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14/05/2010 | CANADA | N°2010_CSC_18

Canada | R. c. Hurley, 2010 CSC 18 (14 mai 2010)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Hurley, 2010 CSC 18, [2010] 1 R.C.S. 637

Date : 20100514

Dossier : 33301

Entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante

et

Gordon Dwight Hurley

Intimé

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell

Motifs de jugement :

(par. 1 à 22)

Les juges Rothstein et Cromwell (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, Fish, Abella et Charron)

______________

________________

R. c. Hurley, 2010 CSC 18, [2010] 1 R.C.S. 637

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Gordon Dwight Hurley Intimé

Répertorié : R. ...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Hurley, 2010 CSC 18, [2010] 1 R.C.S. 637

Date : 20100514

Dossier : 33301

Entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante

et

Gordon Dwight Hurley

Intimé

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell

Motifs de jugement :

(par. 1 à 22)

Les juges Rothstein et Cromwell (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, Fish, Abella et Charron)

______________________________

R. c. Hurley, 2010 CSC 18, [2010] 1 R.C.S. 637

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Gordon Dwight Hurley Intimé

Répertorié : R. c. Hurley

2010 CSC 18

No du greffe : 33301.

2010 : 23 mars; 2010 : 14 mai.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.

en appel de la cour d’appel de la saskatchewan

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan (les juges Richards, Smith et Hunter), 2009 SKCA 86, 331 Sask. R. 105, 460 W.A.C. 105, 246 C.C.C. (3d) 469, [2009] 10 W.W.R. 217, [2009] S.J. No. 462 (QL), 2009 CarswellSask 500, qui a annulé la déclaration de culpabilité prononcée contre l’accusé pour meurtre au deuxième degré et ordonné la tenue d’un nouveau procès. Pourvoi rejeté.

Lane Wiegers, pour l’appelante.

Morris P. Bodnar, c.r., pour l’intimé.

Version française du jugement de la Cour rendu par

[1] Les juges Rothstein et Cromwell — Le ministère public interjette appel de plein droit relativement au caractère adéquat de la mise en garde de type Vetrovec faite par le juge du procès. Pour sa part, l’intimé sollicite, en vertu du par. 62(3) de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, ch. S‑26, et de l’art. 52 des Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002‑156, l’autorisation de produire des éléments de preuve supplémentaires. Sa requête a été entendue en même temps que l’appel, et l’affaire a été mise en délibéré. Pour les motifs qui suivent, nous sommes d’avis d’accepter les éléments de preuve supplémentaires et de rejeter l’appel.

[2] À l’issue d’un procès devant jury, Gordon Dwight Hurley a été déclaré coupable du meurtre au deuxième degré d’une jeune femme, Jarita Naistus. Le corps de Mme Naistus avait été découvert dans une chambre d’hôtel à Lloydminster, en Saskatchewan, le 2 octobre 2005. Le décès était attribuable à une asphyxie par strangulation et à un —dème cérébral causé par un traumatisme contondant. Selon la preuve du ministère public, au moins deux personnes s’étaient trouvées dans la chambre d’hôtel avec Mme Naistus la veille. M. Hurley était l’une de ces personnes : un reçu déchiré lui appartenant avait été découvert dans la cuvette des toilettes, l’ADN tiré d’un échantillon prélevé sous un ongle de Mme Naistus correspondait à celui de M. Hurley et du matériel biologique recueilli sur une débarbouillette trouvée près du corps de Mme Naistus provenait également de l’accusé.

[3] Dans son témoignage, M. Hurley a déclaré avoir rencontré Mme Naistus au bar de l’hôtel, avoir engagé la conversation avec elle et lui avoir payé un verre. Il voulait acheter de la cocaïne et, d’affirmer M. Hurley, Mme Naistus l’a invité à l’accompagner à sa chambre, d’où elle appellerait un ami qui livrerait la drogue. Toujours selon lui, une fois dans sa chambre, Mme Naistus a fait un appel pour trouver la cocaïne. À ce moment‑là, pris d’un malaise, M. Hurley a vomi dans les toilettes de la chambre d’hôtel. Il a témoigné avoir utilisé des serviettes pour essuyer ses mains ainsi que le dessus de la cuvette. Par la suite, lorsque Mme Naistus lui a appris que son ami ne voulait pas lui vendre de cocaïne, il a quitté la chambre d’hôtel. Selon M. Hurley, Mme Naistus était en état d’ébriété, mais vivante, à son départ.

[4] La présence de M. Hurley dans la chambre d’hôtel n’était pas contestée. La seule question consistait à déterminer s’il était le meurtrier de Mme Naistus. À cet égard, le témoignage de Darrel Niemi, un dénonciateur sous garde, était d’une importance capitale pour cet aspect de la thèse du ministère public. L’avocat du ministère public n’a pas essayé de minimiser l’importance du témoignage du dénonciateur pour la preuve circonstancielle qu’il avait présentée contre M. Hurley. Il a fait valoir aux jurés que, pour livrer un verdict de culpabilité, ils devaient conjuguer la preuve de l’occasion (fournie par la preuve génétique ou le témoignage de M. Hurley) au témoignage de M. Niemi. Selon le ministère public, considérée isolément, la preuve de l’occasion n’étayait que de simples soupçons (d.a., vol. 3, p. 418‑420).

[5] Le témoignage de M. Niemi portait sur des conversations qu’il affirmait avoir eues avec M. Hurley au sujet de ce que le premier avait estimé être le meurtre de Mme Naistus et, plus particulièrement, sur les prétendus commentaires de M. Hurley selon lesquels il aurait nettoyé la chambre d’hôtel afin de supprimer la preuve génétique de sa présence. Au procès, M. Hurley a témoigné et bien qu’il ait reconnu qu’il avait effectivement conversé en cellule avec M. Niemi et que certains éléments de la conversation relatée par ce dernier étaient exacts, il a nié avoir discuté avec lui d’ADN, d’empreintes digitales ou de surfaces essuyées.

[6] Le témoignage de M. Niemi était de toute évidence important pour la thèse du ministère public, mais il était également dangereux. Il existait en effet de sérieux motifs de mettre en doute la crédibilité de M. Niemi : ce dernier faisait lui‑même l’objet d’accusations, c’est la police qui l’avait approché, il savait qu’une récompense était offerte pour des renseignements au sujet du meurtre et, lorsque les policiers l’avaient approché la première fois, il n’avait fait aucune mention de ce qu’il aurait entendu.

[7] La preuve concernant les tentatives de nettoyage de la chambre était incontestablement importante pour la thèse du ministère public. Dans son exposé final, l’avocat du ministère public a déclaré au jury que les éléments dont disposait le tribunal démontraient [traduction] « clairement qu’on avait tenté de nettoyer la pièce » (d.a., vol. 3, p. 417). Ces éléments pouvaient être considérés comme une preuve indépendante tendant à appuyer le témoignage de M. Niemi au sujet de sa conversation avec M. Hurley. Ce témoignage étayait pour sa part la prétention du ministère public selon laquelle M. Hurley ne s’était pas simplement trouvé dans la chambre, mais était également le meurtrier. Par conséquent, tout élément susceptible de réfuter la thèse du nettoyage de la pièce tendait à affaiblir la preuve indépendante susceptible d’étayer la version de M. Niemi au sujet de sa conversation avec M. Hurley et, de ce fait, à affaiblir la preuve circonstancielle présentée par le ministère public.

[8] Le juge du procès a fait une mise en garde de type Vetrovec aux jurés; il leur a conseillé de faire montre d’une [traduction] « très grande prudence » avant d’accepter le témoignage de M. Niemi, étant donné que ce dernier avait admis avoir été condamné à deux reprises pour voies de fait et souffrir de pharmacodépendance. Le juge du procès a également prévenu les membres du jury qu’il était [traduction] « risqué » et « dangereux » d’ajouter foi au témoignage de M. Niemi, à moins qu’ils estiment qu’il était corroboré par d’autres éléments de preuve. Ces instructions indiquaient clairement au jury qu’il était dangereux d’accepter les paroles de M. Niemi sans autre preuve les appuyant. Cependant, les explications du juge du procès sur les motifs justifiant la prudence étaient incomplètes. Il n’a pas précisé au jury que la prudence s’imposait pour les autres raisons suivantes : M. Niemi était un dénonciateur sous garde; il faisait lui‑même l’objet d’accusations; il savait qu’une récompense était offerte pour des renseignements concernant le meurtre. Ces faits figuraient bien dans le résumé du témoignage de M. Niemi préparé par le juge du procès, mais jamais dans l’exposé au jury ces faits n’ont‑ils été rattachés à la nécessité pour les jurés de faire montre d’une très grande prudence à l’égard de ce témoignage.

[9] En ce qui concerne la preuve indépendante, le juge du procès a mentionné deux choses. Premièrement, il a souligné les éléments tendant à établir que M. Hurley s’était trouvé dans la chambre, quoique, a‑t‑il fait remarquer, M. Hurley ait admis ce fait. Deuxièmement, le juge du procès a mentionné que l’absence d’autres empreintes digitales ou preuves génétiques [traduction] « pourrait corroborer le témoignage de M. Niemi selon lequel l’accusé lui aurait confié avoir nettoyé la chambre ». Par conséquent, les éléments concernant le nettoyage de la chambre étaient essentiels à la preuve circonstancielle présentée contre M. Hurley, le ministère public ayant reconnu le caractère crucial du témoignage de M. Niemi pour sa thèse.

[10] M. Hurley a fait appel de sa déclaration de culpabilité, invoquant notamment le caractère inadéquat de la mise en garde de type Vetrovec faite par le juge du procès. La Cour d’appel (la juge Hunter étant dissidente) a accueilli l’appel, annulé la déclaration de culpabilité et ordonné la tenue d’un nouveau procès : 2009 SKCA 86, 246 C.C.C. (3d) 469. En résumé, la Cour d’appel a conclu que les explications du juge du procès concernant les raisons pour lesquelles le témoignage de M. Niemi commandait la prudence étaient insuffisantes, car elles ne faisaient pas état de certains motifs importants justifiant cette prudence, à savoir le fait que M. Niemi connaissait l’offre de récompense et que, à l’époque, il était détenu et sous le coup d’accusations.

[11] Le droit concernant les mises en garde de type Vetrovec a été exposé tout récemment dans les arrêts R. c. Khela, 2009 CSC 4, [2009] 1 R.C.S. 104, et R. c. Smith, 2009 CSC 5, [2009] 1 R.C.S. 146. Comme l’a souligné le juge Fish dans Khela, au par. 47 :

Une approche véritablement fonctionnelle [pour la révision en appel du caractère adéquat d’une mise en garde de type Vetrovec] doit prendre en compte le double objectif de la mise en garde de type Vetrovec : premièrement, éveiller l’attention du jury sur le danger de se fonder sur les dépositions de témoins douteux en l’absence de toute confirmation et expliquer pourquoi elles doivent être examinées de façon particulièrement rigoureuse; deuxièmement, si les circonstances le justifient, fournir aux jurés les outils nécessaires pour déterminer les éléments de preuve pouvant renforcer la crédibilité de ces témoins.

[12] Comme il a été souligné plus tôt, la mise en garde du juge du procès invitait effectivement le jury à faire montre d’une très grande prudence dans son appréciation du témoignage de M. Niemi et faisait état de certaines raisons justifiant une telle prudence. Cependant, le juge n’a pas averti les jurés qu’ils devaient se méfier de ce témoignage étant donné que M. Niemi pouvait avoir intérêt à mentir afin d’obtenir un quelconque avantage à l’égard de ses propres problèmes juridiques ou de recevoir la récompense. Comme l’a fait remarquer le juge Fish dans l’arrêt Smith, au par. 14 :

Pour évaluer le risque qu’il y a à accepter la déposition d’un témoin douteux, le jury doit comprendre les raisons d’un examen rigoureux (R. c. Sauvé (2004), 182 C.C.C. (3d) 321 (C.A. Ont.), par. 85). Pour ce faire, il doit être informé des caractéristiques du témoin qui soulèvent de sérieux doutes quant à sa crédibilité.

[13] Comme le montre le désaccord entre les juges majoritaires et la juge dissidente à cet égard en Cour d’appel, il est permis de se demander si l’omission susmentionnée dans les directives du juge était suffisamment grave, dans le contexte du procès en cause, pour justifier l’intervention d’une juridiction d’appel. Toutefois, nous sommes d’avis que les éléments de preuve supplémentaires établissent clairement la nécessité d’un nouveau procès.

[14] M. Hurley cherche à présenter des éléments de preuve supplémentaires provenant de nouvelles analyses criminalistiques et génétiques effectuées par la GRC à la demande du ministère public, après que la Cour d’appel eut ordonné la tenue d’un nouveau procès. Les critères bien connus qui s’appliquent à cette question ont été énoncés dans l’arrêt Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759, à la p. 775, puis confirmés dans R. c. Taillefer, 2003 CSC 70, [2003] 3 R.C.S. 307, au par. 74 :

(1) On ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès, à condition de ne pas appliquer ce principe général de manière aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles . . .

(2) La déposition doit être pertinente, en ce sens qu’elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès.

(3) La déposition doit être plausible, en ce sens qu’on puisse raisonnablement y ajouter foi, et

(4) elle doit être telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat.

[15] Les parties conviennent que les trois premières conditions sont respectées, mais elles ne s’entendent pas sur l’application du quatrième critère établi dans l’arrêt Palmer. La question est de savoir si on peut raisonnablement penser que, conjugués aux autres éléments produits au procès, les éléments de preuve supplémentaires auraient influé sur le résultat. Pour les motifs qui suivent, nous sommes d’avis que cette question doit recevoir une réponse affirmative.

[16] Les rapports produits devant notre Cour à la suite de la requête de l’intimé présentent de nouveaux éléments de preuve révélant la découverte, dans la chambre d’hôtel, de l’ADN de M. Hurley sur un cendrier, un filtre de cigarette trouvé dans la cuvette des toilettes et sur la capsule d’une bouteille de Bacardi Breezer. L’intimé a plaidé devant nous que, conjugués à la preuve de la présence de l’ADN d’une autre personne sur un mégot de cigarette se trouvant dans la bouteille de Bacardi Breezer, les éléments de preuve supplémentaires auraient pu influer sur l’issue du procès de trois façons. Ils auraient pu mener à la conclusion que M. Hurley n’était pas la dernière personne à s’être trouvée dans la chambre avec Mme Naistus. Ils auraient pu susciter des doutes quant au bien‑fondé de la thèse du ministère public voulant que la chambre ait été nettoyée ou qu’on ait tenté d’en supprimer toute empreinte digitale et génétique, situation qui aurait pu amoindrir la crédibilité de M. Niemi. Ils auraient également pu renforcer la crédibilité d’un des témoins civils qui a dit avoir vu Mme Naistus le soir de sa mort avec des personnes autres que M. Hurley.

[17] Comme nous estimons qu’un nouveau procès s’impose, nous ne commenterons la preuve que dans la mesure requise pour expliquer nos conclusions. À notre avis, s’ils avaient été soumis à l’appréciation d’un jury ayant reçu des directives adéquates, les nouveaux éléments de preuve auraient pu raisonnablement influer sur l’issue du procès. Le fait que l’ADN de M. Hurley ait été trouvé sur d’autres objets dans la pièce — le cendrier, le filtre de cigarette et la capsule de la bouteille — aurait pu semer le doute dans l’esprit du jury quant au bien‑fondé de la thèse du ministère public selon laquelle M. Hurley aurait nettoyé la chambre pour éviter qu’on y détecte des traces de sa présence. De plus, le quatrième critère établi dans l’arrêt Palmer exige l’examen des éléments de preuve supplémentaires à la lumière de ceux qui ont été produits au procès. En première instance, le ministère public a fait valoir que l’absence de preuve génétique tendait à appuyer la thèse selon laquelle M. Hurley avait nettoyé la pièce pour éviter qu’on y trouve des traces de sa présence. Cependant, il ne faut pas oublier qu’il était clair au procès que de l’ADN de M. Hurley avait été trouvé dans la chambre, par exemple sur une débarbouillette. Il était loisible au jury de penser que la découverte de cette preuve génétique n’était pas compatible avec la thèse du ministère public selon laquelle la chambre avait été nettoyée. Il s’ensuit que certains des éléments de preuve supplémentaires proposés — qui, s’ils étaient acceptés, révéleraient la découverte de l’ADN de M. Hurley ailleurs dans la chambre — pourraient raisonnablement être considérés comme ayant pour effet d’affaiblir la thèse du ministère public. Bien entendu, il s’agit là de questions de fait qu’il appartient au jury de décider. La seule question que notre Cour doit trancher est celle de savoir si on peut raisonnablement penser que, considérés avec le reste du dossier, les éléments de preuve supplémentaires auraient pu influer sur l’issue du procès.

[18] L’élément important est que l’effet de tout doute quant au bien‑fondé de la thèse du ministère public selon laquelle il y aurait eu tentative de nettoyer la chambre aurait pu se répercuter sur l’appréciation par le jury à la fois de la crédibilité de M. Niemi, dont le témoignage était étayé par la preuve de nettoyage, et de la crédibilité de M. Hurley, qui a nié avoir discuté d’ADN avec M. Niemi et avoir nettoyé de quelque façon la chambre, sauf pour nettoyer ses dégâts de vomissures. Comme nous l’avons souligné précédemment, le ministère public a effectivement concédé, dans son exposé final aux jurés, que ceux‑ci ne pouvaient déclarer M. Hurley coupable que s’ils acceptaient le témoignage de M. Niemi.

[19] Les éléments de preuve supplémentaires se rapportent directement aux instructions données au jury par le juge du procès, dans sa mise en garde de type Vetrovec, au sujet des éléments que ceux‑ci pouvaient considérer comme une preuve tendant à corroborer le témoignage de M. Niemi. Comme il a été expliqué dans Khela, il est nécessaire d’« indiquer au jury que, pour déterminer si le récit suspect est véridique, il doit chercher, à partir d’autres sources, des preuves tendant à établir que le témoin douteux dit la vérité quant à la culpabilité de l’accusé » (par. 37). Ainsi que nous l’avons souligné précédemment, le juge du procès a attiré l’attention du jury tant sur la présence de preuve génétique établissant la présence de M. Hurley dans la chambre, que sur l’absence de tels éléments de preuve. Il a donné des directives expresses au jury sur la possibilité de considérer l’absence d’une telle preuve comme un élément corroborant le témoignage de M. Niemi sur la conversation qu’il aurait eue en cellule avec M. Hurley :

[traduction] Vous pourriez considérer que l’ADN trouvé sur les lieux du crime, sur la serviette [sic] et sous les ongles de la victime, tend à démontrer la présence de l’accusé dans la chambre, mais ce dernier a admis s’y être trouvé. Cependant, cet élément de preuve pourrait contribuer à vous convaincre que le rapport fait par M. Niemi des confidences de l’accusé prouve les actes de ce dernier dans la chambre 114. Deuxièmement, l’absence d’autres empreintes digitales ou preuves génétiques sur les lieux du crime pourrait corroborer le témoignage de M. Niemi selon lequel l’accusé lui aurait confié avoir nettoyé la chambre. Toutefois, vous avez également entendu d’autres arguments expliquant pourquoi il se peut que certains objets, comme les bouteilles, n’offrent pas de preuve génétique. De plus, la défense fait valoir que d’autres matières d’origine humaine, tels des cheveux, ont été trouvées et auraient dû être analysées puisqu’elles auraient pu fournir des profils génétiques.

(d.a., vol. 3, p. 445‑446 (nous soulignons))

[20] Tout comme la preuve concernant l’absence de preuves génétiques sur les lieux du crime a pu étayer le témoignage de M. Niemi, on peut raisonnablement considérer que les éléments de preuve supplémentaires révélant la découverte de l’ADN de M. Hurley sur trois autres objets dans la chambre auraient pu affaiblir, dans l’esprit du jury, la valeur du témoignage de M. Niemi et, de ce fait, influer sur l’aspect pertinent de la mise en garde de type Vetrovec. Nous concluons que les éléments de preuve supplémentaires (soit la découverte de l’ADN de M. Hurley sur trois autres objets dans la chambre) peuvent raisonnablement donner à penser que, avec les autres éléments de preuve produits au procès, ils auraient influé sur le résultat.

[21] Qu’on estime ou non, au regard du dossier dont disposait la Cour d’appel, que celle‑ci aurait dû intervenir vu l’omission du juge du procès de mentionner aux jurés certaines raisons importantes justifiant qu’ils fassent montre de prudence à l’égard du témoignage de M. Niemi, l’exposé du juge encourageait par ailleurs le jury à s’appuyer sur la preuve relative au nettoyage. Or, eu égard aux éléments de preuve supplémentaires, il semble que cette preuve ne soit pas aussi solide qu’elle paraissait l’être au procès. Ce facteur, comme nous l’avons signalé, a un rapport direct et significatif avec l’appréciation par le jury d’un témoin essentiel du ministère public.

[22] Nous sommes d’avis d’accepter les éléments de preuve supplémentaires, de rejeter l’appel et de confirmer la décision de la Cour d’appel ordonnant la tenue d’un nouveau procès.

Pourvoi rejeté.

Procureur de l’appelante : Procureur général de la Saskatchewan, Regina.

Procureurs de l’intimé : Bodnar & Campbell, Saskatoon.


Sens de l'arrêt : Les éléments de preuve supplémentaires sont acceptés, et le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Exposé au jury - Caractère adéquat de la mise en garde de type Vetrovec - Dénonciateur sous garde ayant témoigné sur un aspect capital de la thèse de meurtre plaidée par le ministère public contre l’accusé - Directives du juge du procès aux jurés leur conseillant de faire montre d’une très grande prudence avant d’accepter la déposition du témoin vu les condamnations antérieures de ce dernier et la pharmacodépendance dont il souffrait et les prévenant qu’il était « risqué » et « dangereux » d’ajouter foi à son témoignage, à moins qu’il ne soit corroboré par d’autres éléments de preuve - Mise en garde ne précisant pas au jury que le témoin était un dénonciateur sous garde qui faisait l’objet d’accusations et savait qu’une récompense était offerte pour des renseignements concernant le meurtre - Accusé déclaré coupable de meurtre au deuxième degré - La mise en garde de type Vetrovec faite par le juge du procès était‑elle adéquate?.

Droit criminel - Preuve - Nouvel élément de preuve - Accusé sollicitant l’autorisation de produire des éléments de preuve supplémentaires devant la Cour suprême du Canada - Éléments de preuve supplémentaires provenant de nouvelles analyses criminalistiques et génétiques effectuées par la police après que la Cour d’appel eut annulé la déclaration de culpabilité de l’accusé et ordonné la tenue d’un nouveau procès - Convient‑il d’accepter les éléments de preuve supplémentaires? - Peut‑on raisonnablement penser que, conjugués aux autres éléments produits au procès, les éléments de preuve supplémentaires auraient influé sur le résultat?.

L’accusé a été inculpé de meurtre au deuxième degré et a subi un procès devant jury. Selon la preuve du ministère public, au moins deux personnes s’étaient trouvées dans la chambre d’hôtel avec la victime, et l’accusé était incontestablement l’une de ces personnes. Le témoignage d’un dénonciateur sous garde, N, était d’une importance capitale pour la thèse du ministère public. N a témoigné que l’accusé lui aurait confié avoir nettoyé la chambre d’hôtel afin de supprimer la preuve génétique de sa présence. L’accusé a reconnu qu’il avait effectivement conversé avec N, mais il a nié avoir discuté avec lui d’ADN, d’empreintes digitales ou de surfaces essuyées. Le juge du procès a conseillé aux jurés de faire montre d’une « très grande prudence » avant d’accepter le témoignage de N, étant donné que ce dernier avait admis avoir des condamnations antérieures et souffrir de pharmacodépendance, et les a également prévenus qu’il était « risqué » et « dangereux » d’ajouter foi au témoignage de N, à moins qu’ils estiment qu’il était corroboré par d’autres éléments de preuve. Cependant, il n’a pas précisé au jury que la prudence s’imposait parce que N était un dénonciateur sous garde, qu’il faisait lui‑même l’objet d’accusations ou qu’il savait qu’une récompense était offerte pour des renseignements concernant le meurtre. L’accusé a été déclaré coupable, mais les juges majoritaires de la Cour d’appel ont annulé la déclaration de culpabilité et ordonné la tenue d’un nouveau procès au motif que la mise en garde de type Vetrovec faite par le juge du procès était inadéquate. Le ministère public a ensuite procédé à d’autres analyses criminalistiques et génétiques qui ont mené à des rapports selon lesquels d’autres traces de l’ADN de l’accusé avaient été découvertes dans la chambre d’hôtel. Le ministère public a interjeté appel de plein droit devant la Cour, et l’accusé a sollicité l’autorisation de présenter ces éléments de preuve supplémentaires.

Arrêt : Les éléments de preuve supplémentaires sont acceptés, et le pourvoi est rejeté.

Pour évaluer le risque qu’il y a à accepter la déposition d’un témoin douteux, le jury doit comprendre les raisons d’un examen rigoureux. Il doit être informé des caractéristiques du témoin qui soulèvent de sérieux doutes quant à sa crédibilité. Le juge du procès n’a pas averti les jurés qu’ils devaient se méfier du témoignage de N étant donné que ce dernier pouvait avoir intérêt à mentir afin d’obtenir un quelconque avantage à l’égard de ses propres problèmes juridiques ou de recevoir la récompense. Il était permis de se demander si l’omission susmentionnée dans les directives du juge était suffisamment grave, dans le contexte du procès en cause, pour justifier l’intervention d’une juridiction d’appel, mais les éléments de preuve supplémentaires établissent clairement la nécessité d’un nouveau procès. Ces éléments respectent les critères pertinents justifiant leur acceptation; tout particulièrement, ils peuvent raisonnablement donner à penser que, avec les autres éléments de preuve produits au procès, ils auraient influé sur le résultat. Le ministère public a effectivement concédé, dans son exposé final aux jurés, que ceux‑ci ne pouvaient déclarer l’accusé coupable que s’ils acceptaient le témoignage de N. L’effet des éléments de preuve supplémentaires révélant la découverte de l’ADN de l’accusé sur trois autres objets dans la chambre aurait pu se répercuter non seulement sur l’appréciation par le jury de la crédibilité de N, dont le témoignage était étayé par la preuve de nettoyage, mais également sur la partie de la mise en garde de type Vetrovec faite par le juge du procès où ce dernier a donné au jury des directives expresses sur la possibilité de considérer l’absence d’une preuve génétique dans la chambre comme un élément corroborant le témoignage de N sur la conversation qu’il aurait eue en cellule avec l’accusé.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Hurley

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés : R. c. Khela, 2009 CSC 4, [2009] 1 R.C.S. 104
R. c. Smith, 2009 CSC 5, [2009] 1 R.C.S. 146
Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759
R. c. Taillefer, 2003 CSC 70, [2003] 3 R.C.S. 307.
Lois et règlements cités
Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, ch. S‑26, art. 62(3).
Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002‑156, art. 52.

Proposition de citation de la décision: R. c. Hurley, 2010 CSC 18 (14 mai 2010)


Origine de la décision
Date de la décision : 14/05/2010
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2010 CSC 18 ?
Numéro d'affaire : 33301
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2010-05-14;2010.csc.18 ?
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