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13/10/2006 | CANADA | N°2006_CSC_45

Canada | Walker c. Ritchie, 2006 CSC 45 (13 octobre 2006)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Walker c. Ritchie, [2006] 2 R.C.S. 428, 2006 CSC 45

Date : 20061013

Dossier : 31001

Entre :

Donald J. Ritchie et Harold Marcus Limited

Appelants

et

Stephanie Suzanne Walker, Gary Walker, Rosemary Walker,

Laura Walker, Alyssa Walker et Christine Walker, une mineure

représentée par son tuteur à l’instance, Gary Walker

Intimés

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron

et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 43)

Le juge Rothstein (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarac...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Walker c. Ritchie, [2006] 2 R.C.S. 428, 2006 CSC 45

Date : 20061013

Dossier : 31001

Entre :

Donald J. Ritchie et Harold Marcus Limited

Appelants

et

Stephanie Suzanne Walker, Gary Walker, Rosemary Walker,

Laura Walker, Alyssa Walker et Christine Walker, une mineure

représentée par son tuteur à l’instance, Gary Walker

Intimés

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 43)

Le juge Rothstein (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron)

______________________________

Walker c. Ritchie, [2006] 2 R.C.S. 428, 2006 CSC 45

Donald J. Ritchie et Harold Marcus Limited Appelants

c.

Stephanie Suzanne Walker, Gary Walker, Rosemary Walker,

Laura Walker, Alyssa Walker et Christine Walker, une mineure

représentée par son tuteur à l’instance, Gary Walker Intimés

Répertorié : Walker c. Ritchie

Référence neutre : 2006 CSC 45.

No du greffe : 31001.

2006 : 10 mai; 2006 : 13 octobre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Catzman, Gillese et Lang) (2005), 197 O.A.C. 81, 25 C.C.L.I. (4th) 60, 31 C.C.L.T. (3d) 205, 12 C.P.C. (6th) 51, [2005] O.J. No. 1600 (QL), qui a infirmé en partie une décision du juge Brockenshire (2004), 2 C.P.C. (6th) 163, [2004] O.J. No. 787 (QL). Pourvoi accueilli.

Earl A. Cherniak, c.r., et Andra L. Maxwell‑Baker, pour les appelants.

Ronald G. Slaght, c.r., et Rebecca Jones, pour les intimés.

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge Rothstein —

I. Introduction

1 Le présent appel concerne le bien‑fondé de la majoration des dépens payables aux demandeurs par les défendeurs ayant succombé pour tenir compte du risque de non‑paiement qu’a couru, pendant toute la durée du litige, l’avocat des premiers, lesquels étaient impécunieux, sans ressources. La Cour est appelée à décider si ce risque constituait un facteur pertinent pour l’application des règles qui régissaient l’adjudication des dépens en Ontario au moment où ceux‑ci ont été adjugés en l’espèce. Je conclus qu’il ne s’agissait pas d’un facteur pertinent.

II. Les faits

2 Stephanie Walker a subi des blessures graves par suite d’un accident d’automobile. Madame Walker et sa famille (les « demandeurs ») ont poursuivi Donald Ritchie, un camionneur, ainsi que son employeur, Harold Marcus Limited (les « défendeurs »). Ces derniers ont nié leur responsabilité pendant toute la durée du litige et n’ont pas admis les faits. L’affaire a mis quatre ans avant d’être instruite et soulevait des questions que le juge du procès a qualifiées de complexes. Au cours de l’instance, les demandeurs ont présenté une offre de transaction sous le régime de la règle 49 des Règles de procédure civile de l’Ontario, R.R.O. 1990, Règl. 194. Les défendeurs ont rejeté cette offre.

3 À l’issue du procès, le tribunal a conclu à l’entière responsabilité des défendeurs. Le juge Brockenshire a accordé aux demandeurs des dommages‑intérêts de 5 168 317 $, incluant l’intérêt avant jugement. Comme cette somme excédait le montant de l’offre de transaction faite par les demandeurs sous le régime de la règle 49, ces derniers avaient droit, en vertu de cette règle, à des dépens d’indemnisation partielle jusqu’à la date de la signification de l’offre et à des dépens d’indemnisation substantielle à compter de cette date.

III. Les décisions des juridictions inférieures

A. Cour supérieure de justice de l’Ontario (2004), 2 C.P.C. (6th) 163

4 Après examen du mémoire de dépens soumis par les demandeurs, lequel comprenait des demandes d’honoraires et de débours pour chaque étape de l’instance, le juge Brockenshire a adjugé à ces derniers des dépens de 577 879,69 $, incluant la TPS, au titre des honoraires et des débours.

5 Bien que le juge Brockenshire ait signalé qu’un [traduction] « temps considérable avait été consacré à ce dossier » (par. 13), il a néanmoins estimé que les heures déclarées par l’avocat des demandeurs dans le mémoire de dépens étaient pour l’essentiel raisonnables. Cette conclusion reposait principalement sur le fait que l’instance avait été complexe et que le refus des défendeurs d’admettre les faits avait obligé les demandeurs à prouver chacune de leurs allégations. De plus, le juge Brockenshire a conclu qu’il y avait lieu, dans le cas de l’avocat principal, d’appliquer le taux horaire le plus élevé prévu par le tarif, tant pour les dépens d’indemnisation partielle que pour les dépens d’indemnisation substantielle, car, d’affirmer le juge, [traduction] « le tarif maximal s’applique aux avocats les plus expérimentés, dans les affaires les plus complexes et les plus importantes » (par. 18).

6 Le juge Brockenshire a également ordonné aux défendeurs de payer une prime de 192 600 $ incluant la TPS, parce que l’avocat des demandeurs avait occupé dans ce dossier pendant quatre ans sans être payé, en raison de l’impécuniosité des demandeurs, et que, comme les défendeurs n’avaient pas reconnu leur responsabilité, il avait couru le risque de ne toucher aucune rémunération. Compte tenu de ce risque et du résultat obtenu, le juge a estimé qu’il convenait d’accorder la prime.

B. Cour d’appel de l’Ontario (2005), 12 C.P.C. (6th) 51

7 Rendant l’arrêt unanime de la Cour d’appel, les juges Gillese et Lang ont confirmé la prime de risque de 192 600 $ accordée par le juge Brockenshire. La Cour d’appel de l’Ontario avait déjà maintenu le paiement d’une telle prime par un défendeur condamné à des dépens d’indemnisation substantielle : Lurtz c. Duchesne (2005), 194 O.A.C. 119. Les juges Gillese et Lang ont statué qu’un défendeur peut être condamné à payer une prime de risque dans les cas o— le demandeur a droit à des dépens d’indemnisation substantielle en vertu de la règle 49, mais ils ont écarté l’argument selon lequel une telle prime peut être octroyée lorsque le demandeur n’a droit qu’à des dépens d’indemnisation partielle.

8 Les juges Gillese et Lang de la Cour d’appel ont souligné que des primes de risque ne doivent être accordées que rarement. Une condamnation à une telle prime ne saurait être justifiée que dans les cas où il y a à la fois risque de non‑paiement et [traduction] « résultat exceptionnel ».

9 Ils ont décrit ainsi les caractéristiques que doit présenter le risque de non‑paiement : (1) le demandeur n’avait pas les ressources financières pour engager une instance longue et complexe; (2) l’avocat du demandeur a financé la poursuite; (3) le défendeur a nié sa responsabilité; (4) l’avocat du demandeur a assumé non seulement le risque que le versement de ses honoraires soit reporté mais également le risque de ne pas être payé du tout.

IV. Analyse

A. Développement des primes de risque dans les rapports entre les demandeurs et leurs avocats

10 Bien que la présente affaire ne concerne pas les conventions d’honoraires entre les avocats et leurs clients, certaines précisions sont quand même nécessaires à cet égard avant d’aborder la question de savoir si un défendeur dont la responsabilité à été retenue devrait payer une prime de risque.

11 Les honoraires que le client doit verser à son avocat peuvent être établis soit indépendamment de l’issue de l’affaire, soit en fonction du résultat obtenu. Les conventions d’honoraires conditionnels entre avocats et clients se rencontrent généralement lorsque le client est demandeur dans une affaire pouvant donner lieu à l’attribution de dommages‑intérêts. Si le demandeur est débouté de son action, l’avocat ne touche pas d’honoraires, mais si celle-ci est accueillie, il reçoit un pourcentage préétabli des dommages‑intérêts accordés ou des honoraires déterminés. En conséquence, l’avocat qui consacre du temps et engage des frais pour le compte de son client risque de n’être ni payé pour ses services ni remboursé pour ses dépenses si le client n’a pas gain de cause. Pour compenser ce risque, les honoraires conditionnels sont généralement plus élevés que ceux qui seraient payables par le client si l’avocat facturait ses services sans égard à l’issue de l’affaire.

12 Avant 2002, et à l’époque visée en l’espèce, les conventions d’honoraires conditionnels étaient interdites en Ontario. On considérait en effet qu’elles contrevenaient à la règle prohibant les pactes d’honoraires d’avocats, établie parce qu’il ne paraissait pas souhaitable qu’un avocat ait un intérêt pécuniaire dans l’issue de l’instance de son client. Dans le but de favoriser l’accès à la justice, les conventions d’honoraires conditionnels sont désormais permises en Ontario, mais elles sont réglementées par la Loi sur les procureurs, L.R.O. 1990, ch. S.15 (modifiée par L.O. 2002, ch. 24, ann. A). Voir également McIntyre Estate c. Ontario (Attorney General) (2002), 61 O.R. (3d) 257 (C.A.).

13 Même avant l’introduction des conventions d’honoraires conditionnels, il arrivait quand même que des avocats représentent des demandeurs impécunieux. Toutefois, l’impécuniosité de ces clients pouvait rendre futile tout effort de recouvrement de la créance pour honoraires et débours. Par ailleurs, lorsque des dommages‑intérêts étaient accordés, le client avait alors les moyens de rémunérer son avocat. Dans Stribbell c. Bhalla (1990), 73 O.R. (2d) 748 (H.C.J.), le juge Osborne (plus tard juge en chef adjoint de l’Ontario) a statué qu’un demandeur impécunieux qui payait les honoraires de son avocat sur les dommages‑intérêts que lui avait accordés le tribunal ne concluait pas de pacte illicite. Selon lui, ce mode de rémunération s’imposait pour que la justice soit accessible et pour que des actions méritant d’être instruites soient menées par des avocats compétents.

14 Dans Desmoulin (Committee of) c. Blair (1994), 21 O.R. (3d) 217 (C.A.), le juge Austin a maintenu la prime de risque payable par le demandeur sur les dommages‑intérêts obtenus par celui‑ci. Ce demandeur était impécunieux. Son avocat, qui l’avait représenté sans être payé dans une longue action en dommages‑intérêts pour préjudice corporel, avait obtenu une somme substantielle pour son client, à la suite de quoi il lui avait présenté une note d’honoraires comportant une somme excédant son tarif horaire. L’avocat avait ajouté cette prime pour tenir compte du risque de non‑paiement qu’il avait couru. Le juge Austin a conclu que la prime était justifiée, car il convenait d’encourager les avocats, par des moyens appropriés, à représenter des demandeurs démunis. Dans cette affaire, bien qu’inadmissible à l’aide juridique, le demandeur n’aurait par ailleurs pas pu financer autrement le litige, puisque les conventions d’honoraires conditionnels étaient alors interdites en Ontario. Le juge a souligné que les primes ne devaient être imposées que dans le cas où il [traduction] « existait un risque très réel de décision défavorable sur la question de la responsabilité » : Desmoulin, p. 223.

15 Comme il a été mentionné, les conventions d’honoraires conditionnels n’étaient pas permises lorsque l’avocat des demandeurs a accepté de représenter ceux‑ci en l’espèce. Le juge de première instance a estimé que, malgré le fait que les défendeurs niaient toute responsabilité, l’avocat des demandeurs s’était occupé de leur dossier pendant les quatre années qu’a duré le litige, et ce, sans rémunération vu l’impécuniosité de ses clients. Suivant l’arrêt Desmoulin, il semble que l’avocat des demandeurs puisse avoir eu droit d’exiger de ceux‑ci le paiement d’une prime de risque.

16 Le bien‑fondé des primes de risque demandées par les avocats à leurs clients n’est pas remis en cause dans le présent pourvoi. Il s’agit plutôt de décider si les dépens payables par les défendeurs ayant succombé doivent être majorés pour tenir compte du risque de non‑paiement couru par l’avocat des demandeurs.

B. Les règles relatives aux dépens en Ontario pendant la période pertinente

17 Les décisions des juges de première instance concernant les dépens appellent un degré élevé de déférence (Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, [2003] 3 R.C.S. 371, 2003 CSC 71, par. 42‑43; Hamilton c. Open Window Bakery Ltd., [2004] 1 R.C.S. 303, 2004 CSC 9, par. 27). Toutefois, comme l’a déclaré le juge LeBel au par. 43 de l’arrêt Bande indienne Okanagan : « Une cour d'appel peut et doit intervenir lorsqu'elle estime que le juge de première instance s'est fondé sur des considérations erronées en ce qui concerne le droit applicable ». En l’espèce, la Cour doit examiner le droit applicable en matière de dépens en Ontario.

18 Les tribunaux ontariens possèdent, en matière de dépens, un pouvoir discrétionnaire, mais ce pouvoir n’est toutefois pas absolu. Le paragraphe 131(1) de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43, prévoit ce qui suit :

131 (1) Sous réserve des dispositions d’une loi ou des règles de pratique, les dépens de l’instance ou d’une mesure prise dans le cadre de celle‑ci, et qui sont accessoires à l’instance ou à la mesure, ceux qui les paient et la part qui incombe à chacun relèvent du pouvoir discrétionnaire du tribunal.

19 En conséquence, pour décider si le risque de non‑paiement qu’a couru l’avocat des demandeurs pouvait à bon droit être pris en considération, il faut examiner les principes régissant l’établissement des dépens, lesquels sont énoncés dans les Règles de procédure civile de l’Ontario.

20 Les facteurs que le tribunal peut prendre en considération dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’adjudication des dépens sont énumérés à la règle 57.01(1), qui était rédigée ainsi à la date où les dépens ont été adjugés en l’espèce :

57.01 (1) Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’adjudication des dépens que lui confère l’article 131 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, le tribunal peut prendre en considération, outre le résultat de l’instance et l’offre de transaction ou de contribution présentée par écrit :

a) le montant demandé dans l’instance et le montant obtenu;

b) le partage de la responsabilité;

c) le degré de complexité de l’instance;

d) l’importance des questions en litige;

e) la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance;

f) une mesure prise dans l’instance qui :

(i) était irrégulière, vexatoire ou inutile,

(ii) l’a été par négligence, erreur ou prudence excessive;

g) la dénégation, par une partie, d’un fait qui aurait dû être reconnu ou son refus de reconnaître un tel fait;

h) l’opportunité de condamner aux dépens d’une ou de plusieurs instances, si une partie :

(i) a introduit des instances distinctes relativement à des demandes qui auraient dû être jointes dans une seule instance,

(ii) a séparé inutilement sa défense de celle d’une autre partie ayant le même intérêt ou s’est fait représenter par un procureur distinct;

i) les autres facteurs pertinents à la question des dépens.

21 La règle 57.01(1) guide le tribunal dans la détermination du montant des dépens. Bien que l’indemnisation constitue depuis toujours l’un des principes fondamentaux de l’adjudication des dépens, les règles applicables à l’époque pertinente ne prévoyaient pas l’indemnisation intégrale. La partie ayant droit aux dépens ne pouvait pas simplement se contenter d’envoyer le compte d’honoraires et de débours de son avocat à l’autre partie. La somme qu’elle recevait à titre d’indemnité était plutôt établie en fonction des facteurs énumérés à la règle 57.01(1) et au tarif. La règle 57.01(3) était ainsi libellée : « Lorsque le tribunal adjuge les dépens, il fixe ceux‑ci conformément au paragraphe (1) et aux tarifs. »

22 À la date où les dépens ont été fixés en l’espèce, la section du tarif se rapportant aux honoraires comportait une grille de dépens composée de deux barèmes : le « barème d’indemnisation partielle » et le « barème d’indemnisation substantielle ». Chaque barème établissait les taux horaires ou quotidiens maximaux applicables aux diverses étapes d’une instance, en fonction de l’expérience et de l’expertise de l’avocat.

23 Suivant la règle 49, lorsque le demandeur qui a présenté une offre de transaction obtient un jugement aussi favorable, ou plus favorable, que cette offre, il a droit aux dépens d’indemnisation partielle jusqu’à la date de l’offre et aux dépens d’indemnisation substantielle à compter de cette date, sauf ordonnance contraire du tribunal. La règle 49 agit ainsi comme une mesure propre à inciter le défendeur à transiger lorsqu’une offre raisonnable lui est présentée. Toutefois, cet incitatif joue dans les deux sens. Si un défendeur présente une offre de transaction et que le demandeur obtient un jugement aussi favorable, ou moins favorable que l’offre en question, le demandeur a droit aux dépens d’indemnisation partielle jusqu’à la date de signification de l’offre, mais le défendeur ayant succombé a droit aux dépens d’indemnisation partielle à compter de la date de l’offre, sauf ordonnance contraire du tribunal. Voici le texte des par. (1) et (2) de la règle 49.10 :

49.10 (1) Si une offre de transaction :

a) est présentée par un demandeur au moins sept jours avant le début de l’audience;

b) n’est pas retirée et n’expire pas avant le début de l’audience;

c) n’est pas acceptée par le défendeur,

et que le demandeur obtient un jugement aussi favorable, ou plus favorable, que les conditions de l’offre, il a droit aux dépens d’indemnisation partielle à la date de la signification de l’offre et aux dépens d’indemnisation substantielle à compter de cette date, sauf ordonnance contraire du tribunal.

(2) Si une offre de transaction :

a) est présentée par un défendeur au moins sept jours avant le début de l’audience;

b) n’est pas retirée et n’expire pas avant le début de l’audience;

c) n’est pas acceptée par le demandeur,

et que le demandeur obtient un jugement aussi favorable, ou moins favorable, que les conditions de l’offre, le demandeur a droit aux dépens d’indemnisation partielle à la date de la signification de l’offre et le défendeur a droit aux dépens d’indemnisation partielle à compter de cette date, sauf ordonnance contraire du tribunal.

C. Le risque de non‑paiement couru par l’avocat d’un demandeur est‑il un facteur visé la règle 57.01(1)i)?

24 Le risque de non‑paiement couru par l’avocat d’un demandeur n’est pas un facteur énuméré à la règle 57.01(1). Peut‑on considérer qu’il s’agit néanmoins d’un « autr[e] facteu[r] pertinen[t] à la question des dépens » au sens de l’al. i)? Bien que ces mots aient une large portée, je conclus du régime établi par la règle 57.01(1) que cette portée n’est pas illimitée. Si le tribunal jouissait d’un pouvoir discrétionnaire illimité en matière d’adjudication de dépens, il n’aurait pas été nécessaire d’édicter les al. a) à h). Je pense plutôt que les facteurs énumérés à ces alinéas donnent des indications sur les éléments qui peuvent être considérés comme pertinents au sens de l’al. i).

25 En effet, la maxime latine ejusdem generis ou règle des choses de même ordre constitue un outil utile lorsqu’un tribunal doit dégager l’intention du législateur dans le cas d’une énumération complétée par un terme générique. Comme l’explique R. Sullivan de Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4e éd. 2002), p. 175‑177, le genre ou la catégorie des termes de l’énumération peuvent restreindre la portée du terme générique. En l’espèce, il ressort de l’examen des facteurs expressément prévus par la disposition applicable au moment de l’adjudication des dépens que ces facteurs possédaient des caractéristiques communes.

26 Premièrement, les facteurs alors applicables peuvent être décrits comme neutres. Ils s’appliquaient indifféremment au demandeur ou au défendeur et ils avaient généralement pour effet de hausser ou de réduire le montant des dépens que l’une des parties était condamnée à payer. Le risque de non‑paiement couru par l’avocat du demandeur ne présente pas cette neutralité. En effet, la prise en considération de ce facteur ne peut que se traduire par l’augmentation des dépens adjugés contre le défendeur.

27 Deuxièmement, ces facteurs appartenaient à l’une ou l’autre de deux catégories. Ils se rapportaient soit à la nature de l’affaire soit à la conduite des parties pendant l’instance. Les parties à une instance connaissent la nature de celle‑ci et sont maîtres de leur conduite pendant son déroulement. Par conséquent, elles sont en mesure de prévoir, de façon générale, comment ces facteurs pourraient jouer si elles étaient condamnées aux dépens et elles peuvent, à partir de là, décider s’il convient de transiger ou de poursuivre l’instance. La prime de risque, elle, procède d’une entente financière entre un demandeur et son avocat. Ce n’est pas un fait dont le défendeur connaît généralement l’existence ou qu’il a le droit de savoir. Elle n’entre ni dans la catégorie de la connaissance ni dans celle de la conduite. Elle dépend de la situation financière du demandeur ou simplement de la convention intervenue entre celui‑ci et son avocat relativement aux honoraires.

28 L’application de la règle ejusdem generis tend à indiquer qu’il n’entrait pas dans l’intention des rédacteurs de l’al. i) d’inclure le risque de non‑paiement couru par l’avocat d’un demandeur ayant gain de cause dans les facteurs à considérer pour fixer les dépens que devra lui payer le défendeur. Les défendeurs qui succombent doivent pouvoir supposer qu’ils seront condamnés, au titre des dépens, à des sommes similaires à celles accordées dans des litiges analogues montrant des similarités relativement à la conduite des parties et aux avocats en présence, et ce, quels que soient les arrangements conclus par les demandeurs et leurs avocats.

29 Les juges Gillese et Lang de la Cour d’appel de l’Ontario ont conclu que, dans les cas où des dépens d’indemnisation partielle sont adjugés, la convention particulière intervenue entre un demandeur et son avocat ne doit pas être prise en considération. Par conséquent, une prime de risque ne pouvait être imposée à un autre défendeur ayant succombé en l’espèce. (En première instance, la Compagnie Mutuelle d'Assurance Wawanesa avait été condamnée à des dommages‑intérêts et à des dépens d’indemnisation partielle incluant une prime de risque. La Cour d’appel a infirmé la décision relative à la prime de risque et cet aspect de l’arrêt n’a pas été porté en appel devant notre Cour.) Au paragraphe 113 de leurs motifs, les juges ont écrit ceci :

[traduction] Un défendeur n’est pas au fait des ententes privées qu’ont conclues le demandeur et son avocat. Il n’est donc pas en mesure d’évaluer le risque qu’il court en s’engageant dans l’instance. Les défendeurs seraient incapables, au moment où ils doivent prendre une décision sur l’opportunité et les modalités d’une défense, d’estimer les dépens qu’ils pourraient être appelés à payer, car ceux‑ci dépendraient, en partie du moins, des moyens financiers du demandeur. Cette difficulté ne manquerait pas d’être exacerbée par le fait que bon nombre de demandeurs donneraient volontiers leur accord à quelque prime que ce soit si celle‑ci était à la charge de la partie qui succombe. Dans le cas où une partie peut penser de façon réaliste que le risque auquel elle s’expose, en matière de dépens, se limite à des dépens d’indemnisation partielle, les avocats ne devraient pas avoir à se demander si la composition habituelle des dépens ne gonflera pas du fait d’une entente privée entre l’autre partie et son avocat.

30 Je souscris à ce raisonnement. Toutefois, je ne vois pas pourquoi il ne s’appliquerait pas lorsque le tribunal adjuge, en vertu de la règle 49, des dépens d’indemnisation substantielle plutôt que des dépens d’indemnisation partielle. Les dépens d’indemnisation substantielle ont été définis comme étant tout simplement des dépens établis suivant un barème plus élevé que les dépens d’indemnisation partielle. Comme leur nom l’indique, ils ne visent pas à indemniser intégralement une partie de la somme qu’elle s’est engagée à verser à son avocat. Je ne vois donc pas pourquoi il faudrait traiter différemment la prime de risque selon qu’il s’agit de dépens d’indemnisation partielle ou de dépens d’indemnisation substantielle.

31 Dans Finlayson c. Roberts (2000), 136 O.A.C. 271 (C.A.), le juge Carthy a conclu qu’il n’y avait pas lieu d’inclure la prime de risque dans les dépens adjugés en application de la règle 49 contre le défendeur qui succombe. Il a dit ce qui suit au par. 25 :

[traduction] Une prime de risque ne cadre pas avec les facteurs de la règle 49, et elle est injuste pour le défendeur. À la date de l’offre de transaction, le risque afférent au refus concerne les dépens à intervenir, que l’expérience permet d’évaluer. Mais le défendeur ne connaît pas les ententes privées intervenues entre le demandeur et son avocat, et il lui est donc impossible de mesurer le risque découlant du refus de l’offre du demandeur. [. . .] En imposant [une prime de risque] au défendeur sous le régime de la règle 49, on fait perdre à cette règle sa vocation de promotion des règlements pour la rendre pénalisante à l’endroit des défendeurs qui ont refusé une offre, en les assujettissant à une obligation qui est peut-être tout à fait imprévue et dont le montant est inconnu. On introduit également une difficulté supplémentaire du fait que le demandeur moyen consentirait volontiers à toute prime qui serait payée par un assureur à l’avocat.

32 Dans Lurtz, la Cour d’appel a distingué l’affaire dont elle était saisie de l’affaire Finlayson, au motif que, dans la seconde, il y avait eu aveu de responsabilité et que la prime de risque résultait d’une entente et pas nécessairement de l’impécuniosité du demandeur. Cependant, je ne vois rien dans les motifs du juge Carthy qui aurait pour effet de limiter l’application de son raisonnement aux cas où la responsabilité est reconnue ou à ceux où l’entente concernant la prime de risque ne résulte pas de l’impécuniosité du demandeur. Selon mon interprétation de l’arrêt Finlayson, le raisonnement exposé dans celui‑ci peut et doit être appliqué à toute liquidation de dépens dans le cadre d’une offre de transaction fondée sur la règle 49. Le juge Carthy a tiré la conclusion suivante au par. 28 de Finlayson :

[traduction] Je conclus donc que ce qu’on appelle communément la « prime de risque » ne doit pas faire partie de dépens liquidés en application de la règle 49 sur la base avocat‑client.

L’analyse du juge Carthy, à laquelle je souscris pour l’essentiel, constitue un raisonnement solide expliquant pourquoi il ne faut pas inclure de prime de risque dans des dépens d’indemnisation substantielle adjugés en vertu de la règle 49.

33 Aux États‑Unis, on a rejeté la possibilité d’imposer une prime de risque aux défendeurs ayant succombé. Bien que les règles régissant les dépens aux États‑Unis et en Ontario fassent intervenir des considérations différentes, l’analyse relative au risque qu’a effectuée la Cour suprême des États‑Unis est instructive. Le juge Scalia, qui a formulé l’opinion majoritaire de la Cour dans l’arrêt City of Burlington c. Dague, 505 U.S. 557 (1992), a souligné que, lorsque la rémunération de l’avocat du demandeur dépend du succès obtenu par celui‑ci, le risque de non‑paiement assumé par l’avocat est en corrélation directe avec le risque que le demandeur n’ait pas gain de cause, risque qui, selon le juge Scalia, est fonction de deux facteurs : (1) le bien‑fondé factuel et juridique de la cause du demandeur; et (2) la difficulté d’établir ce bien‑fondé. Le juge a expliqué que l’adjudication de dépens contre le défendeur pour tenir compte du premier facteur entraîne des conséquences non souhaitables et que, comme le deuxième facteur de risque est déjà intégré aux dépens, il n’est pas nécessaire d’ajouter une prime.

34 À mon avis, le même raisonnement s’applique au régime ontarien en matière de dépens. S’agissant du bien‑fondé factuel et juridique d’une demande, plus une affaire est risquée pour le demandeur plus il est possible de lui opposer une défense. La menace d’une prime de risque pourrait donc pousser au règlement des défendeurs qui auraient par ailleurs des moyens de défense valables à invoquer. Une tendance accrue à régler de la sorte s’accompagnerait d’un effet indésirable : elle encouragerait les demandeurs à persister dans les actions les moins bien fondées. Encourager un tel comportement n’est pas un objectif que devraient favoriser les règles applicables en matière de dépens.

35 Pour ce qui est de la difficulté de démontrer le bien‑fondé en droit et en fait d’une demande, la complexité des questions juridiques et factuelles en cause dans une affaire donnée et le refus d’un défendeur de reconnaître sa responsabilité accroissent les difficultés de preuve, ce qui amplifie nécessairement le risque de résultat défavorable pour le demandeur et, de ce fait, le risque couru par l’avocat de celui‑ci, dont la rémunération est tributaire du résultat. Qui plus est, ces facteurs allongent souvent l’instance, forçant l’avocat du demandeur à consacrer davantage de temps à l’affaire, ce qui implique un investissement plus substantiel de sa part. Il se peut aussi que, pour mener à bon port une affaire complexe, il faille un avocat plus spécialisé ou plus expérimenté, dont les services sont plus dispendieux.

36 Toutefois, ces facteurs entrent déjà en ligne de compte dans l’adjudication des dépens. La complexité et la durée de l’instance, son résultat et le défaut de reconnaître un fait qui aurait dû l’être sont des facteurs énumérés à la règle 57.01(1), et l’expérience et l’expertise de l’avocat ont été prises en considération conformément au texte du tarif. D’ailleurs, en l’espèce, le juge de première instance a souligné que, bien que [traduction] « substantiels », les dépens adjugés étaient justes et raisonnables. L’examen de l’ensemble de ses motifs indique qu’il a tenu compte de tous les facteurs susmentionnés en adjugeant les dépens. On peut soutenir qu’en ajoutant la compensation supplémentaire que représenterait la prime de risque on se trouverait à faire compter ces facteurs deux fois dans l’adjudication des dépens contre un défendeur ayant succombé.

D. Le risque de non‑paiement peut‑il, pour des considérations fondées sur l’accès à la justice, constituer un facteur pertinent dans l’application de la règle 57.01(1)i)?

37 Les demandeurs ont fait valoir que l’octroi de primes de risque payables par les défendeurs encourage les avocats à accepter de représenter des parties impécunieuses et favorise, de ce fait, l’accès à la justice. Invoquant l’arrêt Bande indienne Okanagan, ils soutiennent que l’accès à la justice est une considération faisant du risque de non‑paiement un facteur pertinent pour l’application des règles de l’Ontario relatives aux dépens.

38 Cet arrêt concernait l’octroi d’une provision pour frais payable par le gouvernement à la bande indienne afin de lui permettre de financer le procès. Le juge LeBel a souligné qu’un défendeur ne devrait avoir le fardeau d’assurer l’accès à la justice de la partie adverse que dans des circonstances très exceptionnelles. L’une des exigences du critère est que le demandeur « ne dispose réalistement d’aucune autre source de financement lui permettant de soumettre les questions en cause au tribunal » : Bande indienne Okanagan, par. 40.

39 Les actions en dommages‑intérêts pour préjudice corporel offrent au demandeur impécunieux la possibilité de payer son avocat sur la somme qu’il recevra en cas de jugement favorable. Ainsi, l’avocat qui obtient gain de cause est défrayé des débours qu’il a effectués et il est payé pour les services qu’il a rendus, comme il l’aurait été sur une base régulière si son client avait eu les moyens de le rémunérer. Dans un tel cas, toutefois, non seulement l’avocat accepte‑t‑il d’être payé plus tard, mais il risque en outre de ne pas être payé du tout si le tribunal rejette l’action. Il faut donc un incitatif supplémentaire pour que les avocats acceptent de tels mandats. Autrement dit, l’avocat voudra être compensé pour avoir en plus financé la cause à ses risques.

40 C’est à ce besoin que les tribunaux ontariens ont, les premiers, voulu répondre en permettant aux avocats de demander une prime de risque. Maintenant, des dispositions législatives permettant aux avocats de demander des honoraires conditionnels répondent également à ce besoin : voir la Loi sur les procureurs et la Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, ch. 6. La possibilité de demander une prime de risque ou, maintenant, des honoraires conditionnels à leurs clients encourage les avocats chevronnés à représenter des demandeurs impécunieux. Ces sommes ne dépendent pas du montant que le demandeur recevra de la partie adverse au titre des dépens. C’est du client que doit venir l’encouragement, non de la partie adverse. La promotion de l’accès à la justice n’exige pas que le défendeur qui succombe ait à verser une prime au demandeur dans une action pour préjudice corporel.

41 Les demandeurs ont également soutenu que la prime de risque imposée à un défendeur est nécessaire pour assurer l’accès à la justice d’un demandeur impécunieux qui, même s’il a gain de cause, n’obtiendra que peu ou pas de dommages‑intérêts en raison de la nature de sa cause, mentionnons les contestations fondées sur la Charte canadienne des droits et libertés. Effectivement, en l’absence de possibilité que le client obtienne un jugement lui accordant des dommages‑intérêts substantiels sur lesquels celui‑ci pourrait payer les honoraires de son avocat, les avocats chevronnés sont peu incités à se charger de telles affaires. Néanmoins, il m’est difficile d’accorder beaucoup de poids à cet argument. Il existe d’autres solutions pour saisir la justice de telles affaires. Par exemple, le demandeur pourrait être admissible à l’aide juridique, recevoir des fonds d’une source privée pour financer la contestation, trouver un avocat qui accepterait de se charger bénévolement de sa cause ou, dans des cas exceptionnels, obtenir d’un tribunal une provision pour frais. Certes, il pourra arriver qu’un demandeur ne puisse se prévaloir d’aucune de ces mesures, mais les règles en matière de dépens ne sauraient atteindre la perfection. On ne peut justifier les primes de risque sur ce fondement.

V. Conclusion

42 Je conclus que, au moment où les dépens ont été adjugés en l’espèce, le risque de non‑paiement qu’a couru l’avocat des demandeurs ne constituait pas un facteur pertinent pour l’application de la règle 57.01(1). Le pourvoi est accueilli avec dépens, et la prime de 192 600 $ est annulée.

43 Les présents motifs s’appliquent au régime tel qu’il existait en Ontario lorsque les dépens ont été adjugés en l’espèce. Les règles ayant changé de diverses façons depuis, l’applicabilité au régime actuel du raisonnement formulé dans le présent jugement devra être déterminée par les tribunaux lorsque la question se posera.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs des appelants : Lerners, Toronto.

Procureurs des intimés : Lenczner Slaght Royce Smith Griffin, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : 2006 CSC 45 ?
Date de la décision : 13/10/2006
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Procédure civile - Dépens - Primes de risque - Avocat ayant représenté les demandeurs dans une longue action en dommages‑intérêts pour préjudice corporel sans être rémunéré en raison de l’impécuniosité de ses clients - Dénégation de responsabilité par les défendeurs - Les dépens payables aux demandeurs par les défendeurs ayant succombé peuvent‑ils être majorés pour tenir compte du risque de non‑paiement couru par l’avocat des demandeurs? - Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, règles 49, 57.01(1).

Dans une action pour préjudice corporel intentée par suite d’un accident d’automobile, l’avocat des demandeurs impécunieux s’est occupé de leur dossier sans rémunération pendant les quatre années qu’a duré le litige, et ce, malgré le fait que les défendeurs niaient toute responsabilité. Au cours de l’instance, les demandeurs ont présenté une offre de transaction sous le régime de la règle 49 des Règles de procédure civile de l’Ontario, mais les défendeurs ont rejeté cette offre. À l’issue du procès, le tribunal a conclu à la responsabilité des défendeurs. Comme la somme accordée aux demandeurs excédait le montant de l’offre de transaction fondée sur la règle 49, ces derniers avaient droit à des dépens d’indemnisation partielle jusqu’à la date de la signification de l’offre et à des dépens d’indemnisation substantielle à compter de cette date. Compte tenu du risque de non‑paiement couru par l’avocat des demandeurs et du résultat obtenu, le juge a estimé qu’il convenait d’accorder une prime de 192 600 $. La Cour d’appel de l’Ontario a maintenu la prime de risque accordée par le juge de première instance. Le bien‑fondé des primes de risque demandées par les avocats à leurs clients n’est pas remis en cause dans le présent pourvoi. Il s’agit plutôt de décider si les dépens payables aux demandeurs par les défendeurs ayant succombé doivent être majorés pour tenir compte du risque de non‑paiement couru par l’avocat des premiers.

Arrêt : Le pourvoi est accueilli.

La prime de risque est annulée. Le risque de non‑paiement qu’a couru l’avocat des demandeurs ne constituait pas un facteur pertinent pour l’application de la règle 57.01(1) des Règles de procédure civile de l’Ontario au moment où les dépens ont été adjugés en l’espèce. [42]

La règle 57.01(1) guide le tribunal dans la détermination du montant des dépens. Bien que l’indemnisation constitue l’un des principes fondamentaux de l’adjudication des dépens, les règles applicables à l’époque pertinente ne prévoyaient pas l’indemnisation intégrale. La somme accordée à une partie à titre d’indemnité était plutôt établie en fonction des facteurs énumérés à la règle 57.01(1) et au tarif. Le risque de non‑paiement couru par l’avocat d’un demandeur n’est pas un facteur énuméré à cette règle. Bien que les mots « autres facteurs pertinents à la question des dépens » à l’al. i) de la règle 57.01(1) aient une large portée, cette portée n’est pas illimitée. L’examen des facteurs expressément prévus par les al. a) à h) révèle qu’ils possèdent des caractéristiques communes et donne des indications sur les éléments qui peuvent être considérés comme pertinents au sens de l’al. i). Dans ce contexte, l’application de la règle des choses de même ordre tend à indiquer qu’il n’entrait pas dans l’intention des rédacteurs de l’al. i) d’inclure le risque de non‑paiement couru par l’avocat d’un demandeur ayant gain de cause dans les facteurs pertinents à considérer. Les défendeurs qui succombent doivent pouvoir supposer qu’ils seront condamnés, au titre des dépens, à des sommes similaires à celles accordées dans des litiges analogues montrant des similarités relativement à la conduite des parties et aux avocats en présence, et ce, quels que soient les arrangements conclus par les demandeurs concernés et leurs avocats, étant donné qu’un défendeur n’est pas au fait des ententes privées qu’ont conclues le demandeur et son avocat et n’est donc pas en mesure d’évaluer le risque qu’il court en s’engageant dans l’instance. Pour l’application de la règle 49, rien ne justifie de traiter différemment la prime de risque selon qu’il s’agit de dépens d’indemnisation partielle ou de dépens d’indemnisation substantielle. Enfin, la promotion de l’accès à la justice n’exige pas que le défendeur qui succombe ait à verser une prime au demandeur dans une action pour préjudice corporel. La possibilité qu’ont les avocats de demander une prime de risque ou, maintenant, des honoraires conditionnels à leurs clients encourage les avocats chevronnés à représenter des clients impécunieux. [24] [28] [30] [40]


Parties
Demandeurs : Walker
Défendeurs : Ritchie

Références :

Jurisprudence
Arrêt appliqué : Finlayson c. Roberts (2000), 136 O.A.C. 271
arrêt examiné : City of Burlington c. Dague, 505 U.S. 557 (1992)
arrêts mentionnés : Lurtz c. Duchesne (2005), 194 O.A.C. 119
McIntyre Estate c. Ontario (Attorney General) (2002), 61 O.R. (3d) 257
Stribbell c. Bhalla (1990), 73 O.R. (2d) 748
Desmoulin (Committee of) c. Blair (1994), 21 O.R. (3d) 217
Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, [2003] 3 R.C.S. 371, 2003 CSC 71
Hamilton c. Open Window Bakery Ltd., [2004] 1 R.C.S. 303, 2004 CSC 9.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés.
Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, ch. 6.
Loi sur les procureurs, L.R.O. 1990, ch. S.15 [mod. 2002, ch. 24, ann. A].
Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43, art. 131(1).
Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, règles 49, 49.10(1), (2), 57.01(1), (3).
Doctrine citée
Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed. Markham, Ont. : Butterworths, 2002.

Proposition de citation de la décision: Walker c. Ritchie, 2006 CSC 45 (13 octobre 2006)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2006-10-13;2006.csc.45 ?
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