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21/05/2004 | CANADA | N°2004_CSC_34

Canada | Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34 (21 mai 2004)


Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, [2004] 1 R.C.S. 902, 2004 CSC 34

Percy Schmeiser et Schmeiser Enterprises Ltd. Appelants

c.

Monsanto Canada Inc. et Monsanto Company Intimées

et

Procureur général de l’Ontario, Canadian Canola Growers

Association (CCGA), Ag‑West Biotech Inc., BIOTECanada,

Association canadienne du commerce des semences, Conseil

des Canadiens, Groupe d’action sur l’érosion, la technologie

et la concentration, Sierra Club du Canada, Syndicat national

des cultivateurs, Research Foundation for Scien

ce, Technology

and Ecology et International Centre for Technology

Assessment Intervenants

Répertorié : Monsanto Cana...

Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, [2004] 1 R.C.S. 902, 2004 CSC 34

Percy Schmeiser et Schmeiser Enterprises Ltd. Appelants

c.

Monsanto Canada Inc. et Monsanto Company Intimées

et

Procureur général de l’Ontario, Canadian Canola Growers

Association (CCGA), Ag‑West Biotech Inc., BIOTECanada,

Association canadienne du commerce des semences, Conseil

des Canadiens, Groupe d’action sur l’érosion, la technologie

et la concentration, Sierra Club du Canada, Syndicat national

des cultivateurs, Research Foundation for Science, Technology

and Ecology et International Centre for Technology

Assessment Intervenants

Répertorié : Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser

Référence neutre : 2004 CSC 34.

No du greffe : 29437.

2004 : 20 janvier; 2004 : 21 mai.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel, Deschamps et Fish.

en appel de la cour d’appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale, [2003] 2 C.F. 165, 218 D.L.R. (4th) 31, 293 N.R. 340, 21 C.P.R. (4th) 1, [2002] A.C.F. no 1209 (QL), 2002 CAF 309, confirmant une décision de la Section de première instance (2001), 202 F.T.R. 78, 12 C.P.R. (4th) 204, [2001] A.C.F. no 436 (QL), 2001 CFPI 256. Pourvoi accueilli en partie, les juges Iacobucci, Bastarache, Arbour et LeBel sont dissidents en partie.

Terry J. Zakreski, pour les appelants.

Roger T. Hughes, c.r., Arthur B. Renaud et L. E. Trent Horne, pour les intimées.

Sara Blake et Ryan Collier, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

Mona G. Brown et Carena Roller, pour l’intervenante Canadian Canola Growers Association.

Argumentation écrite seulement par Richard W. Danyliuk, pour l’intervenante Ag‑West Biotech Inc.

Anthony G. Creber et Henry S. Brown, c.r., pour l’intervenante BIOTECanada.

A. David Morrow et Colin B. Ingram, pour l’intervenante l’Association canadienne du commerce des semences.

Steven Shrybman et Steven Barrett, pour les intervenants le Conseil des Canadiens, le Groupe d’action sur l’érosion, la technologie et la concentration, le Sierra Club du Canada, le Syndicat national des cultivateurs, Research Foundation for Science, Technology and Ecology et International Centre for Technology Assessment.

Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Major, Binnie, Deschamps et Fish rendu par

La Juge en chef et le juge Fish —

I. Introduction

1 Dans la présente affaire, une entreprise de grande culture commerciale a cultivé du canola contenant une cellule et un gène brevetés, sans avoir préalablement obtenu une licence ou une autorisation en ce sens. Il s’agit principalement de savoir si elle a, de ce fait, contrevenu à la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4. Nous croyons que oui.

2 En tirant cette conclusion, nous tenons à souligner, dès le départ, qu’il n’est pas question, en l’espèce, de la découverte innocente, par des agriculteurs, de plantes brevetées « disséminées par le vent » sur leurs terres ou dans leurs champs cultivés. Nous ne nous intéressons pas non plus à la portée du brevet des intimées ou à l’intérêt et à l’utilité pour la société de la modification génétique de gènes et de cellules — pratique que le législateur a autorisée dans la Loi sur les brevets et son règlement d’application.

3 Il s’agit simplement d’appliquer les principes établis du droit des brevets aux faits de la présente affaire qui, pour l’essentiel, ne sont pas contestés.

II. Les faits saillants

4 Percy Schmeiser exploite une ferme en Saskatchewan depuis plus de 50 ans. En 1996, il a cédé son entreprise agricole à une société dont son épouse et lui sont les seuls actionnaires et administrateurs. L’entreprise cultive du blé, des pois et une grande quantité de canola.

5 Au cours des années 90, de nombreux agriculteurs, dont cinq agriculteurs de la région de M. Schmeiser, se sont convertis au canola Roundup Ready, une variété de canola contenant des gènes et des cellules génétiquement modifiés que Monsanto a fait breveter. Le canola qui contient les gènes et les cellules brevetés permet de lutter plus efficacement contre les mauvaises herbes grâce à sa résistance à l’herbicide Roundup qui tue toutes les autres plantes. Il permet d’éliminer le travail du sol et la pulvérisation d’autres herbicides, ainsi que d’éviter de retarder l’ensemencement pour effectuer de la pulvérisation précoce destinée à éliminer les mauvaises herbes. Les agriculteurs qui utilisent le canola Roundup Ready doivent payer à Monsanto des droits de licence de 15 $ l’acre.

6 Monsieur Schmeiser n’a jamais acheté de canola Roundup Ready ni obtenu une licence l’autorisant à le cultiver. Pourtant, en 1998, des tests ont révélé que la récolte de canola provenant des 1 000 acres qu’il avait cultivés était composée, dans une proportion de 95 à 98 pour 100, de plantes Roundup Ready. La provenance de ces plantes n’est pas claire. Elles peuvent provenir des semences de plantes qui ont poussé sur les terres de M. Schmeiser ou près de celles‑ci à la suite de la dissémination par le vent de graines Roundup Ready, et qui ont survécu à la pulvérisation d’herbicide Roundup que M. Schmeiser avait effectuée autour des pylônes et dans les fossés qui longent la route en bordure de quatre de ses champs. Le fait que ces plantes aient survécu à la pulvérisation indiquait qu’elles contenaient le gène et la cellule brevetés. Le juge de première instance a conclu qu’« aucune des sources évoquées [par M. Schmeiser] ne pouvait logiquement expliquer la concentration ou l’ampleur de canola Roundup Ready de qualité commerciale » qui s’est retrouvée dans la récolte de M. Schmeiser ([2001] A.C.F. no 436 (QL), par. 118).

7 Les questions en litige dans le présent pourvoi sont de savoir si M. Schmeiser a contrefait le brevet de Monsanto et, dans l’affirmative, à quelles réparations peut prétendre Monsanto.

III. Analyse

A. Le brevet : sa portée et sa validité

8 Le canola est une culture de grande valeur au Canada et sert à fabriquer de l’huile comestible et des aliments pour animaux. Les intimées sont respectivement titulaire et propriétaire du brevet canadien no 1,313,830. Ce brevet intitulé « Plantes résistant au glyphosate » a été délivré le 23 février 1993 et expirera le 23 février 2010. Il divulgue l’invention de gènes génétiquement modifiés et de cellules contenant ces gènes qui, une fois insérés dans des plantes (le canola en l’espèce), en augmentent remarquablement la tolérance aux herbicides à base de glyphosate. Le glyphosate inhibe habituellement l’enzyme essentielle à la survie des plantes. La plupart des plantes traitées par pulvérisation d’herbicide à base de glyphosate meurent, mais une plante produite à partir d’une semence contenant le gène modifié survit au traitement.

9 Depuis 1996, des semences de canola contenant le gène et la cellule brevetés sont produites au Canada en vertu d’une licence accordée par les intimées. Ces semences sont commercialisées auprès des agriculteurs sous le nom de « Roundup Ready Canola », qui reflète leur résistance au « Roundup », un herbicide à base de glyphosate fabriqué par les intimées. Le Roundup, qui peut être pulvérisé après l’émergence des plants de canola, tue toutes les plantes à l’exception du canola. Il permet d’éliminer le travail du sol et la pulvérisation d’autres herbicides, ainsi que d’éviter de retarder l’ensemencement pour effectuer de la pulvérisation précoce destinée à éliminer les mauvaises herbes.

10 En 1996, environ 600 agriculteurs canadiens ont planté du canola Roundup Ready sur 50 000 acres. En 2000, environ 20 000 agriculteurs ont planté ce type de canola sur 4,5 à 5 millions d’acres, ce qui représente près de 40 pour 100 de tout le canola cultivé au Canada.

11 L’agriculteur qui souhaite cultiver le canola Roundup Ready doit conclure avec Monsanto un accord de licence appelé l’Entente sur les utilisations technologiques (« EUT »), et assister à une réunion d’inscription des producteurs au cours de laquelle Monsanto lui décrit la technologie et lui explique les conditions de la licence. L’agriculteur qui signe l’EUT peut se procurer le canola Roundup Ready auprès d’un représentant autorisé. Cependant, il doit promettre d’utiliser les semences pour une seule récolte et de vendre celle‑ci aux fins de consommation à un acheteur commercial autorisé par Monsanto. L’agriculteur qui a obtenu une licence ne peut pas vendre ou donner les semences à un tiers, ni les conserver pour les mettre de nouveau en terre ou les stocker.

12 L’EUT confère à Monsanto le droit d’inspecter les champs des agriculteurs contractants et de prélever des échantillons afin de vérifier si l’EUT est respectée. L’agriculteur doit également payer des droits de licence pour chaque acre de culture de canola Roundup Ready. En 1998, les droits de licence étaient de 15 $ l’acre.

13 Seul un test chimique permettant de déceler la présence du gène Monsanto ou encore la pulvérisation de Roundup sur les plantes permet de distinguer les plantes de canola Roundup Ready des autres plantes de canola. Une plante de canola qui survit à la pulvérisation de Roundup est une plante de canola Roundup Ready.

14 Le juge de première instance a conclu que le brevet était valide et qu’il ne contrevenait pas à la Loi sur la protection des obtentions végétales, L.C. 1990, ch. 20. Selon lui, la difficulté de distinguer les plantes de canola contenant le gène et la cellule brevetés de celles ne les contenant pas n’empêchait pas de breveter le gène. Le juge de première instance a aussi rejeté l’argument voulant que le gène et la cellule ne soient pas brevetables en raison de leur capacité de se multiplier sans intervention ni contrôle humains.

15 La portée du brevet suscite peu de controverse.

16 Le juge de première instance a conclu que « ce sont le gène et son procédé d’insertion [. . .] et [. . .] la cellule résultant de ce procédé » qui constituent l’invention (par. 88 (nous soulignons); voir aussi par. 26). De même, la Cour d’appel fédérale a considéré que les revendications concernent « les gènes et les cellules qui sont résistants au glyphosate » ([2003] 2 C.F. 165, par. 40).

17 Tous s’accordent pour dire que la protection revendiquée par Monsanto vise non pas la plante génétiquement modifiée elle-même, mais plutôt les gènes et les cellules modifiées qui la constituent. Contrairement à notre collègue la juge Arbour, nous ne croyons pas que ce fait oblige à considérer que les revendications comportent une réserve voulant que seuls les gènes et les cellules isolés en laboratoire bénéficient de la protection du brevet.

18 L’interprétation téléologique des revendications d’un brevet exige qu’elles soient interprétées en fonction de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif : Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, 2000 CSC 67; Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504. En l’espèce, la divulgation est divisée ainsi :

[traduction]

Abrégé

Les cellules végétales transformées au moyen de ces gènes et les plantes régénérées à partir de celles-ci démontrent un niveau important de résistance au glyphosate.

Objectif de l’invention

La présente invention a pour but de fournir une méthode pour l’obtention de cellules végétales génétiquement modifiées, qui rend ces cellules et les plants produits à partir de celles-ci résistants au glyphosate et à ses sels herbicides.

Description détaillée de l’invention

Parmi les plantes auxquelles peut être appliquée la présente invention, il y a notamment le soja, le coton, la luzerne, le canola, le lin, la tomate, la betterave à sucre, le tournesol, la pomme de terre, le tabac, le maïs, le blé, le riz et la laitue.

19 L’interprétation téléologique reconnaît donc que l’invention s’appliquera aux plantes régénérées à partir des cellules brevetées, indépendamment de la question de savoir si ces plantes se trouvent à l’intérieur ou à l’extérieur d’un laboratoire. Il est difficile de concevoir une raison plus vraisemblable ou évidente de breveter « une méthode pour l’obtention de cellules végétales génétiquement modifiées, qui rend ces cellules et les plants produits à partir de celles-ci résistants au glyphosate » (jugement de première instance, par. 20 (nous soulignons)).

20 Plus précisément, les revendications du brevet visent :

1. Un gène chimère : ce gène n’existe pas dans la nature et est construit à partir de différentes espèces.

2. Un vecteur d’expression : ce vecteur est une molécule d’ADN dans laquelle on a introduit un autre segment d’ADN afin de pouvoir l’utiliser comme outil de recherche.

3. Un vecteur de transformation des plantes : ce vecteur sert à insérer de façon permanente un gène chimère dans l’ADN d’une plante.

4. Diverses espèces de cellules végétales dans lesquelles le gène chimère a été inséré.

5. Une méthode de régénération d’une plante résistant au glyphosate. Dès que la cellule est stimulée pour devenir une plante, toutes les cellules différenciées de la plante contiennent le gène chimère, qui sera transmis à la descendance de la plante.

21 L’appelant Schmeiser fait valoir que l’objet revendiqué dans le brevet n’est pas brevetable. Tout en reconnaissant que Monsanto revendique une protection uniquement à l’égard d’un gène et d’une cellule, M. Schmeiser prétend que l’application de cette protection a pour effet de restreindre l’utilisation d’une plante ou d’une semence. Ce résultat, ajoute-t-il, rend l’objet non brevetable, selon le raisonnement majoritaire de l’arrêt Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), [2002] 4 R.C.S. 45, 2002 CSC 76 (« souris de Harvard »). Dans cet arrêt, la Cour a statué que les plantes et les semences sont des « formes de vie supérieures » non brevetables.

22 La présente affaire est différente de celle de la souris de Harvard, où le brevet refusé concernait un mammifère. Le commissaire aux brevets avait, en outre, accueilli d’autres revendications — dont la Cour n’a pas été saisie dans cette affaire — ayant trait notamment à un plasmide et à une culture de cellules somatiques. Les revendications concernant un gène et une cellule qui sont en litige dans la présente affaire sont quelque peu analogues, ce qui laisse croire que la conclusion qu’un gène et une cellule sont brevetables est, en fait, conforme tant aux motifs majoritaires qu’aux motifs dissidents de l’arrêt relatif à la souris de Harvard.

23 De plus, dans l’arrêt relatif à la souris de Harvard, tous les juges ont souligné, dans une remarque incidente, qu’un œuf d’oncosouris fécondé et génétiquement modifié serait brevetable, indépendamment de toute prévision qu’il deviendra, en fin de compte, une souris (par. 3, le juge Binnie au nom des juges dissidents; par. 162, le juge Bastarache au nom des juges majoritaires).

24 La question de savoir si la protection par brevet du gène et de la cellule s’étend aux activités mettant en cause la plante n’est pas pertinente pour décider de la validité du brevet. Comme nous l’expliquerons plus loin, elle ne concerne que les circonstances factuelles dans lesquelles on constatera qu’il y a eu contrefaçon. Le brevet de Monsanto a déjà été délivré, et il incombe à M. Schmeiser de démontrer que le commissaire a commis une erreur en accueillant la demande de brevet : Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153, 2002 CSC 77, par. 42‑44. Il ne s’est pas acquitté de ce fardeau de preuve. Nous concluons donc que le brevet est valide.

B. Monsieur Schmeiser a‑t‑il contrefait le brevet par la « fabrication » ou la « construction » du gène et de la cellule brevetés?

25 La Loi sur les brevets confère au propriétaire du brevet « le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention » (art. 42). Monsanto fait valoir qu’au moment où il a semé et cultivé du canola Roundup Ready, M. Schmeiser a alors fabriqué le gène ou la cellule et a ainsi forcément contrefait son brevet.

26 Nous ne sommes pas portés à croire que M. Schmeiser a « fabriqué » la cellule au sens de l’art. 42 de la Loi sur les brevets. Ni M. Schmeiser ni sa société n’ont créé ou construit le gène, le vecteur d’expression, un vecteur de transformation de plantes ou des cellules végétales dans lesquelles le gène chimérique a été inséré.

27 Il n’est cependant pas nécessaire d’exprimer une opinion définitive à cet égard puisque, de toute façon, nous avons conclu que M. Schmeiser avait enfreint l’art. 42 en « exploitant » la cellule et le gène brevetés.

C. Monsieur Schmeiser a‑t‑il contrefait le brevet par l’« exploitation » du gène ou de la cellule brevetés?

(1) Le droit en matière d’« exploitation »

28 La question centrale dans le présent pourvoi est de savoir si, en récoltant, en conservant et en semant des graines contenant le gène et la cellule brevetés de Monsanto, M. Schmeiser a « exploité » ce gène et cette cellule.

29 Il incombe à la demanderesse Monsanto de prouver qu’il y a eu contrefaçon.

30 La contrefaçon est généralement une question de fait (voir l’arrêt Whirlpool, précité). Dans la plupart des affaires de contrefaçon de brevet, les faits indiquent clairement s’il y a eu contrefaçon, une fois que la revendication a été interprétée : il suffit de comparer la chose fabriquée ou vendue par le défendeur avec les revendications interprétées. Les affaires de contrefaçon de brevet dans lesquelles il est question d’« exploitation » sont plus inhabituelles. Dans les rares cas, comme en l’espèce, où cette question se pose, il peut se révéler nécessaire d’interpréter judiciairement le verbe « exploiter » qui figure à l’art. 42 de la Loi.

31 La détermination du sens du verbe « exploiter » figurant à l’art. 42 est essentiellement affaire d’interprétation législative. Il faut d’abord établir le sens ordinaire du verbe « exploiter » ou « use » dont il est question en l’espèce. Le sens du verbe « exploiter » est très clair. Il connote une utilisation en vue d’une production ou dans le but de tirer un avantage : « tirer parti de (une chose), en vue d’une production ou dans un but lucratif. [. . .] Utiliser d’une manière avantageuse » (Le Nouveau Petit Robert (2003), p. 1004). De même, le Concise Oxford Dictionary donne une définition claire du verbe « use » : « cause to act or serve for a purpose; bring into service; avail oneself of » (The Concise Oxford Dictionary of Current English (9e éd. 1995), p. 1545). Le verbe « use » connote une utilisation dans un but particulier.

32 Le recours à trois règles ou pratiques bien établies en matière d’interprétation législative peut également se révéler utile. Premièrement, l’interprétation du verbe « exploiter » figurant dans la Loi sur les brevets doit être téléologique et fondée sur la compréhension des raisons pour lesquelles la protection par brevet est accordée. Deuxièmement, l’interprétation doit être contextuelle, en ce sens qu’elle doit tenir compte des autres termes de la disposition. Enfin, elle doit tenir compte de l’apport de la jurisprudence. Nous analyserons brièvement chacun de ces outils d’interprétation pour ensuite les appliquer aux faits de la présente affaire.

33 Revenons d’abord à la règle de l’interprétation téléologique. L’interprétation téléologique (ou fondée sur l’objet visé) applicable à la revendication du brevet s’impose également pour déterminer s’il y a eu contrefaçon par exploitation (Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, 2000 CSC 66). « L’interprétation téléologique est susceptible d’élargir ou de limiter la portée [du] texte [d’une revendication] » (Whirlpool, précité, par. 49). De même, elle est susceptible d’influer sur ce qui constitue une « exploitation » dans une affaire donnée.

34 L’article 42 a pour objet de définir les droits exclusifs du titulaire d’un brevet, à savoir le droit à la pleine jouissance du monopole conféré par le brevet. Par conséquent, l’interdiction s’applique à [traduction] « tout acte qui nuit à la pleine jouissance du monopole conféré au titulaire du brevet », s’il est accompli sans le consentement de ce dernier (H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4e éd. 1969), p. 349; voir également Lishman c. Erom Roche Inc., [1996] A.C.F. no 560 (QL) (1re inst.), par. 16.

35 Le principe directeur est que le droit des brevets doit accorder à l’inventeur « l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi » : Free World Trust, précité, par. 43. En ce qui concerne le verbe « exploiter », la question devient la suivante : les activités du défendeur ont-elles privé l’inventeur, en tout ou en partie, directement ou indirectement, de la pleine jouissance du monopole conféré par la loi?

36 L’interprétation téléologique est complétée par l’examen contextuel de l’art. 42 de la Loi sur les brevets, qui démontre que le monopole conféré protège généralement les intérêts commerciaux du titulaire du brevet. Dans l’ouvrage intitulé Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade-marks (1997), le professeur D. Vaver indique que le dénominateur commun qui existe entre [traduction] « “fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention” [. . .] est que chacun de ces actes est généralement accompli dans un but commercial, c’est-à-dire pour réaliser un profit ou pour servir les intérêts commerciaux de son auteur » (p. 151). Cette interprétation est particulièrement compatible avec le terme « exploiter » utilisé à l’art. 42.

37 En pratique, l’inventeur est normalement privé des fruits de son invention et de la pleine jouissance de son monopole lorsqu’une autre personne exploite l’invention en question à des fins commerciales, sans avoir préalablement obtenu une licence ou une autorisation en ce sens. Par conséquent, lorsque les activités contestées du défendeur ont servi ses propres intérêts commerciaux, nous devons être particulièrement conscients de la possibilité qu’il se soit livré à une exploitation contrefaisante.

38 En toute déférence pour le point de vue contraire exprimé par la juge Arbour, cela n’oblige pas l’inventeur à décrire, dans son mémoire, l’avantage ou l’utilité de son invention sur le plan commercial. Même en l’absence d’exploitation commerciale, le titulaire du brevet a le droit d’être protégé. Cependant, les activités commerciales d’un défendeur qui mettent en cause l’objet breveté sont particulièrement susceptibles de constituer une exploitation contrefaisante. Cela s’explique par le fait que, selon une analyse contextuelle de l’art. 42, tout avantage commercial qui peut découler de l’invention appartient au titulaire du brevet. Par conséquent, l’analyse contextuelle de cet article complète — et confirme — la conclusion à laquelle a donné lieu l’analyse téléologique dont il a été l’objet. Elle représente l’autre côté de la médaille.

39 Nous examinerons maintenant la jurisprudence, qui est le troisième outil d’interprétation. À cet égard, nous nous inspirons de ce que les tribunaux ont considéré, dans le passé, comme étant une exploitation. Nous constaterons que la jurisprudence confirme l’interprétation proposée plus haut dans les présents motifs et aide aussi à répondre à certaines questions plus précises soulevées en l’espèce.

40 Premièrement, la jurisprudence est utile pour décider si la protection par brevet s’applique dans les cas où l’invention brevetée fait partie d’une autre chose exploitée par le défendeur. Elle est utile pour trancher l’argument des appelants selon lequel cultiver des plantes n’équivalait pas à en « exploiter » les gènes et cellules brevetés.

41 Les actions pour contrefaçon de brevet émanent souvent du secteur des produits manufacturés. C’est pourquoi la jurisprudence porte principalement sur des situations où un élément ou un procédé breveté joue un rôle dans la production. Comme l’affirme le professeur Vaver, op. cit., p. 152 :

[traduction] « Exploiter » s’applique à la fois aux produits et aux procédés brevetés, ainsi qu’à leurs dérivés. Un brevet qui protège une machine ou méthode servant à fabriquer des fermetures éclair s’applique également aux fermetures éclair que permet de fabriquer la machine ou la méthode en question. Chaque fermeture éclair vendue sans autorisation contrefait le brevet, même si les fermetures éclair elles-mêmes ne sont pas brevetées. Cette règle ayant une portée large n’est toutefois applicable que si le brevet joue un rôle important dans la production.

42 Par analogie, la loi considère donc qu’un défendeur contrefait un brevet s’il fabrique, cherche à exploiter ou exploite un élément breveté contenu dans une chose non brevetée, à condition que l’élément breveté soit important. En l’espèce, les gènes et cellules brevetés ne sont pas simplement un « élément » de la plante; au contraire, les gènes brevetés sont présents dans toute la plante génétiquement modifiée, dont toute la structure physique est formée des cellules brevetées. C’est en ce sens que les cellules ressemblent quelque peu à des blocs Lego : si on alléguait que la construction d’une structure à l’aide de blocs Lego brevetés constitue une exploitation contrefaisante, le fait que seuls les blocs ont été brevetés et non toute la structure n’empêcherait pas de conclure à l’existence de contrefaçon. Au contraire, le fait que la structure Lego ne peut pas exister indépendamment des blocs brevetés renforcerait l’action, en faisant ressortir l’importance de l’invention brevetée pour l’ensemble du produit, de l’objet ou du procédé en cause.

43 Il peut donc y avoir contrefaçon par exploitation même dans le cas où l’invention brevetée fait partie ou est une composante d’une structure ou d’un procédé non brevetés plus vastes. Comme l’affirme le professeur Vaver, cette règle a une portée large. Elle est toutefois profondément enracinée dans le principe voulant que la protection par brevet ait principalement pour objet d’empêcher des tiers de priver l’inventeur, ne serait‑ce qu’en partie ou indirectement, du monopole que la loi entend lui conférer : seul l’inventeur a droit, en vertu du brevet ou de la loi, à la pleine jouissance du monopole conféré.

44 Ainsi, dans l’arrêt Saccharin Corp. c. Anglo‑Continental Chemical Works, Ld. (1900), 17 R.P.C. 307 (H.C.J.), p. 319, la cour affirme :

[traduction] En vendant la saccharine produite au moyen du procédé breveté, l’importateur prive le titulaire du brevet d’une partie des profits et avantages globaux de l’invention, et se trouve à exploiter indirectement l’invention.

Cet extrait confirme le caractère crucial de la question découlant de l’interprétation téléologique de la Loi sur les brevets : par ses actes ou sa conduite, le défendeur a-t-il privé l’inventeur, en tout ou en partie, directement ou indirectement, des avantages de l’invention brevetée?

45 Pour déterminer si le défendeur a « exploité » l’invention brevetée, il faut examiner les agissements du défendeur au regard de l’objet du brevet et se demander si ces agissements mettaient effectivement en cause cet objet. Dans l’arrêt Betts c. Neilson (1868), L.R. 3 Ch. App. 429 (conf. par (1871), L.R. 5 H.L. 1), l’objet du brevet était la préservation du contenu de bouteilles pendant leur transport. La cour a statué que, même si les bouteilles ne faisaient que transiter par l’Angleterre sans être ouvertes, le défendeur avait exploité l’invention dans ce pays étant donné que, pendant qu’elle y était transportée, la bière était protégée par l’invention. Lord Chelmsford a affirmé, à la p. 439 :

[traduction] C’est l’utilisation de la machine ou de l’article aux fins pour lesquelles ils ont été conçus qui constitue l’utilisation concrète de ceux-ci, et, peu importe que les capsules aient été destinées à orner ou encore à protéger le contenu des bouteilles sur lesquelles elles étaient placées, on peut dire à juste titre que, pendant tout le temps qu’elles se sont trouvées en Angleterre, elles étaient exploitées concrètement dans le but même pour lequel les vendeurs les avaient placées sur les bouteilles.

46 En fait, il n’est pas nécessaire que l’invention brevetée soit utilisée exactement dans le but pour lequel elle a été conçue pour que l’activité du défendeur en mette en cause l’objet. Dans l’arrêt Neilson, il n’importait pas de savoir si l’invention avait effectivement permis de protéger les bouteilles pendant leur transport, étant donné que, sans cette invention, elles auraient cassé. Un autre exemple est l’affaire Dunlop Pneumatic Tyre Co. c. British and Colonial Motor Car Co. (1901), 18 R.P.C. 313 (H.C.J.), où les défendeurs avaient présenté, lors d’une exposition de véhicules automobiles, une voiture munie de pneus brevetés qu’elle avait l’intention de remplacer par d’autres pneus avant de vendre la voiture en question. La cour a néanmoins décidé que l’exposition de la voiture munie des pneus brevetés était une exploitation contrefaisante. Le dénominateur commun est le fait que les défendeurs ont tiré avantage de l’invention et privé l’inventeur de la pleine jouissance de son monopole.

47 De plus, comme lord Dunedin l’a souligné dans l’arrêt British United Shoe Machinery Co. c. Simon Collier Ld. (1910), 27 R.P.C. 567 (H.L.), la possession à titre préventif d’un extincteur, par exemple, a une « valeur latente ». L’extincteur est « exploité » pour éteindre les flammes en cas de besoin. Il en est de même d’une machine à vapeur de secours [traduction] « destinée à être exploitée, dans certaines circonstances, exactement dans le même but que la machine principale » (p. 572). L’exploitation de l’utilité latente d’une invention est un avantage que l’on tire de l’invention.

48 Dans l’ouvrage intitulé Terrell on the Law of Patents (15e éd. 2000), par. 8.24, les auteurs font remarquer que [traduction] « [l]e terme “use” [“exploiter”] semble [. . .] indiquer une exploitation concrète de l’invention même. » Dans certaines circonstances, l’« exploitation concrète » peut émaner de l’utilité latente qui résulte de la simple possession de l’invention, ou de quelque autre utilisation concrète destinée à procurer un avantage. L’exploitation et donc la contrefaçon sont alors établies.

49 En général, l’intention du défendeur n’est pas pertinente pour conclure à la contrefaçon; la question est de savoir [traduction] « ce que le défendeur fait, et non ce qu’il entend faire » : Stead c. Anderson (1847), 4 C.B. 806, 136 E.R. 724 (C.P.), p. 736; voir aussi Hoechst Celanese Corp. c. BP Chemicals Ltd. (1998), 25 F.S.R. 586 (Pat. Ct.), p. 598; Illinois Tool Works Inc. c. Cobra Fixations Cie, [2002] A.C.F. no 1104 (QL), 2002 CFPI 829, par. 14‑17; Computalog Ltd. c. Comtech Logging Ltd. (1992), 44 C.P.R. (3d) 77 (C.A.F.), p. 88. Il faut donc se demander si, par ses actes, ses activités ou sa conduite, le défendeur s’est effectivement arrogé l’invention brevetée et a ainsi privé l’inventeur, en tout ou en partie, directement ou indirectement, de la pleine jouissance du monopole conféré par le brevet.

50 L’intention devient toutefois pertinente lorsque la possession sans exploitation est invoquée comme moyen de défense. Si, comme nous l’avons vu, l’exploitation alléguée est l’exploitation de l’utilité « latente » de l’invention, il importe de savoir si le défendeur entendait exploiter l’invention si jamais le besoin se faisait sentir.

51 Ainsi, dans l’arrêt Adair c. Young (1879), 12 Ch. D. 13 (C.A.), la cour a décidé que, dans les circonstances, la possession constituait une « exploitation ». Dans cette affaire, le capitaine d’un navire était poursuivi pour contrefaçon en raison de la présence à son bord de pompes brevetées. Les propriétaires du navire avaient pourvu le bateau des pompes, mais n’étaient pas visés par la poursuite. Le capitaine n’avait pas le pouvoir de retirer les pompes et ne les avait jamais exploitées, dans l’espace maritime britannique, pour pomper de l’eau. La cour a cependant conclu que le capitaine entendait utiliser les pompes si jamais le besoin se faisait sentir. La cour a donc accordé une injonction interdisant l’exploitation des pompes pour pomper de l’eau.

52 De même, Fox, op. cit., p. 383-384, affirme que [traduction] « [l]a simple possession d’un objet breveté peut constituer de la contrefaçon lorsqu’une telle possession n’est pas autorisée en vertu d’une licence et lorsqu’il y a intention d’exploiter cet objet au détriment des droits du titulaire du brevet, mais non en l’absence d’une telle intention » (nous soulignons; renvois omis).

53 Le fardeau de prouver la contrefaçon deviendrait irréaliste et trop lourd en matière de possession, si le titulaire du brevet devait démontrer que le défendeur avait l’intention de contrefaire le brevet. Comme l’explique le professeur Vaver, op. cit., p. 151, [traduction] « [i]l se peut que la simple possession ne constitue pas une exploitation, mais on peut présumer qu’une entreprise qui possède un produit breveté à des fins commerciales a exploité ce produit ou entend le faire, à moins qu’elle ne démontre le contraire » (nous soulignons).

54 Ainsi, l’arrêt classique British United Shoe, précité, indique qu’il se peut que la simple possession d’un objet comportant un élément breveté ou fabriqué au moyen d’un procédé breveté ne constitue pas une « exploitation », si le défendeur est en mesure de démontrer qu’il ne détient pas cet objet dans le but de promouvoir ses intérêts. La défenderesse, un fabricant de bottes, était propriétaire d’une machine comportant un mécanisme breveté, mais la cour a jugé qu’elle n’avait pas contrefait le brevet. La défenderesse n’avait pas exploité la pièce brevetée, puisqu’il était possible de ne pas l’actionner si on ne le voulait pas le faire. La cour a souligné que l’honnêteté de la défenderesse n’était pas en cause (elle avait retourné de son plein gré la pièce brevetée dès l’introduction de l’action en justice). Selon la cour, [traduction] « [l]a pièce brevetée [. . .] n’était pas utile à la défenderesse, qui l’a retirée, et celle-ci n’a jamais songé à exploiter cette pièce, qui n’était d’ailleurs pas adaptée à son commerce » (p. 571). La cour a ajouté qu’il existe une présomption réfutable ou « inférence normale » que le défendeur en possession d’une invention l’a exploitée ou encore l’avait en sa possession dans le but de l’exploiter éventuellement d’une manière contrefaisante (p. 571).

55 Commentant l’affaire British United Shoe dans l’arrêt Pfizer Corp. c. Ministry of Health, [1965] A.C. 512 (H.L.), lord Wilberforce a fait observer que, [traduction] « si on peut prouver de manière irréfutable que la possession n’était pas assortie d’une exploitation véritable ou de l’intention d’exploiter, le défendeur ne sera pas jugé coupable de contrefaçon » (p. 572). La possession doit être assortie d’un « élément additionnel » pour qu’il y ait contrefaçon (p. 572). Dans l’arrêt Pfizer, lord Wilberforce a considéré que l’exploitation résultait du transport des articles brevetés (possession) dans le but d’en faire le commerce (l’élément additionnel). Lorsque le titulaire du brevet démontre que le défendeur avait en sa possession l’invention brevetée, il appartient au défendeur de démontrer l’absence d’« élément additionnel ».

56 Ainsi, le défendeur qui, dans le cadre d’un commerce, a en sa possession une invention brevetée peut réfuter la présomption d’exploitation en présentant une preuve crédible qu’il n’a ni exploité ni eu l’intention d’exploiter cette invention, même par l’exploitation de son utilité latente.

57 La cour ne se demande pas si l’invention brevetée a, dans les faits, aidé le défendeur ou lui a permis d’augmenter ses profits. Il s’agit là du corollaire naturel de la conclusion tirée dans l’arrêt Neilson, précité, selon laquelle, pour déterminer s’il y avait eu contrefaçon, il n’était pas utile de savoir si la bière avait effectivement été protégée par l’invention, et de la conclusion tirée dans l’arrêt Adair, précité, selon laquelle il n’était pas utile de savoir si le capitaine du navire avait tiré profit de la présence des pompes à son bord. L’avantage ou le profit que le défendeur a tiré de l’activité peut être pertinent lorsqu’il est question de réparation, mais non lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a eu contrefaçon.

58 On peut considérer que ces propositions émanent de l’analyse précédente du verbe « exploiter » figurant dans la Loi sur les brevets :

1. Selon leur sens lexicographique ordinaire, les verbes « exploiter » et « use » connotent une utilisation en vue d’une production ou dans le but de tirer un avantage.

2. Le principe fondamental qui s’applique pour déterminer si le défendeur a « exploité » une invention brevetée consiste à se demander si l’inventeur a été privé, en tout ou en partie, directement ou indirectement, de la pleine jouissance du monopole conféré par le brevet.

3. Tout avantage commercial qui peut découler de l’invention appartient au titulaire du brevet.

4. Il est possible de conclure à l’existence de contrefaçon même si l’objet ou le procédé breveté fait partie ou est une composante d’une structure ou d’un procédé non brevetés plus vastes, pourvu que l’invention brevetée soit importante pour les activités du défendeur qui mettent en cause la structure non brevetée.

5. La possession d’un objet breveté ou d’un objet ayant une particularité brevetée peut constituer une « exploitation » de l’utilité latente de cet objet et ainsi constituer de la contrefaçon.

6. La possession, du moins dans le cadre d’un commerce, donne naissance à une présomption d’« exploitation » réfutable.

7. Bien qu’en général l’intention ne soit pas pertinente pour déterminer s’il y a eu « exploitation » et donc contrefaçon, l’absence d’intention d’utiliser l’invention ou d’en tirer un avantage peut être pertinente pour réfuter la présomption d’exploitation découlant de la possession.

(2) Application du droit

59 Les conclusions de fait du juge de première instance reposent essentiellement sur l’historique non contesté suivant.

60 Monsieur Schmeiser pratique l’agriculture traditionnelle non biologique. Pendant de nombreuses années, il a pris l’habitude de conserver et de cultiver ses propres semences. On peut constater la présence des semences visées par la plainte de Monsanto dans un champ de 370 acres, appelé le champ no 1, où M. Schmeiser a cultivé du canola en 1996. En 1996, cinq autres producteurs de canola de la même région que M. Schmeiser ont planté du canola Roundup Ready.

61 Au printemps 1997, M. Schmeiser a semé les graines du champ no 1, qu’il avait conservées. Des plantes ont poussé. Il a pulvérisé du Roundup sur une parcelle de trois acres située en bordure de la route et a constaté qu’environ 60 pour 100 des plantes avaient survécu, ce qui indique que ces plantes contenaient le gène et la cellule brevetés de Monsanto.

62 À l’automne 1997, M. Schmeiser a récolté le canola Roundup Ready se trouvant sur la parcelle de trois acres qu’il avait pulvérisée de Roundup. Il ne l’a pas vendu. Il a préféré le conserver séparément et l’a entreposé pour l’hiver à l’arrière d’une camionnette recouverte d’une bâche.

63 En 1997, un enquêteur de Monsanto a prélevé des échantillons de canola dans les réserves routières contiguës à deux champs de M. Schmeiser. Des tests ont révélé qu’ils contenaient tous du canola Roundup Ready. En mars 1998, Monsanto a rendu visite à M. Schmeiser et l’a avisé qu’elle croyait qu’il avait cultivé sans licence du canola Roundup Ready. Monsieur Schmeiser a néanmoins apporté les graines entreposées dans sa camionnette à une usine de traitement des semences, où elles ont été traitées afin de servir à l’ensemencement, ce qui les rendait inaptes à tout autre usage. Monsieur Schmeiser a ensuite semé les graines traitées dans neuf champs d’une superficie totale d’environ 1 000 acres.

64 De nombreux échantillons ont été prélevés, dont certains en vertu d’une ordonnance judiciaire, sur les plantes de canola provenant de ces graines de semence. De plus, l’usine de traitement des semences a, à l’insu de M. Schmeiser, conservé des échantillons des graines qu’il y avait apportées aux fins de traitement au printemps 1998, et les a remises à Monsanto. Une série de tests indépendants effectués par divers experts a démontré que 95 à 98 pour 100 du canola planté et cultivé par M. Schmeiser en 1998 était résistant au Roundup. Seuls les tests de croissance que M. Schmeiser a effectués dans son champ en 1999 et les tests de croissance effectués sur les échantillons que M. Schmeiser a fournis à M. Freisen n’étayaient pas ce résultat.

65 Monsieur Downey a témoigné que le taux de survie élevé des plantes ayant germé après avoir été traitées au Roundup, qui avait été constaté lors des tests effectués sur les échantillons de 1997, « ne s’expliquait que par la présence, dans le champ no 2, de canola cultivé à partir de semences commerciales résistantes au Roundup » (jugement de première instance, par. 112). Madame Dixon, responsable des tests effectués à St. Louis par Monsanto US, s’est dite d’avis que « les échantillons des défendeurs contenaient les séquences d’ADN revendiquées dans les revendications 1, 2, 5 et 6 du brevet, ainsi que la cellule végétale visée par les revendications 22, 23, 27, 28 et 45 du brevet » (jugement de première instance, par. 113). Comme l’a fait remarquer le juge de première instance, cet avis n’était pas contesté.

66 Restait à savoir ce qui expliquait la présence d’une concentration aussi élevée de canola Roundup Ready sur les terres des appelants en 1998. Le juge de première instance a écarté l’idée que cette concentration résultait de la dissémination, soit par le vent soit par inadvertance, de graines sur les terres en question (par. 118) :

Il est possible que des graines Roundup Ready se soient retrouvées dans le champ de M. Schmeiser à son insu. Il est également possible qu’une partie de ces graines aient survécu à l’hiver et aient germé au printemps 1998. Le témoignage de M. Keith Downey [. . .] m’a toutefois persuadé qu’aucune des sources évoquées ne pouvait logiquement expliquer la concentration ou l’ampleur de canola Roundup Ready de qualité commerciale qui a été constatée à la suite des tests réalisés sur les récoltes de M. Schmeiser.

67 Il a tiré la conclusion suivante (par. 120) :

Je conclus que, en 1998, M. Schmeiser a planté des graines de canola qu’il avait gardées de sa récolte de 1997 dans son champ no 2 alors qu’il savait ou aurait dû savoir que ces graines étaient résistantes au Roundup. Je conclus également qu’il s’est principalement servi de ces graines pour ensemencer la totalité de ses neuf champs de canola en 1998.

68 En résumé, il ressort des conclusions du juge de première instance que les appelants ont conservé, semé, récolté et vendu des graines provenant de plantes contenant le gène et la cellule brevetés de Monsanto. La question est de savoir si, en agissant ainsi, ils ont « exploité » l’invention de Monsanto, c’est‑à‑dire le gène et la cellule résistant au glyphosate.

69 La question préliminaire est de savoir si cette conduite correspond à la définition du verbe « exploiter » ou « use ». Nous avons déjà conclu que ces verbes, pris ensemble, connotent une utilisation en vue d’une production ou dans le but de tirer un avantage. Le fait de conserver et de mettre en terre des semences contenant les cellules et gènes brevetés et de récolter et de vendre les plantes résultantes paraît logiquement constituer une « utilisation » de la matière brevetée en vue d’une production ou dans le but de tirer un avantage, au sens de l’art. 42.

70 Voyons maintenant si les autres considérations pertinentes pour déterminer s’il y a eu « exploitation » étayent cette conclusion préliminaire.

71 À cet égard, la première question fondamentale est de savoir si Monsanto a été privée, en tout ou en partie, directement ou indirectement, de la pleine jouissance du monopole conféré par le brevet. La réponse est oui.

72 Le brevet confère à Monsanto le monopole du gène et de la cellule brevetés. L’objet du brevet est la production d’une plante résistant à l’herbicide Roundup. Le monopole de Monsanto lui permettait d’exiger le paiement de droits de licence de 15 $ l’acre par les agriculteurs qui souhaitaient cultiver des plantes de canola contenant les gènes et cellules brevetés. Les appelants ont cultivé 1 030 acres de plantes ayant ces propriétés brevetées, sans avoir payé à Monsanto des droits les autorisant à le faire. En cultivant sans licence une plante contenant le gène breveté et formée des cellules brevetées, les appelants ont privé Monsanto de la pleine jouissance de son monopole.

73 La question complémentaire est de savoir si les appelants ont utilisé ou eu en leur possession l’invention brevetée dans le cadre de leur entreprise ou commerce. Là encore, la réponse initiale doit être oui.

74 L’une des activités des appelants était la culture de canola. Dans le cadre de cette activité, ils ont utilisé des semences possédant les caractéristiques brevetées. Sous réserve de leur argument — que nous analyserons plus loin — selon lequel ils n’ont pas exploité l’invention brevetée (que ce soit parce qu’ils ont exploité seulement la plante ou parce qu’ils n’ont pas pulvérisé du Roundup), il est clair que l’utilisation, par les appelants, du canola dont il est question en l’espèce est de nature commerciale.

75 Les réponses aux deux questions de principe qui sont au cœur de l’« exploitation » au sens de la Loi sur les brevets indiquent donc, dans les deux cas, que le juge de première instance et la Cour d’appel ont eu raison de conclure que les appelants ont « exploité » l’invention protégée et, partant, contrefait le brevet de Monsanto. Cependant, il est également utile de tenir compte des indications fournies par la jurisprudence analysée plus tôt, et de leur incidence sur les arguments avancés à l’encontre de cette conclusion.

76 Premièrement, on laisse entendre qu’étant donné que les revendications de Monsanto visent des gènes et des cellules et non pas des plantes, seul le défendeur qui exploite les gènes et les cellules isolés en laboratoire se rendra coupable de contrefaçon par exploitation. Cet argument ne paraît avoir été avancé en détail ni en première instance ni en appel, mais il représente le point de vue adopté par notre collègue la juge Arbour.

77 Personne ne conteste que la revendication brevetée de Monsanto ne vise que le gène et la cellule que celle-ci a mis au point. Cela représente, toutefois, le début et non la fin de l’examen. La question plus difficile, qui est au cœur de la présente affaire, est de savoir si, en cultivant des plantes contenant la cellule et le gène en question, les appelants ont exploité les composantes brevetées de ces plantes. Dans le point de vue qu’elle adopte, la juge Arbour tient pour acquis que cet examen est redondant et que la seule façon de contrefaire un brevet est d’exploiter isolément l’invention brevetée.

78 Ce point de vue va à l’encontre d’un droit des brevets séculaire, selon lequel il y contrefaçon lorsque les activités commerciales d’un défendeur mettent en cause une chose dont une composante importante est un élément breveté. On ne saurait faire valoir, comme moyen de défense, que seule une composante de la chose que l’on a exploitée était brevetée, et non la chose au complet.

79 Le professeur Vaver, op. cit., fait remarquer qu’il s’agit d’une [traduction] « règle ayant une portée large ». S’il en était autrement, l’inventeur serait privé de la pleine jouissance du monopole que le droit des brevets lui confère. Il arrive rarement que des composantes ou procédés brevetés soient exploités isolément; en l’absence de cette règle, un contrefacteur pourrait tirer avantage de l’invention et se protéger en prétextant qu’il ne l’exploitait pas isolément.

80 Si l’invention brevetée est un aspect important des activités du défendeur, on considérera alors qu’il a « exploité » l’invention et contrefait le brevet. Si ses activités relatives aux plantes de canola Roundup Ready constituent une exploitation ayant privé Monsanto de la pleine jouissance de son monopole du gène et de la cellule, M. Schmeiser a alors contrefait le brevet. Il n’est pas nécessaire d’exploiter isolément le gène et la cellule pour qu’il y ait contrefaçon.

81 Deuxièmement, M. Schmeiser a soutenu au procès qu’il n’y avait pas lieu de conclure qu’il avait « exploité » l’invention de Monsanto parce qu’il n’a jamais tiré un avantage commercial de son utilité particulière — la résistance à l’herbicide Roundup. Il a témoigné qu’il n’avait jamais pulvérisé de l’herbicide Roundup sur ses cultures. (Il est clair qu’il s’est servi de cet herbicide, en 1996, lors de sa première récolte de semences Roundup Ready.)

82 Le juge de première instance a rejeté cet argument. Il a souligné, au par. 122, que «[c’]est le fait de s’arroger l’essence même d’une invention [. . .] qui constitue une contrefaçon » et qu’en cultivant, en récoltant et en vendant le canola Roundup Ready en question, M. Schmeiser s’était arrogé cette invention. En conséquence, selon le juge, « le fait que cette récolte ait ou non été traitée au Roundup [. . .] [était] sans importance » (par. 123).

83 Il se peut que l’allégation des appelants selon laquelle ils n’ont pas pulvérisé de l’herbicide Roundup représente une tentative de réfuter la présomption d’exploitation découlant de la possession. Ils n’ont cependant pas réussi à réfuter cette présomption.

84 Leur argument ne tient pas compte de l’utilité latente des propriétés des gènes et cellules brevetés. Qu’un agriculteur pulvérise ou non de l’herbicide Roundup, la culture de canola possédant les gènes et cellules brevetés engendre une utilité latente. L’agriculteur profite de cet avantage dès le départ : il lui sera possible de recourir à la pulvérisation si jamais elle se révèle nécessaire.

85 Bien qu’elle ne soit pas directement en cause dans la présente affaire, la culture du canola Roundup Ready offre également à l’agriculteur la possibilité de toucher, à l’avenir, des revenus en fournissant subrepticement le produit à d’autres agriculteurs non disposés à payer les droits de licence, privant ainsi Monsanto de la pleine jouissance de son monopole.

86 En outre, la preuve produite par les appelants n’est pas suffisante pour réfuter la présomption d’exploitation. Il se pourrait qu’en qualité de défendeurs des agriculteurs puissent réfuter cette présomption en démontrant qu’ils n’ont jamais eu l’intention de cultiver des plantes contenant les gènes et cellules brevetés. Ils pourraient prouver que la présence continue du gène breveté sur leur terre était accidentelle et non souhaitée, en démontrant, par exemple, qu’ils ont pris rapidement des mesures pour l’enlever, et que la concentration de ce gène correspondait ainsi à ce qu’on peut s’attendre dans le cas où du canola non sollicité a été transporté par le vent. Pour contrefaire, il n’est pas nécessaire de savoir qu’on contrefait. Cependant, la conduite qu’un défendeur a adoptée après avoir pris connaissance de la présence de l’invention brevetée peut aider à réfuter la présomption d’exploitation découlant de la possession.

87 En l’espèce, les appelants ont toutefois, dans le cadre de leurs activités commerciales, réellement cultivé du canola contenant l’invention. Monsieur Schmeiser s’est plaint que les premières plantes s’étaient retrouvées sur ses terres sans aucune intervention de sa part. Cependant, il n’a absolument pas expliqué pourquoi il avait pulvérisé du Roundup pour isoler les plantes Roundup Ready trouvées sur sa terre, pourquoi il avait alors récolté ces plantes et en avait sélectionné les graines pour les conserver et les convertir en semences, pourquoi il les avait ensuite semées et pourquoi il a ainsi fini par cultiver 1 030 acres de canola Roundup Ready qui lui auraient par ailleurs coûté 15 000 $. Dans ces circonstances, la présomption d’exploitation découlant de la possession subsiste.

88 Troisièmement, les appelants tentent — comme ils le font dans leur argumentation relative à la validité — de s’appuyer sur l’arrêt majoritaire de notre Cour dans l’affaire de la souris de Harvard. Ils soutiennent que le brevet doit recevoir une interprétation restrictive lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a eu contrefaçon, étant donné que les plantes se reproduisent naturellement, sans intervention humaine. Ainsi, font-ils valoir, ils ne se sont pas livrés à une « exploitation » en reproduisant sans licence le canola Roundup Ready, étant donné que les plantes sont des êtres vivants qui croissent spontanément.

89 C’est également le point de vue qu’adopte la juge Arbour. À l’appui de la proposition que la contrefaçon de revendications relatives à des gènes ne peut avoir lieu qu’en laboratoire, elle cite l’arrêt Kirin Amgen Inc. c. Hoechst Marion Roussel Ltd., [2002] E.W.J. No. 3792 (QL), [2002] EWCA Civ. 1096 (C.A.). Dans cette affaire, il était question d’une protéine utile pour diagnostiquer et traiter des affections sanguines. La Cour d’appel d’Angleterre a considéré que les revendications excluaient la séquence d’ADN naturelle contenue dans une cellule humaine. Cependant, elle l’a fait dans le but de se conformer aux dispositions d’un régime de réglementation qui n’a aucun équivalent au Canada : l’art. 5 de la Directive 98/44/CE du Parlement européen, qui régit la brevetabilité des inventions biotechnologiques. Cet article prévoit que la découverte d’un élément du corps humain, y compris un gène, n’est pas brevetable, même si cet élément est brevetable lorsqu’il est isolé ou autrement produit par un procédé technique. Au Canada, le législateur n’a adopté aucun régime de réglementation comparable qui commande une interprétation restrictive des brevets. Par conséquent, l’arrêt Kirin Amgen est inapplicable en l’espèce.

90 L’argument des appelants ne tient pas compte non plus du rôle que l’être humain joue en matière de multiplication agricole. L’agriculture est une activité commerciale où les agriculteurs sèment et cultivent les plantes qui s’avèrent les plus rentables et lucratives. La phytologie existait bien avant Mendel. Depuis des temps immémoriaux, l’être humain cherche à améliorer le rendement des plantes. Beaucoup d’énergie et d’argent ont été consacrés à la recherche de meilleures semences et de meilleures plantes. La Loi sur les brevets compense cette énergie et cet argent en conférant un monopole à ceux et celles qui les consacrent, lorsqu’il en résulte une invention nouvelle et utile en phytologie, tels les gènes et cellules génétiquement modifiés.

91 Enfin, de nombreuses inventions font appel à des procédés naturels pour fonctionner. Par exemple, diverses levures sont mentionnées dans maints brevets valides qui n’auraient aucune utilité concrète sans les [traduction] « forces naturelles ». Voir la décision Re Application of Abitibi Co. (1982), 62 C.P.R. (2d) 81 (C.A.B.), où l’étape inventive consistait à acclimater à un nouvel environnement, où elle contribuerait naturellement à purifier des résidus d’usine de pâte à papier, une espèce de levure connue extraite des eaux usées.

92 La question litigieuse n’est peut-être pas l’arrivée fortuite, en 1998, du Roundup Ready sur les terres de M. Schmeiser. Ce qui est en jeu en l’espèce est l’ensemencement et la culture, qui impliquent nécessairement des actes délibérés et réfléchis de la part de l’agriculteur. Les appelants prétendent qu’un agriculteur comme M. Schmeiser, qui cultive des plantes ayant des propriétés particulières en testant, en isolant, traitant et semant les graines souhaitées, et en s’occupant de ces plantes jusqu’à leur récolte, obtient une récolte qui a simplement « poussé spontanément ». Une telle prétention ne reflète pas la réalité de l’agriculture moderne.

93 Dans le domaine de l’agriculture, les inventions peuvent susciter des préoccupations inconnues dans d’autres domaines — des préoccupations d’ordre moral quant à savoir s’il est bon de manipuler des gènes pour lutter plus efficacement contre les mauvaises herbes ou pour améliorer les rendements. Il est loisible au législateur d’examiner ces préoccupations et de modifier la Loi sur les brevets s’il les juge incontournables.

94 Cependant, notre rôle se limite à interpréter et à appliquer, conformément au principes établis, le libellé actuel de la Loi sur les brevets. Aux termes de la loi actuelle, une invention dans le domaine de l’agriculture a droit à la même protection qu’une invention dans le domaine de la mécanique. Si le législateur n’a pas jugé bon d’établir une distinction entre les inventions relatives aux plantes et les autres types d’invention, les tribunaux ne doivent pas le faire non plus.

95 Invoquant les concepts d’autorisation et de renonciation tacites, les appelants soutiennent que notre Cour devrait établir une exception prévoyant que les « contrefacteurs innocents » ne peuvent pas être accusés de contrefaçon. À cette prétention, nous répondons simplement que, d’après les faits constatés par le juge de première instance, M. Schmeiser n’était pas un contrefacteur innocent; au contraire, il a cultivé du canola Roundup Ready. S’il avait simplement été un « contrefacteur innocent », il aurait pu réfuter la présomption d’exploitation découlant de sa possession du gène et de la cellule brevetés. De manière plus générale, dans la mesure où cette prétention repose sur des arguments de politique générale concernant les dangers particuliers que comportent les inventions biotechnologiques, ces arguments, comme nous l’avons vu, ne sont aucunement étayées par le libellé actuel de la Loi sur les brevets. Là encore, le législateur peut, s’il le souhaite, légiférer pour réagir aux inventions biotechnologiques relatives aux plantes. Il ne l’a pas fait jusqu’à maintenant.

96 Les appelants soutiennent enfin que les activités de Monsanto portent atteinte au droit de propriété que la common law reconnaît depuis très longtemps aux agriculteurs, soit le droit de conserver ce qui parvient sur leurs terres. Monsieur Schmeiser prétend qu’il est propriétaire de la descendance du canola Roundup Ready qui s’est retrouvé dans son champ, de la même façon qu’un agriculteur devient propriétaire de la progéniture du « taureau égaré » qui erre sur ses terres. Toutefois, ce qui est en cause en l’espèce est non pas un droit de propriété, mais plutôt la protection conférée par brevet. La propriété ne peut pas être invoquée comme moyen de défense dans le cas d’une contravention à la Loi sur les brevets.

97 Nous concluons que le juge de première instance et la Cour d’appel ont eu raison de conclure que les appelants ont « exploité » le gène et la cellule brevetés de Monsanto et, partant, contrevenu à la Loi sur les brevets.

D. Réparation

98 Le juge de première instance a accordé une injonction et ordonné aux appelants de remettre à Monsanto les profits que la culture de canola Roundup Ready leur a permis de réaliser et qu’il a, en fin de compte, chiffrés à 19 832 $. Le dossier n’indique pas clairement comment il est parvenu à ce montant. Cependant, personne ne conteste qu’il s’agit là du montant des profits dont le juge de première instance a ordonné la remise.

99 La Cour d’appel a, pour la même raison, confirmé la validité de cette ordonnance, et il s’agit maintenant de savoir si elle a commis une erreur à cet égard.

100 La Loi sur les brevets prévoit deux différents types de réparation : les dommages‑intérêts et la remise des profits. Les dommages‑intérêts représentent la perte de l’inventeur, qui peut comprendre soit la perte de profits que le titulaire du brevet a subie au chapitre des ventes, soit la perte de redevances. Par contre, la remise des profits est calculée en fonction des profits réalisés par le contrefacteur plutôt qu’en fonction du montant perdu par l’inventeur. En l’espèce, il n’y a pas lieu d’accorder des dommages‑intérêts, étant donné que Monsanto a choisi de demander la remise des profits.

101 Il est bien établi que l’inventeur a seulement droit à la remise de la portion des profits réalisés par le contrefacteur, qui a un lien de causalité avec l’invention : Lubrizol Corp. c. Compagnie Pétrolière Impériale Ltée, [1997] 2 C.F. 3 (C.A.); Celanese International Corp. c. BP Chemicals Ltd., [1999] R.P.C. 203 (Pat. Ct.), par. 37. Cela est conforme à la règle générale qui s’applique en matière de réparation non punitive : « il est essentiel que les pertes compensées soient seulement celles qui, selon une conception normale du lien de causalité, ont été causées par le manquement » (Canson Enterprises Ltd. c. Boughton & Co., [1991] 3 R.C.S. 534, p. 556, la juge McLachlin (plus tard Juge en chef), cité et approuvé, au nom de la Cour, par le juge Binnie dans l’arrêt Cadbury Schweppes Inc. c. Aliments FBI Ltée, [1999] 1 R.C.S. 142, par. 93).

102 La méthode privilégiée de calcul des profits devant être remis est appelée méthode fondée sur la valeur ou méthode du « profit différentiel », qui consiste à calculer les profits en fonction de la valeur que le brevet a permis aux marchandises du défendeur d’acquérir : N. Siebrasse, « A Remedial Benefit-Based Approach to the Innocent-User Problem in the Patenting of Higher Life Forms » (2004), 20 C.I.P.R. 79. Il faut comparer le profit que l’invention a permis au défendeur de réaliser à celui que lui aurait permis de réaliser la meilleure solution non contrefaisante (Collette c. Lasnier (1886), 13 R.C.S. 563, p. 576, aussi mentionné avec approbation dans l’arrêt Colonial Fastener Co. c. Lightning Fastener Co., [1937] R.C.S. 36).

103 Le problème est que, en ordonnant la remise des profits, le juge de première instance n’a fait état d’aucun lien de causalité entre l’invention et les profits que, selon lui, les appelants ont tirés de la culture de canola Roundup Ready. D’après les faits constatés, les appelants n’ont réalisé aucun profit dû à l’invention.

104 Ils ont réalisé exactement les mêmes profits que s’ils avaient planté et récolté du canola ordinaire. Ils ont vendu, comme aliment pour animaux, le canola Roundup Ready cultivé en 1998 et n’ont donc pas obtenu un meilleur prix du fait qu’il s’agissait de canola Roundup Ready. Sur le plan agricole, les appelants n’ont également tiré aucun avantage de la résistance du canola à l’herbicide, vu l’absence de conclusion qu’ils ont pulvérisé de l’herbicide Roundup pour diminuer la présence des mauvaises herbes. Les profits des appelants découlaient uniquement des caractéristiques de leur récolte qui ne sont pas attribuables à l’invention.

105 Selon la preuve produite en l’espèce, les appelants n’ont tiré aucun profit de l’invention et Monsanto n’a droit à rien en ce qui concerne sa demande de remise.

IV. Conclusion

106 Nous sommes d’avis d’accueillir en partie l’appel, d’annuler la remise des profits ordonnée et de confirmer, à tous autres égards, la validité de l’ordonnance du juge de première instance. Étant donné ce résultat mitigé, chaque partie assumera ses propres dépens dans toutes les cours.

Version française des motifs des juges Iacobucci, Bastarache, Arbour et LeBel rendus par

La juge Arbour (dissidente en partie) —

I. Introduction

107 Les tribunaux inférieurs ont tranché la présente affaire alors qu’ils ne disposaient pas de l’arrêt de notre Cour Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), [2002] 4 R.C.S. 45, 2002 CSC 76. Il s’agit essentiellement de savoir si l’arrêt de la Cour d’appel fédérale peut être maintenu eu égard à notre décision dans cette affaire.

108 Plus particulièrement, le juge de première instance a interprété la portée du brevet de Monsanto sans disposer de la conclusion tirée dans l’arrêt Harvard College, selon laquelle les formes de vie supérieures, y compris les plantes, ne sont pas brevetables. Les deux décisions des tribunaux inférieurs [traduction] « permet[tent] à Monsanto de faire indirectement ce que le droit canadien des brevets lui interdit de faire directement, soit obtenir à l’égard de plantes entières la protection par brevet » (E. R. Gold et W. A. Adams, « The Monsanto decision : The edge or the wedge » (2001), 19 Nat. Biotechnol. 587).

109 Un tel résultat est difficilement conciliable avec l’arrêt majoritaire Harvard College. Il aurait également pour effet d’invalider la politique de longue date du Bureau des brevets, qui consiste à ne pas accorder de droits exclusifs, sous forme de brevet, à l’égard des formes de vie supérieures et dont la validité est confirmée dans l’arrêt Harvard College : Bureau des brevets, Recueil des pratiques du Bureau des brevets (1998), par. 16.05.

110 Les deux principaux points en l’espèce, soit la portée du brevet de Monsanto et la question savoir si la production agricole de canola Roundup Ready constitue une exploitation contrefaisante, sont tranchés au moyen d’une interprétation téléologique des revendications du brevet et de l’application correcte de l’arrêt majoritaire Harvard College. Monsanto est devant un dilemme : interprétées d’une manière stricte, ses revendications sont valides mais n’ont pas été contrefaites, alors qu’elles sont invalides si elles sont interprétées de manière large : Gillette Safety Razor Co. c. Anglo-American Trading Co. (1913), 30 R.P.C. 465 (H.L.), p. 481.

111 Compte tenu de l’arrêt Harvard College, je conclus que les revendications dont il est question en l’espèce ne peuvent pas être interprétées de manière à étendre à des plantes entières la protection assurée par le brevet, et qu’il n’y a pas eu non plus d’exploitation contrefaisante. Je ne juge pas nécessaire d’examiner l’aperçu des faits que mes collègues donnent dans leurs motifs et que je ne conteste pas.

II. Analyse

A. L’arrêt Harvard College

112 Dans l’affaire Harvard College, précitée, la question était de savoir si une souris génétiquement modifiée pour la rendre prédisposée au cancer pouvait validement faire l’objet d’une revendication de brevet. Les juges majoritaires ont conclu que les formes de vie supérieures n’étaient pas des « composition[s] de matières ». Les plantes faisaient clairement partie de la catégorie des formes de vie supérieures : par exemple, l’arrêt Harvard College, par. 199. Par conséquent, les plantes ne sont pas visées par la définition du mot « invention » figurant à l’art. 2 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4.

113 Les juges majoritaires ont approuvé la ligne de démarcation tracée par le Bureau des brevets entre les formes de vie supérieures non brevetables, les formes de vie inférieures brevetables et les procédés brevetables de production en laboratoire de formes de vie supérieures transgéniques : Harvard College, par. 199. Cette ligne de démarcation est décrite dans le Recueil des pratiques du Bureau des brevets, op. cit., par. 16.05 :

Les formes de vie supérieures ne sont pas brevetables. Un procédé ayant pour objet la production d’une forme de vie supérieure par contre peut être brevetable pourvu que le procédé exige une intervention significative d’ordre technique de l’homme, et que le procédé [ne soit] pas seulement un procédé biologique naturel qui se conforme aux lois de la nature . . .

114 Cette ligne de démarcation a été clairement tracée dans la décision Re Application of Abitibi Co. (1982), 62 C.P.R. (2d) 81 (C.A.B.), p. 89, où on a jugé que les brevets s’appliquent à

[traduction] tous les micro‑organismes, champignons, virus ou protozoaires, à toutes les levures, moisissures, bactéries, actinomycètes, algues unicellulaires, lignées cellulaires et, en fait, à toutes les nouvelles formes de vie qui seront produites en grande quantité, comme dans le cas de la production de composés chimiques, et en si grand nombre que toute quantité mesurable possédera des propriétés et des caractéristiques uniformes.

115 Ainsi, dans l’arrêt Harvard College, les revendications concernant un plasmide génétiquement modifié et le procédé de manipulation génétique destinée à produire une souris prédisposée au cancer ont été jugées valides. La Cour a confirmé la conclusion du Commissaire aux brevets selon laquelle les revendications concernant la souris elle‑même étaient invalides. Aucune autre revendication n’était en cause dans cette affaire; les œufs de mammifères transgéniques (cellules isolées) n’étaient pas revendiqués, quoique, dans une remarque incidente, les juges majoritaires aient laissé entendre que ces œufs pourraient validement faire l’objet d’une revendication de brevet : Harvard College, par. 162.

B. Les revendications du brevet

116 Le brevet canadien no 1,313,830 de Monsanto est intitulé « Plantes résistant au glyphosate » (voir annexe). À première vue, les revendications montrent clairement que l’invention brevetée sert à assurer la résistance au glyphosate, qu’une personne versée dans l’art interpréterait comme la résistance à un herbicide à base de glyphosate, tel le « Roundup ».

117 Le brevet comporte une série de revendications hiérarchiques. Les revendications relatives à la méthode sont présentées séparément. Les revendications du brevet peuvent être réparties en cinq catégories générales :

(1) le gène chimère, revendications 1 à 7, qui n’existe pas dans la nature et qui, à la suite d’une intervention humaine, comporte trois éléments;

(2) le vecteur de clonage ou d’expression, revendications 8 à 14 (un vecteur est une molécule d’ADN dans laquelle on a introduit un autre segment d’ADN);

(3) le vecteur de transformation des plantes, revendications 15 à 21 et 52;

(4) la cellule végétale résistant au glyphosate, qui contient le gène chimère, revendications 22 à 28 et 43 à 51; et

(5) la méthode d’interprétation des catégories (1) à (4) et de régénération, en laboratoire, d’une plante à partir de la cellule végétale qui contient le gène chimère, revendications 29 à 42.

118 Toutes les cellules différenciées de la plante régénérée contiennent le gène chimère, qui est transmis, par reproduction naturelle, à la descendance de la plante. Cependant, comme l’ont reconnu mes collègues, aucune revendication ne vise la plante régénérée ou sa descendance.

C. Interprétation téléologique des revendications

119 Dans une action pour contrefaçon, la première étape cruciale consiste à interpréter de façon téléologique les revendications du brevet : Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, 2000 CSC 67, par. 43. L’interprétation des revendications du brevet permettra d’établir leur portée, laquelle permettra à son tour de résoudre les deux questions en litige en l’espèce : la validité et l’exploitation contrefaisante. Cependant les revendications du brevet de Monsanto ne peuvent pas être interprétées en fonction de la contrefaçon ou de l’invalidité que les appelants opposent comme moyen de défense à l’accusation de contrefaçon dont ils font l’objet : Whirlpool.

120 L’interprétation téléologique détermine la portée de l’invention. Elle permet d’identifier ce qui, selon l’inventeur, constituait les éléments essentiels de l’invention : Whirlpool, précité, par. 45.

121 Mes collègues soulignent que la valeur commerciale des droits exclusifs pour le titulaire du brevet est l’élément principal qui doit être pris en considération pour dégager les « éléments essentiels » des revendications du brevet. Toutefois, les intérêts commerciaux ne sont pas les seuls éléments qui doivent être pris en considération. L’interprétation téléologique des revendications du brevet porte sur trois autres thèmes que j’aborderai successivement.

(1) L’équité et la prévisibilité

122 En raison des graves répercussions financières de la contrefaçon, l’équité envers le public est un thème qui revient souvent dans la jurisprudence portant sur l’interprétation des revendications d’un brevet : Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504; Pioneer Hi-Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 R.C.S. 1623; Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, 2000 CSC 66, par. 41. L’étendue de la protection par brevet doit être à la fois « équitable » et « raisonnablement prévisible » (Whirpool, précité, par. 49; Consolboard, précité, p. 520-521). « La prévisibilité est assurée du fait que les revendications lient le breveté; l’équité résulte de l’interprétation des revendications de façon éclairée et en fonction de l’objet » (Free World Trust, précité, par. 43).

(2) Ce qui n’est pas revendiqué a fait l’objet d’une renonciation

123 La règle classique veut que « ce qui n’est pas revendiqué soit considéré comme ayant fait l’objet d’une renonciation » (Whirlpool, précité, par. 42). L’inventeur ne peut pas obtenir des droits exclusifs à l’égard d’une partie de l’invention qu’il n’a pas divulguée au public. Ce dernier doit être en mesure de prévoir quelles activités violeront les droits exclusifs du titulaire du brevet (Free World Trust, précité, par. 41).

124 Si le titulaire du brevet a limité les revendications, le public doit pouvoir s’en remettre à ces limites à condition que les revendications soient interprétées de manière équitable et éclairée (Free World Trust, précité, par. 51). L’inventeur ne peut pas élargir, au-delà de ce qui a été précisé, la portée des droits exclusifs qui lui sont attribués : Western Electric Co. c. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570. Cependant, il est possible d’examiner au complet le mémoire descriptif pour déterminer la portée des revendications : Whirlpool, précité, par. 49; Free World Trust, précité; Western Electric, précité, p. 573; le lord juge Lindley dans l’arrêt Needham c. Johnson and Co. (1884), 1 R.P.C. 49 (H.C.A.), p. 58. Les revendications sont invalides si elles ont une portée plus large que la description qui en est faite : Amfac Foods Inc. c. Irving Pulp & Paper Ltd., [1984] A.C.F. no 105 (QL) (1re inst.), p. 15, où l’on cite une longue liste de décisions; B.V.D. Co. c. Canadian Celanese Ltd., [1936] R.C.S. 221.

(3) La personne versée dans l’art

125 Les revendications d’un brevet doivent être interprétées du point de vue du travailleur fictif versé dans l’art, que le juge Binnie décrit ainsi :

[traduction] . . . un être fictif ayant des compétences et des connaissances usuelles dans l’art dont relève l’invention et un esprit désireux de comprendre la description qui lui est destinée. Cette notion de la personne fictive a parfois été assimilée à celle de l’« homme raisonnable » retenue en matière de négligence. On suppose que cette personne va tenter de réussir, et non de rechercher les difficultés ou viser l’échec.

(Free World Trust, précité, par. 44, citant l’extrait de la p. 184 de l’ouvrage de H. G. Fox, intitulé The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4e éd. 1969).)

126 Toutefois, il faut également tenir pour acquis que la personne raisonnable versée dans l’art connaît l’état du droit applicable à l’objet de son invention. Par exemple, dans l’arrêt Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd., [1992] A.C.F. no 1110 (QL) (C.A.), par. 42, le juge Mahoney a reconnu que les rédacteurs du brevet en cause avaient été en mesure de formuler avec une « extrême précision » leurs revendications afin qu’elles puissent résister à toute contestation de leur validité. Autrement dit, il a tenu pour acquis que ceux-ci comprenaient suffisamment le droit des brevets pour être en mesure de rédiger des revendications conformes aux exigences de la loi.

127 Cette interprétation est équitable et prévisible étant donné que le public doit également pouvoir s’en remettre à la jurisprudence de notre Cour pour déterminer la portée des revendications d’un brevet : Kirin Amgen Inc. c. Hoechst Marion Roussel Ltd., [2002] E.W.J. No. 3792 (QL), [2002] EWCA Civ. 1096, par. 60. Dans cet arrêt, la Cour d’appel d’Angleterre a pris en considération les témoignages opposés d’experts (personnes versées dans l’art) et a donné à une revendication de brevet relative à une séquence d’ADN d’origine naturelle (le gène de l’EPO) une interprétation restrictive

selon laquelle elle excluait la séquence d’ADN sous sa forme naturelle et donc non brevetable. Ce faisant, la cour a dit (par. 60) :

[traduction] Le titulaire du brevet ne pouvait pas monopoliser le gène lui-même étant donné qu’il existait dans la nature. Le titulaire du brevet a donc monopolisé la séquence d’ADN codant pour l’ADN lorsqu’elle est isolée et, à cet égard, utilisable pour exprimer l’EPO dans une cellule hôte. Dès 1984, un tel monopole aurait semblé accorder une protection équitable. Vouloir monopoliser l’utilisation de la séquence lorsqu’elle n’est pas isolée par l’insertion d’une construction génique dans une cellule humaine reviendrait à créer un monopole qui n’est pas bien étayé par le mémoire descriptif. Nous croyons également que les tiers pourraient raisonnablement s’attendre à ce que, en s’abstenant d’utiliser une séquence d’ADN pour l’insérer dans une cellule hôte, il n’y ait pas contrefaçon. [Je souligne.]

128 En conclusion, une personne versée dans l’art ne pouvait pas raisonnablement s’attendre, à la suite du dépôt du brevet de Monsanto, à ce que les droits exclusifs des revendications relatives au gène, à la cellule, au vecteur et à la méthode s’étendent aux plantes non brevetables et à leur descendance.

(4) Conclusion sur la portée des revendications de Monsanto

129 Par conséquent, une interprétation téléologique qui limite la présente revendication à ses « éléments essentiels », compte tenu à la fois de la formulation claire de la revendication et du mémoire descriptif, m’amène à conclure qu’il n’y a pas lieu de considérer que les revendications du brevet relatives au gène et à la cellule végétale confèrent des droits exclusifs sur la plante et toute sa descendance.

130 Il ressort clairement du mémoire descriptif que les revendications du brevet de Monsanto ne visent pas les plantes, les semences et les récoltes. Il est également clair que la revendication relative au gène n’étend pas à la plante la protection conférée par le brevet. La revendication concernant la cellule végétale cesse de s’appliquer au moment où la cellule végétale isolée qui contient le gène chimère est placée dans le milieu nutritif pour qu’elle se régénère. Dès que la cellule commence à se multiplier et à se différencier en tissu végétal, pour ensuite aboutir à la croissance d’une plante, la plante entière devrait faire l’objet d’une revendication. Toutefois, une plante entière n’est pas brevetable. De même, la revendication relative à la méthode cesse de s’appliquer au moment de la régénération de la plante transgénique fondatrice, mais elle ne vise pas les méthodes de reproduction de la plante et sûrement pas non plus la descendance de la plante régénérée.

131 En réalité, les revendications du brevet attribuent à Monsanto le monopole du gène chimère et de la cellule dans laquelle il est inséré, ainsi que de la méthode d’insertion du gène chimère dans la cellule. Par conséquent, aucune autre société de biotechnologie ne peut utiliser le gène chimère pour créer une cellule végétale résistant au glyphosate qui pourra ensuite être régénérée en plante résistant au glyphosate.

D. Validité

(1) Le droit en matière de validité

132 Il se peut que des revendications qui seraient par ailleurs valides soient limitées par des dispositions législatives ou par la jurisprudence : Commissioner of Patents c. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49; Shell Oil Co. c. Commissaire des brevets, [1982] 2 R.C.S. 536. Comme le précise l’arrêt Farbwerke, p. 57, [traduction] « [i]l n’existe pas, en common law, de droit inhérent à un brevet. L’inventeur obtient son brevet conformément à Loi sur les brevets. Un point, c’est tout. Si le brevet qu’il sollicite est visé par les dispositions du par. 41(1) [une exception] de la Loi, il doit alors se conformer à ce paragraphe. »

133 La Loi soustrait expressément à la protection par brevet les phénomènes naturels, les lois de la nature et les principes scientifiques : par. 27(8). D’autres objets ont été exclus à la suite de l’interprétation que les tribunaux ont donnée de la définition des mots « invention » et « procédé » figurant à l’art. 2, et du par. 27(8). Par exemple, les objets suivants ont été exclus : les programmes informatiques, si la découverte est une méthode de calcul (Schlumberger Canada Ltd. c. Commissaire des brevets, [1982] 1 C.F. 845 (C.A.)); les méthodes de traitement médical (Tennessee Eastman Co. c. Commissaire des brevets, [1974] R.C.S. 111); les formes de vie supérieures (Harvard College, précité); les systèmes et méthodes de gestion d’entreprise, ainsi que les compétences et les méthodes professionnelles (State Street Bank & Trust Co. c. Signature Financial Group, Inc., 149 F.3d 1368 (Fed. Cir. 1998)); les imprimés ne produisant que des résultats artistiques, intellectuels ou littéraires (Re Application of Boussac, OPIC, décision du Commissaire no 143, 10 mars 1973); le simple comportement humain ou processus mental, ou les modes d’emploi (Re Application of Ijzerman, OPIC, décision du Commissaire no 254, 4 juillet 1975; Gale’s Application, [1991] R.P.C. 305 (Pat. Ct.), p. 323); les plans d’architecte (Application No. 995 for a Townhouse Building Design (Re) (1979), 53 C.P.R. (2d) 211 (C.A.B.)). Ces exemples démontrent qu’il n’est pas inhabituel que les tribunaux et le Bureau des brevets interprètent les dispositions de la Loi sur les brevets de manière à soustraire un objet à la brevetabilité.

134 La revendication qui englobe un objet non brevetable est invalide. Cependant, une revendication peut être interprétée en fonction de l’exception prévue. Dans l’arrêt Shell Oil, précité, p. 553, la juge Wilson a affirmé qu’« une revendication pour les compositions dans ces affaires-là aurait, à mon sens, une portée qui dépasse celle de l’invention et contreviendrait à l’art. 36 ». L’article 36 prévoit que le demandeur doit décrire, dans son mémoire, le nouvel objet dont il revendique la propriété exclusive. Selon le raisonnement de la juge Wilson, si l’une des revendications du brevet de Monsanto avait été interprétée comme englobant des plantes, elle aurait été invalide.

(2) La validité des revendications de Monsanto

135 Selon l’interprétation téléologique voulant qu’elles n’étendent pas aux plantes la protection par brevet, les revendications relatives au produit de Monsanto sont toutes valides.

136 Les revendications relatives au procédé de Monsanto sont également valides. Les revendications concernant la méthode de fabrication de cellules végétales transgéniques résistant au glyphosate devraient être valides parce qu’une invention peut être un « procédé » (Tennessee Eastman, précité). La revendication relative à un procédé peut être valide même si l’objet qu’il permet de fabriquer n’est pas brevetable, notamment parce qu’il est évident (F. Hoffmann-Laroche & Co. c. Commissioner of Patents, [1955] R.C.S. 414) ou parce qu’il s’agit d’un objet non brevetable (Harvard College, précité).

137 Le deuxième étape de la méthode — la régénération d’une plante à partir de la cellule végétale — peut toutefois sembler plus problématique. Cependant, puisque ce procédé comporte une intervention humaine importante et n’est pas conforme aux « lois de la nature », comme la reproduction naturelle sexuée ou asexuée, je conclus que cette étape serait également brevetable. Dans l’affaire Harvard College, le Commissaire aux brevets a estimé que le procédé de création d’une culture cellulaire transgénique, dont l’étape intermédiaire consiste à [traduction] « laisser ledit embryon se développer jusqu’au stade d’animal adulte », était brevetable en tant que revendication relative à un procédé. Cette conclusion est conforme à la politique du Bureau des brevets (Recueil des pratiques du Bureau des brevets, op. cit., par. 16.05) et à l’al. 27(3)b) de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (« ADPIC »), 1869 R.T.N.U. 332 (annexe 1C de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce, 1867 R.T.N.U. 3).

E. Résumé et conclusion concernant l’interprétation et la validité des revendications

138 Bref, correctement interprétées, les revendications de Monsanto relatives aux produits et aux procédés sont valides dans les deux cas. Aucune d’elles n’étend la protection par brevet à la plante elle‑même, qui est une forme de vie supérieure qui ne peut pas bénéficier de cette forme de protection. Pour éviter que la revendication vise la plante entière, la revendication relative à la cellule végétale doit cesser de s’appliquer au moment où la cellule génétiquement modifiée commence à se multiplier et à se différencier en tissus végétal, sinon la revendication viserait chaque cellule de la plante, c’est‑à‑dire la plante elle‑même.

139 Par conséquent, les revendications valides de Monsanto visent uniquement les gènes chimères et les cellules génétiquement modifiés en laboratoire avant la régénération — et le procédé connexe de fabrication de la plante génétiquement modifiée.

F. Contrefaçon

140 La Loi sur les brevets ne définit pas le mot « contrefaçon ». Pour déterminer ce qui constitue une contrefaçon, il faut consulter la common law, les dispositions législatives qui définissent les droits conférés à l’inventeur et les recours dont il dispose, et surtout vérifier la portée des droits exclusifs revendiqués dans le brevet (Fox, op. cit., p. 349). Bref, la contrefaçon s’entend de [traduction] « tout acte qui nuit à la pleine jouissance du monopole accordé au titulaire du brevet », s’il est accompli sans le consentement de ce dernier (Fox, op. cit., p. 349).

141 La question est maintenant de savoir si les appelants ont exploité l’invention de façon à porter atteinte aux droits exclusifs du titulaire du brevet, sans oublier que le brevet de Monsanto ne s’applique pas aux plantes. Le public a le droit de s’attendre raisonnablement à ce qu’un objet non brevetable ne bénéficie pas de la protection par brevet et que son exploitation ne constitue pas de la contrefaçon : Kirin Amgen, précité, par. 60.

142 À l’instar des tribunaux inférieurs, je vais présumer que les appelants ont semé des graines contenant le gène et la cellule brevetés de Monsanto. Je conviens avec mes collègues que les appelants n’ont ni fabriqué ni construit le gène ou la cellule contenus dans la récolte de canola et qu’ils n’ont pas exploité le procédé breveté de Monsanto.

(1) Interprétation législative du verbe « exploiter » figurant à l’art. 42 de la Loi sur les brevets

143 La disposition législative pertinente est l’art. 42 de la Loi sur les brevets, qui est ainsi rédigé :

42. Tout brevet accordé en vertu de la présente loi contient le titre ou le nom de l’invention avec renvoi au mémoire descriptif et accorde, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, au breveté et à ses représentants légaux, pour la durée du brevet à compter de la date où il a été accordé, le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention, sauf jugement en l’espèce par un tribunal compétent.

144 J’appliquerai les trois mêmes principes d’interprétation législative que mes collègues pour interpréter le sens du verbe « exploiter » (« use ») figurant à l’art. 42 de la Loi sur les brevets. Ces principes sont l’interprétation téléologique du verbe « exploiter », l’analyse contextuelle qui tient compte des autres termes de la disposition, et la jurisprudence.

145 Selon une interprétation téléologique, le sens du verbe « exploiter » est limité par l’objet de l’invention, et tout acte accompli dans un but prévu ou non prévu par l’inventeur peut constituer une exploitation contrefaisante. Le problème que pose le sens d’exploitation commerciale que mes collègues donnent au verbe « exploiter » est que l’inventeur est tenu de décrire non pas l’utilité de l’invention, mais simplement l’invention et la façon de la produire : Consolboard, précité. Contrairement à ce que considèrent mes collègues, l’utilité n’englobe pas nécessairement l’utilité commerciale, qui est déterminée par le marché : D. Vaver, Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade-marks (1997), p. 120. Un inventeur devrait avoir droit à une réparation telle une injonction, peu importe que l’exploitation contrefaisante ait ou non des applications commerciales : Adair c. Young (1879), 12 Ch. D. 13 (C.A.).

146 Dans l’arrêt Consolboard, précité, p. 526, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a cité, en les approuvant, les propos suivants du président Thorson dans la décision The King c. American Optical Co. (1950), 11 Fox Pat. C. 62 (C. de l’É.), p. 85 :

[traduction] Si un inventeur a adéquatement décrit son invention, il a droit d’en jouir même s’il n’apprécie ni ne réalise pleinement les avantages qui en découlent ou s’il ne peut fournir l’explication scientifique de ces derniers. Il suffit que le mémoire descriptif décrive de façon complète et correcte l’invention et son emploi ou fonctionnement prévus par l’inventeur de telle sorte que le public, c.-à.-d. les personnes versées dans l’art, puisse, en n’ayant que le mémoire descriptif, utiliser l’invention avec le même succès que l’inventeur.

147 Bien que, dans l’arrêt Consolboard, précité, la Cour ait rejeté l’idée qu’il soit nécessaire de revendiquer une utilité ou d’exposer les propriétés « utiles » de l’invention dans la divulgation, elle n’a pas nécessairement écarté tout lien entre la contrefaçon et le mémoire descriptif. Dans l’arrêt Pioneer Hi-Bred, précité, p. 1637, le juge Lamer (plus tard Juge en chef) a conclu que « [l]e paragraphe 36(1) a été édicté pour permettre aux compétiteurs de savoir quelles sont les limites à l’intérieur desquelles ils doivent s’abstenir de contrefaire [l’objet] de l’invention et de connaître quelle est leur marge de manœuvre lorsqu’ils travaillent dans un domaine analogue à celui du breveté. »

148 Ce raisonnement est essentiel à une interprétation plus harmonieuse de l’art. 42. Une analyse contextuelle de cet article permet de lier les verbes « exploiter », « vendre » et « fabriquer » au substantif « invention ». La définition du terme « exploiter » doit donc, dans tous les cas, être limitée par l’objet de l’invention. Cette approche a été adoptée pour interpréter le terme « utiliser » dans le contexte de l’art. 58, devenu l’art. 56, de la Loi sur les brevets. L’article 56 établit une exception à la contrefaçon à l’égard des personnes qui ont acquis l’objet brevetable avant la délivrance du brevet :

56. (1) Quiconque, avant la date de revendication d’une demande de brevet, achète, exécute ou acquiert l’objet que définit la revendication peut utiliser et vendre l’article, la machine, l’objet manufacturé ou la composition de matières brevetés [c’est-à-dire l’invention] ainsi achetés, exécutés ou acquis avant cette date sans encourir de responsabilité envers le breveté ou ses représentants légaux. [Je souligne.]

149 Dans l’arrêt Libbey-Owens-Ford Glass Co. c. Ford Motor Co. of Canada (1969), 1 R.C. de l’É. 529, p. 553, adoptant un raisonnement approuvé par notre Cour dans l’arrêt Libbey‑Owens-Ford Glass Co. c. Ford Motor Co. of Canada, [1970] R.C.S. 833, et suivi dans la décision Merck & Co. c. Apotex Inc., [1994] A.C.F. no 1898 (QL) (1re inst.), le juge de première instance a dit que [traduction] « pour interpréter correctement l’art. 58 [maintenant l’art. 56], il faut d’abord le lire conjointement avec l’al. 2d) [la définition de l’invention], afin d’en déterminer le sens ».

150 En outre, dans l’arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., [1995] 2 C.F. 723, p. 745, la Cour d’appel fédérale a dit :

C’est l’intention de l’inventeur, indiquée dans le brevet, qui protège l’appelante en vertu de l’article 56 étant donné que les règles de droit applicables ne reposent pas sur la forme mais sur la portée de l’invention dans son ensemble. . .

. . .

Je crois que l’examen des revendications du brevet relatives à la composition et à l’utilisation, qui fera ressortir davantage l’interrelation qui existe entre toutes les parties du brevet, renforcera cette conclusion.

151 Par conséquent, les mots « exploiter » et « invention » doivent être interprétés ensemble et la portée du mot « exploiter » doit être limitée par celle des revendications.

152 Le critère applicable pour déterminer s’il y a eu « exploitation » consiste à se demander si le présumé exploiteur a privé le titulaire du brevet non pas des avantages commerciaux de son invention, mais plutôt de son monopole de l’exploitation de l’invention expliquée dans les revendications.

153 En l’espèce, ce critère consiste à se demander si les appelants ont exploité les gènes et les cellules génétiquement modifiés de Monsanto, tels qu’ils existaient en laboratoire avant leur différenciation et leur multiplication — ou le procédé de modification génétique. Il ne s’agit pas de savoir si les appelants ont privé Monsanto de tous les avantages commerciaux de son invention, ou d’une partie de ceux-ci.

(2) Le droit en matière d’exploitation

154 En toute déférence, j’estime que la jurisprudence n’étaye pas l’interprétation que mes collègues donnent du verbe « exploiter ». Une bonne partie de la jurisprudence relative au verbe « exploiter » ainsi que diverses analogies sont inutiles en raison des propriétés uniques des matières biologiques et, plus particulièrement, des formes de vie supérieures qui peuvent se reproduire et se propager. La Cour d’appel fédérale a reconnu, au par. 57, la difficulté d’appliquer la Loi sur les brevets aux matières capables de se reproduire : « . . . il [. . .] semble contestable que le gène Monsanto breveté appartienne à une nouvelle catégorie. Il s’agit d’une invention brevetée existant dans une plante vivante qui peut, sans intervention humaine, produire une descendance contenant la même invention. »

155 Il est bien établi que l’exploitation ou la vente d’un objet non breveté peut tout de même contrefaire un brevet lorsque cet objet non breveté est fabriqué au moyen d’un procédé breveté : Saccharin Corp. c. Anglo‑Continental Chemical Works, Ld. (1900), 17 R.P.C. 307 (H.C.J.); F. Hoffmann-Laroche, précité, p. 415; Wellcome Foundation Ltd. c. Apotex Inc. (1991), 39 C.P.R. (3d) 289 (C.F. 1re inst.); American Cyanamid Co. c. Charles E. Frosst & Co. (1965), 29 Fox Pat. C. 153 (C. de l’É.). Cette proposition n’est cependant d’aucune utilité aux intimées. Les appelants n’ont pas contrefait la revendication relative au procédé parce qu’ils n’ont pas exploité la méthode revendiquée pour produire leur culture de canola.

156 La véritable question est de savoir si un produit breveté (le gène ou la cellule) incorporé dans un objet non brevetable a pour effet d’étendre à l’objet non brevetable la protection conférée par le brevet. Les intimées et l’intervenante BIOTECanada prétendent, en outre, qu’[traduction] « [i]l est bien établi qu’une composition de matières non brevetable dans laquelle est incorporée une matière brevetée peut constituer de la contrefaçon » (mémoire conjoint de BIOTECanada et de l’Association canadienne du commerce des semences, par. 39 (je souligne)), mais, à l’instar de mes collègues, ils ne citent aucune jurisprudence ni aucune doctrine à cet égard. Quoi qu’il en soit, il n’existe aucune analogie vraiment utile entre cultiver une plante dont chaque cellule, ainsi que chaque cellule de toute sa descendance, peut être vaguement reliée à la cellule génétiquement modifiée et contient le gène chimère et munir un vêtement d’une fermeture éclair ou une voiture de pneus, ou encore construire à l’aide de blocs Lego. Ces analogies sont particulièrement faibles lorsqu’on tient compte du fait que la plante peut subséquemment croître, se reproduire et se propager sans autre intervention humaine.

157 Une solution que les appelants nous ont proposé d’adopter consistait à incorporer un élément de connaissance dans la définition du verbe « exploiter ». Cette solution, qui serait généralement applicable aux autres types de brevet, créerait de l’incertitude au sujet d’une question déjà réglée en droit canadien des brevets, à savoir que l’intention n’est pas pertinente en matière de contrefaçon : Terrell on the Law of Patents (15e éd. 2000), par. 8.10; Hughes and Woodley on Patents (1984), § 26; British United Shoe Machinery Co. c. Gimson Shoe Machinery Co. (1928), 45 R.P.C. 290 (C.A.), p. 308; Computalog Ltd. c. Comtech Logging Ltd. (1992), 44 C.P.R. (3d) 77 (C.A.F.), p. 88; Illinois Tool Works Inc. c. Cobra Fixations Cie, [2002] A.C.F. no 1104 (QL), 2002 CFPI 829. Dans l’arrêt Merrell Dow Pharmaceuticals Inc. c. H.N. Norton & Co., [1996] R.P.C. 76 (H.L.), p. 92, lord Hoffmann a souligné que, puisque la responsabilité est absolue, l’état d’esprit du présumé contrefacteur n’est pas pertinent. [traduction] « [I]l est acquis qu’en matière de contrefaçon directe la connaissance ou l’intention du contrefacteur n’est pas pertinente » (Terrell on the Law of Patents, op. cit., par. 8.08).

158 La plupart des gens ne connaissent pas le contenu des brevets, mais sont effectivement réputés le connaître. L’important est ce que la personne fait. Si les actes d’une personne portent atteinte aux droits exclusifs conférés par le brevet, il y a contrefaçon : Pfizer Corp. c. Ministry of Health, [1965] A.C. 512 (H.L.). Un arrêt tel British United Shoe Machinery Co. c. Simon Collier Ld. (1910), 27 R.P.C. 567 (H.L.), qui peut indiquer le contraire, est inhabituel et constitue un cas d’espèce (Pfizer, précité) ou porte sur la réparation et non sur la contrefaçon (Terrell on the Law of Patents, op. cit., par. 8.09). Comme le soulignent mes collègues, la présomption d’exploitation n’est réfutable que dans des circonstances très rares, comme celles de l’arrêt British United Shoe Machinery Co. c. Simon Collier Ld., précité, où ni le produit ni sa valeur latente n’ont été exploités.

159 Un contrefacteur vraiment innocent peut être en mesure de réfuter la présomption d’exploitation. Cependant, il lui serait probablement difficile de le faire une fois qu’il a pris connaissance de la présence, réelle ou probable, de la plante génétiquement modifiée sur sa terre et qu’il a continué d’utiliser ses méthodes de culture traditionnelles, comme celle consistant à conserver des semences. Le législateur devrait examiner expressément les complexités et nuances de la protection du contrefacteur innocent dans le contexte de la biotechnologie agricole, étant donné que le droit en matière d’exploitation ne peut en tenir compte que d’une manière insuffisante.

(3) Conclusion sur la contrefaçon

160 En définitive, les tribunaux inférieurs ont commis une erreur en considérant non seulement que les revendications s’appliquent aux plantes et aux semences, mais encore que le verbe « exploiter » signifie également exploiter l’objet auquel le titulaire du brevet a renoncé, à savoir la plante. En tant qu’exploiteurs, les appelants pouvaient raisonnablement s’attendre à ce que les objets non brevetables que sont les plantes ne bénéficient pas de la protection conférée par le brevet. Par conséquent, la culture des plantes contenant le gène et la cellule brevetés ne constitue pas de la contrefaçon. Les plantes contenant le gène breveté ne peuvent avoir aucune valeur ou utilité latente, contrairement à ce qu’affirment mes collègues. Toute conclusion contraire aurait pour effet de rendre applicable à la plante la protection conférée par le brevet.

161 Parmi les exploitations qui constitueraient de la contrefaçon, il y a l’exploitation du gène chimère sous sa forme isolée pour créer un vecteur d’expression ou de clonage ou encore un vecteur de transformation, et l’exploitation du vecteur de transformation pour créer une cellule végétale transgénique. L’exploitation revendiquée de la cellule végétale a trait à la cellule végétale isolée qui se trouve dans une culture en laboratoire servant à régénérer une « plante fondatrice », mais non à sa descendance.

162 Il n’y a aucune revendication relative à une plante « résistant au glyphosate » et à toute sa descendance. Par conséquent, le fait de conserver, de mettre en terre ou de vendre des semences provenant de plantes résistant au glyphosate ne constitue pas une exploitation contrefaisante.

163 De toute évidence, comme cela a été fait en l’espèce, Monsanto peut toujours accorder des licences autorisant la vente des semences qu’elle produit à partir de son invention brevetée et imposer des obligations contractuelles au titulaire de la licence. En accordant des licences, le titulaire du brevet peut assujettir l’exploitation de la plante à certaines conditions, telle l’interdiction de conserver des semences, et se réserver ainsi la capacité de poursuivre l’agriculteur pour rupture de contrat si ce dernier viole l’une ou l’autre des conditions de la licence.

G. La conclusion est conforme aux obligations internationales incombant au Canada en vertu de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce

164 Dans l’arrêt Harvard College, précité, tant les juges majoritaires que les juges dissidents ont recommandé l’intervention du législateur sur la question de la brevetabilité des formes de vie supérieures. Dans l’état actuel des choses, ma conclusion sur la portée des revendications du brevet de Monsanto, qui est déterminante en ce qui concerne, à la fois, la question de la validité et celle de l’exploitation contrefaisante, ne contrevient pas au par. 27(1) de l’ADPIC, aux termes duquel le Canada a consenti à rendre brevetable, sans discrimination, toute invention relevant du domaine technologique.

165 Dans le rapport intitulé Brevetabilité des formes de vie supérieures et enjeux connexes (juin 2002), le Comité consultatif canadien de la biotechnologie indique qu’il se peut, en fait, que le contraire soit vrai. L’utilisation d’organismes biologiques autoreproducteurs en tant que « moyen » d’obtenir des brevets génétiques peut être trop favorable au titulaire du brevet, tant en ce qui concerne ce qu’il a inventé qu’en ce qui concerne d’autres domaines d’invention. Le Comité consultatif canadien de la biotechnologie explique ce point de vue de la façon suivante (p. 12) :

Étant donné que les formes de vie supérieures peuvent se reproduire sans aide, la délivrance d’un brevet sur une plante, une graine ou un animal couvre non seulement la plante, la graine ou l’animal vendu, mais également toute sa descendance renfermant l’invention brevetée, et ce pour toutes les générations jusqu’à l’expiration du brevet (20 ans à compter de la date d’antériorité). De plus, une grande partie de la valeur de toute forme de vie supérieure, particulièrement dans le cas d’animaux, provient des caractéristiques naturelles de l’organisme d’origine et n’a rien à voir avec l’invention. Vu les attributs uniques des inventions biologiques, l’octroi exclusivement au détenteur du brevet de droits qui s’appliquent non seulement à l’organisme renfermant l’invention, mais également à toute sa descendance représente une augmentation substantielle de la portée des droits offerts aux détenteurs de brevets. Il représente également un plus grand transfert d’intérêts économiques de la communauté agricole en faveur de l’industrie de la biotechnologie que dans d’autres champs scientifiques.

166 Ma conclusion ne contrevient pas à l’al. 27(3)b) de l’ADPIC, mais est plutôt étayée par cet alinéa, qui prévoit :

Article 27

. . .

3. Les Membres pourront aussi exclure de la brevetabilité :

. . .

b) les végétaux et les animaux autres que les micro-organismes, et les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux, autres que les procédés non biologiques et microbiologiques. Toutefois, les Membres prévoiront la protection des variétés végétales par des brevets, par un système sui generis efficace, ou par une combinaison de ces deux moyens. . .

167 Permettre que les revendications relatives au gène et à la cellule étendent aux plantes la protection par brevet dépouillerait l’ADPIC de tout son sens. Conclure que la possession de plantes, en tant que réalisation de la revendication relative à un gène ou à une cellule, constitue une « exploitation » de cette revendication aurait la même incidence que breveter la plante. Par conséquent, ma conclusion sur la portée des revendications et celle de l’exploitation est conforme aux obligations internationales qui incombent au Canada en vertu de l’ADPIC.

168 Le Canada possède un système sui generis de protection des plantes. La Loi sur la protection des obtentions végétales, L.C. 1990, ch. 20, est un régime législatif nuancé qui tient compte des droits des obtenteurs de nouvelles variétés de plantes et de ceux des utilisateurs. Rien dans cette loi ne permet d’exclure de son champ d’application les nouvelles variétés de plantes génétiquement modifiées, comme le canola Roundup Ready.

169 Même si, « [s]ur le plan de la portée générale et de la durée, les droits offerts par la Loi sur la protection des obtentions végétales sont bien loin de correspondre à ceux conférés par un brevet » (Harvard College, précité, par. 61), ce sont peut-être les seuls auxquels Monsanto puisse prétendre. En effet, le professeur Vaver, op. cit., p. 128, reconnaît qu’il ne devrait pas nécessairement être possible d’obtenir un brevet lorsqu’il existe une autre forme de protection intellectuelle mieux adaptée. Depuis, Monsanto a eu la possibilité de bénéficier de la protection de cette loi même si elle n’était pas en vigueur au moment de la délivrance de son brevet.

170 Vu ma conclusion sur la question de la contrefaçon, il n’est pas nécessaire que j’examine les autres questions soulevées dans le pourvoi.

III. Dispositif

171 J’accueillerais le pourvoi avec dépens en faveur des appelants dans toutes les cours.

ANNEXE

Brevet numéro 1,313,830 : Plantes résistant au glyphosate

[traduction]

Les réalisations de l’invention qui font l’objet d’une revendication de propriété ou de privilège exclusifs sont définies de la façon suivante :

1. Un gène chimère pour plante qui comprend :

a) un promoteur fonctionnant dans des cellules végétales;

b) une séquence de codage qui produit l’ARN codant le peptide de transfert vers les chloroplastes et le polypeptide de fusion 5‑énolpyruvylshikimate-3-phosphate synthase (EPSPS), lequel peptide de transfert vers les chloroplastes permet de transporter le polypeptide de fusion jusque dans un chloroplaste de cellule végétale;

c) une région non traduite en 3' qui code un signal de polyadénylation qui, dans les cellules végétales, permet l’addition de nucléotides de polyadénylates à l’extrémité 3' de l’ARN;

le promoteur est hétérologue eu égard à la séquence de codage et adapté pour permettre une expression suffisante du polypeptide de fusion afin d’améliorer la résistance au glyphosate de la cellule végétale transformée à l’aide du gène.

2. Un gène chimère de la revendication 1, dans lequel le promoteur est un promoteur de phytovirus.

3. Un gène chimère de la revendication 2, dans lequel le promoteur est un promoteur du virus de la mosaïque du chou-fleur (CaMV).

4. Un gène chimère de la revendication 3, dans lequel le promoteur est le promoteur CaMV35S.

5. Un gène chimère de la revendication 1, dans lequel la séquence de codage code une 5-énolpyruvylshikimate-3-phosphate synthase (EPSPS) mutante.

6. Un gène chimère de la revendication 1, dans lequel la séquence de codage de l’EPSPS code une EPSPS d’un organisme choisi dans le groupe des bactéries, des champignons et des plantes.

7. Un gène chimère de la revendication 1, dans lequel le peptide de transfert vers un chloroplaste provient d’un gène d’EPSPS de plante.

8. Un vecteur de clonage ou d’expression comportant un gène chimère pour plante de la revendication 1.

9. Un vecteur de clonage ou d’expression de la revendication 8, dans lequel le gène chimère pour plante code un peptide de transfert vers le chloroplaste d’un gène d’EPSPS de plante.

10. Un vecteur de clonage ou d’expression de la revendication 9, dans lequel le gène chimère pour plante comporte un promoteur de phytovirus.

11. Un vecteur de clonage ou d’expression de la revendication 10, dans lequel le promoteur est un promoteur du virus de la mosaïque du chou-fleur (CaMV).

12. Un vecteur de clonage ou d’expression de la revendication 11, dans lequel le promoteur est le promoteur CaMV35S.

13. Un vecteur de clonage ou d’expression de la revendication 8, dans lequel le gène chimère pour plante comporte une séquence de codage codant une 5‑énolpyruvylshikimate‑3‑phosphate synthase mutante.

14. Un vecteur de clonage ou d’expression de la revendication 8, dans lequel la séquence de codage code une EPSPS d’un organisme choisi dans le groupe des bactéries, des champignons et des plantes.

15. Un vecteur de transformation de plantes comportant un gène chimère de la revendication 1.

16. Un vecteur de transformation de plantes de la revendication 15, dans lequel le gène chimère pour plante code un peptide de transfert vers le chloroplaste d’un gène d’EPSPS de plante.

17. Un vecteur de transformation de plantes de la revendication 15, dans lequel le gène chimère pour plante comporte un promoteur de phytovirus.

18. Un vecteur de transformation de plantes de la revendication 17, dans lequel le promoteur est un promoteur du virus de la mosaïque du chou-fleur (CaMV).

19. Un vecteur de transformation de plantes de la revendication 18, dans lequel le promoteur est le promoteur CaMV35S.

20. Un vecteur de transformation de plantes de la revendication 15, dans lequel le gène chimère pour plante comporte une séquence de codage codant une 5‑énolpyruvylshikimate‑3‑phosphate synthase mutante.

21. Un vecteur de transformation de plantes de la revendication 15, dans lequel la séquence de codage code une EPSPS d’un organisme choisi dans le groupe des bactéries, des champignons et des plantes.

22. Une cellule végétale résistant au glyphosate, comportant un gène chimère pour plante de la revendication 1.

23. Une cellule végétale résistant au glyphosate de la revendication 22, dans laquelle le promoteur est un promoteur de phytovirus.

24. Une cellule végétale résistant au glyphosate de la revendication 23, dans laquelle le promoteur est un promoteur du virus de la mosaïque du chou‑fleur (CaMV).

25. Une cellule végétale résistant au glyphosate de la revendication 24, dans laquelle le promoteur est le promoteur CaMV35S.

26. Une cellule végétale résistant au glyphosate de la revendication 22, dans laquelle la séquence de codage code une 5‑enolpyruvylshikimate-3-phosphate synthase mutante.

27. Une cellule végétale résistant au glyphosate de la revendication 22, dans laquelle la séquence de codage code une EPSPS d’un organisme choisi dans le groupe des bactéries, des champignons et des plantes.

28. Une cellule végétale résistant au glyphosate de la revendication 22, dans laquelle le peptide de transfert vers un chloroplaste provient d’un gène d’EPSPS de plante.

29. Une méthode de production d’une dicotylédone résistant au glyphosate, qui consiste :

a) à transformer des cellules végétales en utilisant comme vecteur un Agrobacterium comportant un gène chimère pour plante de la revendication 1;

b) à régénérer des plantes résistant au glyphosate à partir des cellules végétales transformées.

30. Une méthode de la revendication 29, dans laquelle le gène chimère pour plante comporte un promoteur de phytovirus.

31. Une méthode de la revendication 30, dans laquelle le promoteur est un promoteur du virus de la mosaïque du chou-fleur (CaMV).

32. Une méthode de la revendication 31, dans laquelle le promoteur est le promoteur CaMV35S.

33. Une méthode de la revendication 29, dans laquelle le gène chimère comporte une séquence de codage codant une 5‑énolpyruvylshikimate‑3‑phosphate synthase mutante.

34. Une méthode de la revendication 29, dans laquelle la séquence codage code une EPSPS d’un organisme choisi dans le groupe des bactéries, des champignons et des plantes.

35. Une méthode de la revendication 29, dans laquelle la séquence de codage code le peptide de transfert vers le chloroplaste d’un gène d’EPSPS de plante.

36. Une méthode de production d’une cellule végétale résistant au glyphosate, qui consiste à transformer la cellule végétale à l’aide d’un vecteur de transformation de plantes de la revendication 15.

37. Une méthode de la revendication 36, dans laquelle le gène chimère comporte un promoteur de phytovirus.

38. Une méthode de la revendication 37, dans laquelle le promoteur est un promoteur du virus de la mosaïque du chou-fleur (CaMV).

39. Une méthode de la revendication 38, dans laquelle le promoteur est le promoteur CaMV35S.

40. Une méthode de la revendication 36, dans laquelle le gène chimère comporte une séquence de codage codant une 5‑énolpyruvylshikimate‑3‑phosphate synthase mutante.

41. Une méthode de la revendication 36, dans laquelle la séquence de codage code une EPSPS d’un organisme choisi dans le groupe des bactéries, des champignons et des plantes.

42. Une méthode de la revendication 36, dans laquelle la séquence de codage code le peptide de transfert vers le chloroplaste d’un gène d’EPSPS de plante.

43. Une cellule de tomate résistant au glyphosate de la revendication 22.

44. Une cellule de tabac résistant au glyphosate de la revendication 22.

45. Une cellule de colza oléagineux résistant au glyphosate de la revendication 22.

46. Une cellule de lin résistant au glyphosate de la revendication 22.

47. Une cellule de soja résistant au glyphosate de la revendication 22.

48. Une cellule de tournesol résistant au glyphosate de la revendication 22.

49. Une cellule de betterave à sucre résistant au glyphosate de la revendication 22.

50. Une cellule de luzerne résistant au glyphosate de la revendication 22.

51. Une cellule de coton résistant au glyphosate de la revendication 22.

52. Plasmide pMON546, numéro d’accession ATCC 53213.

Pourvoi accueilli en partie, les juges Iacobucci, Bastarache, Arbour et LeBel sont dissidents en partie.

Procureurs des appelants : Priel, Stevenson, Hood & Thornton, Saskatoon.

Procureurs des intimées : Sim, Hughes, Ashton & McKay, Toronto.

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Ministère du procureur général de l’Ontario, Toronto.

Procureurs de l’intervenante Canadian Canola Growers Association : McCarthy & Brown, Carman, Manitoba.

Procureurs de l’intervenante Ag‑West Biotech Inc. : McDougall Gauley, Saskatoon.

Procureurs de l’intervenante BIOTECanada : Gowling Lafleur Henderson, Ottawa.

Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne du commerce des semences : Smart & Biggar, Ottawa.

Procureurs des intervenants le Conseil des Canadiens, le Groupe d’action sur l’érosion, la technologie et la concentration, le Sierra Club du Canada, le Syndicat national des cultivateurs, Research Foundation for Science, Technology and Ecology et International Centre for Technology Assessment : Sack Goldblatt Mitchell, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : 2004 CSC 34 ?
Date de la décision : 21/05/2004
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli en partie

Analyses

Brevets - Portée et validité du brevet - Objet brevetable - Biotechnologie - Gènes et cellules - Les brevets s’appliquent-ils aux plantes? - Revendications de brevet divulguant des gènes et cellules génétiquement modifiés qui, une fois insérés dans des plantes, en augmentent la tolérance aux herbicides à base de glyphosate - Le brevet est-il valide?.

Brevets - Contrefaçon - Brevet divulguant des gènes et cellules génétiquement modifiés qui, une fois insérés dans des plantes, en augmentent la tolérance aux herbicides à base de glyphosate - Production agricole de canola contenant une cellule et un gène brevetés, sans licence ni autorisation en ce sens - Le brevet est-il contrefait? - Sens du verbe « exploiter » figurant à l’art. 42 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4.

Brevets - Réparation - Remise des profits - Peut-on solliciter une remise de profits en l’absence de preuve que l’invention a permis de réaliser un profit?.

Les intimées sont respectivement titulaire et propriétaire d’un brevet qui divulgue l’invention de gènes chimériques conférant une résistance aux herbicides à base de glyphosate, tel le Roundup, et de cellules contenant ces gènes. Le canola contenant les gènes et cellules brevetés est commercialisé sous le nom de « Roundup Ready Canola ». Les appelants pratiquent la culture commerciale du canola en Saskatchewan. Ils n’ont jamais acheté de canola Roundup Ready ni obtenu une licence les autorisant à le cultiver. Des tests effectués sur leur récolte de canola de 1998 ont révélé que cette récolte était composée, dans une proportion de 95 à 98 pour 100, de canola Roundup Ready. Les intimées ont intenté contre les appelants une action pour contrefaçon de brevet. Le juge de première instance a décidé que le brevet était valide et a accueilli l’action, en concluant que les appelants savaient ou auraient dû savoir qu’ils conservaient et mettaient en terre des semences contenant le gène et la cellule brevetés, et que la récolte résultante qu’ils vendaient contenait également le gène et la cellule brevetés. La Cour d’appel fédérale a confirmé la validité de cette décision, sans toutefois se prononcer sur celle du brevet.

Arrêt (les juges Iacobucci, Bastarache, Arbour et LeBel sont dissidents en partie) : Le pourvoi est accueilli en partie.

La juge en chef McLachlin et les juges Major, Binnie, Deschamps et Fish : Le brevet est valide. La protection revendiquée par les intimées vise non pas la plante génétiquement modifiée elle-même, mais plutôt les gènes et les cellules modifiées qui la constituent. L’interprétation téléologique des revendications du brevet reconnaît que l’invention s’appliquera aux plantes régénérées à partir des cellules brevetées, indépendamment de la question de savoir si ces plantes se trouvent à l’intérieur ou à l’extérieur d’un laboratoire. La question de savoir si la protection par brevet du gène et de la cellule s’étend aux activités mettant en cause la plante n’est pas pertinente pour décider de la validité du brevet. Les appelants ne se sont pas acquittés du fardeau de prouver que le Commissaire aux brevets a commis une erreur en accueillant la demande de brevet.

Pour déterminer si les appelants ont enfreint l’art. 42 de la Loi sur les brevets en « exploitant » la cellule et le gène brevetés, il faut interpréter le verbe « exploiter », qui figure à cet article, en fonction de son sens ordinaire, de l’objet de l’art. 42, de son contexte et de la jurisprudence. Le sens ordinaire du verbe « exploiter » ou « use » connote une utilisation en vue d’une production ou dans le but de tirer un avantage. L’article 42 a pour objet de définir les droits exclusifs du titulaire d’un brevet. La question qu’il faut se poser pour déterminer si un défendeur a « exploité » une invention brevetée consiste à se demander si les activités du défendeur ont privé l’inventeur, en tout ou en partie, directement ou indirectement, de la pleine jouissance du monopole conféré par la loi. L’examen contextuel démontre que tout avantage commercial qui peut découler de l’invention appartient au titulaire du brevet. Selon la jurisprudence, il est possible de conclure à l’existence de contrefaçon même si l’objet ou le procédé breveté fait partie ou est une composante d’une structure ou d’un procédé non brevetés plus vastes, pourvu que l’invention brevetée soit importante pour les activités du défendeur qui mettent en cause la structure non brevetée. La possession d’un objet breveté ou d’un objet ayant une particularité brevetée peut constituer une « exploitation » de l’utilité latente de cet objet et constitue donc de la contrefaçon. La possession, du moins dans le cadre d’un commerce, donne naissance à une présomption d’« exploitation » réfutable. Bien qu’en général l’intention ne soit pas pertinente pour déterminer s’il y a eu « exploitation » et donc contrefaçon, l’absence d’intention d’utiliser l’invention ou d’en tirer un avantage peut être pertinente pour réfuter la présomption d’exploitation découlant de la possession.

En l’espèce, le fait que les appelants aient conservé et mis en terre des semences contenant les cellules et gènes brevetés et qu’ils aient récolté et vendu les plantes résultantes paraît logiquement constituer une « utilisation » de la matière brevetée en vue d’une production ou dans le but de tirer un avantage, au sens de l’art. 42. Les autres questions de principe pertinentes pour déterminer s’il y a eu « exploitation » au sens de l’art. 42 étayent également cette conclusion préliminaire. En cultivant sans licence une plante contenant le gène breveté et formée des cellules brevetées, les appelants ont privé les intimées de la pleine jouissance de leur monopole. L’utilisation, par les appelants, du canola dont il est question en l’espèce était aussi de nature commerciale.

Selon la jurisprudence, il y contrefaçon lorsque les activités commerciales d’un défendeur, qui mettent en cause une chose comportant un élément breveté, requièrent nécessairement l’exploitation de l’élément breveté. Pour qu’il y ait contrefaçon en l’espèce, il n’est pas nécessaire que le gène ou la cellule soient exploités isolément et il n’est pas nécessaire non plus que les appelants aient pulvérisé de l’herbicide Roundup sur leurs cultures. Premièrement, cet argument ne tient pas compte de l’utilité latente des propriétés des gènes et cellules brevetés. Deuxièmement, la preuve produite par les appelants n’est pas suffisante pour réfuter la présomption d’exploitation. Bien que la conduite qu’un défendeur a adoptée après avoir pris connaissance de la présence de l’invention brevetée puisse aider à réfuter la présomption d’exploitation découlant de la possession, cette présomption subsiste dans les circonstances de la présente affaire. Les appelants ont réellement cultivé du canola Roundup Ready dans le cadre de leurs activités commerciales. Compte tenu de tous les facteurs pertinents, les appelants ont exploité les gènes et cellules brevetés, et il y a donc contrefaçon.

La Loi sur les brevets prévoit deux différents types de réparation : les dommages‑intérêts et la remise des profits. En l’espèce, il n’y a pas lieu d’accorder des dommages-intérêts, étant donné que les intimées ont choisi de demander la remise des profits. L’inventeur a seulement droit à la remise de la portion des profits réalisés par le contrefacteur, qui a un lien de causalité avec l’invention. Il faut comparer le profit que l’invention a permis aux appelants de réaliser à celui que leur aurait permis de réaliser la meilleure solution non contrefaisante. Les appelants ont réalisé exactement les mêmes profits que s’ils avaient planté et récolté du canola ordinaire. Sur le plan agricole, les appelants n’ont également tiré aucun avantage de la résistance du canola à l’herbicide, vu l’absence de conclusion qu’ils ont pulvérisé de l’herbicide Roundup pour diminuer la présence des mauvaises herbes. Selon la preuve produite en l’espèce, les appelants n’ont tiré aucun profit de l’invention et les intimées n’ont droit à rien en ce qui concerne leur demande de remise.

Les juges Iacobucci, Bastarache, Arbour et LeBel (dissidents en partie) : Il s’agit essentiellement de savoir si l’arrêt de la Cour d’appel fédérale peut être maintenu eu égard à la décision de notre Cour selon laquelle les plantes, en tant que formes de vie supérieures, ne sont pas brevetables. Une interprétation téléologique qui limite les revendications des intimées à leurs « éléments essentiels » amène à conclure qu’il n’y a pas lieu de considérer que les revendications relatives au gène et à la cellule végétale confèrent des droits exclusifs sur la plante et toute sa descendance. Cette interprétation est équitable et prévisible étant donné qu’elle lie les intimées à leurs revendications; ces dernières ont expressément renoncé aux plantes. Les brevets doivent être interprétés du point de vue de la personne versée dans l’art, qui doit également être considérée comme connaissant le droit applicable. Une personne versée dans l’art ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce que la protection conférée par le brevet s’étende aux plantes non brevetables et à leur descendance. Correctement interprétées, les revendications des intimées relatives aux produits et aux procédés sont valides dans les deux cas, étant donné qu’aucune d’elles n’étend la protection par brevet à la plante elle‑même.

Au moment de déterminer s’il y a contrefaçon, il faut se demander si les appelants ont exploité l’invention de façon à porter atteinte aux droits exclusifs du titulaire du brevet, sans oublier que les revendications du brevet ne s’appliquent pas aux plantes. Pour établir le sens du verbe « exploiter » figurant à l’art. 42 de la Loi sur les brevets, il faut procéder à une interprétation téléologique du verbe « exploiter » et à une analyse contextuelle qui tient compte des autres termes de la disposition, et consulter la jurisprudence en la matière. Selon une interprétation téléologique, le sens du verbe « exploiter » est limité par l’objet de l’invention, et tout acte accompli dans un but prévu ou non prévu par l’inventeur peut constituer une exploitation contrefaisante. L’analyse contextuelle permet également de lier le verbe « exploiter » au substantif « invention ». Par conséquent, le critère applicable pour déterminer s’il y a eu « exploitation » consiste à se demander si le présumé exploiteur a privé le titulaire du brevet non pas des avantages commerciaux de son invention, mais plutôt de son monopole de l’exploitation de l’invention expliquée dans les revendications. En l’espèce, la question est de savoir si les appelants ont exploité les gènes et les cellules génétiquement modifiés des intimées, tels qu’ils existaient en laboratoire avant leur différenciation et leur multiplication — ou le procédé de modification génétique. Une bonne partie de la jurisprudence relative au verbe « exploiter » ainsi que diverses analogies sont inutiles pour déterminer le sens du verbe « exploiter » dans le présent contexte, en raison des propriétés uniques des matières biologiques et, plus particulièrement, des formes de vie supérieures qui peuvent se reproduire et se propager. Il n’y a pas lieu d’incorporer un élément de connaissance dans la définition du verbe « exploiter », étant donné qu’il est bien établi, en droit canadien des brevets, que l’intention n’est pas pertinente en matière de contrefaçon. Si les actes d’une personne portent atteinte aux droits exclusifs conférés par le brevet, il y a contrefaçon bien que la présomption d’exploitation soit réfutable dans des circonstances très rares.

En définitive, les tribunaux inférieurs ont commis une erreur en considérant non seulement que les revendications s’appliquent aux plantes et aux semences, mais encore que le verbe « exploiter » signifie également exploiter l’objet auquel le titulaire du brevet a renoncé, à savoir la plante. En tant qu’exploiteurs, les appelants pouvaient raisonnablement s’attendre à ce que les objets non brevetables que sont les plantes ne bénéficient pas de la protection conférée par le brevet. Par conséquent, la culture des plantes contenant le gène et la cellule brevetés ne constitue pas de la contrefaçon. Les plantes contenant le gène breveté ne peuvent avoir aucune valeur latente. Toute conclusion contraire aurait pour effet de rendre applicable à la plante la protection conférée par le brevet. Puisqu’il n’y a aucune revendication relative à une plante « résistant au glyphosate » et à toute sa descendance, le fait de conserver, de mettre en terre ou de vendre des semences provenant de plantes résistant au glyphosate ne constitue pas une exploitation contrefaisante. Comme cela a été fait en l’espèce, les intimées peuvent toujours accorder des licences autorisant la vente des semences qu’elles produisent à partir de leur invention brevetée et imposer au titulaire de la licence des obligations contractuelles, telle l’interdiction de conserver des semences.

La conclusion sur la portée des revendications du brevet des intimées, qui est déterminante en ce qui concerne, à la fois, la question de la validité et celle de l’exploitation contrefaisante, est conforme à l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce.


Parties
Demandeurs : Monsanto Canada Inc.
Défendeurs : Schmeiser

Références :

Jurisprudence
Citée par la juge en chef McLachlin et le juge Fish
Arrêts appliqués : Betts c. Neilson (1868), L.R. 3 Ch. App. 429, conf. par (1871), L.R. 5 H.L. 1
Dunlop Pneumatic Tyre Co. c. British and Colonial Motor Car Co. (1901), 18 R.P.C. 313
British United Shoe Machinery Co. c. Simon Collier Ld. (1910), 27 R.P.C. 567
Adair c. Young (1879), 12 Ch. D. 13
distinction d’avec l’arrêt : Kirin Amgen Inc. c. Hoechst Marion Roussel Ltd., [2002] E.W.J. No. 3792 (QL), [2002] EWCA Civ. 1096
arrêts mentionnés : Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, 2000 CSC 67
Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504
Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), [2002] 4 R.C.S. 45, 2002 CSC 76
Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153, 2002 CSC 77
Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, 2000 CSC 66
Lishman c. Erom Roche Inc., [1996] A.C.F. no 560 (QL)
Saccharin Corp. c. Anglo‑Continental Chemical Works, Ld. (1900), 17 R.P.C. 307
Stead c. Anderson (1847), 4 C.B. 806, 136 E.R. 724
Hoechst Celanese Corp. c. BP Chemicals Ltd. (1998), 25 F.S.R. 586
Illinois Tool Works Inc. c. Cobra Fixations Cie, [2002] A.C.F. no 1104 (QL), 2002 CFPI 829
Computalog Ltd. c. Comtech Logging Ltd. (1992), 44 C.P.R. (3d) 77
Pfizer Corp. c. Ministry of Health, [1965] A.C. 512
Re Application of Abitibi Co. (1982), 62 C.P.R. (2d) 81
Lubrizol Corp. c. Compagnie Pétrolière Impériale Ltée, [1997] 2 C.F. 3
Celanese International Corp. c. BP Chemicals Ltd., [1999] R.P.C. 203
Canson Enterprises Ltd. c. Boughton & Co., [1991] 3 R.C.S. 534
Cadbury Schweppes Inc. c. Aliments FBI Ltée, [1999] 1 R.C.S. 142
Collette c. Lasnier (1886), 13 R.C.S. 563
Colonial Fastener Co. c. Lightning Fastener Co., [1937] R.C.S. 36.
Citée par la juge Arbour (dissidente en partie)
Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), [2002] 4 R.C.S. 45, 2002 CSC 76
Gillette Safety Razor Co. c. Anglo‑American Trading Co. (1913), 30 R.P.C. 465
Re Application of Abitibi Co. (1982), 62 C.P.R. (2d) 81
Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, 2000 CSC 67
Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504
Pioneer Hi-Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 R.C.S. 1623
Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, 2000 CSC 66
Western Electric Co. c. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570
Needham c. Johnson and Co. (1884), 1 R.P.C. 49
Amfac Foods Inc. c. Irving Pulp & Paper Ltd., [1984] A.C.F. no 105 (QL)
B.V.D. Co. c. Canadian Celanese Ltd., [1936] R.C.S. 221
Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd., [1992] A.C.F. no 1110 (QL)
Kirin Amgen Inc. c. Hoechst Marion Roussel Ltd., [2002] E.W.J. No. 3792 (QL), [2002] EWCA Civ. 1096
Commissioner of Patents c. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49
Shell Oil Co. c. Commissaire des brevets, [1982] 2 R.C.S. 536
Schlumberger Canada Ltd. c. Commissaire des brevets, [1982] 1 C.F. 845
Tennessee Eastman Co. c. Commissaire des brevets, [1974] R.C.S. 111
State Street Bank & Trust Co. c. Signature Financial Group, Inc., 149 F.3d 1368 (1998)
Re Application of Boussac, OPIC, décision du Commissaire no 143, 10 mars 1973
Re Application of Ijzerman, OPIC, décision du Commissaire no 254, 4 juillet 1975
Gale’s Application, [1991] R.P.C. 305
Application No. 995 for a Townhouse Building Design (Re) (1979), 53 C.P.R. (2d) 211
F. Hoffmann-Laroche & Co. c. Commissioner of Patents, [1955] R.C.S. 414
Adair c. Young (1879), 12 Ch. D. 13
The King c. American Optical Co. (1950), 11 Fox Pat. C. 62
Libbey‑Owens-Ford Glass Co. c. Ford Motor Co. of Canada (1969), 1 R.C. de l’É. 529, conf. par [1970] R.C.S. 833
Merck & Co. c. Apotex Inc., [1994] A.C.F. no 1898 (QL), inf. par [1995] 2 C.F. 723
Saccharin Corp. c. Anglo‑Continental Chemical Works, Ld. (1900), 17 R.P.C. 307
Wellcome Foundation Ltd. c. Apotex Inc. (1991), 39 C.P.R. (3d) 289
American Cyanamid Co. c. Charles E. Frosst & Co. (1965), 29 Fox Pat. C. 153
British United Shoe Machinery Co. c. Gimson Shoe Machinery Co. (1928), 45 R.P.C. 290
Computalog Ltd. c. Comtech Logging Ltd. (1992), 44 C.P.R. (3d) 77
Illinois Tool Works Inc. c. Cobra Fixations Cie, [2002] A.C.F. no 1104 (QL), 2002 CFPI 829
Merrell Dow Pharmaceuticals Inc. c. H.N. Norton & Co., [1996] R.P.C. 76
Pfizer Corp. c. Ministry of Health, [1965] A.C. 512
British United Shoe Machinery Co. c. Simon Collier Ld. (1910), 27 R.P.C. 567.
Lois et règlements cités
Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, 1869 R.T.N.U. 332 (annexe 1C de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce, 1867 R.T.N.U. 3), art. 27(1), (3).
Directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, [1998] J.O. L. 213/13.
Loi sur la protection des obtentions végétales, L.C. 1990, ch. 20.
Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, art. 2, 27(8) [abr. & rempl. 1993, ch. 15, art. 31], 42 [abr. & rempl. ch. 33 (3e suppl.), art. 16], 56(1) [auparavant art. 58
abr. & rempl. ch. 33 (3e suppl.), art. 22
abr. & rempl. 1993, ch. 44, art. 194, 199].
Doctrine citée
Canada. Bureau des brevets. Recueil des pratiques du Bureau des brevets. Ottawa‑Hull : Industrie Canada, Office de la propriété intellectuelle du Canada, 1998.
Comité consultatif canadien de la biotechnologie. Brevetabilité des formes de vie supérieures et enjeux connexes : Rapport adressé au Comité de coordination ministériel de la biotechnologie du Gouvernement du Canada. Ottawa : Le Comité, juin 2002.
Concise Oxford Dictionary of Current English, 9th ed. Oxford : Clarendon Press, 1995, « use ».
Fox, Harold G. The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4th ed. Toronto : Carswell, 1969.
Gold, E. Richard, and Wendy A. Adams. « The Monsanto decision : The edge or the wedge » (2001), 19 Nat. Biotechnol. 587.
Hughes, Roger T., et al. Hughes and Woodley on Patents. Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 1984.
Nouveau Petit Robert, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris : Dictionnaires Le Robert, 2003, « exploiter ».
Siebrasse, Norman. « A Remedial Benefit-Based Approach to the Innocent-User Problem in the Patenting of Higher Life Forms » (2004), 20 C.I.P.R. 79.
Thorley, Simon, et al. Terrell on the Law of Patents, 15th ed. London : Sweet & Maxwell, 2000.
Vaver, David. Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade-marks. Concord, Ont. : Irwin Law, 1997.

Proposition de citation de la décision: Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34 (21 mai 2004)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2004-05-21;2004.csc.34 ?
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