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08/03/2007 | CANADA | N°2007_CSC_11

Canada | R. c. Spencer, 2007 CSC 11 (8 mars 2007)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Spencer, [2007] 1 R.C.S. 500, 2007 CSC 11

Date : 20070308

Dossier : 31365

Entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante

et

Brandon Shane Spencer

Intimé

Traduction française officielle

Coram : Bastarache, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 23)

Motifs dissidents :

(par. 24 à 51)

La juge Deschamps (avec l’accord des juges Bastarache, LeBel, Charron et Rothstein)

Le juge Fish (avec l’acco

rd de la juge Abella)

______________________________

R. c. Spencer, [2007] 1 R.C.S. 500, 2007 CSC 11

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Brandon Shane Spencer ...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Spencer, [2007] 1 R.C.S. 500, 2007 CSC 11

Date : 20070308

Dossier : 31365

Entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante

et

Brandon Shane Spencer

Intimé

Traduction française officielle

Coram : Bastarache, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 23)

Motifs dissidents :

(par. 24 à 51)

La juge Deschamps (avec l’accord des juges Bastarache, LeBel, Charron et Rothstein)

Le juge Fish (avec l’accord de la juge Abella)

______________________________

R. c. Spencer, [2007] 1 R.C.S. 500, 2007 CSC 11

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Brandon Shane Spencer Intimé

Répertorié : R. c. Spencer

Référence neutre : 2007 CSC 11.

No du greffe : 31365.

2006 : 17 octobre; 2007 : 8 mars.

Présents : Les juges Bastarache, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique

(le juge en chef Finch et les juges Donald et Hall) (2006), 223 B.C.A.C. 1, 369 W.A.C. 1, 207 C.C.C. (3d) 47, [2006] B.C.J. No. 366 (QL), 2006 BCCA 81, qui a infirmé en partie une décision du juge McKinnon, [2003] B.C.J. No. 3117 (QL), 2003 BCSC 805. Pourvoi accueilli, les juges Fish et Abella sont dissidents.

Beverly A. MacLean, pour l’appelante.

Joseph J. Blazina, pour l’intimé.

Version française du jugement des juges Bastarache, LeBel, Deschamps, Charron et Rothstein rendu par

1 La juge Deschamps — Le présent pourvoi porte sur l’admissibilité des déclarations faites par l’intimé à un policier. Je conclus que le juge du procès a correctement appliqué l’arrêt R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, 2000 CSC 38, lorsqu’il a admis les déclarations de l’accusé. Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir les déclarations de culpabilité.

1. Contexte factuel

2 L’intimé a été accusé de 18 vols qualifiés commis en Colombie‑Britannique entre le 12 novembre 1997 et le 29 août 2001. Le dernier vol a été commis par quatre hommes et l’un d’eux a tiré des coups de feu au moyen d’une arme de poing pendant qu’ils prenaient la fuite.

3 En fin de soirée le 1er septembre 2001, l’intimé a été arrêté alors qu’il était au volant d’un véhicule ayant servi à commettre trois des vols. La voiture était immatriculée au nom de sa petite amie, Tanya Harrison, qui a également été arrêtée le lendemain en rapport avec l’un des vols. Plus tard dans la soirée, l’exécution d’un mandat de perquisition dans la résidence qu’ils partageaient a permis de découvrir l’arme ayant servi lors du vol commis le 29 août 2001, ainsi que des montres et des bijoux volés à cette occasion.

4 Au procès, le ministère public s’est fondé sur les déclarations inculpatoires que l’intimé a faites à l’agent Parker de la GRC après son arrestation. Le 3 septembre 2001, alors que l’agent Parker conduisait l’intimé à sa cellule, ce dernier lui a demandé ce qui arrivait à Mme Harrison. L’agent Parker a répondu qu’il avait l’intention de recommander qu’ils soient tous les deux accusés d’avoir eu en leur possession l’arme de poing et les bijoux trouvés dans leur résidence. L’agent Parker a témoigné que l’intimé a alors insisté pour faire des déclarations, ce qu’il a alors fait. C’est l’admissibilité de ces déclarations qui est en litige dans le présent pourvoi.

5 L’intimé fait valoir deux raisons pour lesquelles la Cour devrait conclure que ses déclarations inculpatoires à l’agent Parker étaient involontaires et, partant, inadmissibles. Il aurait été encouragé à faire une confession par l’espoir d’obtenir la clémence pour Mme Harrison et par la promesse d’une rencontre avec elle. L’agent Parker a eu une longue entrevue avec l’intimé. Cette entrevue a été enregistrée sur bandes vidéo et une transcription de leurs propos a été versée au dossier. Vu le caractère hautement factuel de ce domaine du droit et la longueur de l’entrevue, la teneur des propos échangés est importante. De longs extraits sont reproduits en annexe, notamment ceux cités par les parties et dans les décisions des tribunaux inférieurs. L’entrevue a duré huit ou neuf heures. Le premier extrait pertinent rend compte des tentatives faites par l’intimé en vue d’obtenir un traitement plus clément pour Mme Harrison en échange d’une confession quant à divers vols, ainsi que des propos de l’agent Parker qui nie pouvoir conclure une entente. Le deuxième fait état des discussions concernant une rencontre avec Mme Harrison. L’entrevue a été interrompue après que l’intimé eût confessé certains vols. Ce dernier a alors pu rencontrer Mme Harrison, et à son retour, il a confessé les autres vols.

2. Historique des procédures judiciaires

6 Au terme d’un voir‑dire d’une durée de huit jours, le juge McKinnon de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, siégeant sans jury, s’est dit convaincu hors de tout doute raisonnable que les déclarations faites par l’intimé à l’agent Parker étaient volontaires et par conséquent admissibles ([2003] B.C.J. No. 751 (QL), 2003 BCSC 508). À l’issue d’un procès de 20 jours, l’intimé a été reconnu coupable des 18 vols qualifiés ([2003] B.C.J. No. 3117 (QL), 2003 BCSC 805).

7 Le juge du procès a traité séparément les deux arguments soulevés par l’intimé. Relativement aux demandes répétées de l’intimé visant à obtenir la clémence pour Mme Harrison, le juge du procès a conclu que [traduction] « [i]l n’y a nulle part une indication [d’une menace ou] d’une contrepartie » (voir‑dire, par. 16). Il a conclu que [traduction] « l’agent Parker n’a jamais dit à M. Spencer qu’aucune accusation ne serait portée contre Mme Harrison s’il passait aux aveux. L’agent Parker n’a pas non plus parlé d’obtenir un traitement clément pour Mme Harrison en retour d’une confession » (voir‑dire, par. 15). Le juge a fait remarquer que l’agent Parker s’était expressément défendu de pouvoir faire une telle promesse. Le juge McKinnon a signalé que l’agent Parker avait simplement [traduction] « fait appel au bon sens de M. Spencer et à sa connaissance du système de justice » (voir‑dire, par. 17). Il a également conclu que [traduction] « [l’] entrevue fait ressortir la frustration de l’accusé devant l’incapacité de l’agent Parker à lui proposer une entente » (voir‑dire, par. 19).

8 En ce qui concerne le fait que l’intimé a été autorisé à rencontrer Mme Harrison, le juge du procès a tiré les conclusions suivantes selon lesquelles cet « encouragement de moindre importance » n’avait pas eu d’incidence sur le caractère volontaire des déclarations :

[traduction] Permettre à M. Spencer de rencontrer sa petite amie seulement après qu’il ait vidé son sac constitue manifestement un encouragement. Le ministère public l’a d’ailleurs admis. C’est cependant un encouragement que je qualifierais d’« encouragement de moindre importance », du même type que l’offre d’assistance psychiatrique dont il est question dans l’arrêt Oickle. Il est nécessaire d’examiner l’ensemble des circonstances.

Il s’agit de déterminer si l’encouragement, à lui seul ou combiné à d’autres facteurs, est important au point de soulever un doute raisonnable quant à savoir si on a subjugué la volonté de l’accusé.

. . .

M. Spencer tente continuellement de soutirer une « entente » de l’agent Parker — une confession en échange d’une rencontre avec sa petite amie — mais ce dernier lui dit toujours qu’il ne peut pas conclure une telle entente. Certains de leurs propos, pris isolément, laissent croire qu’ils ont convenu d’échanger une confession contre une rencontre, mais lorsque j’examine l’ensemble de l’interrogatoire, il me semble évident que M. Spencer n’a jamais entretenu d’illusion quant à la conclusion d’une telle entente. . .

Même si le fait d’empêcher l’accusé de rencontrer sa petite amie jusqu’à ce qu’il ait fait, à tout le moins, une confession partielle constitue indéniablement un encouragement, cet encouragement n’a pas « subjugué » sa volonté.

(Voir‑dire, par. 29‑30 et 37‑38)

9 Les juges majoritaires de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique ont accueilli l’appel de l’intimé, concluant que le juge du procès avait commis une erreur [traduction] « en appliquant le mauvais critère dans son analyse de la preuve et en tenant compte de facteurs non pertinents » ((2006), 223 B.C.A.C. 1, 2006 BCCA 81, par. 2). Au nom de la majorité, le juge Donald a conclu expressément que le juge du procès avait eu tort de se fonder sur R. c. Paternak (1995), 101 C.C.C. (3d) 452 (C.A. Alb.), p. 461, infirmé pour d’autres motifs, [1996] 3 R.C.S. 607, et de [traduction] « tenir compte de facteurs non pertinents, à savoir la personne qui a proposé l’entente, l’attitude et le comportement de l’appelant et l’équilibre des forces, alors que la seule vraie question était celle de l’existence ou non d’une contrepartie » (par. 36). Selon le juge Hall, dissident, le juge du procès [traduction] « a analysé correctement les faits et le droit, et à mon avis, rien ne justifie que soient infirmées les conclusions tirées au terme du procès » (par. 91).

3. Analyse

10 Avec égards pour l’opinion de mes collègues, les conclusions de fait du juge du procès ne sont pas en litige; on ne demande pas à la Cour de réviser la conclusion selon laquelle l’agent Parker n’a pas promis un traitement plus favorable pour Mme Harrison. La question en l’espèce est de savoir si le juge du procès a appliqué le bon critère lorsqu’il a admis les déclarations faites par l’intimé à l’agent Parker. L’appelante soumet cette question de plein droit à la Cour en raison d’un désaccord à la Cour d’appel quant à savoir si le juge du procès a appliqué le bon critère juridique pour déterminer si les déclarations de l’accusé étaient admissibles.

3.1 Le droit régissant le caractère volontaire des déclarations

11 En common law, les déclarations faites par un accusé à une personne en situation d’autorité sont inadmissibles à moins qu’elles ne soient volontaires. Dans l’arrêt Oickle, notre Cour a énoncé le critère permettant de déterminer le caractère volontaire de telles déclarations. Cet arrêt a [traduction] « reformulé le droit relatif au caractère volontaire des confessions [. . .] Il a écarté le recours à des règles déterminées et strictes » : D. M. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence (4e éd. 2005), p. 290. Comme l’a expliqué le juge Iacobucci dans Oickle, au par. 27, la règle « s’attache plutôt à la question du caractère volontaire, considérée au sens large ». Il a également fait ressortir la nécessité d’une analyse contextuelle (par. 47) :

L’application de la règle est, par nécessité, contextuelle. Il n’y a tout simplement pas de règle simple et rigide qui permette de tenir compte des diverses circonstances susceptibles de vicier le caractère volontaire d’une confession; il en résulterait inévitablement une règle dont la portée serait à la fois trop large et trop restreinte. Par conséquent, le juge du procès doit tenir compte de tous les facteurs pertinents lorsqu’il examine une confession.

12 Dans l’arrêt Oickle, la Cour a reconnu qu’il faut tenir compte de plusieurs facteurs pour déterminer s’il existe un doute raisonnable quant au caractère volontaire d’une déclaration faite à une personne en situation d’autorité, y compris l’existence de menaces ou de promesses, l’oppression, la théorie de l’état d’esprit conscient et les ruses policières. Les menaces ou promesses, l’oppression et la théorie de l’état d’esprit conscient sont des éléments qui doivent être examinés globalement et ne doivent « pas être considéré[s] comme une enquête distincte, complètement dissociée du reste de la règle des confessions » (Oickle, par. 63). Par ailleurs, le recours par les « policiers [. . .] [à] des ruses » en vue d’obtenir une confession fait appel à « une analyse distincte [. . .] [qui] vise plus précisément à préserver l’intégrité du système de justice pénale » (par. 65).

13 En ce qui concerne les promesses, qui sont en cause dans le présent pourvoi, notre Cour a reconnu qu’il « n’est pas nécessaire qu[’elles] [. . .] visent directement le suspect pour avoir un effet coercitif » (Oickle, par. 51). Même si le juge Iacobucci a reconnu dans l’arrêt Oickle que l’existence d’une contrepartie est la « question la plus importante » lorsqu’il est allégué que des encouragements ont été offerts par une personne en situation d’autorité, il n’a pas conclu qu’elle est un facteur exclusif ou déterminant du caractère volontaire. Au contraire, le critère élaboré dans l’arrêt Oickle est « attentif aux particularités du suspect en cause » (par. 42) et son application « est, par nécessité, contextuelle » (par. 47). Qui plus est, dans l’arrêt Oickle, la Cour ne dit pas que toute offre de contrepartie faite par une personne en situation d’autorité, peu importe son importance, rend nécessairement involontaire la déclaration d’un accusé. Par exemple, le fait d’offrir une assistance psychiatrique ou psychologique, bien « qu’il s’agisse clairement d’un encouragement, [. . .] n’a pas autant de poids qu’une offre de clémence et il faut, dans un tel cas, tenir compte de l’ensemble des circonstances » (par. 50). Les encouragements « ne devien[nen]t inacceptable[s] que lorsque [. . .] — à eux seuls ou combinés à d’autres facteurs — [ils] sont importants au point de soulever un doute raisonnable quant à la question de savoir si on a subjugué la volonté du suspect » (par. 57).

14 Dans la mesure où il est possible d’affirmer qu’il existe en droit une distinction entre la « règle des confessions » dite traditionnelle établie par lord Sumner dans Ibrahim c. The King, [1914] A.C. 599 (C.P.), p. 609, et la décision de notre Cour dans Oickle, cette dernière doit prévaloir. J’estime cependant que la règle « stricte » élaborée par lord Sumner ne signifie pas que toute contrepartie rend automatiquement une déclaration involontaire. En fait, selon lord Sumner, pour qu’une déclaration soit admissible, elle ne doit pas avoir été [traduction] « obtenue de [l’accusé] par crainte d’un préjudice ou dans l’espoir d’un avantage ». Dans la décision subséquente Director of Public Prosecutions c. Ping Lin, [1976] A.C. 574 (H.L.), p. 595, lord Morris a soulevé la question suivante : [traduction] « l’accusé a‑t‑il été incité ou amené à faire une déclaration par suite d’une chose dite ou faite par une personne en situation d’autorité ».

15 Par conséquent, bien que la contrepartie constitue un facteur important pour établir l’existence d’une menace ou d’une promesse, c’est l’importance des encouragements offerts, eu égard à l’individu et à la situation dans laquelle il se trouve, qu’il faut prendre en considération dans l’analyse contextuelle globale du caractère volontaire de la déclaration de l’accusé.

3.2 La norme de contrôle applicable en appel

16 Dans l’arrêt Oickle, le juge Iacobucci a énoncé ce qui suit au sujet de la norme de contrôle applicable à l’appel de la décision du juge du procès sur la question de savoir si une déclaration est volontaire (par. 71 et 22) :

Si le tribunal de première instance examine comme il se doit toutes les circonstances pertinentes, une conclusion à l’égard du caractère volontaire est essentiellement de nature factuelle et ne doit être infirmée que si « le juge du procès a commis une erreur manifeste et dominante qui a faussé son appréciation des faits » . . .

. . .

. . . un désaccord avec le juge du procès relativement au poids qu’il convient d’accorder à divers éléments de preuve n’est pas un motif justifiant d’infirmer sa conclusion à l’égard du caractère volontaire d’une confession. [Soulignement omis.]

17 Si un juge du procès examine toutes les circonstances pertinentes et applique correctement le droit, il y a alors lieu de faire preuve de déférence à l’égard de sa décision relative au caractère volontaire de la déclaration en litige. Le professeur Stuart fait valoir qu’il est [traduction] « étrange de parler de déférence dans un cas où les interrogatoires ont été enregistrés sur bande vidéo » : D. Stuart, « Oickle : The Supreme Court’s Recipe for Coercive Interrogation » (2001), 36 C.R. (5th) 188, p. 196. Ce commentaire ne tient cependant pas compte du fait que, même lorsqu’elle est enregistrée, l’entrevue représente rarement la totalité de la preuve présentée lors du voir‑dire relatif à l’admissibilité. D’ailleurs en l’espèce, le voir‑dire a permis au juge d’entendre le témoignage de l’agent Parker et de visionner l’enregistrement de l’entrevue. Le témoignage et le contre‑interrogatoire des personnes qui ont recueilli la déclaration, ainsi que les éléments de preuve relatifs au contexte constituent généralement des facteurs importants que le juge du procès est tenu de prendre en considération dans l’analyse globale du caractère volontaire. En outre, il est préférable que les juges du procès tirent les conclusions de fait puisque cette fonction relève de leur tâche quotidienne. Ils sont donc mieux en mesure de tirer des conclusions fondées sur la preuve puisqu’ils possèdent cette expertise et qu’ils se trouvent dans une situation privilégiée pour évaluer l’ensemble de la preuve.

3.3 Examen de la conclusion du juge du procès relative au caractère volontaire

18 En l’espèce, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont conclu que le juge du procès avait commis une erreur et n’avait pas appliqué le bon critère pour ce qui est du caractère volontaire parce qu’il s’était fondé sur l’arrêt Paternak, p. 461, dont il a cité l’extrait suivant (par. 38) :

[traduction] Pour qu’un détenu par ailleurs mature et bien portant soit privé de sa capacité de faire un véritable choix, je suis porté à croire que l’influence qu’il a subie doit l’avoir subjugué à un point tel que l’on puisse dire qu’il a perdu toute possibilité significative de choisir lui‑même de garder le silence, et qu’il est devenu un simple instrument dans les mains de la police. [En italique dans l’original.]

Le juge Donald de la Cour d’appel a conclu que le juge du procès avait ainsi commis une erreur en ce que [traduction] « le critère énoncé dans Paternak est erroné [car] il fait de la volonté l’élément clé alors que, suivant l’arrêt Oickle, p. 350, par. 57, c’est la question de la contrepartie qui est au premier plan » (par. 40). En toute déférence, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont accordé trop d’importance à un élément de l’arrêt Paternak et au fait que le juge du procès a cité cette décision. Premièrement, le juge du procès a indiqué très clairement qu’aucune promesse d’un traitement plus favorable pour Mme Harrison n’avait été faite. Il n’a fait mention de l’arrêt Paternak qu’en rapport avec « l’encouragement de moindre importance », soit la possibilité pour l’intimé de rencontrer Mme Harrison. Deuxièmement, le juge de première instance a eu raison de ne pas accorder une importance particulière au motif possible de l’intimé.

19 En fait, malgré l’emploi de termes colorés, l’extrait contesté de l’arrêt Paternak insiste sur la question de savoir si l’accusé disposait d’un véritable choix et si sa volonté a été subjuguée. À cet égard, ce critère a déjà été mentionné ci‑dessus et est plus amplement explicité dans l’extrait suivant (Oickle, par. 57) :

En résumé, les tribunaux doivent avoir à l’esprit qu’il peut souvent arriver que les policiers offrent une certaine forme d’encouragement au suspect en vue d’obtenir une confession. Peu de suspects confesseront spontanément un crime. Dans la très grande majorité des cas, les policiers devront d’une façon ou d’une autre convaincre le suspect qu’il est dans son intérêt de faire une confession. Cela ne devient inacceptable que lorsque les encouragements — à eux seuls ou combinés à d’autres facteurs — sont importants au point de soulever un doute raisonnable quant à la question de savoir si on a subjugué la volonté du suspect. Sur ce point, j’estime particulièrement à propos le passage suivant de l’affaire R. c. Rennie (1981), 74 Cr. App. R. 207 (C.A.), à la p. 212 :

[traduction] Très peu de confessions sont inspirées exclusivement par le remords. Il arrive souvent qu’un accusé soit animé par divers motifs, y compris l’espoir qu’un aveu hâtif puisse se traduire par une libération anticipée ou une peine moins sévère. Si, en droit, la règle était que la seule présence d’un tel motif, même s’il découle de paroles ou d’actes d’une personne en autorité, mène inexorablement à l’exclusion d’une confession, pratiquement toutes les confessions seraient jugées inadmissibles. Cela n’est pas le droit applicable. Dans certains cas, il se peut que l’espoir ait pris naissance chez l’accusé lui‑même. Dans ces cas, il n’est pas pertinent, même s’il constitue le motif dominant pour lequel l’accusé a confessé le crime. La confession n’aura pas été obtenue par suite de quelque acte d’une personne en situation d’autorité. Il arrive plus souvent que la présence d’un tel espoir tire son origine, du moins en partie, d’actes ou de paroles d’une telle personne. Il y a peu de prisonniers auxquels il ne vient pas à l’esprit, au cours d’un interrogatoire serré mais équitable dans un poste de police, de mettre fin rapidement à leur interrogatoire et à leur détention en faisant une confession.

On peut soutenir que, cité hors contexte, l’extrait contesté de la décision Paternak semble exagérer le critère établi dans Oickle puisqu’on n’y mentionne pas la contrepartie ou la norme du doute raisonnable. Or, il ressort clairement des motifs du juge de première instance que ce dernier n’a pas commis ces erreurs puisqu’il a expressément mentionné, et à plusieurs reprises, la norme de preuve appropriée et la décision de cette Cour dans Oickle. De plus, ce n’est pas la contrepartie, mais plutôt le caractère volontaire, qui occupe le « premier plan » — c’est l’objet déterminant de l’enquête, et il ne faudrait pas l’oublier dans l’analyse. Comme je l’ai mentionné, si l’offre d’une contrepartie peut établir l’existence d’une menace ou d’une promesse, c’est l’importance accordée à ce soi‑disant encouragement qu’il faut prendre en considération dans l’examen contextuel global du caractère volontaire.

20 À mon avis, le juge de première instance n’a commis aucune erreur de droit en concluant qu’aucune offre de clémence n’a été faite à l’égard de Mme Harrison et que le refus de permettre une rencontre avec elle avant qu’une confession au moins partielle soit faite ne constituait pas un encouragement assez important pour rendre les déclarations de l’accusé inadmissibles. Le fait que l’accusé n’ait pas [traduction] « perdu la maîtrise de l’entrevue au point où l’agent Parker et lui n’étaient plus à forces égales » (voir‑dire, par. 35) constituait un facteur pertinent. Dans Oickle, par. 87, le juge Iacobucci a expressément reconnu que « [l]’absence d’oppression est importante non seulement en soi, mais également parce qu’elle a une incidence sur toute l’analyse du caractère volontaire. »

21 Était aussi pertinent pour la question des particularités de l’intimé le fait que, selon le juge du procès, l’intimé s’était montré insistant et était un « participant mature et perspicace », et qu’il avait maintes fois tenté sans succès de conclure des « ententes » avec le policier. Bien qu’aucun de ces facteurs ne soit déterminant, le juge du procès n’a pas commis d’erreur en les prenant en considération dans son analyse contextuelle.

22 Par conséquent, aucun des deux motifs donnés par les juges majoritaires de la Cour d’appel ne suffit à justifier une modification de la décision du juge de première instance portant que les déclarations de l’intimé étaient volontaires et, par conséquent, admissibles.

4. Conclusion

23 Le juge du procès s’est à juste titre fondé sur l’arrêt Oickle et a eu l’avantage de présider un voir‑dire de huit jours sur l’admissibilité des déclarations de l’intimé, au cours duquel il a visionné un enregistrement de neuf heures des entrevues en question. Il faut faire preuve de retenue judiciaire à l’égard de sa conclusion selon laquelle les déclarations de l’intimé étaient volontaires, et cette conclusion n’aurait pas dû être modifiée en appel. Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir les déclarations de culpabilité.

Version française des motifs des juges Fish et Abella rendus par

Le juge Fish (dissident) —

I

24 Dans ce pourvoi, il faut déterminer si le juge du procès s’est trompé quant au critère applicable lorsqu’il a décidé que les déclarations de l’intimé à la police étaient « volontaires » au sens des arrêts Ibrahim c. The King, [1914] A.C. 599 (C.P.), et R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, 2000 CSC 38. Je suis d’avis qu’il a commis une erreur.

25 Essentiellement, comme on le verra, le juge du procès a admis les déclarations de l’intimé parce qu’il était convaincu que [traduction] « l’influence exercée sur [l’intimé] allait bien en deçà des conditions dont la présence avait été jugée nécessaire par la Cour d’appel de l’Alberta dans [R. c. Paternak (1995), 101 C.C.C. (3d) 452] » (décision relative au voir‑dire, [2003] B.C.J. No. 751 (QL), 2003 BCSC 508, par. 35).

26 À cet égard, le juge du procès a cité (au par. 27) ces « conditions » de l’arrêt Paternak (lequel, contrairement à la présente espèce, portait sur l’exclusion d’une déclaration en application de la « règle de l’état d’esprit conscient ») :

[traduction] Pour qu’un détenu par ailleurs mature et bien portant soit privé de sa capacité de faire un véritable choix, je suis porté à croire que l’influence qu’il a subie doit l’avoir subjugué à un point tel que l’on puisse dire qu’il a perdu toute possibilité significative de choisir lui‑même de garder le silence, et qu’il est devenu un simple instrument dans les mains de la police.

(Paternak, p. 461 (italique omis))

27 À la lecture de ces extraits ensemble dans leur contexte, il m’apparaît évident aux motifs du juge que celui‑ci n’a pas appliqué la bonne norme juridique. En concluant que la volonté de l’intimé n’avait pas été subjuguée au sens de l’arrêt Oickle, il a évidemment tenu pour acquis que l’influence exercée au moyen des encouragements proposés par le policier « doit l’avoir subjugué à un point tel que l’on puisse dire qu’il a perdu toute possibilité significative de choisir lui‑même de garder le silence, et qu’il est devenu un simple instrument dans les mains de la police » (dans les présents motifs, c’est moi qui souligne).

28 L’arrêt Ibrahim n’a pas établi une telle norme pour l’appréciation du caractère volontaire d’une déclaration faite par un accusé par suite de menaces ou promesses émanant d’une personne en situation d’autorité. L’arrêt Oickle non plus.

29 Je suis d’accord avec la juge Deschamps pour dire que, s’il « existe en droit une distinction entre la ‘règle des confessions’ dite traditionnelle établie [. . .] dans Ibrahim [. . .] et la décision de notre Cour dans Oickle, cette dernière doit prévaloir » (par. 14). Mais Oickle réaffirme en fait l’essentiel de la règle formulée dans Ibrahim au sujet des confessions « provoquées de façon inacceptable » :

Comme l’a indiqué le juge McLachlin (maintenant Juge en chef du Canada), dans R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151, deux courants principaux se dégagent de la jurisprudence de notre Cour en ce qui concerne la règle des confessions. Selon l’approche étroite, une déclaration n’est écartée que dans les cas où les autorités policières ont explicitement fait des menaces ou des promesses à l’accusé. L’énoncé classique de cette approche a été formulé dans Ibrahim c. The King, [1914] A.C. 599 (C.P.), à la p. 609 :

[traduction] C’est une règle formelle du droit criminel anglais depuis longtemps établie qu’aucune déclaration d’un accusé n’est recevable contre lui à titre de preuve, à moins que l’accusation ne prouve qu’il s’agit d’une déclaration volontaire, c’est-à-dire qui n’a pas été obtenue par crainte d’un préjudice ou dans l’espoir d’un avantage dispensé ou promis par une personne en situation d’autorité.

Notre Cour a adopté la « règle de l’arrêt Ibrahim » dans Prosko c. The King (1922), 63 R.C.S. 226, puis l’a appliquée par la suite dans des affaires telles Boudreau c. The King, [1949] R.C.S. 262, Fitton, précitée, R. c. Wray, [1971] R.C.S. 272, et Rothman c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 640.

La règle de l’arrêt Ibrahim ne confère à la personne accusée qu’« un droit négatif — le droit de ne pas être torturée ni forcée de faire une déclaration sous l’effet de menaces ou de promesses d’une personne qui est et que l’auteur de la déclaration croit subjectivement être une personne en autorité »: Hebert, précité, à la p. 165. Cependant, cet arrêt reconnaît également une approche « beaucoup plus large », suivant laquelle : « [l]’absence de violence, de menaces et de promesses de la part des autorités ne signifie pas nécessairement que la déclaration qui résulte est volontaire si l’élément psychologique nécessaire de la décision entre des options est absent » (p. 166). [par. 24‑25]

30 L’arrêt Oickle n’a d’aucune façon restreint la portée de cette règle, laquelle présuppose qu’une déclaration d’un accusé faite à une personne en situation d’autorité est le fruit d’un état d’esprit conscient. Si la déclaration ne procède pas d’un état d’esprit conscient, elle est tenue pour involontaire pour ce motif.

31 La règle de l’arrêt Ibrahim, explicitée et confirmée dans Oickle, concerne plutôt, comme on vient de le voir, l’admissibilité d’une déclaration « obtenue par crainte d’un préjudice ou dans l’espoir d’un avantage dispensés ou promis par une personne en situation d’autorité » (p. 609). Une telle déclaration est réputée involontaire parce qu’elle n’aurait pas été faite n’eût été d’une provocation inacceptable et que l’expérience a démontré que, pour cette raison, il est impossible de s’y fier.

32 Dans pareils cas, la volonté du détenu n’a pas été « subjuguée » au sens où il « a perdu toute possibilité significative de choisir lui‑même de garder le silence » (Paternak, p. 461). On considère plutôt que sa volonté a été « subjuguée » uniquement au sens où il n’aurait pas, autrement, fait une déclaration, mais a été persuadé de la faire car il en escomptait un résultat, à savoir échapper à une menace ou obtenir un avantage promis. Une déclaration faite dans de telles conditions est le fruit d’une décision calculée prise par un esprit conscient, mais elle est quand même considérée comme « involontaire » pour les raisons énoncées dans Ibrahim et Oickle.

33 Loin de restreindre cette règle énoncée dans Ibrahim, la Cour dans Oickle a élargi la notion de caractère volontaire. S’exprimant au nom de la Cour à la majorité, le juge Iacobucci, après avoir esquissé l’évolution récente de la règle de l’arrêt Ibrahim au Canada, a formulé la conclusion qui suit (par. 27) :

Il est clair que la règle des confessions vise davantage que le principe étroit formulé dans l’arrêt Ibrahim; elle s’attache plutôt à la question du caractère volontaire, considérée au sens large.

34 Puis il a cité, en l’approuvant, le passage suivant des motifs du juge Rand dans R. c. Fitton, [1956] R.C.S. 958, p. 962 :

[traduction] La force d’esprit et la volonté de l’accusé, l’effet de la détention, de l’environnement, la portée des questions ou de la conversation, tout cela exige une analyse minutieuse de leur rôle dans l’aveu et sert à la Cour pour déterminer si la déclaration a été libre et volontaire, c’est‑à‑dire exempte de l’influence d’un espoir ou d’une crainte qu’ils auraient pu susciter. [par. 42]

Plus loin, le juge Iacobucci affirme ce qui suit :

Comme il a été souligné plus tôt, le Conseil privé a jugé, dans Ibrahim, que des déclarations sont inadmissibles si elles ont été obtenues « par crainte d’un préjudice ou dans l’espoir d’un avantage ». L’exemple classique d’« espoir d’un avantage » est la perspective de clémence de la part du tribunal. Il est inacceptable qu’une personne en situation d’autorité laisse entendre à un suspect qu’elle fera des démarches pour obtenir une réduction de l’accusation ou de la peine si le suspect fait une confession. [. . .] Aussi peu plausible que cela puisse intuitivement sembler, tant la jurisprudence que la doctrine confirment que la pression découlant d’un interrogatoire intense et prolongé peut convaincre un suspect que personne ne croira ses protestations d’innocence et qu’il sera inévitablement déclaré coupable. Dans de telles circonstances, faire miroiter à un suspect la possibilité d’une réduction de l’accusation ou de la peine en échange d’une confession soulèverait un doute raisonnable quant au caractère volontaire de l’aveu qui s’ensuivrait. Le fait pour les policiers d’offrir explicitement au suspect de lui obtenir un traitement clément en retour d’une confession est manifestement un encouragement très puissant et justifiera l’exclusion de la confession, sauf dans des circonstances exceptionnelles. [par. 49]

35 De plus, « [i]l n’est pas nécessaire que les menaces ou les promesses visent directement le suspect pour avoir un effet coercitif » (Oickle, par. 51) et justifier l’exclusion de la déclaration. Ainsi, une offre que fait la police d’obtenir un traitement clément pour un proche de la personne à qui on demande une déclaration peut rendre cette déclaration involontaire et, par conséquent, inadmissible. Le fait de « dire à une mère que sa fille ne serait pas accusée de vol à l’étalage si la mère avouait avoir commis une infraction similaire » (Oickle, par. 52) constituerait un exemple de ce type d’encouragement inacceptable.

36 Comme on le verra, cet aspect de la règle revêt une importance particulière en l’espèce.

37 Les menaces ou les promesses, explicites ou implicites (Oickle, par. 55), seront fatales lorsqu’elles émanent d’une personne en situation d’autorité si le tribunal peut raisonnablement se demander si, par elles‑mêmes ou combinées à d’autres facteurs, elles ont amené l’intéressé à faire une déclaration.

38 Enfin, en déterminant si une déclaration a été obtenue par suite d’un encouragement inacceptable et doit être exclue pour cette raison, notre Cour a affirmé ce qui suit dans Oickle (par. 57) :

Dans tous les cas, la question la plus importante consiste à se demander si les interrogateurs ont offert une contrepartie, que ce soit sous forme de menaces ou de promesses.

39 Contrairement à la juge Deschamps, j’estime que la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a bien apprécié cette « question la plus importante », ce que le juge du procès n’a pas fait. Et à mon avis, son erreur découle d’une mauvaise compréhension du critère applicable en matière de caractère volontaire. Une erreur de cette sorte constitue une erreur de droit — et non une erreur de fait, ou une erreur mixte de droit et de fait : R. c. Morin, [1992] 3 R.C.S. 286.

40 En outre, rien dans les motifs du juge du procès ne me convainc qu’il a commis une erreur en appliquant l’arrêt Paternak uniquement à l’« encouragement de moindre importance » comme la juge Deschamps le laisse entendre (au par. 18), et non aux provocations plus importantes établies par la preuve non contredite, que je vais examiner ci‑après.

II

41 La preuve non contredite présentée lors du voir‑dire révèle ce que je qualifierais de contrepartie double — une menace tant implicite qu’évidente accompagnée d’une promesse également implicite et non moins évidente rendant inadmissibles les déclarations inculpatoires faites à la police par l’intimé. À tout le moins, elles soulèvent un doute raisonnable quant à savoir si les déclarations ont été provoquées de façon inacceptable et sont par conséquent involontaires au sens des arrêts Ibrahim et Oickle.

42 La promesse et la menace visaient toutes deux la petite amie de l’intimé, et il ressort clairement du dossier que leur lien était « important au point de soulever un doute raisonnable quant à la question de savoir si on a[vait] subjugué la volonté » de l’intimé (Oickle, par. 57).

43 Dans Oickle, le lien entre l’accusé et sa petite amie a été considéré suffisamment fort pour inciter l’accusé à faire une fausse confession si son amie était menacée de subir un préjudice. Mais notre Cour a conclu qu’aucune menace de cette sorte n’avait été faite. Il ne pesait contre l’amie aucune accusation que les policiers offraient de laisser tomber; ils n’ont jamais menacé de porter des accusations contre elle et de fait, ils n’ont jamais laissé entendre qu’elle était un suspect. En outre, le moment où les remarques concernant la petite amie de l’accusé avaient été faites ne donnait pas à penser qu’il y avait un lien de causalité entre les prétendus encouragements et la confession subséquente. L’intimé a fait sa confession environ deux heures après avoir commencé à croire que les policiers s’entretenaient déjà avec sa petite amie (Oickle, par. 83‑84).

44 En l’espèce, le lien de l’intimé avec sa petite amie, Tanya, était lui aussi suffisamment fort pour qu’une menace d’un préjudice visant cette dernière incite l’intimé à faire une fausse confession. Et, à la différence de l’affaire Oickle, il y a eu une telle menace — accompagnée, comme on l’a vu, de la promesse formulée par l’agent Parker d’une intervention en faveur de Tanya auprès du ministère public et d’autres policiers.

45 Il était manifeste tout au long de l’interrogatoire de l’intimé que celui‑ci se souciait grandement du bien‑être de Tanya et qu’il était résolu à la soustraire à toute accusation. Il a maintes fois répété qu’il voulait qu’on la [traduction] « laisse en dehors de ça »; il a cherché à savoir ce qui pourrait arriver à l’enfant de Tanya si cette dernière était accusée; il a offert une confession relative à 30 ou 40 vols qualifiés si on [traduction] « laiss[ait Tanya] en dehors de tout ça ».

46 L’agent Parker lui‑même a reconnu la vulnérabilité de l’intimé par rapport à Tanya ainsi que la force de leur lien. [traduction] « Tanya est au cœur de ton univers » a‑t‑il demandé, pour la forme, à l’intimé, « c’est ce que tu es en train de me dire? »

47 L’agent Parker a clairement indiqué à l’intimé qu’il recommanderait au ministère public que Tanya ne soit pas accusée s’il faisait une confession :

[traduction]

[Agent Parker] : . . . Mais il ne faut pas être un génie pour comprendre que si tu es en plein dedans et que tu es le principal acteur, et que c’est toi qui entres commettre les vols et tu . . . c’est toi qui es impliqué et elle n’est que la conductrice, ça ne prend pas un diplôme pour savoir qui sera accusé au bout du compte. Malheureusement, je . . . je ne suis pas en mesure de . . . conclure cette entente avec toi, mais je sais que la Couronne peut le faire. Tout ce que je peux faire, c’est transmettre les renseignements à la Couronne avec mes recommandations. . .

. . .

[Agent Parker] : . . .On a notre mot à dire . . .

. . .

[Agent Parker] : . . . Lorsque je présenterai mon rapport . . . ou quand les rapports seront remis au procureur de la Couronne, tu . . . tu sais probablement contre qui seront portées les accusations.

. . .

[Agent Parker] : . . . Je veux savoir quel a été ton rôle; et n’oublie pas, Brandon, qu’à l’heure où on se parle elle n’a rien dit d’incriminant pour elle et n’oublie pas que je peux parler à d’autres policiers qui enquêtent.

(Dossier de l’appelante, p. 710, 711, 714 et 721)

Avec tout autant de subtilité, l’agent Parker a laissé planer la menace que Tanya soit accusée, à moins que l’intimé ne fasse une confession :

[traduction]

[Agent Parker] : Écoute, comprends‑moi bien, Brandon.

[Spencer] : Non, ramène‑moi simplement à ma cellule.

[Agent Parker] : Bien, alors, voici ce qui va arriver. On va finir par faire parler Tanya et elle sera accusée de vols qualifiés parce que ces enquêtes vont aller plus loin et, crois‑moi, elle sera identifiée lors des séances de photos par des témoins de Victoria, de Abbotsford, et peut‑être de South Surrey — même si je n’ai pas encore examiné ce dossier en profondeur, c’est pourquoi j’ai besoin de t’entendre. Je peux parler aux autres enquêteurs, Brandon, et je peux parler aux procureurs de la Couronne.

(Dossier de l’appelante, p. 716)

48 Bref, à la différence de l’affaire Oickle, le policier qui menait l’interrogatoire en l’espèce a bien menacé de porter des accusations contre la petite amie de l’intimé et, pour donner plus de poids à la menace, il a fait mention des éléments de preuve qui l’impliquaient comme conductrice du véhicule utilisé lors des vols. Suivant le propos de l’agent Parker, elle était plus qu’un simple suspect. Et, à la différence de l’affaire Oickle encore, l’intimé est passé aux aveux immédiatement après s’être fait dire une fois de plus que Tanya serait accusée s’il ne faisait pas une confession.

49 À la fin de l’interrogatoire, l’agent Parker a demandé à l’intimé pourquoi il avait fait une confession. Ce dernier lui a répondu spontanément, avec concision et éloquence [traduction] « [p]our ma blonde ». J’y vois la confirmation que, compte tenu de la preuve non contredite qui nous a été présentée, il existe une réelle probabilité que l’intimé a été amené à faire une confession par la double contrepartie proposée par l’agent Parker.

50 Pour conclure sur ce point, je souscris à l’opinion de la Cour d’appel que [traduction « [l]’intensité des sentiments que l’[intimé] portait à Tanya — qui ressort clairement de la transcription de l’interrogatoire — serait un puissant incitatif à dire ce qu’il fallait, vérité ou mensonge, pour obtenir que Tanya soit traitée avec clémence » (par. 50).

III

51 Pour tous ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi du ministère public et de maintenir à tous égards l’ordonnance rendue par la Cour d’appel.

ANNEXE

Les passages suivants sont tirés de l’entrevue de l’agent Parker avec l’intimé :

[traduction]

[Agent Parker] : Ce que je dis, c’est qu’il y a un certain terrain d’entente. Tu vas atteindre ton but qui est de la tenir à l’écart des problèmes et je vais atteindre le mien, faire mon boulot et découvrir les détails de . . .

[Spencer] : Je vais vous donner ceux dans lesquels elle est impliquée; si vous la laissez en dehors de ça.

[Agent Parker] : Tu sais quoi? Et j’arrête pas de le dire; je ne peux pas te faire de promesses. Mais je te demande de réfléchir logiquement. Lorsque je présenterai mon rapport . . . ou quand les rapports seront remis au procureur de la Couronne, tu . . . tu sais probablement contre qui seront portées les accusations . . .

. . .

[Agent Parker] : Je ne peux pas t’échanger des promesses contre des renseignements parce que, malheureusement, les tribunaux peuvent interpréter ça comme un encouragement pour obtenir une déclaration.

[Spencer] : Il n’y a aucun encouragement.

. . .

[Agent Parker] : D’accord. Maintenant il faut que tu comprennes, Brandon eh . . . et écoute‑moi bien, d’accord, parce que c’est important, et, eh, c’est la façon de faire et malheureusement, je ne peux rien y changer. Selon la loi, je ne peux pas te promettre rien ni conclure d’entente ici, eh . . . en échange de ton récit de ta participation au crime. Eh . . . parce que, comme je l’ai déjà dit, ça pourrait être interprété, lorsque cette affaire sera devant le tribunal, ça pourrait être interprété par les tribunaux comme un encouragement pour obtenir une déclaration de ta part. Comprends‑tu?

[Spencer] : Eh hum

[Agent Parker] : Je ne peux pas faire ça, je ne peux rien te promettre ni essayer de t’encourager à faire une déclaration. Tu dois le faire de ton plein gré, ça va?

[Spencer] : Je sais.

. . .

[Agent Parker] : . . . de toute évidence, je ne peux pas juste ici, maintenant, conclure d’entente avec toi. Je . . . je ne suis pas en mesure et c’est . . . c’est tout simplement impossible.

[Spencer] : Bon, quand est‑ce que tu pourras?

[Agent Parker] : Ce que je veux que tu comprennes, c’est . . . lorsque cette accusation sera transmise aux avocats de la Couronne, ce sont eux qui peuvent conclure une entente . . .

[Spencer] : Oui, c’est sûr.

[Agent Parker] : . . . entre toi . . .

[Spencer] : Et ils peuvent me dire « va te faire foutre »

. . .

[Agent Parker] : C’est toi qui es impliqué et elle n’est que la conductrice, ça ne prend pas un diplôme pour savoir qui sera accusé au bout du compte. Malheureusement, je . . . je ne suis pas en mesure de . . . conclure cette entente avec toi, mais je sais que la Couronne peut le faire. Tout ce que je peux faire, c’est transmettre les renseignements à la Couronne avec mes recommandations. Et ensuite, la Couronne . . .

[Spencer] : Donc, je n’ai aucune garantie.

. . .

[Agent Parker] : Tu veux que je te donne des garanties, mais je . . . je ne peux pas te donner de garantie pour l’instant. . .

[Spencer] : Alors, ramène‑moi à ma cellule.

[Agent Parker] : Quand nous aurons fini . . .

[Spencer] : Ramène‑moi à ma cellule, alors.

[Agent Parker] : Écoute, comprends‑moi bien, Brandon.

[Spencer] : Non, ramène‑moi simplement à ma cellule.

[Agent Parker] : Bien, alors, voici ce qui va arriver. On va finir par faire parler Tanya et elle sera accusée de vols qualifiés parce que ces enquêtes vont aller plus loin et, crois‑moi, elle sera identifiée lors de séances de photos par des témoins de Victoria, de Abbotsford, et peut‑être de South Surrey — même si je n’ai pas encore examiné ce dossier en profondeur, c’est pourquoi j’ai besoin de t’entendre. Je peux parler aux autres enquêteurs, Brandon, et je peux parler aux procureurs de la Couronne.

[Spencer] : Bien, fais‑le alors.

[Agent Parker] : Mais je dois d’abord entendre ton histoire.

(Décision relative au voir‑dire, par. 16 et 19; mémoire de l’intimé, p. 7)

[traduction]

[Agent Parker] : Non, ce n’est pas ça Brandon, parce que, écoute‑moi. Si tu descendais lui parler dès maintenant, et je sais comme toi que tu veux simplement lui parler, probablement lui dire que tu l’aimes et que tu fais ce qu’il faut, et que tu la tiens à l’écart des problèmes. Vrai? Exactement. Tu le sais et je le sais. Et tu sais que ce n’est pas une promesse que je te fais, ou une garantie que je te donne pour . . . comme un échange pour obtenir les renseignements que tu vas me donner. Mais malheureusement, c’est une question difficile parce que les tribunaux pourraient peut‑être interpréter ça comme un encouragement à faire une déclaration, une déclaration incriminante. Tu sais aussi bien que moi que c’est faux, mais malheureusement, c’est de ça qu’il s’agit. Maintenant, ce que je te dis, et j’insiste encore, c’est que tu vas avoir l’occasion de lui parler. Si à la fin de ce processus, à la fin de notre entretien, je suis convaincu que tu as été franc, que tu as vidé ton sac, je vais te donner cette chance, je t’en fais la promesse. Et j’ai été honnête avec toi jusqu’à présent. Mais je ne peux pas le faire avant que tu m’aies fourni certains renseignements. . .

. . .

[Spencer] : Qu’est‑ce que tu veux savoir pour que je puisse lui parler?

[Agent Parker] : Je veux savoir exactement quel a été ton rôle dans le vol de Tillicum Mall, et . . .

[Spencer] : Et tu vas me laisser lui parler?

[Agent Parker] : Et je veux connaître exactement ton rôle dans le eh . . . vol de Safeway à Ocean Park. Je veux tout savoir . . .

. . .

[Agent Parker] : Mais je ne peux pas recueillir ta déclaration au sujet des autres vols auxquels tu as participé, si plus tard elle ne peut pas servir en cour parce l’on considère que je t’ai encouragé à la faire contre la promesse d’une conversation avec Tanya. Ce n’est tout simplement pas légal, cela pose un problème, je te le dis. J’ai déjà vu ça avant, quand les gens veulent parler à leurs . . . proches qui sont en prison.

[Spencer] : Si je t’en avoue un?

[Agent Parker] : C’est un début.

[Spencer] : Alors est‑ce que je pourrai la voir?

[Agent Parker] : Mais j’ai besoin que tu dises tout, c’est ce que je te dis. Tu m’as dit plus tôt que tu voulais tout raconter au sujet de ces vols . . .

(Décision relative au voir‑dire, par. 23‑25)

[traduction]

[Agent Parker] : . . . mais j’ai juste besoin de savoir une chose, Brandon, c’est assez important pour moi de savoir, tu sais, avec un . . . on . . . on a beaucoup parlé, j’ai l’impression que je te connais mieux comme . . . comme un frère en fait, depuis les dernières je ne sais combien d’heures que je te parle. Je veux juste savoir . . . bien on a beaucoup parlé, tu . . . tu m’en as raconté beaucoup ces dernières je ne sais combien d’heures depuis hier soir. Et je voudrais juste savoir pourquoi, pourquoi eh . . . pourquoi tu as décidé de me raconter tout ça et de vider ton sac ici, avec moi? Qu’est‑ce qui t’a poussé à le faire?

[Spencer] : Ma blonde.

[Agent Parker] : C’est quoi?

[Spencer] : Pour ma blonde.

[Agent Parker] : Pour ta blonde. Pour Tanya.

[Spencer] : Oui.

[Agent Parker] : O.K. Tout pour elle, pas pour toi aussi? Non?

[Spencer] : Un peu, surtout pour elle.

[Agent Parker] : Surtout pour elle, O.K., c’est bien correct Brandon. Tu sais, ce que j’admire dans cette affaire, c’est . . . Tanya compte beaucoup pour toi, tu l’as dit plus tôt, elle . . . elle est tout pour toi. Tu l’aimes à mourir, elle est au cœur de ton univers. Et je sais ce que tu ressens, vraiment. Je te le dis encore . . . tu as fait beaucoup de chemin. Alors ce que je vais faire Brandon, je vais te ramener en bas.

. . .

[Agent Parker] : Tu sais, est‑ce que tu te sens mieux?

[Spencer] : Eh hum.

[Agent Parker] : C’est bon de se vider le cœur, au moins un peu?

[Spencer] : Oui.

[Agent Parker] : O.K. Et ce que j’espère faire demain Brandon, c’est . . . c’est te parler encore, et même plus tard, j’aimerais garder le contact et voir comment tu te débrouilles. Tu sais, tu . . . tu as bien raison, demain le tribunal, c’est du nouveau . . . le tribunal, c’est une autre affaire, tu vas . . . probablement te retrouver en détention avant procès. Mais c’est juste ici à côté.

[Spencer] : Oui.

(Dossier de l’appelante, p. 1063‑1065)

Pourvoi accueilli, les juges Fish et Abella sont dissidents.

Procureur de l’appelante : Procureur général de la Colombie-Britannique, Vancouver.

Procureurs de l’intimé : McCullough Parsons Blazina, Victoria.


Synthèse
Référence neutre : 2007 CSC 11 ?
Date de la décision : 08/03/2007
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et les déclarations de culpabilité sont rétablies

Analyses

Droit criminel - Preuve - Admissibilité - Confessions - Caractère volontaire - Arrestation de l’accusé et de sa petite amie - Accusé confesse des vols qualifiés après avoir demandé un traitement clément pour son amie et avoir obtenu de la rencontrer - Les déclarations étaient-elles volontaires? - Le juge du procès a‑t‑il appliqué le bon critère en admettant les déclarations?.

S a été arrêté en rapport avec de nombreux vols qualifiés, et sa petite amie, H, a été arrêtée en rapport avec un de ces vols. À la suite de son arrestation, S a dit s’inquiéter pour H et a demandé qu’on la laisse en dehors de ça. Le policier a mentionné à S que H serait accusée de possession d’une arme de poing et de recel d’objets reliés à un des vols. S a offert une confession en échange d’un traitement clément pour H. Le policier chargé de l’interrogatoire a nié pouvoir conclure une entente avec S. Ce dernier a aussi demandé de rencontrer H. S a fait une confession relativement à certains vols et a été autorisé à rencontrer H. Il a ensuite confessé les autres vols. Au terme d’un long voir‑dire, le juge du procès a admis en preuve les déclarations de S et l’a ensuite reconnu coupable de 18 vols qualifiés. La Cour d’appel à la majorité a conclu que le juge du procès avait appliqué le mauvais critère en admettant les déclarations comme volontaires et a ordonné un nouveau procès relativement à 16 de ces vols qualifiés.

Arrêt (les juges Fish et Abella sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli et les déclarations de culpabilité sont rétablies.

Les juges Bastarache, LeBel, Deschamps, Charron et Rothstein : Les déclarations de S au policier ont été correctement admises. En common law, les déclarations faites par un accusé à une personne en situation d’autorité sont inadmissibles à moins qu’elles ne soient faites volontairement. Plusieurs facteurs sont pertinents pour déterminer si une déclaration est faite volontairement, notamment si la police a fait des promesses ou des menaces à l’accusé. Une promesse rend une déclaration involontaire uniquement si la contrepartie offre des encouragements importants au point de soulever un doute raisonnable quant à la question de savoir si on a subjugué la volonté du suspect. Par conséquent, bien que la contrepartie constitue un facteur important pour établir l’existence d’une menace ou d’une promesse, elle n’est pas par elle‑même déterminante. C’est l’importance des encouragements offerts, eu égard à l’individu et à la situation dans laquelle il se trouve, qu’il faut prendre en considération dans l’analyse contextuelle globale du caractère volontaire de la déclaration de l’accusé. [1] [11-15]

Si un juge du procès examine toutes les circonstances pertinentes et applique correctement le droit, il y a alors lieu de faire preuve de déférence à l’égard de sa décision relative au caractère volontaire de la déclaration en litige. En l’espèce, le juge du procès n’a mentionné R. c. Paternak (1995), 101 C.C.C. (3d) 452, qu’en rapport avec la question de savoir si un encouragement de moindre importance suffisait à rendre une déclaration involontaire. Le juge du procès n’a pas commis d’erreur dans son analyse contextuelle du caractère volontaire des déclarations de S. Aucune offre de traiter H avec clémence n’a été faite, et le refus de permettre une rencontre avec elle avant qu’une confession partielle soit faite ne constituait pas un encouragement assez important pour rendre les déclarations de S inadmissibles. S n’a pas perdu la maîtrise de l’entrevue au point où il n’était plus à forces égales avec le policier. Le juge du procès a expressément mentionné à plusieurs reprises la norme de preuve appropriée et la décision de cette Cour dans R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, 2000 CSC 38, afin de déterminer le caractère volontaire des déclarations de l’accusé. Sa conclusion selon laquelle les déclarations étaient volontaires n’aurait pas dû être modifiée. [17-23]

Les juges Fish et Abella (dissidents) : Le juge du procès s’est trompé quant au critère applicable et a exigé à tort que les encouragements aient subjugué S au point de lui faire perdre toute possibilité significative de choisir lui‑même de garder le silence. Il n’existe aucune norme de ce genre pour l’appréciation du caractère volontaire d’une déclaration provoquée par des promesses ou des menaces émanant d’une personne en situation d’autorité. La règle des confessions provoquées présuppose qu’une déclaration d’un accusé faite à une personne en situation d’autorité est le fruit d’un état d’esprit conscient. Si la déclaration ne procède pas d’un état d’esprit conscient, elle est tenue pour involontaire pour ce motif. Les déclarations peuvent être involontaires si elles ont été faites en réaction à une provocation inacceptable qui a suscité la crainte d’un préjudice ou l’espoir d’un avantage. Il n’est pas nécessaire que les menaces ou les promesses visent directement le suspect. Une offre d’obtenir un traitement clément pour un proche de la personne à qui on demande une déclaration peut rendre cette déclaration involontaire et inadmissible. Les menaces ou les promesses seront fatales si le tribunal peut raisonnablement se demander si, par elles‑mêmes ou combinées à d’autres facteurs, elles ont amené l’intéressé à faire une déclaration. [24] [27-31] [35] [37]

La question la plus importante consiste à se demander si une contrepartie a été offerte. En l’espèce, la Cour d’appel a bien apprécié cette question. Le juge du procès ne l’a pas fait et a ainsi commis une erreur de droit. La preuve révèle une menace implicite mais évidente accompagnée d’une promesse implicite mais évidente qui ont rendu inadmissibles les déclarations inculpatoires que S a faites à la police. Le policier qui menait l’interrogatoire a menacé de porter des accusations contre H et a fait mention des éléments de preuve qui l’impliquaient dans des vols qualifiés. Il a également indiqué à S qu’il recommanderait au ministère public que H ne soit pas accusée s’il faisait une confession. Il existe une réelle probabilité que S a été amené à faire une confession par une double contrepartie parce que l’intensité de ses sentiments pour H constituait pour lui un puissant incitatif à dire ce qu’il fallait, vérité ou mensonge, pour obtenir que H soit traitée avec clémence. Le lien entre S et H était important au point de provoquer une fausse confession et ses déclarations sont donc inadmissibles. [38‑41] [44] [47‑50]


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Spencer

Références :

Jurisprudence
Citée par la juge Deschamps
Arrêts expliqués : R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, 2000 CSC 38
R. c. Paternak (1995), 101 C.C.C. (3d) 452, inf. pour d’autres motifs par [1996] 3 R.C.S. 607
arrêts mentionnés : Ibrahim c. The King, [1914] A.C. 599
Director of Public Prosecutions c. Ping Lin, [1976] A.C. 574.
Citée par le juge Fish (dissident)
Ibrahim c. The King, [1914] A.C. 599
R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, 2000 CSC 38
R. c. Paternak (1995), 101 C.C.C. (3d) 452, inf. pour d’autres motifs par [1996] 3 R.C.S. 607
R. c. Fitton, [1956] R.C.S. 958
R. c. Morin, [1992] 3 R.C.S. 286.
Doctrine citée
Paciocco, David M., and Lee Stuesser. The Law of Evidence, 4th ed. Toronto : Irwin Law, 2005.
Stuart, Don. « Oickle : The Supreme Court’s Recipe for Coercive Interrogation » (2001), 36 C.R. (5th) 188.

Proposition de citation de la décision: R. c. Spencer, 2007 CSC 11 (8 mars 2007)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2007-03-08;2007.csc.11 ?
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