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19/02/2004 | CANADA | N°2004_CSC_9

Canada | Hamilton c. Open Window Bakery Ltd., 2004 CSC 9 (19 février 2004)


Hamilton c. Open Window Bakery Ltd., [2004] 1 R.C.S. 303, 2004 CSC 9

Jane Hamilton Appelante

c.

Open Window Bakery Limited Intimée

Répertorié : Hamilton c. Open Window Bakery Ltd.

Référence neutre : 2004 CSC 9.

No du greffe : 29225.

Audition et jugement: 13 novembre 2003.

Motifs déposés : 19 février 2004.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel et Deschamps.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Onta

rio (2002), 58 O.R. (3d) 767, 211 D.L.R. (4th) 443, 157 O.A.C. 222, [2002] O.J. No. 1228 (QL), infirmant un jugement de la Cour sup...

Hamilton c. Open Window Bakery Ltd., [2004] 1 R.C.S. 303, 2004 CSC 9

Jane Hamilton Appelante

c.

Open Window Bakery Limited Intimée

Répertorié : Hamilton c. Open Window Bakery Ltd.

Référence neutre : 2004 CSC 9.

No du greffe : 29225.

Audition et jugement: 13 novembre 2003.

Motifs déposés : 19 février 2004.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel et Deschamps.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (2002), 58 O.R. (3d) 767, 211 D.L.R. (4th) 443, 157 O.A.C. 222, [2002] O.J. No. 1228 (QL), infirmant un jugement de la Cour supérieure de justice, [2000] O.J. No. 5004 (QL). Pourvoi rejeté relativement aux dommages-intérêts. Pourvoi accueilli relativement aux dépens.

Susan J. Heakes et Tiffany Little, pour l’appelante.

Paul Gemmink, pour l’intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

La juge Arbour —

I. Aperçu des faits

1 Il nous faut, en l’espèce, déterminer la méthode appropriée de calcul des dommages‑intérêts pour inexécution d’un contrat prévoyant différents modes d’exécution.

2 L’appelante, Jane Hamilton, a conclu un contrat d’une durée de 36 mois avec Open Window Bakery Limited (« OWB »). Ce contrat stipulait que Mme Hamilton serait l’agente exclusive de commercialisation au Japon des produits de boulangerie d’OWB.

3 Le contrat prévoyait la possibilité pour OWB de le résilier de plusieurs façons, dont deux sont pertinentes en l’espèce. Premièrement, OWB pourrait résilier le contrat [traduction] « sans donner de préavis ni prendre aucune autre mesure si [. . .] l’agent agi[ssait] d’une manière dommageable pour la réputation et la prospérité » d’OWB. Deuxièmement, le contrat accordait à OWB un droit absolu de résiliation [traduction] « en donnant à l’agent un préavis de trois (3) mois, à compter du 19e mois de la durée prévue du contrat ».

4 Environ 16 mois plus tard, OWB a résilié le contrat. Dans la lettre de résiliation adressée à Mme Hamilton le 19 mai 1998, OWB prétendait avoir deux raisons de résilier le contrat. Elle a d’abord allégué que Mme Hamilton avait adopté un comportement [traduction] « dommageable pour la réputation et la prospérité » d’OWB, lequel comportement avait consisté à falsifier délibérément les listes d’ingrédients en omettant d’y inscrire le sucre contenu dans les bagels expédiés au Japon (la teneur en sucre était un élément important dans le calcul des droits d’importation appliqués par le Japon). Elle a ensuite allégué que Mme Hamilton avait contrevenu à la clause de confidentialité du contrat en divulguant les prix et d’autres renseignements confidentiels à un employé de l’une des plus grandes chaînes de magasins d’alimentation du Japon (qui travaillait également pour l’Organisation japonaise du commerce extérieur). La lettre précisait que la résiliation du contrat était [traduction] « immédiate ».

5 OWB a prétendu, dans sa lettre, qu’elle avait droit au remboursement de toutes les avances consenties pour des commissions non encore gagnées, ajoutant qu’elle n’était plus tenue de verser des commissions à Mme Hamilton ni de lui rembourser ses dépenses. La lettre expliquait qu’OWB n’exigerait pas le remboursement des avances sur commission déjà versées si Mme Hamilton ne contestait pas la résiliation en justice.

6 OWB a envoyé une autre lettre de résiliation datée, cette fois, du 5 août 1998. OWB voulait ainsi faire part de sa volonté de recourir à la clause contractuelle autorisant la résiliation anticipée avec préavis, si jamais Mme Hamilton contestait avec succès la première résiliation.

7 Madame Hamilton a subséquemment intenté, contre OWB et sa directrice générale Gail Agasi, une action devant la Cour supérieure de l’Ontario. OWB a déposé une demande reconventionnelle contre Mme Hamilton. À l’ouverture du procès, l’action intentée contre Mme Agasi et la demande reconventionnelle ont été rejetées avec le consentement des parties. L’affaire a été instruite comme une action intentée contre OWB en vue d’obtenir des dommages‑intérêts généraux pour inexécution de contrat. Le juge Wilkins a conclu, en première instance, à la résiliation fautive du contrat par OWB et a accordé des dommages‑intérêts correspondant aux versements qui auraient été effectués pendant toute la durée de 36 mois du contrat, moins 25 pour 100 : [2000] O.J. No. 5004 (QL). La déduction de 25 pour 100 reflétait la possibilité qu’OWB aurait éventuellement eue d’exercer d’une manière valide son droit de résilier le contrat en donnant un préavis.

8 En plus des dommages‑intérêts accordés, le juge Wilkins a ordonné à OWB de payer les dépens de Mme Hamilton sur la base partie‑partie jusqu’au 30 octobre 2000, et sur la base avocat‑client après cette date. Le juge Wilkins a précisé qu’il convenait, pour plusieurs raisons, d’accorder des dépens avocat-client. La défense d’OWB reposait sur l’allégation [traduction] « très grave » et « limitée » que Mme Hamilton s’était comportée malhonnêtement. OWB n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Hamilton avait réellement été malhonnête. OWB a persisté à alléguer la malhonnêteté même après le 30 octobre 2000, c’est‑à‑dire au moment où la production de documents et les interrogatoires préalables au procès étaient terminés. Le juge Wilkins a conclu qu’à cette date OWB avait accès à des renseignements suffisants pour pouvoir conclure que Mme Hamilton ne s’était pas comportée de manière malhonnête ou frauduleuse. OWB a interjeté appel.

9 La juge Simmons a statué, au nom des juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Ontario (2002), 58 O.R. (3d) 767 (le juge Goudge étant dissident), que la clause autorisant la résiliation anticipée du contrat, moyennant un préavis de trois mois, constituait l’avantage minimum garanti par le contrat. C’est pourquoi, selon la cour, cette clause représentait en même temps le risque maximal auquel OWB était exposée au chapitre des dommages‑intérêts. La cour a donc réduit en conséquence le montant de dommages‑intérêts accordé. La juge Simmons a également modifié l’ordonnance que le juge Wilkins avait rendue en matière de dépens, en ramenant à des dépens partie‑partie les dépens avocat‑client accordés pour la période postérieure au 30 octobre 2000.

10 Madame Hamilton a interjeté appel devant la Cour tant sur la question des dommages‑intérêts que sur celle des dépens. À l’audience, la Cour a rejeté le pourvoi relativement aux dommages‑intérêts, mais l’a accueilli relativement aux dépens.

II. Analyse

A. Dommages‑intérêts

11 Un principe général régit l’attribution de dommages‑intérêts dans les cas où le défendeur, qui a procédé à la résiliation fautive d’un contrat, disposait de différents modes d’exécution du contrat. Ce principe remonte à aussi loin que l’affaire Cockburn c. Alexander (1848), 6 C.B. 791. Dans cette affaire, le juge Maule a formulé ainsi ce principe général (p. 814) :

[traduction] En général, lorsqu’il existe plusieurs modes d’exécution d’un contrat, le mode choisi doit être celui qui est le moins avantageux pour le demandeur et le moins onéreux pour le défendeur.

Adopté dans la jurisprudence canadienne (voir Park c. Parsons Brown & Co. (1989), 39 B.C.L.R. (2d) 107 (C.A.), Aldo Ippolito & Co. c. Canada Packers Inc. (1986), 57 O.R. (2d) 65 (C.A.), et, d’une manière plus générale, S. M. Waddams, The Law of Damages (éd. feuilles mobiles), p. 13‑19 à 13‑21), ce principe général a également été confirmé au Royaume‑Uni (voir Lavarack c. Woods of Colchester Ltd., [1967] 1 Q.B. 278 (C.A.), et The « World Navigator », [1991] 2 Lloyd’s Rep. 23 (C.A.)).

12 Cette approche est aussi celle qui s’applique généralement aux États‑Unis (voir, par exemple, Restatement (Second) of Contracts § 344 (1981); Williston on Contracts (3e éd. 1968) § 1407; Western Oil & Fuel Co. c. Kemp, 245 F.2d 633 (8th Cir. 1957), p. 640; Stewart c. Cran‑Vela Rental Co., 510 F.2d 982 (5th Cir. 1975), p. 986; 22 Am. Jur. 2d Damages § 126 (1988)).

13 Le lord juge Scrutton explique le principe général dans l’arrêt Withers c. General Theatre Corp., [1933] 2 K.B. 536 (C.A.), p. 548-549 :

[traduction] Maintenant, lorsque le défendeur dispose de plusieurs modes d’exécution d’un contrat, une règle bien établie régit la façon de calculer les dommages‑intérêts pour inexécution du contrat. [. . .] Voici un exemple couramment utilisé pour expliquer la façon dont cette règle fonctionne : A s’engage à vendre à B entre 800 et 1 200 tonnes d’une certaine denrée; A ne fournit aucune denrée à B. Comment les dommages‑intérêts seront-ils calculés? Voici comment : A s’acquitterait de ses obligations contractuelles s’il fournissait 800 tonnes. Les dommages‑intérêts doivent donc être calculés en fonction de l’omission de fournir 800 tonnes et non de celle de fournir 1 200 tonnes ou encore les 1 000 tonnes représentant la quantité moyenne. Leur calcul ne doit pas reposer non plus sur le fait que, peu importe les termes du contrat, on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que A fournisse plus de 800 tonnes. Ce calcul est fondé [. . .] sur la supposition que le défendeur exécutera le contrat de la manière la plus avantageuse, non pas pour le demandeur, mais pour lui.

Si l’on y substitue l’écoulement du temps à la quantité des marchandises, l’énoncé du lord juge Scrutton s’applique alors directement à la présente affaire. En fait, la question de l’application de ce principe général à l’inexécution d’un contrat à durée variable est abordée, aux p. 549‑550, immédiatement après l’exemple susmentionné du lord juge Scrutton :

[traduction] [Prenons le cas] du bail de sept, quatorze ou vingt-et-un ans qui, au bout de cinq ans, fait l’objet d’une résiliation fautive par le propriétaire. Comment les dommages‑intérêts seront‑ils calculés? La réponse : leur calcul tiendra compte du fait que le propriétaire avait la possibilité de résilier le bail au bout de sept ans. Par conséquent, on tiendra pour acquis qu’il ne restait que deux ans avant la fin du bail, et le demandeur n’aura droit d’être indemnisé que dans cette mesure.

Ce passage vise directement l’affaire qui nous occupe et est déterminant.

14 Même si ce principe général est largement accepté, l’appelante préconise, en l’espèce, une autre approche — celle adoptée au procès par le juge Wilkins. Cette approche consiste à se demander comment, en théorie, la défenderesse aurait vraisemblablement exécuté ses obligations contractuelles si elle n’avait pas résilié le contrat. Pour l’appelante, il s’agit là du critère applicable pour déterminer quelle aurait été la situation du demandeur si le contrat n’avait pas été résilié.

15 L’analyse proposée par Mme Hamilton — qui s’apparente à celle effectuée en matière de responsabilité délictuelle — n’est pas une pratique bien implantée en droit canadien, et ce, pour plusieurs raisons sérieuses. Les obligations contractuelles sont des obligations que les parties assument de plein gré et auxquelles les tribunaux donnent effet. Le manquement — en droit des contrats — à une obligation contractuelle positive découlant de l’engagement des parties est un concept différent du manquement — en matière de responsabilité délictuelle — à l’obligation, négative cette fois et ne découlant pas d’un engagement, de ne causer aucun préjudice à autrui : voir G. H. L. Fridman, The Law of Torts in Canada (2e éd. 2002), p. 11.

16 Lorsqu’une demande de dommages‑intérêts fondée sur la responsabilité délictuelle est accueillie, le demandeur obtient des dommages‑intérêts non déterminés pour la perte qu’il a subie à cause de l’intervention fautive du défendeur. En pareil cas, le demandeur possède des droits protégés par la loi qui, selon le tribunal, ont été indûment compromis. En matière de responsabilité délictuelle, on reconnaît généralement qu’il convient de se demander quelle aurait été la situation si le délit n’avait pas été commis, puisque ce à quoi le demandeur a droit, c’est d’être placé dans la situation dans laquelle il se serait trouvé n’eût été ce délit — ou du moins d’être indemnisé à cet égard. Voir Fridman, op. cit., p. 2; A. M. Linden, La responsabilité civile délictuelle (6e éd. 2001), p. 4, (« [l]e droit de la responsabilité délictuelle joue, d’abord et avant tout, un rôle réparateur »); J. G. Fleming, The Law of Torts (9e éd. 1998), p. 5; R. F. V. Heuston et R. A. Buckley, Salmond and Heuston on the Law of Torts (21e éd. 1996), p. 8-9.

17 Toutefois, selon le principe général susmentionné qui s’applique à l’inexécution des contrats prévoyant différents modes d’exécution, il n’est pas nécessaire de placer la partie innocente dans la situation où elle se serait vraisemblablement trouvée n’eût été la résiliation. Il s’agit plutôt de la placer dans la situation où elle se serait trouvée si le contrat avait été exécuté.

18 En l’espèce, les obligations contractuelles pertinentes des parties sont expressément énoncées dans le contrat qu’elles ont signé. Madame Hamilton a droit à l’exécution des obligations que OWB a assumées de plein gré. Elle ne possède aucun droit donnant ouverture à indemnisation en ce qui concerne les avantages qu’elle aurait pu s’attendre à tirer d’un mode particulier d’exécution du contrat, étant donné que le contrat lui‑même donnait à la défenderesse le choix de différents modes d’exécution. Si elle avait voulu s’assurer d’obtenir les avantages liés à un mode d’exécution particulier, Mme Hamilton aurait dû convenir de ce seul mode d’exécution dans le contrat qu’elle a signé.

19 En l’espèce, le juge de première instance a commis une erreur en procédant à une analyse semblable à celle effectuée en matière de responsabilité délictuelle, c’est‑à‑dire en se demandant quelle aurait été la situation si OWB n’avait pas manqué à ses obligations contractuelles envers Mme Hamilton, et en concluant qu’OWB n’aurait pas résilié le contrat à la première occasion.

20 Pour calculer les dommages‑intérêts, il était seulement nécessaire de déterminer l’exécution minimale à laquelle la demanderesse avait droit en vertu du contrat, c’est‑à‑dire celle qui était la moins onéreuse pour la défenderesse. La demanderesse a convenu, au départ, qu’elle n’aurait pas droit à plus en signant un contrat dont la défenderesse pourrait, à son entière discrétion, écourter la durée en donnant un préavis en ce sens.

21 Cela ne signifie pas que le principe général ne commande jamais un examen des faits. Il se peut qu’au départ le mode d’exécution le plus avantageux ou le moins onéreux pour le défendeur ne ressorte pas toujours clairement du contrat. Il se peut que le tribunal doive procéder à un examen de la preuve pour établir le coût estimatif des différents modes d’exécution. Dans certains cas, ce ne sera qu’après avoir effectué cet examen des faits que le tribunal pourra conclure, sans craindre de se tromper, qu’un certain mode d’exécution aurait été le moins onéreux pour le défendeur. La possibilité qu’un tel examen des faits soit nécessaire dans certains cas ne mine pas le principe général.

22 Les faits de la présente affaire ne commandent pas ce genre d’examen. Seule se pose en l’espèce la question de la durée du contrat qui, sous réserve du préavis de trois mois requis à l’expiration du 18e mois, est laissée à l’entière discrétion de la défenderesse.

23 La méthode analytique que la juge Simmons de la Cour d’appel a adoptée, en l’espèce, pour calculer le montant approprié des dommages‑intérêts est conforme au principe général de longue date et généralement accepté, est valable sur le plan de la politique générale et mène à des résultats prévisibles et justifiables. Pour les motifs qui précèdent, le pourvoi est rejeté en ce qui concerne les dommages‑intérêts.

B. Les dépens

24 En écartant l’attribution de dépens ordonnée en première instance par le juge Wilkins, la juge Simmons s’est exprimée ainsi au nom des juges majoritaires de la Cour d’appel (par. 57) :

[traduction] Le juge de première instance a décidé que l’appelante n’avait pas satisfait à la norme de preuve élevée qui s’applique aux allégations de fraude et de malhonnêteté. Il n’a pas conclu que les allégations étaient non fondées. Dans ces circonstances et compte tenu de ma décision relative au principal moyen d’appel, je suis d’avis d’annuler l’ordonnance d’attribution de dépens avocat‑client et d’y substituer des dépens sur la base d’une indemnisation partielle.

25 En l’espèce, le juge Wilkins a évalué la solidité des allégations de malhonnêteté et de fraude en observant notamment le comportement de tous les témoins. Il a conclu que, même si les allégations pouvaient avoir une certaine vraisemblance dans les circonstances, OWB n’avait soulevé que la question limitée de la malhonnêteté et avait maintenu indûment ces allégations.

26 Dans l’arrêt Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, p. 134, la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) a statué, au nom des juges majoritaires de la Cour, que les dépens avocat‑client « ne sont généralement accordés que s’il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d’une des parties ». La tentative infructueuse d’établir, selon la prépondérance des probabilités, l’existence de fraude ou de malhonnêteté n’amène pas forcément à conclure que la partie déboutée doit être tenue de verser des dépens avocat‑client, étant donné que les tentatives de ce genre ne seront pas toutes considérées, à juste titre, comme une « conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante ». Toutefois, les allégations de fraude et de malhonnêteté sont graves et peuvent être fort dommageables pour ceux et celles qui sont accusés de supercherie. Lorsque, comme en l’espèce, une partie formule en vain de telles allégations au procès et qu’elle a accès à des renseignements qui lui permettent de conclure que l’autre partie a simplement fait montre de négligence et n’est coupable ni de malhonnêteté ni de fraude (comme l’a conclu le juge Wilkins), il convient d’accorder des dépens avocat‑client : voir, d’une manière générale, M. M. Orkin, The Law of Costs (2e éd. (feuilles mobiles)), par. 219.

27 L’attribution de dépens ne doit être annulée en appel que si le juge de première instance a commis une erreur de principe ou si cette attribution est nettement erronée (Duong c. NN Life Insurance Co. of Canada (2001), 141 O.A.C. 307, par. 14). Je ne constate aucune erreur de principe de ce genre dans l’ordonnance du juge Wilkins et je suis incapable de conclure que l’attribution est nettement erronée. Vu la situation privilégiée dans laquelle le juge de première instance se trouve pour apprécier directement la crédibilité des témoins, et compte tenu de la nature éminemment factuelle de l’analyse requise en l’espèce, l’ordonnance du juge Wilkins relative aux dépens doit être rétablie.

III. Conclusion

28 Pour les motifs qui précèdent, le pourvoi a été rejeté à l’audience relativement aux dommages‑intérêts et accueilli uniquement en ce qui concerne la question des dépens. L’attribution de dépens avocat-client par le juge de première instance est rétablie. Chaque partie assumera ses propres dépens devant la Cour d’appel de l’Ontario et devant nous.

Pourvoi rejeté relativement aux dommages-intérêts. Pourvoi accueilli relativement aux dépens.

Procureurs de l’appelante : Heenan Blaikie, Toronto.

Procureurs de l’intimée : Gemmink & Associate, Toronto.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté relativement aux dommages‑intérêts et accueilli uniquement en ce qui concerne la question des dépens

Analyses

Contrats - Résiliation - Dommages‑intérêts - Méthode de calcul des dommages‑intérêts pour inexécution d’un contrat prévoyant différents modes d’exécution.

Dépens - Base de calcul - Cour d’appel modifiant la base de calcul - Éléments requis pour qu’une cour d’appel annule ou modifie une attribution de dépens.

Les parties avaient conclu un contrat d’une durée de 36 mois qui prévoyait que l’intimée pourrait le résilier : (1) « sans donner de préavis ni prendre aucune autre mesure si [. . .] [l’appelante] agi[ssait] d’une manière dommageable pour la réputation et la prospérité » de l’intimée, ou (2) grâce à un droit absolu de résiliation exercé en donnant un préavis de trois mois « à compter du 19e mois de la durée prévue du contrat ». L’intimée a résilié le contrat conformément à la première clause et, par la suite, conformément à la deuxième clause. Le juge de première instance a conclu à la résiliation fautive du contrat par l’intimée et a accordé des dommages‑intérêts correspondant aux versements qui auraient été effectués pendant toute la durée de 36 mois du contrat, moins 25 pour 100 afin de refléter la possibilité que l’intimée aurait éventuellement eue d’exercer d’une manière valide son droit de résilier le contrat en donnant un préavis. Il a ordonné à l’intimée de payer les dépens de l’appelante sur la base partie‑partie jusqu’à une certaine date, et sur la base avocat‑client après cette date. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont statué que la clause autorisant la résiliation anticipée du contrat, moyennant un préavis de trois mois, constituait à la fois l’avantage minimum garanti par le contrat et le risque maximal auquel l’intimée était exposée au chapitre des dommages‑intérêts. La cour a donc réduit en conséquence le montant de dommages‑intérêts accordé et a modifié l’ordonnance relative aux dépens, en ramenant à des dépens partie‑partie les dépens avocat‑client.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté relativement aux dommages‑intérêts et accueilli uniquement en ce qui concerne la question des dépens.

Lorsqu’il existe plusieurs modes d’exécution d’un contrat, le mode choisi doit être celui qui est le moins avantageux pour le demandeur et le moins onéreux pour le défendeur. Le critère applicable ne consiste pas à se demander comment la défenderesse aurait vraisemblablement exécuté ses obligations contractuelles si elle n’avait pas résilié le contrat. Il est nécessaire non pas de placer la partie innocente dans la situation où elle se serait vraisemblablement trouvée n’eût été la résiliation, mais plutôt de la placer dans la situation où elle se serait trouvée si le contrat avait été exécuté. En l’espèce, il n’était pas nécessaire de procéder à l’examen des faits qui peut être requis pour établir le coût estimatif des différents modes d’exécution.

L’attribution de dépens ne doit être annulée en appel que si le juge de première instance a commis une erreur de principe ou si cette attribution est nettement erronée. L’ordonnance du juge de première instance relative aux dépens est rétablie étant donné que ni l’une ni l’autre condition n’est remplie en l’espèce.


Parties
Demandeurs : Hamilton
Défendeurs : Open Window Bakery Ltd.

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés : Cockburn c. Alexander (1848), 6 C.B. 791
Park c. Parsons Brown & Co. (1989), 39 B.C.L.R. (2d) 107
Aldo Ippolito & Co. c. Canada Packers Inc. (1986), 57 O.R. (2d) 65
Lavarack c. Woods of Colchester Ltd., [1967] 1 Q.B. 278
The « World Navigator », [1991] 2 Lloyd’s Rep. 23
Western Oil & Fuel Co. c. Kemp, 245 F.2d 633 (1957)
Stewart c. Cran‑Vela Rental Co., 510 F.2d 982 (1975)
Withers c. General Theatre Corp., [1933] 2 K.B. 536
Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3
Duong c. NN Life Insurance Co. of Canada (2001), 141 O.A.C. 307.
Doctrine citée
American Jurisprudence, vol. 22, 2nd ed. Rochester, N.Y. : Lawyers Co‑operative Publishing Co., 1988.
American Law Institute. Restatement (Second) of Contracts, vol. 3. St. Paul, Minn. : American Law Institute Publishers, 1981.
Fleming, John G. The Law of Torts, 9th ed. Sydney : LBC Information Services, 1998.
Fridman, Gerald Henry Louis. The Law of Torts in Canada, 2nd ed. Toronto : Carswell, 2002.
Heuston, R. F. V., and R. A. Buckley. Salmond and Heuston on the Law of Torts, 21st ed. London : Sweet & Maxwell, 1996.
Linden, Allen M. La responsabilité civile délictuelle, 6e éd. Markham, Ont. : Butterworths, 2001.
Orkin, Mark M. The Law of Costs, 2nd ed. Aurora, Ont. : Canada Law Book, 1987 (loose‑leaf updated December 2003).
Waddams, S. M. The Law of Damages, loose‑leaf ed. Toronto : Canada Law Book, 2003.
Williston, Samuel. A Treatise on the Law of Contracts, vol. 11, 3rd ed. by Walter H. E. Jaeger. Mount Kisco, N.Y. : Baker, Voorhis, 1968.

Proposition de citation de la décision: Hamilton c. Open Window Bakery Ltd., 2004 CSC 9 (19 février 2004)


Origine de la décision
Date de la décision : 19/02/2004
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2004 CSC 9 ?
Numéro d'affaire : 29225
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2004-02-19;2004.csc.9 ?
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