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14/12/2007 | CANADA | N°2007_CSC_54

Canada | Bruker c. Marcovitz, 2007 CSC 54 (14 décembre 2007)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Bruker c. Marcovitz, [2007] 3 R.C.S. 607, 2007 CSC 54

Date : 20071214

Dossier : 31212

Entre :

Stephanie Brenda Bruker

Appelante

et

Jessel (Jason) Benjamin Marcovitz

Intimé

‑ et ‑

Association canadienne des libertés civiles

Intervenante

Traduction française officielle : Motifs de la juge Abella

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1

à 100)

Motifs dissidents :

(par. 101 à 185)

La juge Abella (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, Binnie, LeBel, Fish e...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Bruker c. Marcovitz, [2007] 3 R.C.S. 607, 2007 CSC 54

Date : 20071214

Dossier : 31212

Entre :

Stephanie Brenda Bruker

Appelante

et

Jessel (Jason) Benjamin Marcovitz

Intimé

‑ et ‑

Association canadienne des libertés civiles

Intervenante

Traduction française officielle : Motifs de la juge Abella

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 100)

Motifs dissidents :

(par. 101 à 185)

La juge Abella (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, Binnie, LeBel, Fish et Rothstein)

La juge Deschamps (avec l’accord de la juge Charron)

______________________________

Bruker c. Marcovitz, [2007] 3 R.C.S. 607, 2007 CSC 54

Stephanie Brenda Bruker Appelante

c.

Jessel (Jason) Benjamin Marcovitz Intimé

et

Association canadienne des libertés civiles Intervenante

Répertorié : Bruker c. Marcovitz

Référence neutre : 2007 CSC 54.

No du greffe : 31212.

2006 : 5 décembre; 2007 : 14 décembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.

en appel de la cour d’appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Hilton, Dutil et Bich), [2005] R.J.Q. 2482, 259 D.L.R. (4th) 55, [2005] R.D.F. 714, 36 C.C.L.T. (3d) 14, 31 R.F.L. (6th) 265, [2005] J.Q. no 13563 (QL), 2005 QCCA 835, qui a infirmé une décision du juge Mass, [2003] R.J.Q. 1189 (sub nom. S.B.B. c. J.BE.M.), [2003] R.D.F. 342, [2003] J.Q. no 2896 (QL) (sub nom. S.B.B. c. J.B.M.). Pourvoi accueilli, les juges Deschamps et Charron sont dissidentes.

Alan M. Stein, William Brock, David Stolow et Brandon Wiener, pour l’appelante.

Anne‑France Goldwater et Marie‑Hélène Dubé, pour l’intimé.

Andrew K. Lokan et Jeff Larry, pour l’intervenante.

Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, Binnie, LeBel, Fish, Abella et Rothstein rendu par

[1] La juge Abella — Le Canada est fier avec raison de sa tolérance évolutive à l’égard de la diversité et du pluralisme. Au fil des ans, l’acceptation du multiculturalisme n’a cessé de croître et l’on reconnaît que les différences ethniques, religieuses ou culturelles seront acceptées et respectées. Confirmé dans des textes de loi, que ce soit par des mesures de protection figurant dans les codes des droits de la personne ou par son inscription dans la Charte canadienne des droits et libertés, le droit de chacun de s’intégrer dans la société canadienne avec ses différences — et malgré celles‑ci — est devenu un élément déterminant de notre caractère national.

[2] Toutefois, le droit à la protection des différences ne signifie pas que ces différences restent toujours prépondérantes. Celles‑ci ne sont pas toutes compatibles avec les valeurs canadiennes fondamentales et par conséquent, les obstacles à leur expression ne sont pas tous arbitraires. Déterminer les circonstances dans lesquelles l’affirmation d’un droit fondé sur une différence doit céder le pas à un intérêt public plus pressant constitue un exercice complexe, nuancé, tributaire des faits propres à chaque espèce qu’il serait illusoire d’encadrer nettement. Mais cette tâche est également une délicate nécessité, requise afin de protéger l’intégrité évolutive du multiculturalisme et de l’assurance du public quant à son importance.

Contexte

[3] Le get est un divorce juif. Seul l’époux peut l’accorder. L’épouse ne peut obtenir le get que si son époux consent à l’accorder. Selon la loi juive, il le fait en « libérant » son épouse du mariage et en l’autorisant à se remarier. Le processus se déroule devant trois rabbins, devant ce qu’on appelle un beth din ou tribunal rabbinique.

[4] L’époux doit accorder volontairement le get, et l’épouse doit accepter de le recevoir. Si le premier ne l’accorde pas, la seconde est sans recours religieux; elle conserve le statut d’épouse et ne peut se remarier jusqu’à ce que l’époux décide, à son entière discrétion, de divorcer. Elle est considérée comme une agunah — une « femme enchaînée ». Tout enfant né d’un remariage civil serait considéré comme « illégitime » selon la loi juive.

[5] Une juive pratiquante vivant au Canada se trouve donc dans une situation dichotomique : en droit canadien, elle est libre de divorcer de son époux peu importe qu’il y consente ou non, mais, selon la loi juive, elle reste mariée à lui sauf s’il consent au divorce. Ce qui signifie que, alors qu’elle peut se remarier suivant le droit canadien, elle ne peut le faire conformément à sa religion. Pour bien des femmes juives, cette incapacité entraîne la perte de la faculté de se remarier un jour.

[6] Dans la vaste majorité des cas, l’époux juif qui divorce accorde de son plein gré le get à son épouse. Toutefois, le refus de l’époux d’accorder le get représente depuis longtemps une source d’inquiétude et de frustration au sein des communautés juives (Talia Einhorn, « Jewish Divorce in the International Arena », dans J. Basedow et autres (dir.), Private Law in the International Arena : From National Conflict Rules Towards Harmonization and Unification : Liber Amicorum Kurt Siehr (2000), 135; H. Patrick Glenn, « Where Heavens Meet : The Compelling of Religious Divorces » (1980), 28 Am. J. Comp. L. 1; M. D. A. Freeman, « Jews and the Law of Divorce in England » (1981), 4 Jewish L. Ann. 276; Bernard J. Meislin, « Pursuit of the Wife’s Right to a “Get” in United States and Canadian Courts » (1981), 4 Jewish L. Ann. 250; Mark Washofsky, « The Recalcitrant Husband : The Problem of Definition » (1981), 4 Jewish L. Ann. 144; M. Chigier, « Ruminations Over the Agunah Problem » (1981), 4 Jewish L. Ann. 207; Shlomo Riskin, A Jewish Woman’s Right to Divorce : A Halakhic History and a Solution for the Agunah (2006); Ayelet Shachar, Multicultural Jurisdictions : Cultural Differences and Women’s Rights (2001); J. David Bleich, « Jewish Divorce : Judicial Misconceptions and Possible Means of Civil Enforcement » (1984), 16 Conn. L. Rev. 201).

[7] En 1990, en réponse à ces préoccupations, à la suite de consultations auprès des chefs de 50 groupes religieux au Canada et après avoir obtenu l’accord spécifique des Églises catholique romaine, presbytérienne et anglicane, le ministre de la Justice, M. Doug Lewis, a proposé dans le projet de loi C‑61 des modifications à la Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, ch. 3 (2e suppl.), conférant aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire d’empêcher un époux d’obtenir réparation sous le régime de la loi si ce dernier refuse de supprimer tout obstacle au remariage religieux (l’art. 21.1). Lors de l’examen de ces modifications en deuxième lecture, le ministre a expliqué ainsi la motivation de cette modification :

Le projet de loi que nous devons examiner aujourd’hui vise à modifier la Loi sur le divorce afin de reconnaître à un tribunal les pouvoirs discrétionnaires nécessaires pour empêcher un conjoint d’obtenir des mesures accessoires ou d’exercer des recours aux termes de la Loi sur le divorce lorsque ce conjoint ne veut pas supprimer un obstacle au remariage religieux et lorsque seule cette personne peut supprimer cet obstacle au remariage religieux. Si le tribunal est convaincu que le conjoint qui ne veut pas supprimer l’obstacle agit ainsi pour des motifs de religion et de conscience, il aura la discrétion de refuser ce remède.

. . . Un conjoint ne devrait pas avoir la possibilité de refuser de participer à un divorce religieux juif (un Get) afin d’obtenir des concessions dans un divorce civil. Le Get ne devrait pas être utilisé comme outil de marchandage à des fins de garde d’enfants, de droits de visite et de pension alimentaire.

. . . j’ai à cœur d’assurer le respect de la Loi sur le divorce et d’éviter que des personnes ne se soustraient à l’application des principes que contient cette loi. Par exemple, afin d’obtenir un Get, une épouse peut se sentir obligée de consentir à une entente de garde d’enfant qui ne soit pas véritablement dans le meilleur intérêt de l’enfant du couple.

Permettez‑moi de décrire brièvement le dilemme auquel certaines personnes juives doivent faire face à cause de leurs procédures de divorce religieux. Dans la religion juive, le divorce se réalise quand le mari accorde un Get et que sa femme l’accepte devant le tribunal rabbinique. Selon la tradition judaïque, cette procédure ne peut pas être changée. Sans un Get, une femme juive ne peut pas se remarier dans sa religion. Les enfants issus de tout mariage civil subséquent ne sont pas reconnus comme juifs à part entière. Pour un homme, dans les mêmes circonstances, le remariage dans la religion juive, quoique difficile, reste possible.

. . .

. . . le gouvernement tente quand il le peut, et quand on attire son attention sur ce genre de questions, de supprimer dans la loi tout élément sexiste ou tout préjugé contre les femmes. . .

. . .

Il est vrai que dans certaines religions, chez les Catholiques romains, les Grecs orthodoxes et les Musulmans par exemple, une annulation de mariage ou un divorce peut être obtenu plus facilement et plus rapidement s’il y a consentement du couple.

Cependant, dans tous les cas, c’est le tribunal religieux et non pas le couple qui détient le pouvoir d’accorder l’annulation du mariage ou le divorce.

Un conjoint récalcitrant peut faire retarder la décision, mais ultimement, il ou elle ne pourra pas empêcher le tribunal religieux de rendre sa décision.

Dans ces religions, un conjoint brimé peut s’adresser aux autorités religieuses pour résoudre ce problème.

Le conjoint juif ne dispose pas d’un tel recours.

(Débats de la Chambre des communes, vol. VI, 2e sess., 34e lég., 15 février 1990, p. 8375‑8377)

[8] Lors de l’examen de ces modifications en troisième lecture, Mme Kim Campbell, qui a succédé à M. Lewis comme ministre de la Justice, a confirmé les raisons de principe justifiant cette mesure législative :

Le projet de loi vise à aider les citoyens juifs à qui le conjoint refuse le Get, le divorce religieux qui permettrait le remariage religieux, afin d’obtenir des concessions devant un tribunal civil. . .

. . .

Les répercussions sont très sérieuses pour les femmes fidèles à leur religion à qui le Get est refusé. Elles ne peuvent se marier avec un coreligionnaire, même si elles ont obtenu un divorce civil. Si elles se remarient, les enfants d’un deuxième mariage civil sont considérés comme illégitimes et ils ne peuvent pratiquer leur religion. Pareilles conséquences exposent les femmes religieuses au chantage que peut faire le conjoint en refusant le Get. Le conjoint pourrait dire, par exemple : « Si tu renonces à la pension alimentaire ou à la garde des enfants, je consentirai au divorce. » Même ceux qui ne songent pas à se remarier trouve[nt] gênant d’être considérés comme mariés religieusement à quelqu’un dont ils sont divorcés civilement.

La grande majorité de ceux qui adhèrent à la foi juive trouvent inacceptable cette façon de marchander le consentement. Ils sont cependant incapables de modifier la situation. L’intervention des rabbins est souvent sans effet. Depuis la dispersion des juifs, il n’existe pas d’autorité juive centrale qui puisse modifier le code juridique juif [. . .] qui gouverne le consentement au divorce. Les tribunaux rabbiniques modernes n’ont pas non plus d’autorité sur les demandes et l’acceptation du divorce. Les principales organisations juives qui ont assisté aux audiences du comité législatif approuvent entièrement le projet de loi C‑61. Les représentants des trois partis ont loué le projet de loi et ont adopté rapidement deux amendements d’ordre technique.

. . .

En outre, le Toronto Board of Orthodox Rabbis [. . .] [a] appuyé le projet de loi et les deux amendements.

[Français]

Le projet de loi C‑61 permettra à la communauté juive du Canada de conserver ses traditions sans déstabiliser les modèles de vie familiale. Il assure également que les principes de la Loi sur le divorce quant à la pension alimentaire et à la garde seront appliqués également à tous les Canadiens.

(Débats de la Chambre des communes, vol. VIII, 2e sess., 34e lég., 4 mai 1990, p. 11033‑11034)

[9] Les tribunaux civils tentent depuis de nombreuses années d’accorder une réparation ou un dédommagement lorsque l’époux s’entête à refuser le get à son épouse. Ils se heurtent souvent aux affirmations de l’époux voulant qu’une telle intervention constitue une violation de sa liberté de religion.

[10] C’est le cas en l’espèce. L’époux et l’épouse, représentés tous deux par un avocat, ont volontairement négocié et signé une [traduction] « Entente relative aux mesures accessoires » en vue de régler leurs litiges matrimoniaux. Suivant un des engagements de l’entente, ils devaient tous deux se présenter devant le tribunal rabbinique en vue d’obtenir le get.

[11] Durant 15 ans, l’époux a refusé d’accorder le get, contestant la validité même de l’entente qu’il avait conclue de plein gré. Il prétend qu’en raison de ses aspects religieux, l’entente était inexécutoire en droit québécois et affirme que son droit à la liberté de religion pouvait le soustraire aux conséquences du refus de se conformer à son engagement.

[12] Par contre, l’épouse a soutenu que l’entente prévoyant qu’ils se présentent devant le tribunal rabbinique en vue d’obtenir le get s’inscrivait dans les compromis négociés par les parties (tous deux ont signé des mainlevées) et était conforme aux valeurs et au droit québécois. Elle a demandé un redressement sous forme de dommages‑intérêts pour être indemnisée en raison du refus prolongé du mari de se conformer à l’entente. Elle n’a pas demandé au tribunal d’ordonner à son époux de se présenter devant le tribunal rabbinique.

[13] Ainsi, deux questions se posent en l’espèce. La première est de savoir si l’engagement d’accorder le get pris dans l’entente constitue une obligation contractuelle valide et exécutoire en droit québécois. L’examen des dispositions et des principes du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, permettra de répondre à cette première question.

[14] Si l’engagement est exécutoire en droit québécois, nous devons déterminer si l’époux peut invoquer la liberté de religion pour se soustraire aux conséquences juridiques du défaut de se conformer à une entente légitime. L’analyse à cet égard est faite dans les limites qu’imposent les dispositions et les principes de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q., ch. C‑12, qui établit un équilibre entre la revendication de la liberté de religion par l’époux et la prétention de l’épouse selon laquelle faire droit à l’argument du mari serait démesurément préjudiciable pour elle personnellement et, de façon plus générale, pour les valeurs démocratiques et l’intérêt du Québec.

[15] Dans son rôle d’appréciation et de conciliation des intérêts et des valeurs opposés lorsque la liberté de religion est en cause, le juge est appelé à protéger la tolérance que le Québec a préconisée dans la Charte québécoise. L’article 9.1 prévoit que les libertés et les droits fondamentaux — y compris la liberté de religion — « s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien‑être général des citoyens du Québec ». Par cette disposition, le législateur québécois demande aux tribunaux d’assurer la protection des droits des citoyens du Québec en appréciant et en conciliant ces droits avec les autres valeurs publiques.

[16] Selon moi, une entente entre les époux en vue de la prise des mesures nécessaires pour que chaque conjoint permette à l’autre de se remarier conformément à sa religion constitue une obligation contractuelle valide et exécutoire en droit québécois. Comme l’indiquent les commentaires des anciens ministres de la Justice, de telles ententes sont compatibles avec l’intérêt public, avec notre approche en matière de mariage et de divorce, et avec notre volonté de mettre fin à la discrimination fondée sur le sexe.

[17] Je suis également persuadée qu’en appliquant l’analyse qu’exige l’art. 9.1 de la Charte québécoise, l’atteinte à la liberté de religion que représente pour l’époux l’obligation de payer des dommages‑intérêts en raison de la violation unilatérale de son engagement est beaucoup moins grave que le préjudice causé par sa décision unilatérale de ne pas respecter cet engagement.

[18] Il ne s’agit pas, comme on le laisse entendre dans les motifs dissidents, d’une ingérence injustifiée des autorités laïques dans les matières religieuses, et cela ne signifie pas que les tribunaux vont sanctionner les caprices de la religion d’une personne. Lorsqu’ils tranchent des affaires dans lesquelles la liberté de religion est en cause, les tribunaux ne peuvent faire abstraction de la religion. Pour déterminer si le droit à la liberté de religion que revendique une personne doit être protégé, un tribunal doit tenir compte de cette religion en particulier, du droit religieux en cause et des conséquences précises, y compris les conséquences religieuses, que la décision de faire respecter ce droit aura pour la personne et le public.

[19] C’est aux tribunaux que les législateurs partout au pays ont confié la tâche de concilier les revendications, hautement personnelles, des droits religieux et l’intérêt public, plus général. Il s’agit d’une fonction bien acceptée que les commissions des droits de la personne exercent depuis des dizaines d’années en vertu des lois fédérales et provinciales, et que les juges exercent depuis 25 ans en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés pour veiller à ce que les membres de la société canadienne ne soient pas arbitrairement défavorisés en raison de leur religion.

[20] La présente affaire cadre très bien dans cette tradition. Elle représente une autre instance dans laquelle la revendication de la protection du droit à la liberté de religion est appréciée en regard des intérêts concurrents. La Cour n’est pas appelée à approuver ou appliquer une norme religieuse. On lui demande d’exercer sa responsabilité, conférée par la Charte québécoise, de déterminer si l’époux a raison de prétendre que l’obliger à payer des dommages‑intérêts pour la violation d’une entente exécutoire porte atteinte à sa liberté de religion. Aucun principe nouveau ne se dégage de la décision en l’espèce. On demande couramment aux tribunaux de décider si un contrat est valide. Et l’analyse en fonction de la Charte québécoise consiste en l’application, au cas par cas, d’un exercice d’appréciation classique et prudent que doivent entreprendre les tribunaux lorsqu’ils déterminent dans chaque cas si la revendication du droit à la liberté de religion peut être accueillie, en s’efforçant toujours de respecter le caractère complexe, délicat et individuel inhérent à ces questions.

Historique des procédures

[21] Stephanie Bruker a épousé Jason Marcovitz le 27 juillet 1969. Bien que leur observance religieuse se situe à des degrés différents, ils se considèrent tous les deux comme des juifs religieux.

[22] Monsieur Marcovitz avait déjà été marié et avait accordé le get à sa première épouse.

[23] Madame Bruker a engagé une action en divorce en 1980. Elle avait alors 31 ans et M. Marcovitz 48. Une entente relative aux mesures accessoires a été négociée avec le concours de leurs avocats respectifs et tous deux l’on signée trois mois plus tard. Cette [traduction] « Entente relative aux mesures accessoires » traitait notamment de la garde de leurs deux enfants, de la pension alimentaire pour ceux‑ci et de la pension alimentaire pour l’épouse versée sous forme de somme forfaitaire.

[24] Selon le paragraphe 12 de l’entente, les parties ont convenu de se présenter devant les autorités rabbiniques pour obtenir le get immédiatement après le prononcé du jugement conditionnel de divorce. Un jugement conditionnel de divorce a été prononcé le 23 octobre 1980. Il ordonnait notamment aux parties de se conformer à l’entente. Un jugement irrévocable de divorce a été prononcé le 9 février 1981.

[25] Malgré les demandes répétées de Mme Bruker, faites tant personnellement que par l’entremise de différents rabbins, M. Marcovitz a toujours refusé pendant 15 ans de lui accorder le get.

[26] Comme on pouvait s’y attendre, la relation entre les parties s’est détériorée pendant que M. Marcovitz maintenait son refus. En juillet 1989, neuf ans après le prononcé du jugement conditionnel de divorce, Mme Bruker a intenté des procédures pour violation de l’entente, réclamant au départ la somme de 500 000 $ en dommages‑intérêts pour son incapacité à se remarier et pour avoir été empêchée d’avoir des enfants qui seraient considérés comme « légitimes » selon la loi juive.

[27] En réponse, M. Marcovitz a fait valoir que Mme Bruker avait répudié l’entente en faisant des demandes incessantes d’augmentation de la pension alimentaire pour les enfants, et il s’est plaint du fait qu’il ne voyait pas ses deux filles régulièrement. Il a également mis en doute la dévotion de Mme Bruker à la foi juive.

[28] En 1990, Mme Bruker a déposé en application de l’art. 21.1 de la Loi sur le divorce un affidavit confirmant que, malgré ses demandes formelles, M. Marcovitz ne lui avait pas accordé le get. Par conséquent, lorsque ce dernier a présenté, en novembre 1995, des requêtes en vue d’obtenir le rejet de l’affidavit et la résiliation rétroactive de son obligation de verser une pension alimentaire pour les enfants, la juge Marcelin a refusé d’entendre les requêtes et a reporté l’affaire au 6 décembre 1995.

[29] Le 5 décembre 1995, M. Marcovitz s’est présenté devant le tribunal rabbinique de Montréal et a accepté d’accorder le get. Il avait alors 63 ans et Mme Bruker presque 47 ans. En 1996, celle‑ci a augmenté considérablement le montant des dommages‑intérêts qu’elle réclamait.

[30] Madame Bruker ne s’est pas remariée et n’a pas eu d’autres enfants.

[31] Au procès, le juge Mass a statué que, dès que M. Marcovitz eût signé une entente civile, l’obligation de se présenter devant les autorités rabbiniques pour accorder le get [traduction] « est devenue de la compétence des tribunaux civils » ([2003] R.J.Q. 1189, par. 19). Il a conclu que, en tant que contrat civil, l’entente était valide et obligatoire, même si elle visait en partie à imposer le respect d’obligations religieuses, et que conformément au paragraphe 12, M. Marcovitz avait [traduction] « une obligation de droit civil claire et non équivoque de se présenter “immédiatement” devant les autorités rabbiniques » (par. 19). Comme l’a fait remarquer le juge :

[traduction] Le caractère véritable de la demande faite en l’espèce n’est pas religieux. [. . .] [I]l s’agit d’évaluer le préjudice découlant d’une situation de fait mettant en cause des parties et des institutions juives — mais les principes du droit juif n’ont pas à être examinés à fond. [par. 30]

[32] À son avis, la réclamation en dommages‑intérêts fondée sur le manquement à une obligation civile, même si elle comporte des aspects religieux, continue à relever des tribunaux civils.

[33] En se fondant sur la preuve d’expert, le juge Mass a conclu que si M. Marcovitz avait accordé le get immédiatement, comme il avait convenu de le faire, le tribunal rabbinique le lui aurait accordé. Cela signifiait que les dommages‑intérêts réclamés par Mme Bruker étaient attribuables au manquement à l’obligation de se présenter devant les autorités rabbiniques. Ayant conclu que l’omission de M. Marcovitz d’accorder le get avait eu des conséquences directes sur la vie de Mme Bruker en la privant [traduction] « de la possibilité de se marier dans sa communauté pendant cette période » (par. 35), le juge Mass a condamné M. Marcovitz à payer des dommages‑intérêts s’élevant à 47 500 $ : 2 500 $ pour chacune des 15 années écoulées entre le jugement conditionnel de divorce et le get, et 10 000 $ pour l’incapacité de Mme Bruker d’avoir des enfants considérés comme légitimes selon la loi juive.

[34] J’ouvre une parenthèse pour aborder une question soulevée dans les motifs dissidents. Au départ, M. Marcovitz a contesté la constitutionnalité de l’art. 21.1 de la Loi sur le divorce. En acceptant de ne pas poursuivre cette contestation, il a accepté une ordonnance de la cour contenant les autorisations suivantes :

[traduction]

[6] PERMET que [M. Marcovitz ] plaide le caractère justiciable en l’espèce comme si l’art. 21.1 de la Loi sur le divorce n’existait pas.

[7] PERMET que [Mme Bruker] plaide la question de la crédibilité quant aux circonstances dans lesquelles le get a été accordé, en faisant mention de l’art. 21.1 de la Loi sur le divorce.

Les parties ne se sont pas entendues, comme on le laisse entendre dans les motifs dissidents, pour qu’il ne soit pas fait mention de cet article. Elles ont plutôt convenu que M. Marcovitz pourrait plaider le « caractère justiciable » sans qu’il soit fait mention de cet article. Mme Bruker a été expressément autorisée à citer cet article dans ses représentations relatives aux circonstances entourant le get. De plus, M. Marcovitz traite expressément de l’art. 21.1 dans deux paragraphes de son mémoire, dans lesquels il prétend que cet article autorise les tribunaux civils à intervenir à tort dans des questions religieuses :

[traduction] Dans la communauté juive, les époux qui refusent de collaborer au sujet du get sont l’objet d’une forte réprobation sociale. Ce qui a incité les juristes juifs et les leaders de la communauté à demander — et à obtenir — l’application de l’art. 21.1 de la Loi sur le divorce [. . .] et des par. 2(4) à 2(7) et 56(5) à (7) de la Loi sur le droit de la famille de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. F.3. L’État visait à protéger les époux juifs contre l’extorsion dans les négociations relatives au divorce.

L’article 21.1 de la Loi sur le divorce s’applique peu importe que l’époux récalcitrant soit le demandeur ou le défendeur : il empêche un époux d’exercer ses droits civils s’il refuse d’écarter les obstacles religieux, à moins qu’il expose dans un affidavit des motifs valables de religion ou de conscience. Dans ce cas, un juge doit nécessairement intervenir pour examiner le caractère légitime du refus au plan religieux.

Et dans son plaidoyer devant cette Cour, l’avocat de M. Marcovitz a affirmé ce qui suit :

[traduction] Non seulement cela, nous avons même le remède additionnel de l’art. 21.1 de la Loi sur le divorce, qui énonce en termes exprès l’intention claire du législateur d’écarter de la négociation d’une entente ou des compromis dans celle‑ci la question du divorce religieux [. . .] [e]t les obstacles au divorce religieux. . .

[35] Il est évident que les parties n’ont pas convenu de ne pas invoquer l’art. 21.1 dans l’analyse des autres questions en l’espèce. Elles se sont entendues pour ne pas contester la constitutionnalité de cette disposition, et cette entente a été respectée tout au long des procédures, y compris dans cette Cour. Dans ces motifs, il n’est nullement question de trancher la constitutionnalité de l’art. 21.1, mais je vois difficilement que l’on puisse qualifier une entente relative à l’abandon d’un argument constitutionnel visant une disposition législative d’entente prévoyant qu’il est fait abstraction de la disposition ou des raisons de principes qui la sous‑tendent.

[36] La Cour d’appel a accueilli l’appel de M. Marcovitz ([2005] R.J.Q. 2482). S’exprimant au nom des juges unanimes, le juge Hilton a conclu que, parce que [traduction] « l’essence de [. . .] l’obligation est de nature religieuse, quelle que soit la forme que prend l’obligation » (par. 76), il s’agissait d’une obligation morale. Les tribunaux ne pouvaient donc pas en ordonner l’exécution. Obliger M. Marcovitz à payer des dommages‑intérêts dans de telles circonstances serait incompatible avec la reconnaissance de son droit d’exercer ses croyances religieuses comme il l’entend sans intervention judiciaire.

[37] La Cour d’appel a fondé en partie cette décision sur l’orientation donnée par notre Cour dans Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, 2004 CSC 47, selon laquelle

l’État n’est pas en mesure d’agir comme arbitre des dogmes religieux, et il ne devrait pas le devenir. Les tribunaux devraient donc éviter d’interpréter — et ce faisant de déterminer — , explicitement ou implicitement, le contenu d’une conception subjective de quelque exigence, « obligation », précepte, « commandement », coutume ou rituel d’ordre religieux. . . [par. 50]

[38] L’appel incident de Mme Bruker visant à faire augmenter le montant des dommages‑intérêts a été rejeté.

Analyse

A. Caractère justiciable de l’entente visant la suppression des obstacles religieux au remariage

[39] La disposition au cœur du présent litige est le paragraphe 12 de l’entente sur les mesures accessoires, selon lequel les parties ont convenu de ce qui suit :

[traduction] . . . se présenter immédiatement après le prononcé d’un jugement conditionnel de divorce devant les autorités rabbiniques de la ville et du district de Montréal en vue d’obtenir le get religieux traditionnel. [Je souligne.]

[40] Comme je l’ai indiqué, le présent pourvoi soulève les questions de savoir si cette obligation constitue une obligation civile valide et exécutoire en droit québécois et, dans l’affirmative, si M. Marcovitz est exonéré de toute responsabilité pour ne pas avoir respecté son obligation au motif qu’elle violait sa liberté de religion.

[41] Contrairement à ma collègue la juge Deschamps, j’estime, en tout respect, que les tribunaux peuvent à juste titre examiner cette affaire. Le fait qu’un litige comporte un aspect religieux ne le rend pas nécessairement non justiciable. Dans Boundaries of Judicial Review : The Law of Justiciability in Canada (1999), Lorne Sossin a défini le caractère justiciable comme suit :

[traduction] . . . un ensemble de règles, de normes et de principes jurisprudentiels délimitant la portée de l’intervention judiciaire dans la vie sociale, politique et économique. Bref, si un objet est considéré comme se prêtant à une décision judiciaire, on dit qu’il est justiciable; si un objet est considéré comme ne se prêtant pas à une décision judiciaire, on dit qu’il est non justiciable. . . [p. 2]

[42] Dans Religious Institutions and the Law in Canada (2e éd. 2003), M. H. Ogilvie a expliqué pourquoi les questions comportant un aspect religieux peuvent néanmoins être justiciables :

[traduction] Sous réserve de la protection que la Charte canadienne des droits et libertés accorde aux personnes et aux groupes religieux, dont les détails n’ont pas encore été fixés par les tribunaux, les personnes et les institutions religieuses au Canada sont assujetties à la souveraineté du Parlement et au pouvoir de sanction de l’État qu’invoquent les tribunaux lorsqu’ils sont appelés à trancher des litiges ayant trait à la religion.

Néanmoins, les tribunaux se sont montrés réticents à examiner des questions relatives aux institutions religieuses, manifestant un certain embarras à l’idée que les litiges ecclésiastiques internes doivent être tranchés par les tribunaux séculiers et doutant de la pertinence de l’intervention judiciaire. Les tribunaux ont dit qu’ils n’examineraient pas les questions de nature strictement spirituelle ou purement doctrinale, mais qu’ils interviendraient dans les cas de violation des droits civils ou des droits de propriété. [Je souligne; p. 217‑218.]

[43] Dans son mémoire, l’Association canadienne des libertés civiles énonce correctement la façon d’aborder ces questions :

[traduction] [A]ucun arrêt n’est allé jusqu’à dire que, même dans les affaires fondées sur une obligation civile, le tribunal, s’il n’a pas à se prononcer sur des questions de doctrine religieuse, devrait être empêché de trancher les litiges portant sur des obligations à caractère religieux. [par. 26]

[44] Cette approche se reflète dans McCaw c. United Church of Canada (1991), 4 O.R. (3d) 481, une affaire portant sur le renvoi d’un pasteur de son église. L’aspect religieux du litige n’a pas empêché la Cour d’appel de l’Ontario de décider que le litige était justiciable. Même si la [traduction] « loi de l’Église énoncée dans les dispositions du Guide [de l’Église] » était en cause (p. 485), le tribunal s’est déclaré compétent et a accordé au pasteur des dommages‑intérêts pour la perte de salaire et d’avantages. (Voir également Lindenburger c. United Church of Canada (1985), 10 O.A.C. 191; Nathoo c. Nathoo, [1996] B.C.J. no 2720 (QL) (C.S.); Amlani c. Hirani (2000), 194 D.L.R. (4th) 543, 2000 BCSC 1653; et M. (N.M.) c. M. (N.S.) (2004), 26 B.C.L.R. (4th) 80, 2004 BCSC 346.)

[45] De même, dans l’arrêt Lakeside Colony of Hutterian Brethren c. Hofer, [1992] 3 R.C.S. 165, une colonie huttérite a décidé d’expulser certains de ses membres de la communauté sans leur donner la possibilité de répondre à cette décision. Lorsque les membres ont refusé de quitter, la colonie a demandé aux tribunaux de faire exécuter l’expulsion et d’ordonner à ces membres de rendre à la colonie tous les biens lui appartenant. Les membres ont prétendu qu’ils avaient le droit de rester dans la colonie et que les tribunaux ne pouvaient intervenir pour faire exécuter l’expulsion. S’exprimant au nom des juges majoritaires, le juge Gonthier a fait remarquer que, bien que les tribunaux ne peuvent intervenir dans les affaires purement doctrinales ou spirituelles, ils le feront lorsque des droits civils ou des droits de propriété sont en cause. Une fois que le tribunal se déclare compétent pour connaître d’un litige comportant des aspects religieux, a‑t‑il ajouté, il doit s’efforcer « d’arriver à la meilleure compréhension possible de la tradition et de la coutume applicable » (p. 191). Le juge Gonthier a conclu qu’en l’absence d’une possibilité suffisante de répondre donnée en temps voulu, les membres ne pouvaient pas être expulsés.

[46] En l’espèce, je trouve convaincants les motifs dissidents dans l’arrêt Re Morris and Morris (1973), 42 D.L.R. (3d) 550 (C.A. Man.). Si le litige dans cette affaire concernait le caractère exécutoire d’une disposition d’un ketubbah, ou contrat de mariage juif, une question que nous n’avons pas à examiner, le propos du juge Freedman est tout de même utile :

[traduction] Le fait que le contrat [de mariage] soit profondément empreint de considérations religieuses n’est pas déterminant quant à la question en litige. C’est le début et non la fin de l’affaire. Certains contrats ancrés dans une confession religieuse particulière peuvent effectivement être contraires à l’intérêt public. D’autres, pas. Notre tâche consiste à déterminer si les droits et obligations découlant du contrat [. . .] — nommément, l’obligation de l’époux d’accorder le get et le droit de l’épouse de l’obtenir — sont contraires à l’intérêt public.

Il m’est difficile d’établir à quel volet précis de l’intérêt public le présent [engagement à accorder le get] porterait atteinte. L’attaque dont il fait l’objet repose sur des motifs plus généraux. Il semble que la véritable raison pour laquelle on s’oppose à l’exécution du contrat tienne simplement au fait qu’il s’appuie sur la religion et que, pour des motifs d’intérêt public, la Cour devrait rester en dehors de ce domaine. Mais les recueils de jurisprudence font état de nombreux cas de tribunaux saisis de litiges ayant une origine ou un fondement religieux. [. . .] Confrontés dans chaque cas à un droit temporel quelconque, les tribunaux n’ont pas hésité à se prononcer sur celui‑ci. [p. 559‑560]

[47] Le fait que le paragraphe 12 de l’entente comporte des éléments à caractère religieux ne le soustrait pas par le fait même à l’examen judiciaire. Nous n’avons pas à examiner des principes religieux doctrinaux, à savoir par exemple si un get donné est valide. Nous n’avons pas à spéculer sur ce que le tribunal rabbinique pourrait décider. La promesse de M. Marcovitz de supprimer les obstacles religieux au remariage en accordant le get a été négociée entre deux adultes consentants, tous deux représentés par un avocat, et faisait partie d’un échange volontaire d’engagements censés avoir des conséquences juridiquement exécutoires. De ce fait, les tribunaux peuvent à bon droit examiner l’obligation à la loupe.

B. Validité de l’entente en droit québécois

[48] La question suivante est de savoir si l’obligation est valide et exécutoire en droit québécois. Je signale tout d’abord que les parties ont plaidé cette affaire sans aucunement tenir compte de l’incidence de l’entrée en vigueur du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») le 1er janvier 1994 et des problèmes de droit transitoire qui pouvaient se poser. Tout au long des procédures, ni les parties ni les tribunaux inférieurs n’ont fait allusion au Code civil du Bas Canada. Puisque l’action de Mme Bruker a été introduite en juillet 1989, le Code civil du Bas Canada, et en particulier ses art. 982 à 984, s’appliquaient techniquement aux parties, comme le prévoit l’art. 9 de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil, L.Q. 1992, ch. 57. Toutefois, puisque le nouveau C.c.Q. a conservé les principes clés régissant la formation des contrats en droit québécois tout en modifiant et en précisant les dispositions pertinentes du Code civil du Bas Canada (J. Pineau, « Théorie des obligations », dans La réforme du Code civil (1993), t. 2, p. 20‑21), le fait que les parties s’appuient sur le C.c.Q. n’a pas eu d’incidence importante sur le litige. Dans les circonstances, et sans nier l’importance du droit transitoire, les présents motifs, tout comme ceux du juge de première instance et de la Cour d’appel, renvoient aux articles du C.c.Q.

[49] Le droit civil québécois reconnaît trois types d’obligations : morales, civiles (ou légales) et naturelles. Seules les deux premières sont en cause en l’espèce. Elles sont ainsi définies dans le Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues : les obligations (2003) :

OBLIGATION MORALE

Obligation qui ne s’impose que sur le plan de la conscience ou de l’honneur et qui est dépourvue de sanction étatique, par opposition à l’obligation juridique. Par ex., le devoir de charité envers son prochain.

OBLIGATION CIVILE

Obligation susceptible d’exécution forcée. Par ex., l’obligation alimentaire entre époux. « Sur d’autres points, cependant, les obligations naturelles se rapprochent des obligations civiles; à celles‑ci elles empruntent au moins certains de leurs effets lorsque le débiteur a librement décidé de les exécuter » (Ghestin et Coubeaux, Introduction, no 636, p. 717).

[50] Jean‑Louis Baudouin et Pierre‑Gabriel Jobin expliquent de la façon suivante la différence entre une obligation morale et une obligation civile quant au caractère exécutoire :

L’obligation civile est sanctionnée par la loi, ce qui permet au créancier d’en exiger l’exécution devant les tribunaux. À celle‑ci, on oppose l’obligation morale, qui se situe en dehors du domaine juridique, qui n’est pas sanctionnée par le droit et dont le pouvoir contraignant relève uniquement du for intérieur, c’est‑à‑dire du remords. Le « créancier » d’une obligation morale ne peut en poursuivre l’exécution devant les tribunaux, car elle n’est susceptible que d’exécution volontaire. Tels sont, par exemple, le devoir de faire la charité et le devoir d’aider son prochain — qu’il convient de distinguer de l’obligation civile de porter secours à une personne en danger.

(Baudouin et Jobin : Les obligations (6e éd. 2005), par. 26; voir également John E. C. Brierley et Roderick A. Macdonald, Quebec Civil Law : An Introduction to Quebec Private Law (1993), p. 382.)

[51] Je ne considère pas l’aspect religieux de l’obligation contenue au paragraphe 12 de l’entente comme un obstacle à sa validité civile. Certes, une personne ne peut être forcée à exécuter une obligation morale, mais le Code civil n’empêche nullement une personne de transformer ses obligations morales en obligations juridiquement valides et exécutoires. Le devoir de faire la charité, par exemple, pourrait être qualifié d’obligation morale et, par conséquent, juridiquement non exécutoire. Mais si une personne s’engage par contrat envers un organisme de charité à faire un don, l’obligation peut très bien devenir une obligation valide et exécutoire si elle satisfait aux exigences du C.c.Q. relatives à la formation du contrat. Dans ce cas, l’obligation morale est transformée en une obligation civile exécutoire en justice.

[52] Le premier paragraphe de l’art. 1378 C.c.Q. définit le contrat comme suit :

. . . un accord de volonté, par lequel une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres à exécuter une prestation.

La formation du contrat est régie par l’art. 1385 C.c.Q., qui prévoit ce qui suit :

1385. Le contrat se forme par le seul échange de consentement entre des personnes capables de contracter, à moins que la loi n’exige, en outre, le respect d’une forme particulière comme condition nécessaire à sa formation, ou que les parties n’assujettissent la formation du contrat à une forme solennelle.

Il est aussi de son essence qu’il ait une cause et un objet.

[53] La capacité et le consentement des parties ne sont pas en cause en l’espèce. Je ne trouve non plus rien de répréhensible dans la « cause » de la disposition contractuelle, à savoir le désir des parties de conserver dès lors la liberté de se remarier conformément à leurs croyances religieuses et au droit séculier.

[54] Monsieur Marcovitz soutient cependant que l’« objet » de la disposition contractuelle — assurer la présence des parties devant le tribunal rabbinique en vue d’obtenir un divorce conformément à la loi juive afin de permettre le remariage conformément à cette loi — est contraire à l’ordre public parce qu’il porte atteinte à son droit à la liberté de religion et est donc interdit par les art. 1412 et 1413 C.c.Q. L’argument a été formulé comme suit dans son mémoire :

[traduction] L’article 1413 C.c.Q. prévoit qu’un contrat est nul si son objet est contraire à l’ordre public. Il est contraire à l’ordre public d’envisager qu’une personne s’engage par contrat à restreindre le libre exercice de ses libertés fondamentales, y compris la liberté de religion et de conscience.

[55] L’objet du contrat est défini comme suit à l’art. 1412 C.c.Q. :

1412. L’objet du contrat est l’opération juridique envisagée par les parties au moment de sa conclusion, telle qu’elle ressort de l’ensemble des droits et obligations que le contrat fait naître.

Selon les Commentaires du ministre de la Justice (1993), la définition que l’on trouve à l’art. 1412 codifie la doctrine et la jurisprudence relatives à l’objet du contrat (t. I, p. 857‑858). On ne trouvait pas dans le Code civil du Bas Canada de définition de l’objet du contrat.

[56] Le C.c.Q. définit également l’objet d’une obligation comme suit :

1373. L’objet de l’obligation est la prestation à laquelle le débiteur est tenu envers le créancier et qui consiste à faire ou à ne pas faire quelque chose.

La prestation doit être possible et déterminée ou déterminable; elle ne doit être ni prohibée par la loi ni contraire à l’ordre public.

L’objet des obligations peut englober les prestations les plus diverses consistant « à faire ou ne pas faire quelque chose » (V. Karim, Les obligations (2e éd. 2002), vol. 1, p. 19). L’objet, ou prestation, n’est pas nécessairement une chose matérielle. Il peut s’agir, par exemple, d’un geste positif, d’un paiement ou de la livraison d’un objet (Karim, p. 19).

[57] La notion d’objet d’un contrat est même plus large que l’objet des obligations (Baudouin et Jobin, par. 19 et 367). C’est l’opération juridique envisagée par les parties (D. Lluelles et B. Moore, Droit des obligations (2006), par. 1051) et elle peut inclure un certain nombre d’obligations spécifiques prévoyant, corrélativement, des objets spécifiques.

[58] Soit dit en tout respect, j’estime que la notion d’« opération juridique » (ou d’objet du contrat) à l’art. 1412 doit recevoir une interprétation beaucoup plus large que celle que propose la juge Deschamps, surtout parce qu’à mon avis, cet art. 1412 n’est restreint que par l’art. 1413 qui édicte :

1413. Est nul le contrat dont l’objet est prohibé par la loi ou contraire à l’ordre public.

[59] Il n’y a donc que deux restrictions à l’objet d’un contrat : il ne doit pas être prohibé par la loi ni être contraire à l’ordre public. Conformément au principe de la liberté contractuelle, les parties conservent une grande latitude en matière d’objet légalement permissible. Comme le font remarquer Baudouin et Jobin :

Si tout contrat doit avoir un objet, celui‑ci peut être infiniment varié, puisqu’en vertu du principe de la liberté contractuelle, les parties peuvent réaliser toute espèce d’opération juridique, dans les limites imposées par la loi et l’ordre public. [Je souligne; par. 368.]

[60] Par conséquent, à moins que M. Marcovitz n’ait raison d’affirmer que l’objet du paragraphe 12 de l’entente est contraire à l’ordre public, l’interprétation de l’« opération juridique » visée à l’art. 1412 n’exclut pas cet objet et l’obligation contractuelle est valide et exécutoire.

[61] Le contenu de l’ordre public, comme l’expliquent Baudouin et Jobin, peut varier :

[Le contenu de l’ordre public] change, en effet, avec le temps puisqu’il représente, au fond, certaines valeurs à un moment donné de l’évolution de la société.

. . .

En l’absence d’indication claire dans la loi, c’est le tribunal qui évalue le caractère d’ordre public de la disposition sous examen ainsi que sa portée concrète. [par. 139 et 142]

[62] Je conviens qu’il peut très bien exister des ententes comportant des aspects religieux qui seraient contraires à l’ordre public. Cela dépendra manifestement, dans chaque cas, de la nature de l’engagement et, plus particulièrement, de la mesure dans laquelle la promesse est compatible avec nos lois, nos principes et nos valeurs démocratiques. Une entente relative au règlement d’un litige concernant la garde d’un enfant et qui porte atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant, ou une entente qui viole nos lois relatives à l’emploi, pourront être jugées contraires à l’ordre public.

[63] Toutefois, je n’ai aucun doute pour ce qui est de l’engagement de M. Marcovitz à accorder le get. Cet engagement est conforme — et non contraire — à l’ordre public. Les modifications apportées en 1990 à la Loi sur le divorce, mentionnées précédemment, contredisent l’argument selon lequel une entente prévoyant que le get sera accordé viole le principe de l’ordre public. Au contraire, le législateur a manifesté l’intention claire d’encourager la suppression des obstacles religieux au remariage. De plus, comme je le signale plus loin dans ces motifs, le caractère exécutoire d’une promesse d’accorder le get s’harmonise avec l’approche canadienne en matière de liberté de religion, de droits à l’égalité et de divorce et de mariage de façon générale, et elle est reconnue judiciairement à l’échelle internationale.

[64] En conséquence, puisque l’objet n’est pas contraire à l’ordre public et que toutes les autres conditions de validité d’un contrat conforme au droit québécois sont présentes, l’obligation contractuelle contenue au paragraphe 12 de l’entente est valide et juridiquement exécutoire en droit québécois.

C. Application de la Charte québécoise

[65] Il reste l’argument de M. Marcovitz selon lequel l’art. 3 de la Charte québécoise l’exonère des conséquences d’un manquement au paragraphe 12 de l’entente. Celui‑ci affirme que l’attribution de dommages‑intérêts violerait sa liberté de religion en ce qu’elle le condamnerait ex post facto [traduction] « pour s’être conformé à sa religion ». L’article 3 prévoit ce qui suit :

3. Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association.

[66] C’est dans l’arrêt récent Amselem que notre Cour a examiné pour la dernière fois la portée de cette disposition. Des Juifs orthodoxes propriétaires d’appartements dans un immeuble en copropriété situé à Montréal voulaient construire sur leurs balcons, pour la fête juive du Souccoth, de petites structures closes appelées « souccahs », ce qui était interdit par un règlement de construction incorporé dans la déclaration de copropriété de l’immeuble.

[67] Le critère appliqué par la majorité dans l’arrêt Amselem pose la question de savoir si la croyance religieuse sincère et de bonne foi d’un individu fait l’objet d’une limite injustifiée non négligeable. En appliquant ce critère aux faits de l’espèce, je ne constate à première vue aucune atteinte à la liberté de religion de M. Marcovitz.

[68] Je me demande d’abord si M. Marcovitz croyait sincèrement, en toute bonne foi, que le fait d’accorder le get était un acte auquel il s’opposait par croyance ou conscience religieuse. Je ne vois pas vraiment quel aspect de ses croyances religieuses l’a empêché d’accorder le get. En fait, il n’a jamais fourni de motif religieux à l’appui de son refus d’accorder le get. Il a plutôt affirmé que son refus reposait sur le fait que, pour reprendre ses propos :

[traduction] Madame Bruker m’a harcelé, elle a éloigné mes enfants de moi, elle m’a volé de l’argent, elle a volé de l’argenterie à ma mère, elle m’a empêché d’exercer pleinement mes droits de visite des enfants. Voilà les motifs . . . [Dossier de l’appelante, p. 66]

[69] Cet aveu confirme, selon moi, que son refus d’accorder le get était fondé moins sur une conviction religieuse que sur le fait qu’il était fâché contre Mme Bruker. Sa religion ne l’oblige pas à refuser d’accorder le get à Mme Bruker, bien au contraire. Il ne fait aucun doute que selon la loi juive, il pouvait refuser de l’accorder, mais c’est tout autre chose de dire qu’un principe religieux l’a empêché de respecter une obligation légale qu’il a volontairement conclue et dont il s’est prévalu des avantages négociés.

[70] Même si l’on peut affirmer que le fait de l’obliger à respecter son engagement d’accorder le get va à l’encontre d’une croyance religieuse sincère et a des conséquences non négligeables pour lui — et je vois difficilement qu’il en soit ainsi — cette atteinte prima facie ne résiste pas à l’exercice d’appréciation que prescrivent la jurisprudence de cette Cour et la Charte québécoise.

[71] Je commence cet exercice d’appréciation en citant l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, dans lequel notre Cour a pour la première fois donné à la liberté de religion une interprétation robuste et où le juge Dickson a confirmé comme suit la portée générale de ce droit dans un contexte constitutionnel :

Le concept de la liberté de religion se définit essentiellement comme le droit de croire ce que l’on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte d’empêchement ou de représailles et le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation. [p. 336]

[72] Notamment, il a aussi confirmé que la liberté de religion peut néanmoins être restreinte lorsqu’elle entre démesurément en conflit avec d’autres droits et intérêts publics importants :

La liberté signifie que, sous réserve des restrictions qui sont nécessaires pour préserver la sécurité, l’ordre, la santé ou les mœurs publics ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui, nul ne peut être forcé d’agir contrairement à ses croyances ou à sa conscience.

. . .

Les valeurs qui sous‑tendent nos traditions politiques et philosophiques exigent que chacun soit libre d’avoir et de manifester les croyances et les opinions que lui dicte sa conscience, à la condition notamment que ces manifestations ne lèsent pas ses semblables ou leur propre droit d’avoir et de manifester leurs croyances et opinions personnelles. [Je souligne; p. 337 et 346.]

(Voir également Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, p. 121‑122; P. (D.) c. S. (C.), [1993] 4 R.C.S. 141, p. 182; B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315, par. 226; Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, par. 72 et 94; et Multani c. Commission scolaire Marguerite‑Bourgeoys, [2006] 1 R.C.S. 256, 2006 CSC 6, par. 26.)

[73] D’autres ressorts ont également conclu que le fait d’invoquer la liberté de religion n’offre pas, en soi, l’immunité contre la nécessité d’apprécier le droit revendiqué en regard des valeurs ou du préjudice opposés. Deux exemples suffisent. Dans H.C. 292/83, Temple Mount Faithful c. Jerusalem District Police Commander, 38(2) P.D. 449, la Cour suprême israélienne a accueilli la requête d’un groupe de fidèles juifs qui demandaient à prier dans un lieu où un conflit avec des fidèles musulmans semblait inévitable. Le juge Barak a signalé ce qui suit :

[traduction] La liberté de conscience, de croyance, de religion et de culte est relative. Elle doit être appréciée avec les autres droits et intérêts qui méritent également d’être protégés, comme le droit à la propriété privée et publique et la liberté de mouvement. L’ordre public et la sécurité comptent parmi les intérêts qui doivent être pris en compte.

[74] Puis, dans Christian Education South Africa c. Minister of Education (2000), 10 B. Const. L.R. 1051 (C. const. Afr. du Sud), le juge Sachs, au nom d’une cour unanime, a exploré les limites de la liberté de religion dans le cadre de la contestation d’une loi interdisant le châtiment corporel des étudiants à l’école. La Christian Education South Africa, une association de 196 écoles chrétiennes indépendantes, a fait valoir que le châtiment corporel était prescrit par la Bible. Dans une décision maintenant l’interdiction du châtiment, le juge Sachs a donné l’explication suivante :

[traduction] Dans toute société ouverte et démocratique qui reconnaît la dignité humaine, l’égalité et la liberté dans lesquels la liberté de conscience et de religion doit être considérée avec le sérieux qui s’impose, le problème sous‑jacent consiste à déterminer la mesure dans laquelle la démocratie peut et doit permettre aux membres des communautés religieuses de déterminer eux‑mêmes les lois qu’ils respecteront et celles qu’ils ne respecteront pas. Une telle société ne peut se tenir que si tous ses participants acceptent le caractère obligatoire de certaines normes fondamentales. Dès lors, les croyants ne peuvent prétendre à un droit automatique d’être soustraits, en raison de leurs croyances, aux lois du pays. En même temps, l’État devrait, lorsque c’est raisonnablement possible, s’efforcer de ne pas obliger les croyants à faire le choix difficile et intensément pénible entre rester fidèles à leur foi ou respecter la loi. [par. 35]

[75] Dans l’arrêt Amselem, les juges majoritaires de cette Cour ont fait observer ce qui suit :

Une conduite susceptible de causer préjudice aux droits d’autrui ou d’entraver l’exercice de ces droits n’est pas automatiquement protégée. . .

De fait, [. . .] la liberté de religion [. . .] peut être subordonnée au respect de préoccupations sociales supérieures. [par. 62‑63]

[76] Au Québec, l’art. 9.1 de la Charte québécoise prévoit que les droits et les libertés, y compris la liberté de religion, sont restreints dans la mesure où leur exercice ne doit pas être préjudiciable à autrui. Seul le premier paragraphe de l’art. 9.1 s’applique. Il prévoit ce qui suit :

9.1. Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien‑être général des citoyens du Québec.

[77] L’article 9.1 confirme le principe selon lequel la revendication du droit à la liberté de religion doit être conciliée avec les droits, les valeurs et le préjudice opposés. Une appréciation des droits et valeurs opposés semble correspondre à l’intention du législateur au moment de l’adoption de l’art. 9.1 en 1982, comme l’indique le propos suivant du ministre de la Justice du Québec de l’époque, Me Marc‑André Bédard :

L’article 9.1 a pour objet d’apporter un tempérament au caractère absolu des libertés et droits édictés aux articles 1 à 9 tant sous l’angle des limites imposées au titulaire de ces droits et libertés à l’égard des autres citoyens, ce qui est le cas pour le premier alinéa . . .

(Journal des débats : Commissions parlementaires, 3e sess., 32e lég., 16 décembre 1982, p. B‑11609)

(Voir Amselem, par. 154-157, le juge Bastarache, et par. 191, le juge Binnie; Aubry c. Éditions Vice‑Versa inc., [1998] 1 R.C.S. 591.)

[78] Il faut donc apprécier la revendication de M. Marcovitz en regard « des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien‑être général des citoyens du Québec » dont fait état l’art. 9.1. Ainsi, nous abordons l’exercice complexe, nuancé et tributaire des faits propres à chaque espèce mentionné au début de ces motifs.

[79] M. Marcovitz, il me semble, a bien peu à mettre dans la balance. D’abord, il a conclu de son plein gré une obligation contractuelle valide et exécutoire qu’il cherche maintenant à faire annuler pour des scrupules religieux qui lui sont venus après coup. À mon avis, c’est cette tentative de se désister de sa promesse exécutoire, et non l’exécution de l’obligation, qui est contraire à l’ordre public.

[80] Mais l’avantage que procure, dans l’intérêt public, le fait d’empêcher des personnes de se soustraire aux conséquences juridiques qu’entraînent leurs violations de contrat n’est qu’un des facteurs défavorables à la revendication de M. Marcovitz. Ce qui joue le plus contre lui, ce sont les atteintes importantes que la violation de ses obligations juridiques porte à nos engagements — précisés dans la Constitution et les lois — envers l’égalité, la liberté de religion et la liberté de choix en matière de mariage et de divorce.

[81] En conférant au tribunal le pouvoir discrétionnaire d’éconduire dans des procédures civiles un époux qui fait obstacle au remariage religieux, l’art. 21.1 de la Loi sur le divorce indique clairement qu’il est d’intérêt public au Canada de décourager les obstacles de ce genre. Comme l’indiquent les commentaires des ministres de la Justice de l’époque, la communauté juive, incluant ses membres plus religieux, ont accueilli très favorablement ces modifications, ce qui reflète l’opinion générale selon laquelle le refus d’accorder le get constitue à l’égard des femmes juives une indignité injustifiée que, dans la mesure du possible, le système juridique canadien ne devrait pas accepter.

[82] Nous reconnaissons également aux Canadiens le droit de décider eux‑mêmes si leur mariage est irrémédiablement brisé et nous tentons de leur permettre — et non de les empêcher — de continuer leurs vies, y compris avec de nouvelles familles. De plus, en droit canadien, le mariage et le divorce sont ouverts tant aux hommes qu’aux femmes. Par contre, selon la loi juive, le get ne peut être accordé que par l’époux. Pour la femme juive empêchée par ses principes religieux d’envisager le remariage à moins qu’il soit conforme à la loi juive, le refus du get la prive du droit de se remarier. Certes, l’épouse doit elle aussi consentir au get, mais comme le souligne Ayelet Shachar dans Multicultural Jurisdictions, le droit a sur les femmes un effet disparate :

[traduction] Le domaine du droit familial [. . .] illustre on ne peut mieux le troublant paradoxe de la vulnérabilité multiculturelle en montrant de quelle façon des tentatives bien intentionnées de respect des différences se transforment souvent en autorisation de subordination des membres d’un groupe appartenant à une catégorie donnée — en l’occurrence, principalement les femmes. [p. 62]

Le refus de l’époux d’accorder le get à son épouse la prive donc arbitrairement de l’accès à un recours qu’elle possède de façon indépendante en droit canadien, et il lui enlève la possibilité de se remarier et de refaire sa vie conformément à ses croyances religieuses.

[83] Les tribunaux offrant aux femmes juives leur protection contre les époux qui refusent de leur accorder un divorce religieux jouissent également d’un soutien au niveau international.

[84] La Commission européenne des droits de l’homme a maintenu le recours aux dommages‑intérêts pour indemniser une épouse qui s’est vu refuser le get. Dans D. c. France, requête no 10180/82, 6 décembre 1983, D.R. 35, p. 199, l’époux avait été condamné par un tribunal français à verser 25 000 francs à son ex‑épouse pour l’indemniser de son refus de lui accorder le get. L’époux s’est adressé à la Commission, faisant valoir que son droit à la liberté de conscience et de religion garanti par la Convention européenne des droits de l’homme avait été violé par cette condamnation. La Commission a rejeté sa requête, faisant observer que « selon le droit hébraïque il est d’usage de délivrer la lettre de répudiation après le prononcé du divorce civil et qu’un homme véritablement pieux ne saurait retarder la remise de cette lettre à son ex‑épouse » (p. 200). Elle a en outre estimé « qu’en refusant de remettre à son ex‑épouse la lettre de répudiation constatant le divorce religieux, le requérant n’a pas manifesté sa religion par l’accomplissement d’un rite ou d’une pratique religieuse au sens de l’article 9, par. 1, de la Convention » (p. 200‑201).

[85] Les tribunaux français ont statué que le refus d’accorder le get constitue une faute délictuelle. Le recours prévu est le paiement de dommages‑intérêts pour indemniser l’épouse. Dans Trib. civ. Seine, 22 février 1957, Gaz. Pal. 1957.1.246, par exemple, l’époux avait divorcé de son épouse au civil mais refusait de lui accorder le get. Le Tribunal civil de la Seine a conclu comme suit :

Attendu que le gueth est un acte de répudiation à caractère purement religieux qui ne peut emporter aucun effet sur la rupture du lien conjugal au point de vue civil, rupture déjà consacrée par le divorce; qu’il ne peut donc être utilement soutenu que la délivrance du gueth soit contraire à l’ordre public. [p. 246]

Constatant que la remise du get ne nécessite aucune forme de culte particulière, le tribunal a considéré que le refus de l’époux d’accorder le get constituait une faute délictuelle et l’épouse a obtenu des dommages‑intérêts importants. (Voir également Civ. 2e, 13 décembre 1972, D. 1973.493.)

[86] Au Royaume‑Uni, les tribunaux se sont également montrés disposés à reconnaître les conséquences civiles du refus de l’époux d’accorder le get et ont affirmé que l’impossibilité de se remarier dans sa religion représente un préjudice grave donnant ouverture à indemnisation. Dans Brett c. Brett, [1969] 1 All E.R. 1007, la Cour d’appel d’Angleterre a condamné l’époux à verser une somme forfaitaire supplémentaire au titre de la pension alimentaire au conjoint s’il refusait d’accorder le get avant une certaine date.

[87] Les tribunaux australiens ont aussi prévu des recours à l’égard du refus de l’époux d’accorder le get à son épouse. Dans In the Marriage of Shulsinger (1977), 13 A.L.R. 537, le tribunal de la famille de l’Australie a affirmé que l’engagement à accorder le get pris par un époux envers le tribunal ne violait pas sa liberté de religion, concluant comme suit :

[traduction] [Le juge de première instance] était préoccupé par [. . .] la grave question de l’injustice qui serait faite si l’époux demandait et obtenait un divorce en Australie, mais refusait de libérer son épouse des obligations du mariage. Il est contraire à toutes les notions de justice de permettre qu’une telle éventualité se produise devant un tribunal, et d’affirmer que ce dernier n’y peut rien. [Je souligne; p. 541.]

Puis, dans In the Marriage of Steinmetz (1980), 6 F.L.R. 554, le tribunal de la famille de l’Australie a octroyé à l’épouse une pension alimentaire plus substantielle pour « encourager » l’époux à accorder à cette dernière un divorce religieux.

[88] Se fondant principalement sur le principe voulant que l’obtention du get constitue non seulement un acte religieux, mais aussi un acte ayant pour objet séculier de finaliser la dissolution du mariage, les tribunaux américains se sont montrés enclins à ordonner aux parties de se soumettre à la compétence du beth din. Dans Avitzur c. Avitzur, 459 N.Y.S.2d 572 (1983), la Cour d’appel de New York a conclu que la clause d’un contrat de mariage juif obligeant les deux parties à se présenter devant le beth din dès la rupture du mariage en vue d’accorder le get avait force exécutoire et n’allait pas à l’encontre de l’interdiction constitutionnelle de la confusion excessive de l’État et de l’Église. (Voir également Waxstein c. Waxstein, 395 N.Y.S.2d 877 (Sup. Ct. 1976) (conf. par 394 N.Y.S.2d 253 (App. Div. 1977)); Rubin c. Rubin, 348 N.Y.S.2d 61 (Fam. Ct. 1973); et Minkin c. Minkin, 434 A.2d 665 (N.J. Super. Ct. Ch. Div. 1981).) Contrairement à la situation qui prévalait dans l’affaire Avitzur et d’autres affaires américaines, notre Cour n’est pas appelée à ordonner l’exécution intégrale ou, comme je l’ai déjà indiqué, à déterminer le caractère exécutoire d’un contrat de mariage juif, et la mention de ces décisions ne signifie pas que j’en accepte les dispositifs.

[89] En Israël, où les juges ont octroyé des dommages‑intérêts à une épouse à titre d’indemnisation pour le refus de son époux de lui accorder le get, l’attitude adoptée par les tribunaux à l’égard de cette question présente un intérêt particulier. Dans Jane Doe c. John Doe, Trib. fam. Jérusalem, no 19270/03, 21 décembre 2004, le juge Hacohen a reconnu que [traduction] « [l]e problème de la réticence à accorder le get est un des problèmes fondamentaux du judaïsme halachique (la loi religieuse juive) et du droit familial juif » (par. 3). Il a fait observer que dans la décision H.C. 6751/04, Sabag c. Supreme Rabbinical Court of Appeals, 59(4) P.D. 817, la Haute cour de justice a signalé qu’il était impératif [traduction] « de trouver des solutions efficaces à ce phénomène [. . .] pour affranchir les couples [. . .] et leur permettre de refaire leur vie, et d’ainsi jouir de leur droit de mener une vie indépendante sur le plan personnel » (par. 3) (traduit de l’anglais). Après avoir pris note de l’argument de l’époux voulant que les tribunaux rabbiniques soient mieux placés pour connaître des litiges de ce genre du fait que la loi religieuse s’applique au mariage et au divorce en Israël, le juge Hacohen, qui a condamné l’époux à verser 425 000 shekels en dommages‑intérêts, y compris 100 000 shekels en dommages‑intérêts majorés, a statué comme suit :

[traduction] Les tribunaux rabbiniques sont appelés, à un moment ou à un autre, à trouver des solutions halachiques [de la loi religieuse] au phénomène de la réticence à accorder le get et à imaginer des outils halachiques pour forcer les personnes qui le retiennent à accepter d’accorder à leurs épouses le get tant attendu. En l’espèce, toutefois, la Cour ne s’ingère pas dans ce domaine. [. . .] Le redressement demandé a pour objet d’indemniser l’épouse des dommages importants causés par ses longues années d’aginut, de solitude et de souffrance morale que lui a imposées son époux. [Je souligne; par. 19.]

[90] Cette perspective internationale renforce l’idée que l’exécution judiciaire d’un engagement à accorder le divorce juif est compatible avec les valeurs d’ordre public que partagent d’autres démocraties.

[91] M. Marcovitz ne peut donc pas s’appuyer sur la Charte québécoise pour se soustraire aux conséquences de son refus de donner suite à son engagement d’accorder le get.

[92] L’intérêt que porte le public à la protection des droits à l’égalité et de la dignité des femmes juives dans l’exercice indépendant de leur capacité de divorcer et se remarier conformément à leurs croyances, tout comme l’avantage pour le public d’assurer le respect des obligations contractuelles valides et exécutoires, comptent parmi les intérêts et les valeurs qui l’emportent sur la prétention de M. Marcovitz selon laquelle l’exécution de l’engagement pris au paragraphe 12 de l’entente pourrait restreindre sa liberté de religion.

[93] Malgré le caractère moribond de son mariage, Mme Bruker est demeurée, depuis l’âge de 31 ans jusqu’à 46 ans, l’épouse de M. Marcovitz selon la loi juive et s’est trouvée dramatiquement limitée dans ses choix de vie personnelle. Sa faculté de vivre sa vie conformément aux lois et aux valeurs de notre pays et à ses croyances juives s’est ainsi trouvée gravement et arbitrairement entravée. Une atteinte à la liberté de religion de M. Marcovitz est sans conséquence en comparaison des inconvénients disproportionnés sur la possibilité pour Mme Bruker de vivre pleinement sa vie comme femme juive au Canada.

D. Dommages‑intérêts

[94] Il reste à examiner la prétention de Mme Bruker selon laquelle l’indemnité accordée par le juge de première instance était insuffisante. Monsieur Marcovitz prétend au contraire que le montant des dommages‑intérêts accordé par le juge de première instance était trop élevé et devrait être réduit.

[95] Des dommages‑intérêts peuvent être accordés en cas de rupture de contrat. Selon l’art. 1607 C.c.Q., le créancier d’une obligation « a droit à des dommages‑intérêts en réparation du préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel, que lui cause le défaut du débiteur et qui en est une suite immédiate et directe ». Le juge de première instance a conclu que le manquement de M. Marcovitz à son obligation de droit civil contenue au paragraphe 12 de l’entente était la cause de la réclamation de dommages‑intérêts par Mme Bruker. Il a exercé son pouvoir discrétionnaire en accordant des dommages‑intérêts, et je ne vois aucune raison d’intervenir dans cet exercice.

[96] Il ne fait aucun doute que la seule raison pour laquelle le get n’a pas été accordé tient au refus de M. Marcovitz de se présenter devant le tribunal pour l’accorder. L’entente a été librement conclue, et tout ce qui a changé entre la date de l’entente et la date du prononcé du jugement conditionnel de divorce, c’est l’état d’esprit de M. Marcovitz. Il avait le droit de changer sa position juridique, mais non sans en changer les conséquences juridiques. Il peut refuser d’accorder le get s’il le désire, mais non sans accepter la responsabilité des conséquences que sa décision de revenir sur son obligation civile peut avoir pour Mme Bruker.

[97] Le juge de première instance a examiné l’ensemble de la preuve relative à l’effet que le manquement au paragraphe 12 de l’entente a eu sur la vie de Mme Bruker. Rien n’indique qu’il a commis une erreur manifeste ou dominante, qu’il s’est fondé sur un principe erroné ou mauvais, ou que l’évaluation des dommages‑intérêts est erronée. L’attribution de dommages‑intérêts en l’espèce indemnise bien Mme Bruker de la perte que lui a causé le refus de M. Marcovitz d’exécuter son obligation contractuelle — soit la perte pendant 15 ans de la faculté de se remarier ou d’avoir des enfants conformément à ses croyances religieuses. Je ne vois aucune raison de modifier le montant des dommages‑intérêts.

[98] Madame Bruker a également soutenu que le juge de première instance a eu tort de n’accorder des intérêts et une indemnité additionnelle qu’à compter de la date de la modification de sa demande de dommages‑intérêts additionnels en 1996, plutôt qu’à compter de la date du prononcé du jugement conditionnel de divorce en 1980 ou de la date de son action initiale en 1989. L’article 1618 C.c.Q. prévoit, relativement aux dommages‑intérêts du genre de ceux que réclame Mme Bruker, le paiement de l’intérêt « depuis la demeure ou depuis toute autre date postérieure que le tribunal estime appropriée ». Aux termes de l’art. 1619 C.c.Q., « [i]l peut être ajouté aux dommages‑intérêts accordés à quelque titre que ce soit, une indemnité ».

[99] Le juge de première instance a estimé que la demande de dommages‑intérêts de Mme Bruker n’est devenue une véritable question en litige qu’une fois le get accordé, lorsqu’elle a déposé sa déclaration modifiée. C’est pourquoi il n’a accordé des intérêts et une indemnité additionnelle qu’à compter de la date de sa signification. Je ne vois aucune raison d’intervenir dans cet exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[100] Le pourvoi est donc accueilli avec dépens dans toutes les cours.

Les motifs des juges Deschamps et Charron ont été rendus par

[101] La juge Deschamps (dissidente) — La Cour est appelée à décider si les tribunaux civils peuvent être utilisés non seulement comme rempart pour protéger la liberté de religion mais aussi comme arme pour sanctionner un engagement religieux. Plusieurs auraient cru évidente, au XXIe siècle, une réponse négative. La conclusion à laquelle arrive la majorité équivaut cependant à répondre affirmativement à cette question. Je ne peux me ranger à cette décision.

[102] L’adhésion du Canada au multiculturalisme et son attachement aux valeurs fondamentales que constituent la liberté de conscience et de religion et le droit à l’égalité garantissent à tous les Canadiens et Canadiennes que les tribunaux demeureront neutres devant les préceptes religieux. Cette neutralité donne aux tribunaux la légitimité nécessaire pour s’acquitter de leur rôle d’arbitre de la cohabitation des différentes religions et leur permet de décider comment les droits conflictuels peuvent être conciliés. Cette attitude protectrice des tribunaux face à la liberté de conscience et de religion implique une tâche lourde et complexe. Il ne conviendrait pas de leur imposer le fardeau additionnel de sanctionner les préceptes et engagements religieux.

[103] Dans le présent cas, le fait de sanctionner les conséquences religieuses du délai à consentir au get signifie que le tribunal avalise ces conséquences religieuses, même si elles vont à l’encontre d’acquis de la société canadienne. Il s’agit d’une première et elle heurte les normes du droit positif québécois et canadien. Ni le droit public ni le droit privé ne l’autorisent.

[104] Par ailleurs, j’ai certaines réserves à l’égard d’un des piliers de l’argumentaire de la majorité. Celle-ci accorde une importance déterminante à l’art. 21.1 de la Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, ch. 3 (2e suppl.), lui conférant un effet interprétatif qui déborde sa portée immédiate. Cette disposition a été adoptée à la demande de la communauté juive canadienne afin de pallier l’incapacité des autorités rabbiniques à résoudre le problème du divorce religieux juif : « . . . la communauté juive, en particulier l’association B’nai Brith du Canada [et le Conseil Juif canadien], appuyée par les principales organisations juives, a demandé que soit corrigée une situation qu’elle considère injuste » (Débats de la chambre des communes, vol. VI, 2e sess., 34e lég., 15 février 1990, p. 8375).

[105] La validité constitutionnelle de l’art. 21.1 a été contestée dans le présent dossier. La contestation a toutefois été abandonnée, l’intimé ayant été expressément autorisé à contester la compétence des tribunaux pour trancher la réclamation en dommages-intérêts sans égard à cette disposition (dossier de l’appelante, p. 3). Cette autorisation a été accordée par le juge qui a entendu le procès. Ni le juge du procès ni la Cour d’appel n’ont donc eu recours à l’art. 21.1 pour disposer de la question de la compétence des tribunaux civils pour se saisir de la question du get. La majorité invoque cependant cette disposition pour appuyer sa conclusion sur cette question. L’autorisation donnée par la Cour supérieure perd son sens et le débat est transformé lorsque les tribunaux supérieurs se fondent sur un argument qui a été exclu de celui-ci. Il est regrettable qu’un argument auquel une telle importance est attachée soit utilisé par la majorité, d’autant plus que la décision de la Cour peut être interprétée comme ayant pour effet de trancher, même de façon partielle, la question de la validité de la disposition, alors qu’elle n’a pas été débattue et qu’elle a même été expressément écartée du débat par les parties.

[106] Devant notre Cour, la première question soulevée par l’appelante est celle de la compétence des tribunaux. Les juges de la majorité traitent le dossier plutôt comme une question de conciliation du droit des parties à leur liberté de religion. À mon avis, la question de la compétence des tribunaux de connaître de la demande de l’appelante est décisive. Les moyens de l’intimé fondés sur la neutralité du rôle de l’État en matière religieuse et sur l’absence d’objet au contrat sont déterminants. Le moyen qui repose sur sa liberté de religion n’a pas besoin d’être examiné. Aucun exercice de conciliation ou d’accommodement n’est nécessaire. Ni le droit public ni le droit des contrats ne donnent ouverture à la demande de l’appelante.

1. Les faits et l’historique judiciaire

[107] En avril 1980, après 11 années de mariage, l’appelante intente une action en divorce. Le 15 juillet 1980, les parties concluent une entente sur les mesures accessoires. L’entente traite du partage des biens, des droits de visite, de la pension alimentaire pour les deux enfants du couple, de l’attribution à l’appelante d’une somme globale, en plus de prévoir une quittance mutuelle. L’entente contient aussi, et c’est là la source du litige qui nous occupe, l’engagement des parties à se présenter devant les autorités rabbiniques en vue d’obtenir un divorce religieux juif, appelé get. La clause qui concerne le get est rédigée ainsi :

[traduction]

12. Les parties [conviennent] de se présenter devant les autorités rabbiniques de la ville et du district de Montréal en vue d’obtenir le get [divorce] religieux traditionnel immédiatement après le prononcé d’un jugement conditionnel de divorce.

[108] Peu après la signature de l’entente, les relations entre les parties se détériorent au point de devenir orageuses. En octobre 1980, le jugement de divorce est prononcé mais l’intimé ne se présente pas pour l’obtention du get. L’appelante travaille comme décoratrice d’intérieur et mène une vie active, marquée par un comportement non conventionnel.

[109] Débute alors une saga judiciaire. Le litige concerne principalement la modification des mesures accessoires. Dès 1983, un premier jugement est rendu. De nombreux autres suivent. En 1989, l’appelante intente une action dans laquelle elle réclame la somme de 500 000 $, au motif qu’elle aurait été empêchée de mener sa vie, de se remarier selon la foi juive et d’avoir des enfants (les deux enfants du mariage

sont adoptés), le tout parce que l’intimé n’a pas donné suite à son engagement de se présenter devant les autorités rabbiniques pour l’obtention du get. Également en 1989, l’appelante déménage à New York en quête d’une nouvelle vie. Elle s’y rend avec les deux enfants du couple. Les relations de l’appelante avec les filles sont aussi difficiles que celles qu’elle entretient avec l’intimé. L’une d’elles fait, en 1992, l’objet d’une ordonnance de placement; à sa majorité, elle demande de continuer à habiter avec sa famille d’accueil. L’autre n’habite que sporadiquement avec sa mère, passant d’un pensionnat à l’autre.

[110] Le 5 décembre 1995, à une époque contemporaine à l’audition de plusieurs requêtes présentées tant par l’intimé que par l’appelante au sujet des mesures accessoires, l’intimé consent au get; le divorce religieux est alors prononcé. L’intimé témoigne qu’il était à ce moment satisfait de l’entente qu’il avait avec les filles. Subvenant directement à leurs besoins, il se sentait libéré de l’appelante. L’action en dommages-intérêts continue toutefois de suivre son cours. L’appelante modifie à 1 350 000 $ la somme réclamée.

[111] Le jugement de la Cour supérieure sur cette action est prononcé en 2003 ([2003] R.J.Q. 1189). Le juge conclut que, lors de son incorporation à l’entente sur les mesures accessoires, l’obligation religieuse [traduction] « est devenue de la compétence des tribunaux civils, et l’obligation religieuse a été incorporée dans une entente civile. [. . .] Dès lors qu’un contrat civil existe, même si ses objets ont trait à des obligations religieuses, il est justiciable et relève de la compétence du tribunal civil. [. . .] Puisqu’en l’espèce aucune question d’ordre public ne se pose, le contrat est valide. En termes simples, une obligation civile valide teintée de religion a été créée. » (par. 19-20)

[112] Le juge conclut que le refus de consentir au get n’est pas justifié en droit. Il note que l’attitude de l’intimé constitue une forme de punition ou de contrainte, parce que celui-ci prétend que l’appelante a aliéné les enfants et l’a harcelé de demandes pécuniaires (par. 9 et 12).

[113] Faisant un lien avec ce qu’il dit être l’adhésion de l’appelante aux préceptes de la communauté orthodoxe juive, le juge accorde 2 500 $ pour chacune des 15 années pendant lesquelles celle-ci n’a pu se remarier :

[traduction] Bien qu’il n’existe aucune preuve établissant qu’un prétendant ait mis fin à sa relation avec la demanderesse à cause de l’incapacité de celle-ci de se marier avec lui devant un rabbin de la communauté orthodoxe — d’ailleurs rien n’indique qu’elle ait jamais reçu une demande en mariage — , la demanderesse avait néanmoins le droit d’exercer sa liberté de religion comme elle seule l’entendait. Il n’appartient pas au défendeur de lui imposer un degré de « religiosité », de dire qu’elle aurait pu se remarier à la Synagogue réformée ou demander une annulation, etc.

Les questions de conscience religieuse doivent être laissées aux parties adultes qui les invoquent et non leur être imposées par autrui. La demanderesse a convaincu la cour que malgré ses nombreux accrocs aux doctrines et préceptes préconisés par la communauté juive orthodoxe — son avortement, ses relations extra-conjugales, son usage de contraceptifs, etc. — , elle a été et est demeurée membre de la branche orthodoxe de la communauté juive, qu’elle avait donc le droit de se remarier devant un rabbin de cette communauté et que, pour ce faire, elle aurait eu besoin d’un get accordé par un Beth Din reconnu par celle‑ci. [par. 46‑47]

[114] Il accorde aussi à l’appelante la somme de 10 000 $, pour le motif qu’elle ne pouvait pas, pendant cette période, avoir d’enfant légitime selon les préceptes de la communauté juive orthodoxe :

[traduction] La cour présume que toute mention par la demanderesse du fait d’avoir des enfants s’entend nécessairement d’enfants « légitimes » selon les préceptes observés par la communauté juive orthodoxe à laquelle elle appartenait.

Comme la demanderesse n’a produit aucune preuve de l’échec d’une relation qui aurait pu conduire au mariage parce qu’elle n’avait pas de get, elle n’a pas été empêchée d’avoir un enfant avec le partenaire d’une telle relation.

Toutefois, étant donné qu’elle n’était généralement pas en mesure d’avoir d’enfant légitime, situation qui, affirme‑t‑elle, a influencé son choix de compagnons et d’amoureux, la Cour lui accorde une somme symbolique de 10 000 $ à ce titre. [par. 50‑52]

[115] L’intimé porte ce jugement en appel.

[116] La Cour d’appel souligne d’abord que si la pension alimentaire et le partage des intérêts financiers sont des sujets relevant de la compétence du juge qui entend l’action en divorce, tel n’est pas le cas pour l’engagement contenu à la clause 12 de l’entente sur les mesures accessoires. S’exprimant pour la cour, le juge Hilton écrit ceci :

[traduction] La comparution devant des autorités rabbiniques en vue d’obtenir un get, engagement prévu au paragraphe 12 du Consentement, ne peut cependant pas vraiment être obtenue par voie d’ordonnance sur les mesures accessoires demandée par une partie à un divorce. Même maintenant, le mieux que l’on puisse demander est la mesure envisagée à l’article 21.1 de la Loi sur le divorce, laquelle, comme nous l’avons vu, est imparfaite, puisque son application dépend de la présentation d’une demande distincte par l’époux qui a le pouvoir de supprimer l’obstacle à l’obtention d’un divorce religieux, l’examen par le tribunal de cette demande étant concrètement subordonné à la suppression de l’obstacle religieux.

([2005] R.J.Q. 2482, par. 41)

[117] Le juge Hilton estime aussi que le juge de la Cour supérieure a commis une erreur en faisant primer la forme de l’obligation sur sa substance :

[traduction] Bien que l’on ne puisse qu’être empathique au sort d’une femme juive dont l’ex‑époux retarde l’obtention du get ou refuse de le lui accorder, qu’il ait ou non conclu une entente prénuptiale l’obligeant à le faire ou dans le contexte d’un consentement sur les mesures accessoires, je suis arrivé à la conclusion que l’essence de l’obligation de l’ex‑époux est de nature religieuse — quelle que soit la forme que prend l’obligation — et que, par conséquent, il n’est pas possible en cas d’allégation de manquement à cette obligation de s’adresser aux tribunaux séculiers pour obtenir l’exécution en nature de cette obligation ou des dommages‑intérêts. Manifestement, il n’appartient pas aux tribunaux séculiers de pallier l’effet discriminatoire de l’absence d’un get pour une femme juive qui désire en obtenir un, pas plus qu’il ne conviendrait que ces tribunaux, dans un contexte non contractuel, se saisissent de litiges semblables concernant d’autres religions et où un traitement inégal est réservé aux femmes quant à l’accès à des postes au sein du clergé, ou encore, comme nous l’avons vu récemment dans d’autres contextes, de litiges où des conjoints de même sexe se voient refuser le droit de se marier dans des cérémonies religieuses associées à certaines croyances religieuses. [par. 76]

[118] Le juge Hilton reproche enfin au juge de première instance de conclure que, puisque le get a été accordé en 1995, il aurait pu l’être en 1980. Le juge Hilton rappelle que les conditions avaient changé entre le moment de la signature de l’entente et le prononcé du divorce et que, selon la preuve incontestée, les autorités rabbiniques prennent en considération, non un consentement préalable, mais seulement celui donné librement devant le tribunal juif. Manifestement, selon le juge Hilton, le consentement n’aurait pas pu être libre entre le moment du prononcé du divorce et celui où il a été donné. Le juge signale qu’il ne peut concilier ce qu’il comprend être l’exercice de la conscience religieuse de l’intimé avec la position suggérée par l’appelante sans conclure que l’intimé aurait dû mentir concernant le caractère volontaire de sa présence devant le beth din et son consentement au get. Le juge voit tout au plus dans la clause de l’entente sur les mesures accessoires une obligation morale dont l’exécution ne peut pas être demandée aux tribunaux civils.

[119] L’appelante demande à notre Cour de reconnaître le caractère civil de l’obligation et de lui accorder des dommages de 400 000 $, majorés des intérêts depuis la date du jugement de divorce en 1980. L’intimé, pour sa part, soutient que le droit des contrats ne permet pas de sanctionner un engagement religieux et que l’objet de l’engagement contenu à la clause 12 est un acte religieux. Il plaide que l’art. 3 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12, garantit le droit d’accomplir ou de ne pas accomplir un acte religieux et que l’engagement religieux ne donne pas ouverture à une action en justice.

2. Analyse

2.1 Le get vu sous l’angle du droit public : la judiciarisation des réclamations ayant un fondement religieux

[120] Malgré les fondements religieux du droit romain et du droit civil français dont est issu le droit civil québécois, que l’État québécois soit neutre du point de vue religieux ne devrait faire, aujourd’hui, aucun doute. Une première césure s’est opérée lors de la Proclamation Royale de 1763. L’ouverture au monde faite au XXe siècle et la prise en charge par l’État des institutions contrôlées par les communautés religieuses au début des années 60 lors de la Révolution tranquille marquent un autre pas. Une césure plus complète est survenue avec l’adoption, par le Canada, de la politique du multiculturalisme. (F. K. Comparato, Essai d’analyse dualiste de l’obligation en droit privé (1964), p. 135‑136; Congrégation des témoins de Jéhovah de St‑Jérôme‑Lafontaine c. Lafontaine (Village), [2004] 2 R.C.S. 650, 2004 CSC 48, par. 66-68, et Loi sur le multiculturalisme canadien, L.R.C. 1985, ch. 24 (4e suppl.).)

[121] Cette neutralité ne signifie pas que l’État ne prend jamais en considération les questions religieuses. Au contraire, l’art. 2 de la Charte canadienne des droits et libertés commande à l’État de respecter la liberté de religion. Ainsi, dans l’affaire Congrégation des témoins de Jéhovah, c’est justement parce que l’on plaidait la violation de la liberté de religion que les tribunaux ont eu à se pencher sur le refus de la municipalité concernée de consentir une dérogation au règlement de zonage. Cela reflète une conception « négative » de la liberté de religion, qui impose à l’État l’obligation de ne pas porter atteinte plus que nécessaire au droit fondamental. Tout comme pour la liberté d’expression, l’État n’a pas à fournir de porte-voix aux prédicateurs (Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995).

[122] Le droit canadien ne prohibe donc pas la prise en considération par les tribunaux de questions à caractère religieux, à condition que la réclamation soit fondée sur la violation d’une règle reconnue en droit positif. À ce propos, l’intervention de tribunaux canadiens a déjà été sollicitée en vue de donner effet à des obligations liées au get ou à un contrat de mariage religieux. Le fait d’assujettir la recevabilité d’une réclamation à l’existence d’une règle de droit positif constitue une base neutre permettant de distinguer les cas où l’intervention est permise de ceux où elle ne l’est pas. Dans Re Morris and Morris (1973), 42 D.L.R. (3d) 550, la Cour d’appel du Manitoba, à la majorité, a estimé que le get était du ressort du tribunal religieux et non des tribunaux laïques. Elle a cassé une ordonnance enjoignant à un mari de consentir au get au motif que le contrat de mariage religieux, la ketubbah, ne contenait pas d’obligation civile.

[123] Par contre, si un époux peut démontrer que son contrat de mariage religieux remplit toutes les conditions d’un contrat civil selon la législation provinciale, les tribunaux peuvent ordonner l’exécution des engagements à payer les sommes qui y sont prévues. En Colombie‑Britannique, ce fondement juridique a été reconnu à l’égard d’un contrat de mariage musulman (mahr), dans les affaires Nathoo c. Nathoo, [1996] B.C.J. No. 2720 (QL) (C.S.), Amlani c. Hirani (2000), 194 D.L.R. (4th) 543, 2000 BCSC 1653, et M. (N.M.) c. M. (N.S.) (2004), 26 B.C.L.R. (4th) 80, 2004 BCSC 346. En Ontario, par contre, on a jugé que ce type de contrat de mariage ne remplissait pas les conditions prévues par la législation provinciale applicable (Kaddoura c. Hammoud (1998), 168 D.L.R. (4th) 503 (C. Ont. (Div. gén.))).

[124] Dans chaque cas, les parties et les tribunaux doivent se reporter aux règles civiles pertinentes pour évaluer le caractère obligatoire de l’engagement. Le présent pourvoi ne remet pas en cause les recours déjà reconnus pour trouver une solution au problème du get, mais cherche à en créer un nouveau.

[125] L’appelante demande aux tribunaux d’évaluer l’impact qu’a eu sur sa vie l’omission de l’intimé de consentir au get. Les conséquences de l’absence du get ne sont pas prévues par des règles civiles. Elles découlent des règles religieuses. En effet, l’épouse qui n’obtient pas de get à la dissolution du mariage civil est considérée comme une agunah, ou « femme enchaînée », et, aux yeux de sa religion, ses enfants futurs seront des mamzerim, ou enfants illégitimes.

[126] De longue date, les tribunaux se sont refusés à endosser le genre d’intervention proposée par l’appelante. Le rôle des tribunaux est neutre en matière de religion. Il se limite à s’assurer que les lois sont conformes à la Constitution et, dans le cas d’un litige privé, à déterminer le point de convergence des droits dans une quête de respect de la liberté de religion.

[127] Pour se convaincre des racines maintenant profondes de ces limites, il suffit de rappeler le commentaire de lord Moulton dans l’affaire Despatie c. Tremblay (1921), 47 B.R. 305 (C.P.), au sujet du droit à l’époque de l’entrée en vigueur de l’Acte de Québec (R.-U.), 14 Geo. 3, ch. 83 :

[traduction] La loi ne s’est d’aucune façon ingérée dans la compétence des tribunaux ecclésiastiques de la religion catholique romaine sur les membres de cette foi en ce qui a trait aux questions de conscience. Mais elle ne leur a en revanche reconnu aucun rôle au civil. La décision des personnes touchées de choisir ou non de reconnaître ces décrets constituait une question de choix personnel qui pouvait ou non nuire à leur capacité de continuer à être membres de cette communion. Mais il s’agissait d’une question qui ne les concernait qu’elles. [p. 316]

Les lords juges refusaient ainsi d’appliquer la norme religieuse pour décider de la validité du mariage en cause.

[128] L’arrêt de notre Cour dans l’affaire Ukrainian Greek Orthodox Church of Canada c. Trustees of the Ukrainian Greek Orthodox Cathedral of St. Mary the Protectress, [1940] R.C.S. 586, est tout aussi explicite. Le juge Crocket s’y exprime ainsi :

[traduction] . . . car qu’il est bien établi que, sauf dans les cas où un droit de propriété ou un droit civil est touché par une telle mesure, les tribunaux civils de notre pays ne permettront pas qu’on s’adresse à eux pour obtenir l’exécution d’un décret ou d’une ordonnance purement ecclésiastique. [Je souligne; p. 591.]

Il conclut, à la p. 594, que [traduction] « [l]e but unique et évident de la présente prétention, tout comme celui de l’action en général, est d’obtenir l’exécution d’une décision ou d’un décret purement ecclésiastique. Pour ce motif, j’estime que la Cour d’appel était tout à fait justifiée de rejeter l’action de la demanderesse. »

[129] Les conditions de délivrance d’un get et les conséquences de l’absence de divorce religieux sont régies par les normes de la religion juive. L’État ne s’immisce pas dans ce domaine. Par exemple, la Cour supérieure du Québec a refusé d’ordonner à un mari d’accorder un get à son ex‑épouse en invoquant non seulement la séparation des institutions religieuses et de l’État, mais aussi la liberté de conscience. Sur ce dernier aspect, le juge Hurtubise a écrit ceci dans Ouaknine c. Elbilia, [1981] C.S. 32, p. 35 :

Sous cet angle, la question qui se pose est la suivante : la Cour doit‑elle contraindre l’intimé à se présenter devant un Tribunal rabbinique et à accorder le divorce religieux? En l’absence de preuve, devons‑nous présumer que cette ordonnance n’irait pas à l’encontre des préceptes de la religion juive? Et au‑delà de l’institution, de l’Église, peut‑on forcer de la sorte un individu sans s’ingérer dans sa propre liberté de religion et de conscience et en limiter le libre exercice à moins de sonder ses convictions profondes ou lui faire un procès d’intention? Nous ne le croyons pas.

[130] Je ne vois aucun revirement ou assouplissement dans l’approche des tribunaux à l’égard de la sanction d’un engagement purement religieux. Qu’il s’agisse de forcer la comparution d’une partie devant les autorités rabbiniques ou d’ordonner le paiement d’une somme d’argent, le même principe est en cause : le pouvoir des tribunaux peut-il relever d’une norme purement religieuse? Je ne le crois pas. Dans l’affaire Lakeside Colony of Hutterian Brethren c. Hofer, [1992] 3 R.C.S. 165, la Cour a réitéré le principe reconnu par le juge Crocket dans l’arrêt Ukrainian Greek Orthodox Church. Cet arrêt est fondé sur le fait que, pour les membres de l’association volontaire que constituait la colonie hutérite, le droit de rester sur les terres de la Lakeside Holding Co. constituait un droit contractuel (p. 174). À la différence du présent cas, cette affaire reposait sur un contrat validement formé entre les parties. Elle ne peut donc être invoquée pour soutenir que les tribunaux interviennent désormais dans les litiges religieux.

[131] Ce principe de non-intervention dans les pratiques religieuses a d’ailleurs été l’une des plus importantes considérations menant à l’adoption de la norme subjective de la croyance sincère (Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, 2004 CSC 47). Il s’agit d’un principe important car il existe de multiples circonstances dans lesquelles les tribunaux pourraient être appelés à intervenir dans les conflits religieux. Le principe de non-intervention permet d’éviter que les tribunaux aient à trancher entre diverses normes religieuses ou entre les règles du droit laïques et les normes religieuses. En l’espèce, l’appelante n’a pas prétendu que ses droits civils étaient brimés par une norme civile émanant du droit positif. Seuls ses droits religieux sont en cause, et c’est le fait de normes religieuses. Ainsi, l’appelante ne demande pas à être indemnisée parce qu’elle ne peut se remarier en raison d’une règle civile. C’est une règle de sa religion qui l’en empêche. Elle ne demande pas à être indemnisée parce que les enfants auxquels elle aurait peut‑être donné naissance n’auraient pas eu les mêmes droits civils que les enfants « légitimes ». En droit canadien et en droit québécois, tous les enfants — qu’ils soient issus ou non d’un mariage — sont égaux. Le motif pour lequel l’appelante demande à être indemnisée se heurte à des acquis chers à la société civile. Accorder la demande de l’appelante met les tribunaux en contradiction avec les lois qu’ils sont chargés de faire respecter.

[132] En effet, il convient de souligner que les conséquences religieuses de l’absence de get ne priment pas sur le droit laïque. Ni la Loi sur le divorce ni le droit civil n’ont de règles d’exclusion comme celles qui affectent l’agunah et les mamzerim. Le droit mosaïque — pas plus d’ailleurs que le droit canonique — n’exerce aucun ascendant sur le droit laïque. La réciproque est également vraie : le droit laïque n’a aucune autorité sur le droit religieux (Ouellette c. Gingras, [1972] C.A. 247; Despatie; Curé et marguilliers de l’œuvre et fabrique de la paroisse de St‑Zacharie c. Morin, [1968] C.S. 615; Mathys c. Demers, [1968] C.S. 172; Bergeron c. Proulx, [1967] C.S. 579). L’État laisse à chacun le soin de s’autoréglementer en matière religieuse. Il ne revient pas à l’État de faire la promotion d’une norme religieuse. Cela est laissé aux autorités religieuses.

[133] On plaide que d’autres pays sanctionnent la conduite du mari qui omet de consentir au divorce religieux juif. Il est donc nécessaire de vérifier, au moins sommairement, l’approche générale des tribunaux étrangers à l’égard de la religion et les mécanismes juridiques utilisés dans ces pays au sujet du get.

2.2 Le droit comparé

[134] La relation entre les règles religieuses et les règles laïques varie beaucoup d’un pays à l’autre et cela se traduit, pour ce qui est du get, par des solutions qui ne sont pas uniformes. Quatre pays offrent, à mon avis, des éléments de réflexion pertinents quant à la situation du Québec et du Canada. La France vient immédiatement à l’esprit, puisque le droit civil québécois a été fortement influencé par le droit français; il est donc intéressant d’examiner l’approche française en relation avec le get ainsi que les commentaires que suscitent les arrêts de la Cour de cassation. Je me pencherai aussi sur la situation en Angleterre. Lors de la Conquête, le Québec a hérité du droit public de ce pays, et les arrêts anglais présentent un intérêt certain. Je ferai aussi une revue sommaire de quelques décisions rendues aux États‑Unis, étant donné que nos pays partagent des réalités proches et que plusieurs des arrêts de notre Cour se sont, dans le passé, appuyés sur les solutions jurisprudentielles états-uniennes. J’examinerai ensuite brièvement la situation en Israël, parce qu’il me semble difficile de parler de la religion juive sans, à tout le moins, évoquer le régime en vigueur dans cet État.

2.2.1 La France

[135] Malgré les idéaux laïques servant de fondement à la révolution française, la France n’a formellement intégré le principe de la séparation entre l’État et les institutions religieuses dans sa législation qu’au début du XXe siècle, avec la Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État (publiée au Journal officiel du 11 décembre 1905). Cette loi pose le principe de la liberté de religion et de culte des personnes et des communautés; l’État relâche son emprise sur les institutions religieuses, et celles-ci ne peuvent plus intervenir dans le fonctionnement des institutions étatiques.

[136] Les tout premiers arrêts reconnaissant le droit à une indemnisation à la suite du refus de consentir au get sont fondés sur la doctrine de l’abus de droit résultant d’une intention malicieuse du mari (L. de Naurois, obs. sous Trib. civ. Metz, 27 avril 1955, Trib. civ. Grenoble, 7 mai 1958, Paris 1re, 4 février 1959, J.C.P. 1960.II.11632; Civ. 2e, 13 décembre 1972, D. 1973.493). Subséquemment, la Cour de cassation énonce que le get constitue pour le mari une simple faculté relevant de sa liberté de conscience et dont l’abus ne peut donner lieu qu’à des dommages-intérêts; la cour note toutefois le but malicieux des gestes du mari (Civ. 2e, 21 avril 1982, Bull. civ. II, no 62). L’intention de nuire n’est cependant plus retenue comme condition dans deux arrêts ultérieurs (Civ. 2e, 5 juin 1985, J.C.P. 1987.II.20728, et Civ. 2e, 15 juin 1988, Bull. civ. II, no 146). Enfin, dans un arrêt plus récent, la cour réitère que la délivrance du get constitue pour le mari une simple faculté relevant de sa conscience et dont l’abus ne peut donner lieu qu’à des dommages-intérêts (Civ. 2e, 21 novembre 1990, D. 1991.434).

[137] L’évolution du droit français ne se fait pas sans provoquer des critiques. D’une part, certains affirment qu’il est inexact d’énoncer que la délivrance du get est une simple faculté, et soutiennent que l’écart de conduite du mari est constitutif de faute délictuelle, que rien ne s’oppose à ce qu’un tribunal ordonne au mari de délivrer le get ou même qu’il serait « hypocrite » de refuser l’astreinte et que le fait d’accorder des dommages-intérêts à l’époux lésé revient essentiellement à donner effet à la loi religieuse : É. Agostini, obs. sous Civ. 2e, 21 novembre 1990, D. 1991.434; É. Agostini, obs. sous Civ. 2e, 5 juin 1985, J.C.P. 1987.II.20728; C. Larroumet, note sous Civ. 2e, 13 décembre 1972, D. 1973.493. D’autre part, on avance que nier le caractère religieux du get équivaut à faire abstraction du texte qui le dicte, que l’appréciation des cas où le get doit être délivré échappe à la compétence des tribunaux laïques et qu’il faut se demander s’il ne s’agit pas d’une obligation purement personnelle liée à l’accomplissement d’un acte religieux : P. Barbier, « Le problème du “Gueth” », Gaz. Pal. 1987.484.

[138] On constate donc que si, en France, le droit à l’indemnité n’est pas fondé sur le contrat, la base conceptuelle et les conditions d’ouverture du recours sont loin d’être claires. En somme, pour les uns, la cour ne va pas assez loin et pour les autres elle va trop loin; quelle que soit cependant la position, il ne s’agit pas simplement de sanctionner objectivement le délai mis à consentir au get. Le fondement juridique du recours en dommages-intérêts est tantôt la faute, tantôt l’abus de droit : G. Atlan, Les Juifs et le divorce : Droit, histoire et sociologie du divorce religieux (2002), p. 231.

2.2.2 L’Angleterre

[139] En Angleterre, la principale source de protection de la liberté de religion est l’art. 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, 213 R.T.N.U. 221. Dans cette juridiction, les débats sur la religion portent souvent sur les entraves ou les restrictions pouvant être imposées à l’égard de la pratique ou de la manifestation de la religion. Le seuil à partir duquel il y a entrave à la liberté de pratique religieuse est plutôt élevé. Ainsi, dans l’affaire récente de la Chambre des lords, R. (S.B.) c. Governors of Denbigh High School, [2007] 1 A.C. 100, [2006] UKHL 15, lord Bingham souligne qu’il [traduction] « existe toujours une jurisprudence cohérente et remarquablement constante [dans les institutions de Strasbourg] dont nos tribunaux nationaux doivent tenir compte et qui montre que l’existence d’une atteinte n’est pas facilement établie » (par. 24). Il s’est dit d’avis de confirmer la décision de l’établissement d’enseignement lequel avait exclu une étudiante qui insistait pour porter le jilbab. Lord Bingham a estimé que le code vestimentaire était très explicite et que la plaignante pouvait fréquenter une autre école. Il n’y avait pas, selon lui, entrave à la liberté de pratique religieuse dans l’affaire en question. Il a aussi ajouté que, même s’il y avait eu entrave, elle aurait été justifiée au regard du par. 9(2) de la Convention européenne des droits de l’homme. Lord Bingham a souligné à cet égard que le code vestimentaire avait été élaboré en collaboration et avec l’approbation de plusieurs institutions des communautés musulmanes.

[140] L’omission du mari de consentir au get ne semble pas faire l’objet de sanction distincte de celles reconnues par le droit de la famille. Elle donne plutôt lieu à une évaluation de ses conséquences sur l’autonomie financière de l’épouse. Dans Brett c. Brett, [1969] 1 All E.R. 1007, la Cour d’appel a eu à se pencher sur la demande de pension d’une épouse juive contre son époux, lequel se montrait peu enclin à lui accorder un get. En décidant du montant de la pension alimentaire que l’époux devait payer à l’épouse, le tribunal déclara que l’époux pourrait payer une pension réduite s’il accordait le get à son épouse dans un délai de trois mois. Je tiens toutefois à reproduire les propos suivants de la professeure Adrienne Barnett, à cet égard : [traduction] « bien que la décision dans l’affaire Brett c. Brett ait été jugée acceptable par les autorités rabbiniques en 1969, elles ne l’acceptent plus et considèrent qu’il s’agit alors d’un get obtenu sous la contrainte » : « Getting a “Get” — The Limits of Law’s Authority? » (2000), 8 Fem. Legal Stud. 241, p. 252.

[141] L’approche anglaise me paraît compatible avec notre droit de la famille. Si un époux est placé dans un état de dépendance en raison de la conduite de l’autre époux, le tribunal peut tenir compte de l’ensemble des circonstances, y compris cet état de dépendance, et attribuer une pension alimentaire en fonction des ressources et des besoins des parties : Leskun c. Leskun, [2006] 1 R.C.S. 920, 2006 CSC 25, par. 20‑21.

2.2.3 Les États‑Unis

[142] Aux États‑Unis, la liberté de religion est protégée par le Premier amendement à la Constitution : [traduction] « Le Congrès ne pourra faire aucune loi concernant l’établissement d’une religion ou interdisant son libre exercice ». Cet amendement comporte deux volets : le premier prohibe la promotion d’une religion; le deuxième permet à tout individu d’exercer librement sa liberté de croyance et sa liberté d’agir selon sa conscience. Aux États‑Unis, les tribunaux ne peuvent interpréter les lois religieuses ni s’ingérer dans l’exercice de la religion : Serbian Eastern Orthodox Diocese for the United States of America and Canada c. Milivojevich, 426 U.S. 696 (1976).

[143] Les tribunaux de l’État de New York ont été saisis d’affaires concernant le get. Comme cet État compte une imposante communauté juive orthodoxe, le problème social de l’agunah semble important : K. Greenawalt, « Religious Law and Civil Law : Using Secular Law to Assure Observance of Practices with Religious Significance » (1998), 71 S. Cal. L. Rev. 781, p. 812. Plusieurs dispositions législatives régissent spécifiquement le get dans cet État. Par exemple, l’art. 253 de la Domestic Relations Law (Consol. 1990) prévoit qu’une partie qui intente des procédures en divorce doit certifier qu’il n’existe pas d’empêchement au remariage. Depuis 1993, le juge peut aussi tenir compte de toute barrière au remariage lors du partage des actifs et de la fixation de la pension alimentaire. Le gouverneur de l’État de New York avait d’ailleurs déclaré, lors des modifications de 1993, que [traduction] « [c]e projet de loi a été adopté à une majorité écrasante par l’assemblée législative, parce qu’il s’attaque à une situation terriblement injuste, presque universellement reconnue comme telle » : B. Benjamin, « Judaism and the Laws of Divorce », [2001] UCL Jurisprudence Rev. 177, p. 188.

[144] Les tribunaux new-yorkais s’inspirent des principes sous‑jacents à ces dispositions pour invoquer l’équité et prévenir l’utilisation du get par le mari comme moyen de contraindre son épouse à lui accorder des avantages. Dans Schwartz c. Schwartz, 583 N.Y.S.2d 716 (1992), la Cour suprême a ainsi appliqué la théorie du « plaideur irréprochable » (« clean hands ») pour refuser à un époux le partage égal des biens, parce que le refus de ce dernier d’accorder le get était inacceptable (voir Greenawalt).

[145] Dans Giahn c. Giahn, 13 avril 2000 (citée dans Benjamin, p. 188), la Cour suprême de l’État de New York a réprimé l’utilisation du get pour contraindre une femme à accorder des concessions. La cour s’est fondée sur la décision rendue dans l’affaire Schwartz pour décider que le refus de l’époux d’accorder le get en l’espèce était inacceptable. Pour compenser cet abus, tous les biens du mariage ont été attribués à l’épouse.

[146] Un tribunal de l’État de New York a aussi reconnu force exécutoire à une entente de séparation et au contrat de mariage juif (ketubbah) tout comme il l’aurait fait pour un contrat de mariage séculier. Dans Avitzur c. Avitzur, 459 N.Y.S.2d 572 (1983), le tribunal a fait respecter l’engagement des époux à comparaître devant le beth din. Dans ses motifs, interprétant la ketubbah signée par les parties, la Cour d’appel de New York a souligné que la cause [traduction] « peut être tranchée en appliquant uniquement les principes neutres du droit des contrats, sans se référer à aucun principe religieux » (p. 574‑575). L’approche de ce tribunal repose sur le fait que la décision d’accorder le get n’est pas un acte religieux. Selon ce tribunal, l’acte d’accorder le get revêt un caractère séculier, puisque [traduction] « les dispositions de la ketoubbah invoquées par la demanderesse ne constituent rien de plus qu’une entente prévoyant le renvoi d’une affaire de divorce religieux devant un forum non judiciaire » (Avitzur, p. 574).

[147] Dans une affaire plus récente au New Jersey, Segal c. Segal, 650 A.2d 996 (1994), la Cour supérieure a invalidé une entente de séparation signée par les deux parties parce que l’épouse l’avait signée sous la menace de ne pas se voir accorder le get.

[148] L’approche des tribunaux new-yorkais ne saurait être adoptée au Canada sans nuance. D’abord, les dispositions législatives de cet État vont plus loin que ne le fait l’art. 21.1 de notre Loi sur le divorce, lequel autorise uniquement le rejet des actes de procédures de l’époux qui a fait défaut de supprimer un obstacle au remariage religieux. Ensuite, en l’espèce, les parties se sont entendues pour ne pas utiliser l’art. 21.1 dans le contexte de la question de la compétence des tribunaux pour entendre le litige. Il me semble que l’utilisation de la jurisprudence de l’État de New York aurait pour effet de réintroduire dans le débat un argument que les parties ont convenu de ne pas utiliser à cette fin. De plus, le large caractère équitable reconnu aux dispositions législatives de l’État de New York, sur la base de règles de portée plus étendue que les nôtres, ne peut être transposé au Canada. Plus spécifiquement, notre loi sur le divorce a écarté depuis 1985 la notion de faute dans l’appréciation des ressources et des besoins des époux dans le contexte de la contribution alimentaire. La théorie du plaideur irréprochable ne saurait donc être invoquée. Au surplus, les arrêts qui donnent force exécutoire à un engagement de se présenter devant le tribunal rabbinique semblent fondés sur la prémisse qui a été retenue dans Avitzur et suivant laquelle le get est un acte laïque. La preuve au dossier dans la présente affaire est à l’effet contraire. Par ailleurs, dans les cas où la décision est fondée sur l’absence de consentement éclairé ou sur l’état de dépendance d’une partie, un rapprochement avec le droit canadien est possible.

2.2.4 Israël

[149] Le cas de l’Israël est unique en raison du rôle fondamental que joue la religion juive dans cet État. La liberté de conscience, de croyance, de religion, et de culte est garantie à chaque individu en Israël : H.C. 292/83, Temple Mount Faithful c. Jerusalem District Police Commander, 38(2) P.D. 449. De plus, la Foundations of Law Act, 1980, 5740-1980, 34 L.S.I. 181 (1979-80), permet explicitement aux tribunaux d’utiliser le droit religieux juif pour pallier les lacunes dans les textes de loi :

[traduction] Lorsque le tribunal saisi d’une question de droit ne trouve aucune réponse à celle‑ci soit dans les lois ou la jurisprudence, soit par analogie, il doit la trancher au regard des principes de liberté, de justice, d’équité et de paix dont a hérité Israël.

Dans le contexte de cette loi, le mot « Israël » s’entend du judaïsme et du peuple juif : R. Lapidoth, « Freedom of Religion and of Conscience in Israel » (1998), 47 Cath. U. L. Rev. 441, p. 444. Les tribunaux peuvent aussi déterminer les limites de la religion juive elle‑même. Ainsi, dans Cr. A. 112/50, Yosifof c. Attorney‑General, 5 P.D. 481, le tribunal a jugé que l’interdiction juridique de la pratique de la bigamie n’enfreignait pas la liberté de religion d’un homme juif membre d’une communauté

particulière, puisque cette pratique n’était pas obligatoire aux termes de la religion juive.

[150] Le domaine du droit de la famille est particulier en Israël. Bien que leurs décisions soient assujetties au pouvoir de révision de la Haute Cour de justice israélienne, les tribunaux rabbiniques ont compétence exclusive sur les affaires de mariage et de divorce : P. Shifman, « Family Law in Israel : The Struggle Between Religious and Secular Law » (1990), 24 Isr. L. Rev. 537, p. 543.

[151] Les tribunaux rabbiniques hésitent souvent à ordonner à un époux d’accorder un get à son épouse. Plusieurs se disent impuissants à contraindre l’attribution du get, même dans une situation où l’époux a clairement enfreint la loi juive : H. L. Capell, « After the Glass Has Shattered : A Comparative Analysis of Orthodox Jewish Divorce in the United States and Israel » (1998), 33 Tex. Int’l L.J. 331, p. 342.

[152] Cependant, dans une affaire plus récente, Jane Doe c. John Doe, un tribunal de la famille (Jérusalem, no 19270/03, 21 décembre 2004), a admis qu’une épouse lésée par le défaut du mari de consentir au get pouvait recevoir une compensation pécuniaire.

[153] Il me paraît clair que les liens étroits entre la religion, la société civile et la compétence des tribunaux sur les affaires religieuses distinguent clairement l’État d’Israël du Canada. Du fait de cette compétence, les solutions adoptées dans ce pays ne peuvent pas être importées au Canada sans tenir compte des lois et du contexte canadiens.

2.2.5 Conclusion sur le droit comparé

[154] Le survol des solutions retenues dans les quatre pays examinés permet de mettre en relief que certaines d’entre elles sont déjà ouvertes aux justiciables québécois et canadiens. Plusieurs autres, par contre, se heurtent à l’existence de règles différentes au Canada. Ainsi, la solution française fondée sur la faute ou l’abus de droit n’est pas écartée, mais, d’une part, tel n’est pas le fondement du recours de l’appelante et d’autre part, les conditions d’application de la doctrine de l’abus de droit au Québec ne sont pas nécessairement les mêmes qu’en France. Il me paraît impossible dans les circonstances de la présente affaire de trouver quelque inspiration dans le modèle français. Par ailleurs, bien que compatible avec notre droit, la solution adoptée en Angleterre dans l’affaire Brett n’est pas applicable en l’espèce, puisque l’appelante dit avoir subi des dommages moraux et non avoir été placée dans une situation de dépendance pécuniaire. Les décisions américaines qui tiennent compte de l’état de dépendance de la femme peuvent elles aussi être utiles, mais il faut écarter celles qui reposent sur un objectif punitif. Par ailleurs, le cas d’Israël est unique, mais il est pertinent simplement en ce qu’il révèle que, même dans un contexte d’inter-relation étroite de l’État avec la religion, une seule décision reconnaît la possibilité pour les tribunaux civils d’accorder une compensation pécuniaire en cas de défaut de consentir au get.

[155] Après examen, je conclus que, dans les pays dont le droit se rapproche le plus du nôtre, le problème du get relève des règles internes de droit privé. Les solutions sont très variées. Les décisions étrangères reposent sur les mécanismes propres à chaque pays. On n’y retrouve pas un principe de droit public qui aurait une force persuasive telle que les tribunaux canadiens devraient modifier leur approche. Les solutions canadiennes mentionnées précédemment sont prudentes et suffisantes.

[156] Ceci dit, l’appelante a fondé sa demande sur le droit des contrats. C’est d’ailleurs sous cet angle que l’affaire a été jugée, tant en première instance qu’en appel. Il reste maintenant à examiner cette question.

2.3 Le droit privé : le recours contractuel

[157] La clause en litige figure dans une entente sur les mesures accessoires incorporée à un jugement qui ordonne aux parties de se conformer à leurs engagements. Les ordonnances concernant les mesures accessoires au divorce et à la séparation des biens des parties sont régies par la Loi sur le divorce et, au Québec, par le Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 (« Code civil » ou « C.c.Q. »). Avant de se pencher sur les règles régissant les contrats en droit civil québécois, il convient d’examiner la nature des ententes sur les mesures accessoires en général.

2.3.1 Les ententes sur les mesures accessoires

[158] En vertu des art. 15.1 et 15.2 de la Loi sur le divorce, le tribunal compétent — en l’occurrence la Cour supérieure — peut rendre une ordonnance enjoignant à un époux de verser une prestation pour les aliments de l’autre époux ou des enfants à charge. L’article 16 de la Loi sur le divorce autorise quant à lui le tribunal à rendre une ordonnance relative à la garde des enfants ou à l’accès auprès de ceux-ci. De plus, en vertu du droit de la famille québécois, lors de la séparation ou du divorce, le tribunal partage les droits résultant du patrimoine familial, attribue, s’il y a lieu, une prestation compensatoire et règle les droits résultant du régime matrimonial et du contrat de mariage. La tâche du tribunal peut être facilitée par la préparation d’une entente faisant état des modalités dont conviennent les parties. Avant de prononcer son ordonnance, le tribunal s’assure de la conformité des engagements des parties aux principes de la Loi sur le divorce et du droit de la famille québécois. Il peut arriver que les parties incorporent à une entente sur les mesures accessoires des engagements qui ne sont pas liés à leurs obligations familiales découlant de la Loi sur le divorce ou du droit de la famille québécois. Dans de tels cas, ces engagements ne sont pas, à proprement parler, des mesures accessoires au divorce et à la séparation.

[159] Lorsqu’une mesure accessoire au divorce ou à la séparation est incorporée dans une ordonnance prononcée par la Cour supérieure, la partie créancière d’une telle obligation n’est tenue à aucune autre formalité avant de pouvoir en demander l’exécution forcée. En d’autres mots, aucune action distincte n’est requise pour obtenir l’exécution d’une entente sur une prestation alimentaire incorporée dans un jugement de la Cour supérieure qui ordonne au débiteur de se conformer à son engagement. De même, le débiteur qui ne se conforme pas à un engagement non pécuniaire qui découle de la Loi sur le divorce ou du droit de la famille québécois s’expose à une condamnation pour outrage au tribunal.

[160] D’ailleurs, il est prohibé d’intenter une action distincte pour faire sanctionner le non‑respect d’une mesure accessoire au divorce qui fait l’objet d’une ordonnance. Ainsi, la contravention par le parent gardien à son engagement à faciliter les visites du parent non gardien ne peut donner lieu à une action en dommages-intérêts. Dans l’arrêt Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99, le père réclamait des dommages-intérêts, alléguant avoir dû supporter des frais considérables et avoir souffert de problèmes émotionnels en raison des entraves créées par la mère et son nouvel époux pour faire obstacle aux rapports qu’il voulait entretenir avec les enfants. La mère avait notamment changé le nom de famille des enfants et leur religion et nié que l’ex-époux était le père de ceux-ci. La Cour a néanmoins conclu que, en ce qui a trait aux droits découlant de la Loi sur le divorce et des lois provinciales régissant les conséquences de la séparation et du divorce, les recours sont limités aux régimes adoptés par le Parlement et les assemblées législatives provinciales (p. 112). Si la clause 12 était considérée comme une mesure accessoire au divorce, aucune des parties ne pourrait l’invoquer pour intenter un recours distinct devant les tribunaux civils.

[161] L’engagement de se présenter devant les autorités rabbiniques n’est cependant pas relié aux droits et obligations découlant de la Loi sur le divorce ou du Code civil. Son incorporation à l’entente sur les mesures accessoires n’en fait pas un droit ou une obligation prévus par la Loi sur le divorce ou le Code civil et n’en fait pas, de ce seul fait, une mesure accessoire au divorce. Si la clause 12 peut fonder un recours distinct, ce n’est pas du fait de son incorporation dans l’entente sur les mesures accessoires. Elle doit être considérée comme une clause autonome. Pour fonder un recours civil distinct, la clause doit satisfaire aux exigences du droit civil. Comme le dossier émane de la province de Québec, le droit applicable est le droit civil des contrats et non la common law.

2.3.2 Les conditions de formation du contrat

[162] En 1989, au moment où l’action en dommages-intérêts a été intentée, le droit civil québécois était régi par le Code civil du Bas Canada (« C.c.B.C. »). Les règles du droit transitoire prévoient que les instances en cours continuent d’être régies par le C.c.B.C. (art. 9 de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil, L.Q. 1992, ch. 57). C’est donc principalement à ces dispositions que je me reporterai pour évaluer la position avancée par l’appelante. Je me référerai aussi au C.c.Q. lorsque les nouvelles règles précisent le droit sans modifier la substance du C.c.B.C., ce qui est le cas pour la majorité des règles de formation du contrat, plus particulièrement celles ayant trait à l’objet du contrat.

[163] En l’espèce, l’appelante soutient que l’intimé est tenu de payer des dommages-intérêts en raison d’un manquement à une obligation découlant de la clause 12. L’obligation est ainsi décrite à l’art. 982 C.c.B.C. :

982. Il est de l’essence d’une obligation qu’il y ait une cause d’où elle naisse, des personnes entre qui elle existe, et qu’elle ait un objet.

[164] Cette disposition est complétée par l’art. 983 C.c.B.C., qui précise les situations juridiques donnant naissance aux obligations :

983. Les obligations procèdent des contrats, des quasi-contrats, des délits, des quasi-délits, ou de la loi seule.

[165] L’appelante soutient que le contrat est la source de laquelle procède l’obligation. Aucune autre situation juridique n’a été invoquée ou même discutée. Il est donc important de déterminer si, en droit québécois, la clause 12 constitue un contrat. Pour ce faire, il faut se reporter aux conditions de « validité » du contrat. Selon l’art. 984 C.c.B.C., le contrat doit respecter quatre conditions :

984. Quatre choses sont nécessaires pour la validité d’un contrat :

Des parties ayant la capacité légale de contracter;

Leur consentement donné légalement;

Quelque chose qui soit l’objet du contrat;

Une cause ou considération licite.

[166] Il ne fait aucun doute que l’engagement a été souscrit par les deux parties. Les parties avaient la capacité légale de contracter et elles ont donné leur consentement. Les deux autres conditions de formation — la cause et l’objet — requièrent cependant un examen plus approfondi.

[167] La notion de cause n’est pas définie dans le C.c.B.C., mais elle l’est dans le Code civil. Selon les Commentaires du Ministre publiés lors de l’adoption du Code civil, la définition donnée à l’art. 1410 C.c.Q. est celle qui était retenue par la doctrine et la jurisprudence lors de la réforme. Voici le texte de l’art. 1410 du C.c.Q. :

1410. La cause du contrat est la raison qui détermine chacune des parties à le conclure.

[168] Les auteurs reconnaissent un aspect objectif à la cause du contrat. C’est l’élément qui justifie l’existence du contrat. Pour chacune des parties, la cause objective du contrat serait l’engagement de l’autre partie. Cette information est toutefois peu utile. En effet, dans un contrat synallagmatique, la cause, identifiée comme l’engagement de l’autre partie, n’aide en rien à l’analyse de la validité du contrat. C’est surtout l’aspect subjectif qui est pertinent. Il s’agit du motif qui pousse une partie à s’engager. Qu’elle soit vue sous son aspect objectif ou subjectif, la cause n’a pas à être mentionnée au contrat. Suivant le texte de l’art. 984 C.c.B.C. (« [u]ne cause ou considération licite »), les tribunaux ne s’intéressent à la cause du contrat que lorsque sa licéité est contestée. En effet, si, capables et consentantes, les parties conviennent d’une opération juridique, on peut inférer qu’un motif les guide. Seule la licéité de ce motif doit être contrôlée. (D. Lluelles et B. Moore, Droit des obligations (2006), par. 1066 et suiv.)

[169] Le lien rattachant la cause du contrat à une religion n’entache pas l’existence du contrat. Ainsi, l’engagement d’une personne à verser à sa communauté religieuse une somme d’argent déterminée peut être fondé sur diverses raisons, la plus élémentaire étant la volonté de contribuer à la santé financière d’une institution. En ce sens, il est exact de dire qu’un contrat ayant une cause religieuse peut être valide. Il n’y a rien d’illicite à être mû par un motif religieux lorsqu’on contracte. Il ne faut cependant pas confondre la cause avec l’objet du contrat, comme l’a fait le juge de première instance et, avec égards, comme le font les juges de la majorité.

[170] La quatrième condition de formation du contrat est l’existence d’un objet. C’est cette condition qui, selon l’intimé, fait défaut. Le Code civil reprend le droit antérieur en le précisant. L’article 1412 est rédigé ainsi :

1412. L’objet du contrat est l’opération juridique envisagée par les parties au moment de sa conclusion, telle qu’elle ressort de l’ensemble des droits et obligations que le contrat fait naître.

[171] L’objet du contrat, précise l’art. 1412, est l’opération juridique que les parties envisagent au moment de la conclusion du contrat. À cette étape, c’est l’ensemble de l’opération qui fait l’objet de l’examen et non les seules obligations auxquelles les parties sont tenues. L’identification de l’objet du contrat est important parce que seul l’objet permet de déterminer la nature de l’opération juridique sur laquelle les parties s’entendent. Contrairement à ce qu’affirment les juges de la majorité, le contrôle de l’objet ne consiste pas simplement à vérifier s’il y a contravention à l’ordre public (art. 1413 C.c.Q.). Lluelles et Moore, dans leur traité sur le droit des obligations, précisent même que l’utilité première de l’objet du contrat est de permettre de s’assurer de l’existence même du contrat :

L’Avant-projet de loi de 1987 sur les obligations était très explicite à cet égard, lorsque son article 1455 déclarait nul « le contrat qui n’a pas pour objet quelque opération juridique envisagée par les parties au temps de sa conclusion [. . .] ». Même si l’article 1413 C.c.Q. n’a pas repris cette précision, se contentant de frapper de nullité le contrat dont l’objet est illicite, la solution est strictement la même : en effet, l’objet du contrat est bien présenté par le second alinéa de l’article 1385 comme un des éléments de formation des contrats, au même titre que le consentement et la capacité des contractants. La conformité de l’objet du contrat à l’ordre public n’est donc pas la seule source de contentieux en ce qui concerne l’objet : l’inexistence même de cet objet, comme élément de l’entente, peut remettre en cause la conclusion d’un contrat. [En italique dans l’original; par. 1054]

Voir aussi V. Karim, Les obligations (2e éd. 2002), vol. 1, p. 279, art. 1412.

[172] La question de la contravention à l’ordre public n’a d’ailleurs pas été invoquée par l’intimé au soutien de son argument fondé sur l’inexistence du contrat. Elle n’a été soulevée que dans le contexte de l’argument de droit public. Il soutenait que de le condamner à des dommages-intérêts pour le seul motif qu’il aurait exercé sa liberté de religion serait contraire à l’ordre public (mémoire de l’intimé, par. 123). Cette notion d’ordre public ne serait donc pertinente que pour étudier cet argument particulier, ce qui n’est pas nécessaire en l’espèce.

[173] L’identification de l’objet du contrat ne se limite donc ni à déterminer l’objet de chacune des obligations ni à vérifier la licéité de l’opération juridique. Le juge doit pouvoir déterminer si les parties se sont engagées dans un mécanisme qui correspond à une opération juridique. Ainsi, la Cour d’appel du Québec, dans Christiaenssens c. Rigault, [2006] J.Q. no 5765 (QL), 2006 QCCA 853, par. 46, n’a pu que constater l’inexistence du contrat, faute de pouvoir identifier l’opération juridique envisagée par les parties.

[174] Quelle est l’opération envisagée dans la présente affaire? Les parties ont envisagé d’obtenir un divorce religieux. Considérés dans leur ensemble, les engagements mutuels de se présenter devant les autorités rabbiniques pour les fins du divorce religieux avaient pour but d’obtenir le divorce religieux. Est-ce une opération juridique? Une opération juridique implique un mécanisme susceptible de qualification juridique; cette opération doit pouvoir emporter des conséquences juridiques. Une opération juridique est, par exemple, une vente, un service, une location ou un prêt. Ici, de quoi s’agit-il? L’obtention d’un divorce religieux n’est pas susceptible de qualification juridique. Les autorités rabbiniques ne sont pas chargées du divorce civil, comme le sont, pour le mariage, certaines autorités religieuses. Le geste qu’elles posent ou le jugement qu’elles rendent n’est pas reconnu par le droit civil. Ni les engagements à consentir à un divorce religieux ni le divorce religieux lui-même n’ont de conséquence civile. Je dois donc inférer que, dans l’entente sur les mesures accessoires, à la clause 12, les parties ne conviennent d’aucune opération reconnue en droit civil. Comme les parties n’envisageaient pas une opération juridique, il faut conclure que l’un des éléments essentiels à la formation du contrat est inexistant.

[175] L’engagement à comparaître devant les autorités religieuses ne constitue donc pas un contrat comme le prétend l’appelante et comme l’acceptent les juges de la majorité. Mais, si cet engagement ne découle pas d’un contrat, qu’est-ce que les parties ont fait en convenant de la clause 12? Quelle est la nature juridique de cet engagement? En l’espèce, au même titre que l’engagement à aller régulièrement à l’église, à la synagogue ou à la mosquée, l’engagement à se présenter devant les autorités rabbiniques pour le divorce religieux relève uniquement d’un devoir de conscience. La Cour d’appel a donc eu raison de considérer que l’engagement prévu à la clause 12 est purement moral et n’est pas susceptible d’exécution civile.

[176] Par conséquent, l’inclusion dans l’entente sur les mesures accessoires de l’engagement de se présenter devant les autorités rabbiniques ne pouvait tout au plus, comme le souligne avec raison la Cour d’appel, qu’être considéré comme un engagement moral. Par ailleurs, même si l’engagement moral avait donné ouverture à une action en justice, la détermination de la réparation susceptible d’être accordée aurait été problématique. C’est de cette question dont je vais traiter maintenant.

2.3.3 Les dommages-intérêts

[177] Devant notre Cour, sans préciser les chefs de réclamation, l’appelante demande d’augmenter à 400 000 $ le montant des dommages-intérêts que le juge de première instance a accordés. La réparation demandée par l’appelante pose des problèmes. J’en ai déjà traité sous un autre angle et je n’y reviens donc que brièvement.

[178] Premièrement, les dommages-intérêts réclamés par l’appelante découlent de son adhésion à des préceptes religieux identifiés. Autant en droit canadien qu’en droit québécois, la liberté de religion est reconnue comme une valeur fondamentale. Elle peut servir de fondement pour revendiquer un traitement égal dans la société civile. Elle n’a cependant pas encore été reconnue comme moyen de contraindre une autre personne à accomplir un acte religieux ni les tribunaux utilisés pour sanctionner le défaut d’accomplir un acte religieux.

[179] Deuxièmement, l’argument sur lequel l’appelante fonde sa position oblige à reconnaître une situation juridique contraire aux règles du droit de la famille canadien et québécois. Il ressort de la preuve que, en l’absence de divorce religieux, une femme de confession juive orthodoxe ne peut fréquenter d’autres hommes en vue d’un mariage, ni avoir de relations sexuelles hors du mariage, et que tout enfant né de telles relations est considéré comme illégitime (mamzer) (témoignage du rabbin Mendel Epstein, dossier de l’intimé, p. 904-905 et 930). En droit de la famille canadien et québécois, une femme est libre de se remarier sans le consentement de son ex-mari. Les enfants — qu’ils soient issus ou non d’un mariage — sont traités de façon égale. Sanctionner la loi religieuse, par exemple en ordonnant le paiement de dommages-intérêts parce que les enfants seraient considérés comme des mamzerim ou parce que l’appelante n’aurait pas été libérée de son mariage malgré le prononcé du divorce, reviendrait à imposer une règle incompatible avec les droits que les tribunaux laïques ont par ailleurs la responsabilité de faire reconnaître.

[180] En résumé, le droit des contrats ne peut pas être invoqué pour obtenir l’exécution d’un engagement religieux. En effet, ni les règles de formation du contrat ni celles qui régissent les conséquences de la violation des obligations ne peuvent servir de véhicule pour sanctionner la violation d’un précepte religieux. Les engagements envisagés ne constituent pas une opération juridique. La clause 12 ne peut pas, juridiquement, être qualifiée de contrat. Elle constitue un engagement purement moral. De plus, l’évaluation des dommages-intérêts obligerait le tribunal à mettre en œuvre une règle du droit religieux qui n’est pas de son ressort et qui porte atteinte à la loi laïque qu’il est constitutionnellement chargé d’appliquer.

3. Conclusion

[181] La réserve manifestée par les tribunaux civils canadiens à l’endroit des questions religieuses leur permet non seulement de limiter leur action aux règles qu’ils sont explicitement chargés d’appliquer, mais elle leur permet aussi de conserver une neutralité qui est indispensable dans une société pluraliste et multiculturelle. Elle permet aux tribunaux de s’attacher au respect de la norme civile, sans avoir à trancher entre diverses coutumes ou pratiques.

[182] Il a fallu des siècles à l’État canadien pour en arriver à l’équilibre encore précaire que nous connaissons. Au Québec, le passage à la neutralité de l’État est même qualifié de Révolution tranquille. Attacher un opprobre à un enfant né hors du mariage ne serait-il pas glisser dans une sorte de « Régression tranquille »? Le rôle des tribunaux ne peut être modifié sans remettre en cause les fondements de la relation entre l’État et la religion. La majorité suggère de procéder au cas par cas. À mon avis, il s’agit d’une approche à courte vue. Le Canada ouvre ses portes à toutes les religions. Toutes ont droit à la même protection, mais non, selon moi, à la fourniture d’armes.

[183] Bien que, à l’instar de la Cour d’appel, je sois sensible à la difficulté pour la communauté juive de modifier les règles du divorce religieux, il n’en demeure pas moins que les tribunaux sont limités à se saisir de litiges qui prennent leur source dans le droit positif. Nous sommes en présence d’un cas où le religieux et le civil s’affrontent. À mon avis, le problème relève du droit hébraïque. Je ne vois aucune raison de changer, pour le présent cas, la règle claire qui veut que le religieux ne constitue pas, au Canada, une source autonome de droit.

[184] Je conclus en soulignant que l’approche réservée des tribunaux canadiens face aux préceptes religieux est, à mon avis, saine. Les droits civils naissent du droit positif, non du droit religieux. Si la violation d’un engagement religieux correspond aussi à la violation d’une obligation civile, les tribunaux peuvent jouer leur rôle civil. Les tribunaux ne doivent cependant pas être placés dans une situation où ils doivent sanctionner la violation des droits religieux. Les tribunaux ne peuvent utiliser leur pouvoir laïque pour pénaliser le refus de consentir au get, le non-paiement du mahr islamique, le refus d’élever les enfants dans une confession donnée, le refus de porter le voile, le non-respect des fêtes religieuses, etc. Limiter le rôle des tribunaux à l’application de la règle civile est la position la plus claire et la plus compatible avec la neutralité de l’État en droit canadien et québécois. On prête à Gandhi d’avoir dit que chacun est responsable de sa religion. Cette responsabilité va de pair avec la neutralité de l’État face aux préceptes religieux et milite, en l’espèce, en faveur du rejet de la demande de l’appelante.

[185] Pour ces motifs, j’aurais rejeté l’appel.

Pourvoi accueilli avec dépens, les juges Deschamps et Charron sont dissidentes.

Procureurs de l’appelante : Stein & Stein, Montréal; Davies Ward Phillips & Vineberg, Montréal.

Procureurs de l’intimé : Goldwater, Dubé, Westmount.

Procureurs de l’intervenante : Paliare, Roland, Rosenberg, Rothstein, Toronto.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Contrats - Validité - Violation - Entente comportant un aspect religieux - Refus de l’époux d’accorder à l’épouse le divorce religieux juif après le divorce civil malgré son engagement à l’accorder - Action en dommages‑intérêts contre l’époux pour violation de l’entente - La question est‑elle justiciable? - Les conditions pour que l’entente soit valide et exécutoire en droit québécois sont‑elles respectées? - L’époux peut‑il invoquer la liberté de religion pour se soustraire aux conséquences juridiques de son refus de se conformer à l’entente? - Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 1373, 1385, 1412, 1413 - Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C‑12, art. 3, 9.1.

Droits de la personne - Liberté de conscience et de religion - Entente comportant un aspect religieux - Divorce religieux juif ou « get » - Refus de l’époux d’accorder à l’épouse le divorce religieux juif après le divorce civil malgré son engagement à l’accorder - Action en dommages‑intérêts contre l’époux pour violation de contrat - L’époux peut‑il se soustraire à l’obligation de payer des dommages‑intérêts pour sa violation du contrat en invoquant la liberté de religion? - Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C‑12, art. 3, 9.1.

Les parties se sont mariées en 1969. L’action en divorce a été engagée en 1980 et trois mois plus tard, les parties ont négocié une entente relative aux mesures accessoires. Selon la clause 12 de l’entente, les parties ont convenu de se présenter devant les autorités rabbiniques en vue d’obtenir un divorce juif, ou get, immédiatement après le prononcé du divorce. Le divorce civil est devenu irrévocable en 1981; M, l’époux, avait alors 48 ans et B, l’épouse, en avait 31.

Une épouse ne peut obtenir le get que si son époux consent à l’accorder. Sans le get, elle reste son épouse et ne peut se remarier selon la loi juive. En l’espèce, malgré les demandes répétées de l’épouse, l’époux a refusé pendant 15 ans de lui accorder le get et lorsqu’il l’a accordé, elle avait presque 47 ans. L’épouse a réclamé des dommages‑intérêts pour violation de l’entente. L’époux a prétendu que son engagement à accorder le get n’était pas valide en droit québécois et que son droit à la liberté de religion le soustrayait à l’obligation de payer des dommages‑intérêts pour la violation de l’entente.

Le juge de première instance a conclu que l’entente était valide et obligatoire et que la réclamation de dommages‑intérêts fondée sur une violation de cette obligation civile relevait de la compétence des tribunaux civils. La Cour d’appel a accueilli l’appel de l’époux. Elle a statué que, puisque l’essence de l’obligation était de nature religieuse, il s’agissait d’une obligation morale et les tribunaux ne pouvaient donc en ordonner l’exécution.

Arrêt (les juges Deschamps et Charron dissidentes) : Le pourvoi est accueilli.

La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Fish, Abella et Rothstein : Le fait qu’un litige comporte un aspect religieux ne le rend pas nécessairement non justiciable. Reconnaître aux tribunaux civils la faculté d’ordonner l’exécution des ententes afin de décourager les obstacles religieux au remariage offre une réponse à la discrimination fondée sur le sexe que peuvent représenter ces obstacles et atténue les effets qu’ils peuvent avoir sur la possibilité de soutirer des concessions inéquitables dans un divorce. Le caractère exécutoire de ces ententes s’harmonise avec l’approche canadienne en matière de droits à l’égalité, de divorce et de mariage de façon générale et de liberté de religion, et est conforme à l’approche retenue dans d’autres pays. [41] [63]

La clause 12 de l’entente respecte toutes les conditions du Code civil pour que l’entente soit valide et exécutoire en droit québécois. La promesse de l’époux d’accorder le get faisait partie d’un échange volontaire d’engagements censés avoir des conséquences juridiquement exécutoires et négociés entre deux adultes consentants, tous deux représentés par un avocat. On ne demande pas à la Cour de trancher des questions de doctrine religieuse, et le Code civil n’empêche nullement une personne de transformer ses obligations morales en obligations juridiquement valides et exécutoires. [16] [20] [47] [51]

L’époux ne peut non plus se soustraire à l’obligation de payer des dommages‑intérêts pour sa violation unilatérale du contrat en invoquant la liberté de religion reconnue à l’art. 3 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. La revendication du droit à la liberté de religion doit être conciliée avec les droits, les valeurs et le préjudice opposés, y compris la mesure dans laquelle ce droit est compatible avec les valeurs fondamentales canadiennes. Déterminer les circonstances dans lesquelles l’affirmation d’un droit doit céder le pas à un intérêt public plus pressant constitue un exercice complexe, nuancé, tributaire des faits propres à chaque espèce. [2] [77]

En l’espèce, la revendication de l’époux ne résiste pas à l’exercice d’appréciation que prescrivent la Charte québécoise et la jurisprudence de cette Cour. L’atteinte à la liberté de religion de l’époux est beaucoup moins grave que le préjudice causé tant à l’épouse personnellement qu’à l’intérêt, pour le public, d’assurer la protection de valeurs fondamentales telles les droits à l’égalité et l’exercice indépendant du choix pour une personne de se marier et de divorcer. Ces intérêts, tout comme l’avantage pour le public d’assurer le respect des obligations contractuelles valides et exécutoires, comptent parmi les inconvénients qui l’emportent sur la prétention de l’époux. [17] [70] [92]

Aucune raison ne justifie une modification de la décision du juge de première instance relative aux dommages‑intérêts, aux intérêts et à l’indemnité additionnelle. [97‑99]

Les juges Deschamps et Charron (dissidentes) : Le droit canadien ne prohibe pas la prise en considération par les tribunaux de questions à caractère religieux, à condition que la réclamation soit fondée sur la violation d’une règle reconnue en droit positif. Le rôle des tribunaux appelés à trancher un litige privé qui touche la religion se limite à déterminer le point de convergence des droits dans une quête de respect de la liberté de religion. Les tribunaux ne peuvent tenir ce rôle qu’en demeurant neutres devant les préceptes religieux. Le principe de non‑intervention dans les pratiques religieuses permet d’éviter que les tribunaux aient à trancher entre diverses normes religieuses ou entre les règles du droit laïque et les normes religieuses. En l’espèce, l’épouse, B, n’a pas prétendu que ses droits civils étaient brimés par une norme civile émanant du droit positif. En vertu du droit canadien et du droit québécois, elle pouvait se remarier et les enfants qui auraient pu naître de cette nouvelle union auraient eu les mêmes droits civils que les enfants « légitimes ». Seuls ses droits religieux sont en cause, et c’est le fait de normes religieuses. Le motif pour lequel B demande à être indemnisée se heurte donc à des acquis chers à la société civile et sa demande met les tribunaux en contradiction avec les lois qu’ils sont chargés de faire respecter. L’État laisse à chacun le soin de s’autoréglementer en matière religieuse. Il ne revient pas à l’État de faire la promotion d’une norme religieuse. Cela est laissé aux autorités religieuses. [102] [122‑132]

Un survol de l’approche générale des tribunaux étrangers à l’égard de la religion et des mécanismes juridiques utilisés au sujet du get montre que certaines des solutions retenues sont déjà ouvertes aux justiciables québécois et canadiens, mais que plusieurs autres se heurtent à l’existence de règles différentes au Canada. Les décisions étrangères reposent sur les mécanismes propres à chaque pays, et ne contiennent pas de principe de droit public qui justifierait les tribunaux canadiens de modifier leur approche. Au Canada, le problème du get relève des règles internes de droit privé. [154‑155]

La clause en litige figure dans une entente sur les mesures accessoires incorporée à un jugement qui ordonne aux parties de se conformer à leurs engagements. D’inclure à l’entente sur les mesures accessoires un engagement de se présenter devant les autorités rabbiniques ne fait pas de l’engagement un droit ou une obligation prévus par la Loi sur le divorce ou le Code civil du Québec et n’en fait pas non plus une mesure accessoire au divorce. Si la clause 12 peut fonder un recours distinct, elle doit être considérée comme une clause autonome et doit satisfaire aux exigences du droit civil québécois. Dans la présente affaire, cette clause ne peut pas, juridiquement, être qualifiée de contrat. Elle constitue un engagement purement moral. Ni les engagements à consentir à un divorce religieux ni le divorce religieux lui‑même n’ont de conséquences civiles. Comme les parties n’envisageaient pas une opération juridique, il faut conclure que l’un des éléments essentiels à la formation du contrat, soit l’objet (art. 1412 C.c.Q.), est inexistant. [157‑161] [174] [180]

Même si l’engagement moral avait donné ouverture à une action en justice, l’évaluation des dommages‑intérêts obligerait le tribunal à mettre en œuvre une règle du droit religieux qui n’est pas de son ressort et qui porte atteinte à la loi laïque qu’il est constitutionnellement chargé d’appliquer. Les dommages‑intérêts réclamés par B découlent de son adhésion à des préceptes religieux identifiés. La liberté de religion n’est pas reconnue comme moyen de contraindre une autre personne à accomplir un acte religieux. De plus, les tribunaux civils ne peuvent être utilisés pour sanctionner le défaut d’accomplir un tel acte. L’argument de B, s’il était retenu, obligerait à reconnaître une situation juridique contraire aux règles du droit de la famille canadien et québécois, et sanctionner la loi religieuse reviendrait à imposer une règle incompatible avec les droits que les tribunaux laïques ont par ailleurs la responsabilité de faire reconnaître. [178‑180]


Parties
Demandeurs : Bruker
Défendeurs : Marcovitz

Références :

Jurisprudence
Citée par la juge Abella
Arrêts mentionnés : Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, 2004 CSC 47
McCaw c. United Church of Canada (1991), 4 O.R. (3d) 481
Lindenburger c. United Church of Canada (1985), 10 O.A.C. 191
Nathoo c. Nathoo, [1996] B.C.J. No. 2720 (QL)
Amlani c. Hirani (2000), 194 D.L.R. (4th) 543, 2000 BCSC 1653
M. (N.M.) c. M. (N.S.) (2004), 26 B.C.L.R. (4th) 80, 2004 BCSC 346
Lakeside Colony of Hutterian Brethren c. Hofer, [1992] 3 R.C.S. 165
Re Morris and Morris (1973), 42 D.L.R. (3d) 550
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295
Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3
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Citée par la juge Deschamps (dissidente)
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Loi sur l’application de la réforme du Code civil, L.Q. 1992, ch. 57, art. 9.
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Proposition de citation de la décision: Bruker c. Marcovitz, 2007 CSC 54 (14 décembre 2007)


Origine de la décision
Date de la décision : 14/12/2007
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2007 CSC 54 ?
Numéro d'affaire : 31212
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2007-12-14;2007.csc.54 ?
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