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05/06/2003 | CANADA | N°2003_CSC_30

Canada | R. c. Buhay, 2003 CSC 30 (5 juin 2003)


R. c. Buhay, [2003] 1 R.C.S. 631, 2003 CSC 30

Mervyn Allen Buhay Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Procureur général du Québec Intervenant

Répertorié : R. c. Buhay

Référence neutre : 2003 CSC 30.

No du greffe : 28667.

2002 : 1er novembre; 2003 : 5 juin.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel et Deschamps.

en appel de la cour d’appel du manitoba

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba (2001), 156 Man.

R. (2d) 111, 84 C.R.R. (2d) 366, 246 W.A.C. 111, [2001] M.J. No. 215 (QL), 2001 MBCA 70, qui a infirmé une décision de la Cour provinc...

R. c. Buhay, [2003] 1 R.C.S. 631, 2003 CSC 30

Mervyn Allen Buhay Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Procureur général du Québec Intervenant

Répertorié : R. c. Buhay

Référence neutre : 2003 CSC 30.

No du greffe : 28667.

2002 : 1er novembre; 2003 : 5 juin.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel et Deschamps.

en appel de la cour d’appel du manitoba

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba (2001), 156 Man. R. (2d) 111, 84 C.R.R. (2d) 366, 246 W.A.C. 111, [2001] M.J. No. 215 (QL), 2001 MBCA 70, qui a infirmé une décision de la Cour provinciale (2000), 147 Man. R. (2d) 149, [2000] M.J. No. 571 (QL). Pourvoi accueilli.

Bruce F. Bonney et G. Bruce Gammon, pour l’appelant.

David G. Frayer, c.r., et Erin E. Magas, pour l’intimée.

Argumentation écrite seulement par Carole Lebeuf, pour l’intervenant.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1 La juge Arbour — Le pourvoi porte sur la constitutionnalité d’une saisie de marijuana trouvée dans un casier loué par l’appelant à la gare routière de Winnipeg. La Cour doit décider si la Charte canadienne des droits et libertés s’applique à une fouille initiale effectuée par des employés d’un service de sécurité privé. La Cour doit déterminer également si la fouille et la saisie subséquentes effectuées sans mandat par des policiers ont porté atteinte aux droits de l’appelant garantis à l’art. 8 de la Charte et, dans l’affirmative, si la preuve doit être écartée en application du par. 24(2) de la Charte.

I. Les faits

2 La gare routière de Winnipeg met à la disposition du public des casiers fermant à clé, qui peuvent être loués à raison de 2 $ pour une période d’au plus 24 heures. Une somme de 4 $ est exigée pour toute période supplémentaire de 24 heures. Une fois la période écoulée, le contenu peut être retiré du casier et conservé pendant 30 jours, après quoi il peut être vendu pour paiement des frais. Ces conditions figurent sur un autocollant apposé sur chacun des casiers, lesquels appartiennent à Canadian Locker Company et sont gérés à tour de rôle par les sociétés d’autocars Greyhound et Grey Goose.

3 Le 14 mars 1998, deux individus se présentent au poste de surveillance de la gare routière de Winnipeg pour se renseigner sur l’utilisation des casiers. Pendant que l’un d’eux parle aux gardes de sécurité, l’autre se dirige vers les casiers et retire un sac du casier 135. On le voit fouiller dans le sac. Un des gardes de sécurité remarque une légère odeur de marijuana. Pendant ce temps, le premier individu va et vient devant les gardes de sécurité en jetant un coup d’œil aux alentours. On voit ensuite les deux individus verrouiller le casier et quitter la gare.

4 Environ une heure et 45 minutes plus tard, après s’être acquittés d’autres tâches, les gardes de sécurité décident de faire une vérification et se rendent au casier. L’un d’eux, M. Mah, sent une forte odeur de marijuana se dégageant de l’ouverture d’aération du casier. Les gardes de sécurité vont ensuite voir le responsable des messageries express de Greyhound, M. Will, lui font part de leurs soupçons et lui demandent s’il peut ouvrir le casier. M. Will ouvre le casier avec son passe-partout. Un des gardes de sécurité retire le sac de voyage qu’ils avaient vu être déposé dans le casier, et l’ouvre. À l’intérieur, ils trouvent de la marijuana dissimulée dans un sac de couchage enroulé. Forts de leur découverte, ils remettent le tout en place, verrouillent le casier et appellent le service de police de Winnipeg.

5 Peu après, les agents de police Barker et Riddell se présentent à la gare routière, et les gardes de sécurité leur indiquent le casier 135. Les agents sentent l’odeur de marijuana. L’employé de Greyhound ouvre de nouveau le casier. L’agent Barker saisit le sac de marijuana et le met à l’arrière de l’auto‑patrouille.

6 Les policiers n’avaient pas de mandat de perquisition. L’agent Barker a témoigné qu’il n’avait jamais pensé à en obtenir un, et l’agent Riddell, qu’il y avait songé, mais avait conclu que l’appelant n’avait pas d’attente raisonnable de vie privée à l’égard du casier et qu’en outre, il n’y avait pas de motifs suffisants pour obtenir un mandat.

7 Après avoir saisi la drogue, les agents laissent dans le casier une note portant le numéro de téléavertisseur d’un agent banalisé de la section de la moralité. Ils demandent aux gardes de sécurité de surveiller le casier. Le lendemain, un individu s’approche du casier 135, l’ouvre à l’aide d’une clé et, après avoir pris connaissance de la note, quitte les lieux. L’appelant est arrêté plus tard dans l’après‑midi.

8 Lors de ces événements, les casiers étaient sous la responsabilité de Greyhound. Selon le témoignage de M. Will, la société avait pour politique d’ouvrir un casier lorsqu’on croyait qu’il contenait quelque chose de dangereux ou [traduction] « si une mauvaise odeur s’en dégageait, ou quelque chose du genre ». Les personnes qui louaient les casiers n’étaient pas avisées de cette politique.

II. Historique judiciaire

A. Cour provinciale du Manitoba (2000), 147 Man. R. (2d) 149

9 L’appelant a été accusé de possession de marijuana en vue d’en faire le trafic, un acte criminel prévu au par. 5(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19. Au procès, le juge Aquila tient un voir‑dire sur la recevabilité en preuve de la marijuana saisie dans le casier de la gare routière.

10 Le juge examine tout d’abord si la Charte s’applique aux gardes de sécurité. Selon lui, il ressort de la preuve qu’ils travaillaient pour une entreprise privée et, pour que la Charte s’applique, ils doivent avoir agi à titre de représentants de l’État. Après examen des arrêts R. c. Fitch (1994), 47 B.C.A.C. 154, de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, et R. c. M. (M.R.), [1998] 3 R.C.S. 393, de notre Cour, il conclut que les gardes de sécurité n’étaient pas des représentants de l’État et que la Charte ne s’applique donc pas à la fouille initiale qu’ils ont effectuée.

11 Le juge Aquila considère ensuite la fouille et la saisie effectuées par les policiers. Aucun mandat n’ayant été obtenu au préalable, la fouille est de prime abord abusive. Suivant le critère établi dans R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, elle peut être jugée non abusive si (1) elle est autorisée par la loi, (2) la loi elle‑même n’a rien d’abusif et (3) la perquisition n’a pas été effectuée de manière abusive. Le juge Aquila conclut qu’il n’y avait pas de [traduction] « situation pressante » en l’espèce et que les policiers auraient pu facilement obtenir un mandat.

12 Le juge Aquila examine ensuite si l’appelant avait, relativement au casier, une attente raisonnable de vie privée. Appliquant le critère établi par le juge Cory dans R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128, il conclut que l’appelant avait une attente personnelle raisonnable de vie privée. Plus particulièrement, l’appelant avait conclu un contrat pour l’utilisation exclusive du casier pendant une période de 24 heures, qui n’était pas expirée. Ni la direction ni la police n’avait le droit de l’ouvrir si le casier ne renfermait rien de dangereux ou s’il ne s’en dégageait pas d’odeur nauséabonde. La saisie effectuée par les policiers porte donc atteinte à l’art. 8 de la Charte.

13 Pour décider si la preuve doit être écartée, le juge Aquila applique le critère dégagé dans Collins. Il estime qu’il s’agit d’une preuve matérielle et qui n’a pas été « conscrite » en mobilisant l’accusé contre lui‑même. Il juge cependant que l’atteinte est grave et non seulement de pure forme. Il est préoccupé par la manière désinvolte avec laquelle la police a porté atteinte aux droits de l’appelant. Il juge nécessaire d’écarter la preuve afin de dissuader à l’avenir ce type de comportement chez les policiers. Il accueille la requête visant à écarter la preuve et, comme les parties ont convenu que l’issue de l’affaire dépend entièrement de la recevabilité de la drogue en preuve, l’appelant est acquitté.

B. Cour d’appel du Manitoba (2001), 156 Man. R. (2d) 111, 2001 MBCA 70

14 Dans un court jugement, le juge Huband accueille le pourvoi du ministère public et inscrit une déclaration de culpabilité. La Cour d’appel estime que la fouille initiale n’a pas porté atteinte à l’art. 8 parce que les gardes de sécurité étaient employés par une entreprise privée et n’étaient donc pas assujettis à la Charte. Elle conclut que lorsque les policiers ont ouvert le casier puis saisi la marijuana, il y a eu un simple [traduction] « transfert de contrôle » des gardes de sécurité aux policiers. La Cour explique que si les gardes de sécurité avaient mis la marijuana dans un placard ou un autre casier, il aurait été clair que ce transfert n’équivalait ni à une fouille ni à une saisie policières. Le fait qu’ils ont temporairement remis la marijuana dans le même casier et en ont conservé le contrôle mène à la même conclusion. Comme il n’y a eu ni fouille ni saisie par des représentants de l’État, il n’y a pas eu d’atteinte à l’art. 8.

III. Dispositions législatives applicables

15 Charte canadienne des droits et libertés

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

24. . . .

(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

32. (1) La présente charte s’applique :

a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord‑Ouest;

b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature.

Loi sur les détectives privés et les gardiens de sécurité, L.R.M. 1987, ch. P132

1 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« gardien de sécurité » Personne qui, contre rémunération ou récompense, fait une surveillance ou une patrouille aux fins de protection de personnes ou de biens.

35 Le titulaire d’une licence délivrée sous le régime de la présente loi ne peut donner lieu de croire, de quelque manière, qu’il fournit des services ou exerce des fonctions ayant des rapports avec le travail de la police.

IV. Questions en litige

16 Le pourvoi soulève quatre questions :

(1) L’appelant avait‑il, relativement au casier, une attente raisonnable de vie privée?

(2) La Charte s’applique‑t‑elle aux gardes de sécurité et, dans l’affirmative, la fouille initiale du casier 135 est‑elle contraire à l’art. 8 de la Charte?

(3) La fouille et la saisie subséquentes effectuées sans mandat par les policiers sont‑elles contraires à l’art. 8 de la Charte?

(4) S’il y a eu fouille ou saisie abusive, l’élément de preuve en cause doit‑il être écarté en application du par. 24(2) de la Charte?

17 Je conclus que le juge du procès a correctement appliqué le droit aux faits de l’espèce et que la Cour d’appel a fait erreur en concluant qu’il n’y a eu ni fouille ni saisie policières. L’appelant avait une attente raisonnable de vie privée à l’égard du contenu du casier loué à la gare routière de Winnipeg. La fouille initiale par les gardes de sécurité n’a pas enclenché l’application de la Charte parce qu’ils n’agissaient pas à titre de représentants de l’État. Toutefois, les policiers devaient obtenir un mandat avant de procéder à la fouille du casier de l’appelant. Non justifiées par ailleurs, la fouille et la saisie sans mandat ont porté atteinte aux droits de l’appelant garantis à l’art. 8 de la Charte. Je conclus que la Cour ne doit pas modifier la décision du juge du procès d’écarter la preuve en vertu du par. 24(2). Le juge n’a tiré aucune conclusion de fait déraisonnable et n’a fait aucune erreur de droit. Rien ne justifie de réformer sa décision.

V. Analyse

A. Les attentes de l’appelant en matière de vie privée à l’égard du casier 135

18 L’article 8 de la Charte garantit le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Prouver une atteinte à cette disposition exige d’établir tout d’abord que la personne en cause avait une attente raisonnable de vie privée à l’égard de l’objet visé par la fouille, la perquisition ou la saisie (Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, p. 159; Edwards, précité, par. 30). L’attente raisonnable doit être appréciée en fonction de toutes les circonstances (voir p. ex. Edwards, par. 31, et R. c. Wong, [1990] 3 R.C.S. 36, p. 62). Les facteurs à considérer comportent notamment, sans s’y limiter, la présence de l’accusé pendant la fouille, la possession ou le contrôle des biens ou des lieux faisant l’objet de la fouille ou de la perquisition, leur propriété, l’usage antérieur des biens ou des objets, la capacité de régir l’accès au lieu, l’existence d’une attente subjective de vie privée et le caractère raisonnable de l’attente sur le plan objectif (Edwards, par. 45).

19 En l’espèce, la question qui se pose, « en termes plus généraux et plus neutres » (Wong, précité, p. 50), est de savoir si, dans notre société, la personne qui met ses affaires sous clé dans un casier de gare routière a une attente raisonnable de vie privée.

20 À mon sens, les garanties de l’art. 8 s’étendent aux objets qu’une personne met sous clé dans un tel casier. Je conviens avec le juge Aquila que l’appelant avait, à l’égard du casier 135, une attente raisonnable de vie privée. Voici ce qu’il dit (au par. 32) :

[traduction] Je suis convaincu que M. Buhay avait, à l’égard du contenu du casier, une attente personnelle raisonnable de vie privée. Il avait droit, par contrat, à l’utilisation exclusive du casier pendant une période de 24 heures, et celle‑ci n’avait pas encore expiré. Sans la présence d’une substance dangereuse ou dégageant des vapeurs désagréables, ni la direction ni la police n’avaient le droit d’ouvrir le casier. . .

21 Comme il avait la clé du casier, l’appelant avait le contrôle et la possession de ce qu’il contenait. Il n’était pas propriétaire du casier, qui demeurait la propriété des sociétés d’autocars, mais il avait payé la somme exigée pour avoir droit à l’utilisation exclusive du casier pendant une période déterminée. Grâce à sa clé, l’appelant pouvait régir l’accès au casier pendant la durée de la location. De plus, la vignette apposée aux casiers ne faisait pas mention de la possibilité qu’ils soient ouverts et fouillés. À mon avis, le détenteur de la clé avait une attente subjective de vie privée et cette attente était raisonnable sur le plan objectif. Dans un tel lieu, en effet, on loue généralement un casier pour protéger ses affaires contre le vol ou l’endommagement ou la simple curiosité d’autrui. Il est raisonnable de s’attendre à ce que personne ne touche aux objets personnels déposés dans un casier loué contre paiement, à moins qu’ils ne paraissent constituer une menace pour la sécurité de l’endroit. La même conclusion est tirée dans R. c. Dinh (2001), 42 C.R. (5th) 318, 2001 ABPC 48.

22 L’intimée soutient que l’appelant avait une attente minime de vie privée puisque les sociétés d’autocars étaient propriétaires des casiers et disposaient d’un passe‑partout [traduction] « leur permettant de les ouvrir à tout moment ». Cela est vrai, mais l’attente raisonnable de vie privée ne disparaît pas pour autant. Le caractère raisonnable de l’attente dépend du contexte. Il n’est pas requis que l’attente soit du plus haut degré de vie privée pour que la garantie de l’art. 8 s’applique. Par exemple, la personne qui loue une chambre d’hôtel n’en est pas propriétaire, et elle sait probablement que la direction dispose d’un passe‑partout. Il est raisonnable de supposer que le personnel de l’hôtel entrera dans la chambre, mais à certaines fins seulement. Il existe donc à l’égard de la chambre une attente raisonnable de vie privée, qui peut être accrue avec une affichette « Ne pas déranger ».

23 La Cour d’appel de l’Ontario, examinant la question dans R. c. Mercer (1992), 70 C.C.C. (3d) 180, dit, à la p. 186 : [traduction] « . . . je ne crois pas que le fait de savoir que le personnel d’entretien entrera au moins une fois par jour dans sa chambre empêche le client d’un hôtel d’avoir une attente raisonnable de vie privée » et ajoute :

[traduction] La vie privée ne serait pas adéquatement protégée si l’attente de vie privée à l’égard du bureau ou d’une chambre d’hôtel cessait d’être raisonnable parce qu’on a conscience de la possibilité que le personnel d’entretien fouine dans ce qui n’est pas mis sous clé.

Bien que l’analogie entre une chambre d’hôtel et un casier de gare routière ne soit pas parfaite, j’estime que l’existence d’un passe‑partout ne supprime pas en soi l’attente de vie privée. Si cela était le cas, une telle attente n’existerait pas, par exemple, dans un immeuble d’habitation, un complexe de bureaux ou une résidence universitaire. Sauf urgence ou autres circonstances pressantes, le locataire d’un casier peut raisonnablement s’attendre à ce que les agents de sécurité de la gare ou les policiers ne fouillent pas son casier sans autorisation.

24 Tout récemment, dans R. c. Law, [2002] 1 R.C.S. 227, 2002 CSC 10, la Cour a interprété de manière libérale le droit à la protection de la vie privée. Le juge Bastarache souligne au par. 16 que cette protection s’étend non seulement à la résidence et aux objets personnels, mais aussi aux renseignements qu’on veut garder confidentiels, spécialement ceux qu’on met sous clé. Il en va de même des objets personnels qu’on choisit de mettre hors de la portée d’autrui en les rangeant sous clé dans un espace loué à cette fin. Même si elle n’était pas aussi grande que celle afférente au corps, au lieu de résidence ou au lieu de travail, l’attente raisonnable de vie privée à l’égard du casier 135 était suffisante pour qu’entre en jeu la garantie de l’art. 8 de la Charte. Il faut maintenant décider si la fouille initiale par les gardes de sécurité porte atteinte à l’art. 8.

B. Les gardes de sécurité étaient‑ils des représentants de l’État pendant la fouille initiale du casier 135?

25 L’article 32 de la Charte énonce que ses dispositions s’appliquent au parlement ou au gouvernement du Canada, ainsi qu’à la législature et au gouvernement des provinces. Par conséquent, l’art. 8 ne s’applique à la fouille initiale du casier de l’appelant que si les gardes de sécurité peuvent être considérés comme « faisant partie du gouvernement » ou exerçant une fonction gouvernementale précise (Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624), ou qu’ils peuvent être assimilés à des représentants de l’État (R. c. Broyles, [1991] 3 R.C.S. 595; M. (M.R.), précité). Dans ce dernier cas, il faut examiner le lien entre l’État (la police) et l’entité privée (les gardes de sécurité). Dans Broyles, p. 608, une affaire concernant un indicateur, le juge Iacobucci, au nom de la Cour, énonce le critère applicable :

Lorsque les liens entre l’indicateur et les autorités se sont établis après l’obtention de la déclaration ou qu’ils n’affectent aucunement l’échange qui a eu lieu entre l’indicateur et l’accusé, ils n’auront pas pour effet de transformer l’indicateur en un représentant de l’État aux fins de l’échange en cause. Ce n’est que si les liens entre l’indicateur et l’État sont tels que l’échange entre l’indicateur et l’accusé s’est déroulé de façon essentiellement différente, que l’indicateur devra être considéré comme un représentant de l’État aux fins de l’échange. Par conséquent, je suis d’avis d’adopter le simple critère suivant : L’échange entre l’accusé et l’indicateur aurait‑il eu lieu, de la même façon et sous la même forme, n’eût été l’intervention de l’État ou de ses représentants?

26 Dans M. (M.R.), précité, par. 29, la Cour applique ce critère à la fouille d’un élève par un membre de la direction de l’école. Au nom de la majorité, le juge Cory conclut, au par. 28, que « [l]e seul fait qu’il y ait eu coopération entre le directeur adjoint et la police et qu’un policier ait assisté à la fouille n’est pas suffisant pour indiquer que le directeur adjoint agissait en qualité de mandataire de la police. [. . .] Il n’y a aucune preuve de l’existence d’une entente ou de directives données à M. Cadue par la police qui aient pu donner naissance à un rapport mandant‑mandataire. »

27 En l’espèce, la Cour d’appel et le juge Aquila concluent qu’il n’y a pas eu atteinte à la Charte puisque les gardes de sécurité appartenaient au secteur privé et n’étaient pas des représentants de l’État. Je suis d’accord.

28 Rien dans la preuve ne permet d’assimiler à l’État les gardes de sécurité ou l’agence pour laquelle ils travaillaient, ni d’attribuer leurs activités à l’État. Les gardes de sécurité privés ne sont ni des représentants ni des employés de l’État, et hormis un encadrement législatif minimal, ils ne sont pas sous l’autorité de l’État. Il peut y avoir chevauchement entre leur travail et l’intérêt de l’État dans la prévention et la répression du crime, mais on ne peut dire que les gardes de sécurité sont délégués par l’État pour veiller à l’application de ses politiques ou de ses programmes. Même si l’on concède que la protection du public relève de la mission publique de l’État, cela ne permet pas de conclure à la nature gouvernementale des fonctions exercées par les gardes de sécurité. À cet égard, dans Eldridge, précité, par. 43, la Cour dit :

. . . le seul fait qu’une entité exerce ce qu’on peut librement appeler une « fonction publique » ou le fait qu’une activité particulière puisse être dite de nature « publique » n’est pas suffisant pour que cette entité soit assimilée au « gouvernement » pour l’application de l’art. 32 de la Charte.

. . .

Pour que la Charte s’applique à une entité privée, il doit être établi que celle‑ci met en œuvre une politique ou un programme gouvernemental déterminé. Comme j’ai ajouté, dans McKinney, à la p. 269, « [l]e critère de l’objet public est simplement inadéquat » et « [c]e n’est tout simplement pas le critère qu’impose l’art. 32 ». [Souligné dans l’original.]

29 Les gardes de sécurité ne peuvent non plus être considérés comme des représentants de l’État. Compte tenu du critère dégagé dans Broyles et dans M. (M.R.), précités, la question à se poser est de savoir si les gardes de sécurité auraient fouillé le casier 135 sans l’intervention des policiers. Il ressort des faits de l’espèce que, lors de la fouille initiale, les agents de sécurité ont agi de manière totalement indépendante de la police. Dans M. (M.R.), la participation policière était même plus grande qu’en l’espèce, car les policiers avaient été appelés avant la fouille et y avaient assisté. En l’espèce, le lien entre la police et les gardes de sécurité s’est établi après que ces derniers eurent fouillé le casier de l’appelant. Les gardes ont procédé à une vérification de leur propre chef, sans aucune directive de la police. Même si le formulaire de rapport utilisé par les gardes de sécurité renferme des espaces pour y inscrire le numéro de rapport d’événement et de matricule des policiers, je conviens avec le ministère public que cela montre seulement que l’entreprise de sécurité a pour politique générale de collaborer avec la police. Vu leurs fonctions, il est normal que les gardes de sécurité soient périodiquement appelés à communiquer avec la police. Cela n’établit pas pour autant une relation « permanente » mandant‑mandataire entre la police et eux. La Loi sur les détectives privés et les gardiens de sécurité, L.R.M. 1987, ch. P132, qui réglemente les activités des gardes de sécurité au Manitoba, le confirme. En effet, l’art. 35 dispose expressément qu’un garde de sécurité ne doit pas donner lieu de croire, de quelque manière, qu’il fournit des services ou exerce des fonctions ayant des rapports avec le travail de la police.

30 Habituellement, le fait pour des citoyens de participer volontairement à la détection du crime ou pour les autorités policières de les encourager de manière générale à le faire ne constitue pas, de la part de la police, une direction suffisante pour que s’applique la Charte. L’intervention de la police doit viser spécifiquement une affaire sous enquête (voir, sur la question précise de savoir si des gardes de sécurité ont agi à titre de représentants de l’État, Fitch, précité; R. c. Caucci (1995), 43 C.R. (4th) 403 (C.A. Qué.)). En l’espèce, rien dans la preuve n’indique que les policiers ont donné aux gardes de sécurité la directive de fouiller le casier 135, de sorte que ces derniers ne peuvent être considérés comme des représentants de l’État.

31 Bien que le recours aux agences de sécurité privées se soit accru au Canada et que des agents de sécurité procèdent couramment à des arrestations, à des mises en détention et à des fouilles, « [l]’exclusion des activités privées de l’application de la Charte n’est pas le fruit du hasard. C’est un choix délibéré qu’il faut respecter » (McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, p. 262). Si l’État abandonnait au secteur privé, en totalité ou en partie, une fonction publique essentielle, même sans délégation expresse, il se peut que l’activité privée soit alors assimilée à une activité de l’État pour les besoins de la Charte. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Pour ce qui est de savoir si un garde de sécurité du secteur privé est un « représentant de l’État », le critère établi dans Broyles, précité, appelle une analyse cas par cas, axée sur les actes qui ont donné lieu à l’atteinte alléguée à la Charte et sur le lien existant entre les gardes de sécurité et l’État. Quoi qu’il en soit, il faut souligner que, lorsque aucun représentant de l’État n’est intervenu, il existe d’autres moyens que le recours à la Charte pour écarter la preuve contestée, comme nous le verrons plus loin. En l’espèce, le juge du procès a mis l’accent, à juste titre, sur la fouille des policiers, que j’examine maintenant.

C. La fouille du casier 135 par les policiers contrevient-elle à l’art. 8 de la Charte?

32 Nous devons maintenant décider si la fouille du casier par les policiers est abusive au sens de l’art. 8 (Edwards, précité, par. 45). La fouille n’est pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi elle‑même n’a rien d’abusif et si la fouille n’a pas été effectuée de manière abusive : Collins, précité, p. 278. La fouille du casier a été effectuée sans mandat. Elle est donc, de prime abord, abusive et il incombe au ministère public d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle ne l’était pas.

33 La Cour d’appel conclut, au par. 11, que la police a mis la main sur la marijuana à la suite d’un simple transfert de contrôle de la drogue par les gardes de sécurité, et qu’il ne s’agit donc ni d’une fouille ni d’une saisie policière :

[traduction] Ce n’est qu’une fois la marijuana découverte et sous le contrôle des gardes de sécurité qu’on a appelé la police. À l’arrivée des policiers, le casier a été rouvert et la marijuana a été confiée à leur garde. Dans les faits, il s’agit d’un simple transfert du contrôle de la drogue des gardes de sécurité aux policiers. Si les gardes de sécurité avaient mis la marijuana dans un placard ou dans un autre casier, il aurait été clair que ce transfert n’équivalait ni à une fouille ni à une saisie policière. Le fait qu’ils ont remis temporairement la marijuana dans le même casier et en ont conservé le contrôle mène à la même conclusion.

Avec égards, je ne suis pas d’accord. Initialement, l’appelant avait une attente raisonnable de vie privée relativement au contenu de son casier. Les gardes de sécurité ont porté atteinte à sa vie privée. Ils ont ensuite remis ses affaires dans le casier. L’attente raisonnable de vie privée de l’appelant était continue. Ce n’est pas parce que les gardes de sécurité avaient déjà porté atteinte à sa vie privée que toute atteinte subséquente était acceptable. Le comportement de la police — ouvrir un casier verrouillé dont l’appelant avait encore la possession légitime et mettre la main sur son contenu — équivalait à une « fouille » au sens de l’art. 8, de même qu’à une « saisie », celle‑ci se produisant « lorsque les autorités prennent quelque chose appartenant à une personne sans son consentement » : R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417, p. 431, le juge La Forest.

34 La Cour a statué que, dans certaines circonstances, le simple « transfert de contrôle » de la preuve d’un citoyen à la police peut constituer une saisie au sens de l’art. 8. Dans Dyment, précité, le juge La Forest dit, à la p. 435 :

Si je devais tracer la ligne de démarcation entre une saisie et la simple réunion d’éléments de preuve, je la situerais, logiquement et conformément à son objet, au point où on peut raisonnablement affirmer que l’individu n’a plus droit à la préservation du caractère confidentiel de l’objet qui serait saisi.

En l’espèce, on ne peut raisonnablement affirmer que l’appelant n’avait plus droit à la préservation du caractère confidentiel de ce qui se trouvait dans son casier. Les mesures prises subséquemment par la police doivent être assimilées à une saisie au sens de l’art. 8. Je ne vois aucun motif de conclure que, du seul fait qu’un particulier (comme un garde de sécurité) a porté atteinte à sa vie privée en fouillant le contenu du casier verrouillé qu’elle a loué dans une gare routière, une personne n’a plus d’attente raisonnable de vie privée relativement au contenu de ce casier. L’intervention des gardes de sécurité ne soustrait pas les policiers à l’obligation, énoncée dans Hunter, d’obtenir au préalable l’autorisation du tribunal de saisir la contrebande découverte par les gardes de sécurité. Toute autre conclusion équivaudrait à « contourner l’exigence d’obtenir un mandat » (Law, précité, par. 23). La fouille du casier par les gardes de sécurité, qui échappe à l’application de la Charte, ne peut soustraire la police aux exigences rigoureuses qui s’appliquent lorsque l’État décide de s’immiscer dans la vie privée d’un citoyen (R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20, p. 64; Law, par. 23).

35 Comme le juge du procès, j’estime que le ministère public n’a pas réfuté la présomption selon laquelle la fouille sans mandat était abusive. Il n’y avait ni situation d’urgence ni risque imminent que des éléments de preuve soient perdus, enlevés, détruits ou qu’ils disparaissent si la fouille, la perquisition ou la saisie était retardée (R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223, p. 243). Le ministère public ne peut invoquer aucun pouvoir conféré par la loi ou la common law pour établir que la fouille était « autorisée par la loi ». Les exigences découlant de Collins ne sont donc pas remplies.

36 Les motifs pour lesquels les policiers ont agi comme ils l’ont fait sont sans pertinence à ce stade. Qu’ils aient cru qu’un mandat n’était pas nécessaire ou qu’ils ne l’obtiendraient probablement pas n’a aucune incidence sur la légalité de la fouille. Ces questions sont examinées dans l’analyse relative au par. 24(2) (voir Mercer, précité, p. 189). Évidemment, l’absence de motifs suffisants pour obtenir un mandat ne justifie pas de procéder à une fouille sans mandat. Bien au contraire, elle confirme que l’atteinte à la vie privée est inacceptable. En pareil cas, [traduction] « les options qui s’offrent aux responsables de l’application de la loi sont de poursuivre l’enquête en recourant à des méthodes moins attentatoires que la fouille et la perquisition et de demander un mandat dès qu’ils ont des motifs suffisants de le faire » : Mercer, p. 189; voir aussi R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3, p. 29.

37 Le ministère public prétend également que la théorie des « objets bien en vue » justifie la saisie parce que les actes des gardes de sécurité ont eu pour effet de mettre la contrebande bien à la vue des policiers. Cet argument doit être rejeté. Il ne suffit pas d’affirmer que la preuve était bien en vue au moment de la saisie. En fait, dans la quasi‑totalité des cas, les policiers voient l’objet lorsqu’ils le saisissent (voir Coolidge c. New Hampshire, 403 U.S. 443 (1971); R. c. Spindloe, (2001), 154 C.C.C. (3d) 8 (C.A. Sask.), par. 36). C’est forcer le sens de l’expression que de soutenir qu’un article placé dans un sac à l’intérieur d’un casier verrouillé est en quelque sorte « bien en vue » des policiers. La théorie des objets bien en vue exige, et peut‑être s’agit‑il d’un élément central, que l’agent de police ait été préalablement justifié de s’introduire dans les lieux où ont été saisis les objets « bien en vue » (voir p. ex. Law, précité, par. 27; Spindloe, précité; R. c. Belliveau (1986), 75 R.N.‑B. (2e) 18 (C.A.); R. c. Nielsen (1988), 43 C.C.C. (3d) 548 (C.A. Sask.); R. c. Kouyas (1994), 136 N.S.R. (2d) 195 (C.A.), conf. par [1996] 1 R.C.S. 70; R. c. Fitt (1995), 96 C.C.C. (3d) 341 (C.A.N.‑É.), conf. par [1996] 1 R.C.S. 70; Texas c. Brown, 460 U.S. 730 (1983), p. 741; Coolidge, précité). Les policiers n’ont pas découvert la marijuana lors d’une patrouille de routine ou par l’usage ordinaire de leurs sens. Ils n’avaient pas obtenu l’autorisation préalable d’ouvrir le casier de l’appelant. Même si, dans les circonstances en l’espèce, ils pouvaient légalement pénétrer dans la gare routière, ils ne pouvaient accéder légalement au casier sans mandat. Comme la contrebande n’était manifestement pas à la vue des policiers, la légalité de la saisie ne peut être justifiée suivant cette théorie.

38 La fouille et la saisie sans mandat des articles mis sous clé dans le casier loué à la gare routière sont donc une violation inacceptable par l’État d’une attente à la fois légitime et raisonnable de vie privée, et donc une violation de l’art. 8 de la Charte.

39 Avant de passer au par. 24(2), je ferai deux brèves remarques sur le raisonnement de la Cour d’appel. Premièrement, nous n’avons pas à décider si l’intervention de la police aurait constitué une « fouille » dans le cas où les gardes de sécurité n’auraient pas remis les objets à l’intérieur du casier, mais les auraient rangés dans un placard. Ce n’est pas ce qu’ils ont fait. S’ils l’avaient fait, nous aurions pu devoir adapter le critère de Broyles, précité, pour décider si les gardes de sécurité étaient devenus des représentants de l’État, et à quel moment, ou, subsidiairement, si le « simple transfert de contrôle » pouvait être considéré comme une « saisie » par la police au sens de l’art. 8.

40 Deuxièmement, et cela est plus important, même si le raisonnement de la Cour d’appel était valable et qu’aucune fouille, perquisition ou saisie n’avait enclenché l’application de l’art. 8 de la Charte, l’accusé pouvait avoir d’autres moyens que le recours à la Charte pour demander l’exclusion de la preuve en cause. En effet, même en l’absence de violation de la Charte, les tribunaux ont, en common law, le pouvoir discrétionnaire d’exclure la preuve obtenue dans des circonstances telles que son utilisation rendrait le procès inéquitable ou que l’effet préjudiciable de son utilisation l’emporterait sur sa valeur probante (voir en matière d’aveux : Rothman c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 640, p. 696, le juge Lamer (plus tard Juge en chef); R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, 2000 CSC 38, par. 69, le juge Iacobucci; voir également J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (2e éd. 1999), p. 339-340); et dans d’autres contextes, R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562, le juge La Forest; Caucci, précité, par. 13 et 17; Sopinka, Lederman et Bryant, op. cit., p. 30-33). Cet argument n’a pas été invoqué par l’appelant qui a soutenu dans toutes les instances avoir droit à réparation en vertu de la Charte en raison de la violation de l’art. 8. Étant donné ma conclusion relative à l’art. 8, il n’est pas nécessaire d’approfondir la question de savoir si ce pouvoir discrétionnaire de common law aurait pu s’appliquer à l’exclusion d’une preuve matérielle dans des circonstances telles que celles de la présente espèce. Nous devons plutôt nous demander si la marijuana saisie illégalement par la police doit être exclue en vertu du par. 24(2) parce que son utilisation « est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ».

D. Faut-il écarter la preuve en application du par. 24(2) de la Charte?

41 Depuis l’arrêt‑clé Collins, précité, la Cour a regroupé les facteurs à examiner sur ce point dans une analyse en trois temps qu’elle a généralement suivie dans ses décisions ultérieures. Dans le récent arrêt Law, précité, au par. 33, la Cour résume le processus permettant de décider si l’utilisation d’un élément de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice :

Dans Collins, précité, la Cour a regroupé en trois catégories les facteurs à examiner pour l’application du par. 24(2) : (1) l’effet de l’utilisation de la preuve sur l’équité du procès à venir; (2) la gravité de la conduite de la police; (3) l’effet de l’exclusion de la preuve sur l’administration de la justice. Au procès, les juges sont tenus de prendre ces trois facteurs en considération.

Avant d’examiner ces facteurs dans le contexte de l’espèce, il convient de passer en revue les principes applicables à l’appel de la décision du juge du procès d’exclure ou non un élément de preuve à la suite d’une violation de la Charte.

42 La décision du juge du procès d’écarter ou non un élément de preuve sur le fondement du par. 24(2) de la Charte constitue, comme toute question de recevabilité, une question de droit pouvant généralement faire l’objet d’un appel (R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613, p. 653). Dans cet arrêt, le juge Le Dain dit clairement, à la p. 654, que suivant le « par. 24(2), lorsqu’un juge conclut que l’utilisation d’une preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, il a le devoir et non pas le pouvoir discrétionnaire d’écarter cette preuve. Cette distinction revêt évidemment une certaine importance relativement à l’étendue du contrôle qui peut être fait d’une décision rendue en vertu du par. 24(2). » Cela ne veut pas dire pour autant que l’analyse fondée sur le par. 24(2) ne comporte aucun élément discrétionnaire.

43 En effet, dans Collins, précité, tout en se disant d’accord avec le juge Le Dain quant à l’obligation du juge d’utiliser ou d’écarter la preuve selon les conclusions auxquelles il arrive, le juge Lamer signale, aux p. 275-276, que lorsque la décision du juge du procès s’appuie, par exemple, sur son appréciation de la crédibilité du témoin, cette appréciation ne peut être contestée en appel. Plus loin, à la p. 283, le juge Lamer rappelle à chaque juge que « son pouvoir discrétionnaire [de décider si l’utilisation de l’élément de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice] est enraciné dans les valeurs de la société » et que sa décision ne sera pas modifiée en appel s’il n’a pas exercé ce pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable.

44 Compte tenu de ce qui précède, une distinction existe entre la conclusion du tribunal concernant la déconsidération de l’administration de la justice, qui suppose une appréciation de la preuve dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, et la décision judiciaire d’écarter un élément de preuve, qui constitue un devoir qui en découle (voir Sopinka, Lederman et Bryant, op. cit., p. 423). Décider si chacune des conditions préalables à l’exclusion est remplie exige une appréciation de la preuve et l’exercice d’une large part de jugement, et commande donc de la déférence de la part de la cour d’appel (D. M. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence (3e éd. 2002), p. 276; voir aussi R. c. B. (C.R.), [1990] 1 R.C.S. 717, p. 733). La Cour a souligné plusieurs fois l’importance de la déférence envers les conclusions des juges d’instances inférieures concernant le par. 24(2) de la Charte : voir p. ex. R. c. Duguay, [1989] 1 R.C.S. 93, p. 98; Kokesch, précité, p. 19; R. c. Greffe, [1990] 1 R.C.S. 755, p. 783; R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615, p. 625; R. c. Wise, [1992] 1 R.C.S. 527, p. 539; R. c. Goncalves, [1993] 2 R.C.S. 3, p. 3; Grant, précité, p. 256; R. c. Belnavis, [1997] 3 R.C.S. 341, par. 35; R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607, par. 68. Récemment, dans Law, précité, par. 32, elle l’a soulignée à nouveau :

Bien que la décision d’écarter un élément de preuve doive être raisonnable, la cour siégeant en révision ne modifiera pas les conclusions du juge de première instance concernant le par. 24(2) en l’absence d’une « erreur manifeste quant aux principes ou aux règles de droit applicables » ou d’une « conclusion déraisonnable ».

45 Cette affirmation est également compatible avec le récent arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33. La question de savoir si l’utilisation d’un élément de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice est une question mixte de fait et de droit en ce qu’elle suppose l’application d’une norme juridique à un ensemble de faits. Dans Housen, les juges Iacobucci et Major, pour la majorité, statuent que « [c]ette question est assujettie à la norme de l’erreur manifeste et dominante, à moins que le juge de première instance n’ait clairement commis une erreur de principe isolable en déterminant la norme applicable ou en appliquant cette norme, auquel cas l’erreur peut constituer une erreur de droit » (par. 37).

46 Sur l’application du par. 24(2) comme sur toute autre question, le juge du procès entend la preuve et il est mieux placé pour apprécier la crédibilité des témoins et juger de l’effet de leurs témoignages. Dans Belnavis, précité, où il était dissident en partie, le juge Iacobucci explique de manière convaincante la raison d’être de cette déférence due aux conclusions du juge du procès (au par. 76) :

Les raisons qui expliquent ce principe de retenue sont évidentes et impérieuses. Les juges du procès entendent directement les témoins. Ils observent leur comportement à la barre et entendent le ton de leurs réponses. Ils obtiennent donc beaucoup de renseignements qui ne se dégagent pas nécessairement d’une transcription, si complète soit‑elle. Même si, sur le plan logistique, il était possible aux cours d’appel de réentendre régulièrement les témoins afin d’obtenir ces renseignements, elles ne le feraient pas; l’examen et l’évaluation de ce genre d’éléments de preuve relèvent de la compétence particulière de la cour de première instance. Plus on remonte la chaîne d’appels, plus on perd cette compétence institutionnelle et plus le risque est grand de voir prendre une décision qui ne reflète pas la réalité de la situation.

47 Quand elles sont fondées sur une appréciation des témoignages, les conclusions du juge du procès appellent une grande déférence. Cela est particulièrement vrai, pour l’application du par. 24(2), à l’égard de l’appréciation de la gravité de l’atteinte, qui dépend de facteurs ressortant généralement des témoignages, comme la bonne foi et l’existence d’une situation d’urgence ou de nécessité (Law, précité, par. 38‑41).

48 Comme je l’explique en détail plus loin, j’estime que les conclusions du juge du procès ne sont ni déraisonnables ni fondées sur une erreur ou une mauvaise interprétation du droit applicable. La Cour doit donc faire preuve de déférence à leur égard. Même si ma propre appréciation des facteurs d’application du par. 24(2) pourrait différer de celle du juge du procès, je ne vois aucune raison d’infirmer sa décision sur ce point.

(1) L’équité du procès

49 Lorsque l’utilisation d’une preuve aurait pour effet de rendre le procès inéquitable, elle est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, de sorte que la preuve doit être écartée. Comme l’explique le juge Bastarache dans Law, précité, par. 34, reprenant les propos de la Cour dans Collins, précité, p. 284, « [l]a notion d’équité du procès s’attache en fin de compte aux effets continus de l’auto‑incrimination sur l’accusé, de sorte que les principaux (mais non les seuls) éléments dont il faut tenir compte à cette étape sont la nature de la preuve obtenue et celle du droit violé ». Il précise que l’arrêt‑clé à cet égard est Stillman, précité, où la Cour statue que l’utilisation de la preuve conscrite, « obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même », qu’elle émane de l’accusé ou qu’il s’agisse d’une preuve dérivée, porte généralement atteinte à l’équité du procès. Une preuve est conscrite lorsque « l’accusé, en violation de ses droits garantis par la Charte, est forcé de s’incriminer sur l’ordre de l’État au moyen d’une déclaration, de l’utilisation de son corps ou de la production de substances corporelles » : Stillman, par. 80, le juge Cory.

50 La preuve obtenue en violation de droits garantis par la Charte qui n’émane pas de l’accusé mais existe indépendamment de l’atteinte est qualifiée de preuve non conscrite. Son utilisation ne touche pas l’équité du procès, mais les deuxième et troisième groupes de facteurs peuvent militer en faveur de son exclusion : Stillman, précité; R. c. Evans, [1996] 1 R.C.S. 8.

51 En l’espèce, le juge Aquila a raison de conclure que l’utilisation en preuve de la marijuana saisie lors de la fouille du casier 135 ne porte pas atteinte à l’équité du procès. L’appelant n’a pas été forcé de participer à la constitution de la preuve, et la preuve existait avant l’atteinte à la Charte. En outre, l’élément de preuve était manifestement « susceptible d’être découvert » sans atteinte à un droit constitutionnel. Comme la marijuana est une preuve non conscrite et « susceptible d’être découverte », son utilisation n’aurait pas pour effet de rendre le procès inéquitable. Pour décider de la recevabilité de cet élément de preuve, il faut donc pondérer les facteurs correspondant aux deuxième et troisième questions : quelle est la gravité de l’atteinte, et l’exclusion de la preuve déconsidérerait‑elle l’administration de la justice?

(2) La gravité de l’atteinte

52 Le deuxième ensemble de facteurs a trait à la gravité de la violation de la Charte. Sa gravité dépend de « savoir si elle a été commise de bonne foi ou par inadvertance ou si elle est de pure forme, ou encore s’il s’agit d’une violation délibérée, volontaire ou flagrante » (Therens, précité, p. 652). Il y a lieu de déterminer également si l’atteinte a été motivée par une situation d’urgence ou de nécessité : Therens, p. 652; R. c. Silveira, [1995] 2 R.C.S. 297, p. 367; Law, précité, par. 37. Il importe aussi de déterminer si l’agent de police aurait pu obtenir la preuve par d’autres moyens, auquel cas l’inobservation de la Charte serait dénuée de motif et flagrante : Collins, précité, p. 285; Law, par. 37. La Cour peut également tenir compte des facteurs suivants : le caractère envahissant de la fouille, les attentes en matière de vie privée de la personne à l’égard du lieu où s’effectue la fouille et l’existence de motifs raisonnables et probables (R. c. Caslake, [1998] 1 R.C.S. 51, par. 34). On a vu que la conclusion du juge du procès sur ce point justifie une grande déférence : Law, par. 38.

53 Dans la présente affaire, le juge du procès conclut ce qui suit au par. 40 :

[traduction] L’atteinte était grave et non simplement de pure forme. La cour déplore la manière désinvolte avec laquelle la police a porté atteinte aux droits de l’appelant. Elle estime que permettre l’utilisation de l’élément de preuve au procès pourrait inciter la police à persister dans ce comportement.

Le juge Aquila tire cette conclusion après avoir examiné attentivement l’état du droit relativement au par. 24(2), et notamment, suivant l’arrêt Silveira, précité, les facteurs à considérer pour déterminer le degré de gravité de l’atteinte à la Charte.

54 Les motifs donnés par le juge Aquila pour écarter l’élément de preuve en cause sont, on en convient, assez brefs. Rien ne permet de penser toutefois que ce laconisme empêche une véritable révision en appel (R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, 2002 CSC 26). Comme le fait remarquer le juge Binnie dans cet arrêt, au par. 26, « [l]a cour d’appel n’est pas habilitée à intervenir simplement parce qu’elle estime que le juge du procès s’est mal exprimé ».

55 Le fait que le juge Aquila ne passe pas explicitement en revue l’ensemble de la preuve ne signifie pas, à mon avis, qu’il a omis de la considérer dans sa totalité pour arriver à sa conclusion. Après avoir énuméré les trois facteurs à considérer pour appliquer le par. 24(2) de la Charte, le juge du procès précise clairement les motifs pour lesquels il écarte la preuve. Il a bien circonscrit le droit applicable. L’examen détaillé du dossier montre que sa conclusion est raisonnable.

56 Le juge Aquila a été particulièrement influencé par le fait que les agents de police auraient pu obtenir un mandat, mais n’ont pas cherché à le faire. Il cite en effet le juge Lamer dans Collins, précité, p. 285 : « D’ailleurs le fait de ne pas avoir procédé régulièrement lorsque cette possibilité leur était offerte tend à démontrer un mépris flagrant de la Charte, ce qui est un facteur en faveur de l’exclusion de la preuve. »

57 La bonne foi des policiers est un facteur important dans l’appréciation de la gravité d’une atteinte à l’art. 8 de la Charte. En fait, la principale préoccupation du juge du procès est ce qu’il appelle le comportement « désinvolte » des policiers envers les droits de l’appelant. Le dossier n’indique pas clairement si les policiers n’ont pas obtenu de mandat parce qu’ils ont délibérément passé outre aux droits de l’appelant ou parce qu’ils croyaient, à tort, mais de bonne foi, que l’appelant n’avait pas, relativement au casier, une attente raisonnable de vie privée. En contre‑interrogatoire, l’agent Barker dit que l’idée d’obtenir un mandat ne lui est jamais venue à l’esprit :

[traduction]

Q Bien, à ce moment‑là, avez‑vous pensé à obtenir un mandat de fouille et perquisition?

R Non, nous n’y avons pas pensé.

Q L’idée d’obtenir un mandat ne vous est jamais venue à l’esprit, c’est bien ça?

R Non. C’est exact.

Q Bien. Donc, vous n’avez jamais abordé cette question ou une question de ce genre avec l’agent Trakalo?

R Non, je ne l’ai pas fait.

. . .

Q Bien. Aviez‑vous déjà obtenu un mandat auparavant —

R Oui.

Q — dans l’exercice de vos fonctions? Bon. Donc — et vous connaissez la procédure normale — si vous vous trouvez dans une situation où il est possible qu’un réceptacle, ou une maison ou quelque endroit qui est un endroit privé, renferme de la contrebande, de mettre les lieux sous garde ou sous surveillance et d’obtenir un mandat, puis de revenir et de s’introduire dans les lieux ou — ou d’ouvrir le réceptacle, le véhicule, l’endroit, selon ce pour quoi vous demandez le mandat; est‑ce bien la procédure à suivre?

R Oui, en effet.

Q Bien. À nouveau, vous n’y avez pas pensé à ce moment‑là?

R Non. [Je souligne.]

58 L’autre policier, l’agent Riddell, mentionne qu’il a envisagé d’obtenir un mandat, mais qu’il ne croyait pas que l’accusé avait, relativement au casier, une attente raisonnable de vie privée ni qu’il avait des motifs suffisants pour obtenir un mandat :

[traduction]

Q Bien. Et en passant, jusqu’à ce moment‑là, avez‑vous pensé à un mandat de fouille et perquisition? Lorsque vous vous êtes dirigé vers le casier, avez‑vous jamais pensé à un mandat?

R Ouais, j’y ai pensé. On y pense toujours, je suppose, mais —

Q Bien. Et vous y avez pensé parce que vous vous dirigez vers l’endroit en question et vous voyez un casier, un casier verrouillé.

R Uh-huh.

Q — c’est quelque chose, de toute évidence, qu’un citoyen ou peut‑être — (INAUDIBLE) un étranger, même, mais quelqu’un a payé pour avoir accès en privé à ce casier, n’est‑ce‑pas?

R Ouais. Je suppose que mon raisonnement a été, Monsieur, que s’agissant d’un casier dans une gare routière, l’intéressé avait en quelque sorte renoncé à sa vie privée dans ce cas.

Q Bien. Alors, c’est ce que vous pensiez. Je comprends.

R Ouais.

Q Donc l’idée vous est venue d’obtenir un mandat de perquisition?

R Certainement.

Q Bien. Mais ce n’est pas allé plus loin, au sens où vous n’en avez pas discuté avec votre collègue?

R Pas de manière précise. Finalement, je suppose qu’en fait, ça s’est limité à ce dont on vient de parler vous et moi.

Q Bien. Donc vous — vous avez décidé alors que quiconque utilisait ce casier n’avait pas un droit suffisant au respect de sa vie privée pour que vous soyez tenu d’obtenir un mandat; c’est la raison pour laquelle vous n’avez pas obtenu de mandat?

R Ça, et l’absence de motifs, même pour — peut‑être obtenir alors un mandat de perquisition. [Je souligne.]

59 Il convient de signaler tout d’abord que la croyance subjective de l’agent qu’il n’y avait pas d’atteinte aux droits de l’appelant ne diminue pas la gravité de l’atteinte, à moins que sa croyance n’ait été raisonnable (voir p. ex. Mercer, précité, p. 191). Comme Sopinka, Lederman et Bryant le signalent dans leur ouvrage, op. cit., p. 450, [traduction] « la bonne foi ne peut être invoquée lorsqu’une atteinte à la Charte découle d’une erreur déraisonnable d’un agent de police ou de la méconnaissance de l’étendue de son pouvoir ». Puisque le casier avait été loué pour un usage privé et était verrouillé, et vu l’interprétation libérale par la Cour du droit à la vie privée, je ne pense pas que la perception de l’agent selon laquelle l’appelant avait « renoncé » au respect de sa vie privée était de quelque façon raisonnable.

60 Je partage l’avis du juge Aquila que le fait qu’un des agents n’a même pas pensé à obtenir un mandat indique une certaine désinvolture envers les droits constitutionnels de l’appelant. De plus, le fait que l’agent Riddell a reconnu qu’il y avait songé, mais pensait ne pas avoir de motifs suffisants pour obtenir un mandat, indique également un mépris flagrant des droits de l’appelant. Dans Kokesch, précité, p. 29, le juge Sopinka insiste sur l’importance de l’admission, par un policier, qu’il savait ne pas avoir de motifs raisonnables et probables suffisants pour obtenir un mandat de perquisition :

Lorsque la police n’a que des soupçons et ne peut légalement obtenir d’autres éléments de preuve, elle doit alors laisser le suspect tranquille, et non aller de l’avant et obtenir une preuve d’une manière illégale et inconstitutionnelle. Si elle agit ainsi, la violation de la Charte est beaucoup plus grave qu’elle ne le serait autrement, elle ne l’est pas moins. Toute autre conclusion entraînerait une érosion indirecte mais importante des critères énoncés dans l’arrêt Hunter. La poursuite concéderait volontiers qu’il y a eu violation de l’art. 8 si elle pouvait systématiquement obtenir l’utilisation de la preuve en vertu du par. 24(2) en prétendant que la police n’a pas obtenu de mandat parce qu’elle n’avait pas de motifs raisonnables et probables pour ce faire. L’ironie de ce résultat est évidente. [Premier soulignement ajouté; deuxième soulignement dans l’original.]

61 En l’espèce, on peut à juste titre considérer que l’admission de l’agent Riddell qu’il estimait ne pas avoir de motifs suffisants pour obtenir un mandat exclut toute allégation de bonne foi. Cette admission révèle clairement que, même s’il croyait qu’il pouvait être nécessaire d’obtenir un mandat, l’agent de police a délibérément choisi de se soustraire à cette obligation légale.

62 De plus, il n’y avait aucune situation d’urgence ou de nécessité, puisqu’il n’y avait pas de risque imminent que les éléments de preuve soient perdus, enlevés ou détruits, et la présence de la marijuana dans le casier ne constituait pas une menace imminente. La situation n’exigeait pas de mesures immédiates pour protéger la preuve, puisque le verrou était toujours en place, et que la période maximale de 24 heures n’avait pas expiré. Il ressort également du dossier que la police aurait pu obtenir la preuve sans porter atteinte aux droits de l’appelant. Elle aurait pu protéger la preuve par d’autres moyens, en faisant surveiller le casier par exemple. Selon leurs témoignages, les policiers ne se sont pas chargés de la surveillance parce qu’il n’y avait pas suffisamment d’agents en fonction ce jour‑là, qui était un dimanche. En contre‑interrogatoire, l’agent Riddell dit :

[traduction]

Q . . . Par exemple, vous n’avez pas mis le casier sous surveillance, pour voir qui se présenterait et l’ouvrirait, n’est‑ce‑pas?

R Non.

Q Pourquoi ne pas l’avoir fait?

R Nous n’avions pas l’autorisation de le faire. Nous pensions que c’était une bonne idée, mais ça ne s’est pas passé comme ça.

Q Que voulez‑vous dire par nous n’avions pas l’autorisation de le faire?

R Eh bien, nous n’étions pas assez nombreux.

63 L’omission des policiers d’envisager les autres techniques d’enquête qui s’offraient à eux montre qu’ils n’ont pas fait d’efforts sincères pour s’acquitter de leurs obligations constitutionnelles (voir R. c. Strachan, [1988] 2 R.C.S. 980, p. 1008, le juge en chef Dickson; Sopinka, Lederman et Bryant, op. cit., p. 455). Dans Collins, précité, p. 285, le juge Lamer dit que « l’existence d’autres méthodes d’enquête et le fait que la preuve aurait pu être obtenue sans violation de la Charte tendent à aggraver les violations de la Charte ». La Cour rappelle ce principe dans R. c. Feeney, [1997] 2 R.C.S. 13, par. 76, où le juge Sopinka conclut que « [s]’il existait effectivement d’autres techniques, cela démontre qu’il y avait mauvaise foi, et le fait que la police a choisi de violer les droits de l’appelant est particulièrement grave. » De même, dans Dyment, précité, où la preuve indiquait qu’il n’y avait pas eu d’atteinte délibérée aux droits de l’intimé, mais qu’il n’y avait pas non plus de situation d’urgence, et que d’autres techniques d’enquête auraient pu être utilisées, la Cour dit clairement « qu’on ne saurait excuser des méthodes aussi relâchées de la part de la police » (p. 440).

64 On a vu précédemment que l’attitude désinvolte de la police face à l’obligation d’obtenir un mandat paraît avoir été déterminante pour le juge du procès. La preuve appuie cette conclusion. Les policiers paraissent avoir pensé que l’obtention d’un mandat n’était rien de plus qu’une formalité qui, dans ce cas, était inutile ou hors de portée, si tant est même qu’ils aient songé à leurs obligations constitutionnelles.

65 D’autres éléments doivent être considérés, et certains militent en faveur de l’utilisation de la preuve. La fouille n’a pas été particulièrement envahissante, et l’appelant avait une attente de vie privée moins grande que si l’objet de la fouille avait été son corps, sa résidence ou son bureau. Le juge Cory souligne, dans Belnavis, précité, par. 40 : « De toute évidence, plus l’attente en matière de vie privée est grande, plus la violation est grave. Il est clair que l’inverse doit aussi être vrai. » De plus, même si l’agent Riddell croyait qu’il n’avait pas de motifs suffisants pour obtenir un mandat, il en avait probablement d’un point de vue objectif. En effet, une odeur de marijuana se dégageait du casier et les gardes de sécurité, qui avaient vu et manipulé ce qu’ils avaient identifié comme étant de la marijuana, étaient des informateurs dignes de foi. L’information relayée aux policiers aurait probablement suffi pour obtenir un mandat. La Cour a maintes fois statué que l’existence de motifs raisonnables et probables atténue la gravité de la violation (voir p. ex. Caslake, précité, par. 34; Belnavis, précité, par. 42; R. c. Sieben, [1987] 1 R.C.S. 295, p. 299; R. c. Jacoy, [1988] 2 R.C.S. 548, p. 560; et R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30, p. 60).

66 Toutefois, la pondération de tous les facteurs pertinents dans les circonstances de l’espèce ne me permet pas de conclure que la décision du juge Aquila concernant la gravité de la violation est déraisonnable. Prise globalement, la preuve étaye la conclusion que l’atteinte aux droits de l’appelant était grave. L’appréciation par le juge de la gravité de cette atteinte ne révèle aucune erreur d’interprétation de la preuve ou omission de tenir compte de facteurs pertinents, et son appréciation n’est pas déraisonnable. Ses motifs indiquent une connaissance claire et complète du droit applicable. Il ne fait aucun doute, selon moi, que le juge Aquila était le mieux à même de soupeser les témoignages qui l’ont amené à conclure que la police avait porté atteinte aux droits de l’appelant de manière désinvolte.

(3) L’effet de l’exclusion sur la considération dont jouit l’administration de la justice

67 La troisième question énoncée dans Collins est de savoir si l’administration de la justice serait plus susceptible d’être déconsidérée par l’exclusion de la preuve que par son utilisation. Ce facteur est généralement lié à la gravité de l’infraction et à l’importance de l’élément de preuve dans la preuve à charge. Dans Law, précité, par. 39, la Cour résume la démarche : « En général, la réponse à cette question repose, d’une part, sur la question de savoir si les éléments de preuve obtenus de façon inconstitutionnelle constituent une partie vitale de la preuve du ministère public et, d’autre part, lorsqu’il n’y a pas atteinte à l’équité du procès, sur la gravité de l’accusation sous‑jacente. »

68 En l’espèce, la déclaration de culpabilité dépendait de la recevabilité de la preuve. Celle‑ci était donc essentielle à la poursuite. Dans Kokesch, précité, p. 34, le juge Sopinka dit ceci au sujet de la gravité de l’infraction :

Les infractions dont l’appelant est inculpé sont graves, bien que les infractions relatives aux stupéfiants tels que le chanvre indien soient généralement considérées comme moins sérieuses que celles qui concernent des drogues « dures » comme la cocaïne et l’héroïne.

Ces facteurs militent en faveur de l’utilisation de la preuve. Cependant, le juge du procès a estimé que le mépris des policiers envers les droits constitutionnels de l’appelant et les effets à long terme de cette attitude désinvolte l’emportaient : [traduction] « La cour déplore la manière désinvolte avec laquelle la police a porté atteinte aux droits de l’appelant. Elle estime que permettre l’utilisation de l’élément de preuve au procès pourrait inciter la police à persister dans ce comportement » (par. 40).

69 Encore une fois, même si, dans ses motifs, le juge Aquila ne s’attarde pas longuement sur ce volet particulier du critère dégagé dans Collins, il énumère dès le départ les trois facteurs à considérer pour l’application du par. 24(2) de la Charte, et sa conclusion montre qu’il a tenu compte de chacun d’eux, y compris l’effet de l’exclusion sur la considération dont jouit l’administration de la justice.

70 Dans Collins, p. 281, le juge Lamer signale que le par. 24(2) n’offre pas une réparation à l’égard de la conduite inacceptable de la police. Cependant, il fait également valoir que le but du par. 24(2) « est d’empêcher que [l’utilisation de la preuve dans l’instance] ne déconsidère encore plus l’administration de la justice. Cette déconsidération additionnelle découlera de l’utilisation des éléments de preuve qui priveraient l’accusé d’un procès équitable ou de l’absolution judiciaire d’une conduite inacceptable de la part des organismes enquêteurs ou de la poursuite » (premier soulignement ajouté; deuxième soulignement dans l’original). Le juge Iacobucci rappelle également dans R. c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S. 206, par. 25, que le critère établi dans Collins a pour objectif « de contraindre les autorités chargées d’appliquer la loi à respecter les exigences de la Charte ». La crainte exprimée par le juge du procès que l’utilisation de la preuve dans ces circonstances n’incite la police à persister dans ce comportement s’inscrit donc dans le droit fil de cet objectif. Mais surtout, les juges des cours provinciales sont appelés quotidiennement à trancher de telles questions. Ils sont plus au fait que nous ne le sommes des effets probables de leurs décisions sur leur collectivité et sur les personnes chargées d’y appliquer la loi. À mon avis, une crainte comme celle exprimée par le juge Aquila ne doit pas être écartée à la légère. Il n’est pas nécessaire que l’administration de la justice risque d’être déconsidérée à l’échelle nationale pour que les tribunaux soient autorisés à intervenir pour préserver l’intégrité du système judiciaire dans lequel ils opèrent.

71 Il est vrai que, dans diverses affaires, une preuve non conscrite (de la drogue, par exemple) a été utilisée parce que son exclusion aurait davantage déconsidéré l’administration de la justice que son utilisation, surtout lorsqu’il s’agissait d’une preuve essentielle au ministère public (voir p. ex. Mercer, Kokesch et Evans, précités). Le paragraphe 24(2) n’établit pas une règle d’exclusion automatique (voir entre autres Dyment, précité); à mon avis, il ne faut pas non plus en faire une règle d’inclusion automatique dans les cas où la preuve n’est pas conscrite et est essentielle à la poursuite.

72 La question qui sous­‑tend le par. 24(2) est de savoir si la considération dont jouit l’administration de la justice sera mieux servie par l’utilisation de la preuve ou par son exclusion, de sorte qu’il est nécessaire d’examiner la déconsidération susceptible de découler de l’exclusion de la preuve : Collins, précité, p. 285‑286. Au bout du compte, cependant, la question constitutionnelle est de savoir si l’utilisation de la preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice (Collins, p. 281). La cour d’appel doit décider si, compte tenu de tous les facteurs, la décision du juge du procès d’exclure la preuve, après avoir conclu que son utilisation aurait pour effet de déconsidérer l’administration de la justice, était raisonnable.

73 La décision d’écarter un élément de preuve met toujours en balance l’intérêt qu’il y a à découvrir la vérité, d’une part, et l’intégrité du système judiciaire, d’autre part : R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495, p. 534. Le juge Doherty exprime bien cela dans R. c. Kitaitchik (2002), 161 O.A.C. 169, par. 47, une décision récente de la Cour d’appel de l’Ontario : [traduction] « La dernière étape de l’analyse préconisée dans R. c. Collins, précité, consiste à déterminer si la sanction de l’atteinte à la Charte par l’exclusion de l’élément de preuve entrave trop sévèrement l’objectif du procès pénal qu’est la recherche de la vérité. » Le juge du procès a conclu que, en l’espèce, la sanction de l’atteinte à la Charte, une atteinte grave, n’entravait pas trop sévèrement l’objectif de recherche de la vérité du système de justice pénale. Vu sa crainte concernant les effets à long terme de l’attitude désinvolte des policiers en l’espèce, le juge Aquila avait le pouvoir discrétionnaire de conclure que l’utilisation de la preuve — la marijuana — déconsidérerait davantage l’administration de la justice que son exclusion, et cette décision est raisonnable à tous points de vue.

VI. Conclusion

74 Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler l’arrêt de la Cour d’appel et de rétablir le verdict d’acquittement inscrit à l’issue du procès.

Pourvoi accueilli.

Procureurs de l’appelant : Phillips, Aiello, Winnipeg.

Procureur de l’intimée : Procureur général du Canada, Winnipeg.

Procureur de l’intervenant : Substitut du procureur général du Québec, Montréal.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et l’acquittement prononcé au procès est rétabli

Analyses

Droit criminel - Preuve - Recevabilité - Marijuana saisie dans un casier loué - Le droit de l’accusé à la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives est-il violé? - Dans l’affirmative, la preuve doit-elle être écartée? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 8, 24(2).

Droit constitutionnel - Charte des droits - Fouille et saisie abusives - Application de la Charte - Exclusion de la preuve - Marijuana saisie dans un casier loué - L’accusé avait-il une attente raisonnable de vie privée à l’égard du casier? - La Charte s’applique-t-elle à la fouille initiale par des gardes de sécurité privés? - La fouille et la saisie sans mandat effectuées ensuite par la police violaient-elles le droit de l’accusé à la protection contre les fouilles et saisies abusives? - Dans l’affirmative, la preuve doit-elle être écartée? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 8, 24(2), 32.

L’accusé loue un casier à la gare routière de Winnipeg. Peu de temps après, un garde de sécurité sent une forte odeur de marijuana provenant du casier. Le casier est ouvert par un employé de Greyhound pour les gardes de sécurité qui y trouvent un sac de voyage contenant de la marijuana. Les gardes de sécurité remettent les objets dans le casier, le verrouillent et appellent la police. Les policiers sentent l’odeur de marijuana et un employé de Greyhound leur ouvre le casier. Un policier saisit le sac de marijuana et le met à l’arrière de l’auto-patrouille. Les policiers n’avaient pas de mandat de perquisition. L’un d’eux a témoigné qu’il n’avait jamais pensé à en obtenir un, et l’autre qu’il y avait songé, mais ne pensait pas que l’appelant avait une attente raisonnable de vie privée à l’égard du casier et qu’en outre, il n’y avait pas de motifs suffisants pour obtenir un mandat. Le lendemain, un individu tente de reprendre le sac dans le casier, et l’accusé est arrêté plus tard et inculpé pour possession de marijuana en vue d’en faire le trafic. Le juge du procès conclut à la violation de l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, accorde la demande d’exclusion de la preuve en vertu du par. 24(2) de la Charte et acquitte l’accusé. La Cour d’appel fait droit à l’appel du ministère public et inscrit une déclaration de culpabilité.

Arrêt : Le pourvoi est accueilli et l’acquittement prononcé au procès est rétabli.

L’accusé avait une attente raisonnable de vie privée à l’égard du contenu du casier loué. Ayant la clé du casier, l’appelant avait le contrôle et la possession de ce qu’il contenait. De plus, la vignette apposée aux casiers ne faisait pas mention de la possibilité qu’ils soient ouverts et fouillés. Une personne raisonnable s’attendrait à ce que personne ne touche à ses objets personnels déposés dans un casier loué contre paiement, à moins qu’ils ne paraissent constituer une menace pour la sécurité de la gare routière. L’existence d’un passe-partout ne supprime pas en soi l’attente de vie privée. Même si elle n’était pas aussi grande qu’à l’égard du corps, du lieu de résidence ou du lieu de travail, l’attente raisonnable de vie privée à l’égard du casier était suffisante pour qu’entre en jeu la garantie de l’art. 8 de la Charte.

La fouille initiale par les gardes de sécurité n’a pas enclenché l’application de la Charte parce qu’ils n’agissaient pas à titre de représentants de l’État et que leurs activités ne pouvaient pas être attribuées ou assimilées à celles de l’État. Toutefois, les policiers devaient obtenir un mandat avant de procéder à la fouille du casier de l’accusé. La fouille et la saisie sans mandat sont une violation inacceptable par l’État d’une attente légitime et raisonnable de vie privée, et donc une violation de l’art. 8 de la Charte. La Cour d’appel a eu tort de conclure qu’il n’y a eu ni fouille ni saisie par la police. Le seul fait qu’un particulier a porté atteinte à sa vie privée en fouillant le contenu du casier verrouillé loué n’élimine pas l’attente raisonnable de vie privée qu’a une personne relativement au contenu de ce casier. L’attente raisonnable de vie privée de l’accusé était continue. L’intervention des gardes de sécurité ne soustrait pas les policiers à l’obligation d’obtenir au préalable l’autorisation du tribunal de saisir la contrebande découverte par les gardes de sécurité.

La Cour ne doit pas modifier la décision du juge du procès d’écarter la preuve en vertu du par. 24(2) de la Charte. Sur l’équité du procès, la preuve en l’espèce était une preuve non conscrite et « susceptible d’être découverte », et son utilisation ne rendrait pas le procès inéquitable. Sur la gravité de la violation, le juge du procès a droit à une grande déférence. Le fait qu’un des agents n’a même pas pensé à obtenir un mandat indique une certaine désinvolture envers les droits constitutionnels de l’accusé, et l’admission de l’autre agent qu’il y avait songé, mais pensait ne pas avoir de motifs suffisants pour obtenir un mandat, indique également un mépris flagrant des droits de l’accusé. De plus, il n’y avait aucune situation d’urgence ou de nécessité, puisqu’il n’y avait pas de risque immédiat que la preuve soit perdue, enlevée ou détruite, et la marijuana dans le casier ne constituait pas une menace imminente. La situation n’exigeait pas de mesures immédiates pour protéger la preuve, puisque le verrou était toujours en place, et que la période maximale de 24 heures n’avait pas expiré. Il ressort aussi clairement du dossier que la police aurait pu obtenir la preuve sans porter atteinte aux droits de l’accusé. L’omission des policiers d’envisager d’autres techniques d’enquête possibles montre qu’ils n’ont pas fait d’efforts sincères pour se conformer à la Charte. Si certains éléments militent en faveur de l’utilisation de l’élément de preuve, la preuve, prise globalement, étaye la conclusion que l’atteinte aux droits de l’accusé était grave. L’appréciation par le juge de la gravité de l’atteinte aux droits de l’accusé en matière de vie privée ne révèle aucune erreur d’interprétation de la preuve ou omission de tenir compte de facteurs pertinents, et son appréciation n’est pas déraisonnable.

Il n’est pas nécessaire que l’administration de la justice risque d’être déconsidérée à l’échelle nationale pour que les tribunaux soient autorisés à intervenir pour préserver l’intégrité du système judiciaire dans lequel ils opèrent. Le paragraphe 24(2) n’établit pas une règle d’exclusion automatique mais il ne faut pas non plus en faire une règle d’inclusion automatique quand la preuve n’est pas conscrite et qu’elle est essentielle à la poursuite. La cour d’appel doit décider si, compte tenu de tous les facteurs, la décision du juge du procès d’exclure la preuve, après avoir conclu que son utilisation déconsidérerait l’administration de la justice, était raisonnable. Vu sa crainte concernant les effets à long terme de l’attitude des policiers en l’espèce, le juge du procès avait le pouvoir discrétionnaire de conclure que l’utilisation de la preuve — la marijuana — déconsidérerait davantage l’administration de la justice que son exclusion, et cette décision est raisonnable à tous points de vue.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Buhay

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés : R. c. Fitch (1994), 47 B.C.A.C. 154
R. c. M. (M.R.), [1998] 3 R.C.S. 393
R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265
R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128
Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145
R. c. Wong, [1990] 3 R.C.S. 36
R. c. Dinh (2001), 42 C.R. (5th) 318, 2001 ABPC 48
R. c. Mercer (1992), 70 C.C.C. (3d) 180
R. c. Law, [2002] 1 R.C.S. 227, 2002 CSC 10
Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624
R. c. Broyles, [1991] 3 R.C.S. 595
R. c. Caucci (1995), 43 C.R. (4th) 403
McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229
R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417
R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20
R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223
R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3
Coolidge c. New Hampshire, 403 U.S. 443 (1971)
R. c. Spindloe (2001), 154 C.C.C. (3d) 8
R. c. Belliveau (1986), 75 R.N.-B. (2e) 18
R. c. Nielsen (1988), 43 C.C.C. (3d) 548
R. c. Kouyas (1994), 136 N.S.R. (2d) 195, conf. par [1996] 1 R.C.S. 70
R. c. Fitt (1995), 96 C.C.C. (3d) 341, conf. par [1996] 1 R.C.S. 70
Texas c. Brown, 460 U.S. 730 (1983)
Rothman c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 640
R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, 2000 CSC 38
R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562
R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613
R. c. B. (C.R.), [1990] 1 R.C.S. 717
R. c. Duguay, [1989] 1 R.C.S. 93
R. c. Greffe, [1990] 1 R.C.S. 755
R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615
R. c. Wise, [1992] 1 R.C.S. 527
R. c. Goncalves, [1993] 2 R.C.S. 3
R. c. Belnavis, [1997] 3 R.C.S. 341
R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607
Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33
R. c. Evans, [1996] 1 R.C.S. 8
R. c. Silveira, [1995] 2 R.C.S. 297
R. c. Caslake, [1998] 1 R.C.S. 51
R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, 2002 CSC 26
R. c. Strachan, [1988] 2 R.C.S. 980
R. c. Feeney, [1997] 2 R.C.S. 13
R. c. Sieben, [1987] 1 R.C.S. 295
R. c. Jacoy, [1988] 2 R.C.S. 548
R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30
R. c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S. 206
R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495
R. c. Kitaitchik (2002), 161 O.A.C. 169.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 8, 24(2), 32(1).
Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, art. 5(2).
Loi sur les détectives privés et les gardiens de sécurité, L.R.M. 1987, ch. P132, art. 1 « gardien de sécurité », 35.
Doctrine citée
Paciocco, David M., and Lee Stuesser. The Law of Evidence, 3rd ed. Toronto : Irwin Law, 2002.
Sopinka, John, Sidney N. Lederman and Alan W. Bryant. The Law of Evidence in Canada, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1999.

Proposition de citation de la décision: R. c. Buhay, 2003 CSC 30 (5 juin 2003)


Origine de la décision
Date de la décision : 05/06/2003
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2003 CSC 30 ?
Numéro d'affaire : 28667
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2003-06-05;2003.csc.30 ?
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