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20/12/2002 | CANADA | N°2002_CSC_86

Canada | Chamberlain c. Surrey School District No. 36, 2002 CSC 86 (20 décembre 2002)


Chamberlain c. Surrey School District No. 36, [2002] 4 R.C.S. 710, 2002 CSC 86

James Chamberlain, Murray Warren, Diane Willcott,

Blaine Cook, représenté par sa tutrice à l’instance,

Sue Cook, et Rosamund Elwin Appelants

c.

Board of Trustees of School District No. 36 (Surrey) Intimé

et

EGALE Canada Inc., British Columbia Civil Liberties

Association, Families in Partnership, Board of Trustees

of School District No. 34 (Abbotsford), la Fédération des enseignantes

et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario, l

’Association canadienne

des libertés civiles, l’Alliance évangélique du Canada, l’Archidiocèse

de Vancouver, la Ligue c...

Chamberlain c. Surrey School District No. 36, [2002] 4 R.C.S. 710, 2002 CSC 86

James Chamberlain, Murray Warren, Diane Willcott,

Blaine Cook, représenté par sa tutrice à l’instance,

Sue Cook, et Rosamund Elwin Appelants

c.

Board of Trustees of School District No. 36 (Surrey) Intimé

et

EGALE Canada Inc., British Columbia Civil Liberties

Association, Families in Partnership, Board of Trustees

of School District No. 34 (Abbotsford), la Fédération des enseignantes

et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario, l’Association canadienne

des libertés civiles, l’Alliance évangélique du Canada, l’Archidiocèse

de Vancouver, la Ligue catholique des droits de l’homme et Canadian

Alliance for Social Justice and Family Values Association Intervenants

Répertorié : Chamberlain c. Surrey School District No. 36

Référence neutre : 2002 CSC 86.

No du greffe : 28654.

2002 : 12 juin; 2002 : 20 décembre.

Présents : Le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (2000), 191 D.L.R. (4th) 128, [2000] 10 W.W.R. 393, 143 B.C.A.C. 162, 235 W.A.C. 162, 80 B.C.L.R. (3d) 181, 26 Admin. L.R. (3d) 297, [2000] B.C.J. No. 1875 (QL), 2000 BCCA 519, infirmant un jugement de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique (1998), 168 D.L.R. (4th) 222, 60 B.C.L.R. (3d) 311, 12 Admin. L.R. (3d) 77, 60 C.R.R. (2d) 311, [1998] B.C.J. No. 2923 (QL). Pourvoi accueilli, les juges Gonthier et Bastarache sont dissidents.

Joseph J. Arvay, c.r., et Catherine J. Parker, pour les appelants.

John G. Dives et Kevin L. Boonstra, pour l’intimé.

Cynthia Petersen et Kenneth W. Smith, pour l’intervenante EGALE Canada Inc.

Chris W. Sanderson, c.r., et Keith B. Bergner, pour l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association.

Susan Ursel et David A. Wright, pour l’intervenant Families in Partnership.

Daniel R. Bennett et Paul A. Craven, pour l’intervenant Board of Trustees of School District No. 34 (Abbotsford).

Argumentation écrite par Howard Goldblatt, pour l’intervenante la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario.

Andrew K. Lokan et Stephen L. McCammon, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.

D. Geoffrey G. Cowper, c.r., et Cindy Silver, pour les intervenants l’Alliance évangélique du Canada, l’Archidiocèse de Vancouver, la Ligue catholique des droits de l’homme et Canadian Alliance for Social Justice and Family Values Association.

Version française du jugement du juge en chef McLachlin et des juges L’Heureux-Dubé, Iacobucci, Major, Binnie et Arbour rendu par

Le Juge en chef —

I. Introduction

1 Le conseil scolaire de Surrey (Colombie‑Britannique) a adopté une résolution par laquelle il refuse d’autoriser l’utilisation en classe de trois manuels scolaires au motif qu’ils illustrent des familles dont les deux parents sont de même sexe, c’est‑à‑dire des « familles homoparentales ». La question dans le présent pourvoi est de savoir si cette résolution est valide. Les appelants contestent la résolution pour deux motifs : premièrement, le conseil scolaire a outrepassé le mandat qui lui est conféré par la School Act, R.S.B.C. 1996, ch. 412, et, deuxièmement, la résolution contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés.

2 Je conclus que la résolution doit être annulée pour le premier motif. Le conseil scolaire a outrepassé le mandat conféré par la School Act en n’appliquant pas les critères qui sont établis dans celle‑ci et dans son propre règlement concernant l’approbation de ressources complémentaires.

3 Mon collègue le juge Gonthier et moi‑même, malgré notre différence d’opinion quant à l’issue du pourvoi, sommes d’accord sur de nombreux points : la décision du conseil scolaire est sujette au contrôle judiciaire; la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable; en tant qu’organe représentatif élu, le conseil scolaire a des comptes à rendre à la collectivité locale; ses décisions concernant l’approbation de manuels à titre de ressources d’apprentissage complémentaires peuvent refléter les préoccupations de certains parents et les besoins particuliers de la collectivité locale; enfin, l’exigence de laïcité de l’art. 76 n’empêche pas que les préoccupations d’ordre religieux de la collectivité et des parents soient parmi les considérations qui influencent la politique de l’enseignement. Nous ne sommes pas du même avis quant à savoir si le conseil scolaire a commis une erreur en ne respectant pas les exigences de la School Act. Je conclus que le conseil n’a pas satisfait à ces exigences et que sa décision est donc déraisonnable, ce qui justifie que l’affaire lui soit renvoyée pour qu’il se prononce à nouveau en appliquant les critères appropriés.

II. La norme de contrôle applicable

4 Pour évaluer la décision du conseil scolaire, nous devons tout d’abord déterminer quelle norme de contrôle doit être appliquée. Mon collègue le juge LeBel s’interroge en fait sur l’opportunité d’appliquer l’approche pragmatique et fonctionnelle en l’espèce, affirmant que, le conseil scolaire étant un corps élu, il faut évaluer sa décision en se demandant si elle est contraire à la loi et, de ce fait, manifestement déraisonnable. À mon avis, il est nécessaire de procéder de la manière habituelle, conformément à l’approche pragmatique et fonctionnelle. Il est maintenant établi que le contrôle judiciaire des décisions administratives doit s’effectuer selon la norme de contrôle qui s’impose après examen des éléments que comporte la méthode pragmatique et fonctionnelle. Cela est essentiel pour s’assurer que le tribunal qui exerce le contrôle judiciaire fait preuve de la retenue qui convient à l’égard de l’organisme décisionnaire. L’application de la méthode que propose mon collègue revient, premièrement, à adopter une approche que personne n’a invoquée en l’espèce et, deuxièmement, à revenir à une approche juridictionnelle rigide parfois artificielle à laquelle la méthode fonctionnelle et pragmatique, plus souple, visait à remédier.

5 L’analyse pragmatique et fonctionnelle admet trois normes de contrôle: la norme de la décision correcte, la norme de la décision manifestement déraisonnable et la norme intermédiaire de la décision raisonnable.

6 À la norme de la « décision correcte » correspond un degré de retenue minimal. Lorsque cette norme s’applique, une seule décision est possible et l’organisme administratif doit l’avoir prise. La norme du « caractère manifestement déraisonnable », qui commande la plus grande retenue, permet le maintien de la décision à moins qu’elle ne soit entachée d’un vice qui apparaît d’emblée ou qui est manifeste au point « d’exiger une intervention judiciaire » : Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, p. 237. À la norme de la « décision raisonnable » correspond un degré intermédiaire de retenue : la décision ne sera annulée que si elle est fondée sur une erreur ou si elle « n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé » (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, par. 56; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 63).

7 L’application de l’une ou l’autre de ces trois normes dépend de l’importance du pouvoir discrétionnaire que le législateur confère au délégataire. Quatre facteurs permettent d’évaluer l’étendue de ce pouvoir et ils se chevauchent dans bien des cas : (1) le fait que la loi renferme ou non une clause privative, (2) l’expertise relative du délégataire, (3) l’objet de la disposition en cause et de la loi dans son ensemble et (4) la nature du problème. (Voir Pezim c. Colombie‑Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557; Southam, précité; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982.)

8 En l’espèce, mon collègue et moi convenons que les quatre facteurs militent en faveur de l’application de la norme de la décision raisonnable. Premièrement, la School Act ne renferme ni clause privative ni directive enjoignant aux tribunaux de faire preuve de retenue à l’endroit des décisions des conseils scolaires. Ces décisions justifieraient donc une moins grande retenue. Ce n’est là toutefois qu’un seul des facteurs et il n’implique pas une norme élevée de contrôle si d’autres facteurs commandent une plus grande retenue : Pushpanathan, précité, par. 30.

9 Le deuxième facteur, l’expertise relative du conseil scolaire, fait intervenir des considérations concurrentes. Nous devons déterminer qui du conseil scolaire ou de la cour est le plus à même de prendre la décision. Pour ce faire, la Cour doit qualifier l’expertise du conseil scolaire et comparer sa propre expertise à celle du conseil scolaire. Étant donné que ce qui importe, c’est l’expertise du conseil par rapport au problème particulier dont il est saisi, la Cour doit examiner la nature de ce problème : Pushpanathan, précité, par. 33.

10 Le problème dont est saisi le conseil scolaire revêt un double aspect. D’une part, celui‑ci doit pondérer les intérêts de différents groupes, comme les parents qui ont des points de vue moraux fort différents et les enfants issus de différents types de familles. Sur cette question, il possède une expertise considérable. Ses membres, en tant que représentants élus, ont l’obligation d’incorporer les points de vue de la collectivité au processus décisionnel relatif à l’éducation. Le conseil scolaire est mieux placé que la cour pour comprendre les préoccupations de la collectivité : voir Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd., [2000] 1 R.C.S. 342, 2000 CSC 13, par. 35.

11 D’autre part, toutefois, la décision d’approuver ou non les trois manuels comporte une dimension touchant les droits de la personne. Le conseil scolaire doit décider s’il doit accueillir les préoccupations de certains parents concernant les manuels au risque d’éclipser un plus vaste programme de tolérance et de priver certains enfants de la possibilité de voir leur famille reconnue et respectée au même titre que les autres familles dans le système d’enseignement public. Les cours de justice sont bien placées pour résoudre les problèmes liés aux droits de la personne. Par conséquent, lorsque la décision que doit rendre un organisme administratif comporte une dimension touchant les droits de la personne, elle bénéficie généralement d’une moins grande retenue de la part de la Cour : Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, par. 24; Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers, [2001] 1 R.C.S. 772, 2001 CSC 31, par. 17; Pezim, précité, p. 590; Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, p. 584‑585, le juge La Forest. Certes, des types différents de questions liées aux droits de la personne produisent des effets différents. Donc, la diminution du degré de retenue variera d’une cause à l’autre. La question pertinente devrait toujours être de savoir si les cours de justice possèdent une expertise égale ou supérieure à celle de l’office quant à la question particulière liée aux droits de la personne à laquelle on est confronté.

12 Le troisième facteur est l’objectif que poursuit le législateur en accordant au conseil scolaire le pouvoir d’approuver des ressources d’apprentissage complémentaires. En l’occurrence, il s’agit de permettre à la collectivité locale de participer au choix des ressources scolaires complémentaires. Des collectivités différentes — urbaines, rurales, autochtones, par exemple — peuvent bénéficier de ressources différentes. Le conseil scolaire est le mieux placé pour déterminer quels types de familles et d’enfants habitent le district et quelles ressources répondront le mieux à leurs différents besoins, ce qui invite à la retenue. Celle‑ci est toutefois tempérée par la School Act, qui exige que le pouvoir discrétionnaire d’approbation des ressources complémentaires respecte les normes de tolérance, de respect de la diversité, de compréhension mutuelle et d’acceptation de tous les modèles familiaux qui existent dans la société de la Colombie‑Britannique et dans ses écoles. Les décisions des conseils scolaires qui font fi de ces normes ont droit à peu de retenue. Si on ne veut pas que l’objet de la School Act soit miné, les cours de justice doivent exercer un degré assez élevé de contrôle sur les décisions rendues dans ces domaines.

13 Le quatrième facteur, la nature du problème, écarte aussi l’idée que les cours de justice devraient faire preuve d’une grande retenue à l’égard de la décision du conseil scolaire. Il est vrai que la question n’implique pas l’application stricte de règles de droit ou l’interprétation de la loi, et que le législateur a voulu que le conseil scolaire et par conséquent la société aient leur mot à dire dans le choix des ressources documentaires. Toutefois, comme je l’ai mentionné, il ne s’agit pas simplement d’un cas où le conseil scolaire doit pondérer des intérêts divergents dans la collectivité. Il s’agit d’un cas où il doit décider comment tenir compte des préoccupations de certains parents de la collectivité dans le contexte d’un plus vaste programme de tolérance et de respect à l’égard de la diversité. Cette question débouche sur le contrôle judiciaire et milite en faveur d’une norme plus stricte.

14 Les quatre facteurs, pris ensemble, pointent vers la norme intermédiaire, soit la décision raisonnable. Le conseil scolaire est une entité politique qui représente les parents et les membres de la collectivité locale lorsqu’il prend des décisions. C’est une entité à qui le législateur a accordé une certaine latitude et a conféré un rôle limité dans l’approbation des manuels. Toutefois, la retenue qui pourrait être justifiée par ces facteurs, considérés isolément, est tempérée par l’engagement clair de la part du législateur et du ministre de favoriser la tolérance et le respect à l’égard de la diversité. Ces objectifs, qui touchent aux droits fondamentaux de la personne et aux valeurs protégées par la Constitution, indiquent que le législateur voulait accorder un degré assez élevé de contrôle aux cours de justice.

15 Une décision sera jugée déraisonnable si elle est fondée sur une erreur ou si elle « n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé » (Southam, précité, par. 56). Une cour de justice ne doit pas tenir une décision pour déraisonnable et l’annuler seulement parce qu’elle serait arrivée à une autre conclusion. Mais elle peut et elle doit examiner le processus décisionnel du conseil scolaire qui a débouché sur la décision, afin de s’assurer qu’il est conforme au mandat conféré par la Loi. Si elle juge qu’il l’a entraîné à l’extérieur des limites fixées par le législateur, elle doit conclure que la décision est déraisonnable. Dans le cas d’une erreur de cette nature, le caractère relativement anodin des effets de la décision ne peut empêcher son annulation.

16 Ayant décidé quelle norme de contrôle la Cour doit appliquer, j’examine maintenant la décision visée en l’espèce.

III. La politique de la School Act et du programme d’études ainsi que le rôle du conseil scolaire

17 Avant de passer aux exigences précises auxquelles doit satisfaire le conseil scolaire, il est opportun d’examiner de manière plus générale trois questions qui sous‑tendent le présent pourvoi : (i) la portée de l’accent mis, dans la Loi, sur des principes strictement laïques, (ii) le rôle du conseil scolaire en tant que représentant de la collectivité et (iii) le rôle des parents dans le choix du matériel utilisé en classe.

A. Processus décisionnel laïque : l’exigence de tolérance

18 L’accent que met la School Act sur la laïcité et la non‑discrimination est au cœur du présent pourvoi. L’article 76 dispose que [traduction] « [t]outes les écoles et toutes les écoles provinciales fonctionnent selon des principes strictement laïques et non confessionnels ». Il ajoute que « [l]es plus hautes valeurs morales y sont inculquées, mais aucun dogme religieux ni aucune croyance religieuse n’y sont enseignés ».

19 Le fait que la School Act insiste sur la stricte laïcité ne signifie pas que les considérations religieuses n’ont aucune place dans les débats et les décisions du conseil scolaire. Les conseillers scolaires ont le droit et, en fait, le devoir, aux réunions du conseil, de faire valoir les points de vue des parents et de la collectivité qu’ils représentent. La religion jouant un rôle important dans de nombreux milieux, ces points de vue seront souvent dictés par des considérations religieuses. La religion est un aspect fondamental de la vie des gens, et le conseil scolaire ne peut en faire abstraction dans ses délibérations. Toutefois, l’exigence de laïcité fait en sorte que nul ne peut invoquer les convictions religieuses des uns pour écarter les valeurs des autres. Bien que le conseil scolaire puisse tenir compte des préoccupations religieuses des parents, l’exigence de laïcité l’oblige à accorder une même reconnaissance et un même respect aux autres membres de la collectivité. Les convictions religieuses qui interdisent la reconnaissance et le respect des membres d’un groupe minoritaire ne peuvent être invoquées pour exclure le point de vue minoritaire. Ce principe est juste envers les deux groupes, en ce qu’il garantit à chacun autant de reconnaissance qu’il peut logiquement exiger tout en accordant aux autres la même reconnaissance.

20 Les enfants qui fréquentent les écoles publiques de la Colombie‑Britannique sont issus de plusieurs types de familles différents — familles « traditionnelles » dirigées par les deux parents biologiques; familles « monoparentales » sous la responsabilité d’un homme ou d’une femme; familles comprenant un beau‑père ou une belle‑mère; familles englobant des enfants adoptés; familles d’accueil; familles interraciales; familles où les parents sont de religions ou de cultures différentes; familles réunissant les frères et les sœurs ou les membres de la famille élargie; familles homoparentales. Pour certains parents, les pratiques culturelles et familiales d’autres types de familles seront forcément discutables sur le plan moral. Cependant, si l’école doit fonctionner dans un climat de tolérance et de respect, en conformité avec l’art. 76, l’opinion selon laquelle un mode de vie licite en particulier est moralement discutable ne saurait fonder la politique de l’école. Les parents n’ont à renoncer ni à leurs convictions personnelles ni à leur opinion concernant le caractère indésirable du comportement d’autrui. Mais lorsque le programme scolaire exige qu’une grande variété de modèles familiaux soient abordés en classe, un système d’enseignement laïque ne peut exclure certains modèles familiaux licites pour le seul motif qu’un groupe de parents les juge discutables sur le plan moral.

21 L’accent que met la School Act sur la laïcité reflète la diversité de la société canadienne et son caractère multiculturel, ainsi que l’attachement des Canadiens aux valeurs d’accommodement, de tolérance et de respect de la diversité. Ces valeurs se traduisent par la protection constitutionnelle du droit à l’égalité et des droits des minorités, et elles sont expressément intégrées au système d’enseignement public de la Colombie‑Britannique par le biais du préambule de la School Act et du programme scolaire établi par règlement en application de la Loi.

22 Le préambule de la School Act dit:

[traduction] ATTENDU QU’une société démocratique vise à garantir que tous ses membres reçoivent un enseignement qui leur permet de s’épanouir personnellement et d’être utiles à la société, et de contribuer ainsi à la vigueur et à la stabilité de cette société;

ATTENDU QUE l’objectif du système scolaire de la Colombie‑Britannique est de permettre à tous les élèves d’exploiter leur potentiel individuel et d’acquérir les connaissances, les habiletés et les attitudes qui leur permettront de contribuer au développement d’une société saine, démocratique et pluraliste, ainsi que d’une économie prospère et durable; [Je souligne.]

23 Le message est clair. Le système d’enseignement public de la Colombie‑Britannique est ouvert aux enfants de toutes les cultures et de tous les milieux familiaux. Tous les enfants ont droit à la considération et au respect. Ce système d’enseignement public est donc le reflet de la vision de l’école publique proposée par le juge La Forest dans Ross, précité, par. 42 :

Une école est un centre de communication de toute une gamme de valeurs et d’aspirations sociales. Par l’entremise de l’éducation, elle définit, dans une large mesure, les valeurs qui transcendent la société. Lieu d’échange d’idées, l’école doit reposer sur des principes de tolérance et d’impartialité de sorte que toutes les personnes qui se trouvent en milieu scolaire se sentent également libres de participer. Comme l’a dit la commission d’enquête, le conseil scolaire a l’obligation de maintenir un milieu scolaire positif pour toutes les personnes qu’il sert. [Je souligne.]

24 Les Considérations communes à tous les programmes confirment cette conclusion, reconnaissant que

[traduction] . . . les écoles de la Colombie‑Britannique accueillent des jeunes gens dont les origines, les intérêts, les habiletés et les besoins sont différents. Pour satisfaire à ces besoins et assurer à tous les apprenants un traitement équitable et l’égalité d’accès aux services, chaque élément de ce document a également intégré des considérations communes à tous les programmes d’études. Les utilisateurs de ce document pourront s’inspirer de ces principes et possibilités d’intégration pour organiser leur classe, préparer leurs cours et dispenser leur enseignement. [Je souligne.]

(Colombie‑Britannique, ministère de l’Éducation, Personal Planning K to 7 : Integrated Resource Package 1995 (« programme FP »), p. 267)

La ligne directrice sur l’égalité des sexes précise: [traduction] « Une éducation fondée sur l’égalité des sexes exige l’intégration des expériences, perceptions et points de vue des filles et des femmes aussi bien que ceux des garçons et des hommes à toutes les facettes de l’éducation » (p. 273 (je souligne)). Les principes de l’égalité des sexes en éducation qui y sont énoncés sont les suivants (programme FP, p. 273):

[traduction]

— Tous les élèves ont droit à un environnement d’apprentissage sans distinction de sexe.

— Tous les programmes scolaires et décisions ayant trait aux carrières doivent être retenus en vertu de l’intérêt et de l’aptitude de l’élève, sans distinction de sexe.

— L’égalité des sexes touche également la classe sociale, la culture, l’origine ethnique, la religion, l’orientation sexuelle et l’âge.

— L’égalité des sexes exige sensibilité, détermination, engagement et vigilance à long terme.

— Le fondement de l’égalité des sexes est la coopération et la collaboration entre les élèves, les éducateurs, les organismes éducatifs, les familles et les membres des différentes communautés. [Je souligne.]

25 En résumé, l’exigence d’une stricte laïcité prévue dans la Loi oblige le conseil scolaire à débattre de toute question, y compris l’approbation de ressources complémentaires, d’une manière qui respecte les points de vue de tous les membres de la collectivité scolaire. Il ne peut privilégier les opinions religieuses de certains au détriment des points de vue d’autres. Il ne peut non plus souscrire à l’opinion de ceux qui n’accordent pas la même valeur au mode de vie licite de certains membres de la collectivité scolaire. Il doit agir de manière à promouvoir respect et tolérance envers les différents groupes qu’il représente et qu’il sert.

B. Le rôle du conseil scolaire

26 La participation de la collectivité locale est essentielle à l’efficacité d’un système d’enseignement public qui dessert bon nombre de milieux différents. La collectivité locale peut influer sur l’approbation et l’utilisation de ressources d’apprentissage complémentaires en déléguant aux conseils scolaires le pouvoir d’approuver des ressources et en encourageant les parents à participer à la sélection des ressources, parmi celles approuvées, qui seront utilisées dans la classe de leurs enfants.

27 Le conseil scolaire est le fondé de pouvoir élu de la collectivité locale, laquelle se compose habituellement de différentes sous‑collectivités. Pour respecter l’exigence de laïcité, le conseil scolaire doit tenir compte des intérêts de tous ses commettants et s’abstenir de défendre le point de vue religieux de certains membres de la collectivité, même s’il s’agit du point de vue majoritaire en son sein.

28 Je me dissocie de mon collègue le juge Gonthier, qui estime que le fonctionnement du conseil scolaire peut s’apparenter à celui d’un conseil municipal ou d’une législature. Il est vrai que, à l’instar des législatures et des conseils municipaux, les conseils scolaires sont des organismes élus, investis d’un pouvoir de réglementation et d’un pouvoir de décision qu’ils sont censés exercer dans l’intérêt de leurs commettants. Toutefois, un conseil scolaire ne peut exercer que les pouvoirs que lui confère sa loi habilitante. En l’occurrence, il ressort de la School Act que le conseil scolaire n’a pas le même degré d’autonomie qu’une législature ou un conseil municipal. Il doit agir selon des principes strictement laïques et favoriser un climat de tolérance et de respect. Il ne peut laisser aucun point de vue religieux ou moral prédominant lui dicter sa conduite et doit respecter une variété de points de vue. Il doit suivre la procédure établie par la Loi; ainsi, pour l’approbation de ressources complémentaires, il doit agir conformément à un règlement général et tenir compte des objectifs d’apprentissage du programme d’études provincial. Enfin, il est soumis au contrôle des tribunaux, qui peuvent s’assurer qu’il a agi conformément aux pouvoirs qui lui sont conférés.

C. Le rôle des parents

29 La School Act réserve aux parents un rôle important dans l’orientation de l’enseignement donné à leurs enfants. Ils ont notamment un rôle à jouer dans le choix des ressources utilisées dans la classe de leurs enfants, avec le concours des autres parents et de l’enseignant.

30 La Loi reconnaît que les parents jouent un rôle central dans l’éducation de leurs enfants. Le gouvernement provincial les encourage en fait à travailler en partenariat avec les écoles publiques. En cas de difficultés, il les autorise à instruire leurs enfants à la maison ou à les envoyer dans une école privée ou religieuse enseignant leurs propres valeurs et croyances. De plus, le programme d’études en cause en l’espèce, par la mise en garde qu’il fait à l’intention des enseignants à la rubrique [traduction] « Planification du programme », insiste sur le fait que « [l]a famille exerce une influence prépondérante sur le développement des attitudes et des valeurs chez l’enfant » (programme FP, p. 6).

31 Les lignes directrices pour la mise en œuvre du programme d’études signalent également la nécessité d’un partenariat entre les parents et l’école. Plus particulièrement, elles exhortent les enseignants à [traduction] « reconnaître le rôle des parents » et à inviter régulièrement à des échanges d’information, à des rencontres et à des activités offertes dans le cadre des leçons (programme FP, p. 6). Elles font état de diverses situations où l’enseignant demande l’aide des parents pour le choix des ressources, parmi celles approuvées par le conseil scolaire, qui conviennent pour sa classe. Elles indiquent, par exemple, que dans le cas des « questions délicates », d’autres avenues peuvent être explorées pour permettre aux parents de partager la responsabilité quant aux résultats de l’élève (programme FP, p. 6). Et elles précisent qu’avant d’utiliser des ressources sur la liste du ministère, les enseignants doivent [traduction] « prendre en considération le point de vue de la collectivité locale pour juger de la valeur d’une ressource » (programme FP, p. 188).

32 La participation des parents est jugée importante à l’étape de la sélection des ressources qui seront utilisées dans certaines classes, après leur approbation par le conseil scolaire pour utilisation générale. Les lignes directrices afférentes au programme d’études envisagent la participation soutenue des parents à l’étape de la sélection des manuels destinés à une classe en particulier. Il semble s’agir en effet du moment opportun d’adapter les ressources sélectionnées aux besoins spéciaux qu’auraient certains enfants selon leurs parents. De concert avec les enseignants, les parents s’acquittent beaucoup plus aisément de cette tâche que le conseil scolaire, lequel doit décider si une ressource peut être mise à la disposition d’un grand nombre d’enfants dans différents contextes.

33 En outre, bien que la participation des parents soit importante, elle ne doit pas compromettre le respect des valeurs et des pratiques de tous les membres de la collectivité. La laïcité qu’exige l’art. 76 de la School Act, l’accent que met le préambule sur la tolérance et l’importance qu’accorde le programme d’études à la sensibilisation à une grande variété de types de familles montrent, selon moi, que les préoccupations parentales doivent faire l’objet de mesures d’accommodement d’une manière qui respecte la diversité. L’opinion des parents, si importante soit‑elle, ne peut l’emporter sur l’obligation des écoles publiques de la Colombie‑Britannique de refléter la diversité de la collectivité et d’enseigner la tolérance et la compréhension des différences.

IV. Le mécanisme d’approbation des ressources complémentaires

34 La School Act confère au ministre le pouvoir d’approuver les ressources documentaires éducatives de base qui seront utilisées dans l’enseignement du programme d’études et elle investit les conseils scolaires du pouvoir d’approuver des ressources documentaires éducatives complémentaires, sous réserve des directives du ministre : School Act, al. 85(2)b). Ici, selon l’arrêté ministériel, le conseil scolaire peut utiliser les ressources énumérées dans le « Catalogue of Learning Resources, Primary to Graduation » du ministère de l’Éducation et, aussi, les ressources qui [traduction] « selon le conseil, conviennent aux élèves, individuellement ou en groupes » (je souligne) : arrêtés ministériels 143/89, al. 1(1)a), et 165/93 al. 3(1)e). La résolution en cause a été adoptée en vertu du dernier pouvoir.

35 Les ressources d’apprentissage complémentaires ont pour but d’enrichir l’expérience éducative d’une manière adaptée au milieu scolaire. Il convient de signaler qu’il n’est pas obligatoire d’utiliser dans toutes les classes les ressources complémentaires approuvées. L’objectif est plutôt de fournir aux enseignants une gamme de documents pédagogiques dans laquelle ils peuvent faire des choix qui permettront d’enrichir l’expérience d’apprentissage. L’[traduction] « Ensemble de ressources intégrées » pour le programme de Formation personnelle mentionne : [traduction] « On s’attend à ce que les enseignants choisissent leurs ressources parmi celles qui [. . .] conviennent à leurs besoins pédagogiques et à leurs élèves » (programme FP, p. 9). Par conséquent, l’approbation des trois manuels dont il est question en l’espèce n’aurait pas signifié que l’on obligeait ou même incitait tous les enseignants à les utiliser. Cela aurait plutôt signifié que les enseignants auraient pu les utiliser si cela avait été nécessaire pour répondre aux besoins de leur classe. Toutefois, sans l’approbation de ces manuels ou de manuels équivalents par le conseil scolaire, les enseignants qui ont des élèves de familles homoparentales pourraient être privés d’outils dont ils auraient besoin pour amener leurs élèves à parler de leur famille et à favoriser ainsi la compréhension à son égard.

36 Les ressources complémentaires approuvées en vertu de ce pouvoir doivent être conformes aux procédures d’évaluation et de sélection que, selon l’arrêté ministériel, les conseils scolaires doivent formuler à l’avance. Cela garantit que les ressources complémentaires sont approuvées en fonction de principes et non en fonction des opinions personnelles des membres du conseil scolaire sur la question. Le conseil scolaire de Surrey a adopté un tel règlement. Les critères établis comprennent notamment la pertinence par rapport au contenu prescrit des cours et l’absence de discrimination, sauf ce qui est nécessaire pour favoriser une réflexion critique sur des groupes sociaux qui peuvent faire l’objet de discrimination :

[traduction]

1. Les ressources d’apprentissage recommandées correspondent aux résultats d’apprentissage et au contenu des cours.

2. Elles conviennent à la catégorie d’âge visée, à la maturité et aux besoins d’apprentissage de l’élève auquel elles sont destinées.

3. Elles sont appropriées pour la collectivité dans laquelle elles seront utilisées.

4. Elles sont justes, objectives, exemptes de violence gratuite, de propagande et de discrimination, sauf dans les cas où une situation d’enseignement et d’apprentissage nécessite du matériel explicatif pour développer une pensée critique sur de tels sujets.

5. Elles sont lisibles, intéressantes et faciles à traiter dans la situation d’enseignement et d’apprentissage. [Je souligne.]

(Regulation 8800.1 : Recommended Learning Resources and Library Resources (« règlement 8800.1 »), A (III) (A) (1) ‑ (5))

37 La nécessité de tenir compte de la pertinence des ressources complémentaires proposées, par rapport au programme d’études, fait aussi partie des critères d’évaluation du ministère qui figurent dans son Evaluating, Selecting, and Managing Learning Resources : A Guide (1996), destiné à aider les districts scolaires pour l’approbation du matériel scolaire. Le guide mentionne à plusieurs reprises que le matériel devrait [traduction] « appuyer les résultats d’apprentissage des programmes d’études » (p. 4); « correspondre aux buts et aux résultats d’apprentissage du programme d’études » (p. 22); « permettre aux élèves d’atteindre les résultats d’apprentissage prescrits » (p. 25); et ainsi de suite.

38 Ce qui nous amène au contenu du programme d’études pour la maternelle et la première année. Le programme de Formation personnelle établi par le ministre pour la maternelle et la première année comprend la sous‑composante « Éducation à la vie familiale » (p. 22). Le but de cette sous‑composante est de développer chez l’élève l’aptitude à [traduction] « [c]omprendre le rôle de la famille et [à] prendre des décisions responsables en matière de relations personnelles » (p. 22). Il est mentionné dans la sous‑composante que, à la fin du programme, les enseignants [traduction] « vérifient si chaque élève [. . .] est conscient de la diversité des groupes familiaux » (p. 23). Il y est de plus indiqué (à la p. 22) :

[traduction]

On s’attend à ce que l’élève puisse :

· décrire divers types de familles

· distinguer les rôles et les responsabilités des différents membres de la famille

· énumérer les caractéristiques d’un environnement familial sûr et chaleureux

· énumérer les caractéristiques physiques qui distinguent les hommes des femmes

· se montrer conscient que les êtres vivants se reproduisent

Pour que les élèves de maternelle et de première année puissent atteindre ces résultats d’apprentissage, les stratégies d’enseignement suivantes, en autres, sont recommandées : demander aux élèves de comparer diverses familles et de discuter des ressemblances et des différences; demander aux élèves de dessiner ou de décrire par écrit leur famille; et faire parler les élèves entre eux de leurs familles (p. 22).

39 Les documents du ministre ne précisent pas les types de familles dont il doit être question. Cependant, étant donné ses directives générales voulant que les enfants parlent entre eux de leurs familles, le programme ne peut se limiter à certains types de familles; les enseignants ont été encouragés à favoriser la discussion sur le type de famille que les enfants se trouvent avoir. Cela correspond aux vues du ministre et du directeur des Programmes d’études du ministère de l’Éducation. Le ministre, l’honorable Moe Sihota, a déclaré:

[traduction] Le programme d’études prescrit ne mentionne pas la culture, la race, l’invalidité ou autres différences dont on doit tenir compte. Par contre, il donne aux élèves les compétences et les capacités nécessaires pour aborder efficacement une vaste gamme de diversités, pour accepter et apprécier les personnes dont la culture, la race, le sexe, l’orientation et les opinions diffèrent des leurs. Même si l’orientation sexuelle n’est pas expressément mentionnée dans les Résultats d’apprentissage prescrits ou dans les Considérations communes à tous les programmes, le programme d’études permet à l’enseignant de traiter des questions comme l’orientation sexuelle dans le cadre de l’enseignement en classe.

Le directeur des Programmes d’études a inclus les familles homoparentales dans les modèles familiaux dont on peut discuter dans le cadre du programme scolaire.

40 Par conséquent, il est clair que le programme d’études de la Colombie‑Britannique pour la maternelle et la première année prévoyait la discussion de tous les types de familles, y compris les familles homoparentales. L’exclusion de tout type de famille allait à l’encontre des directives ministérielles exprimées dans le programme d’études.

41 En résumé, le conseil scolaire était tenu de se conformer à la Loi et à son propre règlement, de sorte qu’il devait faire trois choses :

(i) fonctionner selon des principes strictement laïques, en ne permettant pas que les préoccupations d’un groupe de parents empêchent la reconnaissance des modèles familiaux d’autres membres de la collectivité scolaire;

(ii) agir conformément à son propre règlement général, qui exige que les ressources complémentaires correspondent aux objectifs d’apprentissage, conviennent à la catégorie d’âge visée, à la maturité et aux besoins d’apprentissage des élèves, soient justes et exemptes de discrimination et soient lisibles, intéressantes et faciles à traiter dans la situation d’enseignement;

(iii) appliquer, pour l’approbation de ressources complémentaires, les critères découlant des objectifs du programme d’études établis pour les élèves de maternelle et de première année, y compris l’objectif de permettre aux élèves de ces niveaux de discuter en classe de leur propre modèle familial et celui de sensibiliser tous les élèves à la grande diversité des modèles familiaux dans notre société.

42 Dans ce contexte, je vais maintenant examiner la manière dont le conseil scolaire a procédé en l’espèce.

V. La décision du conseil scolaire

43 L’histoire commence en décembre 1996 et en janvier 1997, lorsque M. James Chamberlain, qui enseignait la maternelle dans le district scolaire de Surrey, a demandé l’approbation des trois manuels en question.

44 Monsieur Chamberlain savait qu’il ne pourrait pas utiliser les trois manuels comme ressources d’apprentissage pour enseigner la sous‑composante « Éducation à la vie familiale » si le conseil scolaire ne les approuvait pas. En janvier 1996, celui‑ci avait adopté une politique selon laquelle : [traduction] « [l]es enseignants chargés de la sous‑composante “Éducation à la vie familiale” du programme de Planification professionnelle et personnelle devraient utiliser les ressources documentaires figurant soit sur la liste du ministère, soit sur la liste des titres recommandés par le district » (District Policy B64‑95/96). Le 23 octobre 1996, le directeur de l’école avait écrit à M. Chamberlain, lui enjoignant [traduction] « d’utiliser dans votre classe uniquement les ressources d’apprentissage approuvées par la province ou par le district » (je souligne). Par conséquent, M. Chamberlain ne pouvait pas utiliser ces manuels en classe à moins de réussir à les faire approuver.

45 Le 10 avril 1997, le conseil scolaire a adopté une résolution indiquant que le matériel émanant des groupes de gais et de lesbiennes n’était pas approuvé pour utilisation dans le district scolaire de Surrey. Cette résolution a été annulée et ne fait pas l’objet de l’appel. Toutefois, elle fournit le contexte de ce qui s’est produit plus tard. La résolution prescrit :

[traduction] ATTENDU QUE les parents nous délèguent leur autorité comme conseillers pour l’enseignement public;

ATTENDU QUE les parents ont exprimé leurs inquiétudes au sujet de l’utilisation du matériel des Gay and Lesbian Educators of British Columbia (GALE BC) en classe;

ATTENDU QUE le matériel ou la liste du matériel des Gay and Lesbian Educators of British Columbia (GALE BC) n’ont pas été approuvés pour utilisation dans le district scolaire no 36 (Surrey),

À CES CAUSES, IL EST RÉSOLU QUE l’ensemble du personnel de l’administration, de l’enseignement et du counseling soit informé que le matériel des groupes gais et lesbiennes comme GALE et la liste du matériel connexe de ces groupes ne sont pas approuvés pour utilisation ou diffusion dans le district scolaire de Surrey.

46 Après l’adoption de cette résolution, certains documents, dont des livres de la bibliothèque, des affiches et des brochures ont été enlevés des écoles du district.

47 Selon les procédures prévues par le conseil scolaire pour l’approbation des ressources d’apprentissage complémentaires, le personnel doit présenter les demandes de nouveau matériel au directeur général de l’enseignement, qui avait [traduction] « la responsabilité générale de veiller à ce que les critères approuvés soient connus et bien appliqués » (règlement 8800.1), en consultation avec les parents et les collègues. Le directeur général transmet ensuite sa recommandation au conseil scolaire. Ici, le directeur général a transmis la demande au conseil scolaire sans aucune recommandation, lui demandant seulement d’[traduction] « examiner » les trois manuels. Il a par la suite exprimé ainsi sa position :

[traduction] . . . je me suis demandé si les trois manuels convenaient pour la maternelle et la première année. Le programme de Formation personnelle M à 7 traite des modèles familiaux mais n’aborde pas expressément la question de l’homosexualité ni celle des couples de même sexe. À mon avis, les trois manuels n’étaient pas nécessaires à l’atteinte des objectifs d’apprentissage du programme FP M à 7. J’estimais que, si le ministère avait voulu que l’homosexualité et/ou les modèles de familles homoparentales fassent partie du programme FP M à 7, vu la nature litigieuse et délicate du sujet, il l’aurait expressément mentionné dans l’Ensemble de ressources intégrées (« ERI ») du ministère. Il ne l’a pas fait et il n’a pas inclus non plus d’autre matériel sur l’homosexualité ou les couples de même sexe pour la maternelle et la première année. J’ai donc pensé que toute décision du district d’approuver de tels manuels provoquerait une vive controverse chez les parents du district et qu’une décision à cet égard doit émaner des membres du conseil en tant que représentants élus de la collectivité. Je voulais également préserver le droit des parents d’être les principaux éducateurs pour le développement des attitudes et des valeurs chez les enfants de maternelle et de première année. Il m’était difficile de conclure que, si l’école approuvait les trois manuels pour la maternelle et la première année, elle jouerait un rôle de soutien et maintiendrait le partenariat entre la maison et l’école. [Je souligne.]

48 Bien que la décision finale appartienne au conseil scolaire et non au directeur général, ce passage semble exprimer les inquiétudes qui ont motivé la décision du conseil. Il révèle une interprétation particulière de la School Act et du programme d’études. Premièrement, il assimile homosexualité et familles homoparentales et laisse entendre qu’en raison de la nature controversée de ces questions, on ne pouvait pas présumer que le législateur et le ministre avaient voulu qu’elles fassent l’objet de discussion, sans mention expresse de leur part. Deuxièmement, il révèle l’application d’un critère de nécessité. Troisièmement, il indique le désir de préserver le droit des parents d’être les premiers responsables de l’éducation des enfants de maternelle et de première année. Quatrièmement, il révèle la crainte que l’approbation des manuels ne provoque une controverse, étant donné les points de vue des parents, et qu’elle ne mine la relation qui existe entre le foyer et l’école.

49 Ce que le directeur général et le conseil scolaire n’ont pas pris en compte en dit aussi long que ce qu’ils ont pris en compte. La déclaration du directeur général ne mentionne pas le fait que les directives sur le programme d’études selon lesquelles on doit discuter des différents types de familles n’étaient assujetties à aucune restriction. Elle ne mentionne pas l’accent qui est mis sur la tolérance, le respect, l’inclusion et la compréhension de la diversité sociale et familiale dans la School Act et dans le programme d’études. Elle ne fait pas état non plus du caractère laïque du système d’enseignement public et de son mandat de fournir un milieu d’apprentissage enrichissant et valorisant à tous les enfants, sans égard aux types de familles dont ils sont issus.

50 Le 24 avril 1997, le conseil scolaire adopte la résolution en litige en l’espèce par laquelle il refuse d’approuver les trois manuels :

[traduction] QUE le Conseil, en vertu de la politique no 8800 — Ressources d’apprentissage recommandées et ressources documentaires, n’approuve pas l’utilisation des trois (3) ressources d’apprentissage suivantes :

Formation personnelle — Maternelle et première année

Elwin, R., & Paulse, M. (1990). Asha’s Mums.

Newman, L. (1991). Belinda’s Bouquet.

Valentine, J. (1994). One Dad, Two Dads, Brown Dad, Blue Dads.

De ce fait, les trois manuels ne pouvaient pas servir à l’enseignement de la sous‑composante « Éducation à la vie familiale » en maternelle et en première année.

51 Le juge siégeant en chambre a conclu que c’était essentiellement la préoccupation des parents au sujet de la représentation des familles homoparentales dans les classes de maternelle et de première année qui a amené le conseil scolaire à ne pas approuver les manuels. Le juge a conclu que la décision du conseil scolaire était dictée par la crainte que les manuels n’entrent en conflit avec les opinions de certains parents sur les relations homosexuelles :

[traduction] Après avoir examiné l’ensemble de la preuve en l’espèce au sujet de la décision du conseil scolaire, je conclus que, lorsque celui‑ci a adopté la résolution concernant les manuels, certains des conseillers qui ont voté en faveur de la résolution l’ont fait en grande partie parce qu’ils craignaient que les parents et d’autres personnes du district scolaire considèrent les manuels comme incompatibles avec leurs opinions religieuses sur les relations homosexuelles.

((1998), 168 D.L.R. (4th) 222, par. 93)

Selon le conseil scolaire, si l’on traite d’unions homosexuelles en maternelle et en première année, cela soulèverait des questions délicates pour les parents et il faut tenir compte de leurs préoccupations.

52 Plus particulièrement, le conseil scolaire craignait que l’utilisation des trois manuels en classe n’ait comme conséquence d’enseigner aux enfants des valeurs qui vont à l’encontre de celles enseignées à la maison, ce qui aurait pour effet de les désorienter sur le plan des valeurs. Comme l’avocat du conseil scolaire le prétend :

[traduction] Les très jeunes enfants ne sont pas capables d’évaluer des opinions morales contraires sur les relations homosexuelles. Il n’est pas dans leur intérêt, ni dans l’intérêt des parents, qu’ils se trouvent dans la situation difficile où les leçons de morale enseignées à l’école et celles enseignées à la maison sur des sujets délicats et controversés sont divergentes.

53 Cet argument, connu sous le nom de « dissonance cognitive », est lié à une deuxième préoccupation, « la catégorie d’âge visée ». Le conseil scolaire juge que les enfants de cinq et six ans en maternelle et en première année ne sont pas capables d’évaluer des leçons de morale contraires et qu’ils pourraient être tentés de poser des questions sur des sujets qui, selon les parents, ne devraient pas être abordés à un si jeune âge. Pour ce motif, l’approbation des trois manuels ne serait pas conforme aux intérêts de l’enfant.

54 Finalement, le conseil scolaire s’est demandé si les trois manuels étaient nécessaires aux enfants pour atteindre les résultats d’apprentissage prescrits, le point de vue de cadres du district étant que leur utilisation n’est pas nécessaire aux enseignants pour enseigner le programme de Formation personnelle.

55 En résumé, le conseil scolaire a adopté sa résolution, qui est de refuser d’approuver les manuels, sans se demander s’ils correspondaient au programme d’études et s’il y avait une réelle possibilité qu’il y ait à ce moment‑là ou dans un proche avenir dans le district scolaire des enfants de familles homoparentales dont le modèle familial serait discuté dans le cadre du programme d’études de la maternelle et de la première année. La position du conseil scolaire était simplement que l’on ne devrait pas mettre à la disposition des enfants en maternelle et en première année du matériel illustrant des familles homoparentales. Les raisons avancées au soutien de cette position étaient les suivantes : le matériel n’est pas nécessaire à l’atteinte des résultats d’apprentissage prescrits; les manuels sont controversés; les opinions des parents qui ne sont pas d’accord doivent être respectées; ces enfants ne devraient pas être exposés à des idées qui peuvent entrer en conflit avec les convictions de leurs parents; les enfants de cet âge sont trop jeunes pour être exposés à la question des familles homoparentales. Derrière ces préoccupations se cachent les préoccupations morales de certains parents et du conseil scolaire relativement à la moralité des unions homosexuelles.

VI. Application de la norme à la décision contestée

56 La décision du conseil scolaire de ne pas approuver les trois manuels était‑elle raisonnable? Comme je l’ai mentionné, sa décision sera déraisonnable si son processus décisionnel l’a entraîné à l’extérieur des limites fixées par le législateur. Selon moi, la décision du conseil scolaire était déraisonnable en ce sens.

57 Nous avons vu que le conseil scolaire était tenu d’exercer son pouvoir d’approuver ou de refuser d’approuver des ressources éducatives complémentaires d’une manière compatible avec (1) l’exigence de laïcité prévue dans la Loi, (2) le règlement qu’il avait adopté en application de l’arrêté ministériel et (3) les facteurs devant être pris en considération suivant la Loi, y compris les résultats d’apprentissage prescrits dans le programme d’études pour la maternelle et la première année. Même si le conseil scolaire doit disposer d’une certaine latitude pour prendre des décisions et même si ce ne sont pas toutes les erreurs qui rendent sa décision déraisonnable, force est de conclure, en l’espèce, que sa décision doit être annulée parce qu’elle n’a pas été prise dans les limites du mandat que lui confère la School Act.

58 La première erreur du conseil scolaire a été de ne pas respecter les principes de laïcité et de tolérance énoncés à l’art. 76 de la School Act. Au lieu d’agir dans le respect de tous les types de familles, le directeur général et le conseil scolaire ont agi suivant un principe d’exclusion. Ils ont donné suite aux doutes de certains parents quant à la moralité des unions homosexuelles, sans tenir compte du droit des familles homoparentales et des enfants qui en font partie de bénéficier de la même reconnaissance et du même respect au sein du système scolaire. Le conseil scolaire ne pouvait pas refuser d’approuver les manuels seulement parce que certains parents jugeaient que les relations qui y sont illustrées étaient controversées ou répréhensibles.

59 Comme je l’ai mentionné, le caractère religieux de l’opposition des parents n’est pas en soi fatal à la décision du conseil scolaire. La laïcité exigée à l’art. 76 n’empêche pas qu’une décision puisse être fondée, en partie ou en totalité, sur des considérations religieuses, à la condition qu’elle soit prise dans les limites du pouvoir du conseil scolaire. Elle indique seulement que les décisions et politiques en matière d’enseignement, quel que soit leur fondement, doivent respecter la diversité des convictions religieuses et morales des familles au sein de la collectivité scolaire. Il importe donc peu que certains parents et conseillers scolaires aient été animés par des convictions religieuses. Il importe plutôt de savoir si la décision du conseil scolaire était déraisonnable dans le contexte du système d’enseignement prescrit par le législateur.

60 La deuxième erreur du conseil scolaire a été de déroger au règlement qu’il avait adopté en application de l’arrêté ministériel quant au fondement de la décision d’approuver ou non des ressources complémentaires. Le règlement exigeait du conseil scolaire qu’il se demande si les ressources proposées sont [traduction] « appropriées pour la collectivité dans laquelle elles seront utilisées » et reconnaissait l’existence de différentes collectivités dans le district scolaire, de même que l’obligation du conseil scolaire d’examiner avec respect et tolérance les besoins de chacune d’elles. Contrairement à cette exigence, le conseil scolaire n’a aucunement tenu compte des besoins des enfants des familles homoparentales et a plutôt fondé sa décision sur le point de vue d’un groupe en particulier qui s’opposait à toute illustration des unions de même sexe dans le matériel scolaire destiné à la maternelle et à la première année. Le règlement obligeait également le conseil scolaire à examiner la pertinence du matériel proposé eu égard aux objectifs du programme d’études, ce qu’il n’a pas fait non plus.

61 En troisième lieu, le conseil scolaire a commis une erreur en appliquant les mauvais critères. Il a fait fi des exigences de la School Act et des résultats d’apprentissage prescrits, ou il s’est mépris à leur sujet. Le programme d’études précise que les enfants de maternelle et de première année doivent être en mesure de discuter de leurs propres modèles familiaux, quels qu’ils soient, et que tous les enfants doivent être sensibilisés à la diversité des modèles familiaux dans notre société. Le conseil scolaire n’a pas tenu compte de cet objectif. En fait, le directeur général, dont l’opinion paraît avoir orienté la démarche du conseil scolaire, a jugé que le conseil scolaire n’avait pas à examiner la pertinence ou le caractère approprié des manuels à titre de ressources d’apprentissage, sauf si le programme d’études exige expressément que soit abordée la question des familles homoparentales. Il s’agit d’une interprétation erronée de la School Act et des arrêtés ministériels, ainsi que du règlement général du conseil scolaire établissant les critères de sélection.

62 Au lieu d’appliquer les bons critères, le directeur général et le conseil scolaire ont appliqué à tort le critère de la nécessité et ont justifié leur décision en soutenant que la discussion sur les familles homoparentales transmettrait des messages discordants et donnerait lieu de ce fait à une « dissonance cognitive », et qu’une telle discussion ne convenait pas à l’âge des élèves de maternelle et de première année.

63 Examinons tout d’abord l’argument de la nécessité. Exiger que des ressources complémentaires soient nécessaires est un non‑sens. Si une ressource donnée était nécessaire, on s’attendrait à ce qu’elle fasse partie des ressources devant être utilisées dans toutes les classes. La raison pour laquelle un conseil scolaire peut approuver des ressources complémentaires est de permettre aux différentes collectivités d’enrichir l’enseignement en ajoutant au matériel strictement nécessaire à la mise en œuvre du programme des ressources complémentaires pertinentes. Le conseil scolaire aurait dû tenir compte non pas de la nécessité, mais de la pertinence, l’un des critères de sélection établis dans son propre règlement.

64 L’argument fondé sur le risque de dissonance cognitive consiste essentiellement à affirmer que les enfants ne devraient pas être exposés à de l’information ou à des idées auxquelles leurs parents ne souscrivent pas. Cette prétention va à l’encontre de l’objectif de la sensibilisation à tous les types de familles. Le programme d’études exige que tous les enfants soient sensibilisés à la grande diversité des modèles familiaux dans notre société et qu’ils puissent discuter en classe de leurs propres modèles familiaux.

65 Vu le nombre de différents modèles familiaux dans la collectivité, certains enfants seront nécessairement issus de familles que certains parents désapprouvent. Donner à ces enfants la chance de parler de leurs modèles familiaux peut exposer d’autres enfants à certaines dissonances cognitives. Toutefois, cela n’est ni évitable ni nocif. En tant que membres d’un corps scolaire hétérogène, les enfants y sont exposés tous les jours dans le système d’enseignement public. À l’heure des repas, ils voient leurs camarades de classe, et peut‑être aussi leurs professeurs, manger des aliments qui leur sont interdits, que ce soit en raison des restrictions religieuses de leurs parents ou d’autres croyances morales. Ils voient leurs camarades porter des vêtements dont leurs parents désapprouvent les caractéristiques ou les marques. Et ils sont également témoins, dans la cour d’école, de comportements que leurs parents désapprouvent. La dissonance cognitive qui en résulte fait simplement partie de la vie dans une société diversifiée. Elle est également inhérente au processus de croissance. C’est à la faveur de telles expériences que les enfants se rendent compte que tous ne partagent pas les mêmes valeurs.

66 On peut soutenir que l’exposition à certaines dissonances cognitives est nécessaire pour que les enfants apprennent ce qu’est la tolérance. Comme le signale mon collègue, la tolérance n’exige pas l’approbation des croyances ou pratiques d’autrui. Lorsqu’on demande aux gens d’être tolérants envers autrui, on ne leur demande pas de renoncer à leurs convictions personnelles. On leur demande simplement de respecter les droits, les valeurs et le mode de vie des personnes qui ne partagent pas ces convictions. La croyance que les autres ont droit au même respect s’appuie non pas sur la croyance que leurs valeurs sont justes, mais sur la croyance qu’ils ont droit au même respect que leurs valeurs soient justes ou non. Apprendre la tolérance, c’est donc apprendre que les autres ont droit à notre respect, que leurs convictions soient les mêmes ou non. Les enfants ne peuvent l’apprendre que s’ils sont exposés à des points de vue qui diffèrent de ceux qui leur sont enseignés à la maison.

67 Les inquiétudes du conseil scolaire quant à la catégorie d’âge visée ne sont pas non plus fondées. Son règlement établissant les critères de sélection exige qu’il se demande si les ressources complémentaires proposées conviennent à l’âge des enfants. Toutefois, en l’espèce, le programme d’études même indique que le sujet convenait à la catégorie d’âge visée en affirmant que les enfants en maternelle et en première année devraient discuter de tous les types de familles, y compris les familles homoparentales, que l’on trouve dans la collectivité. Le conseil scolaire ne pouvait substituer son avis contraire.

68 Le conseil scolaire n’a pas laissé entendre que la manière dont les manuels traitaient du sujet approuvé ne convenait pas à la catégorie d’âge visée. Le juge siégeant en chambre, au par. 98, souscrit à la description que le directeur général donne des manuels

[traduction] qu’il existe d’autres modèles familiaux, y compris des familles homoparentales, qui ont droit au même respect que les autres modèles familiaux, qu’ils sont composés de personnes attentionnées, obligeantes, intelligentes, affectueuses, qui procurent autant de chaleur, d’amour et de respect que les autres familles.

Sans préjuger de la question, ce message de tolérance empreinte de respect paraît correspondre à l’objectif visé par le programme d’études de la maternelle et de la première année et ne pas aller plus loin en matière de biologie et de moralité que ce qui est prévu dans le programme.

69 On laisse entendre que même si le message qu’ils contiennent est acceptable, les manuels amèneront les enfants à poser à leurs parents des questions qui pourraient être inconvenantes pour le niveau de la maternelle et de la première année et peut‑être embarrassantes pour les parents. Pourtant, au vu du dossier, il est difficile de voir comment le matériel pédagogique soulèverait des questions qui ne seraient pas de toute façon soulevées par la prise de conscience de l’existence de familles homoparentales parmi les familles des élèves de maternelle et de première année, ou dans le milieu plus large dans lequel vivent ces enfants. Le seul message additionnel du matériel paraît être un message de tolérance. La tolérance convient à tous les groupes d’âge.

70 Le dernier argument du conseil scolaire est que sa décision ne peut pas être contestée parce qu’il n’est tenu d’approuver aucun matériel complémentaire en particulier. Il est vrai qu’il n’est pas tenu d’approuver toutes les ressources complémentaires qui lui sont présentées. Il peut rejeter du matériel complémentaire, malgré sa pertinence quant au programme d’études, pour des motifs valables comme le degré de difficulté trop élevé, le contenu discriminatoire, l’inexactitude du contenu, l’inefficacité ou l’existence d’autre matériel qui permettrait d’atteindre les mêmes objectifs. S’il avait procédé comme l’exigent la Loi, le programme d’études et son règlement général, sa décision aurait pu être inattaquable. Le problème est qu’il ne l’a pas fait en l’espèce.

71 J’arrive à la conclusion que la décision du conseil scolaire est déraisonnable. Le conseil n’a pas respecté l’exigence de laïcité de la School Act, en permettant que les convictions religieuses d’une partie de la collectivité l’emportent sur la nécessité de faire preuve d’un même respect à l’endroit des valeurs d’autres membres de la collectivité. Il n’a pas agi conformément au règlement qu’il avait adopté en application de l’arrêté ministériel, règlement exigeant que l’on fasse preuve de tolérance et que l’on s’efforce d’obtenir les résultats d’apprentissage prescrits. Enfin, il n’a pas appliqué les bons critères d’approbation des ressources d’apprentissage complémentaires. Il n’a pas tenu compte de la pertinence du matériel proposé par rapport au résultat d’apprentissage prescrit, qui est de discuter en classe de tous les types de familles et de les comprendre. Il a plutôt présumé à tort qu’il pouvait refuser d’approuver des ressources illustrant des familles homoparentales si le programme scolaire n’exigeait pas expressément leur prise en compte et il a invoqué la dissonance cognitive et la catégorie d’âge visée, ce qui allait à l’encontre du programme d’études pour la maternelle et la première année.

72 Ces erreurs ont entaché la décision du conseil scolaire d’un vice fondamental. On laisse entendre que le refus d’approuver les manuels n’a pas réduit substantiellement les occasions d’enseigner et d’appliquer la tolérance en classe et qu’il n’a donc pas une grande importance. Or, pour les appelants, le refus est important. Le seul libellé qui compte est celui de la Loi et du programme d’études. Il met l’accent sur la tolérance et l’inclusion et accorde une grande importance à la discussion sur tous les groupes familiaux et à la compréhension à leur égard. Le rejet de ces valeurs par le conseil scolaire doit être considéré comme un acte grave.

VII. Conclusion

73 Je conclus que la décision du conseil scolaire de ne pas approuver les manuels proposés qui illustrent des familles homoparentales est déraisonnable, le conseil n’ayant pas agi conformément à la School Act. Compte tenu de cette conclusion, il est inutile d’examiner la constitutionnalité de la décision. Il n’est ni nécessaire ni opportun, à mon sens, de se prononcer sur la question de la qualité pour agir des appelants et celle de savoir si l’action soulève une question de droit sérieuse, comme le fait mon collègue, étant donné que le règlement du présent pourvoi ne repose pas sur l’application de la Charte.

VIII. Ordonnance

74 Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, avec dépens en faveur des appelants dans toutes les cours, et de renvoyer au conseil scolaire la question de savoir si les manuels devraient être approuvés pour qu’il tranche en fonction des critères établis dans son règlement, des lignes directrices afférentes au programme d’études et des principes généraux de tolérance et de non‑confessionnalisme qui sous‑tendent la School Act.

Version française des motifs des juges Gonthier et Bastarache rendus par

Le juge Gonthier (dissident) —

I. Introduction

75 Il s’agit en l’espèce du contrôle judiciaire de la décision discrétionnaire, en matière de politique de l’enseignement, d’un conseil scolaire élu de ne pas approuver trois manuels à titre de « ressources documentaires éducatives » complémentaires pour une sous‑composante du programme d’études de la maternelle et de la première année dans le district scolaire de Surrey. Les trois manuels en question représentent des parents qui forment un couple de même sexe. La nature de cette représentation est analysée plus en détail ci‑après. La décision de ne pas approuver les manuels est de nature discrétionnaire et de portée limitée : elle ne porte pas sur l’approbation, effective ou éventuelle, de ces manuels à titre de « ressources documentaires »; elle ne vise que l’utilisation possible en classe de ces livres en particulier, puisque l’ultime décision d’employer ou non le matériel en classe revient à chacun des enseignants; elle ne touche que le programme d’études des élèves de maternelle et de première année, des enfants de cinq et six ans; seule est en cause l’inscription de ces manuels sur la liste locale des ressources complémentaires, par opposition à la liste provinciale des « Ressources d’apprentissage recommandées ». La Cour n’est pas non plus appelée à se prononcer sur des questions pédagogiques plus générales quant à savoir de quelle manière et à quel âge du matériel descriptif de parents qui sont des conjoints de même sexe devrait être introduit à l’école.

76 Vu la nature de la décision en cause, la norme de contrôle applicable et l’ensemble du contexte, j’estime que le pourvoi doit être rejeté. Je suis d’accord avec le Juge en chef quant à la norme de contrôle applicable, mais, avec égards, je ne crois pas que la School Act, R.S.B.C. 1996, ch. 412, et les directives ministérielles pertinentes exigent que tous les types de familles, plutôt que leur simple diversité, soient représentés et, surtout, que le conseil scolaire approuve l’utilisation générale en classe des trois manuels alors que le ministre a refusé d’en approuver l’utilisation pour l’ensemble de la province. Je suis d’avis que la décision relève du pouvoir conféré au conseil scolaire par la School Act et qu’elle est clairement raisonnable. L’approbation des manuels ressortit clairement au pouvoir du conseil scolaire, la décision est compatible avec une juste interprétation de l’art. 76 de cette loi (c’est‑à‑dire qu’elle est compatible avec une bonne interprétation des « principes strictement laïques et non confessionnels » et ne va pas à l’encontre de l’exigence que « [l]es plus hautes valeurs morales [soient] inculquées »), les éléments pris en considération par le conseil scolaire étaient appropriés et la décision respecte les al. 2a) et b), de même que l’art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

77 Il importe tout d’abord de signaler que les parties au présent pourvoi s’entendent sur bon nombre de questions : toutes les personnes, considérées indépendamment de leur comportement, ont également droit au respect, à l’intérêt et à la considération que commande la dignité inhérente à la personne humaine; les écoles publiques doivent offrir un milieu d’apprentissage et de travail sûr, solidaire et sans discrimination, y compris celle fondée sur l’orientation sexuelle; et la sexualité humaine, hétérosexuelle ou homosexuelle, par opposition au simple fait que les êtres vivants, y compris les humains, se reproduisent et à la capacité d’énumérer les caractéristiques physiques qui distinguent les hommes des femmes, n’est pas un sujet qu’il convient d’aborder explicitement dans une classe de maternelle ou de première année.

78 Les deux principaux points de désaccord entre les parties qui sont ressortis devant les tribunaux d’instance inférieure sont les suivants : la question de savoir si, pour l’approbation des manuels, un conseil scolaire peut tenir compte de certaines inquiétudes des parents dans la mesure où elles traduisent des convictions personnelles et, en particulier, en l’espèce, des croyances religieuses, ainsi que le propos des trois manuels du point de vue des élèves de maternelle et de première année.

79 Ces points de désaccord entre les appelants et l’intimé ont donné lieu à un désaccord plus général concernant le caractère raisonnable de la décision du conseil scolaire de Surrey. Cependant, je suis d’avis que si l’on tient compte de l’ensemble du contexte, le désaccord porte en fait sur la manière dont il convient, dans les classes de maternelle et de première année du district de Surrey, en Colombie‑Britannique, d’enseigner et de garantir la tolérance envers chacun et l’égalité sans discrimination d’une façon qui respecte les droits des parents d’éduquer leurs enfants selon leurs convictions personnelles, religieuses ou autres. Il me paraît évident que les valeurs de la Charte doivent être respectées dans le contexte scolaire en général, lequel exige toutefois le respect à la fois du droit d’une personne homosexuelle d’être protégée contre la discrimination et du droit des parents de prendre les décisions qu’ils jugent nécessaires au bien‑être et à l’éducation morale de leurs enfants. Comme le signale M. Ignatieff dans La Révolution des droits (2001), un système voué à la primauté des droits de la personne renforce et protège ce qu’il appelle les deux facettes des droits de la personne : le droit à l’égalité et le droit à la différence. Ces deux droits s’affrontent en l’espèce. Mais comme, dans le milieu scolaire, les intéressés adhèrent généralement aux valeurs de la Charte et à la véritable non‑discrimination, il s’agit en vérité, en l’espèce, de pondération ou d’accommodement, de choix des « moyens » dans le contexte de la mise en œuvre d’une politique en milieu scolaire.

II. Dispositions constitutionnelles, législatives et réglementaires pertinentes

80 Charte canadienne des droits et libertés

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

a) liberté de conscience et de religion;

b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

School Act, R.S.B.C. 1996, ch. 412

[traduction]

Préambule

ATTENDU QU’une société démocratique vise à garantir que tous ses membres reçoivent un enseignement qui leur permet de s’épanouir personnellement et d’être utiles à la société, et de contribuer ainsi à la vigueur et à la stabilité de cette société;

ATTENDU QUE l’objectif du système scolaire de la Colombie‑Britannique est de permettre à tous les élèves d’exploiter leur potentiel individuel et d’acquérir les connaissances, les habiletés et les attitudes qui leur permettront de contribuer au développement d’une société saine, démocratique et pluraliste, ainsi que d’une économie prospère et durable;

À CES CAUSES, SA MAJESTÉ, de l’avis et du consentement de l’Assemblée législative de la Colombie‑Britannique, décrète :

. . .

Partie 6 — Conseils scolaires

Section 1 — Personnalité juridique et réunions

Personnalité juridique

65 (1) Les conseillers élus ou nommés en application de la présente loi pour chacun des districts scolaires et leurs successeurs forment le conseil scolaire du district et constituent une personne morale dont la dénomination est « The Board of School Trustees of School District No. 1 (Fernie) » (selon le cas).

(2) Le conseil peut:

a) établir des comités et préciser leurs fonctions et attributions;

b) établir un conseil consultatif de district composé de représentants des conseils consultatifs de parents et d’autres organismes de la collectivité;

c) déléguer à l’un ou à plusieurs de ses employés des fonctions particulières et générales d’administration et de gestion.

(3) Un comité de conseillers ou un conseiller individuel ne peut exercer les droits, les fonctions et les pouvoirs du conseil.

(4) À moins d’être expressément tenu d’agir par voie de règlement, le conseil peut exercer ses pouvoirs en adoptant un règlement ou une résolution.

(5) Le conseil ne peut exercer un pouvoir relativement à l’acquisition d’un bien ou à l’aliénation d’un bien qu’il possède ou qu’il administre que par voie de règlement.

. . .

Section 2 — Pouvoirs et obligations

. . .

Fonctionnement

76 (1) Toutes les écoles et toutes les écoles provinciales fonctionnent selon des principes strictement laïques et non confessionnels.

(2) Les plus hautes valeurs morales y sont inculquées, mais aucun dogme religieux ni aucune croyance religieuse n’y sont enseignés.

. . .

Pouvoirs et attributions

85 (1) Pour l’exercice de ses pouvoirs, fonctions et attributions en application de la présente loi et de ses règlements, le conseil a le pouvoir et la capacité d’une personne physique jouissant de tous ses droits.

(2) Le conseil peut notamment, sous réserve de la présente loi et de ses règlements :

a) arrêter la politique locale pour le fonctionnement efficace et efficient des écoles du district scolaire;

b) sous réserve des arrêtés du ministre, approuver les ressources documentaires éducatives et autres produits et services destinés aux élèves;

. . .

Partie 9 — Généralités

Section 1 — Ministère de l’Éducation, compétences et formation

Compétences du ministre

168 (1) Sous réserve de la présente loi et de ses règlements:

a) le ministre est chargé de l’entretien et de la gestion des écoles provinciales établies en vertu de la présente loi;

. . .

(2) Le ministre peut, par arrêté, pour l’exercice des pouvoirs, des attributions ou des fonctions que lui confère la présente loi:

a) régir la mise en place des programmes d’éducation;

. . .

c) définir la nature générale des programmes d’éducation des écoles et des écoles francophones et établir des guides de mise en œuvre de ces programmes;

. . .

e) régir les ressources documentaires éducatives appuyant les programmes d’éducation,

. . .

Ministerial Educational Resource Materials Order, M143/89, mod. par M11/91 et M167/93 (« arrêté ministériel M143/89 »)

[traduction]

1. (1) Outre les guides de mise en œuvre des programmes d’éducation mentionnés dans l’arrêté ministériel 165/93, l’arrêté sur les guides de mise en œuvre des programmes d’éducation, le conseil ne peut utiliser que les ressources documentaires éducatives suivantes :

a) celles autorisées ou recommandées dans la version la plus récente du « Catalogue of Learning Resources, Primary to Graduation » que publie périodiquement le ministère de l’Éducation;

b) celles que le ministre, après la publication du catalogue mentionné à l’alinéa a), désigne comme étant autorisées ou recommandées;

c) celles qui, selon le conseil, conviennent aux élèves, individuellement ou en groupes.

(2) Lorsqu’il utilise les ressources documentaires éducatives mentionnées à l’alinéa (1)c), le conseil établit, pour leur approbation, des critères et procédures d’évaluation et de sélection.

Ministerial Educational Program Guide Order, M165/93, mod. par M293/95, M405/95 et M465/95 (« arrêté ministériel M165/93 »)

[traduction]

3. (1) Le conseil ne peut utiliser que les ressources documentaires éducatives suivantes :

a) les ressources documentaires figurant dans un des guides de mise en œuvre des programmes d’éducation mentionnés à l’article 1 du présent arrêté;

b) les ressources documentaires figurant dans un document mentionné à la colonne 1 du tableau 1;

c) les ressources documentaires éducatives autorisées ou recommandées dans la version la plus récente du « Catalogue of Learning Resources » que publie périodiquement le ministère de l’Éducation;

d) celles que le ministre, après la publication du catalogue mentionné à l’alinéa a), désigne comme étant autorisées ou recommandées;

e) celles qui, selon le conseil, conviennent aux élèves, individuellement ou en groupes.

(2) Avant de pouvoir utiliser les ressources documentaires éducatives mentionnées à l’alinéa (1)e), le conseil doit les approuver selon les critères et procédures d’évaluation et de sélection qu’il a établis.

School District No. 36 (Surrey) Regulation 8800.1 (« règlement 8800.1 »)

[traduction]

A. RÈGLEMENT ET CRITÈRES DE SÉLECTION ET D’APPROBATION — RESSOURCES D’APPRENTISSAGE RECOMMANDÉES ET RESSOURCES DOCUMENTAIRES

I. Définitions

1. Ressources d’apprentissage recommandées

Dans le présent règlement, « ressources d’apprentissage recommandées » s’entend du matériel didactique figurant soit sur la liste du ministère, soit sur la liste des ressources d’apprentissage recommandées du district.

2. Ressources documentaires

Dans le présent règlement, « ressources documentaires » s’entend du matériel imprimé ou non qui est lié au programme d’études, adapté à la catégorie d’âge des élèves ou susceptible d’être utilisé pour de nombreux niveaux et domaines d’apprentissage.

II. Procédures

1. La responsabilité de la sélection et de l’utilisation, d’après les critères approuvés, des ressources d’apprentissage recommandées et des ressources documentaires incombe au directeur général de l’enseignement et aux autres employés professionnels du conseil.

2. Le directeur général, ou la personne qu’il désigne, et les directeurs d’école ont la responsabilité générale de veiller à ce que les critères approuvés soient connus et bien appliqués.

3. En ce qui concerne les ressources d’apprentissage recommandées ou les ressources documentaires et les sujets controversés, le conseil s’attend à l’exercice du jugement professionnel et à la consultation d’autres intéressés, dont les parents et les collègues professionnels, au besoin.

4. En cas de contestation non réglée des ressources d’apprentissage recommandées ou des ressources documentaires, l’affaire est renvoyée au conseil avec toute la documentation.

III. Critères

. . .

A. Ressources d’apprentissage recommandées

1. Les ressources d’apprentissage recommandées correspondent aux résultats d’apprentissage et au contenu des cours.

2. Elles conviennent à la catégorie d’âge visée, à la maturité et aux besoins d’apprentissage de l’élève auquel elles sont destinées.

3. Elles sont appropriées pour la collectivité dans laquelle elles seront utilisées.

4. Elles sont justes, objectives, exemptes de violence gratuite, de propagande et de discrimination, sauf dans les cas où une situation d’enseignement et d’apprentissage nécessite du matériel explicatif pour développer une pensée critique sur de tels sujets.

5. Elles sont lisibles, intéressantes et faciles à traiter dans la situation d’enseignement et d’apprentissage.

B. Ressources documentaires

1. Les ressources documentaires appuient les objectifs généraux de la province et du district en matière d’éducation, ainsi que les objectifs des écoles individuelles et des cours particuliers et elles sont compatibles avec ces objectifs.

2. Elles satisfont à des normes élevées de qualité quant à leur contenu factuel et à leur présentation.

3. Elles correspondent au programme d’études et conviennent à la catégorie d’âge visée, au développement affectif, au niveau d’aptitude, au mode d’apprentissage et à l’épanouissement social des élèves auxquels elles sont destinées.

4. Elles ont une valeur esthétique, littéraire, historique ou sociale.

5. Leur présentation matérielle et leur apparence doivent convenir à l’usage projeté.

6. Elles peuvent être sélectionnées dans le but d’inciter les élèves et le personnel à les lire pour se détendre.

7. Elles sont choisies dans le but de sensibiliser les élèves au caractère pluraliste de notre société et de les amener à comprendre les nombreux apports importants à notre civilisation.

8. Elles sont choisies dans le but d’inciter les élèves et le personnel à s’interroger sur leurs propres attitudes et comportements et à prendre conscience de leurs propres obligations, droits et privilèges en tant que citoyens à part entière.

9. Elles sont justes, objectives, exemptes de violence gratuite, de propagande et de discrimination, sauf dans les cas où une situation d’enseignement et d’apprentissage nécessite du matériel explicatif pour développer une pensée critique sur de tels sujets.

School District No. 36 (Surrey) Policy 8425 (« politique 8425 »)

[traduction]

FORMATION PERSONNELLE (DE LA MATERNELLE À LA SEPTIÈME ANNÉE) ET PLANIFICATION PROFESSIONNELLE ET PERSONNELLE (DE LA HUITIÈME À LA DOUZIÈME ANNÉE)

Le programme d’études prescrit pour la formation personnelle (de la maternelle à la 7e année) et la planification professionnelle et personnelle (de la 8e à la 12e année) vise à permettre à tous les élèves d’acquérir les connaissances, les compétences et les attitudes nécessaires pour faire de bons choix sur les plans personnel et professionnel.

Le conseil reconnaît que le programme d’études prescrit a une portée générale et que les objectifs d’épanouissement humain, social et professionnel qu’il poursuit sont comme il se doit répartis entre l’école et la famille.

Vu cette portée générale et cette responsabilité partagée, le conseil considère l’apprentissage dans ce domaine comme un processus permanent qui développe la confiance de l’élève dans sa capacité de relever les défis de la vie en agissant de manière déterminée et responsable.

L’enseignement et l’apprentissage liés à ce programme d’études exigent donc que les parents et les élèves travaillent en partenariat actif avec l’école à la planification et à la mise en œuvre du programme. De plus, ils doivent également refléter des valeurs familiales positives, comme l’honnêteté, la confiance, l’amour, l’empathie et le respect. Le conseil estime que de telles valeurs correspondent aux attentes de notre collectivité en ce qui a trait à l’éducation de nos élèves et à la valorisation de la citoyenneté.

Le conseil s’attend donc à ce que le programme d’études prescrit enseigné dans les écoles du district de Surrey soit uniforme tant du point de vue du contenu que de la forme et :

· mette en avant des valeurs familiales positives

· accroisse l’aptitude de l’élève à prendre des décisions afin qu’il puisse faire des choix avisés et responsables sur les plans personnel et professionnel

· préconise l’abstinence comme option de mode de vie sain

· s’en tienne aux sujets et aux ressources d’apprentissage qui conviennent à la catégorie d’âge visée et à l’épanouissement des élèves

· soit appuyé par un programme complet de formation en cours d’emploi destiné aux enseignants.

Enfin, le conseil reconnaît l’importance et la nature délicate de ce programme d’études et il fait appel au leadership des intéressés aux niveaux du district et de l’école afin que le programme respecte la présente politique et ne s’immisce pas indûment dans la vie privée des familles et ce, grâce à la participation :

· des parents, des élèves et du personnel à l’examen, en milieu scolaire, des ressources didactiques

· d’un comité d’école où le conseil consultatif des parents est représenté, pour l’examen de questions précises touchant à l’école, en particulier des questions de nature délicate

· d’un comité consultatif permanent de district où sont représentés les parents, l’école et la collectivité en général.

III. Les faits principaux

A. Les parties à l’instance et la région de Surrey (Colombie‑Britannique)

81 La région de Surrey a une population diversifiée sur les plans culturel et religieux. Elle compte un grand nombre de chrétiens, protestants et catholiques, y compris une importante communauté chrétienne évangélique. On y retrouve également plus de 50 000 sikhs, le plus grand nombre de musulmans en Colombie‑Britannique, et des hindous.

82 L’intimé, le Board of Trustees of School District No. 36 (Surrey), se compose de sept conseillers élus (M. Robert Pickering, M. Gary Tymoschuk, M. Jim Chisholm, M. Ken Hoffmann, Mme Laurae McNally, Mme Heather Stilwell et Mme Mary Polak). La School Act lui confie le mandat d’administrer les écoles publiques du district scolaire de Surrey.

83 Les appelants, MM. James Chamberlain et Murray Warren, sont tous deux enseignants. Le premier enseigne à la maternelle dans le district de Surrey, et le second, à l’élémentaire, dans le district scolaire de Coquitlam (no 43). Ils font partie de la fédération des enseignants de la Colombie‑Britannique, ainsi que d’un regroupement appelé Gay and Lesbian Educators of B.C. (« GALE »).

84 Le GALE est un organisme non constitué en personne morale qui regroupe des éducateurs. Il préconise des changements dans le système scolaire afin de créer un environnement plus positif pour les personnes homosexuelles et les personnes bisexuelles. Depuis 1991, le GALE établit une liste de ressources portant sur la question de l’homosexualité, dont les trois manuels en cause (les « trois manuels ») : R. Elwin et M. Paulse, Asha’s Mums (1990); L. Newman, Belinda’s Bouquet (1991); J. Valentine, One Dad, Two Dads, Brown Dad, Blue Dads (1994).

85 L’appelante Rosamund Elwin est coauteure d’Asha’s Mums. L’appelante Diane Willcott est la mère de deux enfants qui fréquentent l’école élémentaire du chemin Latimer dans le district scolaire de Surrey. Elle fait partie du conseil consultatif des parents de cette école. L’appelant Blaine Cook est un élève d’une école secondaire du district scolaire de Surrey, et Sue Cook est sa mère.

B. Programme de Formation personnelle (de la maternelle à la 7e année)

86 En septembre 1995, le ministre de l’Éducation a mis en œuvre un nouveau programme de Formation personnelle de la maternelle à la septième année (le « programme FP »). Ce programme est [traduction] « fondé sur la reconnaissance que l’épanouissement affectif et social revêt autant d’importance pour le développement de citoyens instruits sains et actifs que le rendement scolaire et que les habiletés intellectuelles et physiques » (Colombie‑Britannique, ministère de l’Éducation, Personal Planning K to 7 : Integrated Resource Package 1995, p. 2). Le programme FP complète les autres éléments du programme d’études de la maternelle à la septième année en mettant l’accent sur l’épanouissement personnel des élèves et sur la manière dont leurs activités scolaires et parascolaires sont liées à leurs projets d’avenir et à leur vie après les études.

87 Le programme FP se divise en trois grandes composantes interreliées (aux p. 3 à 5) :

[traduction]

[La composante « Processus de planification » vise à] aider les élèves à établir des objectifs sur les plans personnel, de la carrière et des études et à travailler à la réalisation de ces objectifs.

[La composante « Épanouissement personnel » vise à] aider les élèves à acquérir les connaissances, les attitudes et les compétences nécessaires à une vie saine et productive.

[La composante « Introduction au choix de carrière » vise à] aider les élèves à intégrer leurs acquis personnels, scolaires, professionnels et communautaires en vue de leurs projets de carrière.

88 Chacune de ces trois composantes se divise en sous‑composantes. Les sous‑composantes de l’ [traduction] « Épanouissement personnel » sont : « Vie saine », « Bien‑être mental », « Éducation à la vie familiale », « Prévention de la violence faite aux enfants », « Prévention de la toxicomanie » et « Sécurité et prévention des blessures ».

89 Lorsqu’il a demandé l’approbation des trois manuels, M. Chamberlain était à la recherche de matériel pour l’enseignement de la sous‑composante « Éducation à la vie familiale » de la composante « Épanouissement personnel » du programme FP. Pour les élèves de la maternelle à la septième année, la sous‑composante « Éducation à la vie familiale » [traduction] « met l’accent sur le rôle de la famille dans l’enseignement des normes morales et comportementales. Les élèves étudient la nature et le rôle de la famille ainsi que les rudiments de la biologie de la reproduction humaine » (p. 4).

90 Pour chacune des sous‑composantes, le ministère de l’Éducation a établi les « résultats d’apprentissage prescrits » pour les élèves de chacun des niveaux d’enseignement. Les « résultats d’apprentissage prescrits » de la sous‑composante « Éducation à la vie familiale » pour les élèves de la maternelle à la première année sont les suivants (à la p. 22) :

[traduction]

Comprendre le rôle de la famille et prendre des décisions responsables en matière de relations personnelles.

On s’attend à ce que l’élève puisse :

· décrire divers types de familles

· distinguer les rôles et les responsabilités des différents membres de la famille

· énumérer les caractéristiques d’un environnement familial sûr et chaleureux

· énumérer les caractéristiques physiques qui distinguent les hommes des femmes

· se montrer conscient du fait que les êtres vivants se reproduisent

91 Pour aider les élèves de maternelle et de première année à atteindre les « résultats d’apprentissage prescrits », les enseignants sont invités à recourir notamment aux stratégies d’enseignement suivantes: demander aux élèves de comparer divers types de familles et de discuter des ressemblances et des différences; demander aux élèves de dessiner leur famille et de la décrire; et inviter les élèves à parler entre eux de leurs familles.

C. Approbation des ressources documentaires d’apprentissage dans les écoles publiques de la Colombie‑Britannique

92 La School Act régit le système d’enseignement public de la Colombie‑Britannique. L’article 65 dispose que chacun des districts scolaires est dirigé par un conseil formé de conseillers élus ou nommés et constitué en personne morale. La School Act et les arrêtés ministériels connexes confèrent aux conseils scolaires le pouvoir d’approuver les « ressources documentaires éducatives » : voir l’al. 85(2)b) de la School Act. Plus précisément, les arrêtés ministériels M143/89 et M165/93 obligent les conseils scolaires à utiliser seulement (1) les « ressources documentaires éducatives » qui sont approuvées par le ministre de l’Éducation ou (2) celles qui, selon eux, conviennent aux élèves, individuellement ou en groupes. Il est donc clair que la School Act et les deux arrêtés ministériels susmentionnés autorisent les conseils scolaires à jouer un rôle complémentaire et à approuver les « ressources documentaires éducatives » complémentaires qu’ils jugent appropriées.

93 Selon les arrêtés ministériels, les conseils scolaires doivent, avant d’entreprendre l’examen des ressources documentaires soumis à leur approbation, établir des critères et procédures d’évaluation et de sélection. C’est ainsi que le conseil de Surrey a adopté le règlement 8800.1 Ressources d’apprentissage recommandées et ressources documentaires. Ce règlement établit les critères de sélection des « ressources d’apprentissage » :

[traduction]

1. Les ressources d’apprentissage recommandées correspondent aux résultats d’apprentissage et au contenu des cours.

2. Elles conviennent à la catégorie d’âge visée, à la maturité et aux besoins d’apprentissage de l’élève auquel elles sont destinées.

3. Elles sont appropriées pour la collectivité dans laquelle elles seront utilisées.

4. Elles sont justes, objectives, exemptes de violence gratuite, de propagande et de discrimination, sauf dans les cas où une situation d’enseignement et d’apprentissage nécessite du matériel explicatif pour développer une pensée critique sur de tels sujets.

5. Elles sont lisibles, intéressantes et faciles à traiter dans la situation d’enseignement et d’apprentissage. [Je souligne.]

Je remarque que les critères de sélection des « ressources documentaires » sont différents.

94 Lorsqu’un enseignant souhaite utiliser une « ressource d’apprentissage » qui ne figure ni sur la liste des ressources d’apprentissage recommandées du ministère ni sur celle du district, la procédure d’obtention de l’approbation est également prévue dans le règlement 8800.1 :

[traduction]

1. La responsabilité de la sélection et de l’utilisation, d’après les critères approuvés, des ressources d’apprentissage recommandées et des ressources documentaires incombe au directeur général de l’enseignement et aux autres employés professionnels du conseil.

2. Le directeur général, ou la personne qu’il désigne, et les directeurs d’école ont la responsabilité générale de veiller à ce que les critères approuvés soient connus et bien appliqués.

3. En ce qui concerne les ressources d’apprentissage recommandées ou les ressources documentaires et les sujets controversés, le conseil s’attend à l’exercice du jugement professionnel et à la consultation d’autres intéressés, dont les parents et les collègues professionnels, au besoin.

4. En cas de contestation non réglée des ressources d’apprentissage recommandées ou des ressources documentaires, l’affaire est renvoyée au conseil avec toute la documentation.

95 En ce qui concerne le programme FP, le conseil scolaire a adopté la politique 8425 à sa réunion du 10 avril 1997. Elle a été rédigée en 1996 et au début de 1997 par le comité consultatif d’examen du programme de planification professionnelle et personnelle, composé de trois enseignants, de huit représentants du conseil consultatif des parents du district, du président de l’association des enseignants de Surrey, d’un directeur d’école de l’association des administrateurs de Surrey, et de membres du personnel du district. Elle établit, de manière générale, des paramètres pour l’enseignement et la sélection des ressources se rapportant au programme FP. En ce qui concerne la sélection des ressources, elle précise que le programme prescrit [traduction] « s’en tien[t] aux sujets et aux ressources d’apprentissage qui conviennent à la catégorie d’âge visée et à l’épanouissement des élèves » et que, pour garantir le respect de la politique, le conseil scolaire doit s’employer à faire participer [traduction] « [l]es parents, [l]es élèves et [l]e personnel à l’examen, en milieu scolaire, des ressources didactiques ».

D. Demande d’approbation des trois manuels présentée par M. Chamberlain

96 En décembre 1996 et en janvier 1997, M. Chamberlain a soumis les trois manuels, tirés de la liste établie par le GALE, à l’approbation du directeur général de l’enseignement du conseil scolaire intimé, à titre de « ressources documentaires éducatives » pour les élèves de maternelle et de première année dans le district scolaire de Surrey. L’obtention de l’approbation signifie que les manuels seraient en général approuvés pour servir dans toutes les classes de maternelle et de première année du district scolaire. Dans les faits, leur utilisation, comme celle de toute autre « ressource documentaire éducative », qu’elle ait été approuvée au niveau provincial ou du district, demeure à la discrétion de chacun des enseignants.

97 Le bureau du directeur général de l’enseignement a transmis la demande de M. Chamberlain au comité des services éducatifs (« CSE »). Le CSE a examiné les trois manuels à une réunion à laquelle assistaient le directeur général de l’enseignement, quatre directeurs généraux adjoints et quatre directeurs d’école du district. Compte tenu de leur formation universitaire, de leur expérience et de leurs fonctions, les membres du CSE sont de toute évidence hautement qualifiés. À cette réunion, [traduction] « [l]es échanges ont porté sur la question de savoir si les trois manuels convenaient à la catégorie d’âge des élèves de maternelle et de première année et si ces ressources en particulier étaient nécessaires à la réalisation des objectifs d’apprentissage du programme FP (maternelle‑7e année) ». Finalement, étant donné leur nature délicate et controversée, ainsi que la réaction probable de parents du district advenant leur approbation, le CSE a décidé de renvoyer la demande de M. Chamberlain au conseil scolaire.

98 En s’en remettant ainsi au conseil scolaire, le directeur général de l’enseignement, Frederick I. Renihan, dans une note administrative envoyée aux membres du conseil scolaire, a décidé de ne pas « recommander » les trois manuels pour l’approbation et a simplement demandé au conseil de les « examiner ».

99 À la réunion du 24 avril 1997 du conseil scolaire, la demande de M. Chamberlain a fait l’objet d’un examen. Tous les conseillers étaient présents, sauf le président, Robert Pickering. Le conseil a entendu les observations du GALE, d’associations de défense des libertés civiles de la Colombie‑Britannique et d’un parent de l’école élémentaire du chemin Latimer, toutes favorables à l’approbation des manuels.

100 Après un débat houleux, par résolution adoptée par quatre voix contre deux, le conseil scolaire de Surrey a décidé de ne pas approuver les trois manuels à titre de « ressources d’apprentissage » pour le programme FP destiné aux élèves de maternelle et de première année (la « résolution »). Les conseillers Stilwell, Hoffmann, Tymoschuk et Polak ont voté en faveur de la résolution, et les conseillers Chisholm et McNally, contre son adoption. Voici le libellé de la résolution :

[traduction] QUE le Conseil, en vertu de la politique no 8800 — Ressources d’apprentissage recommandées et ressources documentaires, n’approuve pas l’utilisation des trois (3) ressources d’apprentissage suivantes :

Formation personnelle — Maternelle et première année

Elwin, R., & Paulse, M. (1990). Asha’s Mums.

Newman, L. (1991). Belinda’s Bouquet.

Valentine, J. (1994). One Dad, Two Dads, Brown Dad, Blue Dads.

Je le répète, cette résolution ne visait pas les « ressources documentaires » et ne s’appliquait pas à d’autres années d’études que la maternelle et la première année.

E. Engagement de non‑discrimination dans le district scolaire de Surrey

101 En ce qui concerne l’engagement de non‑discrimination du district scolaire de Surrey, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a fait remarquer aux par. 38‑39 de ses motifs ((2000), 191 D.L.R. (4th) 128) :

[traduction] Le 9 mai 1997, le directeur général de l’enseignement, avec l’accord du conseil, a envoyé aux écoles de Surrey une directive intitulée la « Tolérance à l’égard de l’orientation sexuelle ». En voici un extrait :

Les médias ont fait grand cas des décisions récentes du conseil au sujet des ressources d’apprentissage et de l’orientation sexuelle. Il importe de dissiper toute confusion en ce qui concerne la position du district sur la question de l’orientation sexuelle. Aucun acte d’intolérance ni aucun traitement discriminatoire fondés sur l’orientation sexuelle ne seront tolérés à l’égard des élèves, des employés ou des parents. Les cadres doivent faire preuve de vigilance dans l’exercice de leurs fonctions et ils doivent réagir aux manifestations d’intolérance en veillant à ce qu’elles cessent et à ce que des mesures appropriées soient prises.

Voici un extrait du règlement 10900.1 du conseil, Multicultural, Anti‑Racist and Human Rights :

« . . . toute forme de discrimination donnant lieu au dénigrement d’autrui fondé sur les caractéristiques d’un groupe identifiable est inacceptable ».

Le conseil s’engage à offrir un milieu de travail et d’apprentissage sûr, solidaire et sans discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. La promotion de l’intolérance est inadmissible. (En italique dans l’original.)

Il s’agit d’un énoncé clair, catégorique et non équivoque de la politique du district.

La Cour suprême du Canada l’a signalé dans Vriend, la discrimination contre les gais et les lesbiennes peut aller de l’insulte et de l’ostracisme aux actes de brutalité et de violence. Les écoles ne sont pas à l’abri. Enseignants et administrateurs doivent être vigilants et prévenir toute forme de discrimination et de traitement préjudiciable. Cependant, je ne vois aucun motif de considérer que cette directive ne représente pas vraiment la position du conseil ou de conclure que l’exhortation n’est pas sincère.

La politique 10900 du conseil scolaire de Surrey est en vigueur depuis novembre 1982. Révisée en avril 1996, elle est désormais ainsi libellée :

[traduction] Tous les programmes et toutes les activités du district scolaire doivent favoriser la préparation des élèves à une participation juste et équitable dans la société.

Le conseil est résolu à :

— établir dans le district scolaire de Surrey un milieu sans discrimination raciale et culturelle;

— recruter en fonction des compétences et à n’exercer aucune discrimination contre quiconque;

— préparer les élèves à la vie dans une société multiculturelle;

— éliminer le racisme et la discrimination;

— abaisser les barrières linguistiques et culturelles au placement optimal des élèves;

— communiquer efficacement avec les parents et la collectivité;

— surveiller les efforts de se conformer à la politique.

Je conviens avec la Cour d’appel qu’il n’y a aucune raison de douter de la bonne foi du conseil scolaire quant à l’application de ces principes. L’affidavit du directeur général adjoint des ressources humaines du conseil pendant la période considérée, M. Brian H. Bastien, fait état des politiques et des mesures adoptées par le district scolaire pour lutter contre l’intolérance, le harcèlement et la discrimination fondés sur l’orientation sexuelle.

IV. Le rôle prépondérant des parents dans l’éducation des enfants, l’intérêt des enfants et la Charte

A. Responsabilités parentales et intérêt de l’enfant

102 Bien que la présente espèce porte sur le refus d’un conseil scolaire élu d’approuver certains manuels, elle soulève, de manière plus générale, des questions contextuelles touchant au droit des parents d’élever leurs enfants selon leurs croyances personnelles, religieuses ou autres. À mon sens, la nature générale de l’interaction entre le rôle des parents et celui de l’État est clair : « La common law reconnaît depuis longtemps que les parents sont les mieux placés pour prendre soin de leurs enfants et pour prendre toutes les décisions nécessaires à leur bien‑être » : B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315, par. 83. Les parents sont manifestement les premiers responsables, alors que l’État joue un rôle secondaire, complémentaire.

103 Il est cependant essentiel de signaler que, lorsqu’ils s’acquittent de cette responsabilité première, les parents doivent agir dans l’« intérêt » de leurs enfants : Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3; P. (D.) c. S. (C.), [1993] 4 R.C.S. 141. Toutefois, les parents qui, selon leurs croyances personnelles, religieuses ou autres, font des choix concernant l’éducation de leurs enfants sont présumés agir dans l’« intérêt » de ceux‑ci. En règle générale, l’État ne peut intervenir à bon droit que dans les cas où le comportement des parents ne respecte pas une « norme minimale socialement acceptable » : B. (R.), par. 86. On doit donc comprendre le rôle de l’État comme étant généralement d’apporter un soutien aux parents pour prendre soin de leurs enfants et les éduquer, les écoles publiques en sont un bon exemple, et, dans les cas extrêmes, d’exercer la fonction parentale à la place des parents qui n’agissent pas dans l’« intérêt » de leurs enfants.

104 La décision parentale pour ce qui est dans l’« intérêt » de l’enfant relève du plus intime de la vie privée. Dans B. (R.), par. 104‑105, le juge La Forest, au nom de la majorité de la Cour, dit clairement que le droit des parents d’élever leurs enfants selon leurs croyances personnelles, religieuses ou autres est un aspect fondamental de la liberté de conscience et de religion garantie à l’al. 2a) de la Charte :

À l’instar des autres dispositions de la Charte, l’al. 2a) doit être interprété libéralement de façon à atteindre son objectif : voir l’arrêt Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.‑B., précité. Dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, le juge Dickson affirme, à la p. 336 :

Le concept de la liberté de religion se définit essentiellement comme le droit de croire ce que l’on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte d’empêchement ou de représailles et le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation. Toutefois, ce concept signifie beaucoup plus que cela.

Dans l’arrêt R. c. Jones, précité, j’ai fait remarquer que la liberté de religion comprenait le droit des parents d’éduquer leurs enfants selon leurs croyances religieuses. Dans l’arrêt P. (D.) c. S. (C.), [1993] 4 R.C.S. 141, une affaire où l’un des parents qui demandaient la garde était témoin de Jéhovah, le juge L’Heureux‑Dubé a affirmé que les droits de garde incluaient le droit de décider de l’éducation religieuse de l’enfant. Il me semble que le droit des parents d’éduquer leurs enfants suivant leurs croyances religieuses, dont celui de choisir les traitements médicaux et autres, est un aspect tout aussi fondamental de la liberté de religion. [Je souligne.]

105 Dans la même affaire, les juges Iacobucci et Major, dissidents pour d’autres motifs, affirment, au par. 223, relativement à l’al. 2a) de la Charte :

Cette liberté constitutionnelle comprend le droit d’éduquer et d’élever leur enfant conformément aux principes de leur foi. En fait, jusqu’à ce que l’enfant ait atteint l’âge où elle sera en mesure de prendre elle‑même une décision sur ses propres croyances religieuses, ses parents peuvent décider de sa religion et l’élever en conformité avec celle‑ci. [Je souligne.]

106 En plus de fonder clairement la protection d’un domaine privilégié de l’autorité parentale sur l’al. 2a) de la Charte, le juge La Forest, aux par. 83 et 85 de B. (R.), précité, avec l’accord des juges McLachlin (maintenant Juge en chef) et L’Heureux‑Dubé ainsi qu’avec le mien, dit au sujet de l’art. 7 de la Charte :

Comme l’a fait remarquer le juge Dickson, dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, la Charte n’a pas été adoptée sur une table rase ou en l’absence d’un contexte historique. La common law reconnaît depuis longtemps que les parents sont les mieux placés pour prendre soin de leurs enfants et pour prendre toutes les décisions nécessaires à leur bien‑être. Dans l’arrêt Hepton c. Maat, [1957] R.C.S. 606, notre Cour affirme (à la p. 607) : [traduction] « Selon ce point de vue, le bien‑être de l’enfant repose d’abord dans la chaleur et la sécurité du foyer que lui fournissent ses parents. » Cette reconnaissance était fondée sur la présomption que les parents agissent dans l’intérêt de leur enfant. La Cour ajoute toutefois que [traduction] « si, en raison de l’omission de fournir cette protection, avec ou sans faute de la part des parents, ce bien‑être est menacé, la collectivité, représentée par le Souverain, est, pour les motifs sociaux et nationaux les plus généraux, justifiée d’évincer les parents et d’assumer leurs obligations » (pp. 607 et 608). Bien que la philosophie qui sous‑tend l’intervention de l’État ait évolué au fil des ans, la plupart des lois contemporaines en matière de protection des enfants [. . .] tout en mettant l’accent sur l’intérêt de l’enfant, favorisent une intervention minimale. Au cours des dernières années, les tribunaux ont fait preuve d’une certaine hésitation à s’immiscer dans les droits des parents et l’intervention de l’État n’a été tolérée que lorsqu’on en avait démontré la nécessité. Cela ne fait que confirmer que le droit des parents d’élever, d’éduquer et de prendre soin de l’enfant, notamment de lui procurer des soins médicaux et de lui offrir une éducation morale, est un droit individuel d’importance fondamentale dans notre société.

. . .

Bien que je reconnaisse que les parents ont des responsabilités envers leurs enfants, il me semble qu’ils doivent jouir de droits corrélatifs de s’en acquitter. Une opinion contraire ferait fi de l’importance fondamentale du choix et de l’autonomie personnelle dans notre société. Comme je l’ai déjà mentionné, la common law a toujours présumé, en l’absence d’une démonstration de négligence ou d’inaptitude, que les parents devraient faire tous les choix importants qui touchent leurs enfants, et elle leur a accordé une liberté générale de le faire comme ils l’entendent. Ce droit à la liberté n’est pas un droit parental équivalent à un droit de propriété sur les enfants. (Heureusement, nous nous sommes dissociés de l’ancienne conception juridique selon laquelle les enfants étaient les biens de leurs parents.) L’État est maintenant activement présent dans bon nombre de domaines traditionnellement perçus comme étant, à juste titre, du ressort privé. Néanmoins, notre société est loin d’avoir répudié le rôle privilégié que les parents jouent dans l’éducation de leurs enfants. Ce rôle se traduit par un champ protégé de prise de décision par les parents, fondé sur la présomption que ce sont eux qui devraient prendre les décisions importantes qui touchent leurs enfants parce qu’ils sont plus à même d’apprécier ce qui est dans leur intérêt et que l’État n’est pas qualifié pour prendre ces décisions lui‑même. En outre, les individus ont un intérêt personnel profond, en tant que parents, à favoriser la croissance de leurs propres enfants. Cela ne signifie pas que l’État ne peut intervenir lorsqu’il considère nécessaire de préserver l’autonomie ou la santé de l’enfant. Cette intervention doit cependant être justifiée. En d’autres termes, le pouvoir décisionnel des parents doit être protégé par la Charte afin que l’intervention de l’État soit bien contrôlée par les tribunaux et permise uniquement lorsqu’elle est conforme aux valeurs qui sous‑tendent la Charte. [Je souligne.]

107 De manière générale, je souscris également aux propos suivants du juge Wilson dans R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284, p. 319‑320, dans le cadre de son argumentation voulant que l’art. 7 de la Charte englobe le droit d’élever et d’éduquer ses enfants selon sa conscience et ses croyances :

L’affection qui lie l’individu à sa famille et les obligations et responsabilités qu’il assume envers elle sont au cœur de son individualité et de son rôle dans le monde. Le droit d’éduquer ses enfants est une facette de ce concept plus large. Cela a été largement reconnu. Le paragraphe 8(1) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 213 R.T.N.U. 223 (1950), dit que « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale [. . .] » Est particulièrement pertinent à ce que prétend l’appelant l’article 2 du Premier Protocole de la Convention :

Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques.

108 J’étais alors d’avis et j’estime toujours qu’il s’agit d’un juste énoncé du droit : les parents ont nettement le droit, qu’il soit garanti par l’art. 7 ou l’al. 2a) de la Charte, d’élever leurs enfants, de les éduquer et de prendre des décisions à leur sujet, à condition que ces décisions soient prises dans l’« intérêt » des enfants. Les parents sont présumés agir dans l’« intérêt » de leurs enfants, sauf preuve du contraire. Cela dit, il est clair que, comme tous les droits garantis par la Charte, le droit prépondérant des parents d’élever leurs enfants, de prendre des décisions à leur sujet et d’orienter leur éducation morale, qu’il soit fondé sur l’al. 2a) ou l’art. 7 de la Charte, n’est pas absolu : voir B. (R.), par. 87, 107 et 224; voir aussi Jones, p. 320 et 322.

109 La démarche générale de la Cour est compatible avec le paragraphe 18(4) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 999 R.T.N.U. 171 (entré en vigueur le 23 mars 1976), dont voici le libellé :

Les États parties au présent Pacte s’engagent à respecter la liberté des parents [. . .] de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions.

110 Par ailleurs, la situation au Canada s’apparente plus ou moins à celle qui existe aux États‑Unis, où les droits parentaux et l’intégrité de l’unité familiale ont été constitutionnalisés par suite de l’interprétation judiciaire des Premier et Quatorzième Amendements : voir Meyer c. Nebraska, 262 U.S. 390 (1923), Pierce c. Society of Sisters, 268 U.S. 510 (1925), Wisconsin c. Yoder, 406 U.S. 205 (1972), et de nombreuses autres décisions. Dans Prince c. Massachusetts, 321 U.S. 158 (1944), p. 166, au nom de la cour, le juge Rutledge dit : [traduction] « Il est essentiel pour nous que la garde, les soins et l’éducation de l’enfant appartiennent d’abord aux parents, qui ont notamment pour tâche et liberté principales de préparer l’enfant à assumer des obligations, préparation que l’État ne peut ni fournir ni empêcher. »

111 D’autres arrêts de la Cour ont confirmé le rôle prépondérant des parents en assimilant l’autorité de l’école et de l’enseignant sur l’enfant à une « autorité déléguée » : voir R. c. Audet, [1996] 2 R.C.S. 171, par. 41. Dans cette affaire, au nom de la majorité de la Cour, le juge La Forest cite en l’approuvant un extrait des motifs du juge Cosgrove dans R. c. Forde, [1992] O.J. No. 1698 (QL) (Div. gén.) : [traduction] « Dans notre société, le rôle de l’enseignant vient tout de suite après celui des parents. » Je remarque que, en première instance, le juge Saunders cite ces décisions aux par. 72‑73 de ses motifs ((1998), 168 D.L.R. (4th) 222). Dans Adler c. Ontario, [1996] 3 R.C.S. 609, par. 196, le juge McLachlin, dissidente sur un autre point, rappelle le rôle prépondérant des parents en confirmant leur droit de retirer leurs enfants du système d’enseignement public pour les mettre dans un milieu qui convient davantage aux valeurs qu’ils veulent leur inculquer, que ce soit à la maison ou dans une école confessionnelle.

112 Le concept que l’autorité de l’école est « déléguée » fait que, s’il leur est permis d’exercer un contrôle en retirant leur enfant du système d’enseignement public, les parents doivent aussi avoir leur mot à dire en ce qui concerne les valeurs transmises à l’école. Cela se concrétise généralement par l’élection de représentants appelés à établir un consensus et à régler les questions se rapportant à l’instruction publique, que ce soit au niveau provincial ou local. Comme je l’ai mentionné, lorsqu’un consensus est établi au niveau provincial et se traduit par un programme d’études et par une liste de ressources approuvées, tout enseignant d’une école de la province peut utiliser ces ressources dans le cadre du programme d’études. L’évolution ultérieure de la nature générale du programme d’études établi au niveau provincial peut évidemment être infléchie par les résultats du scrutin provincial ou par des changements dans le consensus politique établi entre les différents intéressés.

113 Du niveau subsidiaire de la commission scolaire locale, les parents participent directement en élisant les membres du conseil scolaire. Rappelons que ce dernier peut, en vertu de la School Act, approuver ou non des « ressources documentaires éducatives » complémentaires. Il est également clair que le pouvoir discrétionnaire d’approbation du conseil scolaire n’est pas absolu : il doit agir d’une manière compatible avec la School Act et respecter les critères et procédures d’évaluation et de sélection, dont les arrêtés ministériels mentionnés précédemment exigent l’adoption. Aussi, comme le Juge en chef l’expose en détail dans ses motifs, un conseil scolaire doit, lorsque du matériel didactique est soumis à son approbation, agir conformément aux exigences du programme d’études provincial. Si le matériel est approuvé, les enseignants du district pourront l’utiliser à titre complémentaire en plus des ressources approuvées au niveau provincial. Tout comme ce qui se passe à l’échelon provincial, l’évolution ultérieure de ces listes de ressources documentaires éducatives complémentaires établies au niveau local dépend également du résultat du scrutin, c’est‑à‑dire celui des élections des conseillers scolaires.

114 La participation des parents au niveau local se traduit également, en pratique, par l’existence, dans de nombreuses écoles, d’organismes parentaux visant à faciliter la participation des parents, comme le conseil consultatif des parents de l’école élémentaire du chemin Latimer, l’une des écoles où M. Chamberlain enseignait à la maternelle. Au moment de l’instruction, l’appelante Diane Willcott faisait partie de ce comité. Un autre exemple de la participation des parents est le fait que huit représentants du conseil consultatif des parents du district constituaient la majorité au sein du comité consultatif d’examen du programme de planification professionnelle et personnelle qui a approuvé la politique 8425 du conseil scolaire de Surrey établissant des paramètres pour la sélection de matériel didactique pour le programme FP. Les parents peuvent également présenter des observations au conseil scolaire, comme un parent l’a fait, en faveur de l’approbation de la résolution relative aux trois manuels à la réunion du 24 avril 1997 du conseil scolaire de Surrey.

115 En ce qui a trait au rôle des « valeurs » à l’école, je constate que la Cour a clairement établi ce qui suit dans Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, par. 42 :

Une école est un centre de communication de toute une gamme de valeurs et d’aspirations sociales. Par l’entremise de l’éducation, elle définit, dans une large mesure, les valeurs qui transcendent la société. Lieu d’échange d’idées, l’école doit reposer sur des principes de tolérance et d’impartialité de sorte que toutes les personnes qui se trouvent en milieu scolaire se sentent également libres de participer. Comme l’a dit la commission d’enquête, le conseil scolaire a l’obligation de maintenir un milieu scolaire positif pour toutes les personnes qu’il sert.

Même si j’estime que les parents ont et doivent avoir leur mot à dire au niveau local en ce qui concerne les valeurs que l’école transmet à leurs enfants, il ne s’ensuit pas, comme on l’a soutenu devant la Cour, qu’un parent ou un groupe de parents peut opposer son « veto » à l’application locale du programme d’études provincial. La raison en est que le programme d’études et la liste des « ressources documentaires éducatives » principales y afférentes sont établis au niveau provincial. De plus, les décisions du conseil scolaire doivent respecter les exigences du programme d’études provincial et elles ne doivent certainement pas aller à l’encontre de celui‑ci. Toutefois, la participation parentale signifie en l’espèce que, en l’absence dans le programme provincial d’une indication claire qu’une matière donnée sera enseignée, les parents peuvent, en élisant leurs conseillers scolaires, exercer un certain pouvoir sur le matériel didactique complémentaire lié à la mise en œuvre du programme. Pour reprendre la formulation employée dans Ross, cette évaluation entreprise au niveau local vise exactement la réalisation de l’objectif de « maintenir un milieu scolaire positif pour toutes les personnes qu’il sert » et fait en sorte que l’école « repos[e] sur des principes de tolérance et d’impartialité de sorte que toutes les personnes qui se trouvent en milieu scolaire se sentent également libres de participer ». Elle est également compatible avec le préambule de la School Act selon lequel l’un des objectifs du système scolaire de la province est l’acquisition, par les élèves, des habiletés nécessaires dans une « société [. . .] démocratique et pluraliste ».

116 Il est intéressant de noter que la reconnaissance de la responsabilité première des parents dans l’éducation des enfants ressort également du programme FP lui‑même. Le programme FP précise relativement à la composante « Éducation à la vie familiale » : [traduction] « cet aspect de l’épanouissement personnel souligne le rôle de la famille dans l’enseignement de normes morales et comportementales » (p. 4). Le programme FP indique également que [traduction] « [l]a famille exerce une influence prépondérante sur le développement des attitudes et des valeurs chez l’enfant » (p. 6). C’est ainsi que la politique 8425 du conseil scolaire de Surrey affirme : [traduction] « le programme d’études prescrit a une portée générale et [. . .] les objectifs d’épanouissement humain, social et professionnel qu’il poursuit sont comme il se doit répartis entre l’école et la famille ».

117 Pourquoi garantir aux parents un rôle prépondérant dans l’éducation et le développement moral de leurs enfants? Comme la Cour le dit dans l’extrait précité de B. (R.), par. 85, le rôle privilégié des parents est « fondé sur la présomption que ce sont eux qui devraient prendre les décisions importantes qui touchent leurs enfants parce qu’ils sont plus à même d’apprécier ce qui est dans leur intérêt et que l’État n’est pas qualifié pour prendre ces décisions lui‑même ». Ce raisonnement vaut particulièrement dans les circonstances de l’espèce. Pour déterminer quelles matières conviennent pour l’éducation de leurs enfants, les parents doivent prendre en considération l’âge psychologique ou la maturité de ces derniers et se demander quelles valeurs personnelles ils veulent leur inculquer. Un parent a d’ailleurs déclaré sous serment : [traduction] « En tant que mère de mes enfants, j’estime être plus à même de déterminer leur aptitude à comprendre des questions compliquées et controversées mettant en cause des valeurs et touchant à la sexualité humaine, ainsi qu’à composer avec de telles questions. » Il s’agit d’une évaluation individuelle qui, selon moi, est préférable, dans la mesure du possible, à toute hypothèse qui fonde les dispositions ou capacités de l’enfant sur une analyse chronologique non différenciée. Or dans les faits, les décisions fondées sur des généralisations chronologiques sont inévitables dans l’établissement de bon nombre de politiques d’enseignement, sinon de la plupart d’entre elles. Cependant, même ces décisions générales sont le résultat d’un consensus au sein de la collectivité. Dans la zone grise dont il est question en l’espèce, à l’intérieur de la marge de manœuvre dont disposent les conseils scolaires pour approuver ou non les ressources éducatives, en l’absence de ressources approuvées au niveau provincial, les conseils scolaires, étant sensibles aux inquiétudes des parents, peuvent donner suite plus directement aux conclusions des parents pour ce qui est de savoir si la ressource en question convient à la catégorie d’âge des enfants. Comme cette solution locale est non seulement possible, mais clairement envisagée dans la School Act, elle est préférable et doit être respectée. En effet, elle traduit le principe bien établi de droit qui donne aux parents préséance sur l’État à l’égard de leurs enfants et les reconnaît comme étant les mieux placés pour évaluer leurs besoins et leurs capacités.

118 J’ai entrepris cet examen du rôle des parents dans l’éducation morale de leurs enfants et du critère de l’« intérêt » de l’enfant parce que, à mon sens, le rôle privilégié qu’ont les parents de décider de ce qui contribue au bien‑être de leurs enfants, y compris, selon une expression employée dans un extrait précité, leur « éducation morale », est au cœur de l’analyse du caractère raisonnable de la décision du conseil scolaire contestée en l’espèce. La raison en est que, lorsqu’il exerce son pouvoir d’approuver ou non des « ressources documentaires éducatives » qui viennent compléter le matériel didactique approuvé au niveau provincial, le conseil scolaire agit en qualité d’organe représentatif élu. Comme nous le verrons plus loin, ses critères d’approbation des « ressources documentaires éducatives » complémentaires renvoyaient, assez naturellement, à des notions comme la « catégorie d’âge visée » et indiquaient que la manifestation d’inquiétudes de la part des parents était un facteur qu’il faut prendre en considération. Ces éléments exigent évidemment que les conseillers sondent l’opinion des parents du district étant donné qu’il ressort de ce qui précède que les parents sont les mieux placés pour décider ce qui est dans l’intérêt de leurs enfants.

B. La participation des parents au système scolaire et la Charte

119 Je le rappelle, les parents sont, sauf preuve contraire, présumés agir dans l’« intérêt » des enfants. À mon avis, le dossier ne permet pas de conclure que les parents qui se demandent si les trois manuels conviennent à la catégorie d’âge visée n’ont pas agi dans l’« intérêt » de leurs enfants.

120 Qu’en est‑il de l’interaction entre ce qui, selon les parents, est dans l’« intérêt » de leurs enfants et la Charte? Dans Young, précité, le juge L’Heureux‑Dubé dit que le parent gardien a l’obligation de garantir, de protéger et de favoriser l’« intérêt » de l’enfant. En ce qui concerne la teneur de cette obligation, elle affirme à la p. 38 : « Cette obligation suppose qu’il lui incombe, exclusivement et principalement, de surveiller tous les aspects de la vie quotidienne et du bien‑être à long terme de l’enfant, et de prendre les décisions importantes relatives à son éducation, à sa religion, à sa santé et à son bien‑être. » Cela cadre avec l’analyse plus générale qui précède concernant le rôle privilégié des parents dans l’éducation de leurs enfants, que ce privilège se fonde sur l’al. 2a) ou l’art. 7 de la Charte. En ce qui a trait à la constitutionnalité du critère de « l’intérêt de l’enfant », le juge L’Heureux‑Dubé dit à la p. 71 :

Il semble évident que le critère du meilleur intérêt de l’enfant a une valeur neutre et qu’il ne peut, en soi, violer un droit protégé par la Charte. De fait, en tant qu’objectif, l’accent mis dans la loi sur le meilleur intérêt de l’enfant correspond tout à fait aux valeurs explicites et aux préoccupations implicites de la Charte, puisqu’il vise à protéger un segment vulnérable de la société en veillant à ce que l’intérêt et les besoins de l’enfant l’emportent, en matière de garde et d’accès, sur toute autre considération concurrente.

Bien qu’en l’espèce, la Loi ne renvoie pas au critère de l’« intérêt » de l’enfant comme tel, ce critère s’applique tacitement puisque le conseil scolaire dit avoir agi en réponse aux inquiétudes des parents, lesquels sont par ailleurs tenus d’agir dans l’« intérêt » de leurs enfants. Le juge de première instance l’a en fait signalé et, au par. 55, elle a reconnu que le conseil scolaire avait prétendu [traduction] « avoir pris sa décision dans l’intérêt des enfants ». Le présent pourvoi porte donc sur l’« intérêt » de tous les enfants du système d’enseignement public, bien qu’il ne faille évidemment pas mettre de côté les besoins et les droits constitutionnels des parents qui sont des conjoints de même sexe.

121 Même si la Cour ne paraît pas avoir examiné expressément la question par le passé, il ne fait aucun doute, selon moi, que le conseil scolaire est un organe du gouvernement et qu’il est donc assujetti à la Charte en vertu de l’art. 32. Si l’on applique le raisonnement du juge La Forest dans McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, et dans Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570, on relève de nombreuses similitudes entre le statut juridique d’un conseil scolaire élu, comme l’intimé, et celui d’un conseil municipal, sur lequel il s’est prononcé dans Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 R.C.S. 844. Ainsi, tout comme un conseil municipal, le conseil scolaire est un corps élu légalement investi d’un pouvoir de décision et de réglementation qu’il exerce en grande partie de manière autonome. Comme le dit le juge La Forest (au par. 47) :

[U]n principe important de l’applicabilité de la Charte canadienne à des entités autres que le Parlement, les législatures provinciales ou les gouvernements fédéral ou provinciaux [me paraît être que] lorsque ces entités sont en réalité de nature « gouvernementale » — en raison, par exemple, du degré de contrôle gouvernemental dont elles font l’objet ou de la nature gouvernementale des fonctions qu’elles exécutent — elles ne peuvent se soustraire à l’examen fondé sur la Charte. En d’autres termes, l’art. 32 est de portée assez large pour englober toutes les entités qui sont essentiellement de nature gouvernementale et son champ d’application ne se limite pas aux seuls organismes qui font officiellement partie de la structure gouvernementale fédérale ou provinciale.

En l’espèce, tout comme c’était le cas du conseil municipal en cause dans Godbout, les conseils scolaires « sont élus démocratiquement par les citoyens et doivent leur rendre compte de la même façon que le Parlement et les législatures provinciales sont responsables devant leur électorat respectif. Cela [. . .] paraît, en soi, indiquer très fortement (mais peut‑être pas de façon déterminante) qu’il s’agit de “gouvernements” au sens requis » (par. 51). En outre, bien qu’ils ne soient pas directement investis de pouvoirs de taxation, ils sont les bénéficiaires des taxes scolaires prélevées par les municipalités pour le compte de la province en application de l’art. 107 et de l’art. 119 et suiv. de la School Act. Enfin et surtout, les conseils scolaires « sont des créatures des provinces [. . .]; c’est‑à‑dire qu’elles exercent des pouvoirs et des fonctions confiés par les législatures provinciales dont ces dernières devraient autrement se charger » (par. 51). Je crois que ces considérations établissent clairement l’assujettissement du conseil scolaire à la Charte.

122 J’estime toutefois qu’il n’y a pas lieu d’entreprendre en l’espèce une analyse exhaustive fondée sur l’art. 15 comme s’il s’agissait d’établir que le conseil scolaire a porté directement atteinte à la Charte. Même si les appelants soulèvent de telles questions devant la Cour, les tribunaux d’instance inférieure ne les ont pas examinées, leur raisonnement se fondant uniquement sur l’étendue du pouvoir que la Loi confère au conseil scolaire. Je suis donc réticent, par exemple, à examiner des questions comme celles de la discrimination réelle au regard de l’art. 15 et de la justification en vertu de l’article premier, sans le bénéfice de conclusions de fait s’y rapportant directement.

123 En outre, une telle analyse soulèverait de sérieuses questions concernant la qualité pour agir, qui elles non plus n’ont pas été abordées par les tribunaux d’instance inférieure. Les appelants ne comptent ni parents de même sexe ni enfants de tels parents, qui pourraient prétendre avoir été exposés à un traitement différent fondé sur leurs caractéristiques personnelles parce qu’ils n’ont pas été représentés comme d’autres types de familles dans les classes de maternelle et de première année du district de Surrey. La Cour devrait alors décider si au moins un des demandeurs remplit les critères relatifs à la qualité pour agir dans l’intérêt public qu’elle a établis dans Thorson c. Procureur général du Canada, [1975] 1 R.C.S. 138, Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S 265, Ministre de la Justice du Canada c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575, et Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607. Dans son ouvrage Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 2, le professeur P. W. Hogg résume ainsi ces arrêts à la p. 56‑9 :

[traduction] Même si un demandeur privé n’a toujours pas le droit d’obtenir un jugement déclaratoire s’il n’a aucun intérêt particulier dans une question constitutionnelle ou de droit public, le tribunal peut lui reconnaître la qualité pour agir s’il établit (1) que l’action soulève une question de droit sérieuse, (2) qu’il a un intérêt véritable dans le règlement de la question et (3) qu’il n’y a aucun autre moyen raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour.

Selon moi, bien qu’il ne fasse aucun doute que les appelants, dont M. Chamberlain, ont un intérêt véritable dans le règlement de la question, une poursuite intentée par des parents de même sexe ou des enfants directement touchés par la résolution paraît être le « moyen raisonnable et efficace » de formuler une allégation de non‑respect de l’art. 15 par le conseil scolaire.

124 Par ailleurs, conclure que l’« action soulève une question de droit sérieuse » dans le contexte de l’examen de la qualité pour agir donnerait lieu en l’espèce à une tautologie étant donné que, selon le critère établi par le juge Iacobucci dans Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, la loi contestée doit établir une distinction formelle entre le demandeur et d’autres personnes sur le fondement d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles. En l’espèce, aucun des demandeurs n’a fait l’objet d’une distinction fondée sur ses caractéristiques personnelles. Comme je l’ai indiqué, M. Warren est homosexuel et enseigne dans le district scolaire de Coquitlam, et non dans celui de Surrey, et il n’est pas touché par la résolution relative aux trois manuels. Monsieur Cook était un élève du secondaire dans le district scolaire de Surrey au moment où la résolution a été adoptée, mais il n’était pas directement touché par elle. Mme Elwin est l’auteure d’Asha’s Mums, l’un des manuels en cause, et son témoignage porte sur l’accueil réservé à son ouvrage ailleurs que dans le district de Surrey. Elle ne prétend pas avoir été touchée par la résolution. Mme Willcott est une résidante de Surrey qui s’est opposée à la résolution et dont le fils de six ans était dans la classe de première année de M. Chamberlain. Elle ne dit pas être homosexuelle ni par ailleurs avoir été touchée directement par la résolution. Enfin, M. Chamberlain lui‑même est homosexuel et enseigne à la maternelle et en première année dans le district scolaire de Surrey. Même s’il a soumis les manuels à l’approbation du conseil et fait valoir que la résolution peut léser certains enfants, il ne peut prétendre qu’elle le prive du même bénéfice de la loi sur le fondement de ses caractéristiques personnelles. Il ne soutient pas, par exemple, que le refus du conseil d’approuver les manuels était de quelque manière lié à son homosexualité. En fait, il y a tout lieu de croire que le conseil serait arrivé à la même conclusion si les manuels avaient été proposés par un enseignant hétérosexuel.

125 Les appelants pourraient théoriquement surmonter ces difficultés en faisant valoir, par exemple, que M. Chamberlain a été victime de discrimination du fait qu’il n’a pu utiliser, pour enseigner, du matériel didactique reflétant son mode de vie ou que les personnes homosexuelles en général sont victimes de discrimination parce qu’elles ne sont pas représentées dans les ressources d’apprentissage retenues par le ministre et le conseil scolaire pour les élèves de maternelle et de première année du district de Surrey. Bien que ces arguments puissent avoir quelque fondement, il est inutile de trancher la question à ce stade. Je crois que les difficultés signalées découlent du fait que le litige porte véritablement sur une distinction liée non pas aux caractéristiques personnelles d’un individu, mais bien au contenu particulier des trois manuels. En d’autres termes, le litige porte sur les « moyens » de mise en œuvre du programme d’études, à savoir un choix pédagogique, dans le contexte d’un engagement général de non‑discrimination véritable. Comme je l’ai déjà dit, il y a effectivement consensus quant aux valeurs de la Charte qui s’appliquent en l’espèce. Nul ne préconise un traitement discriminatoire à l’endroit de quiconque. En outre, et j’y reviendrai plus en détail, j’estime que les valeurs constitutionnelles en cause imprègnent les exigences de la School Act, notamment le critère des « plus hautes valeurs morales » figurant à l’art. 76. Je suis donc convaincu qu’analyser la présente affaire sous l’angle de l’accommodement ou de la pondération de droits constitutionnels opposés permet de circonscrire convenablement l’incidence de la Charte.

126 La Charte traduit un engagement envers l’égalité, protège tout citoyen contre la discrimination, garantit à tous les Canadiens le droit à l’exercice de leur liberté de religion et de leur liberté de conscience, et elle protège également la liberté d’expression. Par conséquent, la personne qui croit que le comportement homosexuel, manifeste chez les couples de même sexe, est immoral ou n’est pas moralement équivalent au comportement hétérosexuel, pour des motifs religieux ou non, a le droit d’avoir cette opinion et de l’exprimer. Par ailleurs, celle qui croit que l’homosexualité est moralement équivalente à l’hétérosexualité a aussi le droit d’avoir ce point de vue et de l’exprimer. Ni l’une ni l’autre ne peuvent cependant agir de manière discriminatoire. Ainsi, il s’agit ici des droits que l’art. 15 et les al. 2a) et b) confèrent aux appelants et aux parents qui ont fait valoir leur point de vue devant le conseil scolaire — et tous ces droits doivent être considérés comme étant engagés dans l’examen de la décision du conseil scolaire. Je constate que dans Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers, [2001] 1 R.C.S. 772, 2001 CSC 31, par. 31, la Cour confirme la position adoptée dans Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835:

Il faut se garder d’adopter une conception hiérarchique qui donne préséance à certains droits au détriment d’autres droits, tant dans l’interprétation de la Charte que dans l’élaboration de la common law. Lorsque les droits de deux individus sont en conflit, (. . .) les principes de la Charte commandent un équilibre qui respecte pleinement l’importance des deux catégories de droits.

127 Bon nombre des parents qui ont fait des déclarations sous serment pour appuyer l’intimé ont dit expressément qu’ils ne faisaient aucune discrimination et qu’ils n’étaient pas « homophobes ». Voici quelques extraits de ces déclarations :

[traduction] Je reconnais que les opinions diffèrent en ce qui concerne la question de l’homosexualité et des couples de même sexe, ou la religion, la politique ou d’autres convictions profondément personnelles, et je respecte le droit des autres de penser autrement et de vivre en conséquence, tant qu’ils ne font pas fi des droits de ma famille et de mes enfants de différer d’opinion. Je ne suis pas homophobe, je ne crains pas les homosexuels ni ne les hais, je suis simplement en désaccord avec certaines de leurs idées concernant le comportement sexuel et je veux pouvoir l’être sans faire l’objet de discrimination ou de harcèlement.

Je ne suis pas homophobe et je respecte le droit de chacun de vivre sa vie sans être victime de discrimination contraire à la loi. Cependant, je ne crois pas que mon enfant ou moi, en tant que parent, devrions être tenus de convenir du caractère approprié des relations de partenaires de même sexe ni être enseignés à en convenir.

. . . nous ne voulons pas que le sujet des couples de même sexe soit abordé avec nos jeunes enfants, à un âge où ils ne peuvent composer avec la complexité d’une telle question, d’autant que nous croyons qu’il ne s’agit pas d’une unité familiale appropriée. Nous ne sommes pas homophobes en ce que nous n’avons ni haine ni crainte envers les personnes homosexuelles. Nous avons simplement de fermes convictions religieuses concernant l’homosexualité et nous voulons les transmettre à nos enfants. Nous demandons que le système scolaire ne porte pas atteinte à notre droit d’inculquer nos valeurs à nos enfants. Tôt ou tard, ces derniers seront informés de la question puisque nous ne voulons pas les surprotéger ou les garder à l’écart de ce qui se passe dans la société. Nous estimons toutefois que ce sujet devrait être abordé principalement à la maison et à l’âge que nous jugeons approprié.

J’élève mes enfants dans l’amour et le respect de tous, mais je n’approuve pas nécessairement les actes ou les croyances de chacun.

Au sein de la société canadienne, les adultes qui estiment que l’homosexualité est immorale peuvent néanmoins être fermement opposés à toute discrimination. En l’espèce, rien ne prouve que les parents qui estiment que les trois manuels ne conviennent pas aux enfants de cinq et six ans ont favorisé d’une manière quelconque la discrimination à l’égard des personnes. De nombreuses personnes, qu’elles aient des croyances religieuses ou non, justifient cette nuance, comme le montrent les extraits précédents, en faisant une distinction entre leurs croyances au sujet des personnes et leurs croyances au sujet du comportement de ces personnes.

128 Si, en raison de convictions profondes, religieuses ou non, bon nombre de Canadiens font une telle distinction et l’appliquent dans la vie de tous les jours, la loi doit‑elle l’effacer parce que la discrimination à l’endroit de certaines personnes découle de l’opinion de certains que leur comportement est immoral ou inapproprié? L’engagement à prévenir la discrimination exige‑t‑il que les personnes qui, pour des motifs religieux ou autres, croient qu’un comportement donné est immoral, renoncent à cette opinion? L’article 15 peut‑il fonder la suppression de croyances, qu’elles soient répandues ou non? Dans une société qui prône les valeurs libérales et un pluralisme vigoureux, force est de répondre à toutes ces questions par la négative.

129 La Cour a reconnu qu’il y a de multiples organismes religieux dans la société canadienne et qu’il y a lieu de respecter cette diversité. De plus, de nombreux autres organismes au sein de la société civile, dont le GALE ou l’intervenante EGALE, ont, au sujet de l’homosexualité, des points de vue particuliers dont on peut dire, bien qu’ils ne soient pas « religieux » en soi, qu’ils constituent clairement des énoncés normatifs particuliers concernant des « croyances ». Il faut également respecter les opinions de ces organismes au sein de la société civile.

130 Dans Trinity Western, la Cour a statué que le British Columbia College of Teachers avait eu raison de tenir compte de la Charte et d’autres lois relatives aux droits de la personne pour décider d’accorder ou non l’agrément à une université privée, mais qu’il aurait dû également se demander s’il y avait véritablement conflit entre les droits en cause. Au paragraphe 29, la Cour a conclu que tout conflit éventuel entre les droits garantis à l’al. 2a) et à l’art. 15 de la Charte « [devait être réglé] en délimitant correctement les droits et valeurs en cause. Essentiellement, une bonne délimitation de la portée des droits permet d’éviter un conflit en l’espèce. Ni la liberté de religion ni la protection contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ne sont absolues. » Dans le cas où des revendications fondées sur des croyances paraissent s’opposer, il est nécessaire d’établir un équilibre, soit en définissant les droits de manière à éviter un conflit, soit dans le cadre d’une justification en vertu de l’article premier. En l’espèce, la pondération ou le compromis qu’a établis le conseil scolaire reconnaît adéquatement la valeur de chacun des droits revendiqués : les trois manuels représentant des parents qui sont des conjoints de même sexe ne seront pas employés pour les deux premières années d’études, mais le sujet, tout comme la question de l’homosexualité dans le cadre de la sexualité humaine en général, sera abordé au cours des années suivantes. De plus, le refus d’approuver les trois manuels n’empêche pas nécessairement que la question des parents de même sexe soit abordée en classe. J’y reviendrai.

131 Comme la Cour l’a dit dans Trinity Western, par. 36:

. . . dans des cas comme celui dont nous sommes saisis, il convient généralement de tracer la ligne entre la croyance et le comportement. La liberté de croyance est plus large que la liberté d’agir sur la foi d’une croyance. En l’absence de preuve tangible que la formation d’enseignants à l’UTW favorise la discrimination dans les écoles publiques de la Colombie‑Britannique, il y a lieu de respecter la liberté des individus d’avoir certaines croyances religieuses pendant qu’ils fréquentent l’UTW. [. . .] Force est de constater que la tolérance de croyances divergentes est la marque d’une société démocratique. [Je souligne.]

La phrase clé mise en évidence reconnaît que la jurisprudence constitutionnelle canadienne atteste cette distinction entre le comportement et la croyance : chacun peut adhérer à la croyance de son choix, mais sa liberté d’agir conformément à sa croyance, que ce soit dans le domaine privé ou public, peut être moins grande. Cette interprétation est compatible avec le fait que les al. 2a) et b) de la Charte coexistent avec l’art. 15, lequel protège contre la discrimination tant les personnes qui ont des croyances religieuses que celles qui sont homosexuelles. L’équilibre établi en l’espèce respecte, si l’on tient compte de l’ensemble du contexte, les points de vue des uns et des autres.

132 Mais surtout, ni l’arrêt Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493, ni la jurisprudence actuelle relative à l’art. 15 n’évoque une interdiction constitutionnelle faite aux Canadiens de désapprouver moralement le comportement ou les rapports homosexuels : c’est une piètre conception du pluralisme que de voir dans la « tolérance » une « approbation ou acceptation obligatoire ». Selon moi, non seulement la dignité inhérente de l’être humain ne souffre pas d’une telle condamnation morale, mais l’exigence d’une approbation morale risque de faire en sorte qu’une autre personne soit traitée d’une manière incompatible avec sa dignité humaine : il y a risque de conflit entre les dignités. Le droit d’une personne, garanti à l’al. 2a) ou b) de la Charte, d’adhérer à une croyance qui désapprouve le comportement d’autrui ne peut être écarté par le droit que confère l’art. 15 à une autre personne, tout comme les droits garantis à l’art. 15 ne peuvent être contrecarrés par les droits garantis à l’al. 2a) ou b). En pareils cas, il est nécessaire de recourir à un compromis ou à une pondération raisonnables. En l’espèce, la décision reflète à mon avis une pondération acceptable sur le plan constitutionnel.

133 On a fait valoir devant la Cour qu’il était dans l’intérêt des enfants de leur enseigner la « tolérance ». Je suis évidemment d’accord. Je me permets de répéter les propos que nous avons tenus dans Ross, précité, par. 42 : « Lieu d’échange d’idées, l’école doit reposer sur des principes de tolérance et d’impartialité de sorte que toutes les personnes qui se trouvent en milieu scolaire se sentent également libres de participer. » Mais laisser entendre que la « tolérance » exige l’approbation obligatoire des trois manuels, soit la réparation demandée par les appelants, élude la question du contenu des manuels et de l’aptitude des enfants à recevoir leurs messages d’une manière compatible avec l’appréciation que font les parents de l’intérêt de leurs enfants. Or, il s’agit d’une question qui suscite le désaccord de parents raisonnables, qui exige l’établissement d’un compromis entre les parents en désaccord et pour laquelle, compte tenu du rôle prépondérant des parents vis‑à‑vis de leurs enfants, expliqué précédemment, le choix des parents justifie un grand respect.

134 Je précise également que les appels à la « tolérance » ne doivent pas servir de prétexte pour effacer tout désaccord. L’article 15 de la Charte protège chacun contre la discrimination fondée sur de nombreux motifs énumérés et motifs analogues, y compris ceux de la religion et de l’orientation sexuelle. Toutefois, les appels au « respect », à la « tolérance », à la « reconnaissance » ou à la « dignité » doivent être réciproques entre les tenants de croyances opposées. Agir autrement ne tiendrait pas compte de la dignité de chacune des parties en désaccord et comporterait le risque que l’on évite de heurter les droits à la dignité en privilégiant simplement l’un ou l’autre de ces droits. Mais il ne peut s’agir de la solution. Selon moi, dans une société véritablement libre, l’interaction entre l’art. 2 et l’art. 15 de la Charte doit permettre aux personnes qui respectent la dignité fondamentale et inhérente d’autrui et qui s’abstiennent de toute discrimination, d’être néanmoins en désaccord avec autrui et même de désapprouver le comportement ou les croyances d’autrui. Sinon, les appels au « respect », à la « reconnaissance » ou à la « tolérance », lorsque ces expressions s’entendent d’une « acceptation » rendue obligatoire par la Constitution, tendent à effacer tout désaccord.

135 On laisse souvent entendre — et bon nombre des parties au présent pourvoi l’ont soutenu — que la croyance et la pratique religieuses, ainsi que les décisions d’intérêt public qui en découlent, devraient relever du domaine privé et être reléguées dans un « placard » religieux ou église. J’estime cependant que l’essence de la liberté de religion ou de conscience, mais aussi, selon moi, de la liberté d’expression en général, ressort de l’extrait suivant des motifs du juge Dickson dans R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, p. 336‑337 :

Une société vraiment libre peut accepter une grande diversité de croyances, de goûts, de visées, de coutumes et de normes de conduite. Une société libre vise à assurer à tous l’égalité quant à la jouissance des libertés fondamentales et j’affirme cela sans m’appuyer sur l’art. 15 de la Charte. La liberté doit sûrement reposer sur le respect de la dignité et des droits inviolables de l’être humain. Le concept de la liberté de religion se définit essentiellement comme le droit de croire ce que l’on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte d’empêchement ou de représailles et le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation. Toutefois, ce concept signifie beaucoup plus que cela.

La liberté peut se caractériser essentiellement par l’absence de coercition ou de contrainte. Si une personne est astreinte par l’État ou par la volonté d’autrui à une conduite que, sans cela, elle n’aurait pas choisi d’adopter, cette personne n’agit pas de son propre gré et on ne peut pas dire qu’elle est vraiment libre. L’un des objectifs importants de la Charte est de protéger, dans des limites raisonnables, contre la coercition et la contrainte. La coercition comprend non seulement la contrainte flagrante exercée, par exemple, sous forme d’ordres directs d’agir ou de s’abstenir d’agir sous peine de sanction, mais également les formes indirectes de contrôle qui permettent de déterminer ou de restreindre les possibilités d’action d’autrui. La liberté au sens large comporte l’absence de coercition et de contrainte et le droit de manifester ses croyances et pratiques. La liberté signifie que, sous réserve des restrictions qui sont nécessaires pour préserver la sécurité, l’ordre, la santé ou les mœurs publics ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui, nul ne peut être forcé d’agir contrairement à ses croyances ou à sa conscience.

Je remarque que la Cour emploie plusieurs mots à connotation « publique », comme « professer » et « manifester ». Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un hasard. Si, comme on l’a fait valoir devant la Cour, il est préférable que la transmission de croyances religieuses ou morales relève exclusivement du domaine privé, alors la transmission de croyances quant à ce qui constitue un comportement sexuel approprié ou non devrait peut‑être également relever du domaine privé, puisqu’il est clair que les deux types de croyances, même s’ils bénéficient de la protection constitutionnelle, font l’objet d’une contestation publique. J’estime cependant préférable de ne reléguer exclusivement au domaine privé aucun droit garanti par la Constitution. Lorsque l’exercice public de différents droits donne lieu à un conflit, on doit recourir à un accommodement ou à une pondération, soit en définissant le champ d’application des droits de façon à éviter le conflit, soit en recourant à une pondération fondée sur l’article premier. Mais il n’est pas acceptable, lorsque des droits s’opposent, de permettre que l’affirmation d’un droit écarte l’exercice public d’un autre droit. La solution acceptable est celle de l’accommodement ou de la pondération: « La liberté de religion, de conscience et d’association coexiste avec le droit d’être exempt de toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle » (Trinity Western, précité, par. 34).

C. L’article 76 de la School Act

136 L’analyse qui précède concorde avec l’interprétation qu’il convient de donner aux termes « laïques » et « non confessionnels » à l’art. 76 de la School Act, qui énonce les principes généraux devant régir toutes les écoles. La Cour d’appel a donné de ces concepts une juste interprétation, qu’a examinée le Juge en chef dans ses motifs. (Voir aussi, de façon générale, Iain T. Benson, « Notes Towards a (Re)Definition of the “Secular” » (2000), 33 U.B.C. L. Rev. 519.)

137 À mon avis, le juge Saunders a commis une erreur en présumant que le terme « laïque » signifiait en réalité « non religieux ». Ce n’est pas le cas puisque rien dans la Charte, dans la théorie politique ou démocratique ou dans le pluralisme bien compris n’exige, lorsque des questions d’intérêt public sont en cause, que les positions morales fondées sur l’athéisme l’emportent sur les positions morales fondées sur des croyances religieuses. Je souligne que le préambule même de la Charte précise que « . . . le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit ». Selon le raisonnement du juge Saunders, l’opinion morale qui traduit une croyance fondée sur une religion ne doit pas s’exprimer sur la place publique, alors qu’elle devient publiquement acceptable si elle n’est pas ainsi fondée. Le problème que pose une telle interprétation est que chacun a des « convictions » ou des « croyances », que celles‑ci prennent leur source dans l’athéisme, l’agnosticisme ou la religion. Il est donc erroné de considérer que le terme « laïque » relève du domaine de la « non‑croyance ». Cela étant, pourquoi alors les personnes ayant des convictions religieuses devraient‑elles être pénalisées ou exclues? Ce faisant, on dénaturerait les principes du libéralisme d’une manière qui fragiliserait la notion de pluralisme. L’essentiel est que des personnes peuvent être en désaccord sur des questions importantes et qu’un tel désaccord, lorsqu’il ne met pas en péril la vie en société, doit pouvoir être accommodé au cœur du pluralisme moderne.

138 Comme le dit le juge Mackenzie de la Cour d’appel, aux par. 31‑34 :

[traduction] De nos jours, les adeptes des religions non chrétiennes et les personnes qui n’ont aucune conviction religieuse sont beaucoup plus visibles sur la place publique qu’il y a un siècle, et toute société vraiment libre doit reconnaître et respecter cette diversité dans ses écoles publiques. Il faut donner à l’expression « strictement laïque et non confessionnel » une interprétation qui respecte cette réalité. Ce respect empêche l’établissement d’une religion et l’endoctrinement en faveur d’une religion donnée dans les écoles publiques, mais il ne peut rendre la participation à l’élaboration du code moral conditionnelle à l’absence de croyances religieuses. Une telle exclusion serait contraire à la liberté fondamentale de conscience et de religion énoncée à l’art. 2 de la Charte ainsi qu’au droit à l’égalité prévu à l’art. 15. Elle nierait le droit de tous les citoyens de participer démocratiquement à l’éducation de leurs enfants dans une société vraiment libre.

Même si, à l’origine, le terme « non confessionnel » se limitait peut‑être au contexte chrétien de diverses confessions et sectes, il doit maintenant englober les autres traditions religieuses de même que les personnes qui n’adhèrent à aucune croyance ou tradition religieuse. L’article empêche l’enseignement des préceptes d’une religion ou d’une tradition donnée (sauf lorsqu’il a pour but de faire connaître aux élèves les diverses traditions religieuses afin de favoriser la tolérance et la compréhension en matière de religion et non de promouvoir une position doctrinale plutôt qu’une autre).

À mon avis, l’expression « strictement laïque » dans la School Act ne peut signifier que pluraliste en ce sens qu’il faut faire une place publique aux positions morales indépendamment de leur fondement religieux ou non. Elle signifie donc pluraliste ou inclusif dans leur sens le plus large. Cette interprétation est conforme à l’arrêt Big M, où la lacune fatale de la Loi sur le dimanche était son lien exclusif avec la doctrine chrétienne plutôt qu’avec les valeurs morales. Elle est également compatible avec la distinction que fait le par. 76(2) entre les valeurs morales et le dogme religieux ou les croyances religieuses.

Une société ne saurait être vraiment libre lorsque seules les personnes dont les valeurs morales n’ont pas d’assise religieuse ont le droit de participer aux débats sur les valeurs morales transmises dans le cadre de l’enseignement dispensé dans les écoles publiques. À mon avis, une telle interprétation du terme « strictement laïque » ne pourrait résister à un examen judiciaire au regard de la liberté de conscience et de religion garantie par l’art. 2 de la Charte et des droits à l’égalité consacrés par l’art. 15.

139 Par conséquent, la double exigence que l’éducation soit « laïque » et « non confessionnelle » signifie, à mon avis, que les écoles ne doivent pas servir à l’endoctrinement ou à l’inculcation de préceptes de quelque religion, et elle n’empêche pas les personnes qui, sur des questions d’intérêt public, ont des positions morales d’inspiration religieuse de débattre de l’enseignement moral dans les écoles publiques. Par delà les convictions personnelles de ses membres, les motifs invoqués par le conseil pour refuser d’approuver les manuels, notamment les valeurs morales et religieuses de certains parents de la collectivité et la nécessité de respecter leur droit constitutionnel à la liberté de religion ainsi que leur rôle prépondérant dans l’éducation de leurs enfants, soulèvent des considérations laïques que le conseil pouvait à juste titre examiner.

140 L’analyse qui précède est également compatible avec l’interprétation qu’il convient de donner à l’exigence, énoncée à l’art. 76 de la School Act, que les « plus hautes valeurs morales » soient inculquées. Je conviens avec le juge Mackenzie que l’on doit considérer qu’il s’agit d’un principe auquel [traduction] « adhère l’ensemble de la société, autant les adeptes des diverses religions que les personnes sans religion » (par. 35). Il est indubitable que les valeurs exprimées dans la Charte découlent d’un large consensus social et qu’on devrait les considérer comme des principes des « plus hautes valeurs morales » évoquées à l’art. 76 de la School Act. Par conséquent, les écoles publiques de la Colombie‑Britannique sont tenues d’aligner leur enseignement sur les valeurs énoncées dans la Charte, tel le principe de la non‑discrimination quant à l’orientation sexuelle, consacré à l’art. 15 et confirmé dans différents arrêts de la Cour, dont Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513, et Vriend, précité. Cette interprétation est compatible avec l’analyse qu’a faite la Cour de l’exigence législative examinée dans Trinity Western (par. 11), selon laquelle le British Columbia College of Teachers devait établir, « compte tenu de l’intérêt public », les normes de compétence de ses membres. Les juges Iacobucci et Bastarache ont statué que « le caractère pluraliste de la société et l’ampleur de la diversité au Canada sont des éléments importants dont les futurs enseignants doivent prendre conscience parce qu’ils caractérisent la société dans laquelle ils seront appelés à travailler et expliquent pourquoi il est nécessaire pour eux de respecter et de promouvoir les droits des minorités » (par. 13). Ainsi, le College of Teachers pouvait, compte tenu de l’exigence de l’« intérêt public », prendre à juste titre en considération les allégations de pratiques discriminatoires dans un établissement demandant l’agrément d’un programme de formation des enseignants. De même, j’estime que l’on peut dire que l’exigence des « plus hautes valeurs morales » englobe de telles valeurs fondamentales.

141 Toutefois, dans la mise en œuvre de cette politique générale qu’impose la School Act et qui vise à promouvoir la tolérance, le besoin de parvenir à un équilibre approprié entre des droits opposés garantis par la Charte — en l’espèce, la liberté de religion garantie aux parents par l’al. 2a) et le droit à l’égalité garanti par l’art. 15 aux couples de même sexe et à leurs enfants — demeure une considération pertinente dans l’exercice par le conseil scolaire de son pouvoir d’approuver des ressources éducatives complémentaires pour usage local. La question est donc de savoir si le conseil a établi un juste équilibre entre ces droits opposés, compte tenu de l’ensemble du contexte, dont le programme global d’études, le cadre établi par la School Act et la nature du pouvoir du conseil en tant que délégataire du droit des parents d’éduquer leurs enfants. On ne peut répondre à cette question qu’en appliquant à la décision du conseil la norme de contrôle pertinente.

V. La norme de contrôle

142 Je conviens avec le Juge en chef que la norme de contrôle doit être celle établie selon un examen des facteurs pertinents dans le cadre de l’approche pragmatique et fonctionnelle et que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Premièrement, l’absence de clause privative ou d’une directive du législateur de s’en remettre au conseil scolaire, même si elle est compatible avec une norme de contrôle qui appelle un degré moins élevé de retenue, devrait être prise en compte à la lumière de l’absence correspondante d’une clause autorisant expressément d’interjeter appel des décisions du conseil devant les tribunaux, et on ne devrait pas lui accorder une importance excessive lorsque l’intéressé est non pas un organisme juridictionnel, mais un décideur administratif. Deuxièmement, la décision d’approuver ou non les manuels oblige le conseil à pondérer les intérêts de différents groupes, fonction qui est au cœur même de son expertise en tant qu’organisme représentatif élu localement. Comme le dit le juge Major dans Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd., [2000] 1 R.C.S. 342, 2000 CSC 13, par. 35 :

Les conseillers municipaux sont élus par les commettants qu’ils représentent et, de ce fait, ils sont plus au courant des exigences de leur collectivité que ne le sont les tribunaux. Le fait que les conseils municipaux sont composés de représentants élus de leur collectivité et, partant, qu’ils sont responsables devant leurs commettants est un élément pertinent de l’examen des décisions prises dans les limites de leur compétence. La réalité qui veut que les municipalités doivent souvent soupeser des intérêts complexes et opposés pour arriver à des décisions conformes à l’intérêt public est tout aussi importante. Bref, les considérations qui précèdent justifient que l’on fasse preuve de retenue dans le cadre de l’examen des décisions prises par les municipalités dans les limites de leur compétence.

Les mêmes considérations s’appliquent à un conseil scolaire élu. Comme je l’ai indiqué, je suis d’avis que la décision du conseil ne va pas à l’encontre des exigences de la School Act ni des directives du ministre. Elle a donc été prise dans les limites du pouvoir discrétionnaire conféré par la Loi et il faudrait normalement faire preuve de retenue dans le cadre de son examen.

143 Comme le fait toutefois remarquer le Juge en chef, la décision comporte aussi une importante dimension qui touche aux droits de la personne. La Cour a reconnu qu’un degré de retenue moindre s’impose à l’égard de décisions de ce genre puisque les tribunaux possèdent l’expertise essentielle pour interpréter et appliquer les instruments de défense des droits de la personne et soupeser les revendications de droits fondamentaux: voir, par exemple, Ross, précité, par. 24. Bien que je souscrive à cette approche générale, je crois que les tribunaux devraient hésiter à présumer que leur expertise est plus vaste que celle des organismes administratifs décisionnels en ce qui concerne les questions qui comportent un aspect touchant aux droits de la personne. À mon avis, l’analyse pragmatique et fonctionnelle était et est censée être de nature contextuelle et les facteurs précis examinés dans des décisions antérieures, comme la présence d’une question liée aux droits de la personne, ne devraient pas être examinés isolément. Ainsi, dans Trinity Western, précité, d’autres facteurs indiquaient aussi qu’un degré de retenue moins important s’imposait : la législation qui habilitait le College of Teachers à donner son agrément à des programmes de formation des enseignants assujettissait expressément ses décisions à des contrôles en appel et, contrairement au conseil scolaire en l’espèce, les membres du College of Teachers n’étaient pas directement élus par les citoyens. En particulier, les tribunaux devraient reconnaître que les décisions administratives peuvent comporter une gamme de questions liées aux droits de la personne qui ne relèvent pas toutes de leur domaine d’expertise fondamental. Selon Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, il ne fait aucun doute que lorsque des tribunaux administratifs rendent des décisions générales sur des points de droit concernant des droits fondamentaux de la personne et touchant de nombreuses décisions ultérieures, la situation appelle peu ou pas de retenue. En l’espèce toutefois, le conseil s’est largement appuyé sur les faits pour trouver un compromis entre les inquiétudes des parents et l’objectif général de promouvoir les valeurs consacrées par la Charte, telles la tolérance et le respect, grâce à un programme éducatif complet échelonné sur plusieurs années. À mon avis, c’est le type même de décision polycentrique décrite par le juge Bastarache dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, et elle appelle donc un degré de retenue plus important.

144 Troisièmement, je conviens avec le Juge en chef que c’était pour permettre la participation locale dans le choix des ressources d’apprentissage complémentaires que le législateur a conféré au conseil le pouvoir d’approuver de telles ressources, et qu’il faut accorder à cet objectif le poids approprié. Toutefois, comme je l’ai expliqué, le fait que l’un des facteurs pertinents de la décision du conseil en l’espèce était la présence de questions touchant aux droits de la personne ne fait pas échec à cet objectif; rien n’indique que, lorsqu’il est effectué dans les limites fixées par la School Act et par le ministre, cet exercice de démocratie au niveau local se limite rigoureusement à des questions non controversées. Enfin, comme nous l’avons vu plus haut, la nature du problème n’exige pas l’application stricte de règles juridiques ni l’interprétation de la loi, mais plutôt une analyse éminemment contextuelle et polycentrique. C’est pourquoi même si j’estime, comme je l’expliquerai plus loin, que la décision du conseil est justifiée selon la norme de la décision raisonnable, je suis également d’avis que l’examen de cette décision par la Cour devrait reposer sur les considérations qui précèdent.

VI. Examen de la résolution concernant les trois manuels

145 Comme je l’ai dit d’entrée de jeu, j’estime que la décision du conseil scolaire était clairement raisonnable. Pour expliquer ma position, je vais revenir sur un facteur contextuel et analyser quelques autres facteurs précis.

A. Il s’agit en l’espèce de concilier ou de pondérer des intérêts opposés

146 Le matériel représentant des parents ou des couples de même sexe doit‑il être inscrit sur la liste du matériel d’enseignement approuvé qui est destiné aux enfants de cinq et six ans? Si un tel matériel était approuvé au niveau provincial, tout enseignant dans tout district scolaire de la Colombie‑Britannique pourrait, à sa discrétion, l’utiliser. Toutefois, en l’absence de matériel approuvé au niveau provincial, les diverses collectivités sont habilitées, par la School Act, à approuver ou non les ressources documentaires. Certains parents pourraient, par l’entremise des décisions de leurs conseillers scolaires élus exprimant leur volonté collective, répondre à la question qui précède par l’affirmative. D’autres parents pourraient considérer que cette question est trop compliquée, trop « controversée », trop différente et éloignée de leurs expériences de vie, trop difficile à comprendre pour des enfants aussi jeunes que cinq et six ans. Un tel point de vue appellera une réponse négative à la question qui précède. On ne peut certes pas affirmer que la Charte ne permet qu’une seule réponse en matière de politique de l’enseignement, en particulier compte tenu de l’ensemble du programme d’études de la maternelle à la douzième année. De plus, comme nous l’avons fait remarquer, la désapprobation à l’égard des décisions prises au niveau provincial ou local peut, comme c’est le cas pour la plupart des questions d’intérêt public, s’exprimer lors du scrutin.

147 Dans le présent litige, le conseil scolaire était clairement pris entre deux groupes passionnés et actifs. Comme nous l’avons vu, l’accommodement est le facteur primordial en l’espèce. Nous sommes manifestement en présence d’intérêts opposés : d’une part, les intérêts des parents formant un couple de même sexe et certains enseignants, comme M. Chamberlain, qui désirent que des manuels représentant des parents qui sont des conjoints de même sexe soient employés en maternelle et en première année; d’autre part, les intérêts des parents qui s’inquiètent de l’utilisation de tel matériel didactique dans des classes où les enfants sont aussi jeunes. En regard de ces faits, j’estime que, même s’il n’aurait pas été inconstitutionnel d’approuver les trois manuels comme ressources éducatives, il n’est pas non plus inconstitutionnel de ne pas les approuver. La Charte n’exige pas que l’on aborde avec les enfants de cinq et six ans, dans le cadre d’un programme scolaire, la question des parents formant un couple de même sexe. Pas plus d’ailleurs que ne l’exige expressément le programme lui‑même. Par conséquent, toute décision quant à savoir si et quand un tel sujet doit être abordé en classe dépend de l’application de la School Act. Comme nous l’avons vu, en l’absence de l’approbation au niveau provincial de matériel didactique traitant de cette question, les conseils scolaires ont le pouvoir discrétionnaire d’approuver ou non le matériel didactique complémentaire : la nature du partage des responsabilités entre le ministre de l’Éducation de la province et les conseils scolaires est claire. Mais auparavant et à la base même de ce partage intervient le rôle primordial et fondamental des parents dans l’éducation morale de leurs enfants : en matière d’éducation, les intérêts de l’État, qu’ils soient locaux ou provinciaux, sont tributaires de ceux des parents.

148 De plus, comme je l’ai indiqué, le programme FP reconnaît lui‑même expressément que [traduction] : « la famille exerce une influence prépondérante sur le développement des attitudes et des valeurs chez l’enfant » (p. 6) et donne plusieurs directives pour aborder des « questions délicates ». Voici certaines de ses recommandations aux enseignants [traduction] : « [r]enseigner les parents sur les objectifs du programme d’études avant d’aborder des questions délicates en classe et leur fournir des occasions de participer aux apprentissages de leurs enfants », « [e]xplorer des solutions de rechange pour permettre aux parents d’aider l’élève à atteindre les résultats d’apprentissage prescrits pour la composante “Épanouissement personnel” » et « [o]btenir le soutien de l’administration scolaire avant de traiter de sujets qui peuvent être jugés délicats » (p. 6). De plus, même si [traduction] « [t]outes les ressources figurant sur la liste des recommandations du ministère ont été passées au crible compte tenu des préoccupations de la province », « les enseignants doivent prendre en considération le point de vue de la collectivité locale pour juger de la valeur d’une ressource » (p. 188 (je souligne)). Ainsi, le programme d’études élaboré par le ministre prévoit clairement que même des ressources approuvées par la province peuvent être jugées contre‑indiquées pour certaines collectivités locales et que les préoccupations des parents au sujet de « questions délicates » représentent un facteur dont l’enseignant peut valablement tenir compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’utiliser ce type de matériel didactique. À mon avis, il n’y a aucune raison qu’un conseil scolaire ne puisse pas aussi prendre en compte ces préoccupations ou controverses lorsqu’il décide s’il y a lieu d’approuver le matériel didactique complémentaire pour usage local.

149 Les manuels sont‑ils « controversés »? Si oui, en quoi le sont‑ils? On allègue qu’ils sont controversés parce qu’ils traitent de la question des parents formant un couple de même sexe. Peut‑on, dans la poursuite des « plus hautes valeurs morales », choisir de ne pas approuver des manuels représentant des parents qui sont des conjoints de même sexe? À mon avis, il est clair, d’après les motifs de la Cour d’appel, qu’on ne peut bien comprendre ce qu’on entend par « les plus hautes valeurs morales » sans y inclure le principe de non‑discrimination. Cependant, est‑ce faire preuve de discrimination que de ne pas illustrer des parents de même sexe à des enfants de maternelle et de première année? Dans l’affirmative, comment doit‑on représenter ces parents? Doit‑on les présenter comme un modèle familial parmi d’autres ou comme l’« équivalent moral » des parents hétérosexuels? Est‑il possible de faire une distinction entre ces deux méthodes de représentation lorsque l’auditoire cible est formé d’enfants de cinq et six ans?

150 La valeur morale de l’union de deux personnes de même sexe est controversée : affirmer le contraire équivaut à fermer les yeux sur la réalité des croyances opposées qui sont à l’origine de la présente affaire. Ce débat moral, toutefois, se distingue nettement de l’affirmation très claire que nul ne peut faire l’objet de discrimination du fait de son orientation sexuelle. Les appelants s’adressent aux tribunaux pour chercher à dissiper la controverse sur cette question morale en affirmant que l’art. 15 et les « valeurs consacrées par la Charte » sont nécessaires pour écarter certaines croyances morales, qui pourraient être à l’origine d’actes discriminatoires dans l’avenir. Or, ce n’est pas nécessairement vrai. Comme nous l’avons vu, nombreux sont les défenseurs fermement engagés du principe de la non‑discrimination et de la dignité inhérente de tout être humain qui, en même temps, désapprouvent la conduite de certaines personnes. Permettre aux tribunaux de s’engager dans ce débat comporte le risque que la protection de l’art. 15 contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle soit systématiquement invoquée pour contrecarrer la liberté de religion et de conscience garantie par l’al. 2a) ainsi que la protection garantie par l’art. 15 contre la discrimination fondée sur des convictions personnelles, religieuses ou autres. Une telle interprétation de la Charte serait incompatible avec la jurisprudence de la Cour, qui ne permet pas l’établissement d’une hiérarchie des droits, ainsi qu’avec l’objet même de la Charte.

151 La « controverse » ou l’inquiétude des parents dont le conseil scolaire a tenu compte lorsqu’il a décidé de ne pas approuver les trois manuels repose, à mon avis, sur deux facteurs: (1) la façon dont sont représentés les parents de même sexe dans les trois manuels et (2) la capacité des élèves de maternelle et de première année de comprendre cette représentation. Il est clair que les manuels ont un contenu normatif, mais ce qu’il faut se demander, c’est ce que comprennent des enfants de cinq et six ans, détermination qui doit être faite du point de vue des parents, qui sont les arbitres de cette question.

152 Je souligne enfin que le contrôle judiciaire de la constitutionnalité consiste à déterminer ce qui constitue une obligation constitutionnelle, essentielle, plutôt que ce qui peut être souhaitable ou non en matière d’éducation ou de préférence personnelle. Il ne s’agit pas en l’espèce pour la Cour de déterminer s’il serait préférable, d’un point de vue pédagogique, que les trois manuels soient approuvés. Je signale à cet égard un commentaire pertinent du juge en chef Burger dans ses motifs au nom de la majorité dans l’arrêt de la Cour suprême des États‑Unis Wisconsin c. Yoder, précité : [traduction] « les tribunaux ne sont pas des conseils scolaires ni des législateurs et ils sont mal outillés pour déterminer la “nécessité” des différents volets d’un programme d’éducation obligatoire mis sur pied par l’État » (p. 235). Par ailleurs, à mon avis, la norme de la décision raisonnable simpliciter s’applique normalement dans les cas où le décideur peut choisir entre différents résultats raisonnables. Ainsi, les tribunaux devraient hésiter à l’utiliser pour limiter dans les faits le décideur à un seul résultat donné. Cela concorde avec l’approche générale de la Cour à l’égard du contrôle judiciaire de l’action administrative. Dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, le juge Iacobucci a rédigé la décision unanime de la Cour où il a décrit cette norme, au par. 80 :

[L]e décideur chargé du contrôle de la décision, et même un décideur appliquant la norme de la décision raisonnable simpliciter, sera souvent tenté de trouver un moyen d’intervenir dans les cas où il aurait lui‑même tiré la conclusion contraire. Les cours d’appel doivent résister à cette tentation. [. . .] La retenue judiciaire s’impose si l’on veut façonner un système de contrôle judiciaire cohérent, rationnel et, à mon sens, judicieux.

B. La décision du conseil scolaire était raisonnable

153 N’étant ni une cour de justice ni un tribunal administratif, le conseil scolaire n’a pas à motiver en détail ses décisions dans ses résolutions. Saisis d’une décision rendue par un conseil scolaire, les tribunaux sont donc obligés de faire certaines conjectures pour déterminer ce qui s’est passé. Une bonne partie des justifications avancées ont manifestement bénéficié d’une telle analyse rétrospective. Il a toutefois été établi que le conseil était de façon générale motivé par des considérations liées à la catégorie d’âge visée et aux préoccupations des parents.

1. Le rôle du conseil scolaire

154 Comme il ressort de la longue analyse qui précède, il est bien établi en droit canadien que les parents sont les principaux responsables de l’éducation morale et religieuse de leurs enfants et que cette responsabilité est ensuite déléguée aux enseignants, aux administrateurs et aux écoles : l’intérêt de l’État est secondaire. En l’espèce, le conseil scolaire est un instrument qui permet, en l’absence d’un consensus clair au niveau provincial (que ce soit sur une question liée au programme d’études ou aux ressources documentaires éducatives), d’obtenir un consensus au niveau local, d’exprimer ce que les parents considèrent comme l’intérêt de leurs enfants. Les décisions prises à cet égard doivent s’inscrire dans le cadre du programme d’études élaboré par la province et, à mon avis, compléter ce cadre en permettant une évaluation plus locale, fondée sur un examen individualisé par les parents des besoins de leurs enfants.

155 Cette interprétation du partage des responsabilités découle clairement, selon moi, de la nature même de la School Act dans la mesure où celle‑ci permet la sélection des « ressources documentaires éducatives » complémentaires au niveau local lorsque la province ne choisit pas les ressources d’apprentissage : les variations locales visent à tenir compte des points de vue des parents et des collectivités locales. Soulignons qu’il est question dans les arrêtés ministériels reproduits plus haut des [traduction] « ressources documentaires éducatives [. . .] qui, selon le conseil, conviennent aux élèves » (je souligne). Cela doit avoir une certaine importance. Sinon, la logique en l’espèce serait plutôt bizarre : en l’absence de consensus quant aux sujets devant faire partie du programme d’études ou quant aux ressources approuvées par la province, les parents, les enseignants ou les groupes d’intérêt qui n’auraient peut‑être pas réussi au niveau provincial (soulignons que M. Chamberlain a tout d’abord soumis sa demande au ministre de l’Éducation) peuvent‑ils exiger qu’un certain sujet soit abordé ou qu’une ressource particulière soit utilisée au niveau local pour un groupe d’âge donné, alors que c’est précisément au niveau local que les parents s’inquiéteront fort probablement de l’utilisation d’un tel matériel didactique pour de si jeunes enfants et ne choisiront fort probablement pas d’eux‑mêmes de l’utiliser? La Charte dicte‑t‑elle les moindres détails du programme d’études, jusqu’à préciser si tel matériel devrait être utilisé en maternelle et en première année plutôt qu’à un niveau plus élevé? Plus précisément, exige‑t‑elle que tous les types de familles soient présentés en maternelle et en première année? À mon avis, la réponse est non.

156 Le conseil scolaire avait deux choix : approuver les manuels ou ne pas les approuver, telle était la question. Si l’on s’en tient aux arguments des appelants, le conseil scolaire n’avait d’autre choix que d’approuver les manuels. Quelle est la meilleure décision en matière d’éducation : permettre que les trois manuels soient utilisés en maternelle et en première année à l’encontre des désirs de certains parents et ensuite exclure certains enfants de la classe comme l’ont proposé les appelants, ou enseigner la tolérance et le respect d’autrui par des méthodes moins controversées et n’aborder la question de l’homosexualité et celle des parents formant un couple de même sexe qu’à un moment où les élèves sont plus aptes à comprendre les questions en cause et plus en mesure de concilier les messages potentiellement contradictoires qu’ils peuvent recevoir sur ces questions? Le choix est difficile. Toutefois, ce choix devait essentiellement être fait au niveau local, comme le prévoit la School Act.

157 Les opinions des conseillers scolaires peuvent varier d’une région à l’autre, notamment en ce qui concerne la pertinence de certaines ressources didactiques dans leur district. Elles peuvent aussi varier au sein d’un même district et les décisions devront être prises par consensus ou, le cas échéant, par vote, comme c’est le cas pour toutes les questions de politique. Non seulement cette réalité permet‑elle de reconnaître les différents points de vue des diverses collectivités de la province, mais la School Act envisage expressément de telles différences. Il n’est donc pas étonnant que ce statu quo entraîne des différences au niveau local entre les districts quant à la nature des listes des « ressources documentaires éducatives ». Par exemple, le juge de première instance a souligné, au par. 97, que l’utilisation de deux des trois manuels a été approuvée dans d’autres districts scolaires de la Colombie‑Britannique. Toute liste locale doit toutefois cadrer avec le programme d’études et ne peut certes pas comporter des documents qui vont à l’encontre des exigences du programme. Enfin, toute variante locale, comme c’est le cas du programme provincial lui‑même, n’est pas immuable : les conseillers scolaires, comme les politiciens provinciaux, devront ultimement faire face aux conséquences de leurs décisions au moment des élections.

158 Lorsqu’il procède à l’évaluation locale des « ressources documentaires éducatives » complémentaires, le conseil scolaire doit se conformer au règlement 8800.1, lequel formule les critères et procédures d’évaluation. Les éléments essentiels de ce règlement sont que les ressources d’apprentissage [traduction] « correspondent aux résultats d’apprentissage et au contenu des cours », « conviennent à la catégorie d’âge visée, à la maturité et aux besoins d’apprentissage de l’élève auquel elles sont destinées », « sont appropriées pour la collectivité dans laquelle elles seront utilisées » et « sont justes, objectives, exemptes de violence gratuite, de propagande et de discrimination, sauf dans les cas où une situation d’enseignement et d’apprentissage nécessite du matériel explicatif pour développer une pensée critique ». Le règlement prévoit également la procédure à suivre pour obtenir l’approbation du matériel. Il indique tout d’abord que la responsabilité de la sélection des ressources incombe au directeur général de l’enseignement et aux autres employés professionnels du conseil. Il précise en outre que, pour les « sujets controversés », le conseil [traduction] « s’attend à l’exercice du jugement professionnel et à la consultation d’autres intéressés, dont les parents et les collègues professionnels, au besoin ». Le règlement 8800.1 est complété par la politique 8425 qui concerne tout spécialement la sélection du matériel didactique pour le programme FP. Elle rappelle qu’il est nécessaire de s’en tenir aux ressources [traduction] « qui conviennent à la catégorie d’âge visée et à l’épanouissement des élèves » et, en outre, de faire participer les parents, les élèves et le personnel à l’examen du matériel didactique.

2. Les motifs du directeur général et du conseil et leur pertinence pour les exigences du programme d’études

159 La demande initiale d’approbation des trois manuels présentée par M. Chamberlain a été examinée par le CSE, conformément au règlement 8800.1. Le CSE était présidé par le directeur général Renihan. Ce dernier a exprimé sa position sur les trois manuels :

[traduction] Me fondant sur mon expérience en matière d’éducation et de programme d’études, notamment lorsque j’ai occupé les postes de sous‑ministre adjoint, programme d’études et évaluation (1989 à 1993), et de directeur exécutif, programme d’études et instruction (1987 à 1998) pour le ministère de l’Éducation de la Saskatchewan, je me suis demandé si les trois manuels convenaient pour la maternelle et la première année. Le programme de Formation personnelle M à 7 traite des modèles familiaux mais n’aborde pas expressément la question de l’homosexualité ni celle des couples de même sexe. À mon avis, les trois manuels n’étaient pas nécessaires à l’atteinte des objectifs d’apprentissage du programme FP M à 7. J’estimais que, si le ministère avait voulu que l’homosexualité et/ou les modèles de familles homoparentales fassent partie du programme FP M à 7, vu la nature litigieuse et délicate du sujet, il l’aurait expressément mentionné dans l’Ensemble de ressources intégrées (« ERI ») du ministère. Il ne l’a pas fait et il n’a pas inclus non plus d’autre matériel sur l’homosexualité ou les couples de même sexe pour la maternelle et la première année. J’ai donc pensé que toute décision du district d’approuver de tels manuels provoquerait une vive controverse chez les parents du district et qu’une décision à cet égard doit émaner des membres du conseil en tant que représentants élus de la collectivité. Je voulais également préserver le droit des parents d’être les principaux éducateurs pour le développement des attitudes et des valeurs chez les enfants de maternelle et de première année. Il m’était difficile de conclure que, si l’école approuvait les trois manuels pour la maternelle et la première année, elle jouerait un rôle de soutien et maintiendrait le partenariat entre la maison et l’école.

Il estimait notamment que les manuels ne convenaient vraisemblablement pas à la catégorie d’âge visée, qu’ils n’étaient pas nécessaires pour l’atteinte des objectifs du programme FP et que leur approbation inquiéterait vraisemblablement les parents, vu en particulier qu’aucun matériel analogue n’a été approuvé au niveau provincial. Comme il le mentionne dans son affidavit, les autres membres du CSE ont, de façon générale, souscrit à son opinion professionnelle:

[traduction] Après examen des trois manuels par Cynthia Lewis, Maureen MacDonald, le CSE, Wayne Taylor et moi‑même, et compte tenu de nos préoccupations communes, nous avons décidé de ne pas recommander au conseil d’approuver les trois manuels et, en particulier, de seulement demander dans le mémo joint aux trois manuels et adressé au conseil que « le conseil examine (les trois manuels) ». [Souligné dans l’original.]

Le renvoi de la question au conseil est conforme au règlement 8800.1 et à la politique 8425.

160 Le conseil a ensuite examiné les trois manuels. Les conseillers ont tenu compte du fait que le CSE n’avait pas « recommandé d’approuver » les manuels : la conseillère Polak a dit qu’elle [traduction] « savait que les cadres du district [. . .] sont hautement qualifiés en ce qui concerne les ressources d’apprentissage prescrites pour le programme d’études et [qu’elle] a dûment pris note du fait qu’ils n’avaient pas recommandé l’approbation des manuels ».

161 Quatre des six conseillers estimaient que les trois manuels ne convenaient pas pour des élèves de maternelle et de première année. Le conseil scolaire ne disposait pas de tous les avis d’experts qui ont été versés au dossier. Ces quatre conseillers ont voté selon leur conscience, incapables de conclure, en se fondant sur ce qu’ils comprenaient des inquiétudes des parents et des exigences du programme d’études, que de tels documents éducatifs devaient être approuvés pour la maternelle et la première année. Les préoccupations des parents constituaient une considération valide et laïque. Les deux autres conseillers ont voté contre la résolution, en faveur de l’approbation des trois manuels.

162 La conseillère Mary R. Polak dit dans son affidavit :

[traduction] Les questions qui, à mon avis se rapportent à la motion concernant les trois manuels sont les suivantes :

1. Les trois manuels abordent‑ils le sujet d’une manière appropriée compte tenu de l’âge et de la maturité des enfants de maternelle et de première année ainsi que de leurs besoins d’apprentissage?

2. Les trois manuels sont‑ils nécessaires compte tenu des résultats d’apprentissage prescrits pour le programme de Formation personnelle de la maternelle à la septième année?

3. Les trois manuels abordent‑ils le sujet d’une manière qui tienne compte des besoins et des valeurs de la collectivité de Surrey, y compris les parents?

Il est clair que ces considérations sont appropriées et cadrent avec la School Act, le règlement 8800.1 et la politique 8425.

163 De plus, dans son affidavit, dont l’exactitude est attestée dans l’affidavit du directeur général Renihan, la conseillère Polak décrit les divers arguments avancés par les conseillers pour étayer leur position respective :

[traduction] La discussion du conseil a porté principalement sur le fait que les trois manuels soulèvent des questions de nature délicate qui commandent la participation des parents et la prise en compte de leurs préoccupations, conformément à la politique 8800 et son règlement d’application ainsi qu’à la nouvelle politique 8425.

Le conseiller Chisholm a indiqué au conseil qu’il n’appuierait pas la motion concernant les trois manuels parce qu’ils n’allaient servir qu’à amorcer la discussion en classe.

La conseillère Stilwell a répondu à M. Chisholm que c’était exactement ce qui la préoccupait: les trois manuels serviraient à amorcer une discussion sur une question délicate, sans la participation des parents. Elle a déclaré qu’il ne serait pas indiqué, à son avis, d’engager en classe une discussion sur ce sujet délicat sans faire intervenir les parents.

Le conseiller Tymoschuk a parlé en faveur de la motion concernant les trois manuels. Il a indiqué qu’il avait essentiellement deux inquiétudes quant à l’approbation des trois manuels comme ressources d’apprentissage pour la maternelle et la première année. Il craignait tout d’abord qu’advenant l’approbation des trois manuels par le conseil, tous les élèves de maternelle et de première année du district ne soient exposés aux questions qu’ils soulèvent. Les parents n’auraient pas vraiment le choix quant à savoir s’ils souhaitaient que leurs enfants soient exposés à de telles questions. Le conseiller Tymoschuk a ensuite indiqué au conseil qu’il avait « fait ses devoirs » avant la réunion. Il a dit avoir lu les trois manuels au moins deux fois avec sa femme. Il avait alors un enfant en maternelle et il a déclaré au conseil que sa femme et lui avaient examiné les trois manuels en tant que parents. Il a dit que sa femme et lui avaient conclu que les trois manuels ne convenaient pas pour la maternelle et la première année parce qu’ils pouvaient créer de la confusion et donner lieu à des conflits. Il a déclaré au conseil qu’il estimait, en tant que parent, que la majorité des enfants de maternelle et de première année sont curieux de nature et que si les trois manuels étaient utilisés dans les salles de classe de Surrey, les élèves de maternelle et de première année commenceraient à poser des questions sur des sujets que, vu leur nature délicate, de nombreux parents ne voudraient pas aborder avec de si jeunes enfants.

164 Ce qui a beaucoup influé sur la décision du conseil concernant les trois manuels, c’est que, comme on l’a vu dans la citation du directeur général Renihan, les « ressources d’apprentissage recommandées » au niveau provincial par le ministère de l’Éducation dans l’Ensemble de ressources intégrées pour la maternelle et la première année, particulièrement la sous‑composante « Éducation à la vie familiale » de la composante « Épanouissement personnel », ne comprenaient pas à l’époque d’autres ressources traitant expressément de l’homosexualité ou des couples de même sexe ou familles homoparentales. En fait, à cette époque, ce sujet n’était abordé dans aucune des « ressources documentaires éducatives » approuvées au niveau provincial pour les différentes composantes du programme d’études pour la maternelle et la première année.

165 Comme l’a souligné le Juge en chef dans ses motifs, en octobre 1996, le ministre de l’Éducation de la Colombie‑Britannique, l’honorable Moe Sihota, a fait des déclarations publiques qui semblaient indiquer que les familles homoparentales faisaient partie des modèles familiaux qui, selon lui, pouvaient être présentés dans le cadre du programme FP. Il a fait ces déclarations alors que le ministère avait jusqu’à ce moment refusé d’approuver au niveau provincial les trois manuels dont il est question en l’espèce et n’avait en outre pas approuvé de « ressources d’apprentissage » pour appuyer un tel enseignement. C’est ainsi que la présente action a été intentée, M. Chamberlain s’étant adressé à l’administration locale après l’échec de sa demande d’approbation auprès du ministre.

166 À mon avis, ce que le ministre de l’Éducation pensait personnellement n’est qu’un point de vue parmi d’autres, compte tenu surtout du fait que son ministère n’a pas pris de mesures concrètes pour inclure dans le programme d’études de maternelle et de première année une ressource didactique sur le sujet. La question plus importante est la suivante : qu’exige en réalité le programme FP, en matière de ressources documentaires éducatives, pour atteindre ses objectifs? Dans ses motifs, le Juge en chef a soutenu que la résolution est déraisonnable, car elle contredit directement l’objet ou les exigences du programme d’études. Je ne suis pas d’accord : le programme d’études n’indique pas que la question des parents formant un couple de même sexe doit être abordée en maternelle et en première année. De plus, dans le contexte d’un contrôle judiciaire, je suis conscient de la nécessité de tenir compte non seulement des perceptions des parents, mais aussi des points de vue des professionnels de l’éducation qui ont évalué le matériel didactique avant de soumettre la question au conseil scolaire pour qu’il prenne une décision finale.

167 La résolution est‑elle conforme aux exigences du programme d’études? Il est précisé dans la sous‑composante « Éducation à la vie familiale » qu’on s’attend à ce que l’élève puisse « décrire divers types de familles ». À mon avis, cet énoncé n’appuie pas l’interprétation du Juge en chef que « les enfants en maternelle et en première année devraient discuter de tous les types de familles [. . .] que l’on trouve dans la collectivité » (par. 67) et que le « résultat d’apprentissage prescrit » consiste à « discuter en classe de tous les types de familles et [à] les comprendre » (par. 71). Le conseil scolaire doit avoir une certaine latitude pour refuser d’approuver un manuel, peu importe qu’il concerne en réalité des « modèles familiaux » au sens le plus large du concept. Selon les motifs du Juge en chef, il semblerait qu’un conseil scolaire ne puisse exclure aucun manuel concernant des modèles familiaux parce que ce serait contraire à ce qui est mentionné dans le programme d’études, à savoir qu’il faut aborder « divers types de familles ». Mais il est sûrement possible d’imaginer certains modèles familiaux que des parents préféreraient ne pas être présentés à des enfants de cinq et six ans, même s’ils existent dans notre société. Je souligne qu’à l’époque du procès, seulement trois manuels avaient été approuvés par la province, ce qui permet de penser que, même si le programme d’études comportait l’engagement de présenter « divers » modèles familiaux, la liste provinciale était loin de satisfaire à un critère d’exhaustivité dans sa présentation des familles.

168 Pour atteindre, en maternelle et en première année, les « résultats d’apprentissage prescrits » pour la sous‑composante « Éducation à la vie familiale », il fallait demander aux élèves de dessiner et de décrire par écrit leur famille ainsi que de parler entre eux de leurs familles. Il est évident que, dans le cas où un enfant de la classe avait des parents de même sexe, ces activités soulèveraient la question des parents de même sexe. Même dans un tel cas, toutefois, il n’est pas nécessaire que l’utilisation de ressources documentaires éducatives présentant des parents de même sexe soit approuvée pour toutes les classes dans un district scolaire donné. Comme je l’examinerai plus loin, il peut y avoir des cas où les enseignants jugent nécessaire, à leur discrétion évidemment, de discuter des familles homoparentales et peut‑être même d’utiliser à cette fin du matériel didactique en classe.

169 Je pense également que le contexte global du programme d’études du conseil de Surrey est pertinent, le dossier indiquant que, dans les niveaux plus avancés, certains des aspects les plus compliqués de la sexualité humaine, dont l’homosexualité, sont présentés aux élèves plus âgés. C’est là reconnaître le fait que l’éducation des enfants se poursuit tout au long de leur formation scolaire : par conséquent, il n’est pas nécessaire d’aborder tous les sujets au cours des deux premières années. Il devient donc évident qu’il n’est pas question en l’espèce d’examiner un cadre éducatif où la question de l’homosexualité est complètement exclue de l’école. En outre, comme l’a conclu la Cour d’appel, il est clair que le conseil scolaire a une politique antidiscrimination sévère, une politique qui est prise au sérieux. Le contexte de l’affaire donc amène à conclure que le conseil scolaire favorise de façon générale les valeurs d’égalité et de non‑discrimination consacrées par la Charte.

170 À mon avis, ces considérations appuient la conclusion du conseil et de son personnel professionnel que les manuels n’étaient pas essentiels pour atteindre les objectifs fixés par le programme d’études. Même si je suis d’accord avec le Juge en chef pour dire que la pertinence du matériel par rapport aux objectifs est une considération importante dans toute décision d’approuver des ressources complémentaires, je ne considère pas qu’elle est déterminante en l’espèce. En fait, les raisons fournies par M. Renihan et la discussion qui s’est déroulée au conseil laissent entendre qu’on présumait de la pertinence des trois manuels par rapport à l’objectif du programme d’études de représenter divers types de familles. Le débat portait sur la nécessité d’utiliser ce matériel pour atteindre les objectifs du programme d’études en maternelle et en première année. La pertinence n’est qu’un des facteurs en jeu; autrement, comme nous en avons discuté, le conseil n’aurait d’autre choix que d’approuver toutes les ressources pertinentes (c’est‑à‑dire tous les manuels concernant les familles) dont les parents, les enseignants ou les groupes d’intérêt demanderaient l’utilisation, ce qui serait incompatible avec le pouvoir discrétionnaire que le législateur a clairement conféré au conseil. Comme je l’ai expliqué, les préoccupations des parents quant à savoir si les manuels convenaient à l’âge des enfants et quant à leurs effets sur leur propre capacité de transmettre leurs convictions religieuses à leurs enfants faisaient également partie des facteurs que le conseil était en droit de prendre en considération.

171 Qu’en est‑il des manuels eux‑mêmes? Contiennent‑ils un message neutre? Il est clair que si M. Chamberlain a proposé l’approbation des manuels et que ceux‑ci se trouvent sur la liste des ressources recommandées par le groupe GALE, c’est que leur contenu normatif représente de façon positive des parents formant un couple de même sexe. Les appelants prétendent que les manuels sont inoffensifs dans la mesure où ils ne se prononcent pas sur le caractère bon ou mauvais, d’un point de vue moral, de l’union homosexuelle ou des parents de même sexe : ils ne font que montrer que de telles familles existent parmi tant d’autres modèles familiaux. Il est donc allégué qu’ils traitent simplement de la tolérance envers les autres et de l’apprentissage de la non‑discrimination. Ils adhèrent ainsi aux valeurs qui émanent directement de la Charte.

172 Pour l’intimé, les parents de l’endroit s’inquiètent du fait que les manuels mettent sur un pied d’égalité du point de vue moral les parents de même sexe et les parents hétérosexuels, c’est‑à‑dire qu’il existe de nombreux types d’unions et qu’aucune n’est meilleure ni pire qu’une autre. Il s’agit d’un message moral et d’un message moral qui inquiète ces parents puisqu’ils désapprouvent les unions de même sexe. C’est l’assimilation sur le plan moral des parents homosexuels aux parents hétérosexuels qui est implicite dans les trois manuels puisqu’il y est question de « mamans » et de « papas » homosexuels. Le message qui a causé de l’inquiétude, d’après l’affidavit de l’un des parents, est que : [traduction] « Pour mes enfants, les papas et les mamans sont une bonne chose et, par conséquent, le mode de vie des papas et des mamans dans les histoires racontées doit être acceptable ».

173 Un autre sujet d’inquiétude est que la curiosité naturelle des enfants les amènera à poser au sujet de l’homosexualité des questions que des parents n’aiment pas voir abordées à l’école. Par exemple, étant donné que les notions de base concernant la reproduction humaine, phénomène intrinsèquement hétérosexuel, font partie du programme d’études en maternelle et en première année, on s’inquiète de la possibilité que, lorsque la question des « mamans » et des « papas » se posera, la présence de deux « mamans » ou de deux « papas » puisse exposer certains enfants à des problèmes ou à des questions qui pourraient sembler, de l’avis de certains parents, trop compliqués pour des enfants âgés de cinq ou six ans. Ce point de vue était partagé par un membre du CSE, la directrice du district de Surrey, Cynthia Lewis :

[traduction] D’après mon expérience en matière de programme d’études, les histoires contenues dans les trois manuels m’apparaissent relativement inoffensives, mais les questions sociales qui les sous‑tendent sont délicates. Elles sont délicates parce qu’elles soulèvent la question sociale des couples de même sexe. Le message de tolérance et d’inclusion est nécessaire à tous les niveaux, mais les trois manuels doivent servir à aborder des questions sociales beaucoup plus vastes. À mon avis, à moins qu’un enfant n’ait déjà connu des parents de même sexe, ce sujet pourrait être incompréhensible ou déroutant s’il était abordé en maternelle ou en première année. Il y a risque de mauvaise interprétation si l’utilisation des trois manuels devait être autorisée pour tous les élèves de maternelle et de première année.

174 Les experts ont essentiellement présenté deux points de vue opposés sur ces trois livres. D’un côté, on considère simplement que les manuels ont pour thème principal la non‑discrimination, la question des parents formant un couple de même sexe n’étant abordée que de manière accessoire. Les manuels portent donc sur l’acceptation des autres. D’autres considèrent que, sans égard au thème valable et avancé de l’acceptation des autres, un message différent est aussi transmis : les parents de même sexe sont présentés comme une chose « normale » puisqu’on en fait une représentation positive.

175 À mon avis, l’un des manuels porte clairement un jugement moral sur les unions de même sexe : Asha’s Mums. On y trouve l’échange suivant :

[traduction] Lorsque mon tour est venu de parler de mon dessin, j’ai dit : « C’est mon frère Marc et mes mamans et moi. Nous sommes en route pour le centre des sciences. »

Coreen a dit: « Comment ça se fait que tu as deux mamans? »

J’ai dit: « Parce que c’est comme ça. »

« Tu ne peux pas avoir deux mamans », a insisté Judi.

« Oui, elle peut », a dit Rita en se tournant sur son siège.

« Tout comme tu peux avoir deux tantes, et deux papas, et deux grands‑mamans », a crié Diane qui se trouvait à l’autre bout de la pièce.

Diane aime bien crier.

« Tu vois », ai‑je dit à Coreen.

« Ma maman et mon papa ont dit que tu ne peux pas avoir deux mamans qui vivent ensemble. Mon papa dit que ce n’est pas bien », a insisté Coreen.

Je lui ai dit « Ce n’est pas mal. Mes mamans ont dit que nous formons une famille parce que nous habitons ensemble et que nous nous aimons. »

« Mais comment peux‑tu en avoir deux? » a demandé Judi.

Avant que je puisse répondre, Terrence a dit à Mme Samuels: « Est‑ce que c’est mal d’avoir deux mamans? »

« Et bien . . . » a commencé à dire Mme Samuels, mais Diane a crié: « Ce n’est pas mal si elles sont gentilles avec toi et si tu les aimes. » [Je souligne.]

À mon avis, ces passages soulèvent la question de la moralité d’une union de parents de même sexe et ils portent un jugement sur leurs qualités morales.

176 Les deux autres manuels contiennent des messages plus subtils. Dans One Dad, Two Dads, Brown Dad, Blue Dads, le thème principal abordé semble être la discrimination raciale puisque c’est la couleur bleue ou la couleur verte des papas qui y est présentée comme normale. L’un des deux principaux personnages, Lou, a deux papas bleus. Lou explique comment ses papas bleus sont comme tous les autres papas : ils parlent, ils chantent et ils mangent même des biscuits au lit. L’histoire se poursuit ensuite, la discussion portant sur « la raison pour laquelle ils sont devenus ainsi ». La réponse est claire : [traduction] « Ils étaient bleus lorsque je les ai eus et ils sont encore bleus. Et ce n’est pas à cause d’un jus, ou d’un jouet, ou d’une pilule. » Le manuel se termine sur l’hypothèse qu’il existe peut‑être des papas verts. Entre en scène Jean qui dit : [traduction] « J’ai deux papas qui sont tous les deux verts. »

177 Belinda’s Bouquet raconte l’histoire d’une fillette souffrant d’embonpoint dont se moque un chauffeur d’autobus méchant. Après l’incident, Belinda rend visite à son meilleur ami Daniel et est réconfortée par la (première) mère de Daniel : [traduction] « Belinda, tu diras au chauffeur d’autobus que ton corps t’appartient [. . .] Ton poids ne regarde que toi. » Belinda répond qu’elle ne mangera pas son repas : « Je vais faire un régime, dit‑elle. Peut‑être que si j’arrête de manger autant, je ne serai pas grosse. » La mère essaie ensuite d’amener Belinda à avoir confiance en elle‑même en lui racontant une histoire ou une fable au sujet de la croissance des plantes; dans cette histoire, une femme a fait un jardin et a essayé de faire en sorte que toutes les plantes soient pareilles en donnant à certaines plantes moins de nourriture, de soleil et d’eau qu’à d’autres. Nous apprenons ensuite que les fleurs sous‑alimentées se sont flétries si bien que la femme, réalisant sa sottise, les a arrosées, les laissant boire à satiété. Les enfants demandent ce qui est arrivé aux fleurs et la mère répond, en pointant du doigt vers l’extérieur, où la femme de l’histoire/de la fable qui, nous l’apprenons maintenant est la deuxième maman, s’occupe d’une multitude de plantes en santé. Belinda se dépêche alors de finir sa collation pour éviter [traduction] « de dépérir et de mourir ». Tout le monde mange ensuite une collation dans la cuisine en compagnie des deux « mamans ». Le livre porte clairement sur l’estime de soi de Belinda, la différence essentielle étant que l’histoire se passe dans un foyer non traditionnel.

178 À mon avis, la différence qui existe entre les deux attitudes générales à l’égard des trois manuels soulève la question de savoir s’il est possible de présenter à des enfants de cinq et six ans des parents formant un couple de même sexe d’une manière qui fasse ressortir la distinction subtile entre la promotion tout à fait appropriée de la lutte contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et la non‑imposition d’un jugement sur la question controversée de savoir si les unions homosexuelles (c’est‑à‑dire les personnes agissant en fonction de leur orientation sexuelle) sont moralement acceptables. Cette question concerne la notion de la « catégorie d’âge visée » : les enfants de cinq et six ans ont‑ils le discernement nécessaire pour comprendre qu’il s’agit de la représentation d’une « autre façon d’être » qui ne doit pas donner prise à la discrimination, sans pour autant considérer qu’il s’agit d’une « autre façon d’être tout aussi acceptable »? La deuxième question factuelle concerne l’importance accordée dans les témoignages des experts et dans ceux des parents au fait que la présentation aux enfants à l’école et à la maison de deux points de vue différents sur les unions de même sexe puisse entraîner un conflit d’autorité donnant lieu à la « dissonance cognitive » chez les enfants.

179 En ce qui concerne le facteur de la catégorie d’âge visée et la dissonance cognitive, les experts ont des points de vue partagés, ce qui n’a rien d’étonnant. Cela dit, les points de vue des experts, plausibles dans les deux cas, sont accessoires puisqu’en matière d’éducation ce sont les opinions des parents qui priment et qui sont protégés par la Constitution. Ce sont les parents qui sont les mieux placés pour examiner la manière dont leurs enfants perçoivent les choses ainsi que la possibilité que des manuels qui présentent des parents formant un couple de même sexe les amènent à poser des questions qui, selon eux, ne devraient pas être abordées à cinq et six ans.

180 Se fondant sur leur perception des inquiétudes des parents, les conseillers scolaires ont estimé que le contenu des manuels ne convenait pas pour des enfants de cinq et six ans. C’est une détermination qui incombe légitimement aux parents. En l’absence d’une décision au niveau provincial, l’avantage de la prise d’une décision au niveau local est, comme on l’a vu, que les parents peuvent effectuer une analyse individualisée de ce qui est préférable pour leurs enfants et faire valoir ce point de vue devant leur conseil scolaire. L’évaluation de la dissonance cognitive pourrait nécessiter l’examen de centaines de pages de témoignages quant à savoir si certaines théories de la psychologie du développement de l’enfant sont convaincantes ou non. Les tribunaux sont peu en mesure d’effectuer une telle analyse. Quoi qu’il en soit, il est évident que les avis d’experts, offerts après coup et convaincants ou non, ne peuvent remettre en question les décisions que des parents ont prises et ont communiquées à leurs représentants au conseil scolaire. Il ne saurait y avoir exception que dans les cas où il pourrait être démontré que les points de vue et les décisions des parents ne sont pas dans l’« intérêt » des enfants, ce qui n’est manifestement pas le cas en l’espèce.

181 Étant donné que les parents ont l’impression que les trois manuels ne conviennent pas à l’âge des enfants et risquent d’entraîner une dissonance cognitive, il faut soulever un autre facteur, mentionné par plusieurs parents : les enseignants sont des symboles d’autorité pour les jeunes enfants. Les parents ont ainsi exprimé cette préoccupation :

[traduction] Mes enfants voient leurs enseignants comme des symboles d’autorité et considéreraient, sans se poser de questions, leurs points de vue sur l’homosexualité et les unions de même sexe comme crédibles et corrects.

Nous apprenons aussi à nos enfants à respecter les autorités, y compris leurs enseignants, et à leur obéir. Aux stades de la maternelle et de la première année, nous ne croyons pas que nos enfants puissent comprendre l’opposition entre ce que nous tentons de leur inculquer [. . .] et ce qui peut leur être enseigné à l’école.

Les enseignants exercent une grande influence dans la vie des enfants, en particulier dans les premières années d’école. C’est vrai pour [ma fille] car je lui ai enseigné à respecter l’autorité des enseignants.

La Cour a fait une remarque quasi identique dans Ross, précité, par. 43 :

En raison de la position de confiance qu’ils occupent, [les enseignants] exercent une influence considérable sur leurs élèves. Le comportement d’un enseignant influe directement sur la perception qu’a la collectivité de sa capacité d’occuper une telle position de confiance et d’influence, ainsi que sur la confiance des citoyens dans le système scolaire public en général.

De plus, et de façon particulièrement pertinente eu égard aux faits de la présente espèce, la Cour a ajouté dans Ross, par. 82 : « Les jeunes enfants sont particulièrement vulnérables aux messages transmis par leurs enseignants. » Étant donné que les parents en l’espèce ont communiqué leurs points de vue au conseil scolaire, exiger que le matériel didactique soit approuvé directement porte atteinte à l’autorité des parents, autorité qu’ils n’ont déléguée qu’à certaines conditions aux enseignants et aux écoles publiques.

182 La résolution concernant les trois manuels ne visait qu’à confirmer que les trois manuels ne faisaient pas partie des ressources documentaires éducatives approuvées. Elle indiquait simplement que leur utilisation n’était pas approuvée de manière générale pour toutes les classes pour l’enseignement du programme d’études. Elle n’empêche pas un changement de point de vue, au niveau local ou provincial. Si le conseil scolaire ou le ministère de l’Éducation de la province décidait d’utiliser en maternelle et en première année des manuels qui représentent des parents formant un couple de même sexe, les enseignants pourraient les utiliser à leur discrétion.

183 De plus, la résolution ne précise pas si les trois manuels pourraient être approuvés comme ressources documentaires. Bien que la Cour n’ait pas été saisie expressément de cette question, je conviens avec la Cour d’appel que les critères énoncés par le conseil dans le règlement 8800.1 ne révèlent aucun motif qui le contraindrait à ne pas approuver les manuels comme ressources documentaires. Notamment, les critères d’approbation de telles ressources ne comprennent pas l’exigence que les manuels soient « approprié[s] pour la collectivité dans laquelle [ils] seront utilisé[s] », ce qui était un élément essentiel du refus du conseil de les approuver comme ressources d’apprentissage recommandées.

184 Comme je l’ai souligné, les « résultats d’apprentissage prescrits » du programme FP pour la maternelle et la première année pourraient, dans le cas où un élève de la classe a des parents de même sexe, soulever en classe la question des parents formant un couple de même sexe. Toutefois, en dehors du programme d’études, il existe de nombreuses autres occasions où cette question pourrait se poser dans le cas d’un enfant dont les parents sont de même sexe : par exemple la nuit passée chez un ami, les fêtes d’anniversaire, les autorisations pour les sorties éducatives (comme dans Asha’s Mums), le covoiturage, les parents accompagnateurs. Dans de telles circonstances, les enseignants peuvent juger nécessaire d’aborder cette question. De plus, comme l’a fait remarquer à juste titre la Cour d’appel, si les livres devaient être approuvés comme ressources documentaires, leur utilisation en classe pourrait dans ce cas être appropriée, sous réserve du droit des parents d’en être informés et, comme il est indiqué plus bas, de choisir de retirer leurs enfants de l’activité. C’est différent toutefois d’inclure un tel sujet dans le matériel didactique dont l’utilisation est approuvée généralement pour toutes les classes du district scolaire. Pour ce qui est de cette solution de rechange, je souligne qu’en fait certains parents qui ont produit des affidavits pour étayer la position des intimés ont mentionné une variante de cette solution. Des parents ont mentionné :

[traduction] Nous ne proposons pas que les trois manuels ne soient jamais utilisés en aucun cas. Par exemple, nous serions d’accord pour qu’ils puissent être présentés individuellement à des enfants lorsque l’enfant a une certaine expérience des couples de même sexe. Toutefois, nous ne préconisons pas leur utilisation pour tous les élèves d’une classe afin de leur présenter un couple homosexuel . . .

Si, dans le cas où il y a dans la classe un enfant dont les parents sont de même sexe, certains parents cherchent à s’opposer à ce que leurs enfants ne soient pas exposés à la question de l’homosexualité, ceux‑ci devraient peut‑être pouvoir se retirer de la classe quelques instants. Je souligne que certains conseils scolaires, sachant que des parents pourraient souhaiter que leurs enfants soient « dispensés » de l’enseignement d’un certain sujet, ont prévu des mécanismes par lesquels les parents sont avertis lorsque des questions délicates ou controversées seront soulevées. Ces mécanismes sont conçus de manière à respecter le rôle primordial des parents garanti par la Constitution dans l’éducation morale de leurs enfants. Enfin, comme on l’a vu dans Adler, la réponse ultime des parents serait de retirer leurs enfants du système d’enseignement public. Toutefois, on devrait à mon avis considérer qu’il s’agit d’une solution de dernier ressort et non d’une solution de rechange naturelle lorsqu’il est possible d’établir un équilibre acceptable entre les préoccupations des parents au niveau local et un programme global de tolérance. Lorsqu’un tel équilibre est possible, comme c’est le cas en l’espèce, garder les enfants concernés dans le système d’enseignement public ne peut que favoriser et renforcer le message de respect et de tolérance qu’il vise à inculquer.

185 Un autre cas où pourrait se soulever la question de l’homosexualité ou des familles homoparentales en maternelle et en première année serait à l’occasion de harcèlement sous forme d’insultes ou d’injures. On a allégué devant la Cour que les insultes liées à l’orientation sexuelle sont communes dans le milieu scolaire et sont souvent proférées par des jeunes enfants qui ne comprennent absolument pas ce qu’elles veulent dire. En pareils cas, on s’attendrait à ce que l’enseignant ou l’administration prenne des mesures : un tel comportement discriminatoire est inacceptable et il faut reconnaître le pouvoir discrétionnaire des enseignants de le combattre en abordant la question de l’orientation sexuelle dans des cas précis. Cela dit, les insultes sont un problème tout à fait distinct de celui dont il était question en l’espèce.

186 La présente espèce concerne les choix de politique qui interviennent dans la mise en œuvre du programme d’études, décisions qui relèvent de la province ou du conseil scolaire en cause. La Constitution n’exige pas que les enfants de cinq et six ans soient exposés à des ressources documentaires éducatives qui représentent des parents formant un couple de même sexe, surtout lorsque des parents craignent que ces ressources ne soient déroutantes pour des enfants auxquels ils souhaitent apprendre la distinction subtile, mais essentielle aux yeux de certains, entre la réalité d’une part et un comportement qui peut ne pas être moralement correct d’autre part.

VII. Conclusion

187 Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens en faveur de l’intimé devant toutes les cours.

Version française des motifs rendus par

Le juge LeBel —

I. Introduction

188 J’ai pris connaissance des motifs de jugement de madame le Juge en chef et je souscris au dispositif qu’elle propose dans le présent pourvoi. Je conviens avec elle qu’il peut être tranché selon les principes du droit administratif. Je souscris également, dans une large mesure, au contenu de l’analyse qu’elle fait de ces principes et de leur application en l’espèce. Cependant, je ne partage ni sa façon de qualifier le problème que pose la résolution du conseil scolaire, ni son opinion quant à la méthodologie qui devrait être appliquée à l’examen de ce problème. À mon avis, la décision du conseil scolaire ne peut être confirmée même selon la norme qui commande la plus grande retenue, car elle est manifestement déraisonnable. Il est donc inutile de procéder à l’analyse complète des divers facteurs servant à déterminer la norme de contrôle judiciaire applicable.

189 Le conseil scolaire a pris sa décision d’une manière si contraire à sa loi constitutive qu’elle est non seulement déraisonnable, mais encore illégale. La School Act, R.S.B.C. 1996, ch. 412, oblige le conseil à diriger toutes les écoles selon des principes strictement laïques et non confessionnels. La principale préoccupation qui a motivé la décision du conseil scolaire est de tenir compte des croyances religieuses et morales de certains parents — l’homosexualité est répréhensible — qui les amènent à refuser que leurs enfants soient exposés à des livres d’histoires illustrant des familles homoparentales. Le conseil scolaire s’est laissé décisivement influencer par le refus de certains parents d’approuver un point de vue et un mode de vie différents des leurs. La question est donc de savoir si les conseillers ont respecté le mandat énoncé dans la Loi. Raisonnable ou non, une décision fondée sur de tels motifs ne saurait être qualifiée de laïque ou de non confessionnelle au sens de la Loi, quelle que soit l’interprétation plausible. En conséquence, la décision qui a été prise contrevient à la Loi, est manifestement déraisonnable et doit être annulée.

II. La méthodologie applicable au contrôle de la décision du conseil scolaire

190 Aussi intéressante qu’elle puisse être, l’analyse de la norme de contrôle applicable me semble dévier de la véritable question qui se pose en l’espèce. L’approche pragmatique et fonctionnelle s’est révélée utile dans le cas des décisions juridictionnelles ou quasi judiciaires de tribunaux administratifs. Cependant, il existe des limites à l’utilité de l’appliquer intégralement dans un autre contexte.

191 Lorsque l’organisme administratif dont les décisions sont contestées est non pas un tribunal administratif, mais plutôt un corps élu doté du pouvoir délégué de prendre des décisions de politique générale, la fonction première des cours de justice consiste à décider s’il a agi dans les limites du pouvoir dont il est investi. Elles doivent respecter la responsabilité de ces organismes de servir ceux qui les ont élus et, en règle générale, elles interprètent de façon libérale les pouvoirs que leur confère la loi (voir Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231, p. 244, le juge McLachlin (aujourd’hui Juge en chef); Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd., [2000] 1 R.C.S. 342, 2000 CSC 13, par. 36; 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c. Hudson (Ville), [2001] 2 R.C.S. 241, 2001 CSC 40, par. 23). Les décisions ou actions de tels organismes administratifs seront invalidées si elles outrepassent nettement les limites expresses ou implicites de leurs pouvoirs. En l’espèce, l’application automatique d’un critère établi en fonction d’un type d’organisme administratif tout à fait différent non seulement est inutile, mais peut aussi engendrer des difficultés sur le plan pratique et des incertitudes quant à savoir dans quels cas il peut y avoir contrôle judiciaire.

192 Lorsqu’une cour de justice est appelée à contrôler la décision juridictionnelle d’un tribunal administratif, elle doit d’abord et avant tout se demander dans quels cas le législateur veut que le contrôle judiciaire soit effectué. Il faut se rappeler à cet égard que le législateur a décidé de dessaisir les cours de justice de cette question pour la confier essentiellement au tribunal administratif. Il faut également avoir à l’esprit l’axiome selon lequel le pouvoir discrétionnaire de l’organisme administratif n’est pas absolu. L’étendue du pouvoir discrétionnaire d’un tribunal administratif ressort de sa loi constitutive et de divers autres éléments contextuels. À cet égard, sont pertinents des facteurs comme la présence ou l’absence d’une clause privative dans le texte législatif, le caractère spécialisé du sujet en question, l’expertise du tribunal administratif, les raisons ayant amené le législateur à confier au tribunal administratif le soin de prendre cette décision ainsi que la nature de la question par rapport aux types de question que les cours de justice ont l’habitude d’examiner. En effet, ils permettent de mieux comprendre l’ultime question : quelle norme de contrôle le législateur veut qu’on applique?

193 La décision en cause en l’espèce est différente. Il s’agit d’une décision de politique générale d’un corps élu chargé de diriger des écoles d’une collectivité locale avec sa participation. L’ensemble des facteurs que comporte la formule de la norme de contrôle ne se transpose pas bien dans le présent contexte. Prenons l’exemple de la présence ou de l’absence d’une clause privative. On ne s’attendrait pas à trouver une clause privative visant les décisions du conseil scolaire. De plus, l’absence d’une telle clause dans la Loi n’indique aucunement que le législateur s’attend à ce que les cours de justice interviennent dans les affaires courantes du conseil scolaire. L’expertise est un autre facteur, qui est plus pertinent dans le contexte juridictionnel que dans le présent contexte. Les conseillers sont autorisés à prendre des décisions non parce qu’ils possèdent une expertise particulière, mais parce qu’ils représentent la collectivité. Leur niveau d’expertise n’est pas un indice de l’étendue de leur pouvoir discrétionnaire.

194 L’ultime question demeure l’intention du législateur. L’examen des divers facteurs que comporte la « méthode pragmatique et fonctionnelle » n’est pas toujours le meilleur moyen de découvrir cette intention. En l’espèce, nous devrions plutôt analyser le pouvoir que la Loi confère au conseil scolaire et les conditions dont il est assorti. Les cours de justice ont la responsabilité d’assurer que le conseil scolaire agit dans les limites de son pouvoir. J’estime que l’ingérence dans les fonctions du conseil scolaire pour tout autre motif est généralement injustifiée.

195 Je ne mets pas en doute la validité de l’approche pragmatique et fonctionnelle. Au contraire, il me semble plus conforme à la philosophie sous‑jacente à cette approche d’adapter le système de contrôle judiciaire aux circonstances changeantes et aux différents genres d’organisme administratif que de procéder dans tous les cas à la vérification des mêmes facteurs, qu’ils soient pertinents ou non — méthode qui, selon moi, n’est ni pragmatique ni fonctionnelle.

196 La jurisprudence de la Cour portant sur des mesures prises par des conseils municipaux est intéressante ici, car le conseil scolaire possède maintes caractéristiques d’une municipalité. À l’instar d’un conseil municipal, le conseil scolaire est un corps élu ayant pour mission d’incorporer les vues de la collectivité dans le processus décisionnel local. À l’instar d’une municipalité, il exerce des pouvoirs conférés par la loi et son autonomie est délimitée par le texte de la loi (voir Public School Boards’ Assn. of Alberta c. Alberta (Procureur général), [2000] 2 R.C.S. 409, 2000 CSC 45, par. 33‑34, le juge Major). Dans ce sens crucial, le conseil scolaire et la municipalité diffèrent tous les deux de la législature, qui a le pouvoir absolu de légiférer dans les limites de sa compétence constitutionnelle.

197 Pour l’évaluation des mesures municipales, la Cour s’est toujours concentrée sur la question de savoir si la mesure en cause est permise et non pas si elle est raisonnable. L’adoption d’un règlement par une municipalité « peut faire l’objet d’un contrôle dans la mesure où il s’agit de déterminer si elle a agi dans les limites de sa compétence » (Shell, précité, p. 273). Les municipalités doivent leur existence à la loi et peuvent seulement exercer les pouvoirs qui leur sont expressément conférés par la loi, les pouvoirs qui découlent nécessairement ou vraiment de la loi et les pouvoirs accessoires essentiels à la réalisation de leurs fins (R. c. Sharma, [1993] 1 R.C.S. 650, p. 668; Hudson, précité, par. 18). Les mesures non fondées sur un pouvoir susceptible de découler de la loi sont invalides, et l’étendue des pouvoirs de la municipalité est généralement affaire d’interprétation de la loi.

198 Dans Nanaimo, précité, la Cour a statué que l’approche pragmatique et fonctionnelle s’applique aux décisions juridictionnelles des municipalités. Le contrôle de la décision de la municipalité comporte deux étapes : d’abord déterminer si la municipalité avait le pouvoir de prendre ce genre de décision et ensuite analyser la décision elle-même. Dans la mesure où cette décision relève du pouvoir de la municipalité, elle avait droit à la plus grande retenue judiciaire, du fait que les conseillers municipaux représentent leurs commettants et connaissent mieux que les cours de justice leurs besoins et les questions qui les préoccupent (Nanaimo, par. 35).

199 À mon avis, l’arrêt Nanaimo ne signifie pas que la méthode de contrôle des décisions juridictionnelles des municipalités diffère en principe de l’approche que nous avons toujours adoptée en matière de contrôle des mesures prises par des municipalités en général. L’examen en deux étapes mentionné dans Nanaimo ne représente qu’une autre façon d’énoncer le seul critère de compétence appliqué dans Shell, précité. La décision de la municipalité dans Nanaimo aurait été jugée manifestement déraisonnable si elle avait été irréfléchie ou arbitraire au point d’excéder la compétence légale de la municipalité. Comme la Cour l’a fait observer dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, par. 55, « [l]a norme du caractère manifestement déraisonnable est principalement un critère applicable aux questions de compétence ».

200 La décision du conseil scolaire de ne pas approuver les trois manuels a une dimension politique et une dimension juridictionnelle. Elle pourrait se comparer à l’adoption d’un règlement ou encore à la décision contestée dans l’affaire Nanaimo. Dans les deux cas, il faut d’abord se demander si le conseil a agi légalement; il ne pouvait pas exercer validement un pouvoir qu’il ne possédait pas.

201 Bien que ma conclusion sur la question de la légalité de la décision m’amène à croire que ce point n’est pas directement soulevé dans le présent pourvoi, je conclus que les décisions en matière de politique de l’enseignement ont droit à une très grande retenue judiciaire, pourvu que le conseil les ait prises dans les limites de ses pouvoirs. À vrai dire, il est encore plus impérieux de faire preuve de retenue en l’espèce que dans l’affaire Nanaimo. Les cours de justice sont particulièrement mal outillées pour imposer leur point de vue sur le genre de matériel didactique qui permet le mieux d’atteindre les objectifs pédagogiques de la province et qui reflète le mieux les préférences de la collectivité desservie par le conseil scolaire. J’estime que le contrôle de cette décision selon la norme du caractère raisonnable ne reconnaît pas suffisamment le rôle du conseil scolaire en tant qu’institution publique locale comptable à l’électorat. Tant qu’il agit dans les limites des pouvoirs que lui confère la Loi, le conseil scolaire accomplit la volonté de la collectivité qu’il dessert et s’explique généralement devant celle‑ci et non les cours de justice. S’il tente d’exercer des pouvoirs qu’il ne possède pas, les mesures qu’il prend sont alors invalides.

202 J’ai fait allusion, plus haut, aux difficultés sur le plan pratique et au problème de légitimité qui peuvent surgir si on applique systématiquement au conseil scolaire et autres organismes semblables l’approche pragmatique et fonctionnelle. L’attention, au lieu de se concentrer sur la question de la légalité qui se pose vraiment, est déviée vers l’examen inutile de questions accessoires. Cela épuise inutilement les ressources des cours de justice — en particulier celles des tribunaux de première instance — qui, avant d’entrer dans le vif du sujet, doivent souvent consacrer énormément de temps à l’examen d’arguments complexes concernant la norme de contrôle applicable.

203 Dans tout litige portant sur la norme de contrôle, une certaine combinaison de facteurs indique presque toujours un degré plus élevé de retenue alors que d’autres indiquent un degré moins élevé. En fait, il arrive parfois qu’un seul facteur fasse intervenir des considérations divergentes, comme ce serait le cas de l’expertise, en l’espèce. On peut donc s’attendre à ce que l’évaluation des facteurs opposés appuie le plus souvent la conclusion que le contrôle doit se faire selon la solution de compromis qu’est la norme du caractère raisonnable.

204 La norme du caractère raisonnable peut en pratique donner lieu à des problèmes. Des trois normes, elle est peut-être la plus difficile à appliquer d’une manière qui tienne compte à la fois des prérogatives de l’organisme administratif et du rôle de surveillance que doivent exercer les cours de justice. La différence entre le contrôle selon la norme de la décision correcte et le contrôle selon la norme du caractère manifestement déraisonnable est intuitive et relativement facile à constater. Toutefois, de nombreuses cours de justice, dont notre Cour, s’emploient à maintenir la distinction, sur le plan analytique, entre la norme du caractère raisonnable et celle de la décision correcte, d’une part, et entre la norme du caractère raisonnable et celle du caractère manifestement déraisonnable, d’autre part. L’application de la norme du caractère raisonnable comporte une analyse délicate qui, dans les cas qui s’y prêtent, s’avère nécessaire et utile. Le besoin de l’appliquer de la manière habituelle est moins pressant dans un cas comme celui-ci, où il s’agit essentiellement de résoudre une question de légalité dont la solution dépend de l’interprétation du pouvoir conféré par la Loi.

205 Le risque de recours excessif à la norme du caractère raisonnable comporte le risque que s’estompe la ligne de démarcation entre le rôle d’une institution publique locale et celui d’une cour de justice chargée de contrôler les décisions de telles institutions. Il importe que cette ligne de démarcation reste marquée, car elle permet de maintenir la séparation entre le judiciaire et un gouvernement représentatif. La séparation du pouvoir judiciaire et du pouvoir politique ne protège pas seulement l’indépendance des cours de justice contre toute ingérence politique (voir le Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince-Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3). Elle protège également les corps politiques contre toute ingérence excessive de la part des cours de justice. L’application de la norme du caractère raisonnable aux décisions des entités locales chargées d’établir des politiques, comme les municipalités et les conseils scolaires, dépasse le cadre du contrôle judiciaire légitime. Les cours de justice ne devraient pas céder à la tentation de remplacer les décisions de ces organismes par leur propre perception de ce qui est raisonnable, ou de trop intervenir dans la gestion des villes, des cités et des écoles.

III. La légalité de la résolution

206 J’estime qu’il faut se concentrer sur la question de savoir si le conseil scolaire a agi légalement en conformité avec le mandat que lui confie la School Act. Je partage l’opinion du Juge en chef que la directive de la School Act d’observer les principes de laïcité et de non‑confessionnalisme est au cœur du litige en l’espèce. Tous les autres facteurs examinés par les juges majoritaires ne changent rien au fait qu’en définitive nous relevons la même question centrale et nous nous entendons sur la façon de la résoudre.

207 Il est évident que le conseil scolaire pouvait approuver ou refuser d’approuver l’utilisation en classe des manuels en question. Cependant, l’exercice de ce pouvoir est limité par les par. 76(1) et (2) de la Loi, qui exigent que les écoles fonctionnent selon [traduction] « des principes strictement laïques et non confessionnels » et que « [l]es plus hautes valeurs morales » y soient inculquées, qu’aucun « dogme religieux » ni aucune « croyance religieuse » n’y soient enseignés. La preuve en l’espèce m’amène à conclure que le conseil scolaire a traité les trois manuels d’une manière incompatible avec l’engagement de laïcité et de non‑confessionnalisme que l’on constate dans la School Act. La décision de ne pas approuver les manuels s’explique principalement par la volonté de respecter la conviction d’un certain nombre de parents, et d’au moins un conseiller, que l’homosexualité est répréhensible et doit être condamnée. Toute politique pédagogique fondée sur de telles croyances ne saurait être laïque ou non confessionnelle au sens de la School Act.

208 Je souscris, pour l’essentiel, au point de vue du Juge en chef sur le sens à donner à ces dispositions. Je partage son avis que les termes « laïques » et « non confessionnels », dans la School Act, signifient qu’aucune conception particulière de la moralité ne doit servir à rejeter ou à écarter des points de vue opposés. Je ferais également remarquer qu’il faut interpréter le texte de la School Act en tenant compte de son contexte et de son histoire, qui sont spécifiques à la Colombie‑Britannique. À cet égard, le juge Mackenzie de la Cour d’appel a souligné que l’art. 76 et les dispositions qui l’ont précédé, qui remontent à la Common School Act, 1865, [traduction] « visaient à établir un système d’enseignement public non confessionnel et à interdire l’exercice d’un droit de regard par quelque établissement confessionnel » ((2000), 191 D.L.R. (4th) 128, par. 21). La Colombie‑Britannique a changé depuis que cette disposition a été adoptée pour la première fois; de nos jours, il faut interpréter les termes « strictement laïques » et « non confessionnels » en tenant compte du fait que la population de la province compte désormais un nombre important d’adeptes de religions non‑chrétiennes et de personnes sans appartenance religieuse. Le sens du texte de la Loi a évolué dans le contexte moderne, mais la préoccupation sous‑jacente demeure la même : garantir que le système d’enseignement public ne serve pas à inculquer aux enfants un ensemble particulier de croyances religieuses ou autres.

209 Je conviens avec le juge Mackenzie et le Juge en chef que l’art. 76 n’interdit pas les décisions relatives à l’administration scolaire fondées sur des croyances religieuses. Comme le fait observer le juge Mackenzie, pareille conclusion est impossible en raison des termes « laïques » et « non confessionnels », qui, à l’époque de leur adoption, avaient en quelque sorte le sens de « non confessionnels chrétiens ». De plus, elle est impossible en raison du texte et de l’esprit de l’art. 76, qui vise à promouvoir la tolérance et la diversité d’opinions, et non à faire en sorte que la religion disparaisse de l’échiquier. Je ne souscris pas à l’opinion du juge en chambre que l’art. 76 interdit au conseil scolaire de prendre des décisions fondées sur des considérations religieuses et qu’il oblige les membres du conseil scolaire à reléguer leurs croyances religieuses au domaine privé. J’estime que cette approche ferait presque de la non‑croyance une sorte de sectarisme ou de dogme.

210 Le pouvoir des conseillers de prendre des décisions de politique générale reflétant leurs croyances ou celles de parents n’est pas aussi étendu que leur liberté de conscience et de religion. Cependant, il ne s’ensuit que leurs décisions ne peuvent pas être influencées par des convictions religieuses. Ce que l’art. 76 prohibe, c’est l’adoption de politiques fondées sur des croyances caractérisées par l’intolérance. Il importe peu que ces croyances soient religieuses, morales ou philosophiques.

211 L’article 76 ne limite aucunement la liberté des parents et des membres du conseil scolaire d’adhérer à une doctrine religieuse qui condamne l’homosexualité. Mais il interdit au conseil scolaire de prendre des décisions de politique générale reflétant cette doctrine, dans la mesure où elles traduisent le refus de reconnaître la validité d’autres points de vue. Il n’est pas difficile de concilier la liberté de religion avec l’engagement de laïcité que l’on constate dans la School Act. Que l’État s’abstienne de favoriser ou de promouvoir des principes religieux particuliers ne compromet pas la liberté de religion, mais contribue plutôt à la protéger.

212 Des gens raisonnables peuvent entretenir des opinions divergentes sur le sens précis des termes « laïques » et « non confessionnels », et il se peut bien que l’interprétation qu’en donne le conseil scolaire lui-même ait droit à la retenue judiciaire. Cependant, j’estime qu’aucune interprétation ne permet de concilier les exigences de laïcité et de non-confessionnalisme avec la décision du conseil en l’espèce. Celle-ci est essentiellement motivée par la conviction de certains parents que le matériel susceptible de proposer un point de vue moral différent du leur ne pouvait être toléré. Dans une société pluraliste, il est sûrement acceptable, voire inévitable, de désapprouver les pratiques et les croyances d’autrui. Cela ne justifie pas pour autant que l’on refuse à d’autres la possibilité de faire valoir leur point de vue, ou que l’on refuse de reconnaître leur existence. Quelles que soient les opinions personnelles des membres du conseil scolaire, leur obligation de s’acquitter de leurs tâches publiques selon des principes strictement laïques et non confessionnels comporte celle d’éviter de prendre des décisions de politique générale fondées sur des croyances prônant l’exclusion. En réalité, le conseil scolaire a contourné la politique énoncée à l’art. 76 par le législateur. En sa qualité de délégataire du législateur, il n’était pas habilité à le faire, et la façon dont il a agi a rendu sa décision manifestement déraisonnable.

213 Dans leurs affidavits, de nombreux parents expliquent pourquoi ils s’opposent à l’approbation des trois manuels. L’affidavit d’un parent, cité par le juge en chambre ((1998), 168 D.L.R. (4th) 222, par. 89) dit : [traduction] « Nous croyons, et nous aimerions enseigner à nos enfants que, selon nos convictions religieuses, le mode de vie homosexuel est répréhensible. » Un autre parent affirme : « Je tiens à élever mes enfants selon mes propres croyances religieuses et je m’oppose à tout enseignement scolaire contraire à ce que je tente d’inculquer à mes enfants. » Je ne doute nullement que les auteurs de ces affidavits sont de bons parents pleins de sollicitude qui ont le mérite de veiller à inculquer à leurs enfants des valeurs religieuses et morales. Toutefois, leurs enfants se trouvent dans un système scolaire où il est interdit d’imposer une doctrine (religieuse ou autre) qui condamne un mode de vie ne correspondant pas aux valeurs qu’il préconise ou qui empêche de débattre tout autre point de vue. Dans un tel système, ils ne sont pas à l’abri d’un enseignement qui peut aller à l’encontre de ce que leur enseignent leurs parents.

214 L’incompatibilité des opinions dans les affidavits avec les principes de laïcité et de non-confessionnalisme ressortirait peut-être davantage si les parents s’étaient opposés à ce que soient représentées des familles ayant un héritage religieux particulier — des familles musulmanes, par exemple. Il est indubitable que les pratiques des musulmans vont à l’encontre des enseignements de certaines autres religions; en fait, leurs croyances sont profondément opposées à celles d’autres religions. Cependant, des parents chrétiens ou hindous ne pourraient pas s’opposer (à moins de reconnaître que leurs objections sont de nature confessionnelle) à la seule présence d’une famille musulmane dans un livre d’histoires, ou à la simple suggestion que des familles musulmanes sympathiques et heureuses existent, pour le motif que les musulmans font des choses ou ont des croyances qu’ils n’acceptent pas, ou encore que ces histoires peuvent éventuellement faire prendre conscience aux enfants que les croyances de leurs parents ne font pas l’unanimité au sein de la population. Les parents qui soulèveraient ces objections démontreraient qu’ils rejettent catégoriquement les principes de pluralisme et de tolérance qui sont consacrés dans la School Act et qui, en fait, sont au cœur même de la société canadienne à laquelle les jeunes écoliers apprennent à participer.

215 Le législateur a délégué au conseil scolaire un vaste pouvoir discrétionnaire en matière de sélection du matériel pédagogique, et celui-ci n’est pas formellement tenu de choisir des livres illustrant des familles homoparentales. Toutefois, lorsqu’il avait l’occasion de le faire, il avait l’obligation d’étudier la question selon les valeurs de la laïcité et du non-confessionnalisme, et de prendre une décision non teintée d’intolérance. Il n’a pas la prérogative d’abroger la politique prévue par la Loi de diriger des écoles selon des principes strictement laïques et non confessionnels, ou d’y déroger, par suite de pressions de la part des parents ou pour tout autre motif. La répugnance de certains parents à l’égard des livres incompatibles avec leurs convictions personnelles ne saurait dicter la politique d’un système d’enseignement pluraliste reposant sur l’engagement à accepter et à valoriser la diversité.

Pourvoi accueilli avec dépens, les juges Gonthier et Bastarache sont dissidents.

Procureurs des appelants : Arvay Finlay, Victoria.

Procureurs de l’intimé : Dives, Grauer & Harper, Vancouver.

Procureurs de l’intervenante EGALE Canada Inc. : Sack Goldblatt Mitchell, Toronto.

Procureurs de l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association : Lawson, Lundell, Vancouver.

Procureurs de l’intervenant Families in Partnership : Green & Chercover, Toronto.

Procureurs de l’intervenant Board of Trustees of School District No. 34 (Abbotsford) : Bull, Housser & Tupper, Vancouver.

Procureurs de l’intervenante la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario : Sack Goldblatt Mitchell, Toronto.

Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Paliare, Roland, Rosenberg, Rothstein, Toronto.

Procureurs des intervenants l’Alliance évangélique du Canada, l’Archidiocèse de Vancouver, la Ligue catholique des droits de l’homme et Canadian Alliance for Social Justice and Family Values Association : Fasken Martineau DuMoulin, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : 2002 CSC 86 ?
Date de la décision : 20/12/2002
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli. La décision du conseil scolaire est déraisonnable dans le contexte du système d’enseignement prescrit par le législateur. La question de savoir si les manuels devraient être approuvés comme ressources d’apprentissage complémentaires est renvoyée au conseil pour qu’il tranche en fonction des critères établis dans les lignes directrices afférentes au programme d’études et des principes généraux de tolérance et de non‑confessionnalisme qui sous‑tendent la School Act

Analyses

Droit administratif - Contrôle judiciaire - Norme de contrôle - Conseils scolaires - Sélection de manuels pour utilisation en classe - Adoption par le conseil d’une résolution par laquelle il refuse d’approuver, comme ressources d’apprentissage complémentaires pour la maternelle et la première année, trois manuels illustrant des familles homoparentales - Norme de contrôle applicable à la décision du conseil scolaire - La décision du conseil scolaire est‑elle raisonnable? - School Act, R.S.B.C. 1996, ch. 412, art. 76.

Écoles - Conseils scolaires - Pouvoirs et obligations - Sélection de manuels pour utilisation en classe - Adoption par le conseil scolaire d’une résolution par laquelle il refuse d’approuver, comme ressources d’apprentissage complémentaires pour la maternelle et la première année, trois manuels illustrant des familles homoparentales - Le conseil scolaire a‑t‑il appliqué les critères qu’exigent la School Act, le programme d’études et son propre règlement pour l’approbation des ressources d’apprentissage complémentaires? - School Act, R.S.B.C. 1996, ch. 412, art. 76, 85.

Écoles - Conseils scolaires - Pouvoirs et obligations - Sélection de manuels pour utilisation en classe - Signification de laïcité et de non‑confessionnalisme dans la School Act - Adoption par le conseil scolaire d’une résolution par laquelle il refuse d’approuver, comme ressources d’apprentissage complémentaires pour la maternelle et la première année, trois manuels illustrant des familles homoparentales - Le conseil scolaire a‑t‑il agi d’une manière conforme au mandat de laïcité que lui confère la School Act? - Les exigences de laïcité et de non‑confessionnalisme empêchent‑elles le conseil scolaire de prendre des décisions d’après des considérations religieuses? - School Act, R.S.B.C. 1996, ch. 412, art. 76, 85.

La School Act de la Colombie‑Britannique confère au ministre de l’Éducation le pouvoir d’approuver les ressources documentaires éducatives de base qui seront utilisées dans l’enseignement du programme d’études des écoles publiques et elle investit les conseils scolaires du pouvoir d’approuver des ressources documentaires éducatives complémentaires, sous réserve des directives du ministre. Un enseignant de la maternelle et de la première année demande au conseil scolaire de Surrey d’approuver trois manuels comme ressources d’apprentissage complémentaires pour l’enseignement du programme Éducation à la vie familiale. Les livres illustrent des familles dont les deux parents sont de même sexe, c’est‑à‑dire des familles homoparentales. Le conseil scolaire adopte une résolution par laquelle il refuse d’approuver les manuels. La principale préoccupation du conseil scolaire, comme le juge de première instance l’a constaté, est que les livres provoqueraient une controverse, étant donné que certains parents, pour des considérations religieuses, considèrent comme immorales les unions homosexuelles. Le conseil scolaire estime aussi que les enfants en maternelle et en première année ne devraient pas être exposés à des idées qui peuvent entrer en conflit avec les convictions de leurs parents, que les enfants de cet âge sont trop jeunes pour être exposés à la question des familles homoparentales et que le matériel n’est pas nécessaire à l’atteinte des résultats d’apprentissage prescrits dans le programme d’études.

La Cour suprême de la Colombie‑Britannique annule la résolution du conseil scolaire, jugeant qu’elle va à l’encontre de l’art. 76 de la School Act, parce que les membres du conseil qui ont voté en faveur de la résolution étaient très influencés par des considérations religieuses. La Cour d’appel annule la décision au motif que la résolution relève de la compétence du conseil.

Arrêt (les juges Gonthier et Bastarache sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli. La décision du conseil scolaire est déraisonnable dans le contexte du système d’enseignement prescrit par le législateur. La question de savoir si les manuels devraient être approuvés comme ressources d’apprentissage complémentaires est renvoyée au conseil pour qu’il tranche en fonction des critères établis dans les lignes directrices afférentes au programme d’études et des principes généraux de tolérance et de non‑confessionnalisme qui sous‑tendent la School Act.

Le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Iacobucci, Major, Binnie et Arbour : L’approche pragmatique et fonctionnelle milite en faveur de l’application de la norme de la décision raisonnable. Le conseil scolaire est un corps élu et le fondé de pouvoir des parents et des membres de la collectivité locale, ce qui indique qu’il faut faire preuve d’une certaine retenue. Toutefois, l’absence de clause privative, l’engagement clair exprimé dans la School Act et par le ministre de favoriser la tolérance et le respect à l’égard de la diversité et le fait que le problème dont est saisi le conseil scolaire comporte une dimension touchant les droits de la personne militent tous en faveur d’une norme de contrôle plus stricte.

L’accent que met la School Act sur la laïcité et la non‑discrimination est au cœur du présent pourvoi. La laïcité exigée à l’art. 76 de la Loi n’empêche pas qu’une décision puisse être fondée, en partie ou en totalité, sur des considérations religieuses, à la condition qu’elle soit prise dans les limites du pouvoir du conseil scolaire. Toutefois, le conseil scolaire doit agir de manière à promouvoir respect et tolérance envers les différents groupes qu’il représente et qu’il sert.

La décision du conseil scolaire est déraisonnable, car son processus décisionnel l’a entraîné à l’extérieur du mandat conféré par la School Act. Premièrement, le conseil n’a pas respecté les principes de laïcité et de tolérance énoncés à l’art. 76 de la Loi. Au lieu d’agir dans le respect de tous les types de familles, il a agi suivant un principe d’exclusion, donnant suite aux doutes de certains parents quant à la moralité des unions homosexuelles, sans tenir compte du droit des familles homoparentales et des enfants qui en font partie de bénéficier de la même reconnaissance et du même respect au sein du système scolaire. Deuxièmement, il a dérogé à son propre règlement quant au fondement de la décision d’approuver ou non des ressources complémentaires, lequel règlement l’oblige à examiner la pertinence du matériel proposé eu égard aux objectifs du programme d’études et aux besoins des enfants des familles homoparentales. Troisièmement, il a appliqué les mauvais critères. Il n’a pas tenu compte de l’objectif du programme d’études qui est de faire en sorte que les enfants de maternelle et de première année soient en mesure de discuter de leurs propres modèles familiaux et que tous les enfants soient sensibilisés à la diversité des modèles familiaux dans notre société. Il a plutôt appliqué à tort le critère de la nécessité, qui est incompatible avec la fonction des ressources complémentaires d’enrichir l’expérience des enfants par l’utilisation d’autres ressources présentant un intérêt pour la collectivité. Il a commis une erreur en se fondant sur des préoccupations de dissonance cognitive et de catégorie d’âge visée, qui ne sont pas justifiées selon le programme d’études en l’espèce. La question de l’approbation des manuels est donc renvoyée au conseil scolaire.

Le juge LeBel : L’approche pragmatique et fonctionnelle s’est révélée utile dans le cas des décisions juridictionnelles ou quasi judiciaires de tribunaux administratifs. Cependant, il existe des limites à l’utilité de l’appliquer intégralement dans un autre contexte. Lorsque l’organisme administratif dont les décisions sont contestées est non pas un tribunal administratif, mais plutôt un corps élu doté du pouvoir délégué de prendre des décisions de politique générale, la fonction première des cours de justice consiste à décider s’il a agi dans les limites du pouvoir dont il est investi. Il faut d’abord se demander si le conseil a agi légalement; il ne pouvait pas exercer validement un pouvoir qu’il ne possédait pas. Bien que la question n’ait pas été directement soulevée dans le présent pourvoi, les décisions du conseil scolaire en matière de politique de l’enseignement ont droit à une très grande retenue judiciaire, pourvu qu’il les ait prises dans les limites de ses pouvoirs. En l’espèce, la décision du conseil scolaire ne peut être confirmée même selon la norme qui commande la plus grande retenue, car elle est manifestement déraisonnable. Il est donc inutile de procéder à l’analyse complète des divers facteurs servant à déterminer la norme de contrôle judiciaire applicable.

Le conseil scolaire pouvait approuver ou refuser d’approuver l’utilisation en classe de manuels. Cependant, l’exercice de ce pouvoir est limité par l’art. 76 de la School Act, qui exige que les écoles fonctionnent selon « des principes strictement laïques et non confessionnels », que « les plus hautes valeurs morales » y soient inculquées et qu’aucun « dogme religieux » ni « aucune croyance religieuse » n’y soient enseignés. Les termes « laïques » et « non confessionnels » dans la Loi signifient qu’aucune conception particulière de la moralité ne doit servir à rejeter ou à écarter des points de vue opposés. Dans une société pluraliste, il est sûrement acceptable, voire inévitable, de désapprouver les pratiques et les croyances d’autrui. Cela ne justifie pas pour autant que l’on refuse à d’autres la possibilité de faire valoir leur point de vue ou que l’on refuse de reconnaître leur existence. Quelles que soient les opinions personnelles des membres du conseil scolaire, leur obligation de s’acquitter de leurs tâches publiques selon des principes strictement laïques et non confessionnels comporte celle d’éviter de prendre des décisions de politique générale fondées sur des croyances prônant l’exclusion. L’article 76 n’interdit pas les décisions relatives à l’administration scolaire fondées sur des croyances religieuses. Il vise à promouvoir la tolérance et la diversité d’opinions, et non à faire en sorte que la religion disparaisse de l’échiquier. Il ne limite aucunement la liberté des parents et des membres du conseil scolaire d’adhérer à une doctrine religieuse qui condamne l’homosexualité, mais il interdit au conseil scolaire de prendre des décisions de politique générale reflétant cette doctrine, dans la mesure où elles traduisent le refus de reconnaître la validité d’autres points de vue.

En l’espèce, la preuve appuie la conclusion que le conseil scolaire a traité les trois manuels d’une manière incompatible avec l’engagement de laïcité et de non‑confessionnalisme que l’on constate dans la School Act. La principale préoccupation qui a motivé la décision du conseil scolaire est de tenir compte des croyances religieuses et morales de certains parents — l’homosexualité est répréhensible — qui les amènent à refuser que leurs enfants soient exposés à des livres d’histoires illustrant des familles homoparentales. Le conseil scolaire s’est laissé décisivement influencer par le refus de certains parents d’approuver un point de vue et un mode de vie différents des leurs. Toute politique pédagogique fondée sur de telles croyances ne saurait être laïque ou non confessionnelle au sens de la School Act. Le conseil scolaire a pris sa décision d’une manière si contraire à sa loi constitutive qu’elle est non seulement déraisonnable, mais encore illégale. En conséquence, la décision contrevient à la Loi, est manifestement déraisonnable et doit être annulée.

Les juges Gonthier et Bastarache (dissidents) : Vu la nature de la décision en cause, la norme de contrôle applicable et l’ensemble du contexte, la décision du conseil scolaire devrait être confirmée. Elle ne va pas à l’encontre de la Charte, de la School Act ou des directives du ministre. Elle a été prise dans les limites du pouvoir discrétionnaire conféré par la Loi.

La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Premièrement, l’absence de clause privative devrait être prise en compte à la lumière de l’absence correspondante d’une clause autorisant expressément d’interjeter appel des décisions du conseil devant les tribunaux et du caractère non juridictionnel du conseil. Deuxièmement, la décision d’approuver ou non les manuels oblige le conseil à pondérer les intérêts de différents groupes, fonction qui est au cœur même de son expertise en tant qu’organisme représentatif élu localement. Bien que la décision comporte aussi une importante dimension qui touche aux droits de la personne, le conseil s’est largement appuyé sur les faits pour trouver un compromis entre les inquiétudes des parents et l’objectif général de promouvoir les valeurs consacrées par la Charte. La décision appelle donc un degré de retenue plus important que lorsque des tribunaux administratifs rendent des décisions générales sur des points de droit concernant des droits fondamentaux de la personne et touchant de nombreuses décisions ultérieures. Troisièmement, c’est pour permettre la participation locale dans le choix des ressources d’apprentissage complémentaires que le législateur a conféré au conseil le pouvoir d’approuver de telles ressources. Quatrièmement, la nature du problème n’exige pas l’application stricte de règles juridiques ni l’interprétation de la loi, mais plutôt une analyse éminemment contextuelle et polycentrique.

Les valeurs de la Charte doivent être respectées dans le contexte scolaire en général, lequel exige toutefois le respect à la fois du droit d’une personne homosexuelle d’être protégée contre la discrimination et du droit des parents de prendre les décisions qu’ils jugent nécessaires au bien‑être et à l’éducation morale de leurs enfants. Le rôle privilégié qu’ont les parents de décider de ce qui contribue au bien‑être de leurs enfants, y compris leur éducation morale, et leur droit d’élever leurs enfants selon leurs croyances personnelles, religieuses ou autres, est au cœur de l’analyse du caractère raisonnable de la décision du conseil scolaire. La common law reconnaît depuis longtemps que les parents sont les mieux placés pour prendre soin de leurs enfants et pour prendre toutes les décisions nécessaires à leur bien‑être, à condition qu’ils agissent dans l’intérêt de leurs enfants. La Cour a confirmé le rôle prépondérant des parents en assimilant l’autorité de l’école et de l’enseignant sur l’enfant à une autorité déléguée. Le concept que l’autorité de l’école est déléguée fait que, s’il leur est permis de retirer leurs enfants du système d’enseignement public, les parents doivent aussi avoir leur mot à dire en ce qui concerne les valeurs transmises à l’école. Cela se concrétise généralement par l’élection de représentants aux conseils scolaires appelés à établir un consensus et à régler les questions se rapportant à l’instruction publique. Ces conseils scolaires locaux peuvent, en vertu de la School Act, approuver ou non des ressources documentaires éducatives complémentaires. Leur pouvoir discrétionnaire n’est toutefois pas absolu. Ils doivent agir d’une manière compatible avec la School Act et avec les critères et procédures d’évaluation et de sélection établis par le conseil scolaire. En l’espèce, les critères d’approbation des ressources documentaires éducatives complémentaires du conseil scolaire renvoient à des notions comme la catégorie d’âge visée et indiquent que la manifestation d’inquiétudes de la part des parents est un facteur qu’il faut prendre en considération.

Un conseil scolaire est un organe du gouvernement, donc assujetti à la Charte en vertu de l’art. 32. Il n’y a pas lieu, toutefois, d’entreprendre en l’espèce une analyse exhaustive fondée sur l’art. 15 pour établir que le conseil scolaire a porté directement atteinte à la Charte. Les questions relatives à l’art. 15 et celles concernant la qualité pour agir n’ont pas été abordées par les tribunaux d’instance inférieure, et les appelants ne comptent ni parents de même sexe ni enfants de tels parents, qui pourraient prétendre avoir été exposés à un traitement différent fondé sur leurs caractéristiques personnelles parce qu’ils n’ont pas été représentés comme d’autres types de familles dans les classes de maternelle et de première année du district de Surrey. Les valeurs constitutionnelles en cause imprègnent toutefois les exigences de la School Act. Par conséquent, analyser la présente affaire sous l’angle de l’accommodement ou de la pondération de droits constitutionnels opposés permet de circonscrire convenablement l’incidence de la Charte. Celle‑ci traduit un engagement envers l’égalité et protège tout citoyen contre la discrimination. Elle protège aussi la liberté de religion et la liberté d’expression. Dans le cas où des revendications fondées sur des croyances paraissent s’opposer, l’art. 15 ne peut pas fonder la suppression de croyances, qu’elles soient répandues ou non. La solution acceptable est celle de l’accommodement ou de la pondération. Dans une société véritablement libre, l’interaction entre l’art. 2 et l’art. 15 de la Charte doit permettre aux personnes qui respectent la dignité fondamentale et inhérente d’autrui et qui s’abstiennent de toute discrimination d’être néanmoins en désaccord avec autrui et même de désapprouver le comportement ou les croyances d’autrui. Par conséquent, la personne qui, pour des motifs religieux ou non, croit que le comportement homosexuel, manifeste chez les couples de même sexe, est immoral et celle qui croit que l’homosexualité est moralement équivalente à l’hétérosexualité ont le droit d’avoir ce point de vue et de l’exprimer. Ni l’une ni l’autre ne peuvent cependant agir de manière discriminatoire. La jurisprudence constitutionnelle canadienne atteste cette distinction entre le comportement et la croyance : chacun peut adhérer à la croyance de son choix, mais sa liberté d’agir conformément à sa croyance, que ce soit dans le domaine privé ou public, peut être moins grande. Cette interprétation est compatible avec le fait que les al. 2a) et b) de la Charte coexistent avec l’art. 15, lequel protège contre la discrimination tant les personnes qui ont des croyances religieuses que celles qui sont homosexuelles. En l’espèce, rien ne prouve que les parents qui estiment que les trois manuels ne conviennent pas aux enfants de cinq et six ans ont favorisé d’une manière quelconque la discrimination à l’égard des personnes.

La décision du conseil scolaire est raisonnable. L’approbation des manuels ressortit clairement au pouvoir du conseil scolaire et la décision ne va pas à l’encontre de l’exigence de l’art. 76 de la School Act que « les plus hautes valeurs morales soient inculquées ». Il faut définir cette notion comme étant un principe auquel adhère l’ensemble de la société, autant les adeptes des diverses religions que les personnes sans religion. Les valeurs exprimées dans la Charte découlent d’un large consensus social et devraient être considérées comme des principes des « plus hautes valeurs morales » évoquées à l’art. 76 de la School Act. La décision du conseil scolaire est compatible avec la Charte. Elle reflète une pondération acceptable sur le plan constitutionnel et les points de vue des uns et des autres. Les trois manuels ne seront pas employés pour les deux premières années d’études, mais ce sujet, tout comme la question de l’homosexualité dans le cadre de la sexualité humaine en général, sera abordé au cours des années suivantes. De plus, le refus d’approuver les trois manuels n’empêche pas nécessairement que la question des parents de même sexe soit abordée en classe. Bien qu’il soit dans l’intérêt des enfants de leur enseigner la tolérance, celle‑ci n’exige pas l’approbation obligatoire des manuels. La « tolérance » ne devrait pas servir à effacer tout désaccord.

La décision du conseil scolaire est aussi compatible avec une bonne interprétation des « principes strictement laïques et non confessionnels » mentionnés à l’art. 76. Celui‑ci énonce les principes généraux devant régir toutes les écoles. C’est une erreur que de présumer que le terme « laïque » signifie en réalité « non religieux ». Les personnes ayant des convictions religieuses devraient pouvoir s’exprimer sur la place publique et ne devraient pas être pénalisées ou exclues. Sinon, on dénaturerait les principes du libéralisme d’une manière qui fragiliserait la notion de pluralisme. La double exigence que l’éducation soit « laïque » et « non confessionnelle » signifie que les écoles ne doivent pas servir à l’endoctrinement ou à l’inculcation de préceptes de quelque religion, et elle n’empêche pas les personnes qui, sur des questions d’intérêt public, ont des positions morales d’inspiration religieuse de débattre de l’enseignement moral dans les écoles publiques. Par delà les convictions personnelles de ses membres, les motifs invoqués par le conseil pour refuser d’approuver les manuels, notamment les valeurs morales et religieuses de certains parents de la collectivité et la nécessité de respecter leur droit constitutionnel à la liberté de religion ainsi que leur rôle prépondérant dans l’éducation de leurs enfants, soulèvent des considérations laïques que le conseil pouvait à juste titre examiner.

Enfin, les éléments pris en considération par le conseil scolaire étaient appropriés. La valeur morale de l’union de deux personnes de même sexe est controversée, et le conseil scolaire était clairement pris entre deux groupes passionnés et actifs. Même s’il n’aurait pas été inconstitutionnel d’approuver les trois manuels comme ressources éducatives, il n’est pas non plus inconstitutionnel de ne pas les approuver. La Charte n’exige pas que l’on aborde avec les enfants de cinq et six ans, dans le cadre d’un programme scolaire, la question des parents formant un couple de même sexe, surtout lorsque des parents craignent que ces ressources ne soient déroutantes pour ces jeunes enfants. La décision du conseil était de façon générale motivée par des considérations liées à la catégorie d’âge visée et aux préoccupations des parents. L’inquiétude des parents dont le conseil scolaire a tenu compte repose sur la façon dont sont représentés les parents de même sexe dans les trois manuels et la capacité des élèves de maternelle et de première année de comprendre cette représentation. Le choix est difficile : permettre que les trois manuels soient utilisés en maternelle et en première année à l’encontre des désirs de certains parents et ensuite exclure certains enfants de la classe ou enseigner la tolérance et le respect d’autrui par des méthodes moins controversées et n’aborder la question de l’homosexualité et celle des parents formant un couple de même sexe qu’à un moment où les élèves sont plus aptes à les comprendre et plus en mesure de concilier les messages potentiellement contradictoires qu’ils peuvent recevoir sur ces questions. Toutefois, ce choix doit essentiellement être fait au niveau local, comme le prévoit la School Act. La plupart des conseillers estimaient que les trois manuels ne convenaient pas pour des élèves de maternelle et de première année et étaient incapables de conclure, en se fondant sur ce qu’ils comprenaient des inquiétudes des parents et des exigences du programme d’études, que de tels documents éducatifs devaient être approuvés pour la maternelle et la première année. Ce qui a beaucoup influé sur la décision du conseil, c’est que les ressources d’apprentissage recommandées par le ministère de l’Éducation ne comprenaient pas à l’époque d’autres ressources traitant expressément de l’homosexualité ou des couples de même sexe ou familles homoparentales. La sous‑composante « Éducation à la vie familiale » du programme d’études mentionne qu’on s’attend à ce que l’élève puisse décrire divers types de familles, mais n’indique pas que la question des parents formant un couple de même sexe doit être abordée en maternelle et en première année. Pour atteindre les résultats d’apprentissage prescrits pour cette sous‑composante, il faut demander aux élèves de dessiner et de décrire par écrit leur famille ainsi que de parler entre eux de leurs familles. Dans le cas où un enfant de la classe a des parents de même sexe, ces activités soulèveraient la question des parents de même sexe et les enseignants peuvent juger nécessaire d’en discuter. Même dans un tel cas, il n’est pas nécessaire que l’utilisation de ressources documentaires éducatives illustrant des parents de même sexe soit approuvée pour toutes les classes dans un district scolaire donné. Il existe d’autres options. De plus, le conseil scolaire a une politique antidiscrimination sévère, une politique qui est prise au sérieux. Le contexte de l’affaire amène donc à conclure que le conseil scolaire favorise de façon générale les valeurs d’égalité et de non‑discrimination consacrées par la Charte.


Parties
Demandeurs : Chamberlain
Défendeurs : Surrey School District No. 36

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge en chef McLachlin
Arrêts mentionnés : Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227
Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748
Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817
Pezim c. Colombie‑Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557
Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982
Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd., [2000] 1 R.C.S. 342, 2000 CSC 13
Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825
Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers, [2001] 1 R.C.S. 772, 2001 CSC 31
Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554.
Citée par le juge LeBel
Arrêts mentionnés : Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231
Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd., [2000] 1 R.C.S. 342, 2000 CSC 13
114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c. Hudson (Ville), [2001] 2 R.C.S. 241, 2001 CSC 40
Public School Boards’ Assn. of Alberta c. Alberta (Procureur général), [2000] 2 R.C.S. 409, 2000 CSC 45
R. c. Sharma, [1993] 1 R.C.S. 650
Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748
Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3.
Citée par le juge Gonthier (dissident)
B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315
Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3
P. (D.) c. S. (C.), [1993] 4 R.C.S. 141
R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284
Meyer c. Nebraska, 262 U.S. 390 (1923)
Pierce c. Society of Sisters, 268 U.S. 510 (1925)
Wisconsin c. Yoder, 406 U.S. 205 (1972)
Prince c. Massachusetts, 321 U.S. 158 (1944)
R. c. Audet, [1996] 2 R.C.S. 171
R. c. Forde, [1992] O.J. No. 1698 (QL)
Adler c. Ontario, [1996] 3 R.C.S. 609
Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825
McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229
Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570
Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 R.C.S. 844
Thorson c. Procureur général du Canada, [1975] 1 R.C.S. 138
Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265
Ministre de la Justice du Canada c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575
Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607
Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497
Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers, [2001] 1 R.C.S. 772, 2001 CSC 31
Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835
Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295
Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513
Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd., [2000] 1 R.C.S. 342, 2000 CSC 13
Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554
Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982
Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, préambule, art. 1, 2a), b), 7, 15, 32.
Ministerial Educational Program Guide Order, M165/93 [mod. M293/95, M405/95 et M465/95], art. 3.
Ministerial Educational Resource Materials Order, M143/89 [mod. M11/91 et M167/93], art. 1.
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 999 R.T.N.U. 171.
School Act, R.S.B.C. 1996, ch. 412, préambule, art. 65, 76(1), (2), 85(1), (2)a), b), 107, 119 et suiv., 168(1)a), (2)a), c) [mod. 1997, ch. 52, art. 22], e).
School District No. 36 (Surrey) Policy B64‑95/96.
School District No. 36 (Surrey) Policy 8425.
School District No. 36 (Surrey) Policy 10900.
School District No. 36 (Surrey) Regulation 8800.1.
Doctrine citée
Benson, Iain T. « Notes Towards a (Re)Definition of the “Secular” » (2000), 33 U.B.C. L. Rev. 519.
Colombie-Britannique. Ministry of Education. Evaluating, Selecting, and Managing Learning Resources : A Guide. Victoria : Learning Resources Branch, 1996.
Colombie-Britannique. Ministry of Education. Personal Planning K to 7 : Integrated Resource Package 1995. Victoria : Learning Resources Branch, 1995.
Elwin, Rosamund, and Michele Paulse. Asha’s Mums. Toronto : Women’s Press, 1990.
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, vol. 2, loose-leaf ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 1997 (updated 2002, release 1).
Ignatieff, Michael. La Révolution des droits. Montréal : Boréal, 2001.
Newman, Lesléa. Belinda’s Bouquet. Boston : Alyson Wonderland, 1991.
Valentine, Johnny. One Dad, Two Dads, Brown Dad, Blue Dads. Boston : Alyson Wonderland, 1994.

Proposition de citation de la décision: Chamberlain c. Surrey School District No. 36, 2002 CSC 86 (20 décembre 2002)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2002-12-20;2002.csc.86 ?
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