faisant intervenir le caractère « sui generis » des terres indiennes lorsque les intérêts de la Couronne et des Indiens en jeu peuvent être conciliés et harmonisés d’une manière conforme à l’objet de la loi et de l’opération elle‑même, et lorsque l’application rigoureuse de ces règles de cession empêcherait cette conciliation et cette harmonisation : voir Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344, et Bande indienne de St. Mary’s c. Cranbrook (Ville), [1997] 2 R.C.S. 657.

32 Appliquant les principes qui précèdent, le juge Lambert a proposé deux réponses à la question 2. Premièrement, il a conclu que le décret avait transféré à la province la gestion et la maîtrise d’un droit foncier analogue à une servitude légale, et non le fief simple. Deuxièmement, il a estimé que le décret est ambigu et qu’il faut considérer qu’il transfère tous les droits nécessaires à l’exploitation du canal, mais que le droit de la Bande sur les terres visées ne subit qu’une atteinte minimale et demeure suffisant pour fonder l’exercice de ses pouvoirs de taxation.

33 En conséquence, le juge Lambert a répondu par la négative à la deuxième question et il aurait accueilli l’appel.

V. Les questions en litige et les arguments des parties

34 1. Est‑ce que la prise de terres en vertu de l’art. 35 de la Loi sur les Indiens peut avoir pour effet d’éteindre le droit d’une bande indienne dans des terres de réserve, de sorte que ces terres ne seraient plus situées « dans la réserve » et cesseraient de relever de l’autorité de la bande?

2. Le décret 1957-577 a-t-il eu pour effet d’exclure de la réserve numéro 1 de la bande indienne d’Osoyoos les terres litigieuses en l’espèce?

35 L’appelante soutient que l’art. 35 n’indique aucune intention claire et nette d’éteindre le droit des Autochtones sur les terres de réserve visées. Par conséquent, les terres sur lesquelles un droit est pris en vertu de l’art. 35 demeurent situées dans la Réserve et assujetties au pouvoir de taxation de la Bande. La réponse à la première question serait donc « Non ». L’appelante prétend également que, comme des droits indiens sont en jeu, les principes applicables en matière fiduciaire limitent le pouvoir discrétionnaire du gouverneur en conseil de transférer des terres en vertu de l’art. 35. En conséquence, il faut interpréter le décret conformément à la règle de l’atteinte minimale et, partant, le gouverneur en conseil ne saurait avoir eu l’intention d’exclure de la Réserve les terres en cause et, dans les faits, il ne l’a pas fait. La réponse à la deuxième question serait donc « Non ».

36 La ville d’Oliver fait valoir que l’art. 35 autorise l’expropriation d’intérêts en fief simple sur des terres de réserve. Ainsi, puisque l’intérêt en fief simple sur des terres est logiquement incompatible avec l’existence d’un droit sur ces terres, il est clair et net que l’art. 35 peut fonder l’extinction d’un tel droit sur des terres de réserve, de telle sorte que ces terres ne relèveraient plus de la Loi sur les Indiens. La province prétend aussi que l’art. 35 autorise clairement l’expropriation de « tout droit » sur les terres, y compris le droit des Autochtones sur des terres de réserve. Par conséquent, la réponse des intimées à la première question serait « Oui ». Quant à l’interprétation du décret, les intimées affirment que le gouverneur en conseil n’a aucune obligation de fiduciaire envers la Bande dans le contexte de la prise d’un droit sur des terres de réserve effectuée en vertu de l’art. 35. En conséquence, la règle de l’atteinte minimale ne devrait pas être appliquée en l’espèce. Les intimées ajoutent que le décret 1957‑577 n’est pas ambigu et qu’il a eu pour effet clair et net de transférer un intérêt en fief simple sur les terres, et non pas simplement une servitude légale ou un autre droit inférieur. Par conséquemment, le décret 1957‑577 a éteint le droit des Autochtones sur les terres où se trouve le canal d’irrigation et il a exclu ces terres de la Réserve, les soustrayant ainsi au pouvoir de taxation de la Bande. En conséquence, la réponse à la deuxième question serait « Oui ».

VI. L’analyse

A. Les questions préliminaires

37 Au départ, je désire examiner quatre questions préliminaires qui, selon moi, ont une incidence importante sur l’analyse et l’interprétation du décret.

1. L’insuffisance du fondement factuel

38 La détermination des droits et facultés en cause dans la présente affaire aura des répercussions importantes sur les droits des parties. Toutefois, le fondement factuel à partir duquel il faut effectuer cette détermination est dans une certaine mesure insuffisant. Je partage l’opinion de la Cour d’appel selon laquelle la preuve est manifestement incomplète en l’espèce. Il existe peut‑être des éléments de preuve importants et susceptibles d’aider notre Cour à interpréter et à appliquer le décret, mais ils ne figurent pas au dossier en l’espèce.

39 En particulier, aucun élément de preuve n’explique en vertu de quel pouvoir, si tant est qu’il en existe un, le canal a été construit et exploité avant la prise du décret. Il n’y a aucune preuve indiquant quels droits fonciers ont été évalués ni quelle méthodologie a été utilisée dans le calcul de la valeur de l’indemnité reçue par la Bande en 1955. La preuve documentaire est ténue : on n’a pas présenté de lettres, de résolutions du conseil de bande, de procès‑verbaux de réunions, de rapports ou d’autres documents susceptibles d’apporter une preuve extrinsèque de l’intention qui motivait le transfert effectué par le décret 1957‑577. Hormis le fait que le canal est [traduction] « en béton », nous ne savons rien de sa construction. De même, outre le fait que les terres formant le canal couvrent une superficie de 56,09 acres, nous ne savons rien de leurs dimensions précises. Il n’y a pas de preuve expliquant le type de tenure nécessaire à l’entretien et à l’exploitation du canal ni le type précis de tenure dont jouit la ville d’Oliver. Il n’y a aucune preuve sur les activités exercées sur les terres en question, ni de preuve indiquant si ces terres sont clôturées, si elles sont occupées exclusivement par la ville d’Oliver ou si les membres de la Bande peuvent traverser le canal à certains endroits.

40 Je suis d’avis que, en l’absence de preuve complète, notre Cour doit en règle générale faire montre de circonspection avant de retirer des droits fonciers. C’est particulièrement vrai dans les cas où le droit en jeu est le droit des Autochtones sur les terres de la réserve. Comme il est expliqué plus loin, pour qu’il y ait extinction d’un tel droit, il faut démontrer l’existence d’une intention claire et nette de Sa Majesté à cet effet. En l’espèce, nous avons la difficile tâche de statuer sur l’existence ou non de cette intention en l’absence d’assises factuelles et probatoires. Cela dit, comme le pourvoi est présenté par voie d’exposé de cause, nous devons déterminer les droits des parties du mieux que nous le pouvons, et ce à l’aide de la preuve dont nous disposons.

2. Le caractère sui generis du droit des Autochtones sur les terres de réserve

41 L’arrêt St. Catherine's Milling and Lumber Co. c. The Queen (1888), 14 App. Cas. 46, où lord Watson, s’exprimant au nom du Conseil privé, a dit à la p. 54 que [traduction] « la tenure des Indiens [est] un droit personnel, de la nature d’un usufruit », a marqué le début de la jurisprudence canadienne sur la nature des droits des Autochtones sur les terres de réserve. Voir également Smith c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 554. Depuis, notre compréhension de la nature des droits fonciers des Autochtones a continué d’évoluer. À cet égard, il est utile de se référer à la jurisprudence récente de notre Cour sur la nature du titre aborigène pour décrire les caractéristiques du droit des Autochtones sur les terres de réserve. Bien que ces deux types de droits ne soient pas identiques, ils sont fondamentalement similaires : voir Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, p. 379, le juge Dickson (plus tard Juge en chef); Delgamuukw c. Colombie‑Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, par. 116 à 121, le juge en chef Lamer.

42 Les caractéristiques communes au titre aborigène et au droit des Autochtones sur les terres de réserve sont notamment le fait que les deux types de droits sont inaliénables sauf en faveur de la Couronne, qu’ils constituent des droits d’usage et d’occupation exclusifs et qu’ils sont détenus collectivement. Par conséquent, il est maintenant fermement établi que les deux types de droits fonciers autochtones sont des droits sui generis distincts des droits de propriété « normaux » : Bande indienne de St. Mary’s, précité, par. 14. Les droits fonciers autochtones appartiennent à une catégorie qui leur est propre. Trois conséquences importantes en l’espèce découlent de la nature du droit des Autochtones sur les terres de réserve.

43 Premièrement, il est clair que les principes traditionnels du droit des biens en common law peuvent ne pas s’avérer utiles dans le contexte des droits fonciers des Autochtones : Bande indienne de St. Mary’s, précité. Les tribunaux « doivent faire abstraction des restrictions habituelles imposées par la common law » afin de donner effet à l’objet véritable des opérations relatives aux terres de réserve : voir Bande indienne de la rivière Blueberry, précité, par. 7, le juge Gonthier. Cette règle s’applique tant au but visé par la Couronne lorsqu’elle concède à un tiers un droit sur des terres de réserve qu’à l’intention de la bande indienne qui cède des terres à la Couronne.

44 Tous les membres de la Cour d’appel ont pris acte de la jurisprudence de notre Cour sur l’applicabilité des principes de common law dans le contexte des droits fonciers des Autochtones. Le juge Newbury a écrit (au par. 93) [traduction] « [qu’]une approche non formaliste peut être justifiée » même en matière d’expropriation et qu’on ne doit généralement pas permettre à la forme de « l’emporte[r] [. . .] sur le fond » dans tous les cas où des droits indiens peuvent être touchés. Les juges majoritaires ont toutefois ajouté (au par. 94) que [traduction] « dans le cas d’une expropriation effectuée en vertu de l’art. 35, où les parties principales sont le gouvernement fédéral et un gouvernement provincial, qui sont tous deux familiers avec les concepts du droit des biens en common law, l’examen s’attachera aux termes restrictifs “formalistes” ». Cette opinion repose sur l’hypothèse erronée que l’inapplicabilité des règles de la common law aux terres indiennes a trait à la capacité des parties à l’opération. Cependant, le principe qu’il ne convient pas d’appliquer aux terres indiennes les règles du droit des biens en common law a été élaboré en raison du caractère sui generis des droits fonciers des Autochtones. En conséquence, le transfert en cause dans la présente affaire ne saurait être traité comme une opération commerciale ordinaire.

45 Deuxièmement, il ressort du caractère sui generis du droit des Autochtones sur les terres de réserve et de la définition de « réserve » dans la Loi sur les Indiens qu’une bande indienne ne peut pas unilatéralement ajouter des terres à sa réserve ou remplacer de telles terres. L’intervention de la Couronne est requise en pareils cas. À cet égard, la notion de terres de réserve cadre mal avec la raison d’être traditionnelle du mécanisme de prise forcée de certaines terres en contrepartie d’une indemnité égale à la valeur marchande des terres en question majorée des frais. L’idée que la personne dont les terres sont prises puisse utiliser l’indemnité reçue pour acheter des biens de substitution ne tient pas compte, dans le contexte des terres de réserve, du fait qu’une telle situation aurait pour effet de réduire la taille de la réserve et de la possibilité que toute terre acquise ultérieurement à l’extérieur de la réserve ne comporte pas les privilèges assortissant les terres de réserve.

46 Troisièmement, il est clair qu’un droit foncier autochtone est davantage qu’un simple bien fongible. Un tel droit comporte généralement un aspect culturel important, qui reflète les rapports entre la collectivité autochtone concernée et le territoire ainsi que la valeur intrinsèque et unique des terres elles‑mêmes dont jouit la collectivité. Cette façon de voir vient du fait que le fondement juridique de l’inaliénabilité des droits fonciers des Autochtones repose en partie sur le principe de common law selon lequel le titre des colons doit découler d’une concession de la Couronne, et en partie sur la politique d’intérêt général qui consiste à « veiller à ce que [les Indiens] ne soient pas dépouillés de leurs droits » : voir Delgamuukw, précité, par. 129 à 131, le juge en chef Lamer; Mitchell, précité, p. 133.

47 Des terres peuvent être exclues d’une réserve avec la participation de la Couronne, qui a une obligation de fiduciaire envers la bande visée, comme nous le verrons plus loin. Un fiduciaire est tenu à une norme élevée de diligence. Pour cette raison et compte tenu des principes susmentionnés, il doit y avoir une intention claire et nette pour que l’on puisse conclure que des terres ont été exclues d’une réserve. À cet égard, je dois en toute déférence exprimer mon désaccord avec mon collègue le juge Gonthier lorsqu’il déclare qu’une telle intention n’est nullement nécessaire dans le contexte de la prise d’un droit des Indiens sur des terres de réserve. Contrairement à mon collègue, je souscris à l’approche adoptée par le juge Décary pour l’application de la règle de l’intention claire et nette aux terres de réserve : voir Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Bande indienne de Matsqui, [1998] A.C.F. no 983 (QL) (C.A.), par. 27; voir également Calder c. Procureur général de la Colombie‑Britannique, [1973] R.C.S. 313, p. 404 (le juge Hall, dissident); BC Tel c. Bande indienne de Seabird Island, [2000] 4 C.F. 350 (1re inst.), par. 13 à 19 (le juge Muldoon).

3. L’article 83 : le pouvoir de taxer les droits fonciers « situés dans la réserve »

48 L’alinéa 83(1)a) de la Loi sur les Indiens confère aux bandes indiennes le pouvoir d’imposer des taxes sur un large éventail de droits fonciers. Cette constatation ressort clairement du sens ordinaire des mots utilisés dans le texte de cette disposition. Il faut souligner en particulier que celle‑ci reconnaît aux conseils de bande le pouvoir de prendre des règlements administratifs imposant des taxes sur les « immeubles » ainsi que sur les « droits sur ceux‑ci », et notamment sur les « droits d’occupation, de possession et d’usage ». En fait, la seule limite assortissant ce pouvoir de taxation est que l’immeuble taxé doit être situé « dans la réserve ».

49 La conclusion que l’al. 83(1)a) doit être interprété largement ressort clairement de l’application du principe énoncé dans l’arrêt Nowegijick, précité, comme l’a expliqué le juge La Forest dans l’arrêt Mitchell, précité, p. 143 :

. . . il est clair que dans l’interprétation d’une loi relative aux Indiens, et particulièrement de la Loi sur les Indiens, il convient d’interpréter de façon large les dispositions qui visent à maintenir les droits des Indiens et d’interpréter de façon restrictive les dispositions visant à les restreindre ou à les abroger. . .

En même temps, je n’accepte pas que cette règle salutaire portant que les ambiguïtés législatives doivent profiter aux Indiens revienne à accepter automatiquement une interprétation donnée pour la simple raison qu’il peut être vraisemblable que les Indiens la préféreraient à toute autre interprétation différente. Il est également nécessaire de concilier toute interprétation donnée avec les politiques que la Loi tente de promouvoir. [Je souligne.]

50 La mise en garde du juge La Forest n’est pas pertinente en l’espèce. Comme l’a reconnu notre Cour dans l’arrêt Bande indienne de St. Mary’s, précité, par. 24, la position du législateur relativement à l’al. 83(1)a) est qu’« [u]ne des attributions les plus importantes que les bandes ont besoin d’exercer par voie de statuts administratifs, c’est la taxation de l’occupation du sol », et que « les conseils de bande ont le pouvoir d’imposer le locataire ou l’utilisateur d’une partie du territoire de la réserve pour couvrir leurs dépenses d’administration de ce territoire ». En conséquence, à moins que le droit que possède la bande ne soit entièrement exclu de la réserve, les terres continuent de faire partie de la réserve pour l’application de l’al. 83(1)a) et tant les servitudes que les droits d’usage ou d’occupation des terres dont sont titulaires des non‑membres de la bande sont assujettis au pouvoir de taxation de cette dernière.

4. Le contenu de l’obligation de fiduciaire de la Couronne dans le contexte de l’art. 35

51 Le procureur général du Canada intervenant soutient qu’aucune obligation de fiduciaire ne prend naissance lorsque l’obligation qu’a l’État en droit public entre en conflit avec celle que lui fait la Loi de détenir des terres de réserve à l’usage et au profit de la bande pour laquelle il les a mises de côté. Le procureur général prétend que l’existence d’une obligation de fiduciaire de porter le moins possible atteinte au droit des Indiens sur les terres de réserve est incompatible avec l’objet de l’art. 35, qui est d’agir dans l’intérêt public général, et que les premiers mots du par. 18(1) de la Loi sur les Indiens, « Sauf les dispositions de la présente loi . . . », libèrent en fait la Couronne de son obligation de fiduciaire relativement aux prises effectuées en vertu de l’art. 35. En outre, le procureur général plaide que l’obligation de fiduciaire qui consiste à porter atteinte de façon minimale au droit des Indiens sur les terres de réserve est incompatible avec les principes du droit des fiducies, lesquels imposent au fiduciaire une obligation de loyauté absolue lui enjoignant de n’agir que dans l’intérêt du créancier de cette obligation. Le procureur général soutient donc que ne s’applique pas en matière d’expropriation la conclusion tirée dans l’arrêt Guerin, précité, selon laquelle la cession d’un droit foncier des Indiens fait naître une obligation de fiduciaire enjoignant à la Couronne d’agir dans l’intérêt des Indiens, et que l’obligation qu’a la Couronne envers la bande en cas d’expropriation de terres de réserve est semblable à celle qu’elle a envers tout autre propriétaire foncier, c’est‑à‑dire d’indemniser convenablement la bande pour la perte des terres en question.

52 À mon avis, l’obligation de fiduciaire de la Couronne ne se limite pas aux cessions. L’article 35 permet clairement au gouverneur en conseil d’autoriser l’usage de terres de réserve à des fins d’intérêt public. Cependant, une fois qu’il est établi que l’expropriation de terres indiennes est dans l’intérêt du public, la Couronne a l’obligation de fiduciaire de n’exproprier que le droit minimal requis pour réaliser cette fin d’intérêt public et ainsi de faire en sorte que le droit de la bande d’utiliser des terres indiennes et d’en jouir ne subisse qu’une atteinte minimale. Cette obligation est compatible avec les dispositions de l’art. 35, qui confèrent au gouverneur en conseil le pouvoir discrétionnaire absolu de prescrire les modalités de l’expropriation ou du transfert. De cette manière, plutôt que de faire prévaloir l’intérêt public sur les droits des Indiens, l’approche que je préconise tend à concilier les intérêts en jeu.

53 Ce processus à deux étapes permet de réduire au minimum toute incompatibilité entre l’obligation de droit public de la Couronne d’exproprier des terres et l’obligation de fiduciaire qu’elle a envers les Indiens dont les terres sont touchées par l’expropriation. Au cours de la première étape, la Couronne agit dans l’intérêt public en décidant que l’expropriation des terres indiennes est requise pour cause d’utilité publique. À cette étape, il n’existe aucune obligation de fiduciaire. Cependant, une fois prise la décision générale d’exproprier naissent alors les obligations de fiduciaire de la Couronne, qui obligent celle‑ci à n’exproprier que le droit propre à permettre la réalisation de la fin d’intérêt public tout en préservant autant que possible le droit des Indiens sur les terres visées.

54 Non seulement l’obligation de porter atteinte le moins possible aux droits des Indiens sur les terres de réserve sert‑elle à harmoniser l’intérêt du public et celui des Indiens, mais elle est également conforme aux principes qui sous‑tendent la règle d’inaliénabilité générale que prévoit la Loi sur les Indiens et qui vise à prévenir l’érosion de l’assise territoriale des Indiens : Bande indienne des Opetchesaht c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 119, par. 52. À la lumière des caractéristiques spéciales des terres de réserve examinées précédemment, notamment le fait que le droit des Autochtones sur ces terres comportent un aspect culturel unique et qu’on ne peut unilatéralement ajouter des terres à la réserve ou remplacer de telles terres, l’argument du procureur général selon lequel l’obligation qu’a la Couronne envers la Bande se limite à verser une indemnité convenable ne saurait être retenu.

55 Comme elle consiste à protéger autant que possible l’usage et la jouissance du droit des Indiens sur les terres expropriées, l’obligation de fiduciaire de la Couronne emporte également pour celle‑ci l’obligation générale de protéger, dans tous les cas où il est indiqué de le faire, un droit autochtone suffisant sur les terres expropriées afin de préserver le pouvoir de taxation de la bande sur les terres en cause et, ainsi, de permettre à celle‑ci de continuer à tirer un revenu de ces terres. Bien que, en l’espèce, le pouvoir de taxation ait été conféré aux bandes indiennes après la prise du décret de 1957, le principe est le même, à savoir que la Couronne ne doit pas prendre plus que ce qui est nécessaire pour réaliser la fin d’intérêt public et elle est tenue de protéger s’il y a lieu les droits d’usage et de jouissance des Indiens.

B. L’article 35 permet‑il que des terres soient exclues d’une réserve?

1. Le critère de l’intention claire et nette et son application à l’art. 35

56 Comme on l’a vu précédemment, pour qu’il y ait extinction du droit des Autochtones sur des terres de réserve, l’intention de Sa Majesté à cet effet doit être claire et nette.

57 L’article 35 de la Loi sur les Indiens n’autorise pas expressément l’extinction ou la prise du droit des Autochtones sur des terres de réserve. Toutefois, pour exprimer son intention claire et nette à cet effet, la Couronne n’a pas nécessairement à utiliser des mots faisant explicitement état de l’extinction de droits ancestraux : R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723, par. 34. Le paragraphe 35(1) autorise « une province, une autorité municipale ou locale, ou une corporation » agissant en vertu d’un pouvoir conféré par la loi « de prendre ou d’utiliser des terres ou tout droit y afférent ». Le paragraphe 35(3) habilite le gouverneur en conseil à autoriser un « transfert ou octroi [. . .] à la province, autorité ou corporation » de ce large éventail de droits sur des terres de réserve. Par conséquent, il ressort de l’art. 35 une intention claire et nette de permettre la prise de « tout droit » sur des terres de réserve, droit qui, dans le cadre de la Loi sur les Indiens, comprend nécessairement le droit des Autochtones sur ces terres. Pour ces motifs, je conclus que, en règle générale, l’art. 35 permet que des terres soient exclues de la réserve. Je souligne que cette conclusion est compatible avec les remarques incidentes prononcées par le juge McLachlin (maintenant Juge en chef), dissidente, dans l’arrêt Bande indienne des Opetchesaht, précité, par. 86, et ainsi qu’aux propos du juge Estey dans l’arrêt Smith, précité, p. 577.

2. La nature du droit cédé en vertu de l’art. 35 dans la présente affaire

58 L’article 35 permet clairement la prise de terres de réserve pour cause d’utilité publique. De plus, il est clair et net que cet article autorise la prise et l’utilisation d’un large éventail de droits fonciers, y compris même un intérêt en fief simple. Cette conclusion ressort du sens ordinaire et grammatical des mots utilisés dans cette disposition. Toutefois, la question plus fondamentale qui se pose est de savoir si l’art. 35 de la Loi sur les Indiens permettait que, dans les circonstances de l’espèce, des terres soient exclues de la Réserve et soustraites à l’application de l’al. 83(1)a).

59 Lorsqu’elle a voulu exproprier des terres de réserve en vertu du par. 35(1) de la Loi sur les Indiens, la province n’était habilitée qu’à prendre ou utiliser les terres que ses lois l’habilitaient à prendre. Le paragraphe 35(1) prévoit ce qui suit :

35. (1) Lorsque, par une loi [. . .] d’une législature provinciale, Sa Majesté du chef d’une province [. . .] a le pouvoir de prendre ou d’utiliser des terres ou tout droit y afférent sans le consentement du propriétaire, ce pouvoir peut, avec le consentement du gouverneur en conseil [. . .] être exercé relativement aux terres dans une réserve ou à tout intérêt y afférent. [Je souligne.]

Les mots « ce pouvoir » renvoient clairement au pouvoir prévu par la loi provinciale visée au début du par. 35(1). Par conséquent, la province pouvait exercer uniquement « [l]e pouvoir » qui lui était conféré par la loi provinciale pertinente.

60 Les parties concèdent que le ministre de l’Agriculture a demandé le transfert des terres en cause en vertu de l’art. 21 de la Water Act, comme permettent de le supposer les extraits suivants du préambule du décret : « le ministre de l’Agriculture [. . .] a demandé, pour les besoins d’un canal d’irrigation, les terres . . . ». L’article 21 de la Water Act est ainsi rédigé :

[traduction]

21. (1) Dans le présent article et dans les trois suivants, le mot « terres » s’entend également des domaines, droits, intérêts ou servitudes relatifs à celles‑ci.

(2) Les détenteurs de permis ont le droit d’exproprier les terres raisonnablement requises pour la construction, l’entretien, l’amélioration ou l’exploitation de tout ouvrage autorisé par leur permis . . . [Je souligne.]

61 En vertu de l’art. 21 de la Water Act, le ministre de l’Agriculture ne pouvait donc exproprier que les « domaines, droits, intérêts ou servitudes relatifs » aux « terres raisonnablement requises » à l’égard du canal, sans plus. La province ne pouvait pas, au moyen du par. 35(1) de la Loi sur les Indiens, contourner les limites intrinsèques des pouvoirs que lui accorde la Water Act et exproprier un droit supérieur à celui qui était raisonnablement requis pour le canal.

62 De même, bien que le par. 35(3) de cette loi autorisât le gouverneur en conseil à passer outre à la procédure d’expropriation officielle, ce dernier ne pouvait pas non plus éluder les limites du pouvoir d’expropriation de la province et octroyer un droit supérieur à celui que la province avait le pouvoir de prendre en vertu de ses propres lois. Le paragraphe 35(3) prévoit ce qui suit :

(3) Lorsque le gouverneur en conseil a consenti à l’exercice des pouvoirs mentionnés au paragraphe (1) par une province [. . .], il peut, au lieu que la province [. . .] prenne ou utilise les terres sans le consentement du propriétaire, permettre un transfert ou octroi de ces terres à la province, autorité ou corporation, sous réserve des conditions prescrites par le gouverneur en conseil. [Je souligne.]

63 Compte tenu du renvoi aux « pouvoirs mentionnés au paragraphe (1) », le par. 35(3) n’autorise le gouverneur en conseil à octroyer ou à transférer que « [l]es terres » que la province aurait pu prendre en vertu de la loi pertinente, en l’occurrence la Water Act. En d’autres termes, le gouverneur en conseil ne pouvait octroyer que « des domaines, droits, intérêts ou servitudes relatifs» qui étaient « raisonnablement requi[s] » pour les besoins du canal. Cette interprétation est non seulement compatible avec le sens ordinaire de l’art. 35, mais elle est également étayée par le principe d’interprétation qui favorise l’interprétation stricte des lois restreignant les droits des Indiens (voir, plus loin, le par. 67).

64 Par conséquent, étant donné que, dans les circonstances de la présente affaire, la Water Act est la source du pouvoir d’expropriation, le pouvoir discrétionnaire d’octroyer des « terres » en vertu du par. 35(3) se limitait aux terres ou aux droits y afférents « raisonnablement requi[s] » pour le canal.

65 Cette conclusion soulève la question de savoir quel type de droits est raisonnablement requis pour le canal. La preuve dont dispose notre Cour est insuffisante pour apporter une réponse claire. Les intimées prétendent que, comme le canal constitue une structure permanente, elles doivent détenir le droit exclusif d’utiliser et d’occuper les terres visées. Bien que le canal semble être une structure permanente sur les terres visées, il ne faut pas exagérer l’importance de ce fait. Il n’a été présenté aucun élément de preuve indiquant quel genre de structure est le canal. Essentiellement, il s’agit d’une tranchée en béton. Qui plus est, il est possible d’inférer qu’un fief simple sur les terres en cause n’était pas requis pour la construction du canal puisqu’il n’y a eu aucun transfert de titre au moment de la construction. En outre, étant donné que le canal était déjà construit lorsque le transfert a eu lieu, le droit en question est celui qui est raisonnablement requis uniquement pour l’exploitation et l’entretien du canal. De plus, il est évident que le fief simple n’est pas nécessaire pour l’exploitation et l’entretien du canal, puisque ces activités sont actuellement la responsabilité de la ville d’Oliver, qui semble détenir un certain intérêt à bail sur les terres. Un canal est, de par sa nature, assimilable à un chemin de fer en ce qu’il s’agit de deux structures permanentes aménagées sur le sol et qui impliquent des activités d’exploitation et d’entretien, et notre Cour a jugé que l’octroi d’une servitude légale peut suffire pour la construction et l’entretien d’un chemin de fer : voir Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654, p. 671. Comme il a été mentionné plus tôt, notre Cour doit en règle générale hésiter à retirer des droits fonciers en l’absence de preuve concluante justifiant une telle mesure.

C. Le décret a‑t‑il exclu les terres en cause de la Réserve?

1. Les principes d’interprétation applicables

66 J’estime qu’il faut interpréter le décret à la lumière des quatre principes suivants.

67 Premièrement, j’ai signalé plus tôt que, pour qu’il y ait extinction du droit des Autochtones sur des terres de réserve, l’intention de la Couronne à cet effet doit être claire et nette.

68 Deuxièmement, à l’instar du juge Lambert je suis d’avis que si deux façons d’interpréter et d’appliquer une loi sont raisonnablement soutenables en droit, il faut retenir celle qui porte atteinte de façon minimale aux droits des Indiens, dans la mesure où l’ambiguïté est réelle et où l’interprétation favorable aux droits des Indiens peut raisonnablement s’appuyer sur la loi, compte tenu des objectifs visés par celle‑ci : voir Nowegijick, précité; Mitchell, précité; Bande indienne de Semiahmoo, précité, le juge en chef Isaac, p. 25; Sparrow, précité, p. 1119, le juge en chef Dickson.

69 Troisièmement, quoique la validité du décret n’ait pas été contestée en l’espèce, notre Cour n’est pas pour autant tenue de donner effet juridique à un acte non autorisé de l’État. Il y a donc lieu d’appliquer la présomption voulant que la Couronne ait agi dans les limites de ses pouvoirs en effectuant le transfert en cause. Comme en l’espèce la portée du pouvoir légal de céder des droits fonciers est circonscrite par les dispositions de la Water Act, le gouverneur en conseil est présumé avoir voulu céder uniquement le droit « raisonnablement requi[s] » pour les besoins du canal d’irrigation. Cette approche appuie également l’application de la règle de l’atteinte minimale dans le présent pourvoi.

70 Enfin, comme il a été souligné précédemment, le caractère sui generis du droit des Autochtones sur les terres de réserve justifie de déroger aux règles traditionnelles du droit des biens en common law dans le cadre d’opérations visant de telles terres. Par conséquent, le transfert en cause dans la présente affaire ne saurait être traité comme une opération commerciale ordinaire. Au contraire, il est préférable d’appliquer une approche non formaliste pour l’interprétation du décret.

2. Quel droit foncier cède le décret?

71 Le décret peut être interprété de deux façons : ou bien il a pour effet de céder expressément un fief simple ou un droit plus limité, ou bien il est ambigu quant à la nature du droit cédé.

72 Bien que je sois d’avis que le décret est ambigu quant à la nature des droits cédés, j’aimerais d’abord examiner les principaux arguments invoqués par les intimées à l’appui de leur thèse que le décret a octroyé un intérêt en fief simple sur les terres de réserve visées.

73 Les intimées prétendent que si les terres formant le canal sont considérées comme « situé[e]s dans la réserve » pour l’exercice du pouvoir de taxation prévu à l’art. 83 de la Loi sur les Indiens, ces terres seraient aussi assujetties aux autres pouvoirs de réglementation de la Bande, ce qui permettrait à celle‑ci de prendre des règlements administratifs ayant une incidence sur la gestion et la maîtrise du canal.

74 En réponse à cet argument, j’aimerais souligner que le droit de la Bande de prendre des règlements administratifs n’est pas absolu. La disposition générale de la Loi sur les Indiens autorisant la prise de règlements est le par. 81(1), qui est ainsi rédigé :

81. (1) Le conseil d’une bande peut prendre des règlements administratifs, non incompatibles avec la présente loi ou avec un règlement pris par le gouverneur en conseil ou par le ministre, pour l’une ou l’ensemble des fins suivantes : . . .

75 Comme l’article 35 de la Loi sur les Indiens permet au gouverneur en conseil de prendre des droits sur des terres de réserve en vertu d’un pouvoir d’expropriation prévu par une loi provinciale ou fédérale, si la bande prenait un règlement administratif incompatible avec le droit créé en application de l’art. 35 de la Loi sur les Indiens, ce règlement serait incompatible avec cet article et, de ce fait, interdit par l’art. 81.

76 L’exercice par la Bande de certains pouvoirs de réglementation prévus au par. 81(1) serait compatible avec l’usage du canal autorisé par l’exercice antérieur du pouvoir conféré par l’art. 35 (par exemple « la réglementation de la conduite et des opérations des marchands ambulants, colporteurs ou autres personnes qui pénètrent dans la réserve pour acheter ou vendre des produits ou marchandise, ou en faire un autre commerce » (al. 81(1)n)), alors que l’exercice d’autres pouvoirs pourrait ne pas l’être (par exemple la réglementation de l’entretien de cours d’eau, fossés et autres ouvrages locaux (al. 81(1)f)).

77 La Loi prévoit de nombreux autres pouvoirs que peuvent exercer le ministre ou la Bande, selon le cas, relativement aux terres de la Réserve et qui seraient également restreints parce qu’incompatibles avec l’exercice antérieur du pouvoir prévu à l’art. 35 pour les besoins du canal sur les 56,09 acres. En vertu de l’art. 19, par exemple, le ministre peut décider de l’emplacement des routes dans une réserve et en prescrire la construction. Cet article ne doit pas être interprété comme ayant pour effet d’autoriser la construction d’une route portant atteinte à la concession antérieure d’un droit foncier suffisant pour les besoins du canal. Comme il a été mentionné précédemment, en raison du caractère ténu du dossier factuel, il n’est ni possible ni souhaitable de définir avec précision les limites des pouvoirs de régie exercés par le ministre ou la Bande à l’égard de la partie de la Réserve mise de côté pour les besoins du canal, ou des autres privilèges et immunités se rapportant aux terres de la Réserve. Qu’il suffise de dire que la principale restriction vise les mesures qui seraient incompatibles avec l’exercice antérieur du pouvoir prévu à l’art. 35 pour les besoins du canal sur les terres en question (ou le fait qu’une telle mesure constituerait une dérogation à cet égard). Le pouvoir de la Bande de taxer le canal ne constitue pas en soi une telle incompatibilité. Au vu du dossier dont nous disposons, l’exercice par la Bande de son pouvoir de taxation ne révèle pas non plus, dans la présente affaire, d’incompatibilité de ce genre.

78 De plus, j’estime que le raisonnement suivi par le juge Duff dans l’arrêt Burrard Power Co. c. The King (1910), 43 R.C.S. 27, est pertinent en l’espèce. Dans cette affaire, la province de la Colombie‑Britannique avait concédé des terres au Dominion pour la construction d’un chemin de fer. La province a ensuite voulu accorder à la société hydroélectrique défenderesse une concession hydraulique qui aurait porté atteinte au droit du Dominion sur les terres formant le chemin de fer. Le juge Duff a estimé que, puisque la réalisation du projet de la société hydroélectrique entraînerait le démembrement des droits de propriété du Dominion, la concession hydraulique cesserait ipso jure de s’appliquer aux terres formant le chemin de fer (p. 53-54). De même, si la Bande prenait un règlement administratif entravant la gestion et la maîtrise du canal, ce règlement porterait atteinte aux droits propriétaux du titulaire du droit et cesserait ipso jure de s’appliquer aux terres formant le canal.

79 Les intimées plaident en outre que les mots « [l]e tout sous réserve des mines et des minéraux et du droit de les exploiter », qui figurent dans le décret, ne seraient pas nécessaires si une simple servitude avait été octroyée et, partant, que les mots en question indiquent qu’on a octroyé un intérêt en fief simple. Bien que je reconnaisse que cet argument est en soi fort instructif, je souscris toutefois à la conclusion du juge Lambert de la Cour d’appel selon laquelle une telle réserve était devenue une disposition type figurant dans bon nombre de décrets pris en vertu de ce qui est maintenant l’art. 35 de la Loi sur les Indiens et donc que la réserve relative aux mines et aux minéraux n’est pas concluante quant à la nature du droit concédé à la province et que, à la lumière des autres facteurs présents en l’espèce, elle ne dénote pas l’intention claire et nette de transférer un intérêt en fief simple.

80 Au soutien de leur argument que la province possède un intérêt en fief simple sur les terres de réserve visées en l’espèce, les intimées signalent également le fait que la province a déposé un certificat de titre incontestable en 1961. Si le dépôt unilatéral de ce certificat quatre ans après le transfert en question témoigne de quoique ce soit, c’est de l’intention de la province de prendre le droit en cause. Toutefois, la seule intention pertinente dans le cadre de l’analyse est celle du concédant du droit. Comme l’article 35 de la Loi sur les Indiens confère au gouverneur en conseil le pouvoir discrétionnaire absolu d’établir les modalités du transfert, il faut donc dégager l’intention du gouverneur en conseil constatée par le décret.

81 J’estime que le décret est ambigu. Il ne contient aucune exclusion ou restriction indiquant clairement l’étendue du droit transféré. Certains passages du préambule du décret tendent à indiquer que la cession d’un fief simple est envisagée (une « portion de la réserve indienne numéro un de la bande indienne d’Osoyoos »), tandis que d’autres suggèrent la cession d’un droit plus restreint (« pour les besoins d’un canal d’irrigation »). En fait, l’expression une « partie de la réserve indienne numéro un de la bande indienne d’Osoyoos » n’indique pas nécessairement la cession d’un fief simple. Étant donné que, en droit, la propriété est considérée comme un faisceau de droits, le fait que le décret octroie une « portion » de la Réserve n’est pas incompatible avec l’octroi d’une servitude ou du droit d’utiliser les terres « pour les besoins d’un canal d’irrigation ». Le droit d’utiliser les terres à une fin donnée est un élément du faisceau de droits formant le droit de propriété relatif à la Réserve et il peut, de ce fait, être décrit comme étant une « portion » de la réserve.

82 Dans son sens traditionnel, un « droit de passage » est un type de servitude et, en common law, l’acquisition d’un droit de passage ne donne pas à son détenteur un intérêt en fief simple ni un droit à la possession exclusive des terres visées : E. C. E. Todd, The Law of Expropriation and Compensation in Canada (2e éd. 1992). Cependant, comme l’a souligné le juge Newbury de la Cour d’appel, l’utilisation moderne de l’expression « droit de passage » ne correspond pas toujours à cette notion en common law et, dans certains cas, elle peut s’entendre du droit d’utilisation et d’occupation exclusives d’une bande de terre. Je reconnais que l’expression « droits de passage » peut avoir deux sens et que le degré d’occupation sera régi par le document constatant l’octroi. Toutefois, le contexte dans lequel cette expression est utilisée dans le décret n’indique pas clairement si elle fait nécessairement référence à une servitude traditionnelle ou à un intérêt supérieur sur une bande de terre.

83 La Description fait état de trois droits de passage différents : le droit de passage servant au canal, le droit de passage servant à la route et le droit de passage servant à la ligne de haute tension. Seul le dernier est clairement décrit comme une « servitude existante », mais cela ne fait pas nécessairement par voie d’analogie des deux autres droits de passage autre chose qu’une servitude. Le décret est ambigu parce que, lorsqu’on examine tous les facteurs pertinents, aucun terme n’indique de façon concluante l’existence soit d’un droit exclusif soit d’un droit plus restreint. D’ailleurs les mots « pour les besoins d’un canal d’irrigation » figurant dans le préambule ont plutôt pour effet d’influer sur la Description qui suit et d’agir comme termes restrictifs.

84 Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont conclu que le décret excluait de la Réserve les terres visées, en se fondant en partie sur le fait que rien n’indiquait que la province acquérait un droit inférieur à des droits exclusifs sur les terres visées. Toutefois, cette approche est contraire au critère de l’intention claire et nette applicable en matière d’extinction. Bien que la présence de termes explicites ne soit pas strictement nécessaire, les tribunaux ne doivent pas retirer un droit foncier aux Autochtones par voie d’implication nécessaire, à moins que cette conclusion ne ressorte de façon claire et nette du contexte.

85 En ce qui concerne les mots clés du transfert effectué en l’espèce, le décret parle de la « prise » des terres visées, et non pas simplement du droit de les utiliser. Je souscris à l’opinion de mon collègue le juge Gonthier lorsqu’il souligne que le sens donné par le Black’s Law Dictionary (6e éd. 1990), au mot « take » (prendre) peut inclure la propriété (voir le par. 129). Mais, comme le reconnaît mon collègue, ce mot peut aussi s’entendre d’un droit inférieur au droit de propriété. Ces constatations illustrent bien le fait que le mot « take », tel qu’il est utilisé en l’espèce, est ambigu, particulièrement si l’on prend en compte tous les autres aspects du décret.

86 En outre, lorsqu’il a trait à des terres, le mot « take » ne s’entend pas nécessairement de l’acquisition du titre de propriété absolu. Au contraire, The Dictionary of Canadian Law (2e éd. 1995) définit ainsi l’expression « take lands » (prendre des terres) : [traduction] « pénétrer sur des terres, en prendre possession, les utiliser et les prendre pendant une durée limitée ou indéterminée ou pour constituer un domaine ou un droit limité ». De même, plusieurs tribunaux, dont notre Cour, ont reconnu que la « prise » de terres s’entendait notamment de l’acquisition de la possession et d’autres droits inférieurs au titre de propriété absolu : voir La Reine du chef de la Colombie-Britannique c. Tener, [1985] 1 R.C.S. 533, p. 563; Manitoba Fisheries Ltd. c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 101, p. 109-110, citant Belfast Corp. c. O.D. Cars Ltd., [1960] A.C. 490 (H.L.), p. 523; Saskatchewan Land and Homestead Co. c. Calgary and Edmonton Railway Co. (1913), 14 D.L.R. 193 (C.S. Alb.), p. 197, confirmé par (1915), 51 R.C.S. 1; Canada (Attorney General) c. Canadian Pacific Ltd. (2000), 79 B.C.L.R. (3d) 62, 2000 BCSC 933.

87 L’utilisation du mot « terres » n’est pas déterminante quant à la portée du droit cédé puisque, d’après la définition juridique de ce mot, « terres » s’entend également des « droits sur celles‑ci ». Il en est ainsi des définitions du mot « terres » figurant dans les dictionnaires juridiques et de virtuellement toutes les définitions de ce mot figurant dans les lois fédérales et provinciales. En outre, le préambule du décret précise que le ministre « a demandé [. . .] les terres décrites ci‑après » et qu’« il plaît » au gouverneur général « de consentir à la prise de ces terres ». Par conséquent, le préambule renvoie clairement à la Description pour connaître le détail du droit foncier transféré. À cet égard, il est très important de souligner que, dans la Description, on utilise le terme « droits de passage » au lieu de décrire les limites des parcelles de terres.

88 De plus, les mots « céder la gestion et la maîtrise » figurant dans le décret ne sont pas déterminants pour ce qui est de la nature du droit acquis par la province en l’espèce. Des pouvoirs administratifs peuvent être accessoires à une servitude créée aux fins d’irrigation. Il ne s’agit pas de termes propres à la cession du fief simple. Le transfert de la maîtrise administrative par une émanation de la Couronne en faveur d’une autre ne constitue pas une aliénation : voir British Columbia (Attorney General) c. Mount Currie Indian Band (1991), 54 B.C.L.R. (2d) 156 (C.A.), p. 190; Attorney General of Canada c. Western Higbie, [1945] R.C.S. 385, p. 402-403. En outre, le transfert par la Couronne fédérale à la Couronne provinciale de la maîtrise administrative à l’égard de terres de réserve n’a pas en soi pour effet d’exclure ces terres de la réserve. Des terres de réserve peuvent être -- et dans bien des cas sont -- détenues par une province au profit d’une bande indienne.

89 En résumé, le décret est ambigu quant à la nature du droit cédé. Il peut être considéré comme ayant pour effet d’octroyer soit le fief simple soit une servitude légale pour les besoins d’un canal d’irrigation. Vu cette ambiguïté, il faut recourir aux principes d’interprétation applicables aux questions relatives aux droits des Indiens et retenir l’interprétation qui porte le moins possible atteinte à ces droits. En conséquence, le décret doit être considéré comme ayant pour effet d’accorder une servitude légale à la province.

VII. Conclusion

90 Je conclus que le décret est ambigu quant à la nature du droit cédé. Le décret n’indique pas une intention claire et nette d’éteindre le droit de la Bande sur les terres de réserve visées. Le fait de considérer que ce document a seulement pour effet d’octroyer une servitude sur les terres formant le canal ou le droit de les utiliser est à la fois plausible et compatible avec les politiques prévues par la Loi sur les Indiens en matière de taxation (al. 83(1)a)) et d’expropriation (art. 35). Cette interprétation porte atteinte de façon minimale au droit de la Bande sur les terres de réserve visées. Par conséquent, j’estime que le décret a octroyé une servitude sur les terres occupées par le canal et qu’il n’a pas retiré à la Bande l’ensemble de son droit sur les terres de réserve visées. Les terres formant le canal sont donc toujours situées « dans la réserve » pour l’application de l’al. 83(1)a).

91 Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique et de lui substituer une ordonnance portant que les terres formant le canal sont situées dans la Réserve pour l’application de l’al. 83(1)a). L’appelante n’ayant pas réclamé les dépens, je m’abstiens de rendre une ordonnance à cet égard.

Version française des motifs des juges L’Heureux-Dubé, Gonthier, Major et Bastarache rendus par

92 Le juge Gonthier (dissident) -- Le présent pourvoi porte sur le pouvoir de la bande indienne d’Osoyoos de taxer des terres situées à l’intérieur du périmètre de sa réserve originale, et sur lesquelles a été construit un canal d’irrigation qui est encore exploité aujourd’hui. Ces terres ont fait l’objet d’un décret d’expropriation en faveur de la province de la Colombie‑Britannique, pris sous le régime de l’art. 35 de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, ch. 149.

I. Les faits

93 En 1925, la province de la Colombie-Britannique a construit un canal d’irrigation dans la réserve indienne numéro 1 de l’appelante, la bande indienne d’Osoyoos. En 1957, conformément à l’art. 35 de la Loi sur les Indiens, le gouverneur en conseil a pris le décret C.P. 1957-577 relativement à ces terres. Le décret est ainsi rédigé :

[traduction]

ATTENDU que le ministre de l’Agriculture de la province de la Colombie‑Britannique a demandé, pour les besoins d’un canal d’irrigation, les terres décrites ci‑après, qui constituent une portion de la réserve indienne numéro un de la bande indienne d’Osoyoos, dans ladite province;

ET ATTENDU que la somme de 7 700 $ a été reçue de la province de la Colombie‑Britannique à titre de paiement complet des terres demandées, conformément à l’évaluation approuvée par le conseil de la bande indienne d’Osoyoos le 30 mars 1955 et par les fonctionnaires de la Division des Affaires indiennes;

À CES CAUSES, il plaît à Son Excellence le gouverneur général en conseil, sur la recommandation du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et conformément aux dispositions de l’article 35 de la Loi sur les Indiens, de consentir à la prise de ces terres par la province de la Colombie‑Britannique et d’en céder la gestion et la maîtrise à Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie‑Britannique :

DESCRIPTION

L’ensemble des droits de passage, dans la réserve numéro un de la bande indienne d’Osoyoos, dans la province de la Colombie‑Britannique, lesdits droits de passage s’étendant sur une superficie d’environ cinquante-six acres et neuf centièmes, tels qu’ils sont représentés, lisérés de rouge, sur le plan enregistré numéro Irr deux mille cent trente‑quatre des registres d’arpentage des Affaires indiennes à Ottawa; à l’exception toutefois de toute la portion située à l’intérieur des limites du droit de passage servant à une route, ce droit de passage étant représenté, liséré de rouge, sur le plan enregistré sous le numéro Rd trois mille six cent quatre‑vingt de ces registres, dont une copie est déposée au bureau d’enregistrement des droits immobiliers du district de Kamloops à Kamloops, sous le numéro A mille trois cent soixante‑dix-sept; à l’exception également de toutes les routes réservées par la province de la Colombie‑Britannique, au moyen du décret provincial numéro mille trente‑six, et aussi sous réserve d’une servitude existante relative à une ligne de haute tension, octroyée à West Kootenay Power and Light Company Ltd., au moyen du décret C.P. 143, daté du 25 janvier 1937, pour une période de trente ans, ce droit de passage ayant une superficie d’environ 22 acres et deux dixièmes, et est représenté sur un plan d’arpentage préparé par R.P. Brown, B.C.L.S., en date du 16 novembre 1936 et inscrit au registre de la Division des Affaires indiennes sous le numéro de plan M. 2691.

Le tout sous réserve des mines et des minéraux et du droit de les exploiter.

94 En 1961, la province de la Colombie-Britannique a enregistré ce bien-fonds au moyen d’un certificat de titre incontestable. Le bien-fonds est présentement utilisé aux fins d’irrigation et le fief relatif à ce bien-fonds est dévolu à la province. La ville d’Oliver intimée continue d’exploiter et d’entretenir le canal.

95 En 1994, l’appelante a pris des règlements administratifs sur l’évaluation et l’imposition foncières en vertu de l’art. 83 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5. Afin de déterminer si ces règlements s’appliquent aux terres en question, l’appelante a introduit la présente instance par voie d’exposé de cause établi par la Commission de révision de la bande indienne d’Osoyoos, conformément au par. 80(1) de l’Osoyoos Indian Band Property Assessment By-law P.R. 95‑01. La Commission a sollicité l’opinion du tribunaux sur deux questions :

[traduction]

1. Est-ce que les terres prises en vertu de l’art. 35 de la Loi sur les Indiens sont des « immeubles [ou] des droits sur ceux-ci » situés dans la réserve d’une bande au sens de l’al. 83(1)a) de la Loi sur les Indiens et sont, de ce fait, évaluables et imposables en vertu du règlement d’évaluation foncière de la bande et imposables en vertu de son règlement en matière de taxation?

2. Si l’article 35 de la Loi sur les Indiens permet de retirer à des terres leur qualité de terres de réserve, est-ce que le décret fédéral 1957-577, en vertu duquel les terres ont été transférées, a eu cet effet sur les terres en cause, de sorte qu’elles ne sont pas évaluables et imposables par la bande indienne d’Osoyoos?

96 Ainsi exposé, le dossier ne soulève pas de questions relativement à quelque manquement de la Couronne à son obligation de fiduciaire, à la validité et à la légitimité du décret ou à la constitutionnalité de l’art. 35 de la Loi sur les Indiens. En l’espèce, il n’y a également aucun élément de preuve touchant à l’existence d’un titre aborigène ou de droits issus de traités visant les terres en question, ni aucune revendication à cet égard. L’exposé de cause et la présente décision ne portent donc pas sur l’effet de l’art. 35 de la Loi sur les Indiens sur les terres de réserve qui sont également visées par un titre aborigène ou des droits issus de traités.

II. Les dispositions législatives et constitutionnelles pertinentes

97 Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, ch. 149

2. (1) Dans la présente loi, l’expression

. . .

o) « réserve » signifie une parcelle de terrain dont le titre juridique est attribué à Sa Majesté et qu’Elle a mise de côté à l’usage et au profit d’une bande;

35. (1) Lorsque, par une loi du Parlement du Canada ou d’une législature provinciale, Sa Majesté du chef d’une province, une autorité municipale ou locale, ou une corporation, a le pouvoir de prendre ou d’utiliser des terres ou tout droit y afférent sans le consentement du propriétaire, ce pouvoir peut, avec le consentement du gouverneur en conseil et aux conditions qu’il est loisible à ce dernier de prescrire, être exercé relativement aux terres dans une réserve ou à tout intérêt y afférent.

(2) À moins que le gouverneur en conseil n’en ordonne autrement, toutes les matières concernant la prise ou l’utilisation obligatoire de terres dans une réserve, aux termes du paragraphe (1), doivent être régies par la loi qui confère les pouvoirs.

(3) Lorsque le gouverneur en conseil a consenti à l’exercice des pouvoirs mentionnés au paragraphe (1) par une province, autorité ou corporation, il peut, au lieu que la province, l’autorité ou la corporation prenne ou utilise les terres sans le consentement du propriétaire, permettre un transfert ou octroi de ces terres à la province, autorité ou corporation, sous réserve des conditions prescrites par le gouverneur en conseil.

(4) Tout montant dont il est convenu ou qui est accordé à l’égard de la prise ou de l’utilisation obligatoire de terrains sous le régime du présent article ou qui est payé pour un transfert ou octroi de terre selon le présent article, doit être versé au receveur général du Canada à l’usage et au profit de la bande ou à l’usage et au profit de tout Indien qui a droit à l’indemnité ou au paiement du fait de l’exercice des pouvoirs mentionnés au paragraphe (1).

Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5

83. (1) Sans préjudice des pouvoirs que confère l’article 81, le conseil de la bande peut, sous réserve de l’approbation du ministre, prendre des règlements administratifs dans les domaines suivants :

a) sous réserves des paragraphe (2) et (3), l’imposition de taxes à des fins locales, sur les immeubles situés dans la réserve, ainsi que sur les droits sur ceux-ci, et notamment sur les droits d’occupation, de possession et d’usage;

Water Act, R.S.B.C. 1948, ch. 361

[traduction]

21. (1) Dans le présent article et dans les trois suivants, le mot « terres » s’entend également des domaines, droits, intérêts ou servitudes relatifs à celles‑ci.

(2) Les détenteurs de permis ont le droit d’exproprier les terres raisonnablement requises pour la construction, l’entretien, l’amélioration ou l’exploitation de tout ouvrage autorisé par leur permis, et le détenteur d’un permis autorisant la dérivation des eaux à des fins domestiques ou pour un réseau d’aqueduc a en outre le droit d’exproprier toute terre dont la maîtrise l’aiderait à empêcher la pollution des eaux qu’il est autorisé à dériver, et, avec le consentement du lieutenant gouverneur en conseil, le détenteur d’un permis autorisant la construction d’un barrage a également le droit d’exproprier toute terre qui serait inondée si le barrage était construit et utilisé à la hauteur maximale autorisée. Le propriétaire de la terre expropriée doit être indemnisé pour celle‑ci par le détenteur du permis, auquel cas la procédure d’expropriation et la méthode de détermination de l’indemnité sont celles prescrites par règlement.

Loi constitutionnelle de 1982

35. (1) Les droits existants -- ancestraux ou issus de traités -- des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

III. Les jugements

A. Cour suprême de la Colombie-Britannique (1997), 145 D.L.R. (4th) 552

98 Le juge Mackenzie a souligné que le ministre de l’Agriculture, qui a demandé les terres en question aux fins d’irrigation, n’a pas invoqué l’art. 21 de la Water Act afin de procéder officiellement à leur expropriation. Une expropriation officielle, à laquelle aurait consenti le ministre, aurait constitué la première étape du processus d’expropriation prévu au par. 35(1). Le gouverneur en conseil a plutôt consenti à la demande du ministre et a agi en vertu du par. 35(3) de la Loi sur les Indiens.

99 Le juge Mackenzie a conclu que le par. 35(3) permet d’exclure des terres de la réserve de sorte que celles-ci ne seraient plus imposables en tant qu’immeubles situés dans la réserve au sens de l’art. 83 de la Loi sur les Indiens. Il a mentionné l’arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique St. Mary’s Indian Band c. Cranbrook (City), [1996] 2 C.N.L.R. 222, au soutien de la proposition qu’un transfert en fief simple est incompatible avec la possibilité que les terres continuent de faire partie de la réserve.

100 Invoquant le principe de l’indivisibilité de la Couronne, il a souligné que le décret n’avait pas à être accompagné d’un acte formaliste de transfert du titre sur le bien-fonds. Au paragraphe 4 de ses motifs, le juge Mackenzie a cité l’extrait suivant, tiré des p. 310 et 311 de l’ouvrage de Paul Lordon, c.r., La Couronne en droit canadien (1992) :

Que ce soit du chef du Canada ou de la province, Sa Majesté est le propriétaire du bien, qu’elle ne peut donc en théorie se transférer à elle-même. Le contrôle administratif du bien seulement est transféré. Le transfert est donc effectué par les décrets de chaque gouvernement, et il est confirmé dans un texte de loi si les droits de tiers sont en jeu.

101 Quant à la question de savoir si le décret a eu pour effet de transférer un fief, le juge Mackenzie a attaché beaucoup d’importance au fait que le décret ne contenait pas de termes restrictifs. Il n’était assorti d’aucune condition et ne comportait pas de restriction quant à la portée du transfert de la gestion et de la maîtrise des terres en cause. De l’avis du juge, il s’agissait du transfert soit de la gestion et de la maîtrise des terres pendant une période indéterminée -- situation équivalant à un fief absolu --, soit d’un fief résoluble lorsque les terrains cesseraient d’être utilisés aux fins d’irrigation (puisque les terres visées étaient toujours utilisées à ces fins, il n’a pas eu à qualifier le fief). Il a conclu que, tant que la gestion et la maîtrise des terres continuaient de relever de la province, les terrains ne faisaient pas partie de la réserve et l’appelante n’avait pas le pouvoir de les taxer.

102 Le juge Mackenzie s’est en outre demandé si la réserve relative aux mines et aux minéraux prévu par le décret laissait à la Bande un droit imposable. Il a conclu que, indépendamment du droit imposable découlant des mines et minéraux eux-mêmes, pareille réserve ne pouvait fonder l’existence d’un droit en surface imposable.

B. Cour d’appel de la Colombie Britannique (1999), 172 D.L.R. (4th) 589

1. Le juge Newbury, au nom de la majorité (avec l’appui du juge Prowse)

103 Madame le juge Newbury a statué sur l’affaire en se fondant sur les principes d’interprétation applicables aux textes législatifs et autres documents. Dans son analyse, elle a refusé d’examiner l’effet du titre aborigène pour le motif qu’aucun élément de preuve n’indiquait qu’un tel titre subsistait sur les terres en cause. En d’autres termes, l’avocat de la bande n’a pas tenté de prouver l’occupation des terres en question par la bande.

104 Pour définir la nature du pouvoir de taxation de la bande, le juge Newbury a rejeté l’analogie faite entre les bandes autochtones et les municipalités. Pour qu’une municipalité puisse exercer son droit d’imposer une taxe foncière, il faut que le bien-fonds visé soit situé à l’intérieur des limites de la municipalité, peu importe l’identité du propriétaire du bien‑fonds ou l’usage qui en est fait. À l’opposé, le droit de taxation prévu par la Loi sur les Indiens est limité aux terres qui répondent à la définition législative de terre de « réserve ». Le juge Newbury a conclu, au par. 87, qu’[traduction] « une terre de réserve qui est expropriée et utilisée à des fins d’intérêt public n’est plus détenue au profit de la bande mais constitue une terre détenue à d’autres fins » (en italique dans l’original).

105 Interprétant l’article 35 de la Loi sur les Indiens, le juge Newbury a conclu que celui-ci incorpore de fait des pouvoirs d’origine législative permettant l’expropriation de terres de réserve, et que de telles prises forcées ne requièrent pas le consentement du propriétaire.

106 Pour les juges majoritaires de la Cour d’appel, la question fondamentale à trancher en l’espèce était de savoir si, du fait de la « prise » effectuée au moyen du décret, les terres visées avaient cessé de faire partie de la réserve. Pour décider si le décret accordait à la province un droit de passage seulement ou un droit supérieur, Madame le juge Newbury a reconnu que des considérations particulières s’appliquent lorsque des terres de réserve sont concernées. Elle a énoncé la règle d’interprétation suivante, au par. 92 : [traduction] « les ambiguïtés ou imprécisions d’un acte instrumentaire ou d’un texte législatif doivent profiter aux Indiens, puisque la Couronne est présumée ne pas vouloir contrevenir à son obligation de fiduciaire ». Elle a souligné que cette règle est conforme à la règle d’interprétation en matière d’expropriation selon laquelle il faut résoudre les ambiguïtés en faveur du propriétaire du terrain. En outre, l’application d’une approche technique ou formaliste ne convient pas pour trancher les différends relatifs aux terres autochtones.

107 Interprétant le décret, elle a estimé que la preuve indiquait que, en 1957, la Couronne provinciale avait pris davantage qu’un droit de passage. En 1961, la province a fait les démarches nécessaires pour enregistrer à son nom un titre incontestable sur les terres concernées. De plus, ces terres ont été louées à la ville d’Oliver intimée, fait qui suggère la possession et l’occupation exclusives de ces terres. De l’avis du juge, si l’intention avait été de prendre un droit de passage, on aurait précisé qu’il s’agissait du droit « d’utiliser » les terres et non d’un droit « aux terres » elles-mêmes.

108 Au paragraphe 97 de ses motifs, le juge Newbury a reconnu que, sous le l’intertitre « Description » du décret, on fait mention de « l’ensemble des droits de passage », mais elle a poursuivi en concluant que le terme « droit de passage » ne créait pas d’ambiguïté dans le décret.

109 Madame le juge Newbury a examiné tant les affaires autochtones que non autochtones en matière de servitudes et elle a énoncé ainsi, au par. 104, la question à trancher : [traduction] « le décret [. . .] accorde‑t‑il des droits qui sont compatibles avec l’usage exclusif des terres par la province, ou accorde-t-il tout simplement certains droits ou avantages qui “réduisent dans une certaine mesure” les droits dont continue de jouir la bande? » (Shelf Holdings Ltd. c. Husky Oil Operations Ltd. (1989), 56 D.L.R. (4th) 193 (C.A. Alb.), autorisation de pourvoi refusée, [1989] 1 R.C.S. xiv).

110 Répondant à cette question, le juge Newbury a exprimé l’opinion que le décret a accordé [traduction] « des droits exclusifs de jouissance et de possession qui sont incompatibles avec la possibilité que les terres continuent d’être détenues par Sa Majesté du chef du Canada “à l’usage et au profit [de la] bande” » (par. 105). Au soutien de cette conclusion, le juge Newbury a fait remarquer que le décret faisait état de « la prise de ces terres » et non simplement du droit de les utiliser ou de passer sur celles-ci; rien n’indiquait que la province acquérait autre chose que des droits exclusifs et le décret énonçait clairement que « la gestion et la maîtrise » des terres allaient être transférées du gouvernement fédéral à la province.

111 En conclusion, le juge Newbury écrit, au par. 107 :

[traduction] En résumé, à l’instar du juge en chambre, j’estime que le décret de 1957 ne visait pas l’expropriation d’un simple droit de passage dans la réserve, mais « les terres » elles-mêmes, qui ont de ce fait été soustraites de la réserve. Je fais cette affirmation à partir d’une interprétation non technique des termes utilisés, quoique la même conclusion trouve également appui dans les règles ordinaires de la common law, examinées précédemment, relativement aux droits de passage et aux servitudes. En l’espèce, il n’existe aucune dichotomie et le décret n’est pas ambigu ou, en dernière analyse, imprécis.

Le juge Newbury a rejeté l’appel.

2. Le juge Lambert, dissident

112 L’opinion du juge Lambert diffère nettement de celle de la majorité en ce qu’il a estimé que l’affaire nécessitait l’examen de questions touchant au titre aborigène. Il a reformulé ainsi la première question, au par. 3 :

[traduction] La première question est de savoir si, à la suite de la prise d’une terre située dans une réserve en vertu de l’art. 35 de la Loi sur les Indiens, le titre aborigène des Indiens, à tout le moins, demeure toujours entre les mains de ces derniers et, dans l’affirmative, si la terre ainsi prise demeure toujours un immeuble situé dans la réserve ou un droit sur celui-ci, de sorte que les terrains et les améliorations s’y trouvant peuvent être taxés en application de l’art. 83 de la Loi sur les Indiens. Cette première question porte donc sur la nature du titre aborigène. [En italique dans l’original.]

113 Essentiellement, le juge Lambert a affirmé que le droit des Indiens sur des terres de réserve équivaut au titre aborigène (et est de ce fait sujet aux mêmes principes en matière d’extinction). Subsidiairement, il a dit que, dans les faits, le titre aborigène existe dans les réserves situées en Colombie-Britannique. Comme il n’y avait aucune preuve à cet égard, il a invoqué la connaissance d’office, au par. 35 :

[traduction] . . . il serait déraisonnable, en l’espèce, de ne pas prendre connaissance d’office du fait que les réserves indiennes situées en Colombie-Britannique ont été mises de côté aux endroits où existaient des zones d’occupation intensive telles que des villages et des lieux de pêche, qui étaient déjà occupées avant l’affirmation de la souveraineté britannique. De plus, sur le plan juridique, le juge en chef Dickson a dit dans l’arrêt Guerin que le droit des Indiens sur les terres de réserve est le droit constitué par le titre aborigène.

114 En répondant à la première question, telle qu’il la concevait, il a appliqué à l’art. 35 le critère applicable à l’extinction du titre aborigène et jugé que cet article n’avait pas pour effet d’éteindre le titre de façon claire et nette. En conséquence, il a conclu que le titre aborigène subsiste à l’égard du bien-fonds ou droit sur celui-ci exproprié. Comme les terres en question sont situées à l’intérieur des limites physiques de la réserve et qu’elles sont, selon lui, visées par le titre aborigène, elles constituent un immeuble situé dans la réserve aux fins d’exercice du pouvoir de taxation prévu par l’art. 83.

115 Le juge Lambert a souligné que la deuxième question de l’exposé de cause postule que l’art. 35 de la Loi sur les Indiens permet que des terres soient exclues de la réserve par voie d’expropriation. Partant de ce postulat, le juge Lambert a conclu que le décret transfère à la province la gestion et la maîtrise de l’équivalent d’une servitude légale et non un droit tel que le fief simple. Subsidiairement, il a jugé que le décret est ambigu et qu’il convenait de conclure, à la lumière des principes d’interprétation législative relatifs aux terres indiennes, du contexte factuel de l’espèce et de la preuve découlant du décret, que le transfert de la gestion et de la maîtrise des terres visées a uniquement eu pour effet de conférer l’ensemble des droits nécessaires à l’exploitation et à l’entretien du canal, tout en ne portant qu’une atteinte minimale au droit de la bande sur les terres de réserve concernées. Le droit résiduaire est suffisant pour fonder l’exercice par la bande de ses pouvoirs de taxation foncière. En conséquence, le juge Lambert aurait accueilli l’appel.

IV. L’analyse

116 La présente affaire porte essentiellement sur la question de savoir si l’art. 35 de la Loi sur les Indiens peut avoir pour effet d’exclure des terres d’une réserve. Cette question se soulève dans le contexte de l’application de l’al. 83(1)a), qui confère aux bandes indiennes le pouvoir de taxer les immeubles situés dans les réserves.

117 L’alinéa 83(1)a) dispose :

Sans préjudice des pouvoirs que confère l’article 81, le conseil de la bande peut, sous réserve de l’approbation du ministre, prendre des règlements administratifs dans les domaines suivants :

a) sous réserve des paragraphes (2) et (3), l'imposition de taxes à des fins locales, sur les immeubles situés dans la réserve, ainsi que sur les droits sur ceux‑ci, et notamment sur les droits d’occupation, de possession et d'usage;

118 En dernière analyse, la question qui doit être tranchée en l’espèce est de savoir si, pour l’application l’al. 83(1)a), les terres sur lesquelles est situé le canal d’irrigation se trouvent dans la réserve et peuvent être taxées par la bande indienne d’Osoyoos.

119 Il ne faut pas oublier que le pouvoir de taxation est important dans le cadre de la gestion du territoire de la réserve. Comme l’a dit le juge en chef Lamer dans l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, par. 18 :

. . . il importe que nous ne perdions pas de vue l’objectif que visait le législateur fédéral lorsqu’il a investi les Indiens de leurs nouveaux pouvoirs de taxation. Le régime qui est entré en vigueur en 1988 est destiné à faciliter le développement de l’autonomie gouvernementale des autochtones en permettant aux bandes d’exercer sur leurs réserves le pouvoir proprement gouvernemental de taxation.

120 Cela dit, l’étendue des pouvoirs de taxation d’une bande autochtone ne peut être définie par analogie avec ceux des autres formes de gouvernement. Le pouvoir de taxation d’une municipalité, tout comme celui d’une bande autochtone, repose sur un fondement législatif. Cependant, en vertu de la Municipal Act, R.S.B.C. 1996, ch. 323, ce pouvoir est fonction des limites géographiques de la municipalité, précisées dans la loi, et non du fait que la municipalité détiendrait un droit sur les terres visées, par exemple parce qu’elle en serait propriétaire ou les utiliserait.

121 À l’opposé, la Loi sur les Indiens crée le pouvoir d’imposer une taxe sur les immeubles, pouvoir limité aux terres situées dans la réserve. La question de savoir en quoi consiste une terre située dans la réserve est entièrement déterminée en se reportant aux dispositions de la Loi qui précisent dans quels cas une terre perd sa qualité de terre de « réserve ».

122 Cela nous ramène à la première des deux questions formulées en l’espèce. En résumé, est-ce que la prise d’un fief simple en vertu de l’art. 35 a pour effet, de la même manière qu’une cession à titre absolue fondée sur les art. 38 et 39, de mettre fin au droit des Indiens sur des terres de réserve?

A. Question no 1 : L’article 35 entraîne-t-il l’extinction du droit des Autochtones sur les terres de réserve visées?

1. Introduction

123 Conformément à la conclusion que je tire plus loin, il est clair que l’art. 35 permet l’expropriation d’un fief. À mon avis, le transfert de la pleine propriété, que ce soit par voie de cession absolue ou de prise forcée (expropriation) fondée sur l’art. 35, enlève aux terres visées la qualité de terre de « réserve » que leur confère la loi. Il est moins important de s’attacher au moyen (cession ou expropriation) par lequel la pleine propriété de terres de réserve passe à un tiers que de prendre acte du résultat qui en découle. Dans le cas de l’expropriation d’un fief, comme dans le cas d’une cession suivie d’une vente, le changement essentiel réside dans le mode de tenure des terres : un tiers (en l’occurrence ni la bande ni la Couronne fédérale au nom de la bande) détient la pleine propriété des terres en question.

2. Interprétation de l’art. 35

a) Règles d’interprétation

124 Quels sont les règles et les principes qui guident notre Cour dans l’interprétation de l’art. 35 de la Loi sur les Indiens, eu égard au fait que le droit des Autochtones sur les terres de réserve est concerné? Dans l’arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, p. 142 et 143, le juge La Forest donne des indications sur la façon d’interpréter la Loi sur les Indiens :

Je souligne au départ que je ne conteste pas le principe que les traités et les lois visant les Indiens devraient recevoir une interprétation libérale et que toute ambiguïté devrait profiter aux Indiens . . .

Alors qu’un traité est le produit d’une négociation entre deux parties contractantes, les lois relatives aux Indiens sont l’expression de la volonté du Parlement. Cela étant, je ne crois pas qu’il soit particulièrement utile d’essayer de déterminer comment les Indiens peuvent comprendre une disposition particulière. Je pense que nous devons plutôt interpréter la loi visée en tentant de déterminer ce que le Parlement voulait réaliser en adoptant l’article en question. [Je souligne.]

125 Bien qu’il soit clair que l’intention qu’avait le législateur en édictant une disposition donnée constitue le point central de l’interprétation de la Loi sur les Indiens, cette intention doit être interprétée aussi généreusement que la Loi le permet. Le juge La Forest le reconnaît également dans l’arrêt Mitchell, précité, p. 143 :

Ce point de vue ne constitue pas un rejet de la méthode d’interprétation libérale. Comme je l’ai déjà dit, il est clair que dans l’interprétation d’une loi relative aux Indiens, et particulièrement de la Loi sur les Indiens, il convient d’interpréter de façon large les dispositions qui visent à maintenir les droits des Indiens et d’interpréter de façon restrictive les dispositions visant à les restreindre ou à les abroger.

b) Interprétation de l’art. 35

126 Compte tenu de ce qui précède, est-il possible de considérer que les dispositions de l’art. 35 de la Loi sur les Indiens ont pour effet de permettre que des terres soient exclues de la réserve par leur prise en pleine propriété? En bref, la réponse est oui. Une telle prise est en fait l’équivalent forcé de la cession à titre absolu (prévue aux art. 37 à 39 de la Loi sur les Indiens).

127 L’article 35 prévoit deux modes d’expropriation : celui établi par le par. 35(1), qui étend au contexte autochtone les pouvoirs généraux en matière d’expropriation; et celui établi par le par. 35(3) et dont l’application donne lieu, dans les faits, au transfert ou à l’octroi par le gouvernement fédéral des terres visées à l’un des organismes autorisés à exproprier, plutôt qu’à l’expropriation, au sens strict, des terres en question.

128 Le paragraphe 35(1) incorpore les lois générales traitant d’expropriation, telle la Water Act. En d’autres termes, lorsque des dispositions législatives permettent à la province de « prendre ou d’utiliser » une terre sans le consentement de son propriétaire, il s’ensuit que des terres situées dans une réserve peuvent également être prises ou utilisées sans le consentement de la bande concernée. La principale différence entre l’expropriation autorisée par le par. 35(1) de la Loi sur les Indiens et l’expropriation de terres non autochtones fondée sur des dispositions législatives générales est que le consentement du gouverneur général est requis lorsque ce sont des terres de réserve qui sont prises.

129 Les parties ont débattu de la question de savoir si le mot « taking » ( « prise » ) s’entend de façon non équivoque de l’acquisition d’un intérêt en fief simple. Le Black’s Law Dictionary (6e éd. 1990) définit ainsi le mot « take » ( « prendre » ) :

[traduction] S’emparer de; acquérir ou recevoir la possession; saisir; priver qqn de l’usage ou de la possession de qqch.; s’approprier. Ainsi, les constitutions prévoient généralement que les biens d’une personne ne peuvent être pris à des fins d’intérêt public sans paiement d’une juste indemnité. [Je souligne.]

130 À mon avis, interpréter restrictivement le mot « prendre » de façon à ne permettre que la prise d’un droit inférieur sur une terre est contraire au sens ordinaire du texte du par. 35(1) de la Loi sur les Indiens, qui est ainsi rédigé :

Lorsque, par une loi du Parlement du Canada ou d’une législature provinciale, Sa Majesté du chef d’une province, une autorité municipale ou locale, ou une corporation, a le pouvoir de prendre ou d’utiliser des terres ou tout droit y afférent sans le consentement du propriétaire, ce pouvoir peut, avec le consentement du gouverneur en conseil et aux conditions qu’il est loisible à ce dernier de prescrire, être exercé relativement aux terres dans une réserve ou à tout intérêt y afférent.

131 Si l’on fait du par. 35(1) une interprétation fondée sur le sens ordinaire des mots qui y sont utilisés, cette disposition importe les pouvoirs d’expropriation prévus par les lois ordinaires en la matière; il ne permet donc pas de prendre davantage que ce que permettent les lois en contexte non autochtone. Par conséquent, tant un fief qu’un droit inférieur peuvent être « pris ». Autrement dit, le par. 35(1) incorpore les limites prévues par les dispositions législatives provinciales quant à l’étendue du droit pouvant être acquis par l’organisme qui exproprie. Il va de soi qu’il est loisible au gouverneur en conseil d’assortir l’expropriation des conditions qu’il juge appropriées en sus des restrictions prévues par la loi.

132 En l’espèce, c’est le décret de 1957 qui se fonde sur l’art. 35 pour réaliser la prise des terres autrefois situées dans la réserve. Le libellé du troisième paragraphe reflète étroitement celui du par. 35(3). Le passage suivant du décret indique que, ayant consenti à une mesure d’expropriation par la province, le gouverneur en conseil a choisi d’octroyer entièrement la parcelle de terrain requise :

[traduction]

À CES CAUSES, il plaît à Son Excellence le gouverneur général en conseil, sur la recommandation du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et conformément aux dispositions de l’article 35 de la Loi sur les Indiens, de consentir à la prise de ces terres par la province de la Colombie-Britannique et d’en céder la gestion et la maîtrise . . .

En conséquence, ainsi qu’a conclu le juge Mackenzie de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, c’est donc le par. 35(3) qui nous intéresse en l’espèce et non le par. 35(1).

133 Le paragraphe 35(3) est un autre moyen d’exproprier des terres de réserve. Lorsque l’organisme intéressé a obtenu le consentement du gouverneur en conseil pour exercer un pouvoir d’expropriation donné en vertu du par. 35(1), le gouvernement fédéral a la faculté de transférer les terres visées aux conditions qu’il juge bon d’imposer. Le consentement à la prise projetée en vertu du par. 35(1) est donc une condition préalable au transfert d’une terre sous le régime du par. 35(3).

134 Il existe, entre les par. 35(1) et (3), quelques différences importantes qui valent d’être mentionnées. Premièrement, une prise effectuée en vertu du par. 35(1) est assujettie à toutes les restrictions d’ordre procédural prévues par la loi d’expropriation d’application générale, alors qu’un transfert fondé sur le par. 35(3) ne l’est pas. Le paragraphe 35(2) (procédure), qui précise que toutes les questions relatives à une expropriation fondée sur le par. 35(1) sont régies par la loi d’application générale en matière d’expropriation, ne s’applique pas au par. 35(3). En outre, la portée du pouvoir exercé lors d’une prise forcée effectuée sous le régime du par. 35(1) est sujette à tout le moins aux restrictions d’ordre substantiel prévus par la loi d’expropriation. Ici encore, le par. 35(3) fonctionne de façon quelque peu différente. Une fois que, après avoir consenti à une expropriation fondée sur le par. 35(1), le gouvernement choisit de procéder en vertu du par. 35(3), il lui est loisible de transférer la pleine propriété. Il lui appartient alors, conformément à ses obligations de fiduciaire, de décider de la superficie qu’il convient de transférer et de la nature du droit foncier qu’il transfère.

135 Sans préciser le contenu de l’obligation de fiduciaire de la Couronne, qui varie en fonction des faits, on peut raisonnablement penser que la loi encadrant une expropriation effectuée en vertu du par. 35(1) aiderait à déterminer l’étendue du droit et de la parcelle de terre que le gouvernement devrait transférer eu égard à son obligation de fiduciaire. À ce sujet, je souscris au point de vue exprimé par mon collègue le juge Iacobucci, sous la rubrique « Le contenu de l’obligation fiduciaire de la Couronne dans le contexte de l’art. 35 », quoiqu’en l’espèce je ne saurais admettre que l’obligation de fiduciaire de la Couronne, relativement au décret, emportait celle de conserver en faveur des Indiens un droit suffisant sur les terres expropriées afin de préserver le pouvoir de taxation de la bande. La bande n’avait aucun pouvoir de taxation à préserver en 1957, lors de la prise du décret. (Le pouvoir de lever une taxe foncière n’existe que depuis l’édiction de la disposition devenue l’art. 83 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5, aux termes de laquelle une bande pouvait disposer d’un pouvoir de taxation limité, si le gouverneur en conseil déclarait que « la bande a[vait] atteint un haut degré d’avancement ». Ce n’est qu’après la modification apportée à l’art. 83 en 1988 (L.C. 1988, ch. 23, art. 10) que toutes les bandes ont obtenu le large pouvoir de taxation qu’a exercé la bande concernée en l’espèce.)

136 Dans la présente affaire, la loi qui aurait été applicable, dans un contexte non autochtone analogue, est la Water Act. Le paragraphe 21(2) de cette loi n’autorise que la prise des terres qui sont « raisonnablement requises ». Cette limite touchant ce qui peut être exproprié s’applique non seulement à la superficie qui peut être prise, mais également à la nature du droit pouvant être acquis. Cette constatation ressort de façon très claire du par. 21(1), qui précise que, [traduction] « [d]ans le présent article et dans les trois suivants, le mot “terres” s’entend également des domaines, droits, intérêts ou servitudes relatifs à celles-ci ». De toute évidence, donc, il faut en déduire que l’art. 21 ne permet pas la prise d’un fief (simple ou résoluble) lorsqu’un droit de passage en surface suffit. Cela dit, il est également clair que l’art. 21 autorise la prise d’un fief simple lorsqu’une telle mesure est raisonnablement requise.

3. L’analogie entre la cession à titre absolu et l’expropriation

137 Étant donné que l’art. 35 autorise clairement la prise d’un fief, quel est l’effet d’une telle expropriation sur le droit de la bande sur les terres prises? L’effet de l’expropriation d’un fief effectuée en vertu de l’art. 35 est analogue à celui d’une cession à titre absolu. Notre Cour a déclaré sans équivoque que, lorsqu’une bande cède à titre absolu des terres de réserve, son droit sur ces terres cesse d’exister.

138 À mon avis, la distinction entre une cession à titre absolu par voie de vente consensuelle et l’expropriation forcée d’un fief simple n’est pas pertinente dans la mesure où la question qui nous occupe est celle du maintien du droit de la bande sur les terres de réserve visées. Cette conclusion respecte rigoureusement le raisonnement suivi par notre Cour dans des décisions antérieures, où elle a indiqué que l’expropriation pouvait avoir pour effet d’exclure de la réserve des terres en faisant partie. Dans l’arrêt Bande indienne des Opetchesaht c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 119, par. 86, par exemple, le juge McLachlin (maintenant Juge en chef), dissidente, a dit ceci :

L’expropriation est le seul mécanisme par lequel les droits des Indiens dans les terres des réserves peuvent faire l’objet d’une disposition permanente en vertu de la Loi sur les Indiens. Lorsque l’intérêt supérieur du public l’exige, il peut y avoir expropriation de droits dans les terres des réserves : art. 35.

139 Dans cet arrêt, le juge Major, s’exprimant pour la majorité, a lui aussi noté que l’art. 35 a pratiquement le même effet sur les droits des Autochtones sur les terres des réserves que les dispositions portant sur les cessions à titre absolu (au par. 42) :

Aux termes de l’art. 38, « tout droit ou intérêt de la bande et de ses membres » dans une réserve peut être abandonné, ce qui renvoie de toute évidence à l’art. 37. L’ensemble de droits qui peuvent être cédés est tout « droit ou intérêt » dans une réserve. L’article 35, qui établit le pouvoir d’expropriation, précise que le droit d’exproprier peut être exercé de façon analogue « relativement aux terres dans une réserve ou à tout intérêt y afférent ». [Je souligne.]

140 On trouve une interprétation semblable de la disposition relative à l’expropriation dans l’arrêt Smith c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 554, p. 577, où le juge Estey, s’exprimant pour la Cour, a dit ce qui suit :

Il est à noter que l’art. 35 prévoit qu’en cas d’expropriation du droit des Indiens par l’un ou l’autre palier de gouvernement, le montant de l’indemnité accordée à cet égard sera détenu par le receveur général du Canada au profit des Indiens qui sont ainsi privés de leur droit à la possession. [Je souligne.]

141 Selon le procureur général du Canada intervenant, la différence fondamentale entre l’expropriation et la cession est que [traduction] « la cession requiert le consentement de la bande indienne dont des terres de réserve sont cédées, alors que, sous le régime de l’art. 35, la loi n’exige pas que la bande consente à la l’aliénation du droit des Indiens sur les terres de réserve visées » (mémoire, par. 55). Cette distinction a conduit l’appelante à conclure que la cession permet de retirer aux terres visées leur qualité de réserve, alors que l’expropriation ne le permet pas.

142 J’estime que cet argument n’est pas convaincant. Étant donné que le Parlement a choisi de permettre l’application aux réserves indiennes des lois relatives à l’expropriation, le fait d’exiger qu’on obtienne le consentement de la bande viendrait tout simplement annuler l’effet de cette décision; par définition, l’expropriation est la prise forcée d’un bien-fonds sans le consentement de son propriétaire (ou, en l’espèce, de la personne au profit de laquelle ce bien-fonds est détenu). En l’absence de contestation constitutionnelle du texte de l’art. 35 de la Loi sur les Indiens (il est à souligner qu’aucune contestation de la sorte n’est présentée en l’espèce), l’absence de disposition exigeant le consentement de la bande en cas d’expropriation ne révèle rien quant à l’effet de l’expropriation sur le droit de la bande sur les terres expropriées.

4. L’effet de l’expropriation ou de la cession

143 Par suite de l’expropriation d’un fief ou d’une cession à titre absolu, les terres visées cessent de faire partie de la réserve. Comme l’a souligné le juge en chef Lamer dans l’arrêt Bande indienne de St. Mary’s c. Cranbrook (Ville), [1997] 2 R.C.S. 657, par. 28, les modifications de Kamloops (L.C. 1988, ch. 23) avaient pour but d’assurer que « les terres cédées pour être vendues (ou à des fins similaires à la vente) continuent d’être exclues de la définition de réserve » (premier soulignement dans l’original, deuxième soulignement ajouté). Dans l’arrêt Bande indienne de Musqueam c. Glass, [2000] 2 R.C.S. 633, 2000 CSC 52, par. 16, le juge en chef McLachlin (dissidente, mais pas sur ce point) a dit qu’ « [u]ne fois cédé à la Couronne, un tel terrain perd toutes les caractéristiques que lui conférait le fait d’être situé dans une réserve ». Au nom des juges majoritaires, j’ai moi aussi fait observer, au par. 35, que « [l]a valeur en tant que propriété franche des terrains de Musqueam ne peut être qu’une valeur hypothétique, puisque le titre franc n’existe pas dans une réserve ». Autrement dit, l’idée même qu’une terre qui a pu à l’origine être dans la réserve soit maintenant détenue en fief (autrement que par la Couronne fédérale pour l’usage et pour le profit de la bande) est incompatible avec l’idée que la terre soit située « dans la réserve ».

144 Il convient de souligner que l’effet de l’expropriation d’un fief sous le régime du par. 35(1) ou 35(3) n’est pas nécessairement différent parce que ce fief serait, selon l’expression traditionnelle de la common law, « résoluble ». En l’absence de condition établissant un intérêt réversif en faveur de la bande, on pourrait prétendre -- ce qu’on a d’ailleurs fait en l’espèce -- qu’une expropriation effectuée en vertu de l’art. 35 pour cause d’utilité publique comporte implicitement la condition que l’intérêt soit remis à la bande lorsqu’il cesse d’être requis pour la fin en question. Compte tenu de l’analogie entre la cession et l’expropriation, ainsi que du droit général en matière d’expropriation, je rejette cet argument.

145 Dans l’affaire Bande indienne de St. Mary’s, précitée, l’acte portant cession des terres pour les besoins d’un aéroport était assorti de la condition expresse que les terres retournent à la bande lorsqu’elles cesseraient d’être utilisées à des fins d’utilité publique. La Cour a refusé de reconnaître qu’une telle condition était incompatible avec le caractère absolu de la cession, aux p. 669-670 :

À mon sens, la stipulation prévoyant le cas où les terres « cessent d’être utilisées à des fins d’utilité publique » ne fait pas échec à cette conclusion. En d’autres mots, la thèse des appelants ne me convainc pas que la simple adjonction par la bande de cette stipulation dans l’acte de cession veut forcément dire que la cession n’était pas absolue. Les mots « absolu » et « conditionnel » ne sont pas incompatibles, ni sur le plan des concepts ni sous le régime de la Loi sur les Indiens. En effet, un élément clé des versions de 1952 et de 1988 de la Loi sur les Indiens est qu’elles disposent expressément qu’une cession peut être à la fois absolue et assortie de conditions. Le paragraphe 38(2) de la Loi sur les Indiens de 1952 était ainsi rédigé :

38. . . .

(2) Une cession peut être absolue ou restreinte, conditionnelle ou sans condition.

De même, le par. 38(1) de la Loi sur les Indiens de 1985 dispose :

38. (1) Une bande peut céder à titre absolu à Sa Majesté, avec ou sans conditions, tous ses droits, et ceux de ses membres, portant sur tout ou partie d’une réserve.

Ces dispositions montrent non seulement que mon interprétation de la cession des terrains aéroportuaires est depuis longtemps envisagée dans la Loi sur les Indiens, mais aussi, en toute déférence, que le juge Spencer a eu tort de recourir à un dictionnaire pour établir une distinction entre une cession absolue et une cession restreinte. En concluant qu’une cession absolue est une cession qui ne comporte aucune restriction, le juge Spencer nie la réalité exprimée dans la Loi sur les Indiens, savoir qu’une cession à titre absolu peut être assortie de conditions. [Je souligne.]

146 Ainsi, dans l’arrêt Bande indienne de St. Mary’s, notre Cour a jugé que l’inclusion explicite d’une « stipulation » précisant que les terres retourneraient à la bande si elles cessaient d’être utilisées à des fins d’utilité publique n’avait pas fait de la cession une cession autre qu’à titre absolu. Le fait que l’expropriation d’un fief a également pour effet d’éteindre le droit de la bande sur les terres de réserve visées incite à tirer la même conclusion dans le contexte de l’expropriation d’un fief résoluble. Comme, en l’espèce, l’expropriation n’est assortie d’aucune condition explicite et qu’il existe tout au plus une condition implicite fondée sur la possible impermanence de la fin d’utilité publique ayant motivé l’expropriation, il y a encore moins de raisons en l’occurrence de conclure qu’un droit sur les terres de réserve visées a survécu à l’expropriation.

147 En rejetant l’idée qu’une expropriation effectuée en vertu de l’art. 35 soit assortie d’une réserve la subordonnant au maintien de la « fin d’utilité publique », il convient à mon avis de souligner qu’il serait totalement contraire au droit général de l’expropriation de considérer que la prise d’un fief est intrinsèquement résoluble compte tenu de la possibilité que sa raison d’être cesse d’exister. La bande indienne de Squamish intervenante semble conclure à l’existence d’une pareille condition implicite en se basant sur des considérations d’ordre pratique. Elle soutient qu’il serait injuste et inutile que l’organisme qui exproprie puisse prendre des terres pour une fin donnée puis l’abandonner une fois cette fin réalisée. Notre Cour a déjà reconnu que les progrès technologiques et sociaux peuvent entraîner l’obsolescence d’ouvrages publics. Par exemple, dans l’arrêt Bande indienne des Opetchesaht, précité, par. 27, le juge Major a noté :

Même si ce sont toutes des situations hypothétiques, mentionnons que la centrale électrique de Sproat Falls pourrait être abandonnée, que des changements démographiques pourraient survenir dans la région et entraîner la modification de l’emplacement, de la taille et de la nécessité des pylônes. Autre possibilité, plus vague encore, l’électricité pourrait être remplacée par une autre source d’énergie. Il est évident que les progrès technologiques ont changé la façon dont nous vivons, et ce d’une manière qui était inimaginable dans le passé. L’exemple du chemin de fer au Canada est tout particulièrement à-propos. Il y a 50 ans à peine, le transport ferroviaire au Canada paraissait être un mode de déplacement et de transport appelé à rester de façon permanente. Aujourd’hui, on constate que bon nombre de lignes de chemin de fer sont abandonnées au profit de l’avion et l’automobile.

148 Bien que tout cela soit rigoureusement exact, il ne s’ensuit aucunement que le bien-fonds a perdu toute utilité une fois terminée son affectation initiale à une fin d’utilité publique. Il est loisible au gouvernement de l’utiliser à une autre fin d’utilité publique ou de le mettre à nouveau de côté à l’usage et au profit de la bande à qui il a été pris. Cependant, il est évident que, dans l’état actuel des choses, la Loi sur les Indiens n’impose pas l’obligation de restituer les terres visées à la bande, ou de les prendre uniquement sous réserve d’un intérêt réversif en faveur de celle-ci. Pour ce qui est de savoir si le gouverneur en conseil a l’obligation de fiduciaire d’assortir l’expropriation qu’il fait sous l’autorité de l’art. 35 d’une condition de réversion, cette question n’a tout simplement pas été soumise à notre Cour en l’espèce.

149 Le droit général en matière d’expropriation est lui-même une création purement législative : voir Rugby Joint Water Board c. Shaw-Fox, [1973] A.C. 202 (H.L.), et E. C. E. Todd, The Law of Expropriation and Compensation in Canada (2e éd. 1992), p. 27. À la page 29 de son ouvrage, M. Todd souligne qu’[traduction] « un pouvoir d’expropriation conféré pour une fin particulière cesse d’exister une fois cette fin réalisée ». Cette affirmation ne vient aucunement corroborer la thèse voulant qu’un intérêt réversif doive assortir chaque expropriation pour cause d’utilité publique lorsqu’il n’est pas certain que l’ouvrage public durera perpétuellement. Cela signifie simplement que la faculté du gouvernement d’exercer initialement le pouvoir d’exproprier des terres doit coïncider dans le temps avec le besoin qu’a le gouvernement de celles-ci pour cause d’utilité publique. En d’autres mots, le sens commun veut que, si la fin visée cesse d’exister avant que le pouvoir ait été exercé, il soit alors vraiment trop tard pour invoquer le pouvoir d’exproprier à cette fin. Par contre, une fois que le pouvoir d’exproprier a été exercé et que les terres ont été prises, le fait que la fin initiale ait été complétée importe peu.

150 Il serait étranger au droit de l’expropriation d’incorporer une condition d’usage à perpétuité que ne prévoit pas la loi. Lorsque la loi elle-même ne comporte aucune restriction de ce genre, il suffit, pour que les terres soient prises à titre absolu, qu’au moment de la prise l’organisme public le requière à titre absolu pour la fin légitime qu’il vise. En l’absence d’autres restrictions découlant du droit ordinaire en matière d’expropriation dans son application aux Indiens, aucune conséquence juridique ne résulte du fait que la fin initiale que visait un ouvrage public a été complétée.

5. Arguments à l’appui de cette interprétation de l’art. 35

151 Considérer que l’art. 35 permet d’exclure des terres de la réserve est une interprétation compatible avec l’objet de cette disposition, comme en témoigne le débat parlementaire qui suit :

[traduction] Cet article se fonde sur l’ancienne loi et reconnaît au Parlement du Canada, aux législatures provinciales, aux autorités municipales ou civiles, ou aux corporations, le pouvoir d’exproprier des terres. Ces organismes jouissent du même droit, subordonnément au consentement du gouverneur en conseil et aux termes prescrits. Il s’agit donc d’une continuation de la discussion précédente [touchant le par. 28(2)] relative à l’usage temporaire des terres d’une réserve. Le présent article traite de l’exploitation permanente de terres pour fins d’utilité publique et autres semblables.

On ne s’y est pas opposé à la conférence. Les délégués ont compris que les terres des réserves indiennes doivent être soumises à la même forme d’expropriation, par un organisme compétent, que toutes les autres terres au Canada. [Je souligne.]

(Procès-verbaux et témoignages, fascicule no 3, du Comité spécial institué pour étudier le Bill no 79, Loi concernant les Indiens, 18 avril 1951, p. 31).

152 Des considérations d’ordre pratique étayent également la conclusion que l’expropriation d’un intérêt franc éteint le droit sur les terres de réserve visées. Un ouvrage d’envergure comme un canal d’irrigation, une voie de chemin de fer, une autoroute ou une piste d’atterrissage requiert habituellement des sources de financement privées. Si un droit autochtone continuait, même après la prise d’un fief, de grever les terres expropriées pour une telle fin, il serait difficile, voire impossible d’accorder à des investisseurs potentiels une garantie sur ces terres.

153 Compte tenu de ma conclusion quant à l’effet d’une expropriation de la pleine propriété effectuée en vertu de l’art. 35 de la Loi sur les Indiens, l’argument de l’appelante voulant que cette disposition n’ait pas pour effet d’exclure les terres expropriées de la réserve ne tient plus. Tout au plus pourrait‑on prétendre que, vu le résultat inévitable d’une prise en pleine propriété, le gouverneur en conseil devrait refuser son consentement, qui est par ailleurs requis par l’art. 35 lorsqu’une expropriation complète -- situation elle-même envisagée par cet article -- est projetée. Une telle position serait fallacieuse et intenable. À mon avis, sans se lancer dans l’analyse du contenu de l’obligation de fiduciaire, on ne saurait conclure que le gouverneur en conseil ne doit jamais consentir à la mesure même à l’égard de laquelle la loi requiert son consentement.

154 La Loi sur les Indiens exige le consentement de la Couronne en cas de cession de terres aux fins de vente ou de location ainsi qu’en cas d’expropriation. Dans les arrêts Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344, par. 35, et Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, p. 383, notre Cour a souligné que cette exigence n’a pas pour objet de substituer la décision de la Couronne à celle des bandes visées, mais plutôt d’empêcher que ces dernières ne se fassent exploiter pendant le processus de négociation. Comme l’a fait remarquer le juge Dickson (plus tard Juge en chef) dans l’arrêt Guerin : « Cette exigence d’une cession vise manifestement à interposer Sa Majesté entre les Indiens et tout acheteur ou locataire éventuel de leurs terres, de manière à empêcher que les Indiens se fassent exploiter ».

155 Une fois établie l’analogie entre la cession aux fins de vente et l’expropriation d’un fief simple, le rôle du consentement de la Couronne en matière d’expropriation devient évident. Ce consentement tient au fait même de l’expropriation dans une situation donnée ainsi qu’aux éléments de l’expropriation qui sont l’objet de négociations et à l’égard desquels il y a risque d’exploitation, tels les droits qui sont pris dans les terres expropriées, les conditions assortissant la prise des terres et le montant de l’indemnité versée.

156 En l’espèce, ni la justesse de l’indemnité ni la superficie des terres prises ne sont contestées. De fait, la contestation ne porte même pas sur le fait que le gouvernement entendait exproprier des terres en l’espèce (quoique l’interprétation du décret relativement à l’étendue du droit accordé soit directement en litige).

157 Une fois qu’il est établi que l’art. 35 de la Loi sur les Indiens permet l’expropriation d’un fief, on ne peut contester la possibilité d’exclure des terres d’une réserve par voie d’expropriation qu’en attaquant la constitutionnalité de l’art. 35 ou en plaidant que, d’une manière ou d’une autre, le consentement donné par le gouvernement dans une affaire particulière -- ou même dans tous les cas -- d’expropriation de la pleine propriété constitue un manquement à l’obligation de fiduciaire de la Couronne. Or, il convient de rappeler que les parties n’ont ni contesté la constitutionnalité de l’art. 35 de la Loi sur les Indiens, ni plaidé aucun manquement à l’obligation de fiduciaire.

6. Distinction entre le droit des Autochtones sur les terres des réserves et le titre aborigène

158 Par souci de clarté, je tiens à souligner que je n’ai pas examiné l’effet de l’art. 35 de la Loi sur les Indiens lorsque la situation se complique du fait que les terres de réserve visées sont également l’objet d’un titre aborigène ou de droits issus de traités. Il serait peut-être utile, à ce stade-ci, de distinguer clairement le titre aborigène du droit des Autochtones sur les terres des réserves. Ce faisant, je tiens également à préciser que les principes de la common law en matière d’extinction ne sont pas pertinents pour comprendre comment prend fin le droit des Autochtones sur les terres d’une réserve.

159 L’appelante a plaidé que, en droit, le titre aborigène subsiste à l’égard d’une réserve créée sous le régime de la Loi sur les Indiens. Cet argument est clairement erroné. Dans l’arrêt Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, par. 143, notre Cour a énoncé le critère applicable pour statuer sur l’existence d’un titre aborigène :

Pour établir le bien-fondé de la revendication d’un titre aborigène, le groupe autochtone qui revendique ce titre doit satisfaire aux exigences suivantes : (i) il doit avoir occupé le territoire avant l’affirmation de la souveraineté; (ii) si l’occupation actuelle est invoquée comme preuve de l’occupation avant l’affirmation de la souveraineté, il doit exister une continuité entre l’occupation actuelle et l’occupation antérieure à l’affirmation de la souveraineté; (iii) au moment de l’affirmation de la souveraineté, cette occupation doit avoir été exclusive.

La relation d’une bande avec le territoire qui constitue sa réserve ne satisfait pas nécessairement à ce critère. À titre d’exemple, la réserve d’une bande peut être formée de terres entièrement distinctes du territoire ancestral de celle-ci et qui n’étaient pas occupées de façon exclusive avant l’affirmation de la souveraineté.

160 L’appelante a également soutenu que le droit des Autochtones sur les terres des réserves est lui-même un droit ancestral particulier, essentiellement identique au titre aborigène (et donc assujetti aux mêmes principes en matière d’extinction). Cette conclusion erronée de l’appelante découle apparemment des commentaires suivants du juge Dickson dans l’arrêt Guerin, précité, p. 379 :

À mon avis, il est sans importance que la présente espèce concerne le droit d’une bande indienne sur une réserve plutôt qu’un titre aborigène non reconnu sur des terres tribales traditionnelles. Le droit des Indiens sur les terres est le même dans les deux cas . . .

161 Dans l’affaire Guerin, la question soumise à notre Cour était de savoir si l’art. 18 de la Loi sur les Indiens faisait de la Couronne le fiduciaire des terres de la réserve. Le juge Dickson, s’exprimant pour la majorité, a conclu que la Couronne jouait le rôle de fiduciaire de la bande indienne de Musqueam, mais seulement à l’égard de la cession des terres de la réserve qui étaient également assujetties à un titre aborigène. L’article 18 de la Loi sur les Indiens a confirmé l’obligation de fiduciaire déjà assumée par la Couronne relativement aux terres assujetties à un titre aborigène, mais il n’a pas créé un droit de propriété différent. Le passage précité rappelle simplement que le fait que des terres visées par un titre aborigène sont également des terres de réserve protégées par la Loi sur les Indiens ne modifie pas le droit des Autochtones sur ces terres dans la mesure où est concerné le droit à la protection de la Couronne en sa qualité de fiduciaire.

162 Lorsqu’il souligne que le droit sur les terres de réserve est le même que celui découlant d’un titre aborigène non reconnu sur des terres traditionnelles, le juge Dickson invoque l’arrêt Attorney-General for Quebec c. Attorney-General for Canada, [1921] 1 A.C. 401 (C.P.), p. 410. Dans cet arrêt, lord Duff a indiqué que le texte en cause, l’équivalent de l’actuelle Loi sur les Indiens, existait afin de [traduction] « prévenir les atteintes aux terres acquises aux fins d’usage par les tribus indiennes ». Il a conclu que ces termes « ne dénotaient pas une intention d’élargir ou de modifier de quelque façon que ce soit la qualité du droit conféré aux Indiens par l’acte d’appropriation ou toute autre source de ce droit ». En d’autres termes, lorsque des terres toujours visées par un titre aborigène sont acquises pour l’usage d’une bande comme terres de réserve, le droit des Autochtones sur ces terres ne diffère pas de celui qui s’attache aux terres traditionnelles visées par un titre aborigène non reconnu -- du moins pour ce qui est de comprendre les conditions d’existence et le contenu de l’obligation de fiduciaire.

163 Je souscris à l’opinion du juge Dickson sur ce point et je conclurais même que le droit sur des terres de réserve non visées par un titre aborigène et le droit sur des terres situées hors de la réserve mais visées par un titre aborigène sont identiques en ce qu’ils créent pour la Couronne une obligation de fiduciaire. Le contenu de l’obligation de fiduciaire dépend bien sûr du contexte factuel : R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, p. 1119.

164 En somme, cet extrait de l’arrêt Guerin ne traite pas de l’identité du titre aborigène et du droit sur les terres de réserve du point de vue de la naissance et de la cessation de chacun ces droits. Le juge Dickson ne faisait que comparer les terres de réserve visées par un titre aborigène et les terres situées hors de la réserve également visées par un tel titre, afin de comprendre les conditions d’existence de l’obligation de fiduciaire de la Couronne dans les deux cas.

165 Dans la mesure où la Loi sur les Indiens crée des droits à l’égard des terres des réserves et où ces droits sont détenus par des Autochtones, le droit sur les terres de la réserve est littéralement un droit autochtone. Cependant, la catégorie de droits autochtones (c’est-à-dire les « droits ancestraux ») à laquelle appartient le titre aborigène et à laquelle l’appelante désire ajouter le droit des Autochtones sur les terres des réserves, possède une valeur constitutionnelle spéciale -- confirmée et reconnue par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 -- qui justifie le degré élevé de protection accordée à ces droits.

166 Notre Cour a défini de façon large les « droits ancestraux », ceux‑ci allant d’activités n’ayant qu’un lien limité avec le territoire où elles sont exercées (voir R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, et R. c. Adams, [1996] 3 R.C.S. 101), aux droits fonciers formant le titre aborigène (voir l’arrêt Delgamuukw, précité). Les droits protégés par le par. 35(1) partagent une caractéristique qui est liée à l’objet de cette disposition. Cet objet a été énoncé en ces termes dans l’arrêt Van der Peet, précité, par. 30 et 31 :

À mon avis, la doctrine des droits ancestraux existe et elle est reconnue et confirmée par le par. 35(1), et ce pour un fait bien simple : quand les Européens sont arrivés en Amérique du Nord, les peuples autochtones s’y trouvaient déjà, ils vivaient en collectivités sur ce territoire et participaient à des cultures distinctives, comme ils l’avaient fait pendant des siècles. C’est ce fait, par-dessus tout, qui distingue les peuples autochtones de tous les autres groupes minoritaires du pays et qui commande leur statut juridique -- et maintenant constitutionnel -- particulier.

Plus précisément, le par. 35(1) établit le cadre constitutionnel qui permet de reconnaître que les autochtones vivaient sur le territoire en sociétés distinctives, possédant leurs propres cultures, pratiques et traditions, et de concilier ce fait avec la souveraineté de Sa Majesté. Les droits substantiels visés par cette disposition doivent être définis à la lumière de cet objet. Les droits ancestraux reconnus et confirmés par le par. 35(1) doivent tendre à concilier la préexistence des sociétés autochtones et la souveraineté de Sa Majesté. [Premier soulignement dans l’original; deuxième soulignement ajouté.]

167 Ainsi, les droits ancestraux protégés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qu’il s’agisse d’activités ou de droits fonciers, ont comme caractéristique commune leur rapport avec une société autochtone qui existait avant l’affirmation de la souveraineté. Dans l’arrêt Delgamuukw, par. 151, notre Cour a affirmé qu’un aspect fondamental du critère de détermination de l’existence des droits ancestraux demeurait l’exigence que le droit en cause ait « pour [l]a culture distinctive [de cette société] une importance fondamentale ».

168 Le droit des Autochtones sur les terres des réserves est entièrement une création législative moderne. Lorsqu’un tel droit ne peut être assimilé à un titre aborigène ou autre droit ancestral décrit précédemment, je ne vois pas comment on pourrait affirmer qu’il est lié à une société autochtone distincte qui existait avant l’affirmation de la souveraineté.

169 Bref, le droit des Autochtones sur les terres des réserves est un droit tout à fait distinct et indépendant du titre aborigène. Qui plus est, il n’appartient pas à la même catégorie de « droits autochtones » (les « droits ancestraux ») et n’est pas assujettis aux mêmes principes juridiques que le titre aborigène ou les autres droits ancestraux susmentionnés; en d’autres mots, un simple droit sur des terres de réserve qui ne sont pas aussi visées par un titre aborigène, par des droits issus de traités ou par d’autres droits ancestraux ne saurait être considéré comme un « droit ancestral » protégé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

170 Étant donné que le droit des Autochtones sur les terres des réserves n’est ni identique ni même, à vrai dire, analogue au titre aborigène, les principes régissant son extinction sont également différents. Plus précisément, c’est la Loi sur les Indiens qui crée et délimite l’étendue et la nature de ce droit.

171 Dans le contexte du titre aborigène, il est clair que l’existence d’un fief simple fait obstacle à l’occupation des terres et annihile le rapport que la bande concernée entretient avec celles-ci, de sorte que le titre aborigène est éteint. Comme l’a dit le juge en chef Lamer dans l’arrêt Delgamuukw, précité, par. 128 et 129 :

. . . les terres visées par un titre aborigène ne peuvent pas, selon moi, être utilisées à des fins incompatibles avec la nature de l’occupation de ces terres et avec le rapport que le groupe concerné entretient avec celles-ci, facteurs qui, ensemble, ont donné naissance au titre aborigène . . .

C’est également pour cette raison que les terres détenues en vertu d’un titre aborigène sont inaliénables. L’aliénation des terres en question éteindrait le droit des autochtones de les occuper et mettrait fin au rapport qu’ils entretiennent avec celles-ci. . .

172 Une loi censée permettre la violation d’un titre aborigène doit satisfaire au critère énoncé dans l’arrêt Sparrow, précité. Dans le cas des lois fédérales édictées avant 1982 qui visaient à éteindre complètement un droit ancestral tel un titre aborigène, cette intention doit ressortir de façon claire et nette de la loi en question : R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723, par. 34; Sparrow, p. 1099. Dans l’arrêt Van der Peet, précité, par. 28, la Cour a fait l’observation suivante : « À la suite de l’adoption du par. 35(1), les droits ancestraux ne peuvent pas être éteints et ils ne peuvent être réglementés ou violés qu’en conformité avec le critère de justification énoncé par notre Cour dans Sparrow ».

173 Je tiens à souligner que certains jugements de la Cour fédérale ont tenté d’appliquer la règle de « l’intention claire et nette » à des terres de réserve. Dans Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Bande indienne de Matsqui, [1998] A.C.F. no 983 (QL) (C.A.), le juge Décary a dit ceci, au par. 27 :

Lorsque la prise de possession obligatoire d’une partie d’une réserve est en cause, la Cour doit être convaincue que l’intention de la Couronne d’éteindre le titre indien dans la parcelle prise est « claire et expresse » (voir R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, page 1099 . . .).

Cette approche a été adoptée par la Section de première instance de la Cour fédérale, dans BC Tel c. Bande indienne de Seabird Island, [2000] 4 C.F. 350, par. 19 (le juge Muldoon).

174 En toute déférence, je n’admets pas que ce principe, qui découle d’une certaine conception du titre aborigène, puisse être appliqué au droit des Autochtones sur les terres des réserves, droit qui est une création d’origine législative et dont l’existence n’est pas fondée sur un rapport avec le territoire. Le droit des Autochtones sur les terres de réserve est créé sous le régime de la Loi sur les Indiens, qui précise, dans ses dispositions relatives à l’expropriation et à la cession, les circonstances dans lesquelles une terre perd sa qualité de terre de réserve.

B. Question no 2 : Le décret autorise-t-il de fait la prise de la pleine propriété?

175 Il convient de donner effet au sens ordinaire du document. Essentiellement, il s’agit de déterminer si le décret a autorisé la prise d’une servitude ou, comme le soutiennent les intimées, d’un intérêt propriétal complet, de telle sorte que le bien-fonds visé ne constitue plus une « terre dans une réserve » visée par la Loi sur les Indiens. Le point litigieux concerne le sens du terme « droit de passage » utilisé dans la « Description ». L’appelante prétend que ce terme désigne l’étendue du droit sur les terres, alors que les intimées soutiennent qu’il décrit une parcelle physique prise en fief simple. À mon avis, la lecture du décret dans son ensemble étaye la thèse des intimées.

176 Le décret comporte deux parties. Les deux premiers paragraphes -- le préambule -- énoncent simplement qu’une demande visant une parcelle de terrain a été présentée et que le montant de l’indemnité a été décidé et payé :

[traduction]

ATTENDU que le ministre de l’Agriculture de la province de la Colombie‑Britannique a demandé, pour les besoins d’un canal d’irrigation, les terres décrites ci‑après, qui constituent une portion de la réserve indienne numéro un de la bande indienne d’Osoyoos, dans ladite province;

ET ATTENDU que la somme de 7 700 $ a été reçue de la province de la Colombie‑Britannique à titre de paiement complet des terres demandées, conformément à l’évaluation approuvée par le conseil de la bande indienne d’Osoyoos le 30 mars 1955 et par les fonctionnaires de la Division des Affaires indiennes;

177 Dans la désignation de l’intérêt en common law dans la première partie, il est déclaré que « les terres décrites ci-après » constituent « une portion de la réserve indienne numéro un de la bande indienne d’Osoyoos ». Cette désignation indique clairement que ce qui a été transféré, c’est une « une portion de la réserve », et non pas simplement une servitude.

178 Le troisième paragraphe de la première partie contient l’autorisation déterminante :

[traduction]

À CES CAUSES, il plaît à Son Excellence le gouverneur général en conseil, sur la recommandation du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et conformément aux dispositions de l’article 35 de la Loi sur les Indiens, de consentir à la prise de ces terres par la province de la Colombie‑Britannique et d’en céder la gestion et la maîtrise à Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie‑Britannique :

179 Ce paragraphe énonce tout ce que le décret est censé accomplir. Le texte de ce paragraphe confirme que la Couronne autorise le transfert de la pleine propriété. Cependant, l’emploi du mot « prise » et de l’expression « céder la gestion et la maîtrise » appelle quelques commentaires.

180 J’ai examiné plus tôt, dans le contexte de l’art. 35 de la Loi sur les Indiens, le sens du mot « prise ». En l’espèce, si la Couronne avait voulu utiliser le mot « prise » pour indiquer qu’on n’autorisait que la prise d’un droit inférieur au fief simple, on aurait pu s’attendre à un libellé plus approprié pour décrire un tel droit inférieur, par exemple les mots le « droit d’utiliser les terres ». À titre d’exemple, on trouve une formule de ce genre dans l’acte de concession par la Couronne de la servitude en cause dans l’affaire Bande indienne des Opetchesaht, précitée, par. 8, qui disait : « . . . accorde au titulaire et à ses ayants droit le droit de construire, d’exploiter et d’entretenir une ligne de transmission d’énergie électrique sur les terres visées de la réserve indienne numéro deux de Klehkoot . . . » (je souligne).

181 Les termes « céder la gestion et la maîtrise » sont généralement utilisés pour tenir lieu de transport de titre entre les Couronnes fédérale et provinciale. Dans son ouvrage Natural Resources and Public Property under the Canadian Constitution (1969), p. 18 et 19, le professeur G. V. La Forest a expliqué le fondement théorique de cette formule :

[traduction] Cependant, il faut constamment garder à l’esprit la nature spéciale des biens publics. Les autorités provinciales (ou fédérales) disposent du pouvoir de gestion et de maîtrise, au nom de la province (ou du gouvernement fédéral), à l’égard des biens dont la propriété est dévolue à la Couronne. En conséquence, lorsqu’on souhaite transférer un bien public d’une province au gouvernement fédéral (ou vice versa), le moyen approprié n’est pas un acte translatif de propriété ordinaire mais plutôt un décret; en effet, il ne s’agit pas d’un transport de propriété mais du transfert de la gestion d’un bien de Sa Majesté, d’un gouvernement à un autre. [Références omises.]

Ce passage étaye la conclusion que le transfert de la gestion d’un bien-fonds entre le gouvernement fédéral et un gouvernement provincial équivaut à un transport de titre.

182 La première partie du décret autorise clairement la prise d’un fief visant les terres sur lesquelles le canal d’irrigation a été construit. Toutefois, la seconde partie fait naître de prime abord le spectre de l’ambiguïté en raison de l’emploi de l’expression « droit de passage ». En guise de préambule à mon analyse du sens de cette expression dans la seconde partie du décret, je propose de donner à cette partie le sens qui est propre à permettre la réalisation de son objet, c’est‑à-dire décrire la parcelle physique visée par le transfert.

183 La Description est ainsi rédigée :

[traduction] L’ensemble des droits de passage, dans la réserve numéro un de la bande indienne d’Osoyoos, dans la province de la Colombie‑Britannique, lesdits droits de passage s’étendant sur une superficie d’environ cinquante-six acres et neuf centièmes, tels qu’ils sont représentés, lisérés de rouge, sur le plan enregistré numéro Irr deux mille cent trente‑quatre des registres d’arpentage des Affaires indiennes à Ottawa; à l’exception toutefois de toute la portion située à l’intérieur des limites du droit de passage servant à une route, ce droit de passage étant représenté, liséré de rouge, sur le plan enregistré sous le numéro Rd trois mille six cent quatre‑vingt de ces registres, dont une copie est déposée au bureau d’enregistrement des droits immobiliers du district de Kamloops à Kamloops, sous le numéro A mille trois cent soixante‑dix-sept; à l’exception également de toutes les routes réservées par la province de la Colombie‑Britannique, au moyen du décret provincial numéro mille trente‑six, et aussi sous réserve d’une servitude existante relative à une ligne de haute tension, octroyée à West Kootenay Power and Light Company Ltd., au moyen du décret C.P. 143, daté du 25 janvier 1937, pour une période de trente ans, ce droit de passage ayant une superficie d’environ 22 acres et deux dixièmes, et est représenté sur un plan d’arpentage préparé par R.P. Brown, B.C.L.S., en date du 16 novembre 1936 et inscrit au registre de la Division des Affaires indiennes sous le numéro de plan M. 2691.

Le tout sous réserve des mines et des minéraux et du droit de les exploiter.

184 Il est possible de considérer que le terme « droits de passage » renvoie clairement à la parcelle de terrain sur laquelle le canal est situé. La même question s’est soulevée dans l’arrêt Bande indienne de Seabird Island, précité. Cette affaire portait sur la prise d’une autoroute faite en vertu de l’art. 35 par la province de la Colombie-Britannique, et le décret concerné employait sensiblement les mêmes mots qu’en l’espèce. Relativement à l’emploi du terme « droit de passage », la Cour d’appel fédérale a dit ceci, au par. 26 :

En outre, la présence de l’expression « droit de passage » ne vise qu’à indiquer le corridor plutôt qu’à décrire la nature de quelque droit cédé; CP, précité, au paragraphe 46 (pages 667 et 668), et Canadien Pacifique Ltée, précité, au paragraphe 22 (pages 351 et 352). Il en est ainsi malgré le fait que l’expression « droit de passage » soit utilisée une fois dans le décret pour décrire la nature d’un droit dans les terres. Cette expression a été utilisée dans le contexte de la description de la servitude octroyée à British Columbia Electric Company Limited, et cette utilisation n’est pas pertinente quant à la définition de cette expression lorsque celle‑ci est utilisée dans le contexte des terres du corridor; (Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd., Toronto : Butterworths, 1994, aux pages 163 à 168). L’expression « droit de passage » ne donne donc pas lieu à une ambiguïté.

185 Dans la Description, le terme « droit de passage » est systématiquement utilisé pour décrire physiquement la parcelle de terrain, et non pour indiquer la nature du droit en cause. La dernière fois que le terme « droit de passage » est utilisé, en apposition au mot servitude, les mots qui l’entourent indiquent clairement que ce terme décrit la parcelle de terrain même à laquelle correspond l’intérêt en common law désigné comme étant une servitude.

186 Les mots suivants, qui accompagnent le terme « droit de passage » pour décrire la parcelle de terrain, étayent cette conclusion :

-- À la ligne 9 de la Description, la réserve suivante modifie le terme « droits de passage » utilisé aux lignes 1 et 2 (la référence cruciale au canal) : « à l’exception toutefois de toute la portion ». La logique suggère qu’on soustrait une portion de quelque chose d’une autre portion de quelque chose de même nature. Cela indique que les droits de passage mentionnés aux lignes 1 et 2 s’entendent également au sens d’une parcelle de terrain. La même réserve figure aux lignes 16 et 17.

-- Aux lignes 9 et 10, on fait état de « toute la portion située à l’intérieur des limites du droit de passage servant à une route ». L’emploi de l’expression « à l’intérieur des limites » plutôt que « visée par », conjugué au fait qu’il s’agit d’un terrain, d’une « portion » de ce terrain, suggère fortement que le « droit de passage servant à une route » décrit une bande de terrain.

-- Le terme « droit de passage », tel qu’il est employé pour décrire les routes et le canal -- dans les deux cas des structures permanentes en surface --, ne décrit pas la nature du droit sur les terres.

-- Les mots « s’étendant sur une superficie » aux lignes 4 et 5 renvoient aux bandes de terrain sur lesquelles est situé le canal. Les mots « ayant une superficie » à la ligne 24 renvoient eux aussi à la parcelle de terrain grevée par la servitude. En l’espèce, le fait que les «droits de passage » dont il est question ici peuvent être physiquement mesurés et qu’on puisse dire d’eux qu’ils comportent un certain nombre d’acres amène sérieusement à conclure qu’on décrit des bandes de terrain plutôt que la nature du droit.

187 La dernière phrase du décret, qui fait état de la réserve des mines et minéraux, vient renforcer cette conclusion. La réserve des mines et minéraux n’a de sens que dans la mesure où l’on envisage un transfert de titre. Il n’y a aucune raison d’inclure une telle réserve si le transfert vise un simple droit de passage ou une simple servitude légale. Cette réserve constitue une preuve supplémentaire que le décret a eu pour effet de transférer l’équivalent d’un fief. En somme, il est clair que, comme le terme « droits de passage » est utilisé pour désigner le canal à la ligne 1, il vise une parcelle de terrain.

188 Je conclus que, par suite de la prise du décret par le gouvernement fédéral, Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie-Britannique a obtenu la pleine propriété des terres sur lesquelles est situé le canal d’irrigation. J’estime que cette conclusion, qui découle d’une simple lecture du décret, est confirmée par la prise en compte de ce qui est raisonnablement et pratiquement requis pour la construction et l’entretien d’un canal d’irrigation. Je ferais remarquer, brièvement, que le canal est fait de béton et domine entièrement la parcelle de terrain sur laquelle il est situé, à l’exclusion de tout autre usage. À cet égard, un canal est comme une autoroute ou un chemin de fer, plutôt que comme un pipeline qui est construit sous terre ou une ligne de transport d’énergie ou de transmission qui occupe principalement de l’espace aérien. Il est clairement raisonnable de prendre des terres en pleine propriété pour les besoins d’un canal.

V. Conclusion

189 Est-ce que les terres prises en vertu de l’art. 35 de la Loi sur les Indiens sont des « immeubles [ou] des droits sur ceux-ci » situés dans la réserve d’une bande au sens de l’al. 83(1)a) de la Loi sur les Indiens et sont, de ce fait, évaluables et imposables en vertu du règlement d’évaluation foncière de la bande et imposables en vertu de son règlement en matière de taxation? Je répondrais par la négative à cette question, dans les cas où la pleine propriété est expropriée.

190 Si l’article 35 de la Loi sur les Indiens permet de retirer à des terres leur qualité de terres de réserve, est-ce que le décret fédéral 1957-577, en vertu duquel les terres ont été transférées, a eu cet effet sur les terres en cause, de sorte qu’elles ne sont pas évaluables et imposables par la bande indienne d’Osoyoos? Je répondrais par l’affirmative à cette question.

191 Je rejetterais le pourvoi.

Pourvoi accueilli, les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Major et Bastarache sont dissidents.

Procureurs de l’appelante : Mandell Pinder, Vancouver.

Procureurs de l’intimée la ville d’Oliver : Lidstone, Young, Anderson, Vancouver.

Procureur de l’intimée Sa Majesté la Reine du Chef de la Province de la Colombie‑Britannique : Le ministère du Procureur général, Victoria.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Le ministère de la Justice, Vancouver.

Procureurs de l’intervenante la Bande indienne de Squamish : Ratcliff & Company, North Vancouver.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Indiens - Réserves - Terres prises pour cause d’utilité publique - Décret fédéral concédant à la province un droit sur des terres occupées par un canal d’irrigation traversant une réserve indienne - Les terres prises par la province sont‑elles encore « dans la réserve » et, de ce fait, évaluables et imposables en vertu de la réglementation pertinente de la Bande - Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, ch. 149, art. 35 - Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5, art. 83(1)a) - Water Act, R.S.B.C. 1948, ch. 361, art. 21.

En 1925, on a construit un canal d’irrigation sur une parcelle de terrain scindant en deux la réserve de la bande indienne appelante. En 1957, le gouverneur en conseil a pris, en vertu de l’art. 35 de la Loi sur les Indiens, un décret dans lequel il consentait « à la prise de ces terres » par la province. En 1961, les terres formant le canal ont été inscrites au nom de la province par voie de certificat de titre incontestable. Actuellement, la ville d’Oliver exploite et entretient le canal. En 1994, en application de l’art. 83 de la Loi sur les Indiens, le conseil de la bande indienne a pris des règlements administratifs en matière d’évaluation et de taxation foncières applicables aux terres situées dans la réserve. En 1995, le conseil de bande a adopté une résolution ordonnant à la commission d’évaluation foncière de la province d’évaluer les terres formant le canal et de les inscrire au rôle d’évaluation de la bande pour 1996. La ville d’Oliver s’est opposée à l’évaluation des terres formant le canal par la bande. La commission de révision de l’évaluation foncière de la bande a soumis à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique un exposé de cause comportant les deux questions suivantes : (1) Est‑ce que les terres prises en vertu de l’art. 35 de la Loi sur les Indiens sont des « immeubles [ou] des droits sur ceux‑ci » situés dans la réserve d’une bande au sens de l’al. 83(1)a) de la Loi sur les Indiens et sont, de ce fait, évaluables et imposables en vertu de la réglementation de la bande? (2) Si l’article 35 de la Loi sur les Indiens permet de retirer à des terres leur qualité de terres de réserve, est‑ce que le décret fédéral, en vertu duquel les terres ont été transférées, a eu cet effet sur les terres en cause, de sorte qu’elles ne sont pas évaluables et imposables par la bande? Le juge en chambre a répondu « non » à la première question et « oui » à la seconde, concluant que la parcelle en question n’était pas située dans la réserve et n’était pas visée par le pouvoir de taxation reconnu à la bande par l’al. 83(1)a). La Cour d’appel a confirmé ce jugement.

Arrêt (les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Major et Bastarache sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli.

Le juge en chef McLachlin et les juges Iacobucci, Binnie, Arbour et LeBel : En l’absence de preuve complète, notre Cour doit en règle générale faire montre de circonspection avant de retirer des droits fonciers. C’est particulièrement vrai dans les cas où le droit en jeu est le droit des Autochtones sur les terres des réserves. Comme le pourvoi est présenté par voie d’exposé de cause, les droits des parties doivent être déterminés à l’aide de la preuve au dossier, quoique cette preuve soit manifestement incomplète en l’espèce.

Trois conséquences découlent du caractère sui generis du droit des Autochtones sur les terres des réserves. Premièrement, il est clair que les principes traditionnels du droit des biens en common law peuvent ne pas s’avérer utiles dans le contexte des droits fonciers des Autochtones. Deuxièmement, la notion de terres de réserve cadre mal avec la raison d’être traditionnelle du mécanisme de prise forcée de certaines terres en contrepartie d’une indemnité égale à la valeur marchande des terres en question majorée des frais. Troisièmement, le droit des Autochtones sur les terres des réserves comporte généralement un aspect culturel important, qui reflète les rapports entre la collectivité autochtone concernée et le territoire ainsi que la valeur intrinsèque et unique des terres elles‑mêmes dont jouit la collectivité. Pour ces raisons et compte tenu du fait que la Couronne a une obligation de fiduciaire envers la bande, il doit y avoir une intention claire et nette pour que l’on puisse conclure que des terres ont été exclues d’une réserve.

L’alinéa 83(1)a) de la Loi sur les Indiens confère aux bandes indiennes le pouvoir d’imposer des taxes sur un large éventail de droits fonciers et il doit être interprété largement. Les conseils de bande ont le pouvoir d’imposer le locataire ou l’utilisateur d’une partie du territoire de la réserve pour couvrir leurs dépenses d’administration de ce territoire. En conséquence, à moins que le droit que possède la bande ne soit entièrement exclu de la réserve, les terres continuent de faire partie de la réserve pour l’application de l’al. 83(1)a) et tant les servitudes que les droits d’usage ou d’occupation des terres dont sont titulaires des non‑membres de la bande sont assujettis au pouvoir de taxation de cette dernière.

L’obligation de fiduciaire de la Couronne ne se limite pas aux cessions. L’article 35 permet clairement au gouverneur en conseil d’autoriser l’usage de terres de réserve à des fins d’intérêt public. Cependant, une fois qu’il est établi que l’expropriation de terres indiennes est dans l’intérêt du public, la Couronne a l’obligation de fiduciaire de n’exproprier que le droit minimal requis pour réaliser cette fin d’intérêt public et ainsi de faire en sorte que le droit de la bande d’utiliser des terres indiennes et d’en jouir ne subisse qu’une atteinte minimale. Cette obligation est compatible avec les dispositions de l’art. 35 qui confèrent au gouverneur en conseil le pouvoir discrétionnaire absolu de prescrire les modalités de l’expropriation ou du transfert. Ce processus à deux étapes permet de réduire au minimum toute incompatibilité entre l’obligation de droit public de la Couronne d’exproprier des terres et l’obligation de fiduciaire qu’elle a envers les Indiens dont les terres sont touchées par l’expropriation. Comme elle consiste à protéger autant que possible l’usage et la jouissance du droit des Indiens sur les terres expropriées, l’obligation de fiduciaire de la Couronne emporte également pour celle‑ci l’obligation générale de protéger, dans tous les cas où il est indiqué de le faire, un droit autochtone suffisant sur les terres expropriées afin de préserver le pouvoir de taxation de la bande sur les terres en cause et, ainsi, de permettre à celle‑ci de continuer à tirer un revenu de ces terres. Bien que, en l’espèce, le pouvoir de taxation ait été conféré aux bandes indiennes après la prise du décret de 1957, le principe est le même, à savoir que la Couronne ne doit pas prendre plus que ce qui est nécessaire pour réaliser la fin d’intérêt public et elle est tenue de protéger s’il y a lieu les droits d’usage et de jouissance des Indiens.

Quoique, en règle générale, l’art. 35 de la Loi sur les Indiens permette que des terres soient exclues de la réserve, il ne permettait pas, dans les circonstances de l’espèce, que des terres soient exclues de la réserve et soustraites à l’application de l’al. 83(1)a). Comme, en l’espèce, la Water Act est la source du pouvoir d’expropriation, le pouvoir discrétionnaire d’octroyer des « terres » en vertu du par. 35(3) se limitait aux terres ou aux droits y afférents « raisonnablement requi[s] » pour les besoins du canal. Étant donné que le canal était déjà construit lorsque le transfert a eu lieu, le droit en question est celui qui est raisonnablement requis uniquement pour l’exploitation et l’entretien du canal. De plus, il est évident que le fief simple n’est pas nécessaire pour l’exploitation et l’entretien du canal, puisque ces activités sont actuellement la responsabilité de la ville, qui semble détenir un certain intérêt à bail sur les terres. Un canal est, de par sa nature, assimilable à un chemin de fer en ce qu’il s’agit de deux structures permanentes aménagées sur le sol et qui impliquent des activités d’exploitation et d’entretien, et l’octroi d’une servitude légale peut suffire pour la construction et l’entretien d’un chemin de fer.

Le décret n’indique pas une intention claire et nette d’éteindre le droit de la bande sur les terres de réserve visées. Il est ambigu quant à la nature du droit cédé. Vu cette ambiguïté, il faut recourir aux principes d’interprétation applicables aux questions relatives aux droits des Indiens et retenir l’interprétation qui porte le moins possible atteinte à ces droits. En conséquence, le décret doit être considéré comme ayant pour effet d’accorder une servitude légale à la province et les terres formant le canal sont donc toujours situées « dans la réserve » pour l’application de l’al. 83(1)a).

Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Major et Bastarache (dissidents) : Il est possible de considérer que les dispositions de l’art. 35 de la Loi sur les Indiens ont pour effet de permettre que des terres soient exclues de la réserve par leur prise en pleine propriété. Une telle prise est en fait l’équivalent forcé de la cession à titre absolu (prévue aux art. 37 à 39 de cette loi). Comme le libellé du troisième paragraphe reflète étroitement celui du par. 35(3), c’est donc ce paragraphe qui est concerné en l’espèce et non le par. 35(1). Une fois que, après avoir consenti à une expropriation fondée sur le par. 35(1), le gouvernement choisit de procéder en vertu du par. 35(3), il lui est loisible de transférer la pleine propriété. Il lui appartient alors, conformément à ses obligations de fiduciaire, de décider de la superficie qu’il convient de transférer et de la nature du droit foncier qu’il transfère. Dans la présente affaire, la loi qui aurait été applicable, dans un contexte non autochtone analogue, est la Water Act. Le paragraphe 21(2) de cette loi n’autorise que la prise des terres qui sont « raisonnablement requises ». Bien que l’art. 21 ne permette pas la prise d’un fief (simple ou résoluble) lorsqu’un droit de passage en surface suffit, il est également clair qu’il autorise la prise d’un fief simple lorsqu’une telle mesure est raisonnablement requise.

L’effet de l’expropriation d’un fief effectuée en vertu de l’art. 35 est analogue à celui d’une cession à titre absolu. Dans les deux cas, les terres visées cessent de faire partie de la réserve. L’effet de l’expropriation d’un fief sous le régime du par. 35(1) ou (3) n’est pas nécessairement différent parce que ce fief serait « résoluble ». En l’absence de condition établissant un intérêt réversif en faveur de la bande, une expropriation effectuée en vertu de l’art. 35 pour cause d’utilité publique ne comporte pas de façon implicite la condition que l’intérêt soit remis à la bande lorsqu’il cesse d’être requis pour la fin en question. Il serait totalement contraire au droit général de l’expropriation de considérer que la prise d’un fief est intrinsèquement résoluble compte tenu de la possibilité que sa raison d’être cesse d’exister.

Considérer que l’art. 35 permet d’exclure des terres de la réserve est une interprétation compatible avec l’objet cette disposition, comme en témoignent les débats parlementaires sur la question. Des considérations d’ordre pratique étayent également la conclusion que l’expropriation d’un intérêt franc éteint le droit sur les terres de réserve visées. Un ouvrage d’envergure comme un canal d’irrigation, une voie de chemin de fer, une autoroute ou une piste d’atterrissage requiert habituellement des sources de financement privées. Si un droit autochtone continuait, même après la prise d’un fief, de grever les terres expropriées pour une telle fin, il serait difficile, voire impossible d’accorder à des investisseurs potentiels une garantie sur ces terres.

Dans le cas des lois fédérales édictées avant 1982 qui visaient à éteindre complètement un droit ancestral tel un titre aborigène, cette intention doit ressortir de façon claire et nette de la loi en question. La règle de « l’intention claire et nette », qui découle d’une certaine conception du titre aborigène, ne saurait être appliquée au droit des Autochtones sur les terres des réserves, droit qui est une création d’origine législative et dont l’existence n’est pas fondée sur un rapport avec le territoire. Le droit des Autochtones sur les terres de réserve est créé sous le régime de la Loi sur les Indiens, qui précise, dans ses dispositions relatives à l’expropriation et à la cession, les circonstances dans lesquelles une terre perd sa qualité de terre de réserve.

Par suite de la prise du décret par le gouvernement fédéral, la province de la Colombie‑Britannique a obtenu la pleine propriété des terres sur lesquelles est situé le canal d’irrigation. La première partie du décret autorise clairement la prise d’un fief visant les terres sur lesquelles le canal d’irrigation a été construit. Dans la « Description », le terme « droit de passage » est systématiquement utilisé pour décrire physiquement la parcelle de terrain, et non pour indiquer la nature du droit en cause. La dernière phrase du décret, qui fait état de la réserve des mines et minéraux, constitue une preuve supplémentaire que le décret a eu pour effet de transférer l’équivalent d’un fief. Cette conclusion est confirmée par la prise en compte de ce qui est raisonnablement et pratiquement requis pour la construction et l’entretien d’un canal d’irrigation. Le canal est fait de béton et domine entièrement la parcelle de terrain sur laquelle il est situé, à l’exclusion de tout autre usage. Il est clairement raisonnable de prendre des terres en pleine propriété pour les besoins d’un canal.


Parties
Demandeurs : Bande indienne d'Osoyoos
Défendeurs : Oliver (Ville)

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Iacobucci
Arrêts mentionnés : Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29
Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85
Bande indienne de Semiahmoo c. Canada, [1998] 1 C.F. 3
R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075
Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344
Bande indienne de St. Mary’s c. Cranbrook (Ville), [1997] 2 R.C.S. 657
St. Catherine’s Milling and Lumber Co. c. The Queen (1888), 14 App. Cas. 46
Smith c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 554
Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335
Delgamuukw c. Colombie‑Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010
Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Bande indienne de Matsqui, [1998] A.C.F. no 983 (QL)
Calder c. Procureur général de la Colombie‑Britannique, [1973] R.C.S. 313
BC Tel c. Bande indienne de Seabird Island, [2000] 4 C.F. 350
Bande indienne des Opetchesaht c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 119
R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723
Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654
Burrard Power Co. c. The King (1910), 43 R.C.S. 27
La Reine du chef de la Colombie-Britannique c. Tener, [1985] 1 R.C.S. 533
Manitoba Fisheries Ltd. c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 101
Belfast Corp. c. O.D. Cars Ltd., [1960] A.C. 490
Saskatchewan Land and Homestead Co. c. Calgary and Edmonton Railway Co. (1913), 14 D.L.R. 193, conf. (1915), 51 R.C.S. 1
Canada (Attorney General) c. Canadian Pacific Ltd. (2000), 79 B.C.L.R. (3d) 62, 2000 BCSC 933
British Columbia (Attorney General) c. Mount Currie Indian Band (1991), 54 B.C.L.R. (2d) 156
Attorney General of Canada c. Western Higbie, [1945] R.C.S. 385.
Citée par le juge Gonthier (dissident)
Bande indienne de St. Mary’s c. Cranbrook (Ville), [1997] 2 R.C.S. 657, conf. [1996] 2 C.N.L.R. 222
Shelf Holdings Ltd. c. Husky Oil Operations Ltd. (1989), 56 D.L.R. (4th) 193, autorisation de pourvoi refusée, [1989] 1 R.C.S. xiv
Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3
Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85
Bande indienne des Opetchesaht c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 119
Smith c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 554
Bande indienne de Musqueam c. Glass, [2000] 2 R.C.S. 633, 2000 CSC 52
Rugby Joint Water Board c. Shaw‑Fox, [1973] A.C. 202
Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344
Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335
Delgamuukw c. Colombie‑Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010
Attorney‑General for Quebec c. Attorney‑General for Canada, [1921] 1 A.C. 401
R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075
R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507
R. c. Adams, [1996] 3 R.C.S. 101
R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723
Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Bande indienne de Matsqui, [1998] A.C.F. no 983 (QL) (C.A.)
BC Tel c. Bande indienne de Seabird Island, [2000] 4 C.F. 350.
Lois et règlements cités
Décret C.P. 1957‑577.
Loi constitutionnelle de 1982, art. 35(1).
Loi modifiant la Loi sur les Indiens (terres désignées), L.C. 1988, ch. 23, art. 10.
Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5, art. 19, 81(1) [mod. ch. 32 (1er suppl.), art. 15], 83 [mod. ch. 17 (4e suppl.), art. 10].
Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, ch. 149, art. 2(1)o), 18(1), 35, 37, 38, 39.
Municipal Act, R.S.B.C. 1996, ch. 323.
Osoyoos Indian Band Property Assessment By-law P.R. 95‑01, art. 80(1).
Water Act, R.S.B.C. 1948, ch. 361, art. 21(1), (2).
Doctrine citée
Black’s Law Dictionary, 6th ed. St. Paul, Minn. : West Publishing, 1990, « take ».
Canada. Chambre des communes. Comité spécial institué pour étudier le Bill no 79, Loi concernant les Indiens. Procès‑verbaux et témoignages, fascicule no 3, 18 avril 1951.
Dukelow, Daphne A., and Betsy Nuse. The Dictionary of Canadian Law, 2nd ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 1995, « take lands ».
La Forest, Gerard V. Natural Resources and Public Property under the Canadian Constitution. Toronto : University of Toronto Press, 1969.
Lordon, Paul. La Couronne en droit canadien. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 1992.
Todd, Eric C. E. The Law of Expropriation and Compensation in Canada, 2nd ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 1992.

Proposition de citation de la décision: Bande indienne d'Osoyoos c. Oliver (Ville), 2001 CSC 85 (7 décembre 2001)


Origine de la décision
Date de la décision : 07/12/2001
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2001 CSC 85 ?
Numéro d'affaire : 27408
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2001-12-07;2001.csc.85 ?
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