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05/10/2006 | CANADA | N°2006_CSC_41

Canada | Isen c. Simms, 2006 CSC 41 (5 octobre 2006)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Isen c. Simms, [2006] 2 R.C.S. 349, 2006 CSC 41

Date : 20061005

Dossier : 31026

Entre :

Stephen Simms et Marla Simms

Appelants

c.

William Isen

Intimé

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 30)

Le juge Rothstein (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abe

lla et Charron)

______________________________

Isen c. Simms, [2006] 2 R.C.S. 349, 2006 CSC 41

Stephen Simms et Marla Simms Appelants

c...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Isen c. Simms, [2006] 2 R.C.S. 349, 2006 CSC 41

Date : 20061005

Dossier : 31026

Entre :

Stephen Simms et Marla Simms

Appelants

c.

William Isen

Intimé

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 30)

Le juge Rothstein (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron)

______________________________

Isen c. Simms, [2006] 2 R.C.S. 349, 2006 CSC 41

Stephen Simms et Marla Simms Appelants

c.

William Isen Intimé

Répertorié : Isen c. Simms

Référence neutre : 2006 CSC 41.

No du greffe : 31026.

2006 : 21 juin; 2006 : 5 octobre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.

en appel de la cour d’appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Décary, Nadon et Sexton), [2005] 4 R.C.F. 563, 254 D.L.R. (4th) 273, 334 N.R. 233, [2005] F.C.J. No. 756 (QL), 2005 CAF 161, qui a confirmé une décision de la juge Snider (2004), 247 F.T.R. 233, 236 D.L.R. (4th) 376, [2004] F.C.J. No. 278 (QL), 2004 CF 227. Pourvoi accueilli.

David R. Tenszen, pour les appelants.

Geoffrey D. E. Adair, c.r., et Robert M. Ben, pour l’intimé.

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge Rothstein —

I. Introduction

1 L’appelant, le Dr Stephen Simms, a subi des blessures lorsqu’il a reçu dans l’œil un crochet en métal se trouvant à l’extrémité d’un câble élastique. Ce fait s’est produit pendant que l’intimé fixait, au moyen du câble en question, le couvercle du moteur de son bateau avant de transporter celui‑ci par la route. Les appelants, le Dr Simms et son épouse, ont introduit une action en dommages‑intérêts contre l’intimé.

2 Le présent pourvoi vise à déterminer si l’intimé peut se prévaloir d’une disposition législative fédérale de limitation de la responsabilité, à savoir l’al. 577(1)a) de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. 1985, ch. S-9 (modifiée par L.C. 1998, ch. 6) (maintenant l’al. 28(1)a) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6), de façon à limiter à un million de dollars son éventuelle responsabilité quant au versement de dommages‑intérêts aux appelants. Le litige soulève deux questions.

3 La première, telle qu’elle a été formulée par les appelants devant notre Cour, est de savoir si la Cour fédérale a compétence pour entendre l’affaire. La Cour fédérale est compétente à l’égard des litiges en matière de droit maritime, régime de droit fédéral constitué à la fois de règles législatives et de principes d’origine non législative. La véritable question consiste à déterminer si les actes prétendument négligents à l’origine des lésions du Dr Simms sont régis par le droit maritime fédéral ou, au contraire, par le droit provincial.

4 Si les actes prétendument négligents reprochés relèvent du droit maritime, il faut alors décider si les créances des appelants sont assujetties à la limitation de responsabilité prévue par la Loi sur la marine marchande du Canada. La seconde question consiste à déterminer si les créances des appelants sont « en relation directe avec l’exploitation du navire ».

5 À mon avis, les actes prétendument négligents à l’origine des lésions du Dr Simms ne sont pas régis par le droit maritime fédéral, mais plutôt par le droit provincial. La Loi sur la marine marchande du Canada n’est pas constitutionnellement applicable à l’action en dommages‑intérêts intentée par les appelants contre l’intimé. En conséquence, ce dernier ne peut invoquer la clause de limitation de responsabilité prévue par cette loi. Comme le pourvoi est accueilli pour ce motif, la deuxième question ne se pose pas.

II. Les faits

6 L’intimé était propriétaire d’une embarcation de plaisance de 17 pieds dont la jauge brute était de moins de 300 tonneaux (le « bateau »). Une ouverture à l’intérieur du bateau permettait d’accéder au moteur. Cette ouverture était fermée par une plaque de bois recouverte de vinyle matelassé, qui servait de siège lorsque l’accès au moteur n’était pas requis (le « couvercle du moteur »).

7 Pour le transport sur la terre ferme, le bateau était placé sur une remorque tirée par un véhicule. Lorsque le bateau était ainsi transporté sur la route, le vent avait pour effet de soulever le couvercle du moteur et de le faire claquer au vent. L’intimé se servait donc d’un câble élastique pour assujettir le couvercle avant le départ. Ce câble n’était utilisé que pour assujettir le couvercle du moteur lorsque le bateau était remorqué sur la route. Le reste du temps, il était rangé sur le bateau.

8 Le bateau était habituellement amarré à un quai, sur un lac adjacent à un chalet appartenant à l’intimé dans la région d’Orillia‑Coldwater, en Ontario. Le 1er août 1999, le Dr Simms et l’intimé ont quitté le chalet de ce dernier pour aller faire une excursion en bateau sur le lac Muskoka en Ontario. Le bateau a été transporté sur la route à l’aide d’une remorque attachée au véhicule de l’intimé. Au lac Muskoka, il a été mis à l’eau au moyen d’une rampe publique. Après leur journée de navigation sur le lac, le Dr Simms et l’intimé sont revenus à la rampe pour sortir le bateau de l’eau et le ramener à son lieu habituel d’amarrage au chalet de l’intimé. Le véhicule et sa remorque ont été conduits en marche arrière sur la rampe, puis le bateau a été placé sur la remorque. L’intimé a ensuite déplacé le véhicule, la remorque et le bateau vers un terrain plat dans un terrain de stationnement près du lac.

9 Pour préparer le bateau en vue du transport sur la route, l’intimé a entrepris d’assujettir le couvercle du moteur au moyen du câble élastique. Le crochet situé à une extrémité du câble élastique avait été fixé au bateau et le câble était étiré sur toute la largeur du bateau lorsque l’autre extrémité a glissé des doigts de l’intimé. Le câble a été projeté vers le Dr Simms, qui était debout près du bateau. Le Dr Simms a reçu le crochet en métal dans l’œil.

10 Les appelants ont intenté une action contre l’intimé devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Le Dr Simms réclamait des dommages‑intérêts de 2 000 000 $, plus les intérêts avant jugement. Son épouse réclamait quant à elle, en vertu des dispositions de la Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, ch. F.3, des dommages‑intérêts de 200 000 $, plus les intérêts avant jugement.

11 En Cour supérieure de justice de l’Ontario, l’intimé a nié toute responsabilité. Il a par ailleurs demandé à la Cour fédérale un jugement déclarant que, s’il était jugé responsable par l’autre tribunal, sa responsabilité envers les appelants quant au versement de dommages‑intérêts se limiterait à 1 000 000 $ conformément à l’art. 577 de la Loi sur la marine marchande du Canada.

III. Les dispositions législatives

12 La Loi sur la marine marchande du Canada régit divers aspects du transport maritime et de la navigation. L’intimé et son bateau répondent, respectivement, aux définitions des termes « propriétaire de navire » et « navire » figurant au par. 576(3) de la Loi.

13 L’article 577 de la Loi sur la marine marchande du Canada limite la responsabilité des propriétaires de navires jaugeant moins de 300 tonneaux à l’égard des créances :

577. (1) La limite de responsabilité du propriétaire d’un navire jaugeant moins de 300 tonneaux à l’égard de créances — autres que celles mentionnées à l’article 578 — nées d’un même événement est fixée à :

a) un million de dollars pour les créances pour mort ou lésions corporelles;

14 Les types de créances visés par la limitation de responsabilité établie à l’art. 577 sont énoncés dans la partie I de l’annexe VI de la Loi sur la marine marchande du Canada et comprennent les créances « en relation directe avec l’exploitation [d’un] navire ».

15 L’article 581 de la Loi sur la marine marchande du Canada habilite la Cour d’Amirauté, définie à l’art. 2 de la Loi comme étant la Cour fédérale, à rendre le jugement déclaratoire demandé par l’intimé en l’espèce.

16 L’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, où l’on trouve la définition du « droit maritime canadien », et l’art. 22 de la même loi confèrent à la Cour fédérale compétence en matière de droit maritime.

IV. Les jugements des juridictions inférieures

A. Cour fédérale ((2004), 247 F.T.R. 233, 2004 CF 227)

17 La juge Snider a estimé que, bien que l’incident soit survenu sur la terre ferme, le « manœuvrage » du bateau était suffisamment lié à la navigation et aux bâtiments ou navires pour relever du droit maritime. Elle a relevé quatre facteurs de rattachement : (1) les crochets du câble élastique avaient été fixés à un bateau; (2) le câble avait été utilisé pour assujettir le couvercle du moteur d’un bateau; (3) l’incident est survenu immédiatement après l’utilisation du bateau sur un lac; (4) l’incident s’est produit juste avant le transport du bateau vers un autre lac.

B. Cour d’appel fédérale ([2005] 4 R.C.F. 563, 2005 CAF 161)

18 S’exprimant au nom de la majorité de la cour, le juge Nadon a conclu, au par. 20, que « le lancement d’un bateau de plaisance dans un lac et son retrait de l’eau après une journée de navigation constituent des activités terrestres qui sont suffisamment rattachées à la navigation de plaisance » pour que l’affaire relève du droit maritime. Alors que les navires commerciaux demeurent normalement dans l’eau, il est courant qu’un bateau de plaisance soit sorti de l’eau. En l’espèce, le délit civil imputé est survenu près de la rampe de mise à l’eau, peu après que le bateau eût été sorti de l’eau. Comme l’intimé voulait ramener le bateau à son lieu habituel d’amarrage, il fallait assujettir le couvercle du moteur. Les gestes accomplis par l’intimé faisaient donc, selon le juge Nadon, partie intégrante de l’opération consistant à sortir le bateau de l’eau.

19 Pour le juge Décary, dissident, le fait que l’événement impliquait un bateau de plaisance ne l’avait pas transformé en un incident maritime. À son avis, l’élément important n’était pas tant le fait qu’un navire était concerné que l’endroit où l’événement s’était produit et la « nature véritable » de celui‑ci. Il a conclu que l’action en justice ne relevait pas du droit maritime canadien.

V. L’analyse

20 Le partage des compétences législatives est au cœur de la question en litige. Le droit maritime relève du pouvoir de légiférer attribué au Parlement en matière de navigation et de bâtiments ou navires par le par. 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 : voir ITO — International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752, p. 777; Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273, p. 1290. Dans ITO, le juge McIntyre a confirmé que le champ d’application du droit maritime fédéral est limité par le partage constitutionnel des compétences établi par la Loi constitutionnelle de 1867. Il a écrit ceci à la p. 774 :

En réalité, l’étendue du droit maritime canadien n’est limitée que par le partage constitutionnel des compétences établi par la Loi constitutionnelle de 1867. Je n’ignore pas, en tirant cette conclusion, que la cour, en déterminant si une affaire donnée soulève une question maritime ou d’amirauté, doit éviter d’empiéter sur ce qui constitue, de par son caractère véritable, une matière d’une nature locale mettant en cause la propriété et les droits civils ou toute autre question qui relève essentiellement de la compétence exclusive de la province en vertu de l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Il est donc important de démontrer que la question examinée dans chaque cas est entièrement liée aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale.

21 Comme l’ont affirmé les juges Iacobucci et Major au par. 73 de l’arrêt Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437, la question de savoir si une action relève du droit maritime fédéral — à savoir de la navigation et des bâtiments ou navires — requiert l’examen du contexte factuel de cette action. En l’espèce, le contexte factuel de l’action des appelants consiste dans la négligence dont l’intimé aurait fait preuve lorsqu’il a utilisé un câble élastique en préparant son bateau pour le transporter sur les routes de l’Ontario. Il faut décider si cette affaire relève de la compétence du Parlement en matière de navigation et de bâtiments ou navires, ou de la compétence reconnue aux provinces à l’égard de la propriété et des droits civils par le par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867. Il s’agit, pour l’essentiel, de tracer une ligne de démarcation.

22 La navigation commerciale est traditionnellement considérée comme relevant de la compétence du Parlement sur la navigation et les bâtiments ou navires. Les contrats de transport maritime visent non seulement le transport en toute sécurité de marchandises par voie maritime, mais également le déplacement des marchandises lors des chargements et déchargements du navire. Ce sont ces réalités commerciales qui, dans l’arrêt ITO, ont amené le juge McIntyre à conclure que l’entreposage à court terme effectué par l’entreprise d’acconage dans la zone portuaire et prévu par le contrat de transport de marchandises par mer relevait de la compétence du Parlement sur les bâtiments ou navires. Comme l’a indiqué le juge McIntyre à la p. 775, il y avait un « rapport étroit existant en pratique entre le transit et l’exécution du contrat ».

23 —tant donné que le présent pourvoi porte sur l’éventuelle responsabilité délictuelle du propriétaire d’une embarcation de plaisance, les considérations relatives aux bâtiments ou navires dont le juge McIntyre devait tenir compte dans son analyse de l’affaire ITO y sont étrangères. C’est de navigation dont il est question en l’espèce. Dans l’arrêt Whitbread, notre Cour a conclu que le Parlement doit, par nécessité pratique, être compétent en matière de responsabilité délictuelle découlant de la conduite négligente de bateaux de plaisance sur les voies navigables du Canada. Comme les navires commerciaux et les navires de plaisance partagent le même réseau de navigation dans l’ensemble du Canada, il est souhaitable de leur appliquer un régime juridique fédéral uniforme en matière de « règles de barre et de route » et de « règles [de] bonne navigation », et à l’égard de toute responsabilité délictuelle liée à l’utilisation des voies navigables : voir Whitbread, p. 1295-1296.

24 Le Parlement n’a pas compétence sur les bateaux de plaisance comme tels. La seule implication d’un bateau de plaisance dans un incident ne saurait fonder la compétence du fédéral à cet égard. Dans les litiges comme celui qui nous occupe, le tribunal doit plutôt examiner les actes prétendument négligents reprochés et déterminer s’ils faisaient partie intégrante de la conduite du bateau de plaisance sur les voies navigables canadiennes de telle sorte qu’il est nécessaire en pratique que le Parlement ait compétence en la matière. Comme l’accent est mis sur les actes qui constituent le fondement de l’action pour négligence, le lieu et le moment où ces actes ont été faits ne sont pas déterminants.

25 Le juge Nadon a souligné que la sortie de l’eau des bateaux de plaisance est chose courante. Je conviens avec lui que la mise à l’eau et la sortie de l’eau des bateaux de plaisance relèvent de la compétence du Parlement en matière de navigation. Ces opérations, qui sont nécessaires à la navigation de ces embarcations, peuvent être effectuées dans les eaux canadiennes. Un régime juridique fédéral uniforme applicable à la mise à l’eau et à la sortie de l’eau des bateaux de plaisance est nécessaire en pratique, puisque ces opérations peuvent constituer un danger pour les autres bateaux utilisant les voies navigables et entraver leur navigation. Qui plus est, la norme de diligence applicable à ces opérations, qu’elle découle des règles sur la navigation de plaisance ou du droit relatif à la négligence, est propre au contexte maritime.

26 Je ne puis cependant souscrire à la conclusion du juge Nadon selon laquelle l’arrimage du couvercle du moteur faisait partie intégrante de l’opération de sortie de l’eau. Les actions de l’intimé n’avaient rien à voir avec la navigation du bateau sur l’eau, et tout à voir avec la préparation du bateau en vue de son transport sur les routes de l’Ontario. Lorsqu’on préparait le bateau pour son transport sur route, celui‑ci ne différait en rien de tout autre objet transporté sur la route. Ce sont les législatures provinciales qui ont compétence en matière de transport d’objets sur les routes provinciales. Le fait que l’objet transporté soit un bateau n’a pas pour effet de faire relever du droit fédéral un litige qui, de par son caractère véritable, relève du droit provincial.

27 On utilise souvent des câbles élastiques ou d’autres dispositifs pour arrimer des objets avant leur transport sur la route, et ce, afin d’éviter qu’ils s’endommagent au cours du transport ou ne constituent un danger pour les autres usagers de la route. Le droit relatif à la norme de diligence et à la responsabilité de l’intimé dans la présente affaire devrait être le droit applicable aux autres usagers de la route en Ontario qui font des préparatifs en vue du transport de quelque objet. En fait, ce sont les autres usagers de la route qui sont susceptibles d’entrer en collision avec un bateau remorqué ou des objets mal arrimés, ou de subir un préjudice quelconque lié à la présence de ceux‑ci sur la route. Il serait insolite que le droit provincial s’applique au transport d’autres biens sur les routes de l’Ontario, mais que le droit maritime soit applicable lorsque le bien en question est un bateau.

28 Je souscris pour l’essentiel à l’analyse du juge Décary, qu’il a résumée ainsi au par. 98 de ses motifs dissidents :

[L’incident] s’est produit sur la terre ferme. Les lésions ont été causées sur la terre ferme par une personne qui n’était ni sur le bateau ni dans l’eau. Il n’y a aucun contrat de transport de marchandises par mer. Il n’y a pas de cargaison en cause. Rien ne s’est produit sur l’eau dont on pourrait dire qu’il est directement, voire indirectement, rattaché à l’accident. La navigabilité du navire n’est pas en cause, la question étant au mieux celle de savoir si un bateau préparé sur la terre ferme pour un transport par route était apte à un tel transport. Il n’y a aucune procédure in rem. Il n’y a aucun débat portant sur la bonne navigation. Il n’y a pas de lois, de règles, de principes ou de pratiques en matière d’amirauté qui soient applicables. L’accident est sans rapport avec la navigation, ou avec les expéditions par eau. Il n’y a aucune nécessité pratique d’une loi fédérale uniforme fixant la manière d’empêcher la bâche d’un moteur de claquer au vent lorsqu’un bateau de plaisance est transporté sur la terre ferme dans une remorque. Le seul facteur pouvant établir un lien avec le droit maritime est le fait que le bateau de plaisance venait d’être sorti de l’eau et qu’on s’affairait à l’arrimer sur la remorque lorsque l’accident est arrivé. Cela ne suffit pas manifestement à constituer un lien intégral avec la navigation et la marine marchande et à justifier un empiétement sur la propriété et les droits civils. [Souligné dans l’original.]

VI. Conclusion

29 Pour ces motifs, je conclus que les actes prétendument négligents à l’origine des blessures subies par le Dr Simms sont régis par le droit provincial. Comme le litige ne relève pas de la compétence du Parlement, ce dernier ne saurait conférer à la Cour fédérale compétence à l’égard du litige, ni prétendre réglementer la responsabilité de l’intimé.

30 Le pourvoi est accueilli avec dépens devant notre Cour et devant les juridictions inférieures.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs des appelants : Thomson, Rogers, Toronto.

Procureurs de l’intimé : Adair Morse, Toronto.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit maritime - Champ d’application - Embarcation de plaisance - Limitation de responsabilité - Préparation d’un bateau en vue de son transport par route - Utilisation par le propriétaire du bateau d’un câble élastique pour fixer le couvercle du moteur - Blessures subies par le demandeur lorsqu’il a reçu dans l’œil un crochet en métal se trouvant à l’extrémité du câble élastique - Action en dommages-intérêts intentée par le demandeur contre le propriétaire du bateau - La disposition de limitation de la responsabilité figurant dans une loi fédérale concernant la marine marchande est-elle applicable? - La créance du demandeur relève‑t‑elle du champ d’application du droit maritime fédéral? - Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. 1985, ch. S‑9, art. 577.

Droit constitutionnel - Partage des compétences - Navigation et bâtiments ou navires - Champ d’application - Embarcation de plaisance - Préparation d’un bateau en vue de son transport par route - Utilisation par le propriétaire du bateau d’un câble élastique pour fixer le couvercle du moteur - Blessures subies par le demandeur lorsqu’il a reçu dans l’œil un crochet en métal se trouvant à l’extrémité du câble élastique - Bénéfice de la disposition de limitation de la responsabilité figurant dans une loi fédérale concernant les bâtiments et navires invoqué par le propriétaire du bateau - La question relève‑t‑elle du pouvoir de légiférer du fédéral sur la navigation et les bâtiments ou navires ou du pouvoir de la province de légiférer sur la propriété et les droits civils? - Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(10), 92(13).

Après une journée de navigation de plaisance sur le lac, S et I ont sorti le bateau de l’eau, l’ont placé sur la remorque et ont entrepris, dans un stationnement situé près du lac, de le préparer en vue de son transport sur la route. I, le propriétaire du bateau, était à assujettir le couvercle du moteur au moyen d’un câble élastique quand celui‑ci a glissé de ses doigts et frappé S, le blessant à l’œil. S et son épouse ont intenté une action en dommages‑intérêts pour blessures corporelles de 2,2 millions de dollars en Cour supérieure de justice de l’Ontario. I a nié toute responsabilité et a demandé à la Cour fédérale un jugement déclarant que, s’il était jugé responsable, sa responsabilité se limiterait à un million de dollars conformément à l’art. 577 de la Loi sur la marine marchande du Canada. La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale, à la majorité, ont toutes deux conclu que l’action en justice relevait du droit maritime et était assujettie à la limitation de responsabilité prévue à l’art. 577.

Arrêt : Le pourvoi est accueilli.

Les actes prétendument négligents à l’origine des lésions de S ne sont pas régis par le droit maritime fédéral mais, au contraire, par le droit provincial. Par conséquent, la Loi sur la marine marchande du Canada n’est pas constitutionnellement applicable en l’espèce et I ne peut invoquer la clause de limitation de responsabilité prévue par cette loi. Bien que le pouvoir de légiférer que possède le Parlement à l’égard de la navigation et des bâtiments ou navires en vertu du par. 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 lui confère compétence en matière de responsabilité délictuelle découlant de la négligence dont se rendent coupables sur les voies navigables du Canada les propriétaires d’embarcation de plaisance dans la mise à l’eau, la navigation et la sortie de l’eau de telles embarcations, la seule implication d’un bateau de plaisance dans un incident ne saurait fonder la compétence du fédéral sur celui‑ci. Le tribunal doit plutôt examiner le contexte factuel des actes prétendument négligents reprochés et déterminer s’ils faisaient partie intégrante de la conduite du bateau de plaisance sur les voies navigables canadiennes de telle sorte qu’il est nécessaire en pratique que le Parlement ait compétence en la matière. En l’espèce, l’assujettissement du couvercle du moteur en vue du transport du bateau sur la route n’avait rien à voir avec la navigation de celui-ci sur l’eau, et tout à voir avec la préparation du bateau en vue de son transport sur les routes de l’Ontario. Une fois le bateau préparé pour son transport sur route, il ne différait en rien de tout autre objet transporté sur la route et c’est la législature provinciale qui a compétence. Le droit relatif à la norme de diligence et à la responsabilité de I dans la présente affaire devrait donc être le droit applicable aux autres usagers de la route en Ontario qui font des préparatifs en vue du transport de quelque objet. [5] [22‑27]


Parties
Demandeurs : Isen
Défendeurs : Simms

Références :

Jurisprudence
Arrêts appliqués : Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273
Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437
arrêt mentionné : ITO — International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752.
Lois et règlements cités
Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(10), 92(13).
Loi modifiant la Loi sur la marine marchande du Canada (responsabilité en matière maritime), L.C. 1998, ch. 6, art. 2.
Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. 1985, ch. S-9 [mod. 1998, ch. 6], art. 2, 576(3), 577, 581.
Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6, art. 28(1)a).
Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, ch. F.3.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, art. 2, 22.

Proposition de citation de la décision: Isen c. Simms, 2006 CSC 41 (5 octobre 2006)


Origine de la décision
Date de la décision : 05/10/2006
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2006 CSC 41 ?
Numéro d'affaire : 31026
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2006-10-05;2006.csc.41 ?
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