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22/05/2009 | CANADA | N°2009_CSC_21

Canada | R. c. Middleton, 2009 CSC 21 (22 mai 2009)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Middleton, 2009 CSC 21, [2009] 1 R.C.S. 674

Date : 20090522

Dossier : 32138

Entre :

Timothy Middleton

Appelant

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Fish, Charron, Rothstein et Cromwell

Motifs de jugement :

(par. 1 à 54)

Motifs concordants :

(par. 55 à 60)

Motifs dissidents en partie :

(par. 61 à 113)

Le juge Fish (avec l'accord de la

juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Charron et Rothstein)

Le juge Binnie

Le juge Cromwell

______________________________

R. c. Middleton, 2009 CSC 21, [2...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Middleton, 2009 CSC 21, [2009] 1 R.C.S. 674

Date : 20090522

Dossier : 32138

Entre :

Timothy Middleton

Appelant

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Fish, Charron, Rothstein et Cromwell

Motifs de jugement :

(par. 1 à 54)

Motifs concordants :

(par. 55 à 60)

Motifs dissidents en partie :

(par. 61 à 113)

Le juge Fish (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Charron et Rothstein)

Le juge Binnie

Le juge Cromwell

______________________________

R. c. Middleton, 2009 CSC 21, [2009] 1 R.C.S. 674

Timothy Middleton Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié : R. c. Middleton

Référence neutre : 2009 CSC 21.

No du greffe : 32138.

2009 : 20 janvier; 2009 : 22 mai.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Fish, Charron, Rothstein et Cromwell.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (les juges Weiler, Gillese et LaForme), 2007 ONCA 538, 227 O.A.C. 59, [2007] O.J. No. 2900 (QL), 2007 CarswellOnt 4722, qui a modifié la peine infligée par le juge Waugh, 2006 CarswellOnt 9388. Pourvoi accueilli, le juge Cromwell est dissident en partie.

Gregory Lafontaine et Vincenzo Rondinelli, pour l'appelant.

Andrew Cappell et Alexandra Campbell, pour l'intimée.

Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Fish, Charron et Rothstein rendu par

Le juge Fish —

I

[1] Timothy Middleton, l'appelant, a été reconnu coupable à son procès de voies de fait ayant causé des lésions corporelles à sa conjointe de l'époque, Lisa Dubreuil. Pour cette infraction, il a été condamné à une peine de 90 jours d'emprisonnement à être purgée de façon discontinue. Il a également été déclaré coupable de menaces de mort et de braquage d'une arme à feu environ cinq mois après l'agression. Pour ces infractions, il a été condamné à des peines de 18 mois d'emprisonnement avec sursis devant être purgées concurremment et suivies d'une période de probation de trois ans.

[2] Les deux parties reconnaissent la légalité de chacune des trois peines. Elles reconnaissent également que le juge du procès les a déterminées avec soin conformément aux principes en la matière et aux objectifs correctionnels applicables en l'espèce. Ni l'appelant ni l'intimée n'ont relevé une seule disposition du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, faisant obstacle à la peine discontinue ou aux peines avec sursis au moment où chacune a été infligée. Ils n'ont pas non plus invoqué une seule décision d'un tribunal canadien faisant obstacle à la combinaison de peines à laquelle a eu recours le juge du procès en l'espèce.

[3] Le juge Cromwell estime néanmoins que les peines avec sursis ont rendu illégale la peine discontinue en raison d'une disposition relative au calcul de la durée des peines figurant dans une autre loi à des fins qui, nous le verrons, sont totalement étrangères à la présente affaire.

[4] Les motifs de mon collègue peuvent être résumés comme suit. Les peines discontinues sont régies par l'art. 732 du Code criminel. En vertu du par. 732(1), le tribunal peut ordonner qu'une peine d'emprisonnement soit purgée de façon discontinue lorsque sa durée n'excède pas 90 jours. La peine avec sursis constitue une peine d'emprisonnement. L'article 139 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (« LSCMLSC »), exige que la peine discontinue de 90 jours et les peines avec sursis de 18 mois imposées en l'espèce soient « fusionnées » pour n'en constituer qu'une seule d'une durée de 18 mois. Étant donné que la durée totale de la peine dépasse alors le maximum de 90 jours prévu au par. 732(1), les peines avec sursis, bien que légales et appropriées en soi, ont après coup rendu illégale la peine discontinue infligée précédemment par le juge au procès.

[5] Il appert d'emblée que le résultat proposé par le juge Cromwell ne se justifie que si les deux prémisses essentielles de son raisonnement sont fondées : premièrement, la peine avec sursis constitue un emprisonnement au sens du par. 732(1); deuxièmement, l'art. 139 de la LSCMLSC exige que la peine discontinue et les peines avec sursis imposées par le juge du procès soient considérées, pour les besoins du par. 732(1), comme une seule et même peine d'emprisonnement.

[6] Avec égards, ni l'une ni l'autre de ces assertions ne résistent à l'analyse. Conclure que la peine avec sursis constitue un emprisonnement au sens du par. 732(1) du Code criminel et une peine d'emprisonnement au sens de l'art. 139 de la LSCMLSC fait abstraction du libellé clair et de l'objet des dispositions, ainsi de l'objectif et de la nature de la peine avec sursis. C'est aussi faire abstraction des objectifs légitimes qu'avait le juge du procès en déterminant la peine en l'espèce et écarter désormais inutilement la possibilité qu'un juge inflige une peine appropriée du même genre lorsqu'il estime qu'une peine de détention s'impose.

[7] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la peine avec sursis n'est visée ni au par. 732(1) du Code criminel ni à l'art. 139 de la LSCMLSC et que celui‑ci ne s'applique pas à la peine discontinue infligée dans la présente affaire.

II

[8] La question décisive dans le présent pourvoi est celle de savoir si une peine de plus de 90 jours d'emprisonnement avec sursis rend illégale la partie non purgée de la peine discontinue infligée au délinquant pour une autre infraction. Je le répète, on ne peut trancher par l'affirmative que si on conclut d'abord que la peine avec sursis constitue un « emprisonnement » au sens du par. 732(1) du Code criminel, puis que l'art. 139 de la LSCMLSC s'applique à la fois à la peine avec sursis et à la peine discontinue.

[9] Le paragraphe 732(1) dispose :

732. (1) Le tribunal qui déclare le délinquant coupable d'une infraction et le condamne à un emprisonnement maximal de quatre‑vingt‑dix jours pour défaut de paiement d'une amende ou pour un autre motif, peut, compte tenu de l'âge et de la réputation du délinquant, de la nature de l'infraction, des circonstances dans lesquelles elle a été commise et de la disponibilité d'un établissement adéquat pour purger la peine, ordonner :

a) que la peine soit purgée de façon discontinue aux moments prévus par l'ordonnance;

b) au délinquant de se conformer aux conditions prévues par l'ordonnance pendant toute période où il purge sa peine hors de la prison et de s'y conformer dès sa sortie de prison.

[10] Il appert de l'emploi du mot « prison » que le par. 732(1) vise la peine de détention, et non la peine avec sursis, qui est purgée dans la collectivité. J'estime que cette seule considération d'ordre textuel justifie de conclure que la peine avec sursis n'est pas un « emprisonnement » au sens du par. 732(1).

[11] Pour arriver à la conclusion opposée, le juge Cromwell s'appuie sur le principe d'interprétation législative selon lequel un terme doit recevoir « la même interprétation et avoir le même sens tout au long d'un texte législatif », à moins que « le contexte ne s'y oppose clairement » (Thomson c. Canada (Sous‑ministre de l'Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385, p. 400). Suivant la même règle d'interprétation, il me paraît clair qu'une peine avec sursis n'est pas un « emprisonnement » au sens du par. 732(1). Comme je l'ai signalé au départ, l'al. 732(1)b) vise la peine purgée en prison et l'ordonnance de probation à la « sortie de prison », une fois purgée la peine discontinue. Par définition, la peine avec sursis est purgée dans la collectivité et non en prison. Conclure qu'elle constitue un emprisonnement au sens du par. 732(1) est donc clairement incompatible avec l'interprétation téléologique et contextuelle de la disposition, de même qu'avec les termes expressément employés par le législateur pour permettre la discontinuité de la peine.

[12] En toute déférence, on ne saurait raisonnablement conclure qu'une peine avec sursis est un emprisonnement à certaines fins sous le régime du par. 732(1) (notamment pour déterminer l'admissibilité du délinquant à la peine discontinue), mais non à d'autres (comme permettre qu'une peine avec sursis soit purgée de façon discontinue). Au surplus, on ne saurait raisonnablement convenir avec l'appelant, sans forcer le sens du par. 732(1), qu'une peine avec sursis est une peine d'emprisonnement à tous égards pour l'application de l'art. 732.

[13] Conclure qu'une peine avec sursis constitue un emprisonnement au sens du par. 732(1) est également incompatible avec les objectifs respectifs de la peine avec sursis et de la peine discontinue. Le juge Cromwell l'explique bien en exposant les raisons et les objectifs de détermination de la peine qui ont amené le juge du procès à infliger des peines avec sursis pour deux infractions et une peine discontinue pour l'autre (notamment aux par. 68, 69 et 111 de ses motifs). Il n'est donc pas étonnant qu'aucun exemple de peine discontinue d'emprisonnement avec sursis — une notion pour le moins inusitée — n'ait été porté à notre attention.

[14] De plus, contrairement à ce que fait valoir l'appelant, le mot « emprisonnement » dans les termes « peine d'emprisonnement » et « période d'emprisonnement » n'est pas toujours employé dans le même sens, toutes fins confondues, dans le Code criminel. Dans plusieurs cas, ces termes supposent nécessairement l'incarcération. L'alinéa 718.2e), qu'invoquent les parties, est loin d'être le seul exemple. Le paragraphe 732(1) lui‑même en constitue un autre puisque, nous l'avons vu, il renvoie expressément à la « période où [le délinquant] purge sa peine hors de la prison » et à sa « sortie de prison » une fois purgée la peine discontinue.

[15] De même, le par. 719(4) prévoit qu'une « période d'emprisonnement [. . .] commence à courir [. . .] à la date où la personne déclarée coupable est arrêtée et mise sous garde aux termes de la sentence ». Le paragraphe 719(5) est rédigé de façon similaire. La peine d'emprisonnement avec sursis n'est manifestement pas une période d'emprisonnement au sens de l'une ou l'autre de ces dispositions. Cela vaut aussi pour l'art. 743.3, qui dispose qu'« [u]ne peine d'emprisonnement est purgée conformément aux dispositions et règles qui régissent l'établissement où le prisonnier doit purger sa peine ». Là encore, la peine avec sursis peut difficilement être qualifiée de « peine d'emprisonnement » au sens de cette disposition.

[16] Le paragraphe 742.7(1) est une autre disposition du Code criminel renvoyant à l'emprisonnement de telle manière qu'il ne saurait englober la peine avec sursis. La conclusion contraire signifierait que la peine d'emprisonnement avec sursis est suspendue lorsque, pendant qu'il la purge, le délinquant se voit infliger une deuxième peine d'emprisonnement avec sursis. Ce n'est certainement pas l'intention du législateur.

[17] Il ressort au contraire de l'art. 742.7 considéré dans son ensemble que le législateur y établit une distinction claire et nette entre la peine avec sursis purgée dans la collectivité et la période de détention purgée par suite du non‑respect d'une ordonnance de sursis. Lorsque, en vertu de l'art. 742.6 du Code, le tribunal ordonne que la peine qui reste à courir soit purgée en totalité ou en partie en prison, cette période de détention est explicitement considérée comme un emprisonnement au par. 742.7(3) pour l'application de l'art. 139 de la LSCMLSC; le reste de la peine avec sursis, purgée dans la collectivité, ne l'est pas. Si l'article 139 devait s'appliquer à la peine avec sursis, le par. 742.7(3) serait parfaitement inutile. Il s'ensuit à tout le moins que l'art. 139 ne s'applique qu'à la peine avec sursis qui donne lieu à l'incarcération — et, même alors, seulement à la période de détention. En l'espèce, les peines avec sursis n'entraînent aucune détention.

[18] Notre Cour a évidemment statué que le mot « imprisonment » (« emprisonnement ») employé en anglais à l'al. 718.2e) du Code signifie « incarceration » (« incarcération ») au vu de la différence entre les versions française et anglaise de la disposition : voir l'arrêt R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61, par. 95. Toutefois, comme on l'a signalé à l'audition du présent pourvoi, s'il n'y avait pas eu d'incompatibilité linguistique, l'interprétation téléologique et contextuelle de l'al. 718.2e) aurait nécessairement mené au même résultat. Le juge Cromwell reconnaît au par. 87 de ses motifs qu'« interpréter le terme "imprisonment" employé à l'al. 718.2e) comme incluant la peine avec sursis allait tout à fait à l'encontre de l'intention manifeste » du législateur de créer des peines avec sursis pouvant se substituer à l'incarcération.

[19] De plus, les versions française et anglaise de toutes les autres dispositions que j'invoque précédemment sont exemptes de contradiction. Pourtant, dans chacune d'elles, le terme « emprisonnement » (« imprisonment », en anglais) est nécessairement employé au sens d'« incarcération » — et non de peine avec sursis purgée dans la collectivité.

III

[20] Le juge Cromwell dit au par. 70 de ses motifs qu'une distinction « s'impose », une distinction qui paraît ramener, relativement à la peine avec sursis, la démarche « en deux étapes » que notre Cour a expressément écartée dans l'arrêt Proulx en matière de détermination de la peine. Au nom de la Cour, le juge en chef Lamer avait expliqué (par. 52) :

Cette démarche en deux étapes ne correspond pas à la réalité de la détermination des peines. En pratique, la détermination de la durée d'une peine d'emprisonnement et la détermination du lieu où elle sera purgée par le délinquant sont inextricablement liées. Le juge n'inflige pas un emprisonnement de « x mois » dans l'abstrait, sans se demander où cette peine sera purgée [. . .] De plus, lorsque le tribunal opte pour l'emprisonnement avec sursis, sa durée dépend du genre de conditions dont elle est assortie. La durée de la peine ne peut donc pas être déterminée indépendamment du lieu où celle‑ci sera purgée. [Je souligne; renvois omis.]

[21] Je formulerai quatre brèves remarques concernant la distinction proposée par le juge Cromwell entre la peine et son mode d'exécution.

[22] Premièrement, cette distinction n'a jamais été invoquée par l'appelant ou l'intimée, et elle n'a pas non plus été considérée à quelque étape de l'instance par les tribunaux inférieurs. Nulle mention n'en est faite dans les mémoires des parties ou dans les sources qu'elles citent. Ni les avocats ni la Cour n'en ont fait état expressément ou non à l'audition du pourvoi.

[23] Deuxièmement, aux par. 93 et 94 de ses motifs, le juge Cromwell renvoie à l'expression « l'établissement où le prisonnier doit purger sa peine » figurant à l'art. 743.3 du Code. Il y voit un exemple de limitation du sens indiquant que, dans cette disposition, « peine d'emprisonnement » s'entend uniquement d'une peine de détention. Si, comme je le crois, cela est juste, on peut difficilement affirmer qu'à l'al. 732(1)b), les expressions « hors de la prison » et « sortie de prison » ne circonscrivent pas les termes « emprisonnement » ou « peine d'emprisonnement » exactement de la même manière. Il s'ensuit, sur le fondement même de l'hypothèse de mon collègue, que le législateur a circonscrit le sens du mot « emprisonnement » employé au par. 732(1) pour qu'il s'entende clairement de la seule peine de détention.

[24] Troisièmement, la distinction proposée est totalement théorique dans le cadre du présent pourvoi, la question à trancher étant celle de savoir si une peine avec sursis constitue un « emprisonnement » au sens du par. 732(1) du Code criminel. Le juge Cromwell convient que la peine avec sursis ne peut être purgée de façon discontinue. Il conclut néanmoins que le terme « emprisonnement » employé au par. 732(1) renvoie tant à la peine de détention qu'à la peine avec sursis. Il invoque à l'appui la distinction qu'il met de l'avant entre la peine d'emprisonnement et la manière dont elle est purgée. Or, cette distinction n'explique en rien pourquoi l'« emprisonnement » au sens du par. 732(1) — qui vise la peine de détention, la seule pouvant être purgée de façon discontinue — renvoie à la peine de détention et à la peine avec sursis.

[25] Enfin, il appert de son libellé et de sa nature mêmes que cette disposition permet — et régit — l'infliction de peines de détention, qui seules peuvent être purgées de façon discontinue. C'est ce qui ressort non seulement de l'emploi du mot « prison » au par. 732(1), mais aussi des versions française et anglaise du par. 732(2) interprétées harmonieusement.

[26] Le paragraphe 732(2) dispose :

(2) À la condition d'en informer au préalable le poursuivant, le délinquant qui purge une peine à exécution discontinue peut demander au tribunal qui a infligé la peine de lui permettre de la purger de façon continue.

(2) An offender who is ordered to serve a sentence of imprisonment intermittently may, on giving notice to the prosecutor, apply to the court that imposed the sentence to allow it to be served on consecutive days.

[27] Comme on le voit, le terme « peine à exécution discontinue » employé dans la version française correspond en anglais à « sentence of imprisonment ». L'interprétation des deux versions considérées de pair révèle clairement, au vu des termes qui y sont employés et de l'objectif législatif qui le sous‑tend, que le par. 732(2) ne vise que les peines de détention. Le législateur ne saurait avoir voulu que le délinquant purgeant une peine avec sursis puisse choisir de le faire de façon discontinue ou continue.

[28] Avec égards, je suis donc d'avis d'écarter la distinction mise de l'avant par le juge Cromwell et de plutôt trancher la question en litige sur le fondement de l'interprétation textuelle, contextuelle et téléologique à laquelle je me livre dans les présents motifs. Pareille interprétation du par. 732(1) est davantage compatible avec les principes correctionnels et de détermination de la peine en fonction desquels le législateur a établi, d'une part, la peine discontinue et, d'autre part, la peine avec sursis.

IV

[29] J'examine maintenant l'art. 139 de la LSCMLSC sous l'angle de son objet et du contexte de l'espèce. Il figure à la partie II de la Loi intitulée « Mise en liberté sous condition, maintien en incarcération et surveillance de longue durée ». Aucune de ces mesures ne touche de quelque façon la peine avec sursis. Le délinquant condamné à une peine avec sursis n'a pas droit à la libération conditionnelle (Proulx, par. 42). Il n'est pas non plus « incarcéré » ou soumis à une « surveillance de longue durée » au sens de la LSCMLSC.

[30] En outre, lorsqu'il a été condamné aux peines avec sursis, l'appelant était une « personne qui, en application de l'article 732 du Code criminel, purge[ait] une peine de façon discontinue ». Or, le paragraphe 99(1) de la LSCMLSC prévoit qu'une telle personne n'est pas un « délinquant » pour l'application de la partie II de la Loi, où se trouve bien sûr le par. 139(1). Ce seul élément montre bien, selon moi, que le par. 139 de la LSCMLSC n'étaye aucunement la thèse de l'appelant.

[31] On pourrait penser que le par. 99(1) ne s'applique pas au par. 139(1) parce que celui‑ci renvoie à l'« individu », et non au « délinquant », qui purge une peine. Au paragraphe 99(1), toutefois, l'« individu » purgeant une peine est un « délinquant »; c'est là le sens du mot « délinquant ». Cela ressort de l'emploi du mot « délinquant » aux par. 120.2(1), 130(3.2) et 130(3.3) de la LSCMLSC pour renvoyer à l'« individu » auquel s'applique le par. 139(1). Mentionnons aussi que, dans sa version anglaise, l'art. 732 du Code criminel emploie indifféremment les mots « offender » (« délinquant ») et « person » (« individu »).

[32] Abstraction faite du caractère limitatif de la définition du mot « délinquant », l'interprétation téléologique du par. 139(1) milite aussi contre son application dans la présente affaire. Lors de l'examen de l'actuel par. 139(1) par le Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles, le directeur général des Affaires correctionnelles du ministère du Solliciteur général du Canada a bien expliqué l'objet de la disposition :

L'expression « calcul de la peine » n'est pas tout à fait juste. Il s'agit de la manière dont nous calculons la date d'admissibilité à la libération conditionnelle plutôt que les peines comme telles. Ce calcul s'est avéré nécessaire en raison des multiples sentences dont peut être frappé un délinquant, à la fois concurrentes et consécutives.

. . .

Pour régler le problème de la complexité des peines et du calcul des dates d'admissibilité qui permettent d'appliquer les sentences de manière rationnelle, on en est arrivé à fusionner les peines afin d'établir une série unique de dates d'admissibilité pour toute la période d'incarcération, sans égard au nombre de peines à purger. À cette fin, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit la fusion de toutes les peines en une seule période d'incarcération.

(Délibérations du comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles, fascicule no 68, 1re sess., 35e lég., 30 novembre 1995, p. 68:4 et 68:6 (je souligne))

[33] À cet égard, on peut également considérer l'arrêt R. c. Carrignan (2003), 172 C.C.C. (3d) 1 (C.A. Ont.), où, après s'être penchée sur l'objet et l'historique législatif de l'art. 139 de la LSCMLSC et des dispositions qu'il a remplacées, la juge Cronk (avec l'accord du juge Catzman) a conclu :

[traduction] L'historique législatif de l'art. 139 de la LSCMLSC confirme donc la prétention de l'amicus curiae en l'espèce, à savoir que le mécanisme de la fusion des peines visait à faciliter leur calcul aux fins de leur administration. Comme l'a fait valoir le solliciteur général en fonction en 1995, l'objectif n'était pas de changer le « calcul des peines consécutives et concurrentes à purger ». [par. 36]

Puis, elle a ajouté :

À mon sens, l'effet combiné des par. 139(1) et (2) de la LSCMLSC en liaison avec les peines consécutives est de totaliser, aux fins de l'admissibilité à la libération conditionnelle, les périodes d'emprisonnement correspondant à toutes les peines consécutives, de sorte que l'admissibilité à la libération conditionnelle soit déterminée en fonction de la durée totale des peines fusionnées. L'intention sous‑jacente à ces dispositions et leur portée tendent vers ce résultat, et non vers la réalisation d'un objectif plus large. [par. 49]

(Je souligne dans les deux paragraphes.)

[34] En somme, le législateur a adopté l'art. 139 pour simplifier le calcul de la durée des peines de détention multiples afin de faciliter l'application du régime de libération conditionnelle et de réduction légale de peine. Interprété de la sorte, le par. 139(1) ne s'applique pas à la peine avec sursis purgée dans la collectivité qui — comme l'a conclu la Cour dans l'arrêt Proulx — « n'ouvre droit à aucune réduction de peine par voie de libération conditionnelle » (par. 42).

[35] Le juge Cromwell signale au par. 103 de ses motifs que « les parties ne sont pas en désaccord quant à l'incidence de cette disposition, et leurs plaidoiries supposent son application à la peine avec sursis ». Or, ni l'appelant ni l'intimée n'ont jamais invoqué l'art. 139 dans l'argumentation orale ou écrite qu'ils ont présentée à la Cour. Ils se sont plutôt attachés à la question de savoir si une peine avec sursis constitue un « emprisonnement » au sens du par. 732(1). L'appelant a fait valoir que tel est le cas, et l'intimée a soutenu le contraire. Comme je l'ai déjà clairement exprimé, je fais mienne la thèse de l'intimée et, à mon sens, cela suffit pour statuer sur le pourvoi.

V

[36] Dans la présente affaire, le juge du procès a infligé la peine discontinue peu avant les peines avec sursis. La Cour d'appel a statué que les trois étaient parfaitement légales, mais que l'appelant devait néanmoins, en raison du par. 732(3), purger la première de manière continue, et non de façon discontinue comme l'avait ordonné le juge du procès.

[37] Voici le texte du par. 732(3) :

(3) Lorsque le tribunal inflige une peine d'emprisonnement au délinquant purgeant déjà une peine discontinue pour une autre infraction, la partie non purgée de cette peine est, sous réserve d'une ordonnance du tribunal au contraire, purgée de façon continue.

[38] Le juge Cromwell estime que la Cour d'appel a eu tort de conclure qu'il n'y avait pas eu d'« ordonnance du tribunal au contraire » au sens de cette disposition. Non seulement les peines discontinues et avec sursis ont été prononcées par le même juge, le même jour, dans un énoncé unique des motifs, mais le juge du procès a également signifié sans équivoque son intention que la peine discontinue soit purgée de façon discontinue malgré les peines avec sursis infligées pour les autres infractions. Les motifs du juge constitueraient donc une « ordonnance du tribunal au contraire » au sens du par. 732(3) si ce dernier s'appliquait en droit à la peine avec sursis.

[39] Je conviens avec le ministère public qu'il ne s'y applique pas. Il ressort de l'interprétation téléologique et contextuelle du terme « peine d'emprisonnement » employé au par. 732(3) que la peine avec sursis n'est pas du tout visée. Dans la décision R. c. Vajdl, 2004 MBQB 167, 186 Man. R. (2d) 149, le juge Sinclair a fait observer ce qui suit au par. 11 :

[traduction] De toute évidence, le législateur a voulu que la peine discontinue ne soit pas transformée en peine continue dès l'infliction d'une peine avec sursis. L'objectif tant de la peine discontinue que de la peine avec sursis est de permettre à l'accusé de purger sa peine le plus possible dans la collectivité.

En résumé, la peine avec sursis n'est pas un « emprisonnement » aux fins des par. 732(1), (2) et (3).

[40] Sur le plan des principes, je conviens avec le juge Cromwell que l'issue du pourvoi ne doit aucunement dépendre de l'ordre dans lequel les peines ont été prononcées. Mais cela n'aide guère l'appelant, selon qui une peine discontinue de 90 jours peut être rendue illégale par l'infliction, à la toute fin de son exécution, d'une autre peine (avec sursis ou non) de plus d'un jour d'emprisonnement. La peine discontinue, légale au départ et définitive à toutes fins que de droit (n'ayant jamais été annulée en appel) serait alors presque entièrement purgée, mais invalidée néanmoins rétroactivement par une peine subséquente infligée pour une autre infraction. Si on arrivait au même résultat en infligeant des peines dans un ordre différent, les conséquences seraient aussi absurdes, contrairement au « principe bien établi en matière d'interprétation législative [selon lequel] le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 27).

VI

[41] Enfin, j'examine brièvement les quatre arrêts auxquels se réfère le juge Cromwell pour affirmer que « c'est la durée totale des peines qui régit l'admissibilité à l'exécution discontinue » (par. 76) (R. c. Fletcher (1982), 2 C.C.C. (3d) 221 (C.A. Ont.); R. c. Aubin, [1992] J.Q. no 239 (QL) (C.A.); R. c. McLeod, [1993] Y.J. No. 17 (QL) (C.A.); R. c. Drost (1996), 172 R.N.‑B. (2e) 67 (C.A.)).

[42] Premièrement, ces arrêts ne portent pas du tout sur la question dont nous sommes saisis en l'espèce : aucun ne statue qu'une peine discontinue de 90 jours est rendue illégale par une peine avec sursis infligée en même temps ou subséquemment, quelle qu'en soit la durée. Ces quatre arrêts, contrairement au présent pourvoi, ont trait à des peines de détention consécutives dont la durée totale excède la limite de 90 jours fixée pour l'exécution discontinue au par. 732(1) ou par les dispositions qu'il a remplacées. Aucun ne renvoie à la définition limitative du mot « délinquant » au par. 99(1) de la LSCMLSC ou à celle figurant dans les lois antérieures. Ainsi, par exemple, l'art. 2 de la Loi sur la libération conditionnelle, L.R.C. 1985, ch. P‑2, définissait le « détenu » (le « délinquant » de la partie II de la LSCMLSC) comme un individu purgeant une autre peine qu'une peine discontinue. Bien que dans les quatre cas le tribunal s'appuie sur le par. 139(1) ou les dispositions qu'il a remplacées pour annuler des peines de détention consécutives de plus de 90 jours purgées de façon discontinue, l'interprétation téléologique et raisonnée du par. 732(1) du Code criminel rendait par ailleurs ce résultat inéluctable.

[43] Telle est l'interprétation que je préconise en l'espèce. Elle est parfaitement compatible avec les conclusions tirées dans ces quatre arrêts ainsi que dans les trois autres cités par mon collègue le juge Cromwell au par. 76 de ses motifs (R. c. Frechette, 2001 MBCA 66, 154 C.C.C. (3d) 191; R. c. Squibb, 2006 NLCA 9, 253 Nfld. & P.E.I.R. 285; R. c. Robert, 2007 QCCA 515, [2007] J.Q. no 2821 (QL)). Dans aucune de ces décisions le tribunal n'a statué qu'une peine avec sursis est un emprisonnement au sens de l'art. 732 du Code criminel. En outre, les propos que je tiens en l'espèce n'ont pas du tout pour effet d'infirmer quelque décision citée par mon collègue au sens de la déclarer non fondée. J'estime que le tribunal est arrivé au bon résultat dans les sept cas.

[44] Je vais expliquer plus loin pourquoi il en est ainsi de l'arrêt Fletcher et de ceux qui l'ont suivi. Par analogie, la même chose vaut pour Frechette, Squibb et Robert : la juxtaposition de peines avec sursis dont la durée totale est égale ou supérieure à deux ans transforme effectivement une peine d'emprisonnement dans un pénitencier en une série de peines purgées dans la collectivité. Une interprétation téléologique de l'art. 742.1 du Code criminel fait obstacle à une telle issue : voir l'arrêt Proulx, par. 55. Il me paraît donc peu étonnant que depuis Frechette, Squibb et Robert, la Cour d'appel de l'Alberta soit arrivée à la même conclusion à l'issue d'une interprétation téléologique de l'art. 742.1 — en se demandant expressément [traduction] « si l'art. 139 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition peut être invoqué pour déterminer le droit au sursis d'exécution, comme on l'a laissé entendre dans Frechette » (R. c. Lyver, 2007 ABCA 369, 229 C.C.C. (3d) 535, par. 11).

[45] Dans l'arrêt Fletcher et ceux rendus dans sa foulée, le résultat aurait été identique même en l'absence d'une disposition équivalente à l'art. 139 de la LSCMLSC, car l'infliction d'une série de peines discontinues dépassant la limite de 90 jours fixée par le législateur contrecarre précisément l'objet du par. 732(1) et fait fi des principes correctionnels qui le sous‑tendent. La peine discontinue établit un équilibre législatif entre la fonction de réprobation et de dissuasion du temps réellement passé en prison et celle de la réadaptation qui se traduit par la préservation de l'emploi du délinquant, de ses liens familiaux, ainsi que de ses obligations envers sa famille et la collectivité.

[46] Cet équilibre ne peut être maintenu indéfiniment. Le législateur a donc fixé la limite à 90 jours. Au‑delà de cette limite raisonnable, la peine discontinue perd sa raison d'être : le « saut en prison » périodique devient indûment punitif sur le plan de la dissuasion et inefficace comme mesure de réadaptation et de correction censée se substituer à la peine d'emprisonnement purgée de façon continue.

[47] Par contre, aucune partie ne laisse entendre que la combinaison d'une peine discontinue et d'une peine avec sursis — même lorsque leur durée totale dépasse 90 jours — est également discutable au regard de quelque principe correctionnel ou incompatible avec les principes de détermination de la peine établis par le législateur dans les dispositions pertinentes du Code criminel.

[48] Au contraire, on reconnaît qu'en l'espèce, leur combinaison répondait à la fois aux objectifs de la peine discontinue et à ceux de la peine avec sursis. Cette judicieuse combinaison concilie les avantages respectifs de la peine avec sursis et de la peine discontinue sur le plan correctionnel tout en respectant le texte et l'esprit des dispositions du Code criminel qui prévoient leur infliction : R. c. Power (2003), 176 C.C.C. (3d) 209 (C.A. Ont.).

[49] Dans l'arrêt Power, l'accusé avait été condamné à une peine discontinue de 90 jours pour une infraction et à une peine consécutive de 18 mois avec sursis pour une autre, le tout devant être suivi d'une période de probation. Les deux peines ont été confirmées en appel. Après examen de leurs objectifs distincts et de leur effet combiné, le juge Doherty (avec l'accord des juges Rosenberg et Armstrong) a conclu que les peines étaient appropriées et il a qualifié de [traduction] « minutieux et judicieux » les motifs du juge du procès s'y rapportant (par. 12).

[50] Cet arrêt ne porte pas expressément sur la légalité de la peine discontinue confirmée dans cette affaire, ce qui lui confère peu de valeur jurisprudentielle sur ce point. Or, le tribunal d'appel devant lequel une peine est contestée est toujours saisi de la question de la légalité de la sanction. La cour qui statue qu'une peine est convenable en confirme tacitement la légalité.

[51] Dans la présente espèce, comme dans l'affaire Power, [traduction] « le juge du procès a conclu, fort opportunément, que malgré les aspects positifs de la moralité de l'intimé et de ses antécédents, la dissuasion et la réprobation commandaient une période d'incarcération » pour au moins une des infractions (par. 12). Toujours comme dans Power, après avoir tout bien soupesé, il a ordonné que la peine de détention soit purgée de façon discontinue.

[52] Avec égards, la conclusion à laquelle le juge Cromwell arrive dans ses motifs est incompatible avec les objectifs qu'avait en l'espèce le juge du procès lorsqu'il a déterminé la peine et elle restreint indûment le pouvoir discrétionnaire du juge du procès en général de façonner une peine aussi appropriée et mûrement réfléchie.

[53] Je conclus en insistant sur le fait que la peine avec sursis et la peine discontinue ont des points en commun, mais des objectifs distincts. J'ai déjà fait état des objectifs de la peine discontinue sur le plan correctionnel et celui de la détermination de la peine. En ce qui concerne la peine avec sursis, je cite simplement le passage suivant de l'arrêt Proulx (par. 41) :

L'emprisonnement avec sursis peut s'avérer une peine aussi sévère, voire plus sévère que l'emprisonnement comme tel, particulièrement dans les cas où le délinquant est tenu d'assumer la responsabilité de ses actes et de réparer les torts qu'il a causés à la victime et à la collectivité, tout en vivant au sein de celle‑ci et en étant assujetti à des mesures de contrôle serrées.

La présente affaire montre comment des peines discontinues et avec sursis peuvent être combinées pour tirer davantage de leurs objectifs complémentaires, et ce, en toute conformité avec leur cadre législatif respectif.

VII

[54] Pour tous ces motifs, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de confirmer les peines infligées par le juge du procès.

Version française des motifs rendus par

[55] Le juge Binnie — La seule question à trancher dans le présent pourvoi est celle de savoir si le juge du procès pouvait légalement infliger à l'appelant une peine de 90 jours d'emprisonnement devant être purgée de façon discontinue et des peines concurrentes de 18 mois avec sursis. Sans m'immiscer dans le débat qui oppose mes collègues les juges Fish et Cromwell au sujet de la portée et de l'application de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, et d'autres questions connexes, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi pour un simple motif, exposé ci‑après, et de confirmer la légalité de la peine discontinue infligée par le juge du procès.

[56] La possibilité d'infliger une peine discontinue est déterminée au par. 732(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, qui dispose en partie :

732. (1) Le tribunal qui [. . .] condamne [le délinquant] à un emprisonnement maximal de quatre‑vingt‑dix jours [. . .] peut, compte tenu de l'âge et de la réputation du délinquant [. . .] et de la disponibilité d'un établissement adéquat pour purger la peine, ordonner :

a) que la peine soit purgée de façon discontinue aux moments prévus par l'ordonnance;

b) au délinquant de se conformer aux conditions prévues [. . .] pendant toute période où il purge sa peine . . .

[57] Je conviens avec le juge Cromwell qu'il ressort du libellé du Code criminel et de la jurisprudence de notre Cour que la peine d'emprisonnement avec sursis est généralement considérée comme une peine d'« emprisonnement », de sorte que, de prime abord, elle est visée par le texte initial du par. 732(1). Il s'agit d'un emprisonnement sans incarcération. Ce paragraphe offre cependant un cadre exceptionnel, car son application suppose au préalable, selon moi, que l'« emprisonnement » qui y est prévu soit susceptible d'être purgé de façon discontinue. Or, par nature, la peine avec sursis ne se prête pas à l'exécution discontinue. À première vue, le par. 732(1) paraît donc inapplicable aux peines avec sursis en l'espèce.

[58] Pour surmonter la difficulté, mon collègue le juge Cromwell distingue entre l'emploi, dans la partie introductive de la disposition, du terme « emprisonnement », qui englobe selon lui la peine avec sursis, et l'emploi subséquent du mot « peine », qu'il associe à un mode différent de purger la peine d'emprisonnement — à savoir l'exécution discontinue plutôt que continue. Je préfère m'en tenir à une interprétation plus simple du par. 732(1). J'estime que la peine d'« emprisonnement » mentionnée au début de la disposition est la même « peine » que celle dont il est question par la suite, notamment aux al. a) et b). Si, comme je le crois, le mot « peine » employé subséquemment n'englobe pas la peine avec sursis parce que celle‑ci ne peut être purgée de façon discontinue, il ne l'englobe pas non plus dans la partie introductive. La peine avec sursis n'est donc pas visée au par. 732(1), de sorte qu'il n'y a pas lieu d'y interpréter le même terme (« peine ») différemment. Sur les plans textuel et contextuel, la disposition ne s'applique simplement pas à la peine avec sursis.

[59] Partant, la question de savoir si les trois peines considérées en l'espèce « fusionnent » pour former une seule peine d'emprisonnement de 90 jours ou moins ne se pose pas. Il ne pouvait y avoir de fusion, car les peines avec sursis ne faisaient pas partie du cadre de référence du par. 732(1) et n'emportaient pas l'application de la limitation prévue. Aucune question en litige n'exige de notre Cour qu'elle se prononce sur le fondement de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. La peine discontinue de 90 jours d'emprisonnement infligée par le juge du procès était légale.

[60] Pour ce seul motif, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de confirmer les peines infligées à l'issue du procès.

Version française des motifs rendus par

Le juge Cromwell (dissident en partie) —

1. Introduction et questions en litige

[61] Le présent pourvoi porte sur l'interprétation des dispositions du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, relatives à la discontinuité de la peine. Nous sommes appelés à décider si les termes « emprisonnement » et « peine d'emprisonnement » employés au par. 732(1) du Code englobent la peine d'emprisonnement avec sursis. Suivant le Code criminel et la jurisprudence de la Cour, la peine avec sursis constitue une peine d'emprisonnement. Conclure en ce sens respecte le sens ordinaire et grammatical des termes employés dans la disposition. En tout respect pour l'avis contraire, aucun élément du contexte ou du cadre législatif applicable ne donne à penser que ces termes devraient avoir un autre sens.

[62] Lors d'une même audience, l'appelant, M. Middleton, a été condamné à deux formes particulières d'emprisonnement afin qu'il puisse continuer de travailler et de subvenir aux besoins de sa fille. Il a été condamné à une peine de 90 jours d'emprisonnement devant être purgée de façon discontinue les fins de semaine, ainsi qu'à deux peines de 18 mois d'emprisonnement avec sursis devant être purgées concurremment dans la collectivité. Il a également fait l'objet d'une ordonnance de probation, qui n'est pas visée par le présent litige. La peine soulève deux questions.

[63] La première est celle de savoir si une peine discontinue pouvait être infligée. Le Code confère au tribunal le pouvoir d'ordonner qu'une peine d'emprisonnement soit purgée de façon discontinue — la fin de semaine, par exemple — plutôt que de façon continue, mais seulement lorsque la peine est d'au plus 90 jours. Il faut décider si les peines concurrentes de 18 mois d'emprisonnement avec sursis infligées par le juge constituent des peines d'emprisonnement. Les parties conviennent que si tel est le cas, une peine discontinue ne pouvait être imposée en l'espèce, car ajoutée aux peines avec sursis, la peine d'emprisonnement dépassait 90 jours.

[64] La deuxième question résulte de l'infliction de la peine discontinue avant les peines avec sursis concurrentes. Le Code prévoit que lorsque le tribunal inflige une peine d'emprisonnement au délinquant purgeant déjà une peine discontinue, la partie non purgée de cette peine est, sous réserve d'une ordonnance du tribunal au contraire, purgée de façon continue (et non discontinue). C'est l'effet de cette disposition qui est en litige. La peine discontinue doit‑elle être purgée de façon continue parce que, lorsqu'il a infligé une peine d'emprisonnement à un délinquant qui purgeait alors déjà une peine discontinue, le juge n'a pas expressément rendu d'ordonnance au contraire?

[65] La Cour d'appel de l'Ontario a conclu qu'une peine discontinue pouvait être imposée en l'espèce, mais que le Code prescrivait qu'elle soit purgée de façon continue parce que le juge n'avait pas expressément rendu d'ordonnance au contraire (2007 ONCA 538, 227 O.A.C. 59). L'appelant conteste la première conclusion, et tant l'appelant que l'intimée contestent la deuxième.

[66] En toute déférence, je ne suis d'accord avec aucune des conclusions de la Cour d'appel. J'estime que le juge ne pouvait pas imposer une peine discontinue en l'espèce, car les peines de 18 mois avec sursis infligées par ailleurs constituent des peines d'emprisonnement. Le juge a donc infligé une peine d'emprisonnement de plus de 90 jours, et le Code dispose que la peine ne peut alors être purgée de façon discontinue. Quant à la deuxième question, j'estime que le juge chargé de la détermination de la peine a ordonné que la peine discontinue (à supposer qu'elle soit légale) continue d'être purgée de façon discontinue. Lors d'une même audience, il a infligé une peine discontinue et, presque du même souffle, d'autres périodes d'emprisonnement. Dans ces circonstances, on doit considérer qu'il a ordonné que la première peine soit purgée de façon discontinue.

[67] Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi.

2. Aperçu des faits

[68] Le juge du procès était aux prises avec un grand dilemme. Il a pensé qu'une peine d'emprisonnement purgée de façon discontinue était un élément de solution. Il a déclaré le délinquant, M. Middleton, coupable de plusieurs actes de violence familiale perpétrés lors de deux incidents (2006 CarswellOnt 9387). D'abord, en septembre 2004, l'appelant s'était livré à des voies de fait sur sa conjointe, également mère de sa fillette, lui infligeant alors une fracture de la clavicule. Puis, en février 2005, il avait proféré des menaces et braqué une arme à plombs. Le juge a voulu à juste titre réprouver et décourager ce type de brutalité insensée, ainsi que protéger la victime et la société en général. Il s'est aussi soucié des conséquences financières de l'incarcération de M. Middleton sur la fille. Il voulait éviter que la peine ne prive l'enfant des aliments accordés par le tribunal et que son père pouvait lui assurer grâce à son emploi bien rémunéré.

[69] Soucieux de concilier ces objectifs concurrents, le juge a infligé, pour les voies de fait, une peine de 90 jours d'emprisonnement devant être purgée de façon discontinue et, pour les menaces et le braquage d'une arme, des peines de 18 mois d'emprisonnement avec sursis devant être purgées concurremment, ce à quoi s'ajoutait une période de probation de trois ans. Selon le juge, ces sanctions répondaient à la nécessité d'infliger à M. Middleton [traduction] « un emprisonnement véritable » tout en lui permettant « de conserver son emploi et de continuer à subvenir aux besoins de sa fille conformément à l'ordonnance de la cour » (2006 CarswellOnt 9388, par. 6‑7).

3. Analyse

A. Une peine discontinue pouvait‑elle être imposée?

(i) Mise en contexte

[70] Une distinction s'impose pour comprendre les subtilités techniques du présent pourvoi. La question de savoir si, en droit, une peine donnée constitue une « peine d'emprisonnement » diffère de celle de savoir comment cette « peine d'emprisonnement » doit être purgée. En somme, il faut distinguer entre la nature de la peine et ses modalités d'exécution. Bien que ce soit généralement le cas, l'exécution d'une peine d'emprisonnement n'entraîne pas toujours l'incarcération du délinquant. Le Code criminel et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (« LSCMLSC »), prévoient qu'une peine d'emprisonnement peut être purgée de diverses manières. Peu importe son mode d'exécution, une peine d'emprisonnement demeure une peine d'emprisonnement. C'est là l'élément essentiel. Contrairement à ce que laisse entendre mon collègue le juge Fish, cette distinction n'est pas incompatible avec le principe dégagé dans l'arrêt R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61, et selon lequel la durée de la peine ne doit pas être déterminée indépendamment du lieu de son exécution. Dans cet arrêt, la Cour reconnaît plutôt la distinction entre la nature juridique de la peine — l'emprisonnement — et l'ordonnance relative à son mode d'exécution.

[71] L'exécution discontinue et l'exécution avec sursis sont deux des différentes façons dont une peine d'emprisonnement peut, suivant le Code, être purgée sans que le délinquant ne soit détenu de manière ininterrompue. Le paragraphe 732(1) du Code criminel permet au tribunal d'ordonner qu'une peine d'emprisonnement soit purgée de façon discontinue plutôt que continue. Il ressort de son libellé que l'exécution discontinue fait partie des modes d'exécution possibles d'une peine d'emprisonnement : « Le tribunal qui [. . .] condamne [le délinquant] à un emprisonnement [. . .] peut [. . .] ordonner que la peine soit purgée de façon discontinue . . . ». Le tribunal ne peut infliger une peine discontinue que lorsqu'il « condamne à un emprisonnement », et la discontinuité correspond alors au mode d'exécution de la peine d'emprisonnement. De même, la peine d'emprisonnement avec sursis est une peine d'emprisonnement qui doit être purgée dans la collectivité. C'est ce qui ressort du texte de l'art. 742.1 du Code : « . . . le tribunal peut ordonner à toute personne qui [. . .] a été condamnée à un emprisonnement de moins de deux ans de purger sa peine dans la collectivité . . . ». Une peine avec sursis est une peine d'emprisonnement dont le tribunal ordonne l'exécution dans la collectivité.

[72] La LSCMLSC prévoit notamment la libération conditionnelle et la libération d'office lorsque le délinquant peut purger sa peine sans être détenu. Ainsi, par exemple, le par. 127(1) dispose que « l'individu condamné [. . .] au pénitencier a le droit d'être mis en liberté à la date fixée conformément au présent article et de le demeurer jusqu'à l'expiration légale de sa peine ». Autrement dit, la Loi prescrit la façon dont la peine d'emprisonnement est purgée et elle prévoit que l'exécution de la peine se poursuit pendant que le délinquant est en liberté. De même, suivant le par. 128(1), le délinquant « qui bénéficie d'une libération conditionnelle ou d'office ou d'une permission de sortir sans escorte continue, tant qu'il a le droit d'être en liberté, de purger sa peine d'emprisonnement jusqu'à l'expiration légale de celle‑ci ». On le voit encore, la Loi prescrit le mode d'exécution de la peine d'emprisonnement et précise que le délinquant condamné à une peine d'emprisonnement continue de la purger lorsqu'il est en liberté.

[73] Pour bien interpréter la disposition en cause dans le présent pourvoi, à savoir l'art. 732 du Code criminel, il importe de saisir cette distinction entre la nature de la peine et son mode d'exécution. Voici le texte de l'al. 732(1)a) :

732. (1) Le tribunal qui déclare le délinquant coupable d'une infraction et le condamne à un emprisonnement maximal de quatre‑vingt‑dix jours pour défaut de paiement d'une amende ou pour un autre motif, peut, compte tenu de l'âge et de la réputation du délinquant, de la nature de l'infraction, des circonstances dans lesquelles elle a été commise et de la disponibilité d'un établissement adéquat pour purger la peine, ordonner :

a) que la peine soit purgée de façon discontinue aux moments prévus par l'ordonnance;

[74] La nature de la peine est mentionnée au début : la disposition ne s'applique que lorsque « [l]e tribunal [. . .] condamne à un emprisonnement maximal de quatre‑vingt‑dix jours ». Ce libellé initial ne distingue pas entre les différentes façons dont la peine peut être purgée. Il s'attache plutôt à la durée de l'« emprisonnement » ordonné.

[75] Rappelons que le juge du procès a infligé des peines concurrentes de 18 mois d'emprisonnement avec sursis ainsi qu'une peine de 90 jours d'emprisonnement à purger de façon discontinue. La question est de savoir si le par. 732(1) permet de combiner une peine discontinue et une peine avec sursis lorsque leur durée totale dépasse 90 jours.

[76] Avant de passer à l'interprétation de la disposition applicable, il convient de signaler que les thèses respectives des parties devant notre Cour reposent sur une prémisse commune et non contestée. Si les peines avec sursis infligées en l'espèce sont des peines d'emprisonnement, elles s'ajoutent à la peine discontinue de 90 jours pour n'en former qu'une seule dont la durée dépasse évidemment 90 jours. L'appelant signale au par. 36 de son mémoire que [traduction] « [l]a jurisprudence relative à la détermination de la peine et au par. 732(1), y compris la disposition qu'il a remplacée, établit depuis longtemps que deux peines discontinues distinctes ne peuvent être rendues consécutives l'une à l'autre lorsque leur durée totale dépasse le maximum de 90 jours prévu dans le Code. » Les décisions de cours d'appel qu'il cite à l'appui touchent à l'interprétation du par. 14(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, ch. P‑2, et les dispositions qui l'ont remplacé (aujourd'hui, l'art. 139 de la LSCMLSC) : R. c. Fletcher (1982), 2 C.C.C. (3d) 221 (Ont.); R. c. Aubin, [1992] J.Q. no 239 (QL); R. c. McLeod, [1993] Y.J. No. 17 (QL); R. c. Drost (1996), 172 R.N.‑B. (2e) 67. Lorsque, comme dans ces affaires, le délinquant assujetti à une peine d'emprisonnement est condamné à une peine d'emprisonnement supplémentaire, c'est la durée totale des peines qui régit l'admissibilité à l'exécution discontinue. Dans son mémoire, le ministère public ne conteste pas cette interprétation non plus que le bien‑fondé ou la pertinence de ces décisions. Je ne connais aucune décision qui soit incompatible avec la position des parties concernant l'application de l'art. 139 de la LSCMLSC dans ce contexte et je constate qu'au moins trois cours d'appel ont statué qu'il s'appliquait à la peine avec sursis (voir R. c. Frechette, 2001 MBCA 66, 154 C.C.C. (3d) 191; R. c. Squibb, 2006 NLCA 9, 253 Nfld. & P.E.I.R. 285; R. c. Robert, 2007 QCCA 515, [2007] J.Q. no 2821 (QL)). Je fais donc droit à la prémisse commune des parties. J'ajoute que l'incidence de l'art. 139 dans d'autres contextes n'a pas été plaidée, de sorte que nous n'avons pas à nous prononcer à ce sujet.

[77] Il appert de la prémisse qui sous‑tend l'argumentation des parties que si les peines de 18 mois avec sursis infligées par le juge en l'espèce constituent un emprisonnement au sens du par. 732(1), elles s'ajoutent à la peine de 90 jours d'emprisonnement, de sorte que, pour déterminer l'admissibilité à l'exécution discontinue prévue par le Code, l'emprisonnement dépasse au total 90 jours. Voilà pourquoi, du point de vue des parties, la légalité de la peine discontinue de 90 jours imposée en l'espèce tient uniquement à ce que l'« emprisonnement » visé à l'art. 732 du Code criminel englobe ou non la peine avec sursis.

(ii) La peine avec sursis constitue‑t‑elle une « peine d'emprisonnement »?

[78] La Cour a maintes fois rappelé sa formulation préférée du principe moderne d'interprétation des lois : [traduction] « . . . il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur » : Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 26, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21.

[79] Je me penche d'abord sur le sens ordinaire et grammatical du terme « emprisonnement » pour déterminer si, lorsqu'il est employé au par. 732(1) du Code, il s'entend de la peine d'emprisonnement avec sursis. À mon sens, le Code criminel établit — et la jurisprudence de la Cour confirme — que la peine d'emprisonnement avec sursis est bel et bien un emprisonnement.

[80] Le Code criminel assimile la peine avec sursis aux « Condamnations à l'emprisonnement avec sursis » : voir l'intertitre précédant l'art. 742. De plus, il prévoit qu'une peine d'emprisonnement avec sursis ne peut être infligée qu'à une personne « condamnée à un emprisonnement de moins de deux ans » (742.1). Le tribunal inflige une peine d'emprisonnement et il ordonne qu'elle soit purgée dans la collectivité. Le texte du Code renvoie au caractère suspensif de la peine — soit l'ordonnance que la peine d'emprisonnement soit purgée au sein de la collectivité — en liaison avec le mode d'exécution de la peine d'emprisonnement. Cette ordonnance ne change rien au fait que la peine infligée constitue, suivant l'article, un emprisonnement.

[81] Dans l'arrêt Proulx, la Cour a souligné l'importance du sens ordinaire et grammatical du terme « emprisonnement » employé à l'art. 742.1 et dans l'intertitre précédant l'art. 742 et elle a confirmé que la peine avec sursis constitue un emprisonnement, signalant ce qui suit au par. 29 :

Le sursis à l'emprisonnement est décrit dans le Code comme une peine d'emprisonnement. En effet, l'intertitre précédant l'art. 742 est « Condamnations à l'emprisonnement avec sursis ». En outre, aux termes de l'art. 742.1, le délinquant doit avoir été condamné à une peine d'emprisonnement de moins de deux ans avant que le tribunal puisse se demander si cette peine peut être purgée au sein de la collectivité, sous réserve de l'application de conditions appropriées.

De même, dans l'arrêt R. c. Wu, 2003 CSC 73, [2003] 3 R.C.S. 530, le juge Binnie invoque l'arrêt Proulx et relève que « [l]e sursis à l'emprisonnement est une peine d'emprisonnement, bien qu'elle soit purgée au sein de la collectivité. Il s'agit d'un emprisonnement sans incarcération » (par. 25).

[82] Le texte initial du par. 732(1) précise que le tribunal ne peut ordonner qu'une peine d'emprisonnement soit purgée de façon discontinue que dans le seul cas où il « condamne [le délinquant] à un emprisonnement maximal de quatre‑vingt‑dix jours ». Au vu de ce libellé du Code criminel, interprété par la Cour dans les arrêts Proulx et Wu, le sens ordinaire et grammatical du terme « emprisonnement » comprend la peine avec sursis. Se pose alors la question de savoir si le contexte global dans lequel il est employé apporte une restriction qui ne ressort pas du sens ordinaire et grammatical. Étant donné que le législateur considère expressément la peine avec sursis comme une peine d'emprisonnement, ce que confirme la jurisprudence de notre Cour, seuls des éléments contextuels décisifs pourraient faire en sorte qu'une peine avec sursis ne constitue pas une peine d'emprisonnement aux fins d'une disposition en particulier.

[83] Selon mon collègue le juge Fish, le libellé de l'art. 732 indique clairement que l'« emprisonnement » s'entend de l'incarcération, car l'al. 732(1)b) dispose que le « délinquant [doit] se conformer aux conditions prévues par l'ordonnance pendant toute période où il purge sa peine hors de la prison et [. . .] s'y conformer dès sa sortie de prison ». Or, il appert à mon avis de ce texte qu'il ne saurait en être ainsi. En toute déférence, l'emploi du mot « prison » à l'al. 732(1)b) n'a aucun rapport avec la question dont nous sommes saisis. Je m'explique.

[84] Une peine discontinue constitue un « emprisonnement » ou une « peine d'emprisonnement » que le délinquant purge en détention à certains moments déterminés plutôt que de façon continue. Le tribunal doit donc préciser les périodes où le délinquant sera incarcéré et celles où il ne le sera pas. Le mot « prison » est employé à l'al. 732(1)b) en liaison avec la façon dont la peine d'emprisonnement est purgée. Ce genre de précisions sur le mode d'exécution de la peine discontinue n'a pas de lien avec la question de savoir si une peine d'emprisonnement avec sursis constitue un emprisonnement aux fins de la partie initiale du par. 732(1).

[85] Assimiler la peine avec sursis à l'« emprisonnement » au sens de l'art. 732 ne permet pas d'ordonner que la peine avec sursis soit purgée de façon discontinue. Je l'ai déjà dit, l'ordonnance de discontinuité et l'ordonnance de sursis prévoient des modalités différentes d'exécution de la peine d'emprisonnement. Elles doivent être considérées comme des manières différentes de purger une peine d'emprisonnement. Aucune disposition du Code ne permet leur combinaison (et je ne peux voir aucune raison de les combiner).

[86] En ce qui concerne le contexte législatif général, le ministère public invoque à l'appui de sa thèse l'interprétation de l'al. 718.2e) par notre Cour dans l'arrêt Proulx. Suivant cet alinéa, le tribunal qui inflige une peine « [examine] toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances ». Dans cet arrêt, la Cour a statué que le terme « imprisonment » employé en anglais à l'al. 718.2e) devait renvoyer à l'incarcération réelle. Autrement dit, le terme « emprisonnement » sous‑entendu à l'al. 718.2e) renvoie à la manière dont la peine doit être purgée — soit en prison — plutôt qu'à la nature de la peine elle‑même — à savoir l'« emprisonnement ». Le ministère public soutient que la même interprétation devrait valoir pour l'art. 732. J'estime en toute déférence qu'il se méprend sur la nature de l'interprétation à laquelle s'est livrée notre Cour dans l'arrêt Proulx et qu'il fait abstraction de la distinction entre la nature d'une peine et son mode d'exécution.

[87] Dans l'affaire Proulx, la Cour était aux prises avec des versions française et anglaise de l'al. 718.2e) ayant également force de loi, dont une seule était logique dans le contexte, vu l'intention du législateur de réduire le taux d'incarcération au Canada. Si le terme « imprisonment » employé dans la version anglaise avait été interprété comme englobant l'ordonnance d'emprisonnement avec sursis portant que la peine doit être purgée dans la collectivité, le tribunal n'aurait pu avoir recours à l'ordonnance avec sursis pour atteindre cet objectif. Or, la version française de la disposition établissait clairement que tel n'était pas l'intention du législateur. Elle prévoyait « l'examen de toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances ». Bref, le conflit entre les deux versions officielles de la disposition législative, conjugué au fait qu'interpréter le terme « imprisonment » employé à l'al. 718.2e) comme incluant la peine avec sursis allait tout à fait à l'encontre de l'intention manifeste du législateur, indiquait clairement que ce terme devait s'entendre de la façon dont la peine d'emprisonnement devait être purgée, et non de toute peine d'emprisonnement, quel qu'en soit le mode d'exécution. Comme l'a expliqué le juge en chef Lamer :

L'emploi de l'expression « sanctions substitutives » dans le texte français de l'al. 718.2e) pour rendre l'expression « sanctions other than imprisonment » de la version anglaise emporte que cette disposition joue non seulement un rôle dans la décision de prononcer l'emprisonnement ou des mesures probatoires (première étape de l'analyse), mais également dans la décision de prononcer ou non une ordonnance de sursis à l'emprisonnement, puisque ces ordonnances sont clairement des « sanctions substitutives » à l'incarcération.

Il y a donc conflit entre les versions anglaise et française de l'al. 718.2e). Conformément à un principe d'interprétation bien établi, pour résoudre un conflit entre les deux versions officielles, il faut chercher à dégager le sens qui est commun aux deux versions : [renvois omis]. Par conséquent, il faut donner au mot « imprisonment » du texte anglais de l'al. 718.2e) le sens d'« incarceration » (« incarcération ») plutôt que son sens technique qui englobe à la fois l'idée d'incarcération et celle de « conditional sentence » (« condamnation à l'emprisonnement avec sursis »). Considéré sous cet éclairage, même dans sa version anglaise, l'al. 718.2e) joue clairement un rôle dans la décision du tribunal de prononcer le sursis à l'emprisonnement plutôt que l'incarcération. [par. 94-95]

[88] En résumé, c'est dans la version anglaise de l'al. 718.2e) que le terme « imprisonment » est mal employé s'il ne s'entend pas que de la façon dont la peine doit être purgée, ce qui ressort de la version française. On ne nous a signalé aucun conflit semblable entre les versions française et anglaise d'autres dispositions du Code où ce terme serait employé, et le ministère public reconnaît à juste titre qu'il n'y a pas de telle incompatibilité à l'art. 732.

[89] L'interprétation de l'art. 732 que préconise l'appelant et avec laquelle je suis d'accord est confirmée par l'al. 731(1)b) du Code, qui permet au tribunal non seulement de « condamner [le délinquant] à un emprisonnement maximal de deux ans », mais en outre, d'ordonner qu'il fasse l'objet d'une période de probation. Le ministère public admet qu'une période de probation peut s'ajouter à une condamnation avec sursis, et ce, parce que l'al. 731(1)b) autorise le prononcé d'une ordonnance de probation. (C'est sur le fondement de cette disposition que le juge pouvait en l'espèce ordonner qu'une période de probation s'applique dès l'expiration des peines avec sursis.) En conséquence, l'emprisonnement visé à l'al. 731(1)b) doit englober la peine avec sursis. Sinon (et malgré l'aveu du ministère public), le juge qui prononce la peine ne serait pas autorisé à faire suivre d'une période de probation l'expiration de la peine avec sursis.

[90] Si nous faisions droit à la prétention du ministère public dans le présent pourvoi, nous devrions statuer que la condamnation avec sursis est visée par l'expression « condamner à un emprisonnement » pour l'application de l'al. 731(1)b) (comme le concède le ministère public), mais qu'elle ne constitue pas un emprisonnement aux fins de la condamnation que prévoit la disposition qui suit immédiatement dans le Code, à savoir l'art. 732. Je ne vois pas pourquoi le législateur aurait voulu que des termes semblables comme « emprisonnement », « peine d'emprisonnement » et « condamner à un emprisonnement » aient des sens différents dans ces dispositions consécutives du Code offrant des options en matière de détermination de la peine. Le libellé employé dans ces deux dispositions est en effet très similaire : « . . . le tribunal peut [. . .] en plus [. . .] de le condamner à un emprisonnement maximal de deux ans . . . » (al. 731(1)b)) et « [l]e tribunal qui [. . .] le condamne à un emprisonnement maximal de quatre‑vingt‑dix jours . . . » (par. 732(1)).

[91] Le tribunal doit donner le même sens aux termes identiques employés dans une loi, sauf s'il y a lieu de croire que le législateur n'a pas voulu s'exprimer de manière uniforme. Comme l'a dit le juge Cory dans l'arrêt Thomson c. Canada (Sous‑ministre de l'Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385, p. 400 : « . . . à moins que le contexte ne s'y oppose clairement, un mot doit recevoir la même interprétation et avoir le même sens tout au long d'un texte législatif. » En ce qui concerne l'emploi de termes très semblables dans les articles consécutifs d'un même texte législatif, comme les art. 731 et 732 du Code, nous devrions conclure qu'ils ont le même sens, à moins que le contexte ne s'y oppose clairement, ce qui n'est pas le cas.

[92] Comme je l'ai laissé entendre, lorsque le législateur a voulu limiter le sens de termes comme « peine d'emprisonnement » ou « emprisonnement » pour exclure la peine avec sursis, il l'a fait au moyen d'un libellé qui rendait cette exclusion manifeste dans le contexte de la disposition en cause.

[93] L'article 743.3 en est un exemple. Il s'applique expressément aux seules personnes condamnées à purger une peine d'emprisonnement dans un établissement. Évidemment, il ne peut s'appliquer aux personnes qui purgent leur peine dans la collectivité. Il prévoit simplement que lorsqu'un délinquant est condamné à l'emprisonnement dans un établissement, la peine doit être purgée conformément aux dispositions et règles qui régissent l'établissement en cause :

743.3 Une peine d'emprisonnement est purgée conformément aux dispositions et règles qui régissent l'établissement où le prisonnier doit purger sa peine.

[94] Lorsque, comme dans cet article, le législateur précise le type d'« emprisonnement » en cause, on peut déduire qu'en l'absence d'une telle restriction, toute peine d'emprisonnement est visée. L'article 743.3 montre que lorsque le législateur a voulu limiter la portée générale d'un terme employé dans le Code, il l'a fait expressément.

[95] Il y a d'autres exemples dans le Code où le législateur a clairement indiqué que le terme « emprisonnement » ou « peine d'emprisonnement » ne s'entend que de l'incarcération. Aucun ne contredit l'interprétation de l'art. 732 que l'appelant préconise et avec laquelle je suis d'accord.

[96] Les paragraphes 719(4) et (5) sont un exemple. Ils parlent de « période d'emprisonnement » et portent sur la façon dont est purgée cette période en détention. Il n'y a aucune contradiction entre reconnaître que ces dispositions portent précisément sur la peine de détention, comme l'attestent les mentions « la date où la personne déclarée coupable est arrêtée et mise sous garde aux termes de la sentence » (par. 719(4)) ou « l'exécution du mandat d'incarcération » (par. 719(5)) et conclure qu'au par. 732(1), l'« emprisonnement » englobe la peine avec sursis.

[97] Le paragraphe 742.7(1) constitue un autre exemple de disposition où le terme « emprisonnement » ne peut inclure la peine avec sursis. Il distingue clairement entre la personne qui purge une peine d'emprisonnement dans la collectivité et celle qui est incarcérée. Il vise la situation de la personne qui fait l'objet d'une ordonnance de sursis (portant que la peine d'emprisonnement est purgée dans la collectivité) et celle de la personne qui est « emprisonnée ». L'alinéa 742.6(9)c) et le par. 742.7(2) établissent une distinction nette entre la peine d'emprisonnement purgée dans la collectivité et celle purgée en détention. Le paragraphe 742.7(4) distingue bien l'exécution de la peine dans la collectivité et son exécution en détention. En toute déférence, ces dispositions n'empêchent aucunement de conclure que le sursis constitue un mode d'exécution de la peine d'emprisonnement. Je le répète, bien que ce soit généralement le cas, la peine d'emprisonnement n'entraîne pas toujours l'incarcération.

[98] Le ministère public soutient qu'il convient d'interpréter différemment le terme « emprisonnement » à l'art. 732 afin d'accroître le pouvoir discrétionnaire du tribunal d'infliger une peine adaptée à chaque affaire dont il est saisi. Or, je ne puis tout simplement pas affirmer — comme il nous faudrait le faire si nous faisions droit à cette prétention — qu'une peine d'emprisonnement avec sursis ne constitue pas une peine d'emprisonnement.

[99] Il est évidemment souhaitable que le juge appelé à déterminer la peine puisse exercer son pouvoir discrétionnaire de concevoir la peine la plus appropriée au regard des circonstances de l'espèce. Cependant, ce pouvoir discrétionnaire est circonscrit par le texte du Code criminel et d'autres lois pertinentes. Le fait qu'une peine discontinue peut sembler convenir dans une affaire donnée ne permet pas au tribunal d'infliger une peine que le législateur n'a pas autorisée. Bref, nous devons respecter la volonté du législateur qu'une peine discontinue ne puisse être infligée que dans le cas d'un emprisonnement de 90 jours ou moins.

[100] Le ministère public invoque l'arrêt R. c. Power (2003), 176 C.C.C. (3d) 209 (C.A. Ont.), à l'appui de sa thèse selon laquelle le tribunal peut combiner une peine discontinue et une longue peine d'emprisonnement avec sursis. Or, la légalité de la peine n'était pas en cause dans cette affaire, et aucune des parties n'avait contesté la légalité de la combinaison des peines. La cour n'a donc pas examiné la question. Cette décision n'appuie pas l'interprétation préconisée par le ministère public.

[101] Je conclus donc ce qui suit. Premièrement, le texte du Code criminel et la jurisprudence de la Cour précisent que la peine d'emprisonnement avec sursis est un « emprisonnement ». Deuxièmement, lorsqu'il a voulu que le mot « emprisonnement » ou des termes équivalents excluent la peine avec sursis, le législateur a eu recours à un libellé en ce sens dans un contexte rendant son intention manifeste. Troisièmement, aucun élément textuel ou contextuel du par. 732(1) ne justifie un écart du sens ordinaire ou grammatical du terme « emprisonnement » qui y est employé.

[102] En l'espèce, le juge a infligé une peine d'emprisonnement de plus de 90 jours. Suivant le par. 732(1) du Code, il ne pouvait pas ordonner que 90 jours de la durée totale de cette peine soit purgée de façon discontinue. La peine discontinue était par conséquent illégale et doit être annulée.

B. L'article 139 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition

[103] Mon collègue le juge Fish estime que l'art. 139 de la LSCMLSC ne s'applique pas à la peine avec sursis. Il affirme au par. 7 de ses motifs que cette peine n'est pas visée par cette disposition puis, au par. 34, que « le par. 139(1) ne s'applique pas à la peine avec sursis purgée dans la collectivité ». Je le rappelle, les parties ne sont pas en désaccord quant à l'incidence de cette disposition, et leurs plaidoiries supposent son application à la peine avec sursis. Elles n'ont donc pas pu répondre à l'affirmation que les thèses qu'elles ont défendues devant la Cour s'appuyaient sur une prémisse erronée.

[104] En toute déférence, je ne vois aucune raison d'aller au‑delà de la prémisse qui sous‑tend l'argumentation des parties dans le présent pourvoi, à savoir que si une peine avec sursis constitue un emprisonnement au sens du par. 732(1) du Code, l'art. 139 de la LSCMLSC faisait obstacle à une peine discontinue en l'espèce.

C. À supposer qu'elle soit légale, la peine discontinue doit‑elle être purgée de façon continue?

[105] Bien qu'elle l'ait tenu pour valide, la Cour d'appel a conclu que la peine discontinue de 90 jours devait être purgée de façon continue conformément au par. 732(3). En toute déférence, je ne suis pas d'accord et mon collègue le juge Fish ne l'est pas non plus. Naturellement, vu ma conclusion que la peine était contraire à la loi, il n'est pas vraiment nécessaire de me pencher sur la question. Toutefois, comme elle a été dûment débattue, il me paraît utile de l'examiner.

[106] Le paragraphe 732(3) prévoit que « [l]orsque le tribunal inflige une peine d'emprisonnement au délinquant purgeant déjà une peine discontinue pour une autre infraction, la partie non purgée de cette peine est, sous réserve d'une ordonnance du tribunal au contraire, purgée de façon continue. » La Cour d'appel a statué que le par. 732(3) s'appliquait en l'espèce parce que, [traduction] « [a]u moment où le juge a infligé une peine d'emprisonnement [à savoir les peines avec sursis] [. . .] il avait déjà condamné [M. Middleton] à une peine discontinue. [. . .] Le paragraphe 732(3) fait en sorte que la partie non purgée de la peine discontinue [. . .] soit purgée de façon continue » (par. 21). En d'autres termes, la Cour d'appel a conclu que le par. 732(3) s'appliquait en raison de l'ordre dans lequel le juge avait infligé les peines. Il a d'abord infligé la peine discontinue pour une infraction, puis les peines avec sursis pour deux autres infractions. Ainsi, selon elle, lorsque le juge a infligé les peines avec sursis, M. Middleton était alors un délinquant « purgeant déjà une peine discontinue pour une autre infraction ». Le juge n'a pas expressément rendu d'ordonnance au contraire et, partant, le par. 732(3) a eu pour effet de transformer « la partie non purgée » de la peine discontinue infligée juste avant en une peine devant être purgée de façon continue.

[107] En toute déférence, pareille interprétation du par. 732(3) est problématique pour au moins trois raisons.

[108] Premièrement, elle confère des sens incompatibles aux termes « emprisonnement » ou « peine d'emprisonnement » employés à l'art. 732. La Cour d'appel a conclu à la légalité de la peine discontinue. Je le répète, il ne pouvait en être ainsi que si les peines avec sursis n'étaient pas des peines d'emprisonnement pour les besoins du par. 732(1). Or, la Cour d'appel a également estimé que le par. 732(3) s'appliquait en l'espèce, ce qui ne pouvait être le cas que si les peines avec sursis étaient des peines d'emprisonnement au sens du par. 732(3). Pour les motifs qui précèdent, pareille incohérence dans l'emploi de mêmes termes ne saurait être attribuée au législateur.

[109] Deuxièmement, l'interprétation de la Cour d'appel accorde trop d'importance à l'ordre dans lequel les peines sont infligées. Selon elle, le par. 732(3) n'aurait pas eu d'application si le juge avait infligé les peines dans un ordre différent, car M. Middleton n'aurait pas été assujetti à une peine discontinue au moment de l'infliction des peines avec sursis. Subordonner l'application du paragraphe en cause à la chronologie des nombreuses étapes possibles du processus de détermination de la peine équivaudrait à la rendre arbitraire et irréaliste. Nous devons nous garder de prêter une telle intention au législateur.

[110] Enfin, cette interprétation du par. 732(3) contrecarre l'intention manifeste du juge, dont l'intention très claire était que la peine de 90 jours d'emprisonnement soit purgée de façon discontinue. Cependant, comme il n'a pas expressément rendu d'ordonnance au contraire, la Cour d'appel a conclu que le par. 732(3) faisait échec à cette intention manifeste. Je ne suis pas d'accord. Je n'entends pas examiner toutes les variations auxquelles peut donner lieu la chronologie des peines, mais il me semble que lorsqu'un juge inflige légalement une peine discontinue ainsi qu'une autre peine d'emprisonnement lors d'une même audience de détermination de la peine, il faut considérer qu'il s'est fondé sur la partie finale du par. 732(3) — soit son pouvoir de rendre « une ordonnance [. . .] au contraire » — de sorte que la peine discontinue ne se transforme pas en une peine devant être purgée de façon continue. En d'autres termes, lorsque le juge qui détermine la peine inflige une peine discontinue puis, à la même audience, une autre peine d'emprisonnement pouvant légalement s'ajouter à la première, j'estime qu'il rend « une ordonnance [. . .] au contraire » et que la peine discontinue doit être purgée de façon discontinue.

[111] En l'espèce, le juge a tenté de concevoir une peine qui met en balance les objectifs de la réprobation, de la dissuasion et de la protection et le souci d'éviter à la fille de l'appelant un préjudice financier. Cette démarche traduisait clairement son intention que la peine discontinue, infligée en premier, soit purgée de façon discontinue. Si la peine discontinue ainsi imposée avait été valide, le par. 732(3) aurait fait échec à l'intention du juge d'infliger une peine qui, à son avis, permettait à l'appelant de conserver son emploi et de verser une pension alimentaire. À mon humble avis, c'est interpréter de façon trop formaliste l'expression « ordonnance du tribunal au contraire » employée au par. 732(3) que d'exiger du juge qu'il précise que telle est bien son intention que la peine discontinue soit purgée de manière discontinue.

D. Quelle peine notre Cour devrait‑elle substituer à la peine discontinue contraire à la loi?

[112] Bien que, à mon avis, la peine discontinue était contraire à la loi en l'espèce, les juges majoritaires de la Cour concluent à sa légalité. Il n'y a donc pas lieu de me pencher sur la question de savoir quelle peine légale il convient d'infliger.

4. Dispositif

[113] Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'annuler la peine discontinue de 90 jours d'emprisonnement en raison de son illégalité. Étant donné la conclusion contraire de la Cour, il est inutile que je me penche sur la peine qui aurait dû être infligée à la place.

Pourvoi accueilli, le juge Cromwell est dissident en partie.

Procureurs de l'appelant : Lafontaine & Associates, Toronto.

Procureur de l'intimée : Procureur général de l'Ontario, Toronto.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et les peines infligées par le juge du procès sont confirmées

Analyses

Droit criminel - Détermination de la peine - Peine discontinue - Peine avec sursis - Accusé reconnu coupable de voies de fait ayant causé des lésions corporelles, de menaces de mort et de braquage d'une arme à feu condamné à une peine de 90 jours d'emprisonnement à purger de façon discontinue et à deux peines concurrentes de 18 mois d'emprisonnement avec sursis à purger dans la collectivité, suivies d'une probation - L'infliction d'une peine avec sursis de plus de 90 jours rend‑elle la peine discontinue illégale? - La peine discontinue doit‑elle être purgée de façon continue? - La peine avec sursis constitue‑t‑elle un « emprisonnement » au sens de l'art. 732(1) du Code criminel? - Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 732(1), (3) - Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 139.

L'accusé a été condamné à une peine de 90 jours d'emprisonnement devant être purgée de façon discontinue pour la perpétration en septembre 2004 de voies de faits ayant causé des lésions corporelles. À la même audience, il a immédiatement après été condamné à deux peines concurrentes de 18 mois d'emprisonnement avec sursis pour menaces de mort et braquage d'une arme à feu en février 2005. Le juge du procès a aussi ordonné une probation d'une durée de trois ans. La Cour d'appel a statué que les peines avec sursis n'avaient pas rendu illégale la peine discontinue par application du par. 732(1) du Code criminel. Comme la peine discontinue avait précédé les peines avec sursis et qu'aucune ordonnance du tribunal au contraire n'avait été rendue, elle a également estimé que le par. 732(3) du Code commandait que l'accusé purge la peine de 90 jours de façon continue. Les autres éléments de la peine demeuraient inchangés.

Arrêt (le juge Cromwell est dissident en partie) : Le pourvoi est accueilli et les peines infligées par le juge du procès sont confirmées.

La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Charron et Rothstein : L'infliction d'une peine de plus de 90 jours d'emprisonnement avec sursis ne peut rendre illégale la partie non purgée d'une peine discontinue infligée au même délinquant pour une autre infraction. Il appert de l'emploi du mot « prison » au par. 732(1) que la disposition vise seulement la peine de détention. Par définition, la peine avec sursis est purgée dans la collectivité et non en prison. Conclure qu'elle constitue un emprisonnement au sens du par. 732(1) est donc incompatible non seulement avec l'interprétation téléologique et contextuelle de la disposition, mais aussi avec les termes expressément employés par le législateur pour permettre la discontinuité de la peine et les objectifs respectifs de la peine avec sursis et de la peine discontinue. Pareille conclusion est également incompatible avec les objectifs légitimes qu'avait en l'espèce le juge du procès lorsqu'il a déterminé la peine et elle restreint indûment le pouvoir discrétionnaire du juge du procès en général d'infliger une peine appropriée du même genre lorsqu'il estime qu'une peine de détention s'impose. En outre, le mot « emprisonnement » n'est pas toujours employé dans le même sens, toutes fins confondues, dans le Code criminel. Dans plusieurs cas, notamment à l'art. 732, « peine d'emprisonnement » et « période d'emprisonnement » supposent nécessairement l'incarcération de telle manière que la peine avec sursis ne saurait être visée. De même, l'interprétation harmonieuse des versions française et anglaise de l'art. 732 révèle clairement qu'il ne vise que la peine de détention. [6] [8] [10‑11] [14] [27]

La peine avec sursis n'est pas visée à l'art. 139 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, et celui‑ci ne s'applique pas à la peine discontinue. Cet article figure à la partie II de la Loi, qui ne s'applique pas à la peine avec sursis. En outre, le par. 99(1) de la Loi prévoit que la personne condamnée à une peine avec sursis alors qu'elle purge seulement une peine discontinue n'est pas un « délinquant » pour l'application de la partie II. L'interprétation téléologique du par. 139(1) milite aussi contre son application à la peine avec sursis. Le législateur a adopté l'art. 139 pour simplifier le calcul de la durée des peines de détention multiples afin de faciliter l'application du régime de libération conditionnelle et de réduction légale de peine, un objectif qui ne vaut pas pour la peine avec sursis. [7] [29‑34]

Même si le juge du procès a infligé la peine discontinue avant les peines avec sursis, sur le plan des principes, l'issue du pourvoi ne doit aucunement dépendre de l'ordre dans lequel les peines ont été prononcées. Le paragraphe 732(3) du Code n'exige pas que l'accusé purge sa peine discontinue de façon continue, car il ressort de l'interprétation téléologique et contextuelle du terme « peine d'emprisonnement » qui y est employé que la peine avec sursis n'est pas visée. [36] [39-40]

Bien que l'infliction d'une série de peines discontinues dépassant la limite de 90 jours soit contraire aux objectifs du par. 732(1) et de la discontinuité de la peine, la combinaison de peines discontinues et avec sursis peut répondre aux objectifs des deux sortes de sanction. La présente affaire montre comment des peines discontinues et avec sursis peuvent être combinées pour tirer davantage de leurs objectifs complémentaires. [45‑47] [53]

Le juge Binnie : Point n'est besoin de trancher la question de la portée et de l'application de l'art. 139 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Il est possible de statuer strictement sur la seule question en litige dans le pourvoi et il convient de le faire. La possibilité d'infliger une peine discontinue en l'espèce est déterminée au par. 732(1) du Code criminel, dont le libellé suppose qu'une peine visée par la disposition peut être purgée de façon discontinue. Même si la peine avec sursis constitue une peine d'emprisonnement sans incarcération, elle ne se prête pas à l'exécution discontinue. Ainsi, à première vue, le par. 732(1) ne s'applique pas aux peines avec sursis en l'espèce et il n'y fait pas obstacle. La peine d'« emprisonnement » mentionnée au début du par. 732(1) est la même « peine » que celle dont il est question ailleurs dans la disposition. Si le mot « peine » employé subséquemment n'englobe pas (parce que c'est impossible) la peine avec sursis, il ne l'englobe pas non plus dans la partie introductive. Il n'y a pas lieu d'y interpréter le même terme différemment. Sur les plans textuel et contextuel, le par. 732(1) ne s'applique pas à la peine avec sursis, de sorte que la question de savoir si les peines considérées en l'espèce fusionnent pour former une seule période d'emprisonnement ne se pose pas. La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ne s'applique donc pas. Les peines avec sursis infligées par le juge du procès étaient légales. [55-59]

Le juge Cromwell (dissident en partie) : La peine discontinue était illégale et devrait être annulée. Les parties conviennent que si une peine avec sursis constitue un « emprisonnement » au sens du par. 732(1), une peine discontinue ne pouvait être infligée en l'espèce, car l'art. 139 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition faisait en sorte que les peines infligées en l'espèce fusionnent pour former une seule période d'emprisonnement de plus de 90 jours. Le terme « emprisonnement » s'entend aussi de la peine avec sursis. Le pouvoir que confère le par. 732(1) d'ordonner qu'une peine d'emprisonnement soit purgée de façon discontinue ne vaut que pour une peine d'au plus 90 jours. Conformément à la prémisse qui sous-tend l'argumentation des parties, par application du par. 732(1) du Code criminel, la période de 90 jours comprise dans la peine fusionnée ne peut être purgée de façon discontinue. [61] [63] [76] [102-103]

La question de savoir si une peine donnée constitue une peine d'emprisonnement diffère de celle de savoir comment cette peine doit être purgée. Bien que ce soit généralement le cas, l'exécution d'une peine d'emprisonnement n'entraîne pas toujours l'incarcération du délinquant. La peine avec sursis est une peine d'emprisonnement dont le tribunal ordonne l'exécution dans la collectivité. Le mode d'exécution de la peine ne change rien au fait qu'il s'agit d'une peine d'emprisonnement. La distinction est importante pour l'interprétation du par. 732(1), qui ne s'applique que lorsque « [l]e tribunal [. . .] condamne à un emprisonnement maximal de quatre‑vingt‑dix jours ». Ce libellé correspond à la nature de la peine. Le Code criminel renvoie cependant au caractère suspensif de la peine — à savoir qu'elle soit purgée dans la collectivité — en liaison avec le mode d'exécution de la peine d'emprisonnement. Lorsqu'il veut que le mot « emprisonnement » ou des termes équivalents excluent la peine avec sursis, le législateur a recours à un libellé en ce sens dans un contexte rendant son intention manifeste, ce qui n'est pas le cas à l'art. 732. Aucun élément textuel ou contextuel du par. 732(1) ne justifie un écart du sens ordinaire ou grammatical du terme « emprisonnement » qui y est employé. [70-71] [73-74] [80] [101]

La Cour d'appel a conclu à tort non seulement que la peine discontinue était légale, mais aussi qu'elle devait être purgée de façon continue conformément au par. 732(3) du Code. Son interprétation du par. 732(3) confère des sens incompatibles aux termes « emprisonnement » ou « peine d'emprisonnement » employés à l'art. 732. Elle accorde également trop d'importance à l'ordre dans lequel les peines sont infligées. Subordonner l'application de la disposition à la chronologie des nombreuses étapes possibles du processus de détermination de la peine équivaut à la rendre arbitraire et irréaliste. Enfin, cette interprétation contrecarre l'intention manifeste du juge ayant fixé la peine. Lorsque, comme en l'espèce, le juge inflige une peine discontinue puis, à la même audience, une autre peine d'emprisonnement pouvant légalement s'ajouter à la première, on doit considérer qu'il rend « une ordonnance [. . .] au contraire » et que la peine discontinue doit être purgée de façon discontinue. [105] [108-110]


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Middleton

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Fish
Arrêts examinés : R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61
R. c. Fletcher (1982), 2 C.C.C. (3d) 221
R. c. Aubin, [1992] J.Q. no 239 (QL)
R. c. McLeod, [1993] Y.J. No. 17 (QL)
R. c. Drost (1996), 172 R.N.‑B. (2e) 67
R. c. Frechette, 2001 MBCA 66, 154 C.C.C. (3d) 191
R. c. Squibb, 2006 NLCA 9, 253 Nfld. & P.E.I.R. 285
R. c. Robert, 2007 QCCA 515, [2007] J.Q. no 2821 (QL)
R. c. Power (2003), 176 C.C.C. (3d) 209
arrêts mentionnés : Thomson c. Canada (Sous‑ministre de l'Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385
R. c. Carrignan (2003), 172 C.C.C. (3d) 1
R. c. Vajdl, 2004 MBQB 167, 186 Man. R. (2d) 149
Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27
R. c. Lyver, 2007 ABCA 369, 229 C.C.C. (3d) 535.
Citée par le juge Cromwell (dissident en partie)
R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61
R. c. Fletcher (1982), 2 C.C.C. (3d) 221
R. c. Aubin, [1992] J.Q. no 239 (QL)
R. c. McLeod, [1993] Y.J. No. 17 (QL)
R. c. Drost (1996), 172 R.N.‑B. (2e) 67
R. c. Frechette, 2001 MBCA 66, 154 C.C.C. (3d) 191
R. c. Squibb, 2006 NLCA 9, 253 Nfld. & P.E.I.R. 285
R. c. Robert, 2007 QCCA 515, [2007] J.Q. no 2821 (QL)
Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559
Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27
R. c. Wu, 2003 CSC 73, [2003] 3 R.C.S. 530
Thomson c. Canada (Sous‑ministre de l'Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385
R. c. Power (2003), 176 C.C.C. (3d) 209.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 718.2e), 719(4), (5), 731, 732, 742, 742.1, 742.6, 742.7, 743.3.
Loi sur la libération conditionnelle, L.R.C. 1985, ch. P‑2, art. 2 « détenu ».
Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, ch. P-2, art. 14(1).
Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 99(1) « délinquant », 120.2(1), 127(1), 128(1), 130(3.2), (3.3), 139.
Doctrine citée
Canada. Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles. Délibérations du comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles, fascicule no 68, 1re sess., 35e lég., 30 novembre 1995, p. 68:4, 68:6.

Proposition de citation de la décision: R. c. Middleton, 2009 CSC 21 (22 mai 2009)


Origine de la décision
Date de la décision : 22/05/2009
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2009 CSC 21 ?
Numéro d'affaire : 32138
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2009-05-22;2009.csc.21 ?
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