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14/11/2008 | CANADA | N°2008_CSC_63

Canada | R. c. Mahalingan, 2008 CSC 63 (14 novembre 2008)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Mahalingan,

[2008] 3 R.C.S. 316, 2008 CSC 63

Date : 20081114

Dossier : 31499

Entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante

et

Rathiskumar Mahalingan

Intimé

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache*, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 82)

Motifs concordants en partie:

(par. 83 à 168)

La juge en chef McLachlin (avec l’accord des jug

es Binnie, LeBel, Fish et Rothstein)

La juge Charron (avec l’accord des juges Deschamps et Abella)

* Le juge Bastarache n’a pas participé au jugement.

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COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Mahalingan,

[2008] 3 R.C.S. 316, 2008 CSC 63

Date : 20081114

Dossier : 31499

Entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante

et

Rathiskumar Mahalingan

Intimé

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache*, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 82)

Motifs concordants en partie:

(par. 83 à 168)

La juge en chef McLachlin (avec l’accord des juges Binnie, LeBel, Fish et Rothstein)

La juge Charron (avec l’accord des juges Deschamps et Abella)

* Le juge Bastarache n’a pas participé au jugement.

______________________________

R. c. Mahalingan, [2008] 3 R.C.S. 316, 2008 CSC 63

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Rathiskumar Mahalingan Intimé

Répertorié : R. c. Mahalingan

Référence neutre : 2008 CSC 63.

No du greffe : 31499.

2007 : 7 décembre; 2008 : 14 novembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache*, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Sharpe, Blair et Rouleau) (2006), 80 O.R. (3d) 35, 209 O.A.C. 198, 208 C.C.C. (3d) 515, [2006] O.J. No. 1619 (QL), 2006 CarswellOnt 2421, qui a annulé la déclaration de culpabilité de voies de fait graves prononcée contre l’accusé et ordonné la tenue d’un nouveau procès. Pourvoi rejeté.

Lucy Cecchetto et Sunita Srivastava, pour l’appelante.

R. Philip Campbell, pour l’intimé.

Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Fish et Rothstein rendu par

La Juge en chef —

I. Introduction

[1] J’ai pris connaissance des motifs de ma collègue, la juge Charron, et j’y souscris sauf en ce qui concerne la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Cette préclusion, telle qu’elle est appliquée au Canada depuis l’arrêt Grdic c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 810, est source de confusion et elle a suscité des demandes de réforme. Une réforme est incontestablement nécessaire, et il reste uniquement à déterminer si elle devrait consister en la suppression complète, en droit pénal, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, comme le propose ma collègue, ou s’il y a lieu d’en conserver le principe dans une forme plus restreinte et moins problématique.

[2] Je préconise la deuxième solution. À mon avis, les difficultés d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée en droit pénal proviennent d’un élargissement de sa portée, qui englobe des circonstances où son application ne sert pas les fins de la justice. Si sa portée est circonscrite comme il se doit, conformément à une interprétation juste des motifs de la majorité de la Cour dans Grdic, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée joue un rôle indispensable pour assurer l’équité envers l’accusé, éviter les verdicts incompatibles et assurer la pérennité du principe du caractère définitif des décisions judiciaires. D’autres concepts, comme l’abus de procédure et les règles régissant la preuve de moralité ou l’admission de la preuve de faits similaires, ne garantissent pas de façon aussi complète et efficace l’atteinte de ces objectifs. Bien qu’elle partage de nombreux aspects avec son équivalent de droit civil, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée constitue en droit pénal une doctrine distincte adaptée aux caractéristiques propres aux procès criminels. Je me refuse donc à rejeter intégralement la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. J’estime plutôt qu’il faut modifier la façon de l’aborder en droit pénal canadien pour que son champ d’application soit limité à l’interdiction, pour le ministère public, de présenter une preuve incompatible avec des conclusions favorables à l’accusé formulées dans une instance antérieure.

[3] L’application de ce principe aux faits de la présente espèce m’amène à conclure que cette préclusion ne joue pas contre le ministère public. L’accusé prétend que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée fait en sorte que la preuve admise lors du premier procès — dont le verdict fait l’objet du présent pourvoi — doit à présent être considérée comme admise irrégulièrement puisqu’il a été acquitté d’une deuxième accusation ayant le même fondement que la preuve contestée soumise au premier procès. À mon avis, cet argument procède d’une conception trop large de cette forme de préclusion. Je partage l’opinion du juge Blair, dissident en Cour d’appel, que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, si elle est bien interprétée, ne s’applique pas rétrospectivement pour fonder une ordonnance de nouveau procès. Toutefois, puisqu’un nouveau procès est nécessaire pour d’autres motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

II. Contexte

[4] Il importe, pour statuer sur l’applicabilité de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée en l’espèce, de conserver clairement à l’esprit la séquence des événements sur laquelle repose la prétention de l’accusé.

[5] L’accusé, M. Mahalingan, a subi un premier procès pour tentative de meurtre. L’accusation portée contre lui et deux autres hommes, se rapportait à une agression perpétrée par un gang d’une quinzaine d’hommes contre deux hommes qui prenaient place dans une voiture garée. Monsieur Mahalingan a été accusé de tentative de meurtre et ses deux coaccusés, de voies de fait graves. La principale question soulevée au procès portait sur l’identité des agresseurs.

[6] La preuve du ministère public reposait principalement sur le témoignage du conducteur du véhicule, M. Balasingam. Ce dernier a affirmé que M. Mahalingan avait été le premier à attaquer le passager, M. Perinpanathan, en lui assénant d’abord des coups de pied puis en l’attaquant avec une arme à longue lame. Le témoin a aussi déclaré qu’il avait plus tard vu M. Mahalingan, derrière le véhicule, encourager les autres agresseurs. En plus de la déposition de M. Balasingam sur ce qui s’est passé sur les lieux du crime, le ministère public a eu recours au témoignage de ce dernier selon lequel, après ces incidents, M. Mahalingan lui avait téléphoné du pénitencier pour lui présenter des excuses et pour lui demander de ne pas témoigner contre lui. La défense a attaqué la crédibilité de M. Balasingam. Ce dernier avait un lourd casier judiciaire comprenant des infractions de malhonnêteté, et ses différents récits concernant l’attaque et le rôle de M. Mahalingan présentaient de nombreuses contradictions. Le jury a déclaré M. Mahalingan coupable de l’infraction moindre de voies de fait graves.

[7] Monsieur Mahalingan a ensuite été accusé d’entrave à la justice, sur le fondement du témoignage de M. Balasingam selon lequel M. Mahalingan l’avait appelé et lui avait demandé de ne pas témoigner contre lui. Le juge a acquitté M. Mahalingan.

[8] Monsieur Mahalingan a porté en appel le verdict le déclarant coupable de voies de fait graves et a demandé l’autorisation de soumettre comme nouvel élément de preuve son acquittement relativement à l’accusation d’entrave à la justice. Il voulait, en s’appuyant sur l’acquittement, faire valoir que le témoignage de M. Balasingam au sujet de l’appel téléphonique avait été admis irrégulièrement lors du procès antérieur pour tentative de meurtre, car le maintien de l’admissibilité de cet élément de preuve enfreindrait le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.

[9] Les trois juges de la Cour d’appel ont tous exprimé des réserves au sujet de cet argument ainsi que de l’état du droit canadien relatif à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée en matière criminelle. Toutefois, le juge Sharpe, au nom de la majorité, a estimé que la jurisprudence lui imposait de recevoir l’argument de l’accusé et d’accueillir sa requête pour présentation de nouveaux éléments de preuve. Le juge Blair, dissident, a exprimé l’avis que la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, si elle est correctement interprétée, ne pouvait s’appliquer rétrospectivement et dicter la conclusion que le témoignage de M. Balasingam relatif à l’appel téléphonique avait été irrégulièrement admis en preuve lors du premier procès.

III. Analyse

[10] Le ministère public a soutenu que notre Cour devait écarter les principes établis, au Canada, en matière de préclusion découlant d’une question déjà tranchée et statuer que cette préclusion n’avait pas sa place en matière criminelle. Subsidiairement, le ministère public a plaidé que cette préclusion ne devait pas s’appliquer de façon rétrospective et défaire un procès clos. Je ne puis accepter le premier argument, mais je souscris au second.

[11] La préclusion découlant d’une question déjà tranchée est une doctrine appliquée de façon constante en droit pénal canadien depuis plus de trois décennies au moins. Cette longévité, à elle seule, ne saurait dicter sa survie. S’il est manifeste qu’elle n’est ni utile ni nécessaire, elle devrait être abandonnée. Toutefois, notre Cour doit aborder avec prudence une demande d’écarter une doctrine qu’elle a maintes fois approuvée, et ne doit accéder à cette demande que s’il est clairement démontré que la doctrine ne sert pas les fins de la justice.

[12] On fait valoir trois arguments contre le maintien de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Premièrement, elle est inutile parce que d’autres doctrines permettent de prévenir les problèmes qu’elle prétend résoudre. Deuxièmement, les exigences de cette préclusion s’accordent mal avec les principes du droit pénal. Et troisièmement, telle qu’elle s’applique en droit pénal, cette préclusion entraîne des problèmes insolubles. J’aborderai tour à tour chacun de ces arguments.

[13] Toutefois, il pourrait être utile, avant d’étudier les arguments favorables ou défavorables à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, d’examiner la place qu’elle occupe en droit et l’évolution de la position canadienne à son égard.

A. La préclusion découlant d’une question déjà tranchée et le droit pénal : la position actuelle au Canada

[14] Pour résoudre les problèmes de remise en cause injuste, de cohérence des décisions et de caractère définitif des décisions, la common law a élaboré deux doctrines, qui tirent toutes deux leur origine d’un large concept connu sous le nom de principe de la chose jugée.

[15] Le premier volet du principe de la chose jugée est parfois appelé préclusion fondée sur la cause d’action en contexte civil, ou protection contre le double péril en contexte criminel. Lorsqu’on invoque cette préclusion dans une instance donnée, on fait valoir qu’une action donnée ne devrait pas aller de l’avant parce qu’elle repose sur une cause identique à celle d’une instance antérieure. En droit pénal, le principe de protection contre le double péril prend la forme des plaidoyers d’autrefois acquit et d’autrefois convict.

[16] Le second volet du principe de la chose jugée est la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Dans ce cas, il ne s’agit pas de se demander si les deux instances ont la même cause d’action, mais si une question qui se pose dans une instance n’a pas déjà été tranchée dans une instance antérieure. Les causes d’actions peuvent différer (et c’est généralement le cas). En droit canadien, cette préclusion s’est historiquement appliquée en matière civile et en matière criminelle.

[17] Contrairement à la protection contre le double péril, qui prend en compte la cause d’action dans son intégralité et le résultat final du litige, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée porte sur des questions particulières se posant dans deux instances différentes. Comme on le verra en détail ci‑après, la difficulté que soulève cette préclusion en matière criminelle découle en bonne partie de ce que l’on a confondu l’élément central du double péril, le verdict final, et l’objet propre de la préclusion, plus étroit, axé sur des décisions particulières concernant des questions sous‑jacentes au verdict. Si l’application de cette préclusion est limitée aux conclusions antérieures sur de telles questions, on élimine une grande partie des problèmes.

[18] On peut faire remonter à l’arrêt Grdic de notre Cour la confusion entre le principe de la protection contre le double péril, axé sur le résultat, et la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Deux conceptions de cette préclusion ont été exposées dans cet arrêt. Suivant le juge Lamer (plus tard Juge en chef), qui s’exprimait au nom des cinq juges de la majorité, « toute question qui a nécessairement dû être résolue en faveur de l’accusé pour qu’il y ait acquittement est réputée de façon irrévocable avoir été tranchée définitivement en faveur de l’accusé » (p. 825). Le juge Lamer a ajouté : « Il en est ainsi quoique le jugement ait fort bien pu résulter d’un doute raisonnable sur cette question . . . » (p. 825). En conséquence, le juge Lamer a conclu que, puisque la question de l’identité était la question centrale du premier procès dans Grdic, et puisque le juge du procès avait un doute raisonnable au sujet de l’identité, le ministère public était préclus de remettre cette question en cause (p. 825‑826). En résumé, si une question sous‑jacente à un acquittement a été, pour quelque raison que ce soit, résolue en faveur de l’accusé relativement à une accusation, le ministère public ne peut subséquemment, relativement à des chefs d’accusation différents, soumettre des éléments de preuve qui vont à l’encontre de cette décision antérieure sur cette question.

[19] Par contre, la juge Wilson, dissidente, a exprimé l’avis que, puisque la décision du juge du procès dans Grdic procédait d’un doute raisonnable au sujet de l’identité et non de la conclusion de fait positive que l’identité n’avait pas été établie, le ministère public pouvait présenter une preuve relative à l’identité (p. 817‑818).

[20] En résumé, tant le juge Lamer que la juge Wilson ont confirmé l’applicabilité en droit pénal de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Tous deux y ont vu une règle empêchant la remise en cause d’une question ayant fait l’objet d’une décision favorable à l’accusé dans un procès antérieur. Ils n’ont différé d’opinion que sur l’application de la règle lorsque les décisions favorables à l’accusé procèdent d’un doute raisonnable. Le juge Lamer, au nom des juges majoritaires, a affirmé que la règle s’applique et la juge Wilson, exposant l’opinion des juges dissidents, a estimé qu’elle n’est pas applicable. (Les juges Wilson et Lamer divergeaient également d’opinion sur les limites de l’exception à la règle de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée en cas de fraude, mais cette question ne se pose pas en l’espèce.)

[21] Les problèmes d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée semblent provenir en partie d’une interprétation erronée de l’opinion majoritaire exprimée dans Grdic; selon cette interprétation, le fait de l’acquittement interdit au ministère public de rouvrir le débat sur tout fait en cause dans un premier procès, peu importe que l’on puisse démontrer que la décision relative à ce fait était favorable à l’accusé. Cet élargissement du principe peut découler du commentaire du juge Lamer dans Grdic, selon lequel « [i]l n’existe pas différentes sortes d’acquittements » (p. 825). Par ce commentaire ouvrant son analyse, le juge répondait aux préoccupations soulevées par l’affirmation du juge de première instance que l’un des témoins entendus relativement à la question de l’identité devait s’être parjuré. Le juge Lamer semble ainsi avoir voulu écarter toute idée que la conclusion qu’il y avait eu parjure viciait ou faussait en quelque sorte l’acquittement. C’est dans ce contexte qu’intervient son affirmation que tous les acquittements sont égaux et qu’il n’y a pas lieu d’aller au‑delà d’un acquittement. Le juge Lamer a ensuite entrepris l’analyse du principe de la chose jugée et de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Le reste de son examen a porté, non pas sur l’acquittement, mais sur la question de savoir s’il y avait eu décision sur l’identité lors du premier procès. Le juge Lamer a expressément indiqué qu’un acquittement antérieur à l’égard d’une accusation différente « ne signifie pas qu’aux fins de l’application de la doctrine de la res judicata, la poursuite ne peut rouvrir certaines ou toutes les questions soulevées au premier procès » (p. 825), restreignant la portée de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée à « toute question qui a nécessairement dû être résolue en faveur de l’accusé pour qu’il y ait acquittement » (p. 825). Il a statué sur l’application de la préclusion au ministère public non pas en fonction de l’existence d’un acquittement dans une instance antérieure mais en se demandant si la question en cause avait été tranchée en faveur de l’accusé dans une instance antérieure. Compte tenu des faits, le juge Lamer a conclu, en se fondant sur le dossier du premier procès et, notamment, sur la défense présentée et la nature de l’affaire, que la question de l’identité avait fait l’objet d’une décision favorable à l’accusé lors du premier procès (Grdic, p. 826).

[22] C’est à tort qu’on interprète la décision des juges majoritaires dans Grdic comme interdisant au ministère public de présenter une preuve sur toute question soulevée dans un procès antérieur ayant abouti à un acquittement. Seules les questions tranchées en faveur de l’accusé, par suite d’une conclusion de fait positive ou par l’opération d’un doute raisonnable, donnent lieu à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.

[23] Ainsi, ce ne sont pas toutes les questions de fait examinées dans un procès ayant mené à un acquittement qui donnent ouverture à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, mais seulement celles qui ont expressément été tranchées ou celles qui, compte tenu de la façon dont l’affaire a été plaidée, ont nécessairement dû être tranchées pour qu’il y ait acquittement. Si une question particulière a été tranchée en faveur de l’accusé dans un procès antérieur, même si la décision procède d’un doute raisonnable, la préclusion joue. Pour établir si une question a été expressément tranchée ou a nécessairement dû l’être pour qu’il y ait acquittement dans le premier procès, il faut examiner les passages pertinents de la transcription du procès, en particulier les allégations, la nature de la preuve du ministère public et la preuve de la défense (Grdic, p. 826). L’accusé qui invoque la préclusion fondée sur une question déjà tranchée a la charge de prouver qu’une question particulière a effectivement été tranchée en sa faveur lors d’une instance antérieure.

[24] Lorsqu’une seule question était en cause dans le procès antérieur, comme dans l’affaire Grdic, la préclusion a normalement pour effet d’empêcher le ministère public de présenter des éléments de preuve se rapportant à cette question lors d’un procès subséquent (sous réserve des situations donnant ouverture à l’exception formulée dans Ollis, dont il sera question plus loin, où le ministère public ne cherche pas à contredire la conclusion factuelle du premier procès). Cependant, dans le cas d’un procès soulevant plusieurs questions, il est possible, compte tenu des faits, que le ministère public ne soit pas préclus à l’égard de toutes les questions. Il en va ainsi parce que l’acquittement doit avoir été fondé sur une seule question de fait ou parce qu’il peut être impossible de discerner la question ayant fondé l’acquittement.

[25] Dans un tel cas, il peut ne pas être évident que la question pertinente a été résolue en faveur de l’accusé lors du premier procès. L’arrêt de notre Cour Gushue c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 798, fournit un exemple d’une situation dans laquelle la préclusion n’a pas joué parce que rien n’indiquait clairement que la question avait été résolue en faveur de l’accusé au premier procès. Dans cette affaire, notre Cour a examiné si la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’appliquait dans le cas où l’accusé avait été acquitté d’un meurtre commis au cours d’un vol qualifié perpétré avec un coaccusé et avait ensuite été poursuivi pour vol qualifié. La Cour a statué qu’on ne pouvait invoquer cette préclusion pour empêcher la tenue du procès pour vol qualifié parce que différentes thèses avaient été présentées au jury relativement à la responsabilité criminelle lors du procès pour meurtre, de sorte que le verdict d’acquittement rendu n’impliquait pas nécessairement que le jury avait conclu à la non‑participation de l’accusé au vol qualifié (p. 806‑807).

[26] En résumé, les motifs de la majorité dans Grdic établissent le principe suivant. Le ministère public est préclus de soumettre une preuve incompatible avec les conclusions d’un procès antérieur, lorsque ces conclusions sont expressément favorables à l’accusé ou qu’elles sont fondées sur un doute raisonnable. La préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’applique qu’à l’égard de conclusions formulées lors d’un procès antérieur (comme l’a affirmé le juge d’appel Blair en l’espèce). En outre, la question de savoir s’il y a eu décision sur une question lors du premier procès constitue chaque fois une question de fait dans le procès subséquent. À mon avis, il faut confirmer la justesse de ces énoncés du droit. Il devrait en outre s’ensuivre que le ministère public est autorisé (sous réserve de l’application d’autres règles de preuve) à présenter des éléments de preuve se rapportant à une question en cause dans l’instance antérieure : (1) si la question n’a pas été tranchée en faveur de l’accusé dans cette instance ou (2) s’il y a eu décision sur la question dans l’instance antérieure sans que le ministère public cherche, par cette preuve, à contredire la conclusion de fait formulée sur cette question dans l’instance antérieure.

[27] S’agissant de déterminer si la préclusion découlant d’une question déjà tranchée peut avoir un effet rétrospectif, je relève que l’arrêt Grdic portait clairement sur la remise en cause d’une question qui, lors d’une instance antérieure, avait fait l’objet d’une décision favorable à l’accusé et qu’en cela, il allait dans le sens de cette doctrine, qui a toujours porté sur la remise en cause de questions antérieurement résolues. Ni le juge Lamer ni la juge Wilson n’ont laissé entendre que cette préclusion pourrait, rétrospectivement, entraîner le retrait d’éléments de preuve du dossier de l’instance antérieure. L’application rétroactive de la préclusion est incompatible avec l’un des principes fondamentaux de cette doctrine, le principe du caractère définitif des décisions.

[28] Sur la question de savoir si la préclusion découlant d’une question déjà tranchée doit englober les questions résolues par opération du doute raisonnable, les motifs majoritaires du juge Lamer dans Grdic sont bien fondés et doivent être maintenus.

[29] Premièrement, exclure les questions résolues par opération du doute raisonnable de la portée de la préclusion découlant de questions déjà tranchées ne confère pas assez d’importance au principe voulant qu’un accusé n’ait pas à se défendre deux fois des mêmes allégations. Lorsqu’un juge du procès a déterminé que le ministère public n’a pas prouvé un fait, il rend une décision défavorable au ministère public, et celui‑ci ne devrait pas être admis à remettre la question en cause. Il est sans importance que le ministère public n’ait pas réussi à établir le fait parce que le juge du procès avait un doute raisonnable ou parce qu’il a écarté expressément le fait que le ministère public tentait de prouver. L’obligation du ministère public de prouver ses allégations hors de tout doute raisonnable est un aspect fondamental de notre système de justice criminelle. Le ministère public ne devrait pas pouvoir invoquer la norme de preuve pour justifier des remises en cause.

[30] Deuxièmement, exclure les questions résolues par opération du doute raisonnable de la portée de la préclusion découlant de questions déjà tranchées ne confère pas assez d’importance au principe du caractère définitif des décisions. Souvent, les juges appelés à déterminer si le ministère public a prouvé ses allégations hors de tout doute raisonnable expriment leurs conclusions en disant qu’il subsiste un doute raisonnable sur une question. Si un doute raisonnable sur une question particulière n’est pas considéré comme une conclusion de fait définitive, très peu de questions donneront ouverture à la préclusion découlant de questions déjà tranchées et les fins du principe du caractère définitif des jugements seront mal servies.

[31] Je conclus que si elle est bien interprétée, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée a pour effet, en droit pénal canadien, d’empêcher le ministère public de remettre en cause une question ayant fait l’objet d’une décision favorable à l’accusé lors d’une instance criminelle antérieure, que la décision repose sur une conclusion positive ou sur un doute raisonnable.

[32] Toutefois, la jurisprudence subséquente a donné à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée une interprétation plus large, à laquelle sont principalement attribuables les difficultés que pose maintenant l’application de la règle.

[33] Les extensions les plus importantes apportées à la règle traditionnelle de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont, premièrement, la conception qu’elle a pour effet d’empêcher le ministère public de présenter une preuve sur toute question soulevée dans un procès antérieur ayant donné lieu à un acquittement et, deuxièmement, la conception qu’elle peut avoir une portée rétrospective et rendre inadmissibles des éléments de preuve présentés dans un procès antérieur ou nécessiter leur retrait du dossier, lorsqu’un acquittement est prononcé dans un procès subséquent où sont présentés des éléments de preuve qui avaient été soumis lors de l’instance antérieure, comme on le prétend en l’espèce : R. c. G. (K.R.) (1991), 68 C.C.C. (3d) 268 (C.A. Ont.); R. c. Rulli (1999), 134 C.C.C. (3d) 465 (C.A. Ont.), autorisation d’appel refusée, [2000] 1 R.C.S. xviii; R. c. Verney (1993), 87 C.C.C. (3d) 363 (C.A. Ont.). Pour ce qui est de la première extension, comme je l’ai indiqué aux par. 18 à 26, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne signifie pas que chaque élément de preuve soumis dans un procès aboutissant à un acquittement est inadmissible dans un procès subséquent portant sur autre chose. Seules sont frappées de préclusion les questions qui ont nécessairement dû être résolues en faveur de l’accusé pour qu’il y ait acquittement ou qui ont donné lieu à des conclusions (même sur le fondement du doute raisonnable). Cela comprend habituellement la question centrale du procès lorsqu’il n’y en a qu’une ou des questions particulières lorsque le procès soulevait plusieurs questions, si le tribunal dans le deuxième procès est en mesure, à l’examen de la transcription, de constater l’existence d’une conclusion formulée à l’égard d’une question particulière, même sur le fondement d’un doute raisonnable.

[34] En ce qui concerne la seconde extension, il ne faut pas conférer une application rétrospective à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Nulle part dans l’arrêt Grdic le juge Lamer n’indique qu’un verdict d’acquittement rendu dans un procès subséquent entraîne le réexamen rétrospectif de procès antérieurs afin de déterminer si le ministère public a présenté dans un procès aboutissant à l’acquittement des éléments de preuve qui avaient été soumis lors du procès précédent. Il n’indique pas non plus que, dans un tel cas, ces éléments seraient rétrospectivement réputés avoir été admis irrégulièrement en preuve et qu’il faudrait ordonner un nouveau procès.

[35] Ayant circonscrit la portée véritable de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, j’aborde les arguments soumis par les tenants de l’abolition de cette préclusion en droit pénal.

B. Le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est‑il nécessaire en droit pénal?

[36] Ceux qui proposent l’élimination, en droit pénal, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée invoquent d’abord son inutilité, en soutenant que d’autres doctrines sont suffisantes pour résoudre les problèmes que la préclusion permet de résoudre.

[37] Si l’on tient pour acquis, comme je le préconise ici, que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée établit le principe de la non‑remise en cause de questions résolues, il faut se demander si le ministère public peut, dans le procès d’un accusé, soumettre une preuve susceptible de contredire des faits sur lesquels il y a eu conclusion favorable à l’accusé lors d’un procès antérieur. À mon avis, le principe qui interdit une telle remise en cause demeure essentiel pour l’équité, l’efficacité et l’honorabilité d’un système de justice criminelle.

[38] Comme la plupart des principes de droit pénal qui ont à maintes reprises reçu l’approbation de notre Cour, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée a été maintenue au cours des ans parce que, quels que puissent être les difficultés qu’elle suscite, elle sert les fins de la justice. Elle poursuit trois objectifs, tous indispensables à l’équité du système de justice criminelle : (1) l’équité envers l’accusé, qui ne doit pas avoir à répondre à des questions déjà tranchées en sa faveur, (2) l’intégrité et la cohérence du droit pénal et (3) les valeurs institutionnelles que sont le caractère définitif des jugements et l’économie des ressources judiciaires. Ces objectifs, qui sont aussi fortement ancrés dans le contexte du droit civil, revêtent en droit pénal des aspects particuliers. Je les examinerai tour à tour en gardant cela à l’esprit.

[39] Il est clair, à mon sens, que l’équité envers l’accusé exige que ce dernier n’ait pas à répondre à des allégations de droit ou de fait déjà résolues en sa faveur dans une décision judiciaire au fond. Il s’agit là de la justification la plus impérieuse du maintien, dans le droit pénal, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée puisqu’elle concerne un précepte essentiel de notre système de justice pénale. L’État a le droit de porter des accusations et d’apporter la preuve des faits à l’instruction du procès. Si un juge ou un jury rend une décision définitive en faveur de l’accusé sur un fait, notamment une décision fondée sur un doute raisonnable, l’accusé ne devrait pas avoir à répondre à la même allégation dans une instance subséquente. Ce serait faire violence à la fonction fondamentale du principe de la chose jugée que d’exiger de l’accusé qu’il se défende à nouveau contre l’allégation.

[40] D’autres règles du droit pénal ne correspondent pas complètement à l’objectif d’équité qui écarte l’obligation, pour l’accusé, de répondre à des questions de fait et de droit (autres que le verdict final) tranchées en sa faveur dans une instance antérieure.

[41] Le moyen de défense d’autrefois acquit ne s’applique qu’au verdict final, non à des éléments particuliers sous‑jacents à la preuve du ministère public.

[42] Le recours à l’abus de procédures peut offrir ou ne pas offrir une protection contre la remise en cause d’une question particulière. L’abus de procédure reste une vaste notion, plutôt vague, qui varie d’une personne à l’autre. Historiquement, elle ne s’est appliquée qu’aux manifestations les plus flagrantes d’abus du pouvoir du ministère public, et notre Cour a précisé qu’elle ne pourrait être invoquée avec succès que dans de très rares cas — uniquement « lorsque la situation est à ce point viciée qu’elle constitue l’un des cas les plus manifestes » : Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, 2000 CSC 44, par. 120. À ce jour, ce recours n’a pas été beaucoup utilisé contre les remises en cause; d’ailleurs, des sources permettent d’affirmer que la remise en cause, sans plus, ne suffit tout simplement pas pour justifier une conclusion d’abus de procédures : Bradford & Bingley Building Society c. Seddon, [1999] 1 W.L.R. 1482 (C.A.), p. 1492‑1493. Pour offrir une protection contre la remise en cause, les règles relatives à l’abus de procédures devraient revêtir une forme moins discrétionnaire qu’à présent. Compte tenu de ses exigences de preuve élevées et de l’imprévisibilité de son application, il est donc peu probable que la doctrine de l’abus de procédure puisse permettre la réalisation de l’objectif d’équité sur lequel repose la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.

[43] Étant donné les restrictions qu’elles prévoient, il est également peu probable que les règles régissant la preuve de moralité et la preuve de faits similaires permettent l’entière réalisation de l’objectif d’équité qui sous‑tend la doctrine de la préclusion. D’abord, ces règles ne s’appliquent qu’à un nombre limité de décisions relatives à des questions de fait ou de droit susceptibles de donner ouverture à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. À l’évidence, la moralité n’est qu’une des nombreuses questions de fait que le ministère public peut avoir à prouver à l’appui d’une accusation. Il y aura également un problème si une question tranchée lors d’un procès antérieur n’est pas similaire au sens des règles régissant la preuve de faits similaires — qui mettent l’accent sur des habitudes criminelles se rapportant à l’essence de l’acte criminel allégué. Les questions de fait distinctes, comme celle de l’identité dans Grdic, peuvent ne pas cadrer avec les règles régissant la preuve de faits similaires.

[44] En outre, les règles de preuve applicables à la preuve de moralité et à la preuve de faits similaires sont assujetties à des restrictions très discrétionnaires. Bien qu’il incombe au ministère public de démontrer l’admissibilité d’un élément de preuve, il se peut qu’au plan stratégique, l’accusé se sente tenu d’en plaider l’inadmissibilité par quelque moyen. La preuve de faits similaires, par exemple, n’est admise que si sa valeur probante s’avère plus importante que le préjudice qu’elle peut causer à l’accusé. Pour faire échec à cette preuve, l’accusé doit habituellement tenter de soulever un doute sur sa valeur probante ou démontrer qu’elle lui causera un préjudice inéquitable. En conséquence, bien que la charge de la preuve repose sur le ministère public, l’accusé est obligé, dans les faits, de réfuter un élément de preuve relatif à une question de fait qui a déjà été résolue en sa faveur. L’accusé n’a plus la protection complète que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée lui assure contre la remise en cause de questions de fait ayant fait l’objet de décisions qui lui sont favorables.

[45] Le deuxième objectif de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est l’intégrité et la cohérence du processus pénal. Les moyens de défense d’autrefois convict et d’autrefois acquit relevant du principe de la chose jugée offrent une protection contre les verdicts incompatibles. Toutefois, le droit pénal a horreur non seulement des verdicts incompatibles mais également des conclusions contradictoires sur des questions particulières. Les conclusions contradictoires font douter de l’équité du verdict final et de l’intégrité et de la cohérence du système de justice dans son ensemble. Le moyen de défense d’autrefois acquit et les règles restreignant la preuve de faits similaires n’offrent pas, à l’égard des conclusions contradictoires, une protection aussi certaine, solide et étendue que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.

[46] Le troisième objectif de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est la préservation des valeurs institutionnelles connexes que sont le caractère définitif des décisions et l’économie des ressources judiciaires. Ces valeurs sont essentielles au maintien de la confiance envers le système de justice. Les instances criminelles ne devraient pas se poursuivre indûment. Dès que les questions factuelles ont été résolues, elles doivent être considérées comme définitivement réglées, sous réserve d’un appel. La remise en cause ne doit pas être permise. Cette règle s’accorde avec l’obligation du ministère public de faire diligence pour recueillir et présenter sa preuve, une obligation dont il s’acquittera d’autant mieux qu’il saura qu’il n’y aura pas de seconde chance.

[47] J’estime que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sert d’importantes fins dans le processus pénal, des fins dont d’autres doctrines et règles de preuve ne permettent pas la réalisation intégrale. Cette préclusion demeure un instrument utile et, certes, nécessaire dans notre système de droit pénal. Il faut une règle simple et claire interdisant de remettre en cause, dans une instance criminelle, une question qui a été réglée antérieurement. Tous s’accordent pour dire qu’un accusé ne doit pas avoir à se défendre deux fois contre la même allégation, que le droit pénal a horreur des conclusions contradictoires sur des questions de fait et que le caractère définitif des décisions et l’économie des ressources judiciaires constituent des valeurs institutionnelles importantes dans l’administration de la justice. Pour protéger adéquatement ces valeurs, il faut à tout le moins une règle interdisant la remise en cause dans un procès criminel de questions réglées dans une instance criminelle antérieure.

C. Harmonie avec les principes fondamentaux du droit pénal

[48] Le deuxième argument invoqué à l’encontre de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est qu’elle ne cadre pas bien avec les notions fondamentales de droit pénal.

[49] Les exigences applicables à cette préclusion, en matière civile ou criminelle, sont les suivantes : (i) que la même question ait été décidée; (ii) que la décision judiciaire invoquée comme créant la préclusion soit finale; et (iii) que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la préclusion est soulevée, ou leurs ayants droit : Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248, p. 254, le juge Dickson (plus tard Juge en chef), reprenant un énoncé de lord Guest dans Carl Zeiss Stiftung c. Rayner & Keeler Ltd., [1967] 1 A.C. 853 (H.L.), p. 935.

[50] Ma collègue la juge Charron affirme qu’aucune de ces trois exigences n’est adaptée au contexte du droit pénal et qu’en conséquence, le concept n’a pas sa place en droit pénal et devrait être abandonné.

[51] Il se peut que cette « inadéquation » dont parle ma collègue résulte davantage de la portée que ce concept a acquise en droit canadien après l’arrêt Grdic que du concept lui‑même. Selon moi, si la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est simplement interprétée comme une règle empêchant la remise en cause de questions réglées, elle s’intègre bien au droit pénal.

[52] Pour que cette préclusion puisse être invoquée, il faut d’abord que la question ait été tranchée dans une instance antérieure. Le tribunal instruisant le deuxième procès doit déterminer si la question à l’égard de laquelle le ministère public veut présenter une preuve est identique à celle qui avait donné lieu à une décision favorable à l’accusé dans l’instance criminelle antérieure. C’est à l’accusé qui cherche à empêcher la présentation de cette preuve qu’il incombe de démontrer que la question aurait déjà été réglée. Pour ce faire l’accusé doit démontrer que la question a été ou doit nécessairement avoir été réglée au fond en sa faveur dans l’instance antérieure. Il ne suffit pas d’établir que la preuve a été soumise dans l’instance antérieure et qu’un acquittement a été prononcé. Les conclusions du juge du procès ou l’acquittement doivent nécessairement impliquer que la question a bien été tranchée en faveur de l’accusé. Cette approche correspond à l’application de cette exigence en matière civile. Il ne faut pas oublier qu’il ne s’agit pas ici du principe de la chose jugée — qui met l’accent sur le fait qu’il y a eu acquittement — mais de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, qui pose la question de savoir si une question particulière a déjà été résolue en faveur de l’accusé.

[53] L’étroitesse de son champ d’application ne rend pas cette préclusion inutile. La plupart des procès criminels sont instruits par des juges seuls, qui doivent fournir des motifs indiquant la démarche suivie pour arriver au verdict. Ils doivent donc formuler des conclusions au sujet des questions fondamentales. La préclusion découlant d’une question déjà tranchée a pour effet d’imposer la reconnaissance de ces conclusions et d’empêcher leur remise en cause dans un procès subséquent, à moins qu’elles ne soient infirmées en appel. Si le procès antérieur s’est tenu devant un jury qui a un verdict d’acquittement, il peut être plus difficile de déterminer si une question particulière a été résolue en faveur de l’accusé. Il faut alors se demander si le verdict d’acquittement suppose logiquement l’existence d’une conclusion favorable à l’accusé, et la réponse doit tenir compte des éléments essentiels du verdict.

[54] Il se peut que les procès par jury compliquent le recours à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, parce que dans certains cas, il sera plus ardu pour l’accusé, lors du procès subséquent, d’établir les questions qui ont été tranchées en sa faveur lors du procès antérieur. Comme je l’ai indiqué, la question de savoir s’il a été statué sur une question au procès antérieur constitue chaque fois une question de fait dans le procès subséquent. Lorsque le procès ne soulève qu’une question, il peut être plus facile de conclure à la préclusion à l’égard de la question fondamentale du procès, mais cette conclusion est plus difficile à tirer lorsque plusieurs questions sont en cause. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille écarter du droit pénal la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Il peut également être difficile, dans un procès civil par jury, de déterminer si le jury a résolu une question particulière en faveur de la partie invoquant la préclusion. Mais cette difficulté pratique de preuve ne nous permet pas de conclure qu’il faut supprimer cette doctrine du droit civil.

[55] La deuxième exigence applicable à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée porte sur le caractère définitif de la décision judiciaire invoquée comme source de la préclusion. Les conclusions formulées à l’égard de questions particulières dans un procès sont définitives à moins qu’elles ne soient infirmées en appel. Ce principe vaut autant pour les instances civiles que pour les instances criminelles. À cet égard, il n’y a pas à craindre d’« inadéquation » avec les principes du droit pénal.

[56] La troisième exigence est celle de la réciprocité, et elle suppose que les parties aux deux instances soient les mêmes. Lorsque l’accusé invoque la préclusion à l’encontre du ministère public, l’harmonie avec les principes du droit pénal est entière. Si la seconde instance est un procès criminel, les parties sont toujours les mêmes — le ministère public et l’accusé en cause. Permettre à l’accusé de soutenir qu’il y a préclusion à l’égard de questions résolues en sa faveur lors du premier procès ne pose aucun problème. Si, dans le second procès, il s’agit d’une instance administrative et non d’un procès criminel, l’exigence de réciprocité ne sera pas remplie et l’accusé ne pourra invoquer la préclusion pour faire valoir que la question a été tranchée en sa faveur : Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, 2003 CSC 63. Il en irait sans doute de même si l’instance subséquente était une poursuite en responsabilité délictuelle fondée sur les mêmes incidents qu’un procès criminel antérieur ayant abouti à une déclaration de culpabilité. Aucun de ces résultats ne fausse le droit pénal ou n’y fait violence.

[57] À son niveau le plus élémentaire, la réciprocité signifie simplement que les parties aux deux instances doivent être les mêmes : voir S.C.F.P.; H. Stewart, « Issue Estoppel and Similar Facts » (2008), 53 Crim. L.Q. 382, p. 383. Toutefois, la notion a parfois été interprétée dans le sens plus large d’exigence que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique de façon identique aux deux parties. En ce sens, la réciprocité n’a jamais fait partie du droit pénal canadien, lequel reconnaît que cette préclusion doit céder le pas à la présomption d’innocence et à l’obligation du ministère public de prouver tous les éléments de l’infraction hors de tout doute raisonnable. Le ministère public ne sera pas admis à opposer à un accusé cherchant à se prévaloir de cette présomption la préclusion découlant de décisions défavorables à l’accusé rendues dans une instance criminelle antérieure. Permettre au ministère public d’invoquer la préclusion dans de telles circonstances irait à l’encontre de la présomption d’innocence et de l’obligation faite au ministère public de soumettre en matière criminelle une preuve hors de tout doute raisonnable de la culpabilité.

[58] En droit canadien, le conflit qui peut parfois opposer les principes du droit pénal établissant la présomption d’innocence et la charge de preuve du ministère public, d’une part, et la règle générale selon laquelle la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique de la même façon aux deux parties, d’autre part, se résout en faisant prévaloir les principes généraux de droit pénal : Duhamel c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 555 (statuant que le ministère public n’est pas préclus de présenter en preuve une déclaration qui avait été jugée inadmissible lors d’un voir‑dire se rapportant à un procès antérieur). En Angleterre, on a résolu cette même difficulté en déclarant que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée n’a pas sa place en droit pénal anglais : R. c. Humphrys, [1976] R.T.R. 339 (H.L.), p. 349, le vicomte Dilhorne. La solution plus circonscrite retenue au Canada semble tout à fait adéquate et elle n’étaye pas, à mon avis, la conclusion qu’il faut retirer complètement du droit pénal la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.

[59] Je suis d’avis qu’avec la légère modification que nous venons d’examiner, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est bien adaptée au contexte criminel. Loin d’entrer en conflit avec les principes du droit pénal, elle va dans le sens de ses objectifs fondamentaux — l’équité envers l’accusé, l’intégrité et la cohérence du processus pénal et le caractère définitif des jugements.

D. Problèmes d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée en droit pénal

[60] J’aborde maintenant le troisième argument invoqué à l’encontre de cette préclusion, à savoir qu’elle présente des problèmes d’application pratiques qui la rendent inutilisable en droit pénal.

[61] Ces problèmes d’application en droit pénal, toutefois, disparaissent en grande partie si cette préclusion est vue simplement comme une règle interdisant la remise en cause de questions résolues en faveur de l’accusé lors d’un procès antérieur. Comme je l’ai déjà expliqué, elle ne pose aucune difficulté insurmontable au plan des principes. Reste la crainte que son application, dans des affaires criminelles, n’entraîne des contradictions et des anomalies.

[62] Une anomalie apparente se rapporte à l’exception dite de l’arrêt Ollis (R. c. Ollis, [1900] 2 Q.B. 758). Elle survient si le ministère public cherche à présenter un élément de preuve sous‑jacent à un acquittement antérieur pour établir l’état d’esprit de l’accusé en relation avec une accusation subséquente. Au Canada, on a jugé que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’applique pas dans cette situation : R. c. Arp, [1998] 3 R.C.S. 339. Au premier coup d’œil, cela semble créer une anomalie.

[63] Dans Arp, le juge Cory a résumé ainsi la décision rendue dans Ollis, par. 78 :

. . . l’inculpé était accusé d’avoir obtenu de l’argent par des faux-semblants. Il avait obtenu des fonds en échange d’un chèque qu’on avait par la suite refusé d’accepter. Au terme du premier procès, l’accusé avait été acquitté pour le motif que, lorsqu’il avait remis le chèque au plaignant, il s’attendait à recevoir des fonds couvrant le chèque. Par la suite, l’accusé a de nouveau été inculpé d’avoir obtenu de l’argent par des faux-semblants et, au second procès, le ministère public a produit le témoignage du premier plaignant en tant que preuve pertinente à l’égard de l’état d’esprit coupable de l’accusé. La cour a statué que la preuve était admissible.

Le juge Cory a conclu que la preuve de l’acquittement antérieur avait été admise à bon droit dans Ollis. L’élément de preuve portait sur l’état d’esprit de l’accusé au moment de la deuxième infraction, et sa présentation ne cherchait pas à contester l’acquittement prononcé à l’issue du premier procès. Comme le fait remarquer le professeur Stewart aux p. 392‑393 :

[traduction] Si l’on interprète l’arrêt Ollis de cette façon, l’élément de preuve présenté au premier procès a été admis parce qu’il démontrait que lorsque l’accusé a libellé le chèque en cause au deuxième procès, il savait qu’il n’avait pas les fonds suffisants pour que l’effet soit honoré. Ce raisonnement n’implique pas de contestation de l’acquittement; le verdict d’acquittement et les motifs le sous‑tendant peuvent être entièrement acceptés, mais les faits relatifs à l’allégation initiale peuvent présenter une valeur probante dans le deuxième procès. Interprétée de cette façon, la décision Ollis ne fait pas intervenir la préclusion découlant d’une question déjà tranchée parce qu’elle suppose l’acceptation des faits mis en preuve dans l’instance initiale, non leur contestation. [Je souligne.]

[64] Il est possible de soutenir que la preuve qui avait été acceptée au premier procès — que l’accusé ne savait pas que les fonds étaient insuffisants pour couvrir le chèque — et qui a mené à l’acquittement a été rejetée au deuxième procès, et a entraîné la déclaration de culpabilité. Toutefois, en limitant la préclusion découlant d’une question déjà tranchée à sa fonction propre, à savoir empêcher la remise en cause de questions ayant fait l’objet de décisions favorables à l’accusé dans une instance antérieure, on obtient un résultat différent. Au premier procès, la question factuelle de l’état d’esprit de l’accusé a été résolue en faveur de ce dernier sur le fondement de son témoignage affirmant qu’il pensait avoir des fonds suffisants. Au deuxième procès, la présentation de l’élément de preuve n’avait pas pour but d’établir que la décision antérieure était erronée, mais de démontrer que l’accusé ne pouvait avoir commis deux fois la même erreur et qu’il n’était donc pas possible que, la deuxième fois, il ait cru avoir suffisamment de fonds pour couvrir le chèque. Ce raisonnement ne fait intervenir aucune contestation de la décision judiciaire rendue au premier procès ni ne constitue un rejet de conclusions formulées lors de ce procès au sujet de l’état d’esprit de l’accusé. Le premier acquittement et les raisons le sous‑tendant sont maintenus. Toutefois, les faits sur lesquels ils reposent peuvent être pertinents dans le deuxième procès et être admis en preuve pour cette raison sans que la première conclusion soit mise en doute. Comme le juge Cory l’a signalé dans Arp, il est alors nécessaire de donner au jury des directives minutieuses (par. 78).

[65] Si le ministère public ne cherche pas à contredire les conclusions de fait du premier procès, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne joue pas. Il faut se demander si le ministère public présente une preuve incompatible avec les conclusions de fait du premier procès (même si elles reposent sur un doute raisonnable). Il suffit, pour préserver la protection offerte par la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sans pour autant que le procès pose des problèmes insurmontables, de donner au jury des directives en ce sens et de le mettre en garde contre l’utilisation de la preuve sous‑jacente à l’acquittement pour étayer l’argument que l’accusé a en fait commis l’infraction dont il a été acquitté auparavant.

[66] Une autre difficulté apparente réside dans la prétendue anomalie de l’arrêt Arp. Selon le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, si une question donne lieu à une décision favorable à l’accusé dans un procès aboutissant à un acquittement, la preuve se rapportant à cette question ne peut être utilisée comme preuve de faits similaires dans un procès subséquent. Pourtant les règles régissant la preuve de faits similaires permettent la présentation d’une telle preuve dans un procès portant sur plusieurs chefs d’accusation. Cela entraîne l’anomalie suivante : si la question au sujet de laquelle le ministère public tente de présenter une preuve de faits similaires a été tranchée dans un procès antérieur ayant abouti à un acquittement, la preuve est inadmissible au procès subséquent. Toutefois, si le même fait est pertinent à deux infractions jugées ensemble, la preuve peut en être admise. L’admissibilité ne dépend pas de la nature de la preuve, mais bien de la question de savoir si elle a été présentée lors d’un procès antérieur ayant donné lieu à un acquittement. À première vue, un tel résultat peut paraître contestable puisque l’admissibilité de la preuve dépend de facteurs, parfois arbitraires, faisant en sorte qu’il y aura des procès successifs plutôt qu’un procès sur des chefs d’accusation multiples.

[67] Dans Arp, le juge Cory, au nom de cette Cour, a statué que le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, qui s’applique dans les cas d’acquittement antérieur, « ne s’applique pas lorsque les actes similaires allégués font l’objet d’un acte d’accusation comportant plusieurs chefs » (par. 79). Cependant, l’incertitude demeure. Cela signifie‑t‑il que le ministère public peut, dans un procès subséquent, présenter une preuve de faits similaires se rapportant à des actes à l’égard desquels il y a eu acquittement? (Voir L. Stuesser, « Admitting Acquittals as Similar Fact Evidence » (2002), 45 Crim. L.Q. 488.) Ou cette décision est‑elle erronée, comme d’autres l’ont soutenu? (Voir R. Mahoney, « Acquittals as Similar Fact Evidence : Another View » (2003), 47 Crim. L.Q. 265; voir aussi K. E. Wright, « Similar Fact Multiple Count Indictments — A Reply » (1994), 32 C.R. (4th) 301 (antérieur à Arp).)

[68] Il est possible de soutenir que l’arrêt Arp entre en conflit avec la préclusion découlant d’une question déjà tranchée telle que l’a définie le juge Lamer dans Grdic parce que, dans un procès conjoint portant sur de multiples chefs d’accusation, Arp peut avoir pour effet de priver l’accusé du bénéfice de questions de fait soulevant un doute raisonnable dans l’esprit du jury relativement à un chef d’accusation. La démarche retenue dans Arp se justifie néanmoins pour trois raisons.

[69] Premièrement, dans des circonstances comme celles de Arp, il n’y a pas lieu de s’inquiéter pour le caractère définitif des jugements auquel répond la préclusion découlant d’une question déjà tranchée parce que les deux questions (ou plus) sont instruites ensemble. Il n’existe aucune conclusion de fait antérieure.

[70] Deuxièmement, l’instruction conjointe de plusieurs chefs d’accusation pose le problème des directives à donner au jury si le droit exige que la preuve se rapportant à un chef d’accusation soit établie hors de tout doute raisonnable avant de servir comme preuve de faits similaires à l’égard d’un autre chef. Le principe général formulé dans R. c. Morin, [1988] 2 R.C.S. 345, selon lequel il n’est pas nécessaire que chaque élément individuel de preuve soit établi hors de tout doute raisonnable, milite contre l’affirmation (et les directives à donner au jury) que la preuve relative à un chef d’accusation ne peut être présentée à titre de preuve de faits similaires à l’égard d’un autre chef à moins d’avoir été établie hors de tout doute raisonnable. Étant donné les raisons d’être de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, le résultat différent obtenu selon l’ordre dans lequel les accusations sont instruites ou selon qu’elles sont ou non instruites en même temps peut se justifier dans ce contexte. Dans Arp, notre Cour a retenu cet argument (aux par. 64 à 79) pour fonder la distinction entre la situation où il y a procès sur des chefs d’accusation multiples et celle de l’acquittement prononcé à un procès antérieur.

[71] Troisièmement, on a fait valoir qu’une directive au jury pouvait remédier à la prétendue anomalie de l’arrêt Arp (voir Stewart, p. 396). Pour respecter le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, en cas de procès successifs, il faut éviter, lors du deuxième procès, d’invoquer des questions qui ont été résolues en faveur de l’accusé dans l’instance antérieure. Il s’ensuit que, dans un procès tenu sur des chefs d’accusation multiples comportant des allégations semblables, il faut éviter les situations où le juge des faits rejette un élément de preuve présenté à l’égard d’un chef tout en l’employant pour conclure à la culpabilité à l’égard d’un autre. On peut y parvenir au moyen d’une directive au jury.

[72] Depuis R. c. Handy, [2002] 2 R.C.S. 908, 2002 CSC 56, l’admissibilité et l’utilisation de la preuve de faits similaires passent obligatoirement par la définition de la question de fait précise pour laquelle cette preuve établit l’improbabilité d’une coïncidence. Il peut s’agir de l’identité du contrevenant, du peu de probabilité que des témoins indépendants fassent des dépositions similaires ou de toute autre inférence pertinente et probante. Lorsque l’acte d’accusation comporte plusieurs chefs, le juge du procès doit se donner comme consigne ou, s’il siège avec jury, dire aux jurés, que s’il rejette la preuve relative à une telle question à l’égard d’un chef d’accusation, il ne peut l’utiliser pour décider du verdict à rendre à l’égard d’autres chefs (voir Stewart, p. 396). D’ailleurs, le juge Cory énonce une directive semblable dans Arp, au paragraphe (6) du modèle d’exposé qu’il propose (par. 80).

[73] Bref, si l’on aborde la préclusion découlant d’une question déjà tranchée en tenant compte des caractéristiques qui la définissent, exposées précédemment, l’incompatibilité de cette doctrine avec les autres règles de preuve et principes de bon sens disparaît en bonne partie.

E. Conclusion sur le maintien en droit pénal de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée

[74] Il est incontestable que, telle qu’elle a été appliquée au Canada depuis l’arrêt Grdic, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée a créé des problèmes de cohérence avec d’autres règles de droit pénal et principes de bon sens. Ce qu’il nous faut déterminer en l’espèce, à mon avis, c’est si ces problèmes doivent entraîner sa suppression en droit pénal canadien ou si la Cour peut modifier la position canadienne actuelle sur cette doctrine pour atténuer les difficultés.

[75] J’ai fait valoir qu’une conception de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée qui en limite l’application à des questions précises décidées en faveur de l’accusé dans une instance antérieure concorde avec l’historique et avec le fondement théorique de cette préclusion et que l’adoption de cette conception permettrait d’éviter les anomalies produites par la vision élargie de la doctrine postérieure à l’arrêt Grdic. J’ai fait valoir également qu’ainsi interprétée, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée tient une place importante en droit pénal, et que d’autres doctrines et règles de preuve n’offrent pas une protection complète des objectifs qui sous‑tendent cette doctrine : l’équité envers l’accusé, la cohérence et l’uniformité des instances criminelles et le caractère définitif des décisions judiciaires.

[76] Ces arguments me convainquent qu’il y a lieu de conserver dans le droit pénal canadien la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.

[77] Il n’est pas nécessaire en l’espèce de se prononcer sur l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée lorsqu’une mesure comme l’arrêt des procédures a été ordonnée lors du premier procès : voir, par exemple, R. c. Regan (1999), 131 C.C.C. (3d) 286 (C.S.N.‑É.); Rulli. D’un côté, les cas d’arrêt de procédures font souvent intervenir des décisions ne statuant pas sur le fond et il se peut, par conséquent, qu’ils ne donnent pas lieu à des conclusions de fait (ou, comme le professeur Stewart le fait remarquer au sujet de la provocation policière, il est possible que des conclusions de fait défavorables à l’accusé aient pu être formulées, puisque la provocation policière n’est examinée qu’après un verdict de culpabilité (p. 389‑390)). D’un autre côté, dans nombre de cas où l’arrêt des procédures a été ordonné pour des raisons comme l’abus de procédures ou un retard déraisonnable, les facteurs ayant mené à l’arrêt de procédures peuvent souvent se montrer encore déterminants lorsque le ministère public tente de se servir de la preuve dans une instance subséquente. Peut‑être y aurait‑il lieu, dans de tels cas, de préférer à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée une démarche plus souple, comme l’abus de procédure. Toutefois, puisque les faits de la présente espèce ne font pas intervenir un arrêt de procédures, cette question pourra être examinée ultérieurement.

IV. Application

[78] Comme ma collègue la juge Charron, j’estime que les juges majoritaires de la Cour d’appel ont conclu à tort que le verdict d’acquittement prononcé subséquemment à l’égard de l’accusation d’entrave à la justice obligeait nécessairement à conclure que le témoignage de M. Balasingam au sujet de l’appel téléphonique fait par l’accusé avait été irrégulièrement admis lors du premier procès. Selon l’analyse que je fais de l’affaire, cette erreur ne tient pas au fait que le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée n’est pas applicable en droit pénal, mais à ce que les juges majoritaires de la Cour d’appel ont appliqué une vision trop large du principe.

[79] Il est possible de trancher cette question en se fondant sur l’ordre dans lequel les verdicts ont été rendus. L’acquittement prononcé à l’issue du deuxième procès ne peut rendre rétrospectivement inadmissible la preuve présentée lors du procès antérieur (que vise le présent pourvoi). L’ordre dans lequel les procès ont eu lieu a de l’importance et fait partie intégrante des notions de caractère définitif que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et, plus généralement, le principe de chose jugée, visent à protéger.

[80] Il peut toutefois être utile de formuler des commentaires sur la façon dont la préclusion découlant d’une question déjà tranchée peut s’appliquer lors du nouveau procès pour voies de fait graves. Ce nouveau procès sera alors postérieur à l’acquittement relativement à l’accusation d’entrave à la justice fondée sur l’appel téléphonique. Bien qu’il appartiendra au juge présidant ce nouveau procès de se prononcer en définitive sur l’admissibilité de la preuve relative à l’appel téléphonique, il est probable que, telle qu’elle a été définie dans les présents motifs, la préclusion s’appliquera. L’existence de ce coup de téléphone était la question fondamentale du procès pour entrave à la justice. Or, le juge du procès a dit avoir un doute raisonnable sur la question de savoir si cet appel avait bien été fait, compte tenu du manque de crédibilité du principal témoin du ministère public ainsi que du fait qu’aucun relevé d’appel n’avait été produit au procès pour corroborer que l’appel avait été fait, alors que, selon le juge, on pouvait s’attendre à ce qu’un tel relevé existe puisque le prétendu appel était un interurbain fait à partir d’un établissement carcéral. En conséquence, l’acquittement relativement à l’accusation d’entrave empêche le ministère public d’avoir recours à la preuve relative à l’appel téléphonique pour établir la conscience coupable dans le nouveau procès pour voies de fait graves. Il en va ainsi même si l’acquittement à l’issue du procès pour entrave à la justice repose sur un doute raisonnable quant à l’existence de l’appel téléphonique plutôt que sur une conclusion de fait expresse que l’appel n’a pas été fait.

[81] Comme ma collègue la juge Charron, j’estime que la Cour d’appel a conclu à bon droit que l’exposé au jury dans le premier procès était inadéquat, et je suis d’avis d’ordonner un nouveau procès pour ce motif.

[82] Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Version française des motifs des juges Deschamps, Abella et Charron rendus par

La juge Charron —

1. Aperçu

[83] Le présent pourvoi concerne l’application en droit criminel canadien de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Cette forme de préclusion, qui fait partie de la doctrine de la chose jugée, a pris naissance en contexte civil et empêche la remise en cause d’une question ayant fait l’objet d’une décision judiciaire définitive. La préclusion découlant d’une question déjà tranchée a été transposée en droit criminel canadien, mais de profondes mutations se sont opérées dès le départ pour en permettre l’adaptation à ce nouvel environnement. Un changement important a été l’abandon de

la notion de réciprocité qui sous‑tend l’une des trois conditions d’application de cette préclusion, parce que cette notion était tout à fait incompatible avec le contexte criminel. Par conséquent, nous nous trouvons d’emblée devant un concept très différent de celui qui s’applique en contexte civil. En outre, l’application de cette préclusion en matière criminelle a soulevé, tant au plan des principes que de la pratique, un certain nombre de difficultés qui nous ont amené à la question soulevée dans le présent pourvoi — y a‑t‑il lieu de conserver en droit criminel la préclusion découlant d’une question déjà tranchée?

[84] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’en contexte criminel, d’autres concepts et dispositions législatives existants apportent une réponse plus adéquate à la problématique des remises en cause abusives contre lesquelles la préclusion découlant d’une question déjà tranchée offre une protection en matière civile. Selon les circonstances, on peut notamment faire appel à la doctrine de l’abus de procédure, aux règles régissant la preuve de moralité — plus particulièrement la règle de la preuve de faits similaires — à l’interdiction des déclarations de culpabilité multiples de l’arrêt Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729, à l’interdiction des contestations indirectes, aux moyens de défense d’autrefois acquit et d’autrefois convict prévus à l’art. 607 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, et à l’al. 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette panoplie de concepts connexes s’accorde mieux à la nature des instances criminelles et elle est suffisante pour répondre aux préoccupations particulières que peut engendrer la remise en cause en contexte criminel. Rien n’oblige donc à modifier la préclusion découlant d’une question déjà tranchée pour l’adapter au droit criminel. Il faudrait plutôt que cette forme de préclusion, en tant que notion distincte, cesse d’être appliquée en droit criminel au Canada.

2. Les circonstances à l’origine de la préclusion invoquée en l’espèce

[85] En l’espèce, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée a été invoquée dans les circonstances suivantes.

[86] Rathiskumar Mahalingan a été accusé de tentative de meurtre à la suite d’une agression brutale perpétrée par un gang à Markham en Ontario au mois de juin 2002. Une accusation de voies de fait graves sur la personne des mêmes victimes a aussi été portée contre deux co‑accusés. La question cruciale au procès des trois accusés tenu devant juge et jury était celle de l’identité des agresseurs. Monsieur Mahalingan a été acquitté de l’accusation de tentative de meurtre, mais déclaré coupable de l’infraction incluse de voies de fait graves. L’un des co‑accusés a lui aussi été déclaré coupable de voies de fait graves, tandis que l’autre, qui avait présenté une preuve d’alibi, a été acquitté. Le présent pourvoi ne concerne que le cas de M. Mahalingan.

[87] Monsieur Mahalingan a fait appel de la déclaration de culpabilité et de la peine devant la Cour d’appel de l’Ontario : (2006), 80 O.R. (3d) 35. Il a invoqué plusieurs moyens à l’encontre du verdict de culpabilité, dont l’un concernait le bien‑fondé des directives du juge au jury au sujet de la thèse de la défense. Il a également demandé l’autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve, faisant valoir que ceux‑ci se rapportaient à la preuve de comportement postérieur à l’infraction qui faisait partie de la preuve à charge présentée par le ministère public. L’un des plaignants, M. Balasingam, avait témoigné lors du procès, affirmant que M. Mahalingan lui avait téléphoné de sa prison, peu avant le début du procès, et lui avait demandé de ne pas témoigner contre lui. En raison de ce coup de téléphone, M. Mahalingan a été accusé de tentative d’entrave à la justice mais il a été acquitté au terme d’un procès postérieur au procès pour tentative de meurtre. En appel, il a voulu soumettre comme nouvel élément de preuve la preuve de l’acquittement sur l’accusation d’entrave à la justice, soutenant que cet acquittement avait pour effet de rendre rétrospectivement inadmissible le témoignage de M. Balasingam au sujet du coup de téléphone.

[88] Au nom de la Cour d’appel à l’unanimité, le juge Sharpe a accueilli l’appel de M. Mahalingan et a ordonné un nouveau procès au motif que le juge du procès n’avait pas présenté la position de la défense dans ses directives au jury. Concernant la demande d’autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve, toutefois, la Cour a rendu une décision divisée. Bien que les trois juges fussent tous d’avis qu’il y aurait probablement lieu que notre Cour réexamine l’application en droit criminel de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, le juge Sharpe (le juge Rouleau souscrivant à ses motifs) a estimé qu’il fallait donner effet au principe de l’inadmissibilité des éléments de preuve sous‑tendant un acquittement, ce qui rendait rétrospectivement inadmissible la preuve de l’appel téléphonique de M. Mahalingan. Selon le juge Sharpe, on ne pourrait donc pas affirmer que l’issue du procès pour tentative de meurtre aurait été la même si cette preuve inadmissible n’avait pas été présentée. En conséquence, la Cour à la majorité a accepté les nouveaux éléments de preuve et a ordonné la tenue d’un nouveau procès sur ce fondement également.

[89] Le juge Blair s’est dissocié de ses collègues uniquement au sujet de l’application appropriée de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Il a conclu que l’acquittement subséquent à l’égard de l’accusation d’entrave à la justice n’avait pas pour effet de rendre rétrospectivement inadmissible la preuve relative à l’appel téléphonique de M. Mahalingan à M. Balasingam. Il aurait rejeté la demande d’autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve.

[90] Comme la Cour d’appel, je suis d’avis que l’omission du juge du procès de présenter au jury la position de la défense, en l’espèce, rend nécessaire la tenue d’un nouveau procès. En conséquence, je rejetterais le pourvoi pour les motifs exposés par le juge Sharpe sur la question. Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire, pour trancher ce pourvoi, de statuer sur la demande de présentation de nouveaux éléments de preuve. Je partage toutefois l’opinion unanime de la Cour d’appel de l’Ontario que l’application, dans le contexte d’un procès criminel, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’est révélée problématique et qu’elle doit être réexaminée. J’estime en outre que les circonstances de la présente espèce sont propices à un tel réexamen.

[91] Puisque je souscris aux motifs du juge Sharpe concernant l’omission du juge du procès d’exposer la position de la défense, je ne procéderai qu’à l’examen des faits nécessaire à la mise en contexte de la question de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée soulevée par la demande de présentation de nouveaux éléments de preuve.

3. La preuve présentée au procès

[92] L’accusation portée contre M. Mahalingan découlait d’une agression brutale perpétrée par un gang contre deux victimes, Chanthuru Perinpanathan et Muraly Balasingam. La question capitale, au procès, concernait l’identité des agresseurs. Les victimes étaient assises dans une voiture garée lorsqu’un groupe de jeunes hommes armés d’épées, de haches et de machettes s’est approché d’elles. Les agresseurs ont d’abord attaqué M. Perinpanathan, qui prenait place sur la banquette arrière de l’automobile à deux portières, derrière le siège du passager. Monsieur Balasingam, qui occupait le siège du conducteur, a été attaqué ensuite.

[93] Monsieur Perinpanathan a témoigné que le premier agresseur avait ouvert la portière du côté du passager, rabattu le dossier du siège avant et lui avait asséné un coup de pied au visage. L’attaque s’était ensuite intensifiée et il avait perdu conscience. Il n’avait donc pas pu identifier les agresseurs. Il a toutefois déclaré qu’il connaissait M. Mahalingan et que ce dernier n’était pas le premier agresseur.

[94] Contrairement à son passager, M. Balasingam a affirmé que M. Mahalingan était le premier agresseur. Il a témoigné que ce dernier avait ouvert la portière, qu’il avait donné un coup de pied à M. Perinpanathan, puis qu’il l’avait poignardé de l’extérieur avec une arme à longue lame. Selon M. Balasingam, M. Mahalingan avait ensuite crié des encouragements aux autres agresseurs, de derrière le véhicule.

[95] Aucun élément de preuve médicolégale ne liait M. Mahalingan au crime, et M. Balasingam était le seul témoin oculaire qui prétendait l’identifier. Le ministère public a donc largement utilisé son témoignage. Il a aussi présenté des éléments de preuve indiquant que le mobile de l’agression était lié à un gang, et il a fait état d’un comportement postérieur à l’infraction donnant à penser que M. Mahalingan était impliqué dans l’incident. Ce comportement consistait en deux appels téléphoniques que M. Mahalingan aurait faits, l’un à M. Perinpanathan et l’autre à M. Balasingam. Seul le second appel est visé par la demande d’autorisation de présentation de nouveaux éléments de preuve.

[96] Monsieur Balasingam a déclaré que M. Mahalingan lui avait téléphoné de la prison peu avant le début du procès et lui avait demandé de ne pas témoigner; il a indiqué que M. Mahalingan lui avait fait des excuses et lui avait dit que ce n’était pas lui qui était visé dans cette agression. Monsieur Mahalingan [traduction] « ciblait » plutôt M. Perinpanathan car il avait un [traduction] « compte à régler » avec ce dernier (d.a., p. 927‑928). Monsieur Balasingam a signalé l’appel aux autorités, mais pas immédiatement.

4. La demande de présentation de nouveaux éléments de preuve

4.1 L’acquittement relativement à l’accusation de tentative d’entrave à la justice

[97] Le 27 juin 2003, M. Mahalingan a été accusé de tentative d’entrave à la justice relativement à l’appel téléphonique qu’il aurait fait à M. Balasingam. Le procès, pour cette accusation, a eu lieu après la clôture du procès de M. Mahalingan pour tentative de meurtre le 27 septembre 2003. La preuve du ministère public relative à l’appel téléphonique reprenait celle qui avait été présentée lors du procès pour tentative de meurtre. Le 26 octobre 2004, le juge Marchand a acquitté M. Mahalingan. Dans de brefs motifs rendus oralement, il a présenté M. Balasingam comme [traduction] « un individu très peu recommandable », ajoutant qu’il était [traduction] « très difficile de trouver pire témoin » (d.a., p. 166). Après avoir examiné le témoignage de M. Balasingam, qualifiant le témoin d’[traduction] « extrêmement intelligent et ingénieux, mais indigne de confiance », il a formulé la conclusion suivante :

[traduction] J’estime qu’il serait extrêmement dangereux de rendre un verdict de culpabilité sur le fondement du témoignage non corroboré d’un tel témoin. Son témoignage me laisse dans le doute quant à savoir si l’infraction a été prouvée. Je pense qu’elle l’a été. Je pense qu’elle l’a probablement été, du moins, mais j’ai un doute raisonnable. [d.a., p. 170]

4.2 La décision de la Cour d’appel concernant la présentation de nouveaux éléments de preuve

[98] Monsieur Mahalingan a soutenu que son acquittement à l’égard de l’accusation d’entrave à la justice devrait être accepté comme nouvel élément de preuve dans l’appel concernant sa déclaration de culpabilité de voies de fait graves. Invoquant la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, qui interdit au ministère public de remettre en cause une question définitivement tranchée en faveur d’un accusé dans une instance antérieure, il a fait valoir que l’acquittement avait pour effet de rendre rétrospectivement inadmissible le témoignage fait par M. Balasingam lors du procès pour tentative de meurtre et relatif à l’appel téléphonique. Il a également soutenu qu’en examinant le dossier de ce procès comme si la preuve relative à l’appel téléphonique n’avait jamais été présentée, on ne pourrait affirmer que le verdict du jury aurait nécessairement été le même. La préclusion découlant d’une question déjà tranchée avait donc pour effet, selon M. Mahalingan, de justifier la tenue d’un nouveau procès.

[99] Ainsi qu’on l’a vu, la Cour d’appel à la majorité a accepté l’argument de M. Mahalingan. Puisque le juge du procès avait indiqué dans ses motifs d’acquittement avoir un doute raisonnable sur la question de savoir si M. Mahalingan avait effectivement téléphoné à M. Balasingam le 8 juin 2003, le juge Sharpe a conclu que le ministère public ne pouvait remettre cette question en cause. En outre, la majorité a estimé que des arrêts antérieurs de la Cour d’appel de l’Ontario l’obligeaient à donner à l’acquittement un effet rétrospectif, ce qui rendait inadmissible la preuve relative à l’appel téléphonique à M. Balasingam. On pouvait raisonnablement penser que, sans cette preuve, l’issue du procès aurait pu être différente. Les juges majoritaires ont donc autorisé la présentation des nouveaux éléments de preuve et, en se fondant également sur cette preuve, ont infirmé la déclaration de culpabilité et ordonné un nouveau procès.

[100] Le juge Blair n’a pas partagé l’avis de ses collègues sur ce point. Selon lui, l’arrêt de notre Cour Grdic c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 810, [traduction] « ne permet pas d’affirmer que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée peut s’appliquer rétrospectivement pour affaiblir la légitimité d’un verdict de culpabilité antérieur valablement inscrit sur le fondement d’éléments de preuve régulièrement soumis au tribunal au cours du procès. Grdic traite de l’application prospective de cette forme de préclusion » (par. 79 (en italique dans l’original)).

[101] Le juge Blair a fondé sa conclusion sur les principes sous‑jacents de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, c’est‑à‑dire renforcer le caractère définitif des décisions judiciaires, prévenir le double péril et les injustices envers l’accusé et prévenir les verdicts incompatibles. Selon lui, l’application rétrospective de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne sert aucun de ces principes, ce qui la rend inutile en l’espèce.

[102] Il a en outre estimé que le refus de l’application rétrospective de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée allait dans le sens de l’arrêt R. c. Arp, [1998] 3 R.C.S. 339, de notre Cour, dans lequel le juge Cory a fait remarquer qu’il « n’y a rien d’injuste ou de logiquement irréconciliable dans le fait qu’un jury ait un doute raisonnable sur la question de savoir si l’accusé a commis un acte, mais arrive également à la conclusion que l’accusé a probablement commis cet acte » (par. 79). Selon le juge Blair :

[traduction] « Il n’y a rien d’injuste ou de logiquement irréconciliable dans le fait » que les jurés, en l’espèce, aient conclu que l’appelant avait probablement passé le coup de téléphone en question et tenu les propos qui lui ont été attribués, et qu’ils aient pris en compte cette conclusion, tirée suivant la prépondérance des probabilités, pour déclarer l’appelant coupable de voies de fait grave. [par. 85]

[103] Soulignant que le ministère public aurait pu présenter contre M. Mahalingan un acte d’accusation comportant les deux chefs d’accusation, le juge Blair a indiqué que la décision du ministère public d’intenter plus tard la poursuite pour l’infraction d’entrave à la justice ne devrait pas avoir pour effet d’ébranler la validité de la déclaration de culpabilité antérieure.

[104] En conséquence, le juge Blair n’aurait pas admis les nouveaux éléments de preuve pour rendre rétrospectivement inadmissible la preuve relative à l’appel téléphonique.

5. Analyse

5.1 La chose jugée — l’interdiction des remises en cause abusives

[105] La préclusion découlant d’une question déjà tranchée empêche la remise en cause d’une question ayant fait l’objet d’une décision judiciaire définitive dans une autre instance. C’est une forme de chose jugée, une expression qui signifie « quelque chose qui a clairement été décidé », suivant la description succincte énoncée par notre Cour (Duhamel c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 555, p. 561). Dans Grdic, la juge Wilson, dissidente mais non sur ce point, a expliqué comme suit la relation entre la chose jugée et la préclusion découlant d’une question déjà tranchée (p. 815) :

Le principe de la chose jugée traduit la prémisse fondamentale qu’un litige ne peut durer indéfiniment. Par conséquent, on classe généralement ce principe dans le droit relatif à la fin de non-recevoir. Dans son sens le plus large, un plaidoyer de chose jugée revient à faire valoir qu’un jugement antérieur a réglé définitivement l’ensemble des questions relatives aux droits et aux obligations des parties, y compris les questions de droit et de fait: voir l’arrêt Badar Bee v. Habib Merican Noordin, [1909] A.C. 615 (P.C.) Une fin de non-recevoir peut toutefois être invoquée dans le cas d’une unique question soulevée par deux parties qui, bien qu’il s’agisse d’un second litige sur des questions qui se rapportent par leurs faits à celles débattues au premier procès, ont une cause d’action tout à fait nouvelle: voir l’arrêt Hoystead v. Commissioner of Taxation, [1926] A.C. 155 (P.C.)

Il est difficile de déterminer la nature précise de la chose jugée et, par suite, d’en établir les limites. Notre Cour en a fait mention de diverses façons, la qualifiant de plaidoyer (Muir c. Carter (1889), 16 R.C.S. 473), de moyen de défense (Wright c. The Queen, [1963] R.C.S. 539), de présomption (Cargill Grain Co. c. Foundation Co. of Canada Ltd., [1965] R.C.S. 594), de concept (R. c. Riddle, [1980] 1 R.C.S. 380), de terme technique (Duhamel), de principe (Grdic) et de règle (Boucher c. Stelco Inc., [2005] 3 R.C.S. 279, 2005 CSC 64).

[106] Par conséquent, il est plus facile de saisir la notion de chose jugée en faisant appel aux considérations relatives à la remise en cause de questions déjà décidées qui la sous‑tendent. Préserver l’irrévocabilité des décisions tranchant les litiges est, en soi, une question d’équité et de justice. En règle générale, une personne ne devrait pas être tracassée deux fois pour la même cause d’action. En matière criminelle, l’al. 11h) de la Charte a conféré à la protection contre le double péril une dimension constitutionnelle. Il importe également, pour l’efficacité et la réputation du système judiciaire, d’empêcher la répétition d’un litige. On évite ainsi la dilapidation de ressources judiciaires restreintes et l’embarras de jugements contradictoires.

[107] La préclusion découlant d’une question déjà tranchée n’est qu’une des nombreuses doctrines juridiques relatives à la prévention des remises en cause abusives. En matière criminelle, les concepts connexes englobent la doctrine de l’abus de procédure, la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples formulée dans Kienapple, la règle interdisant les contestations indirectes, les moyens de défense d’autrefois acquit et d’autrefois convict prévus à l’art. 607 du Code ainsi que l’al. 11h) de la Charte. Comme on le verra, des règles de preuve sont également conçues pour répondre aux préoccupations découlant de la remise en cause injustifiée en matière criminelle, notamment la règle de la preuve de faits similaires.

[108] L’importance du principe de la chose jugée pour l’administration de la justice est incontestable. On a notamment indiqué qu’elle joue « un rôle central dans l’administration de la justice » (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, 2003 CSC 63, par. 15), qu’elle constitue un « principe fondamental de notre système de justice » (R. c. Van Rassel, [1990] 1 R.C.S. 225, p. 238) et qu’elle est [traduction] « une pierre angulaire du système de justice au Canada » (D. J. Lange, The Doctrine of Res Judicata in Canada (2e éd. 2004), p. 4).

[109] Cependant, tout comme l’action en justice est, par sa nature même, un processus multilatéral, la quête de la justice et de l’équité n’est pas une démarche unidimensionnelle. Dans certaines circonstances, elle nécessitera de mettre un terme aux attaques répétitives d’une partie contre une autre, tandis que dans d’autres, les fins de la justice exigeront autrement. Par exemple, comme on le verra, il pourra être nécessaire, dans une poursuite pour parjure, de rouvrir le débat sur une question ayant fait l’objet d’une décision définitive favorable à un accusé. Le parjure attaque les assises mêmes de notre système de justice, et c’est pourquoi l’intérêt que l’on porte à l’irrévocabilité doit céder le pas, même au risque de verdicts en apparence contradictoires.

[110] Il faut donc concevoir l’application du principe de la chose jugée et des concepts connexes comme un exercice obligeant souvent à mettre en balance des intérêts opposés, ce qui milite contre son encadrement par une règle absolue et inflexible. Comme le juge Binnie l’a affirmé dans Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, 2001 CSC 44, « [l]es règles régissant la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne doivent pas être appliquées machinalement. L’objectif fondamental est d’établir l’équilibre entre l’intérêt public qui consiste à assurer le caractère définitif des litiges et l’autre intérêt public qui est d’assurer que, dans une affaire donnée, justice soit rendue » (par. 33). En outre, même si les conditions d’application de cette forme de préclusion ont été établies, « la cour doit ensuite se demander, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, si cette forme de préclusion devrait être appliquée » (par. 33 (en italique dans l’original)).

[111] Bien que la raison d’être du principe de la chose jugée soit aisément discernable et qu’il ne soit pas difficile d’en saisir l’importance, son application s’est avérée complexe et a parfois suscité la confusion. Comme je l’ai déjà indiqué, il est question, en l’espèce, d’une application du principe qui s’est révélée particulièrement problématique, à savoir l’application, en droit criminel, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.

5.2 Les trois conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée

[112] Il est bien établi, en matière civile, que trois conditions doivent être réunies pour que cette forme de préclusion puisse être invoquée : (1) il doit s’agir de la même question que celle qui a été tranchée dans l’instance antérieure, (2) la décision antérieure doit être une décision finale et (3) les parties dans les deux instances doivent être les mêmes ou leurs ayants droit : Danyluk, par. 25. La dernière condition repose sur la notion de réciprocité et j’en parlerai donc comme de l’exigence de réciprocité. Cette exigence ne requiert pas seulement que les parties à l’instance pertinente soient les mêmes, mais aussi que chacune d’elles soit liée de façon égale par la décision qui tranche définitivement la question. Comme l’indiquent J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (2e éd. 1999), p. 1090 :

[traduction] La règle selon laquelle seule les parties et leurs ayants droit peuvent se prévaloir d’une décision antérieure découle de la maxime « la préclusion doit être réciproque » : une partie ne peut bénéficier d’un jugement que s’il aurait été exécutoire contre elle s’il était allé dans le sens contraire.

[113] Dégager les éléments de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est simple en apparence, mais l’application de la notion peut s’avérer très complexe, comme en fait foi l’abondante jurisprudence concernant cette question : voir Lange pour un examen utile de la jurisprudence pertinente. Je vais examiner à tour de rôle chaque élément de cette préclusion et leur application en matière criminelle en commençant par l’exigence de réciprocité. Comme on le verra, cette exigence est si peu adaptée au contexte criminel qu’elle n’a jamais été introduite en droit criminel canadien.

5.3 L’exigence de réciprocité

[114] D’une part, l’application de l’exigence de réciprocité en matière criminelle est plus simple puisque les parties en cause et leurs ayants droit sont plus facilement identifiables qu’en matière civile. D’autre part, cette exigence qui, par définition, s’applique tant à l’accusé qu’au ministère public, n’est pas compatible avec la présomption d’innocence ni avec l’obligation du ministère public de prouver la culpabilité hors de tout doute raisonnable. En expliquant pourquoi la préclusion découlant d’une question déjà tranchée n’avait pas sa place en droit criminel anglais dans l’arrêt R. c. Humphrys, [1976] R.T.R. 339 (H.L.), p. 348, le vicomte Dilhorne a cité la décision R. c. Hogan, [1974] 1 Q.B. 398, en indiquant qu’elle mettait utilement en lumière certaines des conséquences indésirables de l’application de cette préclusion en matière criminelle.

[115] Hogan avait été déclaré coupable d’infliction intentionnelle de lésions corporelles graves. Postérieurement à la déclaration de culpabilité, la victime est décédée et Hogan a alors été accusé de meurtre. Au procès pour meurtre, le ministère public a soutenu que l’accusé ne pouvait remettre en cause les questions à l’égard desquelles on pouvait considérer qu’elles avaient été tranchées en sa faveur lors de son premier procès. Le juge du procès a accepté cet argument. Le vicomte Dilhorne a résumé ainsi la décision du juge et ses effets (p. 348‑349) :

[traduction] Bien qu’il n’y eût pas de jurisprudence sur cette question précise, le juge a conclu que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’appliquait au ministère public et au défendeur, dans une instance criminelle, et qu’il y avait réciprocité, de sorte que le défendeur était préclus de contester les conclusions du procès antérieur qui lui étaient défavorables tout autant que l’était le ministère public à l’égard des conclusions favorables au défendeur. Il a donc statué que Hogan ne pouvait contester les conclusions suivantes du procès antérieur : (1) la victime avait subi des lésions corporelles graves, (2) ces lésions avaient été infligées délibérément, (3) elles avaient été infligées sans excuse légitime et (4) elles avaient été infligées dans l’intention de causer de telles lésions. Il a également conclu que, puisque Hogan avait invoqué sans succès la légitime défense lors du premier procès, il n’était pas admis à l’invoquer de nouveau dans le procès pour meurtre. Par conséquent, le jury du second procès n’avait à se prononcer que sur la question de savoir si la mort de la victime découlait de l’infliction des blessures dont Hogan avait été déclaré coupable lors du premier procès et sur la défense de provocation. L’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée avait donc pour effet que les jurés du procès pour meurtre, en dépit du serment qu’ils avaient prêté de rendre un verdict conforme à la preuve, étaient tenus d’accepter les conclusions d’un autre jury sur la preuve entendue par ce dernier.

[116] Le vicomte Dilhorne ne voyait pas comment on pouvait [traduction] « échapper à la conclusion que, si la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique en matière criminelle, elle doit s’appliquer aux deux parties — le ministère public et le défendeur — comme elle s’applique aux parties dans une affaire civile ». Il était toutefois d’avis que [traduction] « la préclusion découlant d’une question déjà tranchée n’a pas sa place en droit criminel anglais et ne l’a jamais eue, et il n’est pas du tout souhaitable qu’elle l’ait » (p. 349). Il estimait donc que la décision du juge du procès, dans Hogan, était erronée.

[117] À mon avis, il ne fait aucun doute que cette décision du juge du procès, dans Hogan, ne serait pas non plus acceptée ici. Au Canada toutefois, plutôt que d’adhérer à la position anglaise et d’exclure cette forme de préclusion parce qu’elle n’est pas adaptée au droit criminel, on a plutôt opté pour la transformer, lorsqu’elle est transposée du droit civil au droit criminel, en en retranchant l’exigence de réciprocité. Comme le juge Lamer (plus tard Juge en chef) l’a expliqué dans Duhamel : « En réalité, la réciprocité de la fin de non‑recevoir a été exclue du droit criminel à cause du fardeau qui incombe à la poursuite de prouver, dans chaque cas, tous les éléments de l’infraction » (p. 562). En outre, Duhamel illustre ce qui fait que la transposition en droit criminel de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne concorde pas toujours avec les règles de procédure criminelle.

[118] Monsieur Duhamel avait été accusé de deux chefs de vol qualifié, et un procès distinct s’est tenu pour chacun. Ses déclarations ont été jugées inadmissibles lors du premier procès et il a été acquitté. Le second procès a été instruit par un autre juge, qui a rejeté l’objection de M. Duhamel selon laquelle le ministère public ne pouvait remettre en cause la question du caractère volontaire de ses déclarations, a procédé à un voir‑dire et a admis les déclarations. Monsieur Duhamel a été déclaré coupable.

[119] Notre Cour a maintenu la déclaration de culpabilité, statuant que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’appliquait pas à la question du caractère volontaire des déclarations d’un accusé même si les faits en cause démontraient que les trois éléments de la préclusion étaient clairement établis. Le juge Lamer a exposé les conséquences indésirables qu’entraînerait l’application de cette forme de préclusion aux voir‑dire relatifs à des aveux, à cause des possibilités limitées de révision de telles décisions :

Si la déclaration est écartée à tort, même à cause d’une erreur de droit, et que l’accusé est quand même déclaré coupable, l’avantage du principe de la chose jugée serait alors fondé sur une erreur de droit impossible à rectifier. En effet, la poursuite n’a aucun droit d’appel à l’encontre de cette déclaration de culpabilité. De même, si la déclaration est écartée à cause d’une erreur de fait, et que l’accusé est acquitté, là encore la décision erronée se trouve hors de la portée des tribunaux puisque le droit d’appel de la poursuite se limite aux questions de droit.

Si l’on introduit la réciprocité, les choses sont encore pires. Une déclaration admise à tort dans des procédures qui aboutiraient à un acquittement suivrait l’accusé et lui nuirait dans tous ses autres procès. [p. 563]

[120] Ainsi, comme on peut le voir, le concept de préclusion découlant d’une question déjà tranchée a pu être transposé en droit criminel canadien, mais non sans de profonds changements. Dès le départ, il a fallu en détacher l’exigence de réciprocité pour le faire concorder avec notre système de justice criminelle. En outre, l’incompatibilité fondamentale du concept avec les règles de procédure criminelle s’est manifestée rapidement. L’effort d’harmonisation avec la présomption d’innocence et le fardeau qui pèse sur le ministère public dans une instance criminelle ont transformé cette préclusion en une doctrine à sens unique, perçue et appliquée simplement comme une interdiction, pour le ministère public, de remettre en cause des questions ayant déjà fait l’objet d’une décision favorable à l’accusé. Comme l’exigence de réciprocité peut difficilement être considérée comme un élément marginal de cette préclusion, son élimination en contexte criminel indique que nous nous trouvons d’emblée devant un concept intrinsèquement différent de celui qui s’applique en matière civile. J’en viens à présent à l’examen des autres éléments de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.

5.4 L’exigence relative à l’identité de la question

[121] Dans le cas de la « préclusion découlant d’une question déjà tranchée » (par opposition à la « préclusion fondée sur la cause d’action », qui ne nous concerne pas en l’espèce), il est satisfait à l’exigence relative à l’identité de la question lorsque la question dont on veut empêcher la remise en cause a été [traduction] « distinctement mis[e] en cause et directement réglé[e] » par un tribunal compétent dans une instance antérieure : McIntosh c. Parent, [1924] 4 D.L.R. 420 (C.S. Ont., Div. app.), p. 422, cité dans Danyluk, par. 24. Pour que ce critère soit respecté, il ne suffit pas que la question ait été distinctement mise en cause dans l’instance antérieure, il faut également qu’elle ait été « fondamentale à la décision à laquelle on est arrivé » : Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248, p. 255. Il doit également être clair que la décision sur la question était favorable à la partie qui invoque la préclusion. Dans Gushue c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 798, p. 807, notre Cour a fait sienne la formulation suivante, tirée de M. L. Friedland, Double Jeopardy (1969), p. 134 :

[traduction] La possibilité ou même la probabilité que le jury ait conclu en faveur de l’accusé sur un point particulier ne suffit pas. Une conclusion sur le point pertinent doit être la seule explication rationnelle du verdict du jury.

[122] Il peut parfois se révéler difficile de déterminer si une question a été distinctement mise en cause et directement réglée dans une instance antérieure, même en contexte civil, où les règles régissant les actes de procédure écrite sont pourtant très précises, et où, dans la vaste majorité des cas, l’on peut compter sur des jugements bien motivés rendus par des juges siégeant seuls. La nature de l’instance criminelle, toutefois, rend cet exercice sensiblement plus difficile. L’acte de procédure se limite au plaidoyer de culpabilité ou de non‑culpabilité, et l’instance est axée sur la question de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé à l’égard de l’accusation, non sur un éventail de questions distinctes, comme c’est souvent le cas en matière civile. En outre, dans un procès devant jury, la décision définitive prend la forme d’un verdict de « culpabilité » ou de « non‑culpabilité », rendu sans explication, de sorte qu’il est extrêmement difficile de déterminer avec certitude si la question dont on cherche à empêcher la remise en cause a fait l’objet d’une décision définitive.

[123] Dans certains cas, le dossier permettra, bien sûr, d’établir si une décision définitive favorable à l’accusé a été rendue sur une question particulière. Lorsqu’une décision rendue dans un procès devant juge seul fonde la préclusion invoquée, elle peut ressortir clairement des motifs du jugement. Dans un procès par jury, un examen attentif des directives au jury peut aider à définir les questions en jeu, ainsi que notre Cour l’a indiqué dans Gushue. Lorsque la question de preuve en cause constitue l’un des éléments essentiels de l’infraction et que le jury déclare l’accusé coupable, on peut considérer qu’elle a été « distinctement mis[e] en cause et directement réglé[e] » (McIntosh, p. 422). Beaucoup de questions de preuve, cependant, ne constituent pas des éléments essentiels de l’infraction, ce qui fait que même un verdict de culpabilité ne renseigne pas beaucoup sur la décision rendue sur une question particulière. Lorsqu’il y a acquittement, la situation est encore plus compliquée. Comme le professeur Peter Mirfield le fait remarquer :

[traduction] Bien qu’en toute logique une déclaration de culpabilité doit signifier que le juge des faits a conclu que des faits précis ont été prouvés hors de tout doute raisonnable, un acquittement peut n’être qu’une déclaration de doute ne comportant aucune conclusion de fait particulière.

(« Shedding a Tear for Issue Estoppel », [1980] Crim. L.R. 336, p. 343)

[124] Certes, la difficulté d’établir si une question particulière a effectivement été tranchée dans une instance criminelle antérieure ne constitue pas en soi une raison de ne pas conserver la préclusion découlant d’une question déjà tranchée en droit criminel. J’estime toutefois qu’elle signale la possibilité que cette préclusion ne soit pas le mécanisme approprié pour répondre à la problématique de la remise en cause en contexte criminel. Après tout, le besoin de protection de l’accusé contre la remise en cause injustifiée se fera habituellement sentir de façon plus aigüe lorsqu’il y aura eu acquittement dans l’instance antérieure. Pourtant, c’est précisément dans ce contexte, comme nous l’avons vu, qu’il est le plus difficile de définir la question fondant la préclusion.

[125] Parce que la doctrine de la chose jugée vise essentiellement à empêcher les remises en cause injustifiées ou abusives, on pense naturellement que celle de l’abus de procédure pourrait constituer une solution de remplacement plus adaptée dans certaines circonstances. L’arrêt Grdic lui‑même en fournit une bonne illustration.

[126] Monsieur Grdic avait été accusé de conduite avec facultés affaiblies et de conduite avec un taux d’alcoolémie supérieur à 0,08. Le policier ayant procédé à l’arrestation a témoigné qu’il avait arrêté M. Grdic, et un certificat d’ivressomètre établissant que M. Grdic avait fourni deux échantillons d’haleine indiquant un taux d’alcoolémie supérieur à 0,08 avait été mis en preuve. Monsieur Grdic a plaidé qu’il y avait erreur sur la personne. Après avoir entendu sa preuve d’alibi, le juge du procès l’a acquitté des deux chefs d’accusation, déclarant ce qui suit (p. 813) :

[traduction] Il est bien évident qu’il y a eu parjure en cette Cour. J’estime toutefois que ce n’est pas à moi de résoudre ce problème. Cette tâche appartient à quelqu’un d’autre et je rejette les deux chefs d’accusation.

[127] Au procès subséquent sur l’accusation de parjure portée en rapport avec sa preuve d’alibi, M. Grdic a été acquitté, le juge du procès concluant que la question dont il était saisi — la véracité de la preuve d’alibi — avait été tranchée en faveur de l’accusé lors du procès antérieur et qu’il y avait préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Ce verdict a été infirmé en appel, mais il a été rétabli par une décision majoritaire de notre Cour statuant que M. Grdic pouvait invoquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.

[128] La Cour était partagée sur la question de savoir si le jugement antérieur avait définitivement établi que M. Grdic ne conduisait pas le véhicule au moment en question. Le juge Lamer, s’exprimant au nom de la majorité, a formulé l’opinion que la question avait été définitivement réglée en faveur de l’accusé, expliquant ainsi sa position (p. 826) :

Dans sa défense, l’accusé dit ce qui suit : les alcootests pris ce soir-là ne peuvent être les miens, car je n’étais pas là puisque j’étais chez moi.

Vu ce moyen de défense et la nature de l’affaire, le juge du procès ne pouvait prononcer un acquittement que s’il concluait qu’il existait un doute raisonnable quant à savoir si l’appelant était la personne testée à 18 h 30. Sous réserve de certaines exceptions, le procès ne peut être rouvert sur cette question parce qu’en droit, aux fins de l’application du principe de la res judicata, il existe une conclusion en faveur de l’appelant que ce n’était pas lui qui conduisait l’automobile à 18 h 30. [En italique dans l'original.]

La juge Wilson, dissidente, n’était pas d’avis que la question de savoir si M. Grdic était bien la personne conduisant le véhicule à 18 h 30 avait été tranchée en faveur de ce dernier. Elle a estimé, au contraire, que le juge du procès « s’est expressément abstenu de se prononcer sur cette question » (p. 818), soulignant que la nécessaire conclusion de fait doit être explicite dans le verdict initial pour donner ouverture à la préclusion. Elle a expliqué ce qui suit :

Ces faits doivent être considérés comme ayant été clairement établis par la première cour; il ne peut s’agir de faits qui doivent être inférés du verdict initial ou relativement auxquels ce verdict ne traduit qu’un doute raisonnable. [p. 821]

[129] Bien entendu, un accusé ne peut invoquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée en sa faveur si cette décision résulte de la fraude — le parjure entrant dans cette catégorie. Toutefois, la Cour a statué que le ministère public ne pouvait, lors d’un procès pour parjure, remettre en cause une question tranchée définitivement en faveur de l’accusé, à moins qu’il ne présente, au lieu des éléments de preuves déjà fournis ou en plus de ceux‑ci, des éléments de preuve qu’il n’avait pu obtenir par diligence raisonnable lors du premier procès. Or, le ministère public aurait pu se procurer la preuve relative à la fausseté de l’alibi de M. Grdic au moment du premier procès. Bien que l’alibi de l’appelant eût pris le ministère public par surprise, ce dernier aurait pu présenter la contre‑preuve nécessaire pour réfuter l’alibi, mais il ne l’a pas fait. Dans ces circonstances, le ministère public ne pouvait poursuivre l’accusé pour parjure.

[130] Bien que l’argumentation des parties et, par la suite, l’analyse de la Cour, aient été présentées en fonction de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, il aurait été possible, selon moi, de parvenir au même résultat en appliquant la doctrine de l’abus de procédure. Essentiellement, la Cour a statué que le ministère public ne peut retenir une contre‑preuve existante se rapportant à la question fondamentale du procès — si M. Grdic conduisait la voiture à ce moment‑là — parce qu’un tel geste équivaudrait à attendre pour surprendre l’accusé lors du procès subséquent pour parjure. Une accusation de parjure ne peut être un moyen déguisé de poursuivre de nouveau un accusé.

[131] Dans des affaires semblables à Grdic, on ne cherche pas tant à prévenir des remises en cause inutiles de questions de fait particulières qu’à empêcher les poursuites abusives elles‑mêmes. J’estime que, pour les cas ne donnant pas ouverture aux plaidoyers d’autrefois acquit ou d’autrefois convict ou à l’application de l’al. 11h) de la Charte, comme l’affaire Grdic, la doctrine de l’abus de procédure peut offrir un moyen de protection plus efficace et mieux structuré contre les poursuites abusives.

[132] La préclusion découlant d’une question déjà tranchée a été invoquée pour empêcher, sinon la poursuite elle‑même, du moins l’admission de certains éléments de preuve dans des procès criminels. L’application de cette préclusion s’est révélée particulièrement désordonnée en matière de preuve de faits similaires. En effet, le principe de l’inadmissibilité absolue de l’acquittement comme preuve de faits similaires dans un procès criminel subséquent, qui est appliqué par certains tribunaux canadiens, a suscité de nombreuses critiques chez les auteurs (voir L. Stuesser, « Admitting Acquittals as Similar Fact Evidence » (2002), 45 Crim. L.Q. 488; W. Gorman, « Multiple Count Indictments and the Impact of the Accused Being Acquitted on a Count Subsequently Used as Similar Fact Evidence » (1994), 30 C.R. (4th) 222; J.‑G. Boilard, Manuel de preuve pénale, vol. 1 (feuilles mobiles), p. 4‑130.1 et 4‑130.2; D. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence (4e éd. 2005), p. 56‑57. L’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée en tant que règle absolue interdisant l’admission de la preuve d’acquittement antérieur quel que soit le contexte n’est pas compatible avec la règle fondamentale favorisant l’admission de tout élément de preuve pertinent, sous réserve de préoccupations s’y opposant. Stuesser explique ce qui suit (p. 490) :

[traduction] Le but essentiel vers lequel tend le procès criminel est la vérité. Comme la juge McLachlin l’a indiqué dans R. c. Seaboyer, « [c]’est un principe fondamental de notre système de justice que les règles de preuve doivent permettre au juge et au jury de découvrir la vérité et de bien trancher les questions en litige ». Une interdiction absolue peut entraîner l’exclusion d’éléments de preuve d’une grande valeur probante, alors que le droit de la preuve tend à privilégier la souplesse plutôt que les règles d’exclusion rigides. Il y a peu de règles d’exclusion catégoriques aujourd’hui. [Citation omise.]

[133] Cela ne veut pas dire qu’un acquittement ne devrait avoir aucune incidence sur l’admissibilité dans une instance criminelle postérieure des éléments de preuve qui le sous‑tendent mais, là encore, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’est pas révélée le meilleur des cadres analytiques pour trancher les questions d’admissibilité dans ce contexte. Les difficultés que pose l’application de cette préclusion lorsqu’il s’agit d’évaluer l’admissibilité de la preuve de faits similaires seront mieux mises en lumière dans l’examen de la dernière des trois conditions d’application de cette forme de préclusion — l’exigence du caractère définitif.

5.5 L’exigence du caractère définitif

[134] Pour qu’une question déjà tranchée puisse entraîner la préclusion, la question doit avoir été tranchée de façon définitive à l’égard des parties dans une instance antérieure. L’appréciation du caractère définitif de décisions pour l’application de cette préclusion a donné lieu à des différends jurisprudentiels, même en matière civile. Par exemple, il semble que la jurisprudence ne soit pas fixée sur la question de l’effet du processus d’appel sur le caractère définitif des décisions. Le degré de complexité qu’ajoute à l’appréciation du caractère définitif la diversité des fardeaux de preuve applicables à différentes étapes d’une instance criminelle, toutefois, revêt une pertinence particulière en l’espèce.

[135] Comme on le sait, les éléments essentiels de l’infraction et du verdict final doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable pour qu’il y ait déclaration de culpabilité dans un procès criminel. Toutefois, cette norme de preuve ne s’applique pas aux éléments de preuve individuels : R. c. Morin, [1988] 2 R.C.S. 345. C’est plutôt l’accumulation des éléments de preuve individuels qui amène à la décision sur les éléments de l’infraction et, par conséquent, au verdict final. Nous avons déjà vu comment le fardeau de preuve en matière criminelle complique la tâche d’établir si des questions précises ont été tranchées dans l’instance antérieure, en particulier lorsqu’il y a acquittement. Même lorsque la question qu’on cherche à frapper de préclusion peut être définie avec assez de précision, le fardeau de preuve influe sur l’exigence du caractère définitif — et plus particulièrement, encore une fois, lorsqu’il y a acquittement. Parce que la norme de preuve en matière criminelle est la preuve hors de tout doute raisonnable, un verdict de « non‑culpabilité » recouvre un large éventail de circonstances, de l’innocence factuelle jusqu’à la preuve établie presque hors de tout doute raisonnable. Fermer les yeux sur cette réalité équivaut à faire fi d’un aspect fondamental de notre système de droit criminel. Cependant, la prise en compte des nombreuses nuances de doute pouvant raisonnablement fonder un verdict de « non‑culpabilité » complique considérablement l’appréciation du caractère définitif des décisions que requiert l’application de la préclusion d’une question déjà tranchée. Quel degré de preuve est nécessaire, dans une instance criminelle, pour que la préclusion puisse être invoquée sur une question particulière dans une instance subséquente?

[136] L’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée en contexte civil illustre le fait qu’au plan de la preuve, on ne puisse assimiler un verdict de « non‑culpabilité » à une conclusion d’innocence. Une action civile fondée sur une faute criminelle n’est pas irrecevable du fait que le tribunal criminel a conclu à l’acquittement. De fait, l’arrêt Rizzo c. Hanover Insurance Co. (1993), 14 O.R. (3d) 98 (C.A.), dans lequel la cour a statué qu’un verdict d’acquittement n’est pas admissible dans une instance civile subséquente pour prouver que la partie n’a pas commis l’acte reproché, semble exprimer l’opinion jurisprudentielle dominante à l’heure actuelle. Comme l’a indiqué le juge d’appel Catzman (p. 102) :

[traduction] D’éminents auteurs canadiens, britanniques et américains ont tous exprimé l’opinion que la preuve d’un verdict d’acquittement prononcé dans une affaire criminelle n’est pas admissible dans une instance civile subséquente pour établir que la partie n’a pas commis l’infraction : voir Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada (Markham : Butterworths, 1992), p. 1045; Wigmore, Evidence in Trials at Common Law, vol. 4 (Chadbourn rev., 1972), par. 1346a et vol. 5 (Chadbourn rev., 1974), par. 1671a; McCormick on Evidence, 4e éd., vol. 2 (1992), par. 298, p. 298‑299; Jones on Evidence, 6e éd., vol. 2 (1972), par. 12:25, p. 388‑391; Cross on Evidence, 7e éd. (1990), p. 107.

[137] Le caractère définitif d’un acquittement pour les fins du droit criminel fait, bien sûr, intervenir des considérations différentes, dont des considérations d’ordre constitutionnel. La controverse dans ce domaine du droit découle en grande partie de la déclaration fréquemment citée du juge Lamer dans l’arrêt Grdic à propos du sens d’un acquittement en droit criminel canadien :

Il n’existe pas différentes sortes d’acquittements et, à cet égard, je souscris au point de vue selon lequel [traduction] « le ministère public doit accepter en tant que principe fondamental de l’administration du droit criminel que, dans une poursuite criminelle subséquente, un acquittement équivaut à une déclaration d’innocence » (voir Friedland, Double Jeopardy (1969), à la p. 129; voir aussi Chitty i, 648; et R. v. Plummer, [1902] 2 K.B. 339, à la p. 349). Aller au delà de l’acquittement pour le qualifier revient en fait à introduire le verdict de « non prouvé » qui ne fait pas partie de notre droit, n’en a jamais fait partie et ne devrait pas en faire partie. [Je souligne; p. 825.]

[138] Il faut apporter des précisions à cet énoncé. Dans le contexte de la protection contre le double péril, il ne fait aucun doute que le droit ne va pas au‑delà de l’acquittement. Le fondement de l’acquittement de l’accusé n’importe aucunement. Pour l’État et l’accusé, la décision est définitive. Non seulement cette protection contre le double péril est‑elle fermement établie en common law, mais elle est maintenant inscrite à l’al. 11h) de la Charte :

11. Tout inculpé a le droit :

. . .

h) d’une part de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d’autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni;

Elle figure également dans les moyens de défense particuliers d’autrefois acquit et d’autrefois convict, maintenant codifiés à l’art. 607 du Code criminel. Toutefois, l’affirmation qu’« un acquittement équivaut à une déclaration d’innocence » à tous égards ne rend pas compte de l’état du droit (Grdic, p. 825).

[139] En effet, après avoir fait sienne l’affirmation précitée de Friedland sur le sens de l’acquittement, le juge Lamer a expliqué comme suit dans l’arrêt Grdic l’effet de l’acquittement pour le besoin de l’application de la chose jugée :

Toutefois, cela ne signifie pas qu’aux fins de l’application de la doctrine de la res judicata, la poursuite ne peut rouvrir certaines ou toutes les questions soulevées au premier procès. Mais cela signifie effectivement que toute question qui a nécessairement dû être résolue en faveur de l’accusé pour qu’il y ait acquittement est réputée de façon irrévocable avoir été tranchée définitivement en faveur de l’accusé (voir R. v. Carlson, [1970] 3 O.R. 213; à l’effet contraire Villemaire v. The Queen (1962), 39 C.R. 297, à la p. 300). Il en est ainsi quoique le jugement ait fort bien pu résulter d’un doute raisonnable sur cette question et même lorsque le juge dit que tel est le cas ou qu’il exprime des opinions qui révèlent clairement que ce n’est qu’avec réticence qu’il est arrivé à sa conclusion en faveur de l’accusé et qu’il laisse entendre que la décision n’est pas rendue de façon concluante en faveur de l’accusé. [Je souligne; p. 825‑826.]

[140] Dans les années qui ont suivi l’arrêt Grdic, certains tribunaux ont considéré que cet extrait créait une interdiction absolue d’admettre, dans une instance subséquente, des éléments de preuve sous‑tendant un acquittement, quel que soit le fondement de l’acquittement ou la pertinence de ces éléments de preuve pour l’instance subséquente : voir, par exemple, R. c. Cullen (1989), 52 C.C.C. (3d) 459 (C.A. Ont.); R. c. G. (K.R.) (1991), 68 C.C.C. (3d) 268 (C.A. Ont.); R. c. Verney (1993), 87 C.C.C. (3d) 363 (C.A. Ont.). Bien que, par sa formulation, le passage souligné de l’extrait qui précède semble certainement indiquer que l’exclusion est absolue, il ne doit pas être interprété ainsi, car une règle stricte interdisant l’admission d’éléments de preuve pertinents sous‑tendant un acquittement précédent ne servira pas les fins de la justice dans toutes les circonstances, sans compter que l’arrêt Grdic a lui‑même permis une exception. De fait, Grdic signale que dans certaines circonstances, la fraude, dont le parjure est une manifestation, pourrait être opposée à un accusé pour l’empêcher d’invoquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée (p. 827). Dans de tels cas, l’intérêt pour la société de poursuivre les auteurs de parjure fait pencher la balance en faveur de la remise en cause d’une question ayant déjà fait l’objet d’une décision.

[141] Comme je l’ai déjà indiqué, l’application de la doctrine de la chose jugée nécessite la mise en balance des intérêts opposés que sont le maintien du caractère définitif des décisions judiciaires, d’une part, et le souci de veiller à ce que justice soit rendue dans les circonstances propres à chaque cas, d’autre part. Les règles absolues ne cadrent pas aisément avec une telle opération de mise en balance. Il ne faut donc pas se surprendre de ce que le principe apparemment absolu formulé dans Grdic n’ait pas été appliqué dans l’arrêt subséquent Arp.

[142] Il n’est pas nécessaire en l’espèce de procéder à un examen détaillé des faits ou de l’analyse de l’affaire Arp. Le résumé suivant suffira. Arp avait été jugé et reconnu coupable sur deux chefs d’accusation de meurtre. La preuve relative à chacun des chefs avait été jugée admissible à l’égard de l’autre à titre de preuve de faits similaires. L’une des principales questions soumises à notre Cour portait sur les directives qui devaient être données au jury concernant l’utilisation de la preuve de faits similaires pour parvenir à un verdict sur chacun des chefs.

[143] Invoquant le raisonnement selon lequel un acquittement équivaut à une déclaration d’innocence, Arp avait soumis l’argument suivant (par. 76) :

L’appelant prétend que, si un accusé est déclaré coupable d’un des deux chefs d’un acte d’accusation mais qu’il est acquitté de l’autre chef, il faut alors conclure que les deux infractions n’ont pas été commises par la même personne, et la déclaration de culpabilité est viciée dans la mesure où elle reposait sur une preuve de faits similaires. Comme le souligne l’appelant, le problème des verdicts incompatibles disparaîtrait si l’on invitait le jury, au début de ses délibérations, à décider hors de tout doute raisonnable si les deux infractions ont été commises par la même personne.

[144] La Cour a rejeté cet argument. Dans les motifs qu’il a rédigés pour la Cour, le juge Cory a confirmé le principe fondamental énoncé dans Grdic, mais il a écarté l’idée que ce principe établit une règle absolue rendant inadmissibles dans une instance les éléments de preuve soumis dans une instance antérieure ayant abouti à un acquittement. Il a donné l’explication suivante (par. 78) :

Le principe énoncé dans l’arrêt Grdic est fondamental pour notre système de justice. Il vise à faire en sorte qu’un accusé ne soit pas obligé de se défendre à répétition contre les mêmes allégations. Néanmoins, dans certaines circonstances, le fait qu’un accusé ait, dans le passé, été acquitté d’accusations pesant contre lui peut être pertinent à l’égard d’une question fondamentale dans un procès subséquent. Par exemple, dans R. c. Ollis, [1900] 2 Q.B. 758, l’inculpé était accusé d’avoir obtenu de l’argent par des faux‑semblants. Il avait obtenu des fonds en échange d’un chèque qu’on avait par la suite refusé d’accepter. Au terme du premier procès, l’accusé avait été acquitté pour le motif que, lorsqu’il avait remis le chèque au plaignant, il s’attendait à recevoir des fonds couvrant le chèque. Par la suite, l’accusé a de nouveau été inculpé d’avoir obtenu de l’argent par des faux-semblants et, au second procès, le ministère public a produit le témoignage du premier plaignant en tant que preuve pertinente à l’égard de l’état d’esprit coupable de l’accusé. La cour a statué que la preuve était admissible. Comme l’a affirmé le juge Widgery dans G. (an infant) c. Coltart, [1967] 1 All E.R. 271 (Q.B.), à la p. 276 :

[traduction] . . . il peut bien arriver que la preuve relative à l’accusation qui s’est soldée par un acquittement soit produite relativement à l’accusation subséquente, mais, si tel est le cas, cette preuve sera produite parce qu’elle est pertinente à l’égard de l’accusation subséquente, indépendamment de la question de savoir si l’accusé était innocent ou coupable de la première accusation.

Suivant ce raisonnement, la preuve de l’acquittement antérieur a été à bon droit admise dans Ollis. Elle a été admise pour prouver l’intention. Même si l’accusé avait été acquitté de la première accusation, le fait qu’il avait déjà subi un procès relativement à des accusations similaires se rapportait à sa connaissance d’un acte fautif, indépendamment de sa culpabilité relativement à la première accusation. Son procès et son acquittement antérieurs pouvaient être admis pour cette fin limitée, mais ils exigeaient évidemment des directives minutieuses de la part du juge du procès. Néanmoins, dans la plupart des situations, il sera injuste et inopportun d’admettre une preuve sous‑tendant l’acquittement antérieur en tant que preuve de faits similaires dans un procès subséquent contre le même accusé. [Premier et troisième soulignements ajoutés; deuxième soulignement ajouté dans Arp.]

[145] Certains peuvent prétendre que l’« exception Ollis » ne permet l’admission en preuve que du seul fait de l’acquittement et non des éléments de preuve sous‑jacents. Je ne puis me rendre à cet argument. Dans R. c. Ollis, [1900] 2 Q.B. 758, le seul fait de l’acquittement antérieur aurait été dépourvu de pertinence dans l’instance subséquente si des faits sous‑jacents n’avaient pas été relatés. Par conséquent, ainsi qu’il ressort clairement des passages soulignés précités, l’admissibilité d’éléments de preuve se rapportant à un acquittement antérieur dépendra, non d’une règle absolue en interdisant l’admission dans tous les cas, mais d’une évaluation prudente de leur valeur probante pour une question fondamentale de l’instance subséquente par rapport à l’injustice qu’il y a à obliger un accusé à se défendre à répétition contre les mêmes allégations sur la question en cause. Compte tenu de l’importance du maintien de l’intégrité du verdict, le verdict antérieur aura le plus souvent préséance. En résumé, comme l’illustre la présente espèce, c’est le critère déjà connu appliqué en matière de preuve de faits similaires qui régira l’admissibilité de la preuve. Je préciserai plus loin en quoi ce critère est tout à fait adapté à l’examen des questions d’admissibilité se posant dans le présent contexte. Mais je veux auparavant revenir sur l’analyse élaborée dans Arp.

[146] Pour ce qui est de l’argument de Arp selon lequel le principe de l’arrêt Grdic s’appliquait à sa situation, le juge Cory l’a rejeté d’emblée, affirmant ce qui suit (par. 79) :

Malgré cela, je ne puis accepter la thèse voulant que le principe énoncé dans l’arrêt Grdic, précité, s’applique aux verdicts rendus par le même juge des faits relativement à des accusations jugées ensemble dans un même procès. Il n’y a rien d’injuste ou de logiquement irréconciliable dans le fait qu’un jury ait un doute raisonnable sur la question de savoir si l’accusé a commis un acte, mais arrive également à la conclusion que l’accusé a probablement commis cet acte. Il peut très bien exister de bonnes raisons d’exclure une preuve de faits similaires sous‑tendant un acquittement antérieur dans une poursuite subséquente. Toutefois, ce principe ne s’applique pas lorsque les actes similaires allégués font l’objet d’un acte d’accusation comportant plusieurs chefs. Dans ces cas, le juge du procès devra donner des directives minutieuses au jury. Il est nécessaire d’expliquer au jury que la preuve produite relativement à un chef d’accusation à l’égard duquel celui‑ci prononce un acquittement peut être utilisée pour décider de la culpabilité à l’égard d’un ou plusieurs autres chefs. [Je souligne.]

[147] De la même façon, la doctrine de la chose jugée, qui vise dans ce contexte à protéger un accusé contre des attaques répétitives concernant des questions déjà tranchées en sa faveur, ne peut, par application rétroactive, contester le premier procès, comme on le prétend en l’espèce. Comme nous le verrons, si cette doctrine de la chose jugée revêt la moindre pertinence, elle n’est applicable qu’à l’égard de l’instance subséquente.

5.6 Conclusion au sujet de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée en droit criminel

[148] Comme j’en ai fait état au début de cette analyse, la nature précise de la doctrine de la chose jugée et, par la suite, ses limites, sont difficiles à établir. Cette incertitude, toutefois, n’est pas attribuable à des fins ou des raisons d’être ambiguës pas plus qu’à des doutes sur l’importance de la doctrine pour l’administration de la justice, que ce soit en matière civile ou en matière criminelle. On ne peut non plus mettre sur le compte des auteurs l’imprécision touchant les composantes de la doctrine de la chose jugée. Elle tient plutôt à la multitude et à la diversité des circonstances dans lesquelles la doctrine doit s’appliquer et à la variété des formes qu’elle prend de ce fait. La certitude et la cohérence du droit dans ce domaine dépendent donc du choix d’un mécanisme qui convient au contexte.

[149] La préclusion découlant d’une question déjà tranchée, comme forme distincte et bien définie de chose jugée ayant pris naissance en droit civil, continue de bien servir les fins de la justice et de l’équité en matière civile. Cependant, sa transposition en droit criminel n’offre pas le cadre voulu pour le règlement des problèmes de remise en cause dans ce contexte. Comme nous l’avons vu, la doctrine a dès le départ perdu l’un de ses trois éléments et, depuis lors, il s’est toujours révélé difficile de statuer de façon raisonnée sur les deux autres, de sorte que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée a connu une application confuse et incohérente en matière criminelle. Le présent pourvoi pause la question de savoir si ces incohérences justifient l’élimination complète de cette doctrine du droit criminel canadien ou si, telle qu’elle est appliquée dans les instances criminelles, elle conserve assez d’importance au plan des principes et de la pratique pour qu’on la conserve.

[150] Dans son examen de cette question, la Juge en chef reconnaît que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, telle qu’elle est appliquée en matière criminelle depuis Grdic, « est source de confusion » et qu’une réforme est « incontestablement » nécessaire (par. 1). Selon elle, les difficultés d’application que connaît actuellement cette doctrine en matière criminelle découlent principalement de son extension indue à « toute question soulevée dans un procès antérieur ayant donné lieu à un acquittement » et de « la conception qu’elle peut avoir une portée rétrospective » comme on l’a soutenu en l’espèce (par. 32‑33 (en italique dans l’original)). Elle conclut donc que si la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est conçue comme il se doit « en tenant compte des caractéristiques qui la définissent » et que « son champ d’application [est] limité à l’interdiction, pour le ministère public, de présenter une preuve incompatible avec des conclusions favorables à l’accusé formulées dans une instance antérieure », ses difficultés d’application en matière criminelle disparaissent en grande partie (par. 2 et 73).

[151] En toute déférence, je ne puis souscrire à l’opinion que les nombreuses difficultés évoqués précédemment découlent simplement d’une mauvaise application de la règle de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Comme on l’a vu, les problèmes qui suivent presque inévitablement son application en matière criminelle ne procèdent pas d’un élargissement indu de la doctrine de la préclusion à toute question soulevée dans un procès antérieur. En fait, il n’existe à ma connaissance aucun cas où la doctrine a été appliquée de cette façon. Le problème vient plutôt de l’incompatibilité fondamentale de cette préclusion — même appliquée restrictivement comme il se doit — avec la nature et les enjeux particuliers inhérents aux instances criminelles. Cette incompatibilité fondamentale milite contre l’application même de cette préclusion en droit criminel, et on ne saurait y remédier en prescrivant d’adhérer strictement à la règle. À mon avis, il faut plutôt que le concept de préclusion découlant d’une question déjà tranchée cesse de s’appliquer en droit criminel.

[152] L’élimination de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne signifie pas que rien ne s’opposerait plus à la remise en cause en matière criminelle. Au contraire, il existe toute une panoplie de concepts connexes de droit criminel qui sont beaucoup plus indiqués pour répondre aux problèmes particuliers soulevés par la possibilité de remise en cause en matière criminelle. Il n’y a pas lieu, à mon avis, de craindre que le pouvoir discrétionnaire inhérent associé à l’application de certains de ces concepts ne protège pas suffisamment l’accusé. Comme on l’a vu, l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée constitue en bout de ligne un exercice discrétionnaire qui appelle lui‑même quelques exceptions. Il est vrai qu’une « règle simple et claire » encadrant l’application de cette préclusion en matière criminelle empêcherait effectivement « la remise en cause dans un procès criminel de questions réglées dans une instance criminelle antérieure » (motifs de la Juge en chef, par. 47). Mais la rigidité inhérente d’une règle absolue fait partie du problème. Examinons l’exemple suivant, qui reprend essentiellement les faits de l’affaire G. (K.R.), que ma collègue évoque au par. 33 de ses motifs à titre d’illustration de l’élargissement indu de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.

[153] Un accusé a été déclaré coupable d’agression sexuelle sur la personne de deux enfants. Au procès, le ministère public a présenté une preuve de faits similaires constituée du témoignage d’un troisième enfant, A.B., qui n’était pas l’un des plaignants mais qui aurait lui aussi été agressé sexuellement par l’accusé. En déclarant l’accusé coupable, le juge du procès s’est expressément appuyé sur la preuve de faits similaires obtenue de A.B. Par la suite, l’accusé a été cité à procès pour agression sexuelle sur la personne de A.B. et il a été acquitté. L’accusé a interjeté appel de la déclaration de culpabilité antérieure. La déclaration de culpabilité aurait‑elle dû être annulée sur le fondement de l’admission, à titre de nouvel élément de preuve, de la preuve de l’acquittement subséquent? Je conviens qu’en appliquant la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée la réponse claire et simple est non, il n’y aurait pas lieu de casser la déclaration de culpabilité parce que la doctrine ne peut s’appliquer rétrospectivement. Une cour d’appel commettrait en conséquence une erreur en annulant le verdict de culpabilité par application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. J’estime toutefois qu’il faut, pour résoudre le problème posé par ce scénario, employer une méthode plus nuancée que ce que la règle absolue de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée peut offrir. Je m’explique.

[154] D’un côté, si le juge du second procès conclut que A.B. a inventé l’accusation et que l’agression sexuelle alléguée n’a jamais eu lieu, il ne serait que juste d’annuler la déclaration de culpabilité prononcée au premier procès, laquelle reposait en partie sur la véracité du témoignage de A.B. Le nouvel élément de preuve pourrait fort bien avoir une incidence sur l’admissibilité de la preuve de faits similaires obtenue de A.B. Pourtant la préclusion découlant d’une question déjà tranchée empêcherait un tribunal d’accorder ce recours à l’accusé parce qu’elle n’est pas susceptible d’application rétrospective. Par contre, si le juge du second procès conclut qu’il y a probablement eu agression sexuelle contre A.B. mais décide d’acquitter l’accusé parce qu’il n’est pas convaincu de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable, l’inapplicabilité de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est sans importance. Il n’y a aucune raison logique d’infirmer la déclaration de culpabilité prononcée au premier procès. Le résultat serait identique si les trois accusations avaient été instruites dans le même procès. Autrement dit, on ne pourrait raisonnablement conclure que le nouvel élément de preuve qu’on souhaite présenter, considéré avec le reste de la preuve présentée, aurait pu influer sur le résultat.

[155] En conséquence, l’application « claire et simple » des règles régissant la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne permet pas de parvenir à une solution juste dans cet exemple. Comme je l’ai expliqué précédemment, les divers fardeaux de preuve applicables dans une instance criminelle appellent une approche plus nuancée. Il conviendrait donc mieux de trancher la question en appliquant les critères habituels de l’arrêt Palmer relatifs à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve (Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759) et, dans cet exemple, les règles régissant l’admissibilité de la preuve de faits similaires.

[156] S’il était nécessaire de redéfinir la préclusion découlant d’une question déjà tranchée en tant que concept distinct pour qu’elle s’applique efficacement en matière criminelle, la doctrine de la chose jugée, dans son acception la plus large, pourrait présenter la souplesse nécessaire pour permettre cette évolution, et l’on pourrait, pour plus de clarté, donner un nom différent à ce concept. Le maintien des règles et des principes de la common law prévus au par. 8(3) du Code criminel concernant les justifications, les excuses et les moyens de défense permettrait une telle évolution. Toutefois, il n’est ni nécessaire ni souhaitable de s’engager dans cette voie. Il existe des concepts de droit criminel adaptés à la prévention des poursuites criminelles abusives. J’aborde maintenant les faits de la présente espèce.

6. Application à la présente espèce

[157] Au procès, nul n’a contesté l’admissibilité du témoignage de M. Balasingam concernant l’appel téléphonique de M. Mahalingan. C’est compréhensible, car cet élément de preuve était clairement admissible. Il sera utile, toutefois, de cerner la règle de preuve applicable et d’expliquer pourquoi elle permettait de recevoir l’élément de preuve. Comme je vais l’expliquer, l’admissibilité de cet élément de preuve obéit à la règle de la preuve de faits similaires. Le même cadre analytique s’appliquera si le ministère public tente de présenter au nouveau procès une preuve relative au prétendu appel téléphonique, bien que l’acquittement prononcé relativement à l’accusation d’entrave à la justice modifiera sensiblement l’appréciation des facteurs.

[158] L’analyse part du principe primordial de notre droit de la preuve selon lequel tout renseignement propre à prouver un fait en cause est admissible en preuve, à moins qu’une règle d’exclusion ne s’applique. Le témoignage au sujet de l’appel téléphonique se rapportait clairement à une question en cause. Tel qu’indiqué précédemment, la principale question au procès était l’identité des agresseurs. Les excuses que M. Mahalingan avait censément présentées à M. Balasingam par téléphone et son aveu que c’est à M. Perinpanathan qu’il voulait s’en prendre avaient, si le jury y ajoutait foi, une forte valeur probante pour ce qui est de l’identité, ce qui militait en faveur de leur admission en preuve.

[159] Il existe toutefois une règle d’exclusion en l’espèce — la « très ancienne règle de common law » interdisant au ministère public de présenter une « preuve d’inconduite qui va au‑delà de ce qui est allégué dans l’acte d’accusation et qui ne fait que ternir [l]a réputation » de l’accusé : R. c. Handy, [2002] 2 R.C.S. 908, 2002 CSC 56, par. 31‑32. Comme on le fait observer aux par. 32‑33 de l’arrêt Handy, cette règle générale d’exclusion remonte au moins au Harrison’s Trial, en 1692 et

[p]ar la suite et de façon très remarquée, le lord chancelier Herschell a formulé la règle [. . .] en ces termes dans l’arrêt Makin c. Attorney‑General for New South Wales, [1894] A.C. 57 (C.P.), p. 65 :

[traduction] Il ne fait pas de doute que, dans le but d’obtenir la conclusion que l’accusé est, compte tenu de sa conduite ou de sa moralité, le genre de personne susceptible d’avoir commis le crime dont il est inculpé, la poursuite ne peut pas apporter des preuves qui tendent à démontrer qu’il a déjà été reconnu coupable de crimes autres que ceux visés par l’acte d’accusation.

[160] De toute évidence, la règle ne vise pas que les actes criminels mais englobe les « faits similaires » de caractère déshonorant : Handy, par. 34. D’ailleurs, elle est le plus souvent appliquée dans des affaires où le ministère public cherche à soumettre des éléments de preuve établissant que l’accusé a déjà commis des actes déshonorants similaires à ceux dont il est accusé, c’est pourquoi on l’appelle la « règle de preuve de faits similaires ». Toutefois, la règle s’étend aussi aux actes criminels ou autrement déshonorants qui ne présentent pas de similitude avec l’infraction reprochée à l’accusé. Marc Rosenberg, maintenant le juge d’appel Rosenberg, en a donné un exemple utile dans un article qui a été cité à l’appui de la même position dans R. c. B. (L.) (1997), 9 C.R. (5th) 38 (C.A. Ont.), par. 31 :

[traduction] [S]upposons que l’on puisse démontrer que la victime a été tuée d’une balle provenant d’une arme en particulier. Le ministère public veut soumettre en preuve que, la veille du meurtre, l’accusé est entré par effraction dans une armurerie et a volé cette arme. Le fait que l’accusé ait commis l’acte déshonorant d’entrer par effraction et de voler est en fait étranger à l’affaire. C’est pour démontrer que l’arme du crime était en la possession de l’accusé peu de temps avant le meurtre que le ministère public a besoin de cette preuve. On demandera au jury d’inférer de cette preuve que l’accusé avait l’arme en sa possession au moment du meurtre et que c’est donc lui l’auteur du crime.

(« Evidence of Similar Acts and Other Extrinsic Misconduct », dans Colloque national sur le droit criminel, Criminal Evidence (1994), vol. 1, art. 8.1, p. 4)

[161] Dans cet exemple, l’entrée par effraction et le vol de l’arme ne présentent aucune similitude avec le meurtre. Pourtant, la conduite antérieure de l’accusé que l’on veut mettre en preuve constitue un acte déshonorant, et la même règle de preuve — la « règle de preuve de faits similaires » — s’applique. Cette incohérence a amené plusieurs auteurs et tribunaux à souligner qu’il n’est pas tout à fait exact d’appeler cette règle la « règle de preuve de faits similaires » : Sopinka, Lederman et Bryant, p. 525‑526; Paciocco et Stuesser, p. 50; Cross and Tapper on Evidence (11e éd. 2007), p. 404; B. (L.), par. 6; R. c. Kirk (2004), 188 C.C.C. (3d) 329 (C.A. Ont.), par. 14; R. c. Oldford (1999), 139 C.C.C. (3d) 288 (C.A.T.‑N.), par. 8. Toutefois, l’expression est si consacrée que nous continuons, de façon pratique, à parler de la « règle de preuve de faits similaires », et c’est cette expression que j’emploierai ici, même s’il s’agit effectivement d’une règle de preuve de moralité qui englobe toute preuve de conduite déshonorante ne se rapportant pas à l’acte d’accusation.

[162] La raison d’être de cette règle a maintes fois été répétée et n’a pas besoin d’explication en l’espèce. Il suffira, pour notre propos, de citer le bref exposé du principe général justifiant l’exclusion de la preuve de faits similaires fait par le juge Binnie dans Handy, par. 37 :

La raison de politique générale justifiant l’exclusion de la preuve de propension ou de prédisposition est la suivante : bien que, dans certains cas, elle puisse être pertinente, la propension inférée de faits similaires peut aussi retenir indûment l’attention du juge des faits. Elle risque sérieusement de causer un préjudice, de détourner l’attention du jury et d’entraîner un délai excessif, et ces inconvénients l’emportent presque toujours sur sa valeur probante. En général, la propension de l’accusé ne devrait pas faire partie de la preuve qui pèse contre lui. Elle est exclue nonobstant la règle générale voulant que tout élément de preuve pertinent soit admissible : Arp, précité, par. 38; Robertson, précité, p. 941; Morris, précité, p. 201‑202; R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577, p. 613.

[163] La règle de preuve de faits similaires interdit donc au ministère public de présenter des éléments de preuve d’une conduite criminelle ou déshonorante de l’accusé qui vont au‑delà de ce qui est allégué dans l’acte d’accusation, sauf s’il est établit suivant la prépondérance des probabilités que la valeur probante de ces éléments à l’égard d’une question en cause l’emporte sur leur possible effet préjudiciable. Il a beaucoup été question en jurisprudence des facteurs à prendre en compte dans l’évaluation de la valeur probante par rapport à l’effet préjudiciable possible, et il n’est pas nécessaire, pour statuer sur le présent pourvoi, d’examiner ces facteurs en profondeur. Aucune liste ne peut être exhaustive, mais Paciocco et Stuesser ont dressé un inventaire utile des facteurs qui ont été utilisés dans la jurisprudence pour procéder à cette évaluation (p. 46‑47).

[164] Il importe de signaler, toutefois, ce que le terme « préjudiciable » ne veut pas dire dans ce contexte car, pris dans son sens le plus large, tout élément de preuve tendant à prouver la culpabilité de l’accusé lui est préjudiciable parce qu’il nuit à sa position. À l’évidence, il ne s’agit pas là du préjudice que vise la règle de la preuve de faits similaires. Le professeur Delisle précise succinctement comme suit le sens du terme préjudice dans le contexte qui nous intéresse :

[traduction] Dans ce contexte, bien sûr, préjudice ne s’entend pas du fait que la preuve puisse accroître la probabilité d’une déclaration de culpabilité, mais plutôt du fait qu’elle puisse être utilisée à mauvais escient par le juge des faits. Le fait que la preuve ait des conséquences malheureuses pour l’accusé est une chose, mais si la preuve produit des effets inéquitables, c’est tout à fait autre chose. Le juge des faits qui est informé des écarts de conduite antérieurs de l’accusé peut considérer celui‑ci comme une personne de mauvaises mœurs qui mérite une punition, qu’il soit coupable ou non de l’infraction reprochée et son esprit critique face à la preuve mobilisée contre l’accusé peut en être affaibli. [En italique dans l’original.]

(J. R. Delisle, « Three Recent Decisions of the Supreme Court of Canada Affecting the Law of Similar Fact Evidence » (1992), 16 J.J. prov. 13, p. 15; voir également R. c. D. (L.E.), [1989] 2 R.C.S. 111, p. 127‑128, cité dans B. (L.), par. 22.)

[165] Le témoignage de M. Balasingam au sujet du coup de téléphone, bien qu’il soit incontestablement pertinent, constitue une preuve de la commission par M. Mahalingan de l’infraction criminelle d’entrave à la justice, un acte déshonorant qui ne se rapporte pas à l’acte d’accusation. Il s’agit donc d’une forme de preuve de mauvaise moralité soumise, en théorie, à la règle générale d’exclusion. Toutefois, dans le contexte de son procès pour tentative de meurtre, M. Mahalingan n’aurait pu asseoir sur aucun fondement crédible son argument que les effets préjudiciables pouvant résulter de la présentation au jury d’un élément de preuve indiquant qu’il pouvait s’être rendu coupable d’entrave à la justice l’emportaient sur la valeur probante du témoignage relatif à l’appel téléphonique. Il n’est pas surprenant que l’admissibilité de cette preuve n’ait pas été contestée.

[166] Par conséquent, c’est à bon droit que la preuve relative à l’appel téléphonique fait à M. Balasingam a été admise au procès, et son admission ne saurait justifier l’annulation de la déclaration de culpabilité. Le nouvel élément de preuve qu’on veut présenter est sans incidence sur cette conclusion. Comme on l’a déjà expliqué, l’acquittement subséquent à l’égard de l’accusation d’entrave à la justice ne rend pas cette preuve rétroactivement inadmissible par application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. C’est à bon droit que le juge Blair a refusé de donner un effet rétroactif à la doctrine de la chose jugée, puisque aucun des principes fondamentaux de la chose jugée ne s’applique dans les circonstances. Sa conclusion sur la demande de présentation de nouveaux éléments de preuve était elle aussi correcte. Rien dans l’instance subséquente pour entrave à la justice ne remet en question le verdict rendu à l’égard de l’accusation de tentative de meurtre. Comme le juge Blair l’a judicieusement fait remarquer au par. 89 :

[traduction] Les deux juges des faits n’étaient pas saisis de la même question. Il n’y avait pas double péril. Le jury a correctement apprécié la preuve qui lui avait été régulièrement présentée, et il a déclaré M. Mahalingan coupable de voies de fait graves. Pour tirer cette conclusion, il suffisait qu’il soit convaincu suivant la prépondérance des probabilités que l’appel téléphonique avait été fait et que l’appelant avait tenu les propos qui lui étaient attribués. Pour rendre un verdict de culpabilité à l’égard de l’accusation d’entrave à la justice portée subséquemment, le juge Marchand devait être convaincu hors de tout doute raisonnable que l’accusation avait été prouvée. Comme il l’a indiqué, il ne l’était pas. Il n’y a rien d’incohérent, d’injuste ou de logiquement irréconciliable dans ces verdicts : Arp. [Note omise.]

[167] Je suis donc d’avis que la demande de présentation de nouveaux éléments de preuve devrait être rejetée, tout comme les arguments que soulève cette demande concernant la question de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Mieux vaut examiner la question de l’admissibilité, au nouveau procès, de la preuve relative au prétendu appel téléphonique dans le contexte de la preuve soumise lors de ce procès, si besoin est, en tenant compte de l’acquittement intervenu.

7. Dispositif

[168] Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer l’ordonnance de nouveau procès pour les raisons exposées par le juge Sharpe concernant les lacunes des directives données au jury au sujet de la thèse de la défense.

Pourvoi rejeté.

Procureur de l’appelante : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

Procureurs de l’intimé : Lockyer Campbell Posner, Toronto.

* Le juge Bastarache n’a pas participé au jugement.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Exposé au jury - Thèse de la défense - Accusé reconnu coupable de voies de fait graves - Un nouveau procès devrait‑il être ordonné parce que les directives du juge du procès au jury au sujet de la thèse de la défense étaient inadéquates?.

Droit criminel - Préclusion découlant d’une question déjà tranchée - Application - Faut‑il conserver en droit criminel la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée?.

À la suite d’une agression brutale perpétrée par un gang, l’accusé a été acquitté de l’accusation de tentative de meurtre mais déclaré coupable de l’infraction incluse de voies de fait graves. Le témoin qui a identifié l’accusé comme le premier attaquant a également affirmé que ce dernier lui avait téléphoné de sa prison, peu avant le début du procès, et lui avait demandé de ne pas témoigner contre lui. L’accusé a par la suite été inculpé de tentative d’entrave à la justice en rapport avec l’appel téléphonique qu’il aurait fait. Son procès relativement à cette accusation a eu lieu après la clôture du procès pour tentative de meurtre. Le ministère public a présenté une preuve relative à l’appel téléphonique qui reprenait celle qui avait été présentée lors du procès pour tentative de meurtre. L’accusé a été acquitté. Il a fait appel de sa condamnation pour voies de fait graves, plaidant que les directives du juge du procès au jury au sujet de la thèse de la défense étaient inadéquates. Il a également soutenu que son acquittement à l’égard de l’accusation d’entrave à la justice devrait être accepté comme nouvel élément de preuve dans l’appel concernant sa déclaration de culpabilité de voies de fait graves. Invoquant la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, l’accusé a fait valoir que l’acquittement avait pour effet de rendre rétrospectivement inadmissible le témoignage relatif à l’appel téléphonique présenté lors du procès pour tentative de meurtre. Il a également soutenu qu’en examinant le dossier de ce procès comme si la preuve relative à l’appel téléphonique n’avait jamais été présentée, on ne pourrait affirmer que le verdict du jury aurait nécessairement été le même. La Cour d’appel à l’unanimité a accueilli l’appel de l’accusé à l’encontre de la condamnation et a ordonné un nouveau procès au motif que le juge du procès n’avait pas présenté la position de la défense dans ses directives au jury. Concernant la demande d’autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve, toutefois, la cour a rendu une décision divisée. Les juges majoritaires ont accueilli la demande et ont ordonné un nouveau procès sur ce fondement également. Le juge dissident a conclu que l’acquittement subséquent à l’égard de l’accusation d’entrave à la justice n’avait pas pour effet de rendre rétrospectivement inadmissible la preuve relative à l’appel téléphonique fait par l’accusé au témoin et aurait rejeté la demande.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Fish et Rothstein : La Cour d’appel a conclu à bon droit que l’exposé au jury de la thèse de la défense dans le premier procès était inadéquat et un nouveau procès doit être ordonné pour ce motif. [81]

Pour ce qui est de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, il y a lieu de conserver ce principe dans le droit pénal canadien. Si sa portée est circonscrite comme il se doit, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée joue un rôle indispensable pour assurer l’équité envers l’accusé, éviter les verdicts incompatibles et assurer la pérennité du principe du caractère définitif des décisions judiciaires. Les difficultés d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée en droit pénal proviennent d’un élargissement de sa portée, qui englobe des circonstances où son application ne sert pas les fins de la justice. Il faut modifier la façon d’aborder cette préclusion en droit pénal canadien pour que son application soit limitée de sorte que le ministère public ne puisse remettre en cause une question ayant fait l’objet d’une décision favorable à l’accusé lors d’une instance criminelle antérieure, que la décision repose sur une conclusion positive ou sur un doute raisonnable. Si cette préclusion est simplement interprétée comme une règle empêchant la remise en cause de questions réglées, elle s’intègre bien au droit pénal et les problèmes liés à son application dans ce contexte disparaissent en grande partie. [2] [31] [51] [61] [76]

Si sa portée est circonscrite comme il se doit, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne signifie pas que chaque élément de preuve soumis dans un procès et qui mène à un acquittement est inadmissible dans un procès subséquent portant sur autre chose. Seules sont frappées de préclusion les questions qui ont nécessairement été résolues en faveur de l’accusé pour qu’il y ait acquittement ou qui ont donné lieu à des conclusions, même celles tirées sur le fondement du doute raisonnable. Pour établir si une question a été expressément tranchée ou a nécessairement dû l’être pour qu’il y ait acquittement dans le premier procès, il faut examiner les passages pertinents de la transcription du procès, en particulier les allégations, la nature de la preuve du ministère public et la preuve de la défense. L’accusé qui invoque la préclusion fondée sur une question déjà tranchée a la charge de prouver qu’une question particulière a effectivement été tranchée en sa faveur lors d’une instance antérieure. En outre, cette préclusion ne pourrait s’appliquer rétrospectivement pour entraîner le retrait d’éléments de preuve du dossier de l’instance antérieure. L’application rétroactive de la préclusion est incompatible avec l’un des principes fondamentaux de cette doctrine, le principe du caractère définitif des décisions. [23] [27] [33]

D’autres doctrines et règles de preuve n’offrent pas une protection complète des objectifs qui sous‑tendent la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. L’équité exige que l’accusé n’ait pas à répondre à des questions de fait et de droit (autres que le verdict final) tranchées en sa faveur dans une instance antérieure. Il s’agit là de la justification la plus impérieuse du maintien, dans le droit pénal, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée puisqu’elle concerne un précepte essentiel de notre système de justice pénale. Le plaidoyer d’autrefois acquit ne s’applique qu’au verdict final, non à des éléments particuliers sous‑jacents à la preuve du ministère public. Le recours à l’abus de procédures peut offrir ou ne pas offrir une protection contre la remise en cause d’une question particulière. L’abus de procédure reste une vaste notion, plutôt vague, qui ne s’est appliquée dans le passé qu’aux manifestations les plus flagrantes d’abus du pouvoir du ministère public, et elle ne pourrait être invoquée avec succès que dans de très rares cas, uniquement lorsque la situation est à ce point viciée qu’elle constitue l’un des cas les plus manifestes. [39‑42] [75]

De même, il est également peu probable que les règles restrictives régissant la preuve de moralité et la preuve de faits similaires permettent l’entière réalisation de l’objectif d’équité. Ces règles ne s’appliquent qu’à un nombre limité de décisions relatives à des questions de fait ou de droit susceptibles de donner ouverture à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Il y aura également un problème si une question tranchée lors d’un procès antérieur n’est pas similaire au sens des règles régissant la preuve de faits similaires, qui mettent l’accent sur des habitudes criminelles se rapportant à l’essence de l’acte criminel allégué. En outre, les règles de preuve applicables à la preuve de moralité et à la preuve de faits similaires sont assujetties à des restrictions très discrétionnaires. Bien qu’il incombe au ministère public de démontrer l’admissibilité d’un élément de preuve, l’accusé est effectivement obligé de réfuter un élément de preuve relatif à une question de fait qui a déjà été résolue en sa faveur. La preuve de faits similaires n’est admise que si sa valeur probante s’avère plus importante que le préjudice qu’elle peut causer à l’accusé. Pour faire échec à cette preuve, l’accusé doit habituellement tenter de soulever un doute sur sa valeur probante ou démontrer qu’elle lui causera un préjudice inéquitable. L’accusé n’a plus la protection complète que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée lui assure contre la remise en cause de questions de fait qui ont déjà été résolues en sa faveur. [43‑44]

En l’espèce, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont conclu à tort que le verdict d’acquittement prononcé subséquemment à l’égard de l’accusation d’entrave à la justice obligeait nécessairement à conclure que la déclaration du témoin au sujet de l’appel téléphonique fait par l’accusé avait été irrégulièrement admise lors du premier procès. Les juges majoritaires ont appliqué une interprétation trop large du principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Il est possible de trancher cette question en se fondant sur l’ordre dans lequel les verdicts ont été rendus. L’acquittement prononcé à l’issue du deuxième procès ne peut rendre rétrospectivement inadmissible la preuve présentée lors du procès antérieur. L’ordre dans lequel les procès ont eu lieu a de l’importance et fait partie intégrante des notions de caractère définitif que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et, plus généralement, le principe de chose jugée, visent à protéger. [78‑79]

Les juges Deschamps, Abella et Charron : L’omission du juge du procès de présenter au jury la position de la défense, en l’espèce, rend nécessaire la tenue d’un nouveau procès. Bien que, compte tenu de cette conclusion, il ne soit pas nécessaire de statuer sur la demande de présentation de nouveaux éléments de preuve, l’application dans le contexte d’un procès criminel de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’est révélée problématique et doit être réexaminée. La présente espèce est propice à un tel réexamen. [90]

Dans le but de préserver l’irrévocabilité des décisions, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, une forme de chose jugée, empêche la remise en cause d’une question ayant fait l’objet d’une décision judiciaire définitive dans une autre instance. Bien qu’elle serve efficacement les fins de la justice en matière civile, cette préclusion ne s’est pas avérée en droit criminel le cadre voulu pour le règlement des problèmes de remise en cause abusive et par conséquent, elle ne devrait plus trouver application en droit criminel canadien. D’autres concepts et dispositions législatives existants apportent une réponse plus adéquate à la problématique des remises en cause abusives, notamment la doctrine de l’abus de procédure, les règles régissant la preuve de moralité, l’interdiction des déclarations de culpabilité multiples, l’interdiction des contestations indirectes, les moyens de défense d’autrefois acquit et d’autrefois convict ainsi que l’al. 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés. [84] [105] [149]

Il est bien établi, en matière civile, que trois conditions doivent être réunies pour que cette forme de préclusion puisse être invoquée. La condition que les parties dans les deux instances doivent être les mêmes ou leurs ayants droit — l’exigence de réciprocité — est si peu adaptée au contexte criminel qu’elle n’a jamais été introduite en droit criminel canadien. Cette exigence qui, par définition, s’applique tant à l’accusé qu’au ministère public, n’est pas compatible avec la présomption d’innocence ni avec l’obligation du ministère public de prouver la culpabilité hors de tout doute raisonnable. Au Canada toutefois, plutôt que d’exclure cette forme de préclusion parce qu’elle n’est pas adaptée au droit criminel, on a plutôt opté pour la transformer, lorsqu’elle est transposée du droit civil au droit criminel, en en retranchant l’exigence de réciprocité. Cette préclusion est devenue en droit criminel une doctrine à sens unique, perçue et appliquée simplement comme une interdiction, pour le ministère public, de remettre en cause des questions ayant déjà fait l’objet d’une décision favorable à l’accusé. Comme l’exigence de réciprocité peut difficilement être considérée simplement comme un élément marginal de cette préclusion, son élimination en contexte criminel indique qu’un tribunal se trouve d’emblée devant un concept intrinsèquement différent de celui qui s’applique en matière civile. [112-114] [117] [120]

La préclusion découlant d’une question déjà tranchée exige en outre que la question dont on veut empêcher la remise en cause soit la même que celle qui a été tranchée dans l’instance antérieure. La difficulté d’établir si une question particulière a effectivement été distinctement soulevée et clairement tranchée dans une instance criminelle antérieure signale la possibilité que cette préclusion ne soit pas le mécanisme approprié pour répondre à la problématique de la remise en cause en contexte criminel. Le besoin de protection de l’accusé contre la remise en cause injustifiée se fera habituellement sentir de façon plus aigüe lorsqu’il y aura eu acquittement dans l’instance antérieure. Pourtant, c’est dans ce contexte qu’il est le plus difficile de définir la question fondant la préclusion en raison de la nature de l’instance criminelle, axée sur la question de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé à l’égard de l’accusation, non sur un éventail de questions distinctes. Dans un procès devant jury, la décision définitive prend la forme d’un verdict de « culpabilité » ou de « non‑culpabilité » rendu sans explication, de sorte qu’il est extrêmement difficile de déterminer avec certitude si la question dont on cherche à empêcher la remise en cause a fait l’objet d’une décision définitive. Pour les cas ne donnant pas ouverture aux plaidoyers d’autrefois acquit ou d’autrefois convict ou à l’application de l’al. 11h) de la Charte, la doctrine de l’abus de procédure peut offrir un moyen de protection plus efficace et mieux structuré contre les poursuites abusives en matière criminelle. [112] [122] [124] [131]

Enfin, pour que s’applique la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, la question doit également avoir été tranchée de façon définitive. L’appréciation du caractère définitif d’une décision pour l’application de cette préclusion a donné lieu à des différends jurisprudentiels, même en matière civile. En matière criminelle, l’appréciation du caractère définitif devient encore plus complexe du fait de la diversité des fardeaux de preuve applicables à différentes étapes d’une instance criminelle. Parce que la norme de preuve en matière criminelle est la preuve hors de tout doute raisonnable, un verdict de « non‑culpabilité » recouvre un large éventail de circonstances, de l’innocence factuelle jusqu’à la preuve établie presque hors de tout doute raisonnable. La prise en compte des nombreuses nuances de doute pouvant raisonnablement fonder un verdict de « non‑culpabilité » complique considérablement l’appréciation du caractère définitif des décisions que requiert l’application de la préclusion d’une question déjà tranchée et souligne qu’il ne serait pas pratique d’établir une règle absolue rendant inadmissibles dans une instance les éléments de preuve soumis dans une instance antérieure ayant abouti à un acquittement. [134-135] [144]

L’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée en tant que règle absolue interdisant dans tous les cas l’admission des éléments de preuve d’un acquittement antérieur, quel que soit le fondement de l’acquittement ou la pertinence de ces éléments de preuve pour l’instance subséquente, n’est pas compatible avec la règle fondamentale favorisant l’admission de tout élément de preuve pertinent, sous réserve de préoccupations s’y opposant. Cela ne veut pas dire qu’un acquittement ne devrait avoir aucune incidence sur l’admissibilité, dans une instance criminelle postérieure, des éléments de preuve qui le sous‑tendent, mais la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’est pas révélée le meilleur des cadres analytiques pour trancher les questions d’admissibilité dans ce contexte. L’admissibilité d’éléments de preuve se rapportant à un acquittement antérieur dépendra, non pas d’une règle absolue en interdisant l’admission dans tous les cas, mais d’une évaluation prudente de leur valeur probante pour une question fondamentale de l’instance subséquente par rapport à l’injustice qu’il y a à obliger un accusé à se défendre à répétition contre les mêmes allégations sur la question en cause, conformément au critère déjà connu appliqué en matière de preuve de faits similaires. Enfin, la doctrine de la chose jugée, qui vise dans ce contexte à protéger un accusé contre des attaques répétitives concernant des questions déjà tranchées en sa faveur, ne permet pas, par application rétroactive, de contester le premier procès. Si cette doctrine de la chose jugée revêt la moindre pertinence, elle n’est applicable qu’à l’égard de l’instance subséquente. [132-133] [145] [147]

La demande de présentation de nouveaux éléments de preuve aurait dû être rejetée. La déclaration du témoin au sujet du coup de téléphone, bien qu’elle soit incontestablement pertinente, constitue une preuve de la commission par l’accusé de l’infraction criminelle d’entrave à la justice, un acte déshonorant qui ne se rapporte pas à l’acte d’accusation. La déclaration constitue donc une forme de preuve de mauvaise moralité soumise, en théorie, à la règle générale d’exclusion. Toutefois, dans le contexte du procès de l’accusé pour tentative de meurtre, ce dernier n’aurait pu asseoir sur aucun fondement crédible son argument que les effets préjudiciables pouvant résulter de la présentation au jury d’un élément de preuve indiquant qu’il pouvait s’être rendu coupable d’entrave à la justice l’emportaient sur la valeur probante du témoignage relatif à l’appel téléphonique. Par conséquent, c’est à bon droit que la preuve relative à l’appel téléphonique a été admise au procès, et son admission ne saurait justifier l’annulation de la déclaration de culpabilité. Le nouvel élément de preuve qu’on veut présenter est sans incidence sur cette conclusion. L’acquittement subséquent à l’égard de l’accusation d’entrave à la justice ne rend pas cette preuve rétroactivement inadmissible par application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. La doctrine de la chose jugée n’a aucun effet rétroactif et aucun des principes fondamentaux de la chose jugée ne s’applique dans les circonstances. Rien dans l’instance subséquente relative à l’entrave à la justice ne remet en question le verdict rendu à l’égard de l’accusation de tentative de meurtre. [165-167]


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Mahalingan

Références :

Jurisprudence
Citée par la juge en chef McLachlin
Arrêt expliqué : Grdic c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 810
arrêts mentionnés : Gushue c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 798
R. c. G. (K.R.) (1991), 68 C.C.C. (3d) 268
R. c. Rulli (1999), 134 C.C.C. (3d) 465, autorisation de pourvoi refusée, [2000] 1 R.C.S. xviii
R. c. Verney (1993), 87 C.C.C. (3d) 363
Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, 2000 CSC 44
Bradford & Bingley Building Society c. Seddon, [1999] 1 W.L.R. 1482
Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248
Carl Zeiss Stiftung c. Rayner & Keeler Ltd., [1967] 1 A.C. 853
Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, 2003 CSC 63
Duhamel c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 555
R. c. Humphrys, [1976] R.T.R. 339
R. c. Arp, [1998] 3 R.C.S. 339
R. c. Ollis, [1900] 2 Q.B. 758
R. c. Morin, [1988] 2 R.C.S. 345
R. c. Handy, [2002] 2 R.C.S. 908, 2002 CSC 56
R. c. Regan (1999), 131 C.C.C. (3d) 286.
Citée par la juge Charron
Arrêts mentionnés : Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729
Grdic c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 810
R. c. Arp, [1998] 3 R.C.S. 339
Duhamel c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 555
Muir c. Carter (1889), 16 R.C.S. 473
Wright c. The Queen, [1963] R.C.S. 539
Cargill Grain Co. c. Foundation Co. of Canada Ltd., [1965] R.C.S. 594
R. c. Riddle, [1980] 1 R.C.S. 380
Boucher c. Stelco Inc., [2005] 3 R.C.S. 279, 2005 CSC 64
Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, 2003 CSC 63
R. c. Van Rassel, [1990] 1 R.C.S. 225
Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, 2001 CSC 44
R. c. Humphrys, [1976] R.T.R. 339
R. c. Hogan, [1974] 1 Q.B. 398
McIntosh c. Parent, [1924] 4 D.L.R. 420
Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248
Gushue c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 798
R. c. Morin, [1988] 2 R.C.S. 345
Rizzo c. Hanover Insurance Co. (1993), 14 O.R. (3d) 98
R. c. Cullen (1989), 52 C.C.C. (3d) 459
R. c. G. (K.R.) (1991), 68 C.C.C. (3d) 268
R. c. Verney (1993), 87 C.C.C. (3d) 363
R. c. Ollis, [1900] 2 Q.B. 758
Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759
R. c. Handy, [2002] 2 R.C.S. 908, 2002 CSC 56
R. c. B. (L.) (1997), 9 C.R. (5th) 38
R. c. Kirk (2004), 188 C.C.C. (3d) 329
R. c. Oldford (1999), 139 C.C.C. (3d) 288
R. c. D. (L.E.), [1989] 2 R.C.S. 111.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 11h).
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 8(3), 607.
Doctrine citée
Boilard, Jean‑Guy. Manuel de preuve pénale, vol. 1. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 1991 (feuilles mobiles mises à jour septembre 2008, envoi no 48).
Cross and Tapper on Evidence, 11th ed. by Colin Tapper. New York : Oxford University Press, 2007.
Delisle, J. R. « Three Recent Decisions of the Supreme Court of Canada Affecting the Law of Similar Fact Evidence » (1992), 16 J.J. prov. 13.
Friedland, Martin L. Double Jeopardy. Oxford : Clarendon Press, 1969.
Gorman, Wayne. « Multiple Count Indictments and the Impact of the Accused Being Acquitted on a Count Subsequently Used as Similar Fact Evidence » (1994), 30 C.R. (4th) 222.
Lange, Donald J. The Doctrine of Res Judicata in Canada, 2nd ed. Markham, Ont. : LexisNexis Butterworths, 2004.
Mahoney, Richard. « Acquittals as Similar Fact Evidence : Another View » (2003), 47 Crim. L.Q. 265.
Mirfield, Peter. « Shedding a Tear for Issue Estoppel », [1980] Crim. L.R. 336.
Paciocco, David M., and Lee Stuesser. The Law of Evidence, 4th ed. Concord, Ont. : Irwin Law, 2005.
Rosenberg, Marc. « Evidence of Similar Acts and Other Extrinsic Misconduct », dans Colloque national sur le droit criminel, Criminal Evidence, vol. 1. Vancouver : Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, 1994, art. 8.1.
Sopinka, John, Sidney N. Lederman and Alan W. Bryant. The Law of Evidence in Canada, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1999.
Stewart, Hamish. « Issue Estoppel and Similar Facts » (2008), 53 Crim. L.Q. 382.
Stuesser, Lee. « Admitting Acquittals as Similar Fact Evidence » (2002), 45 Crim. L.Q. 488.
Wright, Keith E. « Similar Fact Multiple Count Indictments — A Reply » (1994), 32 C.R. (4th) 301.

Proposition de citation de la décision: R. c. Mahalingan, 2008 CSC 63 (14 novembre 2008)


Origine de la décision
Date de la décision : 14/11/2008
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2008 CSC 63 ?
Numéro d'affaire : 31499
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2008-11-14;2008.csc.63 ?
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