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21/12/2005 | CANADA | N°2005_CSC_81

Canada | R. c. Kouri, 2005 CSC 81 (21 décembre 2005)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Kouri, [2005] 3 R.C.S. 789, 2005 CSC 81

Date : 20051221

Dossier : 30588

Entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante

et

James Kouri

Intimé

Traduction française officielle : Motifs de la juge en chef McLachlin

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron

Motifs de jugement :

(par. 1 à 25)

Motifs dissidents :

(par. 26 à 50)

La juge en chef McLachlin (avec l’accord des juge

s Major, Binnie, Deschamps, Fish, Abella et Charron)

Les juges Bastarache et LeBel

______________________________

R. c. Kouri, [2005] 3 R.C.S. 789, 20...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Kouri, [2005] 3 R.C.S. 789, 2005 CSC 81

Date : 20051221

Dossier : 30588

Entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante

et

James Kouri

Intimé

Traduction française officielle : Motifs de la juge en chef McLachlin

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron

Motifs de jugement :

(par. 1 à 25)

Motifs dissidents :

(par. 26 à 50)

La juge en chef McLachlin (avec l’accord des juges Major, Binnie, Deschamps, Fish, Abella et Charron)

Les juges Bastarache et LeBel

______________________________

R. c. Kouri, [2005] 3 R.C.S. 789, 2005 CSC 81

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

James Kouri Intimé

Répertorié : R. c. Kouri

Référence neutre : 2005 CSC 81.

No du greffe : 30588.

2005 : 18 avril; 2005 : 21 décembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron.

en appel de la cour d’appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Proulx, Otis et Rochon), [2004] R.J.Q. 2061, 191 C.C.C. (3d) 42, [2004] J.Q. no 7724 (QL), qui a annulé la déclaration de culpabilité de l’accusé pour avoir tenu une maison de débauche. Pourvoi rejeté, les juges Bastarache et LeBel sont dissidents.

Germain Tremblay, pour l’appelante.

Lucie Joncas et Christian Desrosiers, pour l’intimé.

Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Major, Binnie, Deschamps, Fish, Abella et Charron rendu par

La Juge en chef —

1. Introduction

1 Le ministère public se pourvoit contre la décision de la Cour d’appel du Québec d’infirmer la déclaration de culpabilité de M. Kouri pour avoir tenu une « maison de débauche » pour la « pratique d’actes d’indécence », en contravention du par. 210(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46. Le pourvoi a été entendu en même temps que l’affaire R. c. Labaye, [2005] 3 R.C.S. 728, 2005 CSC 80. Dans ces deux dossiers, nous sommes appelés à préciser le test applicable à l’indécence criminelle et à l’appliquer à l’exploitation de clubs facilitant la pratique d’activités sexuelles en groupe. Nous examinons plus en détail le test servant à apprécier l’indécence criminelle dans l’arrêt connexe Labaye. Après l’avoir appliqué aux faits de la présente affaire, je conclus que les actes allégués en l’espèce n’étaient pas indécents et que le jugement de la Cour d’appel du Québec acquittant l’intimé doit être confirmé.

2. Les faits

2 L’intimé exploitait un bar appelé le « Cœur à Corps » au rez‑de‑chaussée d’un immeuble situé à Montréal‑Nord. À l’étage se trouvait un club de danseuses nues, le « Cabaret Chez Mado », appartenant aussi à l’intimé. Le « Cœur à Corps » était annoncé dans le Journal de Montréal comme un lieu de rencontres pour « couples libérés seulement », sans autres détails quant à la nature du bar et aux activités s’y déroulant. Une annonce semblable paraissant sur Internet qualifiait l’atmosphère du bar de « chaude et légère ».

3 L’existence du « Cœur à Corps » comme lieu de rencontres pour couples libérés remonte à 1985. Ce n’est qu’en 1996 que la police a reçu une plainte et a entrepris une enquête sur de possibles actes d’indécence. Des policiers en civil se sont rendus au bar à cinq reprises entre septembre et novembre 1996 et à trois autres occasions entre janvier et mars 1997. Deux mandats de perquisition ont été délivrés et exécutés sur les lieux le 16 novembre 1996 et le 16 mars 1997. À ces occasions, la police a arrêté respectivement 62 et 95 personnes, incluant des clients et des employés. L’intimé a fait l’objet de deux chefs d’accusation pour avoir tenu une maison de débauche en contravention du par. 210(1) du Code criminel.

4 Selon la preuve présentée au procès, seuls les couples avaient accès au bar et un portier demandait aux clients potentiels s’ils formaient un « couple libéré ». Si le couple répondait par l’affirmative, il était autorisé à entrer moyennant des frais de 6 $. L’établissement était composé d’une section où l’on pouvait s’asseoir et d’une piste de danse. Toutes les demi‑heures, un rideau noir translucide se fermait autour de la piste de danse et l’on faisait jouer de la musique langoureuse pendant 8 à 12 minutes. À ces occasions, jusqu’à 70 personnes, soit près de 80 pour 100 de la clientèle, s’entassaient sur la piste de danse et se livraient à des activités sexuelles de groupe, notamment à des caresses sexuelles et à des actes de masturbation, de fellation et de pénétration. Si le rideau servait à isoler la piste de danse du reste des lieux, il n’empêchait pas pour autant l’observation des activités sexuelles à partir de la section où l’on pouvait s’asseoir.

5 Aucune preuve précise n’indiquait que quelqu’un était entré dans le bar sans savoir ce qui l’attendait. Le gérant du club, M. Lacroix, a témoigné qu’il n’aurait admis aucun couple qui n’aurait pas confirmé être un couple libéré ou qui aurait été simplement curieux de voir ce qui se passait à l’intérieur. Il a en outre déclaré qu’il avait donné des ordres en ce sens au portier, lorsqu’il ne se trouvait pas lui‑même à l’entrée. Par ailleurs, son témoignage laisse entendre qu’il pourrait y avoir eu quelques exceptions à cette pratique. M. Lacroix a en effet indiqué qu’il n’avait pas demandé aux policiers en civil s’ils formaient un couple libéré, sachant qu’ils étaient déjà venus deux fois au bar. À une occasion, à l’intérieur du bar, les policiers ont vu une femme se mettre en colère contre son compagnon et le couple quitter le bar peu après. Mis à part cet incident, rien d’autre ne tend à indiquer que quelqu’un ait été involontairement ou inconsciemment exposé aux actes commis dans le club.

3. Historique judiciaire

6 La principale question en litige au procès consistait à déterminer si l’intimé avait la mens rea, ou l’intention criminelle, requise pour être reconnu coupable d’avoir tenu une maison de débauche. Sur la question de l’indécence, le juge du procès a simplement dit, après un examen de la jurisprudence, que « [l]a défense n’a pas plaidé cette notion et la Cour en arrive facilement à la conclusion dans cette affaire qu’il s’agit d’actes indécents accomplis dans un endroit public au sens des articles 150 et 197 du Code criminel » (C.M. Mtl., no 197 044 886, 14 juin 2000, p. 9). Quant à la question de la mens rea, il a conclu que M. Kouri avait fait preuve d’aveuglement volontaire à l’égard des actes d’indécence qui se déroulaient dans son établissement et que cela suffisait pour justifier une déclaration de culpabilité.

7 Les juges majoritaires de la Cour d’appel du Québec ont accueilli l’appel et infirmé la déclaration de culpabilité au motif que les actes en cause ne constituaient pas des actes d’indécence au sens du droit criminel (—2004— R.J.Q. 2061). La juge Otis a conclu que seuls les actes présentant un risque objectif de préjudice social devraient être sanctionnés et que les actes sexuels en cause ne généraient pas un tel risque. Bien que les activités se soient déroulées dans un endroit public, il s’agissait d’un lieu « à accès restreint et réservé à cette fin, sans qu’aucune personne ne soit contrainte de participer ou d’être témoin des actes sexuels ni ne soit utilisée comme objet sexuel à la gratification des autres » (par. 47).

8 Le juge Rochon, dissident, aurait maintenu la déclaration de culpabilité de l’intimé parce que les activités en cause outrepassaient les règles de conduite nécessaires au bon fonctionnement de la société. Le risque de préjudice était difficile à mesurer concrètement, mais il n’était pas nécessairement négligeable. Plus précisément, il y avait selon lui « clairement une perte de sens ou une banalisation des relations sexuelles et une confusion des frontières quant à ce qu’il est ou non possible de faire en société » (par. 83).

4. Analyse

4.1 Le test applicable à l’indécence criminelle

9 Comme il est expliqué plus en détail dans l’arrêt connexe Labaye, le droit canadien ne réduit pas l’indécence à ce qu’un juge estime moralement corrompu. Le droit relatif à l’indécence a évolué vers un critère objectif fondé sur la norme de tolérance de la société qui, à son tour, dépend maintenant du risque de préjudice engendré par les activités contestées. Les sanctions pénales doivent servir à ce que seuls puissent être déclarés obscènes ou indécents le matériel ou les actes qui créent un risque appréciable de préjudice incompatible avec le bon fonctionnement de la société.

10 Les présents pourvois exigent que nous précisions la structure de l’examen à effectuer pour conclure à l’indécence criminelle. Compte tenu des principes directeurs dégagés dans l’arrêt R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452, cette analyse devrait être effectuée en deux étapes. La conduite criminelle indécente sera établie si le ministère public prouve, hors de tout doute raisonnable, les deux éléments suivants :

1. De par sa nature, la conduite en litige cause ou présente un risque appréciable que soit causé, à des personnes ou à la société, un préjudice qui porte atteinte ou menace de porter atteinte à une valeur exprimée et donc reconnue officiellement dans la Constitution ou une autre loi fondamentale semblable, notamment :

a) en exposant les membres du public à une conduite qui entrave de façon appréciable leur autonomie et leur liberté;

b) en prédisposant autrui à adopter un comportement antisocial;

c) en causant un préjudice physique ou psychologique aux personnes qui participent aux activités.

2. Le préjudice ou le risque de préjudice atteint un degré tel qu’il est incompatible avec le bon fonctionnement de la société.

4.2 Application du critère

11 Il s’agit en premier lieu de déterminer si la conduite litigieuse a causé ou présentait un risque appréciable que soit causé un préjudice aux personnes ou à la société.

12 Comme il est expliqué plus en détail dans l’arrêt connexe Labaye, le préjudice que l’infraction d’indécence cherche avant tout à prévenir est l’entrave à l’autonomie et à la liberté des membres du public qui seraient exposés involontairement à la conduite litigieuse. Le risque qu’un tel préjudice survienne dépend de la mesure dans laquelle des personnes ont été involontairement spectateurs de cette conduite. Le lieu où les actes ont été accomplis, la manière dont ils ont été accomplis et la composition de l’auditoire sont des facteurs pertinents à prendre en compte : R. c. Tremblay, [1993] 2 R.C.S. 932.

13 En l’espèce, le ministère public n’a présenté aucune preuve démontrant qu’une personne aurait été involontairement témoin de cette conduite ou serait entrée dans l’établissement sans savoir ce qui l’attendait. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont insisté sur les conclusions de fait tirées par le juge du procès selon lesquelles seuls les couples avaient accès au lieu et ce, seulement après avoir confirmé qu’ils formaient un couple libéré : « Il apparaît clairement que l’accès au lieu était encadré et que l’avertissement était clair lorsque mis en contexte. » (par. 45) Les juges majoritaires ont ensuite souligné qu’aucune preuve n’avait été présentée selon laquelle l’organisation du bar ou les activités s’y déroulant auraient gêné qui que ce soit et que les activités sexuelles étaient protégées dans une certaine mesure par le rideau noir, qui « permetta[i]t néanmoins à ceux qui ne souhaitaient pas en être témoins de s’en exclure » (par. 46).

14 Dans ses motifs de dissidence, le juge Rochon n’a pas mis en doute l’existence d’un mécanisme de contrôle. Il estimait essentiellement que les activités sexuelles en cause ne devraient pas être autorisées dans un établissement public « malgré toutes mesures qui pourraient être prises pour restreindre la clientèle aux “couples libérés” uniquement » (par. 78). Dans ses observations devant la Cour, le ministère public ne nous a pas demandé d’aller aussi loin, reconnaissant qu’il n’existe aucune règle voulant que les activités sexuelles pratiquées dans un endroit public portent automatiquement atteinte à l’autonomie et à la liberté des membres du public.

15 Il s’agit donc à cette étape de se demander si la preuve établit l’existence d’un risque appréciable d’atteinte à l’autonomie et à la liberté des membres du public. Cet exercice nécessite une appréciation contextuelle du risque de préjudice pour les personnes susceptibles d’être exposées involontairement à cette conduite. Les mécanismes de contrôle destinés à avertir les gens et à s’assurer que leur entrée dans les lieux procède d’un choix éclairé sont essentiels pour cette appréciation. Il s’agit de savoir si ces mécanismes limitaient adéquatement l’accès au lieu aux personnes informées de la nature de l’endroit et disposées à voir les activités qui s’y déroulaient ou à y participer. Pour prouver que des actes sont indécents, le ministère public doit établir hors de tout doute raisonnable que les mécanismes de contrôle étaient insuffisants pour prévenir les risques d’exposition involontaire. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la preuve soumise en l’espèce ne satisfait pas à la norme de preuve requise en matière pénale.

16 Le ministère public soutient que le rideau noir translucide qui délimitait la piste de danse où se déroulaient les activités sexuelles ne constituait pas un mécanisme de contrôle adéquat. Je suis d’accord. Il ressort clairement de la preuve que l’on pouvait voir à travers le rideau noir, du côté de la piste de danse. D’ailleurs, c’était là un des moyens par lesquels le gérant était censé surveiller les activités et freiner les comportements excessifs. Bien que le rideau ait servi à tracer les limites à l’intérieur desquelles les prétendus actes d’indécence pouvaient avoir lieu, il est évident qu’il ne pouvait efficacement les soustraire à la vue d’un témoin qui ne se doutait de rien ou n’était pas consentant. Le mécanisme de contrôle n’était pas le rideau, mais la procédure d’accès.

17 À l’instar des juges majoritaires de la Cour d’appel, je suis convaincue que les mesures de contrôle appliquées à la porte, situées dans leur contexte, étaient assez claires et suffisantes. Seuls les couples étaient admis. La politique du club exigeait du portier qu’il demande à chaque couple s’il était « un couple libéré ». L’extérieur de l’établissement était placardé de grandes affiches montrant des danseurs partiellement dévêtus. Tout cela indiquait bien que l’on pouvait s’attendre à ce que des activités sexuellement explicites se déroulent à l’intérieur.

18 Le ministère public plaide l’absence d’avertissement précis quant à la nature et à l’étendue réelles des activités qui se déroulaient sur la piste de danse. Il est vrai qu’il n’y avait aucun avertissement exprès. Aucune affiche ne proclamait : « Attention, des activités sexuelles peuvent se dérouler à l’intérieur » et le portier ne faisait aucune mise en garde de la sorte. Il est cependant difficile de concevoir qu’un couple, après être passé devant les descriptions sexuellement explicites ornant les murs extérieurs des bâtiments et avoir répondu par l’affirmative à la question de savoir s’il était « un couple libéré », puisse ne pas comprendre qu’il entrait dans un endroit où il était possible que des activités sexuelles aient lieu.

19 Le ministère public prétend également qu’il n’est pas certain que le portier demandait à chacun des couples voulant entrer dans le bar s’il formait un « couple libéré », puisqu’il n’avait apparemment pas posé la question aux enquêteurs. Cette faille de la politique d’accès est confirmée, soutient‑il, par la preuve qu’à une occasion, une femme s’est mise en colère contre son compagnon et a quitté les lieux.

20 Le fait qu’une femme se soit fâchée contre son compagnon et ait quitté les lieux ne permet pas de conclure qu’elle n’était pas préparée à voir ce qu’elle a vu; elle peut s’être mise en colère pour de nombreuses raisons. En outre, l’incident peut être interprété à l’inverse, à savoir qu’il s’agissait d’un membre du public qui avait choisi de plein gré d’entrer dans l’établissement et qui, après coup, a regretté sa décision. L’omission apparente de demander aux enquêteurs s’ils formaient un couple libéré, quoique plus troublante, ne suffit néanmoins pas à réfuter la preuve qu’il était d’usage de demander à chaque nouveau couple s’il était un couple libéré. Selon le portier, toute omission de sa part de poser la question pourrait être le signe qu’il avait déjà vu le couple. Quoi qu’il en soit, il appartient au ministère public d’établir hors de tout doute raisonnable l’existence d’un risque appréciable de préjudice. Considérée globalement, la preuve d’un risque d’exposition involontaire est au mieux non concluante et ne satisfait pas à cette norme.

21 Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, le juge du procès a tiré la conclusion de fait que seuls les couples ayant confirmé qu’ils étaient un « couple libéré » étaient autorisés à entrer au club. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont confirmé qu’« [i]l apparaît clairement que l’accès au lieu était encadré et que l’avertissement était clair lorsque mis en contexte. » (par. 45) La preuve étaye amplement ces conclusions. Il s’ensuit que l’argument du ministère public selon lequel le préjudice résultait de l’insuffisance des mesures mises en place pour prévenir les risques d’exposition involontaire ne saurait être retenu.

22 Quant au deuxième type de préjudice, rien ne prouve qu’une personne ou un groupe ait subi un traitement dégradant, abusif ou humiliant qui aurait favorisé des attitudes antisociales. Comme dans l’affaire connexe Labaye, personne n’a été contraint de se livrer à des activités sexuelles, n’a été payé pour s’y livrer, ni n’a été traité comme un simple objet servant à la gratification sexuelle des autres. Compte tenu des faits de l’espèce, l’aspect commercial de l’entreprise de l’intimé n’est guère pertinent relativement à ce type de préjudice. Les frais d’entrée n’étaient pas acquittés par certaines personnes en vue d’obtenir des faveurs sexuelles d’autres personnes. Ils permettaient simplement à tous les clients d’accéder au bar et de participer d’égal à égal aux activités s’y déroulant. Comme tel, le paiement des frais d’entrée peut déprécier la valeur morale accordée aux activités en cause, mais ce fait n’est pas utile lorsqu’il s’agit de déterminer en quoi ces activités peuvent générer un préjudice consistant à encourager une attitude qui favorise des comportements antisociaux.

23 Enfin, rien n’indique que les participants aient subi un préjudice physique ou psychologique. De nouveau, il semble que la seule source de préoccupation à cet égard soit le risque que la participation à ces activités sans protection adéquate présente pour la santé. Or, comme il est expliqué dans Labaye, ce type de risque n’a pas de lien conceptuel ni causal avec l’indécence et ne saurait étayer de façon indépendante une conclusion d’indécence criminelle.

24 En l’absence d’une preuve de préjudice ou de risque appréciable de préjudice, il est inutile d’aborder l’étape subséquente de l’examen relatif à l’indécence criminelle. Je me contenterai simplement de signaler qu’il ne s’agit pas d’un cas où les autres sont en fait privés de la possibilité de choisir de vaquer à leurs occupations quotidiennes sans entraves liées à ce qu’ils perçoivent comme une conduite profondément offensante. Compte tenu de cette liberté de choix, il est difficile de voir comment les activités qui se déroulaient au club peuvent être considérées comme ayant causé un préjudice incompatible avec le bon fonctionnement de la société.

25 Je serais d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer la décision majoritaire de la Cour d’appel du Québec de prononcer un acquittement.

Les motifs des juges Bastarache et LeBel ont été rendus par

Les juges Bastarache et LeBel (dissidents) —

1. Introduction

26 Le présent pourvoi vise à déterminer si les actes sexuels reprochés en l’espèce sont indécents et si l’intimé est coupable d’avoir tenu une maison de débauche au sens du par. 210(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46 (« C. cr. »).

27 Nos collègues concluent que les actes sexuels en l’espèce ne sont pas indécents. Ils fondent leur conclusion sur l’approche développée par eux dans l’arrêt R. c. Labaye, [2005] 3 R.C.S. 728, 2005 CSC 80, qui repose exclusivement sur la notion de préjudice social. Selon la majorité, les actes sexuels en l’espèce n’engendreraient pas de préjudice social grave qui serait incompatible avec le bon fonctionnement de notre société, par exemple en prédisposant ses individus à agir de façon antisociale.

28 Nous respectons leur avis, mais nous ne le partageons pas. Adoptant l’approche développée dans nos motifs dans l’arrêt Labaye, fondée sur une analyse contextuelle, nous arrivons à la conclusion que les actes reprochés en l’espèce sont indécents parce qu’ils dépassent clairement la norme de tolérance de la société canadienne. Notre opinion ne repose pas exclusivement sur la notion de préjudice. Cette notion constitue en effet un élément important mais non décisif de la détermination du niveau de tolérance. L’établissement de l’intimé constitue, selon nous, en raison du contexte dans lequel les actes surviennent, une maison de débauche au sens du par. 210(1) C. cr.

2. Faits

29 Nous acceptons de façon générale la description des faits de la majorité. Nous notons cependant que cette description minimise la portée de deux éléments factuels pertinents à la détermination contextuelle de l’indécence, soit le caractère commercial des lieux et la facilité avec laquelle tout membre du grand public peut accéder au bar et être témoin des actes sexuels qui se déroulent sur la piste de danse. Ces deux facteurs contextuels et leur application aux faits de la présente affaire seront discutés plus en détail dans notre analyse.

3. Analyse

30 Comme nous l’avons expliqué de façon plus détaillée dans nos motifs dans l’arrêt Labaye, il n’existe qu’une seule question à se poser pour conclure à l’indécence et déterminer si un lieu constitue une maison de débauche : Les actes reprochés dépassent-ils la norme de tolérance de la société canadienne contemporaine, compte tenu des lieux et du contexte dans lequel ils surviennent? Cette analyse reflète l’idée qu’il existe notamment des restrictions de temps (tel que le moment de la journée) et de lieu appropriées eu égard à la pratique d’actes sexuels.

31 L’approche proposée par nos collègues remplace la norme de tolérance de la société par le critère du préjudice, retenant celui-ci comme seul fondement de l’indécence plutôt que comme critère de détermination du niveau de tolérance de la société. Nous avons démontré dans l’arrêt Labaye que l’absence ou la présence d’un préjudice social grave n’a jamais été le test décisif en ce qui concerne l’indécence et que le préjudice social ne peut pas remplacer l’analyse contextuelle de la norme de tolérance de la société canadienne sans que l’on ne transforme complètement cette notion et qu’on la vide de tout sens.

32 Nous croyons qu’il est essentiel de s’en tenir au test original de détermination de l’indécence, lequel met l’accent sur une analyse contextuelle des actes reprochés et intègre la notion de préjudice comme élément important, mais non décisif, de détermination du niveau de tolérance applicable. Il faut aussi tenir compte du fait qu’il peut exister une certaine forme de préjudice social découlant du non-respect des normes minimales de moralité publique. Il faut en outre éviter d’adopter une vague notion d’incompatibilité avec le « bon fonctionnement de la société » ou l’incitation à la conduite antisociale. Cela ressort clairement de l’analyse du par. 210(1) C. cr. et du besoin de déterminer la norme de tolérance en fonction d’une analyse objective et contextuelle des actes sexuels.

33 La détermination de la norme de tolérance est fondée sur deux facteurs principaux : la nature des actes reprochés et le contexte. En ce qui concerne la nature des actes, il faut se demander si ces derniers sont de nature exceptionnelle par rapport à d’autres actes acceptés et accomplis dans un même contexte. Plus les actes sont exceptionnels, plus ils sont susceptibles de dépasser le seuil de tolérance de la société, notamment s’ils comportent des éléments déshumanisants, avilissants ou dégradants.

34 Pour ce qui est du contexte, on doit examiner les lieux où les actes sont posés et les circonstances dans lesquelles ils surviennent. Cette analyse contextuelle comprend plusieurs éléments : (1) le caractère privé ou public des lieux; (2) le type de participants et la composition de l’auditoire; (3) la nature de l’avertissement donné relativement aux actes; (4) les mesures visant à limiter l’accès aux lieux; (5) le caractère commercial des lieux et des actes; (6) la finalité des actes; (7) le comportement des participants et (8) le préjudice subi par les participants. Cette liste n’est pas exhaustive.

35 L’absence de spectateurs ou de témoins lorsque surviennent les actes sexuels n’empêche pas de conclure à l’indécence. Le caractère public des lieux ne dépend pas de la présence de témoins. Souscrire à la position contraire reviendrait à accepter que même des actes sexuels dégradants, incluant notamment des actes pouvant causer un préjudice physique ou psychologique chez les participants, pratiqués dans un lieu accessible au public, ne seraient pas indécents dès qu’il n’y a ni témoins ni spectateurs, mais seulement un grand nombre de participants. Cette solution est inacceptable, comme nous l’avons démontré dans l’arrêt Labaye.

36 On doit plutôt évaluer le caractère privé ou public des lieux en fonction d’un continuum de situations qui varient en fonction du degré d’intimité en cause et qui, selon la nature des actes et le contexte dans lequel ils sont posés, permettront de juger de la tolérance de la société à l’égard de diverses pratiques sexuelles. Pour cette raison, il faut éviter d’adopter une analyse fondée sur une simple dichotomie entre lieux purement privés et purement publics. Il faut aussi éviter de reconnaître une catégorie générale fondée sur le concept de « relative intimité ». Le degré d’intimité relative dans chaque cas ne peut pas à lui seul permettre une évaluation adéquate du contexte pouvant donner lieu à la conclusion que des actes sont indécents.

37 Le consentement volontaire des participants ne constitue pas non plus un facteur décisif, puisque la question fondamentale pour déterminer si certains actes sont indécents consiste à décider ce que les Canadiens tolèrent ou acceptent que d’autres Canadiens fassent, compte tenu des lieux et du contexte. En effet, ce n’est pas le niveau de tolérance des participants qui doit être pris en considération. Le fait d’agir de manière libre et autonome ne permet pas d’exclure le jugement moral que pourrait porter la société à l’égard de pratiques sexuelles qui surviennent dans certains lieux et contextes. L’absence de consentement pourra tout de même jouer un rôle dans l’identification de comportements déshumanisants, avilissants ou dégradants. Cette absence aurait alors une incidence négative sur le niveau de tolérance.

38 De même, la prise en compte du caractère commercial du lieu et des actes pourra aider à constater le niveau de tolérance de la société canadienne à l’égard des actes reprochés. Il est bien établi que le fait que des actes sexuels soient associés à un échange commercial affecte négativement la tolérance des Canadiens parce que ce type d’échange dénote généralement une exploitation et une perte de dignité ou d’autonomie des personnes impliquées. L’exploitation commerciale d’actes sexuels porte ainsi atteinte aux valeurs de notre société telles que l’égalité, la liberté et la dignité des individus.

39 Les risques de préjudice pour les participants demeurent pertinents dans l’analyse contextuelle. Dans plusieurs cas, il sera indiqué de prendre en compte le risque de propagation de maladies transmissibles sexuellement. Ce risque, s’il est réel, affecte négativement la norme de tolérance en l’absence systématique de mesures de protection.

40 Finalement, même si aucun préjudice au sens où l’entend la majorité n’est identifié, il peut néanmoins exister une forme de préjudice social qui résulte du non‑respect des normes minimales de moralité publique, comme par exemple dans le cas d’actes sexuels exceptionnels pratiqués dans un lieu public. Si un tel préjudice est établi, il sera permis de conclure que la norme de tolérance a été dépassée.

4. L’application des principes aux faits

41 Tout comme dans l’affaire Labaye, nous sommes d’avis que les actes sexuels posés dans l’établissement de l’intimé étaient des actes indécents. Ils ne respectent pas la norme de tolérance de la société canadienne. En raison du caractère public des lieux et du caractère commercial des activités, nous concluons que l’établissement de l’intimé constitue une maison de débauche au sens du par. 210(1) C. cr.

4.1 La nature des actes

42 Nous reconnaissons que, dans la présente affaire, les actes sexuels pratiqués sur la piste de danse de l’établissement de l’intimé sont moins explicites que ceux qui furent examinés dans l’affaire Labaye. Il s’agit surtout d’actes d’attouchement et de masturbation, parfois en groupe. Quelques cas de fellation et un seul cas de pénétration ont aussi été observés. Malgré ces différences, nous concluons à l’indécence. L’essentiel de notre conclusion est fondée sur l’analyse contextuelle des activités. Ainsi, même si les actes en l’espèce sont moins exceptionnels que dans l’arrêt Labaye, le fait qu’ils surviennent dans un endroit davantage public et commercial nous amène à conclure à l’indécence.

4.2 Le contexte

4.2.1 Le caractère privé ou public des lieux

43 De façon beaucoup plus marquée que dans l’affaire Labaye, il est facile en l’espèce pour les membres du grand public d’accéder à l’établissement de l’intimé par simple curiosité ou par accident, et d’être témoin des actes sexuels qui s’y déroulent. Seul un portier demande à chaque couple désirant accéder à l’établissement s’il constitue un « couple libéré »; on exige ensuite un droit d’entrée de 6 $. Tout couple qui remplit ces formalités peut entrer et être témoin des actes sexuels qui se déroulent sur la piste de danse sans avoir subi une entrevue ni avoir reçu un avertissement officiel quant à la nature des actes sexuels qui sont posés devant toutes les personnes présentes. Il est bien clair que les individus qui entrent dans l’établissement ne sont pas nécessairement membres d’un club de gens qui partagent la même philosophie. Par ailleurs, le grand public est invité de manière expresse ou implicite à entrer dans l’établissement comme en témoignent les nombreux efforts publicitaires destinés à solliciter de nouveaux clients. Les actes reprochés en l’espèce sont pratiqués dans un endroit public qui répond notamment aux critères du par. 197(1) C. cr.

44 Le degré d’intimité pour la pratique d’actes sexuels dans l’établissement est par ailleurs presque nul, notamment en raison de la présence de 75 personnes sur la piste de danse. L’existence d’un rideau translucide entourant la piste ne saurait modifier cette conclusion. Il est possible de voir à travers ce rideau, comme l’a souligné le juge de première instance ainsi que la majorité de cette Cour. Plus encore, un rassemblement de 75 personnes dans le contexte en l’espèce ne constitue même pas un semblant d’intimité.

4.2.2 Les participants et la composition de l’auditoire

45 Il est vrai que les actes surviennent entre adultes avertis et consentants, mais cela n’emporte pas en soi conformité avec la norme de tolérance. L’absence de consentement permettrait d’identifier la présence d’actes déshumanisants, avilissants ou dégradants, mais il n’en est pas question ici. On ne remarque pas non plus la présence d’enfants dans l’établissement, ce qui serait un facteur important.

4.2.3 Les mesures de contrôle

46 Les mesures de contrôle qui prétendent limiter l’accès au bar aux gens avertis qui partagent la philosophie échangiste sont pratiquement inexistantes. Le paiement d’un droit d’entrée et la réponse à la simple question de savoir si un couple est « libéré » ne constituent pas des mesures sérieuses considérant la nature explicite des actes sexuels qui se déroulent dans l’établissement. Comme le souligne la majorité, le rideau translucide noir qui prétend isoler l’espace destiné aux actes sexuels ne cache rien; de toute manière, la présence d’un rideau opaque ne créerait qu’un simulacre d’intimité comme nous l’avons déjà dit.

4.2.4 Le caractère commercial des lieux et des actes

47 Une analyse contextuelle de la nature des lieux et des actes révèle que les activités en cause sont de nature commerciale. L’intimé exploite un bar destiné aux activités sexuelles de groupe. La preuve démontre l’existence de nombreux efforts publicitaires effectués pour solliciter de nouveaux clients. Par ailleurs, la pratique d’actes sexuels dans l’établissement ne devient possible qu’après un échange commercial obligatoire, c’est-à-dire le paiement du droit d’entrée. Tout comme dans l’affaire Labaye, il s’agit d’une forme d’achat de faveurs sexuelles puisque tous ceux qui entrent peuvent participer librement à des actes sexuels avec les autres participants. De tels aspects commerciaux associés aux pratiques sexuelles reprochées en l’espèce contribuent, dans ce contexte, au dépassement du seuil de tolérance de la société à l’égard de ces pratiques.

4.2.5 La présence d’un préjudice social

48 On peut aussi conclure à une certaine forme de préjudice social en l’espèce, préjudice qui résulterait du non-respect des normes minimales de moralité sociale, compte tenu du contexte public et commercial dans lequel surviennent les actes reprochés. Le préjudice résulterait ici du fait que les actes sexuels explicites sont posés en public, dans un contexte inapproprié.

4.3 Conclusion sur l’indécence

49 Dans l’ensemble, en considérant les facteurs qui diminuent la tolérance de la société canadienne à l’égard des actes sexuels reprochés, nous sommes d’avis que les pratiques constatées dans l’établissement de l’intimé ne seraient pas tolérées par la société canadienne étant donné leur caractère public et commercial. À nos yeux, la société ne tolère pas que des gens paient pour prendre part à des activités sexuelles de groupe comme celles constatées en l’espèce et ce, dans un établissement commercial autorisé à vendre de l’alcool qui n’offre aucun degré d’intimité et dont l’accès par le grand public s’avère des plus aisés. Les actes sont par conséquent indécents. Il existe des restrictions de lieu appropriées eu égard à la pratique d’actes sexuels et elles ne nous apparaissent pas respectées en l’espèce. L’établissement de l’intimé est donc une maison de débauche au sens du par. 210(1) C. cr.

5. Dispositif

50 Nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi, de casser le jugement majoritaire de la Cour d’appel du Québec et de rétablir la déclaration de culpabilité de l’intimé.

Pourvoi rejeté, les juges Bastarache et LeBel sont dissidents.

Procureur de l’appelante : Ville de Montréal.

Procureurs de l’intimé : Desrosiers, Turcotte, Massicotte, Vauclair, Montréal.


Synthèse
Référence neutre : 2005 CSC 81 ?
Date de la décision : 21/12/2005
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté et l’acquittement de l’accusé confirmé

Analyses

Droit criminel - Tenue d’une maison de débauche - Indécence - Test fondé sur le préjudice - Activités sexuelles de groupe dans un club - Indécence de la conduite au sens du droit criminel - Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 210(1).

À la suite d’une enquête policière, une accusation a été portée contre l’accusé pour avoir tenu une maison de débauche en contravention du par. 210(1) du Code criminel. L’accusé exploitait un bar à Montréal. Selon la preuve présentée au procès, seuls les couples y avaient accès. Un portier demandait aux clients potentiels s’ils formaient un « couple libéré » et si le couple répondait par l’affirmative, il était autorisé à entrer moyennant des frais de 6 $. Toutes les demi‑heures, un rideau translucide se fermait autour de la piste de danse où des personnes se livraient à des activités sexuelles de groupe. Le juge du procès a condamné l’accusé. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont infirmé la déclaration de culpabilité, concluant que les actes en cause ne constituaient pas des actes d’indécence au sens du droit criminel.

Arrêt (les juges Bastarache et LeBel sont dissidents) : Le pourvoi est rejeté et l’acquittement de l’accusé confirmé.

La juge en chef McLachlin et les juges Major, Binnie, Deschamps, Fish, Abella et Charron : Selon les remarques formulées dans l’arrêt connexe R. c. Labaye, [2005] 3 R.C.S. 728, 2005 CSC 80, la conduite en cause ne constituait pas des actes d’indécence au sens du droit criminel. Premièrement, la preuve n’établit pas l’existence d’un risque appréciable d’atteinte à l’autonomie et à la liberté des membres du public. Le ministère public n’a présenté aucune preuve démontrant qu’une personne aurait été involontairement témoin de cette conduite ou serait entrée dans l’établissement sans savoir ce qui l’attendait. Les mesures de contrôle appliquées à la porte, situées dans leur contexte, limitaient adéquatement l’accès au lieu aux personnes informées de la nature de l’endroit et disposées à voir les activités qui s’y déroulaient ou à y participer. L’omission apparente de demander aux enquêteurs s’ils formaient un couple libéré ne suffit pas à réfuter la preuve qu’il était d’usage de demander à chaque nouveau couple s’il était un couple libéré. Deuxièmement, rien ne prouve qu’une personne ou un groupe ait subi un traitement dégradant, abusif ou humiliant qui aurait favorisé des attitudes antisociales. Personne n’a été contraint de se livrer à des activités sexuelles, n’a été payé pour s’y livrer, ni n’a été traité comme un simple objet servant à la gratification sexuelle des autres. Enfin, rien n’indique que les participants aient subi un préjudice physique ou psychologique. Le risque que la participation à des activités sans protection présente pour la santé n’a pas de lien conceptuel ni causal avec l’indécence et ne saurait étayer de façon indépendante une conclusion d’indécence criminelle. [11‑23]

Les juges Bastarache et LeBel (dissidents) : Adoptant l’approche développée dans l’arrêt connexe R. c. Labaye, [2005] 3 R.C.S. 728, 2005 CSC 80, il faut conclure que les actes constatés dans l’établissement de l’accusé sont indécents parce qu’ils dépassent clairement la norme de tolérance de la société canadienne. Il est essentiel de s’en tenir au test original de détermination de l’indécence, qui met l’accent sur une analyse contextuelle des actes reprochés et intègre la notion de préjudice comme élément important, mais non décisif, de la détermination du niveau de tolérance applicable. En l’espèce, même si les actes sont survenus entre adultes avertis et consentants, cela n’emporte pas en soi conformité avec la norme de tolérance. Les actes reprochés étaient pratiqués dans un endroit public; le degré d’intimité pour la pratique d’actes sexuels dans l’établissement était presque nul, et les mesures de contrôle qui prétendent limiter l’accès au bar aux gens avertis qui partagent la philosophie échangiste étaient pratiquement inexistantes. Par ailleurs, la pratique d’actes sexuels dans l’établissement est de nature commerciale puisqu’elle ne devient possible qu’après le paiement du droit d’entrée. Enfin, compte tenu du contexte public et commercial dans lequel surviennent les actes reprochés, on peut aussi conclure à une certaine forme de préjudice social, préjudice qui résulterait du non‑respect des normes minimales de moralité sociale. L’établissement de l’accusé constitue donc en raison du contexte dans lequel les actes surviennent, une maison de débauche au sens du par. 210(1) du Code criminel. [28] [32] [43‑48]


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Kouri

Références :

Jurisprudence
Citée par la juge en chef McLachlin
Arrêt suivi : R. c. Labaye, [2005] 3 R.C.S. 728, 2005 CSC 80
arrêt appliqué : R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452
arrêt mentionné : R. c. Tremblay, [1993] 2 R.C.S. 932.
Citée par les juges Bastarache et LeBel (dissidents)
R. c. Labaye, [2005] 3 R.C.S. 728, 2005 CSC 80.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 197(1) « endroit public », 210(1).

Proposition de citation de la décision: R. c. Kouri, 2005 CSC 81 (21 décembre 2005)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2005-12-21;2005.csc.81 ?
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