La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/05/2011 | CANADA | N°2011_CSC_27

Canada | Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27 (26 mai 2011)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc.,

2011 CSC 27, [2011] 2 R.C.S. 387

Date : 20110526

Dossier : 33459

Entre :

Masterpiece Inc.

Appelante

et

Alavida Lifestyles Inc.

Intimée

- et -

International Trademark Association

Intervenante

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Fish, Charron, Rothstein et Cromwell

Motifs de jugement :

(par. 1 à 114)

Le juge Rothstein (avec l’ac

cord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Fish, Charron et Cromwell)

Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, [2011] 2 R.C.S....

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc.,

2011 CSC 27, [2011] 2 R.C.S. 387

Date : 20110526

Dossier : 33459

Entre :

Masterpiece Inc.

Appelante

et

Alavida Lifestyles Inc.

Intimée

- et -

International Trademark Association

Intervenante

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Fish, Charron, Rothstein et Cromwell

Motifs de jugement :

(par. 1 à 114)

Le juge Rothstein (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Fish, Charron et Cromwell)

Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, [2011] 2 R.C.S. 387

Masterpiece Inc. Appelante

c.

Alavida Lifestyles Inc. Intimée

et

International Trademark Association Intervenante

Répertorié : Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc.

2011 CSC 27

No du greffe : 33459.

2010 : 8 décembre; 2011 : 26 mai.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Fish, Charron, Rothstein et Cromwell.

en appel de la cour d’appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Sexton, Layden‑Stevenson et Trudel), 2009 CAF 290, [2010] 4 R.C.F. 243, 397 N.R. 180, 78 C.P.R. (4th) 243, 312 D.L.R. (4th) 532, [2009] A.C.F. no 1263 (QL), 2009 CarswellNat 5263, qui a confirmé une décision du juge O’Reilly, 2008 CF 1412, 338 F.T.R. 168, 72 C.P.R. (4th) 160, [2008] A.C.F. no 1826 (QL), 2008 CarswellNat 4970. Pourvoi accueilli.

W. Clarke Hunter, c.r., Kelly Gill et Brandon Potter, pour l’appelante.

Scott Miller, Sharon Griffin et Heather Gallant, pour l’intimée.

Daniel R. Bereskin, c.r., et Mark L. Robbins, pour l’intervenante.

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge Rothstein —

I. Introduction

[1] Au Canada, les marques de commerce sont un outil très utile aux consommateurs et aux entreprises. Ainsi, toute entreprise appose une marque sur les marchandises ou les services qu’elle vend afin d’en indiquer la provenance, ce qui permet aux consommateurs d’en connaître l’origine. Les marques de commerce font donc en quelque sorte « office de raccourci qui dirige les consommateurs vers leur objectif », comme l’a dit le juge Binnie dans Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772, par. 21. Dans les cas où les marques de commerce de différentes entreprises sont similaires, le consommateur peut ne pas savoir quelle société offre les marchandises ou les services qui l’intéressent. La confusion entre les marques de commerce nuit à l’objectif qui consiste à fournir aux consommateurs une indication fiable de l’origine des marchandises ou des services. La présente affaire donne à la Cour l’occasion d’examiner la façon fondamentale d’aborder la question de savoir si des marques de commerce concurrentes créent de la confusion (l’« analyse relative à la confusion ») ainsi que les critères qu’il convient d’appliquer à cet égard selon la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (« Loi »).

[2] La question en litige en l’espèce est de savoir si la marque de commerce « Masterpiece Living », projetée, puis enregistrée par la société Alavida Lifestyles Inc. (« Alavida »), qui fait ses débuts dans le secteur des résidences pour personnes âgées en Ontario, créait de la confusion avec les marques de commerce ou le nom commercial non enregistrés qu’une autre société, Masterpiece Inc., employait déjà dans le même secteur en Alberta.

[3] Masterpiece Inc. prétend qu’à la date à laquelle Alavida a produit sa demande d’enregistrement auprès de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (la « demande d’Alavida »), soit le 1er décembre 2005, la marque de commerce de cette dernière créait de la confusion avec son nom commercial et ses marques de commerce, qu’elle employait déjà, et que pour cette raison, cette demande était irrecevable. Elle fait donc valoir que l’enregistrement de la marque d’Alavida est invalide et qu’il doit être biffé.

[4] Déboutée en Cour fédérale (2008 CF 1412 (CanLII)) et en Cour d’appel fédérale (2009 CAF 290, [2010] 4 R.C.F. 423), Masterpiece Inc. se pourvoit à présent devant notre Cour.

[5] À mon avis, le juge de première instance et la Cour d’appel fédérale (« Cour d’appel ») n’ont pas interprété et appliqué correctement le critère qui sert à décider s’il y a confusion. En effet, une interprétation et une application correctes de ce critère m’amènent à conclure qu’à la date du dépôt de la demande d’Alavida, la marque de commerce projetée « Masterpiece Living » créait de la confusion avec au moins l’une des marques de commerce de Masterpiece Inc., et qu’Alavida n’avait donc pas le droit de la faire enregistrer. Comme j’ai conclu qu’il y avait confusion entre l’une des marques de commerce de Masterpiece Inc. et la marque d’Alavida, il n’est pas nécessaire de se demander si les autres marques de commerce et le nom commercial de Masterpiece Inc., d’une part, et la marque d’Alavida, d’autre part, créent de la confusion. Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi et d’ordonner au registraire des marques de commerce de radier du registre des marques de commerce l’enregistrement d’Alavida.

[6] Je tiens à préciser que la présente décision ne traite que de la radiation de l’enregistrement de la marque de commerce « Masterpiece Living » d’Alavida, et qu’il revient au registraire de décider, sur demande de Masterpiece Inc., si cette dernière peut faire enregistrer une marque de commerce qui comprend le mot « Masterpiece ».

II. Les faits

[7] Masterpiece Inc. et Alavida font toutes les deux des affaires dans le secteur des résidences pour personnes âgées. Avant décembre 2005, Masterpiece Inc. se servait de plusieurs marques de commerce qui comprenaient le mot « Masterpiece », ainsi que de son nom commercial, « Masterpiece Inc. ». Pour sa part, Alavida a commencé à faire des affaires vers la fin de 2005, époque à laquelle elle a demandé l’enregistrement de la marque de commerce « Masterpiece Living » afin de commercialiser ses services.

[8] Masterpiece Inc. a été constituée en société en 2001. Entre 2001 et 2005, elle a construit deux résidences pour personnes âgées en Alberta en vue de leur exploitation et entrepris la construction d’une troisième résidence. Au cours de cette période, elle a employé sa dénomination sociale, Masterpiece Inc., en tant que nom commercial dans des documents tels des prospectus, des contrats et des publicités.

[9] À la même époque, Masterpiece Inc. employait plusieurs marques de commerce non enregistrées qui comprenaient le mot « Masterpiece », dont « Masterpiece the Art of Living », « Masterpiece, the Art of Retirement Living » et le mot « Masterpiece » inscrit sous forme stylisée et accompagné d’un logo sous forme de papillon. Elle employait aussi d’autres marques, dont la marque de commerce « Club Sierra », dans ses publicités.

[10] Alavida, une filiale d’Ashcroft Homes Inc., a été constituée en société le 4 août 2005. Elle a demandé l’enregistrement de la marque de commerce « Masterpiece Living » le 1er décembre 2005 parce qu’elle en projetait l’emploi. La marque a été enregistrée sans opposition le 23 mars 2007. Depuis janvier 2006, Alavida emploie la marque de commerce « Masterpiece Living ».

[11] Peu de temps après le dépôt de la demande d’Alavida, Masterpiece Inc. a modifié légèrement sa marque et commencé à employer exactement la même marque de commerce qu’Alavida, c’est‑à‑dire « Masterpiece Living ». Ces décisions quasi simultanées ont fait en sorte qu’à partir de 2006 deux sociétés canadiennes, l’une exerçant ses activités en Alberta et l’autre en Ontario, employaient la marque de commerce « Masterpiece Living » dans le secteur des résidences pour personnes âgées.

[12] En janvier 2006, Masterpiece Inc. a demandé l’enregistrement de la marque de commerce « Masterpiece » et, en juin 2006, de « Masterpiece Living ». La demande antérieure d’Alavida ayant finalement été accordée, les demandes de Masterpiece Inc. ont été rejetées car le registraire avait conclu qu’elles créaient de la confusion avec la marque de commerce « Masterpiece Living » d’Alavida.

[13] Le 16 mars 2007, Masterpiece Inc. a présenté une demande de radiation de l’enregistrement de la marque de commerce d’Alavida. Il semble que Masterpiece Inc. ne s’était pas opposée à la demande d’Alavida, mais il n’a pas été allégué que cette omission a eu une incidence quelconque sur la procédure de radiation.

III. Cour fédérale

[14] Le juge O’Reilly a rejeté la demande de Masterpiece Inc. sollicitant la radiation de l’enregistrement de la marque de commerce d’Alavida.

[15] Il a conclu que si la marque de commerce d’Alavida était semblable à une marque de commerce ou à un nom commercial déjà employé au point de créer de la confusion, Alavida n’aurait pas le droit de la faire enregistrer. Par ailleurs, il a affirmé que lorsqu’il s’agit de décider si une marque créant de la confusion a été employée avant de faire l’objet d’une demande d’enregistrement, « la date pertinente est la date de la production de la demande » (par. 9).

[16] Selon lui, Masterpiece Inc. a démontré qu’elle avait fait « un certain emploi » de la marque de commerce « Masterpiece » et de marques connexes comprenant le mot « Masterpiece », avant qu’Alavida ne produise sa demande (par. 19 (soulignement dans l’original)). Il a cependant conclu que cet emploi avait été plutôt sporadique. Il s’est ensuite demandé, en appliquant le par. 6(5) de la Loi, s’il existait une probabilité que la marque de commerce d’Alavida et les marques déjà employées par Masterpiece Inc. créaient de la confusion à la date de la demande d’Alavida.

[17] Dans l’analyse relative à la confusion qu’il a faite en application du par. 6(5) de la Loi, il a conclu qu’il y avait un certain caractère distinctif dans l’usage du mot « Masterpiece » en liaison avec les résidences ou les services pour personnes âgées (par. 41), mais que, à la date pertinente, aucune des marques de commerce de Masterpiece Inc. n’avait acquis de caractère distinctif à la suite de leur emploi par cette dernière (par. 42). En ce qui concerne le degré de ressemblance entre les marques, il a accepté les observations de l’un des experts d’Alavida, qui a expliqué qu’Alavida n’avait pas employé sa marque, après l’avoir fait enregistrer, de la même façon que Masterpiece Inc. employait les siennes, et ce tant sur le plan du design de la marque que sur celui de la conception des publicités. Il a conclu que même s’il y avait « de toute évidence un degré de ressemblance » entre les marques de l’une et l’autre société, ces différences dans la façon de les employer diminuaient la probabilité de confusion (par. 46). Il a également souligné que le choix d’une résidence pour personnes âgées était une décision importante et à caractère onéreux, et qu’on pouvait donc s’attendre à ce que les consommateurs prennent soin de se renseigner avant de prendre leur décision, ce qui diminuait aussi la probabilité de confusion.

[18] Sur la base de ces considérations, il a conclu que Masterpiece Inc. n’avait pas établi qu’il existait une probabilité que son nom commercial et ses marques de commerce, d’une part, et la marque de commerce d’Alavida, d’autre part, créaient de la confusion.

IV. Cour d’appel fédérale

[19] Les juges Sexton et Trudel, s’exprimant au nom de la Cour d’appel, ont rejeté l’appel de Masterpiece Inc.

[20] La Cour d’appel a confirmé la conclusion du juge de première instance que la date pertinente pour les besoins de l’analyse relative à la confusion était celle de la demande d’Alavida, soit le 1er décembre 2005. Sur la base de cette conclusion, la Cour d’appel a rejeté la preuve que Masterpiece Inc. avait présentée pour établir qu’au 1er décembre 2005 elle prévoyait déjà étendre ses activités au marché des provinces centrales canadiennes. Selon la Cour d’appel, le fait que les marques en cause pourraient un jour créer de la confusion n’avait rien à voir avec l’analyse relative à la confusion qu’il convenait de faire sous le régime de la Loi, et, par conséquent, l’intention de Masterpiece Inc. d’étendre ses activités à de nouveaux marchés n’était aucunement pertinente. Elle a déclaré ce qui suit au par. 22 :

À la date de production de la demande d’enregistrement de la marque de commerce de l’intimée, l’appelante ne vendait pas son produit dans le même marché que celui de l’intimée. La Cour n’est pas tenue de prendre en compte les plans d’expansion de l’appelante postérieurs à cette date.

[21] Dans le reste de ses motifs, la Cour d’appel a également approuvé de manière générale la façon dont le juge de première instance a fait l’analyse relative à la confusion, et elle a conclu qu’il n’avait commis aucune erreur manifeste ou dominante en examinant la preuve. Elle a donc jugé que l’enregistrement de la marque de commerce d’Alavida devait être maintenu et a rejeté l’appel de Masterpiece Inc.

V. Les questions en litige dans le présent pourvoi

[22] La Cour doit examiner les quatre questions suivantes :

1. L’endroit où les marques sont employées est-il pertinent lorsqu’il s’agit de décider s’il existe une probabilité qu’une marque de commerce demandée ou déposée crée de la confusion avec une marque de commerce ou un nom commercial non déposé mais déjà employé?

2. De quels facteurs faut‑il tenir compte pour évaluer la ressemblance entre une marque de commerce dont l’emploi est projeté et une marque de commerce employée mais non déposée?

3. Dans le cadre de l’examen de la « nature du commerce » en application du par. 6(5) de la Loi, quelle est l’incidence de la nature et du coût des marchandises ou des services en cause sur l’analyse relative à la confusion?

4. Quand les tribunaux doivent‑ils tenir compte d’une preuve d’expert dans les affaires où des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion?

VI. Analyse

[23] Les dispositions de la Loi qui sont pertinentes à l’égard du présent pourvoi sont reproduites à l’annexe figurant à la fin des présents motifs.

A. L’endroit où les marques sont employées est‑il pertinent lorsqu’il s’agit de décider s’il existe une probabilité qu’une marque de commerce demandée ou déposée crée de la confusion avec une marque de commerce ou un nom commercial non déposé mais déjà employé?

[24] Dans ses motifs, la Cour d’appel a beaucoup insisté sur la question de savoir s’il fallait, dans l’analyse relative à la confusion, tenir compte des projets d’expansion de Masterpiece Inc. dans l’est du Canada, lesquels pourraient la mettre en concurrence directe avec Alavida. Ces projets ont depuis été réalisés et Masterpiece Inc. fait maintenant des affaires dans le secteur des résidences pour personnes âgés au Québec, mais le 1er décembre 2005, il n’était question que de projets.

[25] La Cour d’appel a conclu qu’il ne fallait pas tenir compte de ces projets. Toutefois, ce faisant, elle a fait des distinctions d’avec plusieurs précédents invoqués par Masterpiece Inc. pour étayer son argument que ces projets doivent au contraire être pris en compte. Certains de ces précédents donnaient à penser que le lieu géographique où deux marques de commerce sont employées ou dans lequel on projette de le faire n’a pas d’incidence sur la probabilité qu’elles créent de la confusion.

[26] L’établissement de telles distinctions pourrait être perçu comme la reconnaissance du fait que le lieu géographique où les marques sont employées ou dans lequel on projette de le faire constitue un facteur pertinent à prendre en compte dans l’analyse relative à la confusion. D’ailleurs, la International Trademark Association est intervenue devant la Cour pour traiter de cette seule question. Si le lieu géographique était pertinent, Alavida pourrait prétendre que sa marque ne créait pas de confusion avec les marques de Masterpiece Inc., car, au 1er décembre 2005, celle‑ci n’exerçait ses activités qu’en Alberta alors qu’Alavida, elle, faisait des affaires en Ontario.

[27] Quoiqu’on puisse douter que la Cour d’appel laissait entendre dans ses motifs que le lieu géographique constituait un facteur pertinent, je profite de l’occasion pour dissiper tout doute à cet égard.

[28] Le régime canadien en matière de marques de commerce a une portée nationale. En effet, à moins que sa marque ne soit jugée invalide, le propriétaire d’une marque de commerce déposée a le droit exclusif à l’emploi de celle‑ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne les marchandises ou les services auxquels elle se rapporte. L’article 19 de la Loi est rédigé ainsi :

19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle‑ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.

[29] Pour ce qui est de la confusion, les par. 6(1) et 6(2) de la Loi prévoient ce qui suit :

6. (1) Pour l’application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

Le paragraphe 6(3) de la Loi vise l’emploi d’une marque de commerce qui crée de la confusion avec un nom commercial, et le par. 6(4), la situation inverse. Les paragraphes 6(2), (3) et (4) reprennent la même formule : « . . . lorsque l’emploi des deux [. . .] dans la même région serait susceptible de faire conclure . . . ».

[30] Il ressort immédiatement des mots « lorsque l’emploi des deux [. . .] dans la même région » que le critère qu’il convient d’appliquer pour décider s’il y a confusion est fondé sur l’hypothèse que tant les noms commerciaux que les marques de commerce sont employés « dans la même région », que ce soit le cas ou non (le « critère fondé sur l’hypothèse »). Ainsi, le fait que des noms commerciaux et des marques de commerce similaires au point de créer de la confusion ne soient pas employés dans le même lieu géographique n’est d’aucune incidence en ce qui concerne ce critère. Il doit en être ainsi parce que l’art. 19 de la Loi précise que, sous réserve de certaines exceptions qui ne nous nous intéressent pas ici, l’enregistrement d’une marque donne à son propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle-ci dans tout le Canada.

[31] Pour que le propriétaire d’une marque de commerce déposée ait le droit exclusif à l’emploi de celle-ci dans tout le Canada, il ne faut pas qu’elle soit susceptible de causer de la confusion avec une autre marque de commerce à quelque autre endroit que ce soit au pays.

[32] Cette conclusion est confirmée par le par. 16(3) de la Loi, qui prévoit que tout requérant qui a produit une demande en vue de l’enregistrement d’une marque de commerce projetée a droit d’en obtenir l’enregistrement à moins que, à la date de la production de la demande, elle n’ait créé de la confusion avec une marque de commerce ou un nom commercial antérieurement employé au Canada. Voici le libellé du par. 16(3) :

16. . . .

(3) Tout requérant qui a produit une demande selon l’article 30 en vue de l’enregistrement d’une marque de commerce projetée et enregistrable, a droit, sous réserve des articles 38 et 40, d’en obtenir l’enregistrement à l’égard des marchandises ou services spécifiés dans la demande, à moins que, à la date de production de la demande, elle n’ait créé de la confusion :

a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;

b) soit avec une marque de commerce à l’égard de laquelle une demande d’enregistrement a été antérieurement produite au Canada par une autre personne;

c) soit avec un nom commercial antérieurement employé au Canada par une autre personne.

[33] Que l’on se demande s’il y a eu violation du droit du propriétaire d’une marque de commerce au regard de l’art. 19 ou si l’intéressé a droit d’obtenir l’enregistrement d’une marque en application de l’art. 16, le critère qu’il convient d’appliquer pour décider s’il existe une probabilité de confusion demeure le même. L’application du critère fondé sur l’hypothèse traduit l’intention du législateur d’accorder une protection d’envergure nationale aux marques de commerce déposées au Canada (voir D. Vaver, Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade-marks (2e éd. 2011), p. 536).

B. De quels facteurs faut-il tenir compte pour évaluer la ressemblance entre une marque de commerce dont l’emploi est projeté et une marque de commerce employée mais non déposée?

[34] Dans le but de clarifier la démarche qu’il convient d’adopter pour évaluer la ressemblance entre une marque de commerce dont l’emploi est projeté et des marques de commerce employées mais non déposées, il sera utile d’examiner les questions suivantes :

(1) la relation entre l’emploi et l’enregistrement;

(2) le critère en matière de confusion;

(3) la nécessité d’examiner chaque marque séparément;

(4) la démarche applicable pour évaluer la ressemblance;

(5) la nécessité d’examiner la marque de commerce dont l’emploi est projeté en fonction des termes de la demande d’enregistrement plutôt qu’en fonction de son emploi réel;

(6) l’exigence d’évaluer les marques de commerce non déposées en fonction de leur emploi réel;

(7) la ressemblance entre les marques de commerce en litige.

Bien que toutes ces questions soient pertinentes en l’espèce, elles ne sont pas censées constituer une liste complète de l’ensemble des facteurs qu’il faut prendre en compte pour évaluer la ressemblance.

(1) La relation entre l’emploi et l’enregistrement

[35] Au départ, il me paraît important de faire un rappel sur le lien qui existe entre l’emploi et l’enregistrement d’une marque de commerce. L’enregistrement d’une marque de commerce ne confère pas en soi un droit prioritaire sur la marque. En common law, c’était l’emploi de la marque de commerce qui conférait le droit exclusif sur celle‑ci. Bien que la Loi confère au titulaire d’une marque de commerce déposée des droits autres que ceux dont il pouvait se prévaloir en common law, la personne qui cherche à faire enregistrer une marque de commerce doit d’abord établir qu’elle a un droit sur celle‑ci parce qu’elle l’emploie. Le juge en chef Ritchie a affirmé ce qui suit dans Partlo c. Todd (1888), 17 R.C.S. 196, p. 200 :

[traduction] Ce n’est pas l’enregistrement qui rend la partie propriétaire d’une marque de commerce; la marque doit lui appartenir pour qu’elle puisse l’enregistrer . . .

[36] Ce principe, que les premières lois canadiennes en matière de marque de commerce ont établi, a été repris dans la Loi, qui confère des droits de deux façons au premier utilisateur d’une marque de commerce. D’une part, selon l’art. 16, la partie qui est la première à employer la marque de commerce obtient normalement un droit prioritaire de l’enregistrer. D’autre part, l’utilisateur de la marque de commerce peut s’opposer aux demandes d’enregistrement d’autres personnes ou encore demander la radiation d’enregistrements au motif qu’il emploie déjà une marque de commerce créant de la confusion. Cela explique pourquoi Masterpiece Inc. peut, pour contester la demande d’Alavida, invoquer le fait qu’elle employait déjà une certaine marque de commerce non déposée au moment où cette dernière a présenté sa demande. Le paragraphe 16(3) de la Loi reconnaît à l’utilisateur d’une marque de commerce le droit de s’opposer à toute demande d’enregistrement d’une marque qui crée de la confusion avec la sienne, au motif qu’il employait déjà sa marque au moment du dépôt de la demande. Le paragraphe 17(1) garantit ce droit, sous réserve de certaines limites qui ne nous nous intéressent pas ici, dans les cas où la marque de commerce a été enregistrée.

[37] Il faut également expliquer pourquoi la demande d’Alavida, en date du 1er décembre 2005, empêchait Masterpiece Inc. d’obtenir par la suite l’enregistrement des marques de commerce en invoquant le fait qu’elle les employait déjà. Comme je l’ai déjà dit, en common law, la marque de commerce n’était protégée que si son utilisateur établissait qu’il l’employait déjà. Cependant, la Loi permet de revendiquer la priorité à compter de la date du dépôt de la demande d’enregistrement d’une marque de commerce projetée qui n’a pas encore été employée. Cela dit, l’enregistrement n’aura lieu que si l’intéressé soumet par la suite une déclaration établissant qu’il a effectivement employé la marque de commerce projetée dans le délai prescrit au par. 40(2) de la Loi.

[38] En l’espèce, Alavida a bien soumis une telle déclaration, de sorte que sa revendication de priorité au 1er décembre 2005, date à laquelle elle a déposé sa demande d’enregistrement, empêchait Masterpiece Inc. de faire enregistrer la marque de commerce « Masterpiece Living », qui était identique à la sienne, par le biais d’une demande ultérieure fondée sur l’emploi après le 1er décembre 2005. Masterpiece Inc. devait plutôt s’opposer à la demande d’Alavida ou demander la radiation de l’enregistrement de la marque de commerce de celle-ci en invoquant la probabilité de confusion entre la marque de commerce d’Alavida et les marques de commerce ou le nom commercial qu’elle avait employés avant le 1er décembre 2005. Masterpiece Inc. ne s’étant pas opposée à la demande d’Alavida, laquelle a été accueillie, le seul recours dont elle dispose consiste à demander la radiation de l’enregistrement de la marque d’Alavida. Si Masterpiece Inc. a gain de cause, sa demande d’enregistrement de ses marques de commerce pourra alors être examinée sur le fond par le registraire.

(2) Le critère en matière de confusion

[39] La question au cœur du présent litige est de savoir si la marque de commerce d’Alavida et les marques de commerce ou le nom commercial de Masterpiece Inc. créaient de la confusion au sens de l’art. 6 de la Loi. J’estime en toute déférence que le juge de première instance a commis une erreur de droit dans son analyse relative à la confusion, ce qui l’a amené à conclure à tort que Masterpiece Inc. n’a pas établi que son nom commercial et ses marques de commerce, d’une part, et la marque de commerce d’Alavida — maintenant une marque déposée — , d’autre part, créaient de la confusion.

[40] Il est utile, en commençant l’analyse relative à la confusion, de se rappeler le critère prévu dans la Loi. Dans Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 R.C.S. 824, par. 20, le juge Binnie a reformulé la démarche traditionnelle de la façon suivante :

Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue [de la marque], alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce [antérieures] et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques.

Le juge Binnie renvoie avec approbation aux propos tenus par le juge Pigeon dans Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp., [1969] R.C.S. 192, p. 202, pour faire ressortir ce qu’il ne faut pas faire, à savoir un examen minutieux des marques concurrentes ou une comparaison côte à côte.

[41] En l’espèce, la question est de savoir si, à partir de sa première impression, le « consommateur ordinaire plutôt pressé » qui voit la marque de commerce d’Alavida alors qu’il n’a qu’un vague souvenir de l’une ou l’autre des marques de commerce ou du nom commercial de Masterpiece Inc. serait vraisemblablement confus, c’est-à-dire s’il est probable que ce consommateur considérerait qu’Alavida et Masterpiece Inc. constituent un seul et même fournisseur de services de résidence pour personnes âgées.

(3) La nécessité d’examiner chaque marque séparément

[42] Comme je l’ai souligné plus tôt, la prétention formulée par Masterpiece Inc. en vertu du par. 16(3) de la Loi est que la marque de commerce qu’Alavida cherchait à faire enregistrer créait de la confusion avec l’une ou l’autre des marques de commerce ou le nom commercial qu’elle avait employés avant le 1er décembre 2005.

[43] Selon le par. 16(3), une seule marque de commerce ou un seul nom commercial créant de la confusion aura pour effet d’invalider l’enregistrement d’Alavida. En invoquant l’existence de plusieurs marques de commerces et noms commerciaux susceptibles de créer de la confusion, Masterpiece Inc. a présenté plusieurs motifs distincts justifiant l’invalidation de l’enregistrement d’Alavida.

[44] Le paragraphe 6(5) de la Loi établit la démarche à suivre dans l’analyse relative à la confusion. Il faut tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

6. . . .

(5) . . .

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou des noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période durant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

[45] Certains des facteurs énumérés au par. 6(5) qui guident l’analyse relative à la confusion seront les mêmes pour chaque marque de commerce et pour le nom commercial en cause dans la présente affaire. Par exemple, il ressort de l’ensemble de la preuve que Masterpiece Inc. ne faisait des affaires que dans le secteur des résidences pour personnes âgées, et que c’est dans ce seul secteur d’activités qu’elle employait l’ensemble de ses marques. Dans d’autres cas, il faudra examiner chaque marque séparément. Par exemple, puisque les marques de commerce de Masterpiece Inc. sont distinctes les unes des autres sur le plan du contenu et diffèrent de son nom commercial, il faudra examiner la similitude entre « Masterpiece Living », la marque de commerce projetée d’Alavida, et chacune des marques de commerce ainsi que le nom commercial dont Masterpiece Inc. a démontré l’utilisation selon ce qu’elle a établi.

[46] Le juge de première instance a conclu que Masterpiece Inc. avait démontré qu’elle avait employé le nom commercial « Masterpiece » et les marques de commerce « Masterpiece the Art of Retirement Living » et « Masterpiece the Art of Living ». La demande d’Alavida visait la marque de commerce « Masterpiece Living ». Il fallait donc comparer la marque de commerce « Masterpiece Living » d’Alavida à chacune des marques de commerce et au nom commercial de Masterpiece Inc. séparément.

[47] Cependant, au lieu de comparer une à une les marques de Masterpiece Inc. ainsi que le nom commercial de cette dernière à la marque d’Alavida, le juge s’est plutôt livré à une analyse globale. Il s’est contenté d’examiner de façon générale la ressemblance entre la marque « Masterpiece Living » et l’ensemble des marques de commerce ainsi que le nom commercial de Masterpiece Inc. Il a déclaré ce qui suit, au par. 46 :

Il y a de toute évidence un degré de ressemblance entre le nom commercial et les marques de commerce de Masterpiece Inc. et la marque déposée d’Alavida « Masterpiece Living ». Cependant, compte tenu de toutes les circonstances, je prends note qu’Alavida emploie « Masterpiece Living » comme slogan accompagnant son nom commercial. Au contraire, Masterpiece Inc. utilise « Masterpiece » pour nommer l’entreprise même, de même que d’autres mots ou expressions beaucoup moins importantes [sic], et l’inscrit à côté du papillon qui constitue son logo distinctif. Ces différences diminueront la probabilité de confusion. [Je souligne.]

[48] Toutefois, selon les al. 16(3)a) et c) de la Loi, Masterpiece Inc. avait le droit de faire valoir et faire examiner l’une ou l’autre des marques ou le nom commercial qu’elle avait employés avant le 1er décembre 2005 en vue de contester la demande d’Alavida. Selon moi, le juge a commis une erreur en omettant de faire l’analyse distincte exigée par la Loi. Certaines des preuves d’expert qui ont traité des marques de commerce et du nom commercial de Masterpiece Inc. globalement et non individuellement (voir, par ex., les par. 21-23 et 36) ont pu contribuer à cette erreur.

(4) La démarche applicable pour évaluer la ressemblance

[49] En analysant la question de savoir si les marques de commerce en cause créaient de la confusion, le juge a appliqué dans l’ordre les facteurs énoncés au par. 6(5) de la Loi avant d’examiner si ces marques se ressemblaient. Bien que l’adoption d’une telle démarche ne constitue pas une erreur de droit, il arrive souvent que le degré de ressemblance soit le facteur susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion, et ce même s’il est mentionné en dernier lieu au par. 6(5) (K. Gill et R. S. Jolliffe, Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition (4e éd. (feuilles mobiles)), p. 8-54; R. T. Hughes et T. P. Ashton, Hughes on Trade Marks (2e éd. (feuilles mobiles)), §74, p. 939). Comme le souligne le professeur Vaver, si les marques ou les noms ne se ressemblent pas, il est peu probable que l’analyse amène à conclure à la probabilité de confusion même si les autres facteurs tendent fortement à indiquer le contraire. En effet, ces autres facteurs ne deviennent importants que si les marques sont jugées identiques ou très similaires (Vaver, p. 532). En conséquence, certains prétendent que, dans la plupart des cas, l’étude de la ressemblance devrait constituer le point de départ de l’analyse relative à la confusion (ibid.).

[50] Par conséquent, je vais d’abord examiner l’analyse que le juge a faite du degré de ressemblance entre les marques.

(5) La nécessité d’examiner la marque de commerce dont l’emploi est projeté en fonction des termes de la demande d’enregistrement plutôt qu’en fonction de son emploi réel

[51] Dans son analyse, le juge de première instance a conclu qu’il y avait « de toute évidence un degré de ressemblance entre le nom commercial et les marques de commerce de Masterpiece Inc. et la marque déposée d’Alavida “Masterpiece Living” » (par. 46).

[52] Il ressort clairement des motifs du juge qu’il a pris en compte l’emploi qu’Alavida faisait réellement de sa marque en la comparant à celles de Masterpiece Inc. Par souci de commodité, je reproduis ci‑après une partie des motifs qu’il a exposés au par. 46 :

Cependant, compte tenu de toutes les circonstances, je prends note qu’Alavida emploie « Masterpiece Living » comme slogan accompagnant son nom commercial.

[53] Selon moi, la façon dont le juge a examiné l’emploi qu’Alavida faisait réellement de sa marque posait problème, car il n’a tenu compte que d’une seule représentation de la marque que celle‑ci employait après la date pertinente. Or, cette seule représentation ne reflétait pas toute la portée des droits exclusifs que l’enregistrement de la marque conférait à Alavida. Comme a conclu le juge Binnie dans Mattel, par. 53 :

L’appelante a soutenu que les instances inférieures ont eu tort d’examiner les activités réelles de l’intimée plutôt que les termes figurant dans sa demande d’enregistrement de la marque projetée. Il est vrai qu’il faut s’attacher aux termes employés dans la demande, parce que ce qui est en cause est ce que l’enregistrement permettrait à l’intimée de faire, et non pas ce qu’elle fait actuellement.

[54] Alavida a entamé le processus d’enregistrement le 1er décembre 2005 en soumettant une demande fondée sur l’emploi qu’elle comptait faire de la marque. L’article 30 de la Loi précise ce que doit contenir la demande d’enregistrement. Le demandeur doit y inclure une représentation de sa marque de commerce ainsi que divers autres renseignements. La marque de commerce figurant dans une demande d’enregistrement peut consister tout simplement en un ou des mots servant de marque, en un dessin, ou encore en un ou des mots accompagnés d’un dessin (voir, p. ex., les marques dans Leaf Confections Ltd. c. Maple Leaf Gardens Ltd. [1986] A.C.F. no 766 (QL) (C.F. 1re inst.), conf. par [1988] A.C.F. no 176 (QL) (C.A.F.)). La demande peut mentionner que la marque n’est utilisée que dans des couleurs bien précises : Règlement sur les marques de commerce, DORS/96-195. Elle peut également contenir des désistements, notamment à la demande du registraire dans le cas où il estime qu’il convient de limiter la portée des droits liés à la marque de commerce en cause : art. 35 de la Loi.

[55] En l’espèce, l’enregistrement d’Alavida (LMC 684,557) mentionne la marque de commerce que cette entreprise souhaitait faire enregistrer en produisant sa demande, à savoir les mots « Masterpiece Living ». Cette marque de commerce n’étant décrite que sous forme de mots, Alavida avait donc le droit d’employer les mots « Masterpiece Living » dans la taille, le style de lettres, la couleur ou le motif de son choix. La Cour fédérale a conclu ce qui suit dans Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91 :

Rien n’empêche l’appelante de changer la couleur de ses enseignes ou le style de lettres de « Mr. Submarine », ou d’adopter un système téléphonique et de livraison tel que celui suivi par l’intimée ou tout autre système convenable pour la vente de ses sandwiches. Si elle devait effectuer un de ces changements, son droit exclusif à l’emploi de « Mr. Submarine » s’appliquerait tout comme il s’applique à son emploi dans l’entreprise qu’elle exploite actuellement. La question de savoir si les marques de commerce ou les noms commerciaux de l’intimée créent de la confusion avec la marque enregistrée de l’appelante doit donc être examinée en tenant compte non seulement de l’entreprise actuelle que l’appelante exploite dans la région des opérations de l’intimée, mais aussi de la possibilité de confusion si l’appelante devait exercer ses activités dans cette région de toute manière qui lui est permise en utilisant sa marque de commerce en liaison avec les sandwiches vendus ou les services exécutés dans l’exercice de son entreprise. [Je souligne; p. 102-103.]

[56] Dans l’analyse relative à la confusion, il importe de se rappeler que les droits exclusifs conférés par la Loi se rapportent à la « marque de commerce déposée » (art. 19, 20 et 21). Le tribunal appelé à statuer sur la probabilité de confusion entre une marque de commerce déposée et une autre marque — déposée ou non déposée mais utilisée antérieurement à la première — doit faire porter son analyse sur la marque de commerce projetée dont l’enregistrement a finalement été obtenu.

[57] Si le juge de première instance avait reconnu qu’Alavida pouvait employer sa marque de commerce comme bon lui semblait dans le champ d’application de son enregistrement, il lui aurait fallu conclure que l’emploi qu’elle faisait réellement de sa marque ne limitait pas ses droits. L’entreprise avait le droit d’employer les mots sous la forme de son choix.

[58] Le problème découlant d’une analyse qui tient compte de l’emploi limité de la marque en question devient manifeste lorsqu’on constate que les simples mots « Masterpiece Living » pourraient être présentés de diverses façons suivant l’enregistrement. En effet, rien n’empêcherait Alavida de modifier sa publicité en mettant en relief le mot « Masterpiece » et en donnant au mot « Living » moins d’importance, comme Masterpiece Inc. l’a fait, ou en en modifiant la typographie.

[59] Pour cette raison, ne faire porter l’examen que sur l’emploi qu’Alavida faisait de sa marque de commerce après avoir produit sa demande d’enregistrement pour conclure qu’il était peu probable que les marques en cause créent de la confusion revenait à commettre une erreur de droit. L’examen de l’emploi réel de la marque n’est certes pas dénué de pertinence, mais il ne doit pas non plus remplacer complètement l’examen d’autres emplois qui pourraient être faits en conformité avec l’enregistrement. Par exemple, l’emploi ultérieur, dans le champ d’application d’un enregistrement, d’une marque déposée identique ou très semblable à une marque qui existe déjà montrera comment la marque déposée peut être utilisée d’une manière qui crée de la confusion avec celle-ci.

(6) L’exigence d’évaluer les marques de commerce non déposées en fonction de leur emploi réel

[60] En ce qui concerne Masterpiece Inc., comme ses marques de commerce n’étaient pas déposées en date du 1er décembre 2005, elle ne peut faire valoir que les marques de commerce qu’elle avait effectivement employées et le nom commercial sous lequel elle avait exercé ses activités jusqu’à cette date, à condition de ne pas les avoir abandonnés (voir par. 17(1)). Or, rien ne tend à indiquer qu’il y ait eu abandon dans la présente cause (transcription, p. 17, lignes 8-12).

(7) La ressemblance entre les marques de commerce en litige

[61] Dans un cas comme celui qui nous occupe, il est possible de comparer les marques de commerce ou le nom commercial pertinents en n’examinant que les caractéristiques qui les définissent. Seuls ces éléments permettront aux consommateurs de faire la distinction entre les deux marques de commerce ou entre la marque de commerce et le nom commercial. En l’espèce, comme la marque de commerce projetée d’Alavida n’est constituée que des mots « Masterpiece Living », la différence ou la similitude entre cette marque et, d’une part, chacune des marques de commerce de Masterpiece Inc. et, d’autre part, le nom commercial de cette dernière, s’apprécie uniquement en fonction de ces mots. Selon moi, la marque « Masterpiece Living » d’Alavida se rapproche le plus de la marque « Masterpiece the Art of Living » de Masterpiece Inc. J’estime que la comparaison de ces deux marques est déterminante. Or, s’il est peu probable que ces marques créent de la confusion, il ne sera pas nécessaire d’étudier les autres marques de Masterpiece Inc. ainsi que le nom commercial de celle-ci, qui s’apparentent moins à la marque de commerce d’Alavida. À l’inverse, s’il est conclu qu’elles créent probablement de la confusion, il ne sera pas nécessaire de se demander si la marque d’Alavida ressemble à ces autres marques de Masterpiece Inc. ou au nom commercial de celle‑ci, bien qu’il puisse s’agir de facteurs pertinents faisant partie des circonstances de l’espèce à prendre en compte dans l’examen de la question de savoir s’il y a probabilité de confusion avec la marque de commerce « Masterpiece the Art of Living ».

[62] La ressemblance est définie comme étant le rapport entre des objets de même espèce présentant des éléments identiques. Cette définition comprend l’idée de similitude; voir la définition de « ressemblance » dans Le Nouveau Petit Robert : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française (2010), p. 2220. Le mot « degré de ressemblance » à l’al. 6(5)e) de la Loi sous-entend que ce n’est pas seulement dans les cas où les marques de commerce en cause sont identiques qu’il y a probabilité de confusion : des marques comportant un certain nombre de différences peuvent aussi engendrer une probabilité de confusion.

[63] Le premier mot qui figure dans les marques de commerce d’Alavida et de Masterpiece Inc. est le même, à savoir « Masterpiece ». Il a été établi que le premier mot est important lorsqu’il s’agit d’établir le caractère distinctif d’une marque (voir Conde Nast Publications Inc. c. Union des éditions modernes (1979), 46 C.P.R. (2d) 183 (C.F. 1re inst.), le juge Cattanach, p. 188).

[64] Il est vrai que dans certains cas le premier mot sera l’élément le plus important pour établir le caractère distinctif d’une marque de commerce, mais j’estime qu’il est préférable de se demander d’abord si l’un des aspects de celle‑ci est particulièrement frappant ou unique. En l’espèce, les mots « Living » ou « the Art of Living » ne sont en rien frappants ou uniques. « Masterpiece » est le mot qui distingue Alavida et Masterpiece Inc. des autres fournisseurs de services de résidence pour personnes âgées. Il est raisonnable de conclure qu’il est le mot dominant dans les marques de commerce de l’une et de l’autre. En outre, il est évidemment commun à ces marques. De même, dans le contexte du secteur des résidences pour personnes âgées, l’idée évoquée par le mot « Masterpiece », à savoir la retraite dans le luxe, est la même tant pour la marque d’Alavida que pour celle de Masterpiece Inc. Enfin, le mot « Living » est lui aussi commun aux marques d’Alavida et de Masterpiece Inc.

[65] Compte tenu de ces similitudes frappantes, j’estime, en toute déférence, qu’il est très difficile de ne pas conclure qu’il existe globalement une forte ressemblance entre les deux marques de commerce de Masterpiece Inc. et celle d’Alavida.

C. Dans le cadre de l’examen de la « nature du commerce » en application du par. 6(5) de la Loi, quelle est l’incidence de la nature et du coût des marchandises ou des services en cause sur l’analyse relative à la confusion?

[66] L’analyse du juge de première instance de ce qu’il en coûte pour acquérir une résidence pour personnes âgées soulève une autre difficulté. Il a conclu que les consommateurs à la recherche d’une telle résidence prendront plus de précautions et seront en bout de ligne moins susceptibles d’être induits en erreur par des marques de commerce créant de la confusion que s’ils étaient à la recherche de marchandises ou de services moins onéreux. Voici ce qu’il a écrit au sujet du genre d’entreprises des parties au sens de l’al. 6(5)c) de la Loi et de la « nature du commerce » au sens de l’al. 6(5)d) de celle-ci :

Pour ce qui est de la nature du commerce, les deux entreprises exercent leurs activités dans le domaine des résidences et des services pour personnes âgées dispendieux. Les gens mettent beaucoup de soin à choisir une résidence et l’entreprise qui l’exploite. Dans ces circonstances, on peut présumer que les consommateurs sont moins susceptibles de confondre la source des biens et services qu’ils recherchent, parce qu’il est peu probable qu’ils basent leur choix sur une première impression. En règle générale, ils consacrent un temps appréciable à s’informer sur la source de biens et services qui coûtent cher (General Motors Corp. c. Bellows, [1949] R.C.S. 678). [Je souligne; par. 43.]

[67] La Cour a affirmé que les consommateurs qui sont à la recherche de biens onéreux sont moins susceptibles de confondre des marques de commerce, mais le critère demeure celui de la « première impression ». Dans ses motifs, le juge s’est fondé sur l’importance et le coût des biens et des services onéreux pour modifier le critère relatif à la probabilité de confusion. Selon lui, le critère applicable n’était pas celui de la première impression que laisse dans l’esprit des consommateurs la vue d’une marque de commerce, mais plutôt le « peu [de probabilité que les consommateurs] basent leur choix sur une première impression ». Cette démarche n’est pas compatible avec le critère en matière de confusion énoncé au par. 6(5) de la Loi, qui a été constamment repris par la Cour, tout récemment d’ailleurs dans Veuve Clicquot.

[68] Bien qu’il faille l’appliquer dans toutes les situations, le critère fondé sur l’hypothèse, qui sert à décider s’il y a probabilité de confusion, est assez souple pour refléter la remarque faite par le juge Binnie dans Mattel, par. 58 :

Il prend naturellement plus de précautions s’il achète une voiture ou un réfrigérateur, que s’il achète une poupée ou un repas à prix moyen . . .

[69] Toutefois, ces précautions ou cette attention, qui constituent l’un des éléments du critère — plus large — fondé sur l’hypothèse, doivent avoir trait à l’attitude du consommateur s’apprêtant à faire un achat important ou coûteux lorsqu’il voit la marque de commerce, et non pas à ses recherches ou précautions ultérieures. Le juge Rand a affirmé ce qui suit dans General Motors Corp. c. Bellows, [1949] R.C.S. 678, p. 692 :

[traduction] Les mots dans cette situation [réfrigérateurs] contribuent‑ils aux vagues impressions ou souvenirs erronés de la personne ordinaire qui s’apprête à faire un achat? [Je souligne.]

[70] Cette question porte principalement sur l’attitude du consommateur qui s’apprête à faire un achat. Or, l’examen convenable de la nature des marchandises, des services ou de l’entreprise en cause doit tenir compte du fait que la probabilité que des marques de commerce créent de la confusion peut être moins grande lorsque le consommateur est à la recherche de marchandises ou de services importants ou onéreux. Il n’en demeure pas moins que cette probabilité moins grande est toujours fondée sur la première impression du consommateur lorsqu’il voit les marques en question. Le consommateur à la recherche de marchandises ou de services onéreux pourra n’avoir qu’un vague souvenir d’une marque de commerce qu’il a déjà vue, et il portera probablement un peu plus attention à la marque de commerce qui identifie les marchandises ou services qu’il est en train d’examiner, notamment quant aux similitudes ou différences entre cette marque et celle déjà vue. Comme l’a affirmé le juge Binnie dans Mattel, les marques de commerce sont des raccourcis offerts aux consommateurs. Cette affirmation s’applique peu importe que les consommateurs soient à la recherche de marchandises ou de services plus ou moins onéreux.

[71] Il est sans importance que, comme l’a conclu le juge de première instance, « il [soit] peu probable [que les consommateurs] basent leur choix sur une première impression » ou que, « [e]n règle générale, ils consacrent un temps appréciable à s’informer sur la source de biens et services qui coûtent cher » (par. 43). En effet, tant les recherches ultérieures que l’achat qui s’ensuit ont lieu après que le consommateur a vu une marque.

[72] Cette distinction est importante car, malgré ce degré d’attention accru, il peut tout de même subsister la probabilité que des marques de commerce créent de la confusion chez le consommateur à la recherche de biens et de services onéreux. Cela dit, une telle confusion peut se dissiper après mûre réflexion au terme de recherches approfondies. Toutefois, cela ne veut pas dire que le consommateur de biens onéreux ne peut bénéficier de la protection du régime des marques de commerce parce qu’il fait preuve de prudence et de méfiance. Ce qui compte, c’est la confusion qui naît dans son esprit lorsqu’il voit les marques de commerce. Il ne faut pas déduire de la dissipation ultérieure de la confusion au terme de recherches approfondies qu’elle n’a jamais existé ou qu’elle cessera de subsister dans l’esprit du consommateur qui n’a pas fait de telles recherches.

[73] D’ailleurs, avant qu’elle ne soit dissipée, une telle confusion peut amener le consommateur à rechercher, considérer ou acheter les marchandises ou les services d’une source dont il ignorait jusque‑là l’existence ou à laquelle il ne s’était pas auparavant intéressé, et, partant, diminuer la valeur de l’achalandage rattaché à la marque de commerce et à l’entreprise à laquelle le consommateur croyait initialement avoir affaire en voyant la marque de commerce. Induire ainsi le consommateur en erreur est l’un des maux que la législation sur les marques de commerce vise à enrayer. Les consommateurs de marchandises ou de services onéreux et les propriétaires des marques de commerce qui y sont associées ont autant droit de bénéficier du régime des marques de commerce, notamment en matière de protection, que ceux qui achètent ou vendent des marchandises ou des services peu coûteux.

[74] Pour ces raisons, j’estime que la décision du juge de première instance de faire abstraction de la probabilité de confusion en examinant ce que le consommateur était susceptible de faire au vu d’une marque était erronée. Il aurait plutôt dû s’en tenir à la question de savoir comment le consommateur ayant un vague souvenir de la marque de Masterpiece Inc. aurait réagi en voyant celle d’Alavida. Comme on peut s’attendre à ce que le consommateur à la recherche d’une résidence de luxe pour personnes âgées porte un peu plus attention à la marque de commerce qu’il voit pour la première fois que le consommateur de marchandises ou services moins onéreux, la question du coût n’est pas dénuée de pertinence. Toutefois, cette question ne mènera vraisemblablement pas à une conclusion différente dans les cas où l’existence d’une forte ressemblance donne à penser qu’il y a probabilité de confusion et où les autres facteurs énoncés au par. 6(5) de la Loi ne militent pas fortement contre l’existence d’une telle probabilité.

D. Quand les tribunaux doivent-ils tenir compte d’une preuve d’expert dans les affaires où des marques de commerce créent de la confusion?

(1) Le rôle du juge dans l’admission de la preuve d’expert

[75] La présentation d’une preuve d’expert dans les affaires portant sur des marques de commerce ne diffère pas de la présentation d’une telle preuve dans d’autres contextes. Dans R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, la Cour a énoncé quatre exigences à satisfaire pour qu’une preuve d’expert soit acceptée au procès : a) la pertinence, b) la nécessité d’aider le juge des faits, c) l’absence de toute règle d’exclusion, et d) la qualification suffisante de l’expert. En examinant la norme relative à la deuxième de ces exigences, à savoir la « nécessité », la Cour a expliqué que l’expert ne doit être autorisé à témoigner que si son témoignage contient des renseignements « qui, selon toute vraisemblance, dépassent l’expérience et la connaissance d’un juge ou d’un jury » :

Cette condition préalable est fréquemment reprise dans la question de savoir si la preuve serait utile au juge des faits. Le mot « utile » n’est pas tout à fait juste car il établit un seuil trop bas. Toutefois, je ne jugerais pas la nécessité selon une norme trop stricte. L’exigence est que l’opinion soit nécessaire au sens qu’elle fournit des renseignements « qui, selon toute vraisemblance, dépassent l’expérience et la connaissance d’un juge ou d’un jury » : cité par le juge Dickson, dans Abbey, précité. Comme le juge Dickson l’a dit, la preuve doit être nécessaire pour permettre au juge des faits d’apprécier les questions en litige étant donné leur nature technique. [p. 23]

[76] Compte tenu de la preuve d’expert relativement détaillée qui a été présentée en l’espèce et des problèmes posés par la preuve dont je discuterai plus loin, je pense qu’il est opportun de rappeler que les litiges coûtent cher. Les tribunaux doivent veiller à ce que les preuves d’expert et les preuves par sondage qui ne sont ni nécessaires, ni pertinentes, et qui risquent de troubler leur attention ne viennent pas rallonger et compliquer le déroulement de l’instance. Bien que cette remarque soit d’application générale, je cible particulièrement les affaires de confusion entre des marques de commerces, comme c’est le cas en l’espèce.

[77] Le juge de première instance ne doit admettre aucune preuve d’expert qui, selon lui, n’est ni nécessaire, ni pertinente, ou le distraira de son analyse des questions qu’il est appelé à trancher. Je pense aussi que c’est au stade de la gestion de l’instance qu’il convient de décider si les preuves d’expert et les preuves par sondage que les parties comptent présenter sont admissibles ou non, et ce, afin d’éviter que celles-ci n’engagent des frais inutiles. J’illustrerai mes propos en me penchant sur la preuve d’expert présentée en l’espèce.

(2) L’inutilité des preuves d’expert quant à l’analyse relative à la confusion

[78] Une partie importante de la décision rendue en première instance et de l’argumentation présentée à notre Cour a porté sur les preuves d’expert présentées par les parties, à savoir le témoignage d’expert produit par Alavida sur la réaction probable du consommateur lorsqu’on lui présente les marques de commerce, et les résultats d’un sondage mené par un expert pour le compte de Masterpiece Inc. qui ont été fortement contestés par un expert embauché par Alavida.

[79] De toute évidence, les preuves d’expert produites par l’une et l’autre partie n’ont pas été très utiles. En effet, de larges pans de leurs preuves respectives avaient un caractère contradictoire et acrimonieux. D’ailleurs, ces preuves, loin d’être utiles au tribunal, ont semblé avoir détourné son attention de l’analyse relative à la confusion.

[80] Le premier problème que posait une bonne partie du témoignage d’expert est le fait qu’il ne répondait pas à la deuxième exigence énoncée dans Mohan, c’est-à-dire la nécessité. Dans un cas comme celui qui nous occupe, où le « consommateur ordinaire » n’est pas censé posséder des compétences ou des connaissances particulières et où il existe une ressemblance entre les marques, il n’est généralement pas nécessaire de soumettre une preuve d’expert qui ne fournit qu’une simple appréciation de cette ressemblance. Par surcroît, une telle preuve sera carrément inutile si l’expert se livre à une analyse qui éloigne le tribunal de la question hypothétique qui est au cœur de l’analyse, à savoir s’il est probable que les marques créent de la confusion.

[81] La preuve soumise par l’un des experts d’Alavida consistait en partie en une analyse de la morphologie, de la sémantique, des règles de grammaire et des conventions en matière d’expression qui l’a amené à conclure que, dans la marque de commerce « Masterpiece Living » d’Alavida, l’accent était mis sur le mot « Living » et en constituait l’élément dominant, alors que dans la marque « Masterpiece the Art of Living » de Masterpiece Inc., c’était le mot « Masterpiece » qui était l’élément dominant, ce qui, selon lui, réduisait la probabilité de confusion.

[82] J’ai beaucoup de difficulté à comprendre comment cet expert a pu tirer ces conclusions en se fondant sur cette analyse. Tout expert doit pouvoir expliquer les motifs qui sous‑tendent une conclusion rationnelle. Cela est d’autant plus vrai dans les cas où la conclusion contraire semble intuitivement plus probable. Or, l’expert n’a pas fourni une telle explication. Dans les deux cas, le mot distinctif est « Masterpiece » et non pas « Living ». En effet, le mot « Masterpiece » est celui qui figure en premier dans chacune des marques de commerce. Pour sa part, le mot « Living » figure lui aussi dans chaque marque. L’idée véhiculée par les marques est la même dans chaque cas. Comme je l’ai déjà mentionné, il est évident que, dans le secteur des résidences pour personnes âgées, la marque de commerce « Masterpiece Living » d’Alavida ressemble beaucoup à la marque « Masterpiece the Art of Living » de Masterpiece Inc.

[83] Dans l’analyse d’une marque de commerce, ni l’expert, ni le tribunal ne doit considérer chaque partie de celle‑ci séparément des autres éléments. Il convient plutôt d’examiner la marque telle que le consommateur la voit, à savoir comme un tout, et sur la base d’une première impression. Dans Ultravite Laboratories Ltd. c. Whitehall Laboratories Ltd., [1965] R.C.S. 734, le juge Spence, qui devait décider si les mots « DANDRESS » et « RESDAN », en liaison avec l’élimination des pellicules, créaient de la confusion, a exprimé succinctement sa pensée aux p. 737 et 738 : [traduction] « [L]e critère qu’il convient d’appliquer est celui de la personne ordinaire à la recherche d’un produit et non pas celui de la personne versée dans l’art du sens des mots. »

[84] Toutefois, examiner la marque de commerce dans son ensemble ne veut pas dire qu’il faut faire abstraction d’une composante dominante de celle‑ci qui aurait une incidence sur l’impression générale du consommateur moyen : voir les motifs de la juge Arden dans esure Insurance Ltd. c. Direct Line Insurance plc, 2008 EWCA Civ 842, [2008] R.P.C. 34, par. 45. Il en est ainsi parce que même si le consommateur regarde la marque dans son ensemble, il se peut qu’un certain aspect de celle-ci soit particulièrement frappant et qu’il en constitue l’élément le plus distinctif. Il en sera ainsi parce que cet aspect est la partie la plus distinctive de l’ensemble de la marque de commerce. En l’espèce, contrairement à l’expert, j’estime que la composante la plus distinctive et dominante de chacune des marques en cause est le mot « Masterpiece », car il en traduit le contenu et l’aspect le plus frappant. Le mot « Living » est fade par comparaison.

[85] Une autre difficulté liée à cette preuve d’expert réside dans le fait qu’elle comparait les marques de Masterpiece Inc. avec la marque de commerce d’Alavida dans la forme — notamment sur le plan typographique — sous laquelle celle‑ci l’employait après le 1er décembre 2005. L’expert n’a pas, comme il devait le faire en l’espèce, examiné les autres formes de présentation qu’Alavida pouvait utiliser conformément à l’enregistrement de sa marque de commerce. Par exemple, comme je l’ai précédemment dit, rien n’empêcherait Alavida de présenter sa marque dans la même forme que celle de Masterpiece Inc. — notamment sur le plan typographique — et de mettre en évidence le mot « Masterpiece » comme cette dernière l’a fait. C’est peut-être ce qui a amené le juge de première instance à commettre la même erreur en concluant que l’emploi ultérieur par Alavida de sa marque était suffisamment différent de l’emploi des marques de commerce et du nom commercial de Masterpiece Inc. pour que la probabilité de confusion soit diminuée.

[86] Un autre aspect problématique de la preuve de l’expert est la mention par celui‑ci du coût et de l’importance des biens ou des services en question. L’expert a exprimé l’opinion suivante sur ce point :

[traduction] À mesure que croît l’importance de sa décision de consommation, le consommateur fait montre de plus de vigilance et d’attention, il déploie davantage d’efforts pour se renseigner, il recherche plus activement un produit et il apprécie de plus en plus méticuleusement les offres concurrentes. Mais, surtout, à mesure que le degré de vigilance exercée par le consommateur augmente, la probabilité de confusion diminue en conséquence. [d.a., vol. II, p. 75]

[87] Il est évident que l’expert s’est attaché à certains moments après que le consommateur a vu la marque de commerce pour la première fois. Comme je l’ai expliqué plus tôt, les recherches subséquentes effectuées par le consommateur et la vigilance manifestée ultérieurement par celui-ci peuvent dissiper la confusion dans l’esprit de ce dernier, mais elles ne changent rien à la confusion — pertinente pour l’application de la Loi sur les marques de commerce — qui a existé dans l’esprit du consommateur lorsqu’il a vu la marque de commerce pour la première fois. L’expert a appliqué des présomptions de droit erronées et a par conséquent tiré des conclusions elles‑mêmes erronées. Ces erreurs ont pu amener le juge à appliquer le mauvais critère juridique pour apprécier la confusion.

[88] Compte tenu des problèmes susmentionnés et d’autres problèmes que pose la preuve d’expert en l’espèce, il pourrait être utile, je pense, de formuler quelques remarques générales sur l’utilisation d’une telle preuve dans une affaire de confusion. À cette fin, je vais m’inspirer des propos de lord Diplock dans General Electric Co. c. The General Electric Co. Ltd., [1972] 2 All E.R. 507 (H.L.). Celui‑ci y a fait une distinction entre, d’une part, les biens vendus dans un marché spécialisé composé de consommateurs avertis exerçant un commerce particulier, par exemple le commerce de gros appareils électriques industriels, et, d’autre part, les biens vendus au grand public. En présence d’un marché spécialisé, il peut s’avérer essentiel de faire la preuve du degré de connaissance ou caractère averti particulier des consommateurs afin de déterminer dans quels cas la confusion est susceptible de se produire. Toutefois, quand il est question de biens vendus aux membres du grand public pour usage courant, lord Diplock a affirmé ce qui suit à la p. 515 :

[traduction] . . . la question de savoir si de tels acheteurs seraient susceptibles de se méprendre ou d’être confus en raison de l’emploi de la marque de commerce est une « question relevant du jury ». Je veux dire par là que si la question devait encore, comme auparavant, être tranchée par des jurés qui, à titre de membres du grand public, seraient des acheteurs éventuels des biens en question, ces jurés devraient non seulement considérer tout élément de preuve d’autres membres du public qui ont été produits, mais également se servir de leur propre sens commun et voir s’ils seraient eux-mêmes susceptibles de se méprendre ou d’être confus.

[89] La réponse à cette question n’est pas différente lorsque celle-ci est tranchée par un juge. Lord Diplock a ajouté ceci à la p. 515 :

[traduction] La démarche du juge à l’égard de la question devrait être la même que celle du jury. Lui aussi est un acheteur éventuel des biens concernés. Il doit évidemment demeurer prudent et ne pas laisser ses connaissances ou son tempérament particuliers influencer sa décision, mais l’ensemble de sa formation à la pratique du droit devrait l’avoir familiarisé avec ce risque, et cette formation devrait assurer la protection nécessaire, protection qui, dans le cas des jurés, découle de leur nombre. La Cour a bien établi dans certaines décisions que, dans les questions de ce genre, les juges ont le droit de se fier à leurs propres opinions quant à la probabilité de méprise ou de confusion et, de ce fait, n’ont pas à se limiter aux dépositions des témoins au procès. [Je souligne.]

[90] Dans esure, la même préoccupation et la même mise en garde ont été exprimées quant à la preuve d’expert relative à la confusion. Au paragraphe 62 de cette décision, la juge Arden a déclaré ce qui suit :

[traduction] Premièrement, comme la question cruciale de la confusion — quelle que soit la nature de cette confusion — doit être appréciée du point de vue du consommateur moyen, il est difficile d’imaginer quel avantage apporte l’opinion d’un expert lorsque le tribunal est en mesure d’arrêter sa propre opinion. Cela ne veut pas dire que les experts n’ont aucun rôle à jouer dans les cas où le juge ne connaît absolument rien des marchés en question . . .

[91] Dans Ultravite, le juge Spence se sentait très à l’aise d’exprimer et d’appliquer son propre point de vue quant à la première impression que produirait une marque de commerce sur le consommateur moyen. Il a déclaré ce qui suit à la p. 738 :

[traduction] En exprimant mon point de vue, je me mets à la place de la personne moyenne qui se rend au marché pour acheter un shampoing antipellicules et une lotion capillaire.

[92] Je fais miens ces commentaires sur le témoignage d’expert et je retiens la démarche du juge Spence dans Ultravite, de la Chambre des lords dans General Electric et de la Cour d’appel d’Angleterre dans esure. Dans les affaires portant sur des marchandises ou des services offerts au grand public, par exemple des résidences pour personnes âgées, les juges doivent évidemment examiner chaque marque litigieuse globalement, mais aussi eu égard à la caractéristique dominante de chacune, sa caractéristique la plus frappante ou singulière. Ils doivent faire appel à leur bon sens et ne pas se laisser influencer par leurs « connaissances ou [leur] tempérament particuliers » pour décider s’il y aurait probabilité de confusion chez le consommateur ordinaire.

[93] Les sondages, par contre, sont susceptibles d’apporter une preuve empirique des réactions des consommateurs — précisément la question que le juge de première instance examine dans une affaire de confusion. L’information fournie par ce genre de preuve n’est généralement pas connue des juges de première instance et, donc, contrairement à d’autres preuves d’expert, une telle preuve respecterait la deuxième exigence en matière de preuve énoncée dans Mohan, à savoir la nécessité de la preuve en question. Toutefois, la preuve par sondage doit être utilisée avec circonspection.

[94] L’utilisation de sondages effectués auprès des consommateurs dans des affaires de marques de commerce est reconnue comme un mode de preuve valide pour éclairer le tribunal dans l’analyse relative à la confusion. Comme l’a souligné le juge Binnie dans l’arrêt Mattel, souvent la difficulté que soulève la preuve par sondage est de savoir si elle respecte la première des exigences énoncées dans Mohan, à savoir la pertinence. Au paragraphe 45 de Mattel, le juge Binnie a divisé la question de la pertinence en deux sous-questions :

Quant à l’utilité des résultats, en présumant qu’ils ont été générés par une question pertinente, les tribunaux se sont récemment montrés réceptifs à cette preuve, dans la mesure où le sondage est à la fois fiable (dans le sens où, s’il était repris, on obtiendrait vraisemblablement les mêmes résultats) et valide (à savoir qu’on a posé les bonnes questions au bon bassin de répondants, de la bonne façon et dans des circonstances qui permettent d’obtenir les renseignements recherchés). [Je souligne.]

[95] Dans Mattel, le sondage en litige a été jugé invalide car il ne s’attachait pas à l’existence d’une probabilité de confusion, mais d’une « simple possibilité, plutôt qu’une probabilité, de confusion » (par. 49). En effet, on demandait aux consommateurs si, selon eux, la compagnie qui fabrique les poupées Barbie « pourrait avoir quelque chose à faire avec » un restaurant identifié par la marque de commerce « Barbie’s » (par. 1 (souligné dans l’original)).

[96] En l’espèce, le problème est quelque peu différent. Contrairement à Mattel, Masterpiece Inc. n’était pas encore bien implantée dans la collectivité où elle exerçait ses activités. Par conséquent, il n’existait pas de consommateurs moyens ou ordinaires auprès desquels on pouvait vérifier l’existence d’un « vague souvenir » des marques de Masterpiece Inc. Par conséquent, le sondage était fondé sur une série de questions qui tentaient d’abord de dégager une sorte de substitut de « vague souvenir », puis de voir comment de tels clients réagiraient en présence de la deuxième marque. Cette façon de procéder n’équivaut pas à poser des questions « de la bonne façon et dans des circonstances qui permettent d’obtenir » la preuve de la façon dont des consommateurs possédant un vague souvenir des marques de Masterpiece Inc. réagiraient face à la marque projetée d’Alavida. Pour qu’un sondage soit valide, il apparaît élémentaire qu’il doit exister un certain nombre de consommateurs susceptibles d’avoir un vague souvenir de la première marque. Simuler l’existence d’un « vague souvenir » au moyen d’une série de questions de mise en contexte sera rarement considéré comme une méthode fiable et valide.

[97] Bien que je n’écarte pas complètement la possibilité qu’une partie puisse concevoir un sondage valide dans un cas où l’utilisateur d’une marque de commerce ne serait pas suffisamment bien implanté dans le marché pour que ces consommateurs puissent avoir un vague souvenir de sa marque de commerce, je me hasarderais à affirmer qu’il est très peu probable qu’un tel sondage réponde aux exigences de fiabilité et de validité.

[98] Je ne connais pas les circonstances exactes dans lesquelles la preuve d’expert a été présentée en l’espèce ni ce qu’on a demandé au juge de première instance, et personne ne prétend que celui‑ci a fait erreur en autorisant cette preuve. Néanmoins, il me semble évident, particulièrement en ce qui a trait au sondage, que la preuve a été peu utile au juge de première instance et qu’elle a de fait détourné son attention de l’analyse relative à la confusion qu’il devait faire.

[99] Lorsque des parties se proposent de produire une preuve d’expert, le juge de première instance devrait s’interroger, eu égard aux critères énoncés dans Mohan, sur la nécessité et l’utilité de cette preuve avant d’autoriser sa présentation. Comme je l’ai indiqué plus tôt, si le juge de première instance conclut que la preuve d’expert n’est pas nécessaire ou qu’elle détournera son attention des questions à trancher, il doit en refuser la production.

[100] J’ajouterais également qu’il serait avantageux qu’un juge chargé de la gestion de l’instance évalue, tôt dans celle-ci, l’admissibilité et l’utilité des preuves d’expert et par sondage dont on propose la production, de manière à éviter que des ressources considérables soient consacrées à une preuve peu utile.

[101] Comme je l’ai mentionné plus tôt, je ne sais pas exactement quelles procédures ont eu lieu en l’espèce ou si, dans les affaires de confusion en matière de marques de commerce, la Cour fédérale tient généralement compte, dans le processus de gestion de l’instance, de la méthodologie et de l’envergure des sondages envisagés. Toutefois, ma recommandation à cet égard s’inspire de celle au même effet faite par la juge Arden, au par. 63 de esure, où cette dernière a souligné que de tels sondages peuvent être onéreux, en plus d’être parfois basés sur de mauvaises questions et de produire en conséquence des réponses non pertinentes ou peu utiles. Il s’agit précisément du problème que pose le sondage dans la présente affaire. En énonçant la recommandation qui précède, j’ai considéré celle faite par la juge Arden quant aux directives sur la gestion de l’instance qui devraient être formulées au sujet des sondages envisagés. Voici les explications qu’elle a données, au par. 64 :

[traduction] L’objectif que je vise en faisant état de cette nouvelle pratique [directives sur la gestion de l’instance] est de la faire connaître davantage et d’encourager les praticiens dans ce domaine à recourir à ce mécanisme, de manière à réduire au minimum les coûts inutiles et l’utilisation injustifiée des ressources des tribunaux.

Je vise le même objectif.

VII. L’analyse relative à la confusion

[102] Pour décider s’il existe une probabilité de confusion entre des sources de biens ou services, le juge de première instance doit constater les faits et tirer des inférences. En conséquence, les tribunaux d’appel doivent en règle générale s’en remettre aux constatations de fait et aux inférences du juge de première instance, sauf si les faits constatés par celui-ci ou les inférences qu’il a tirées découlent d’une erreur de droit ou constituent une erreur de fait manifeste et dominante : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235.

[103] En l’espèce, trois erreurs de droit ont été relevées dans l’interprétation et l’application de l’analyse relative à la confusion effectuée par le juge de première instance. Il faut maintenant se demander si l’affaire doit être renvoyée au juge de première instance pour qu’il statue à nouveau en conformité avec les présents motifs, ou si la Cour doit procéder à une nouvelle appréciation de la preuve. Dans Hollis c. Dow Corning Corp., [1995] 4 R.C.S. 634, par. 33, la Cour a tiré la conclusion suivante :

Il est bien établi que les juridictions d’appel ont compétence pour apprécier à nouveau la preuve au dossier lorsqu’elles estiment qu’une telle appréciation est dans l’intérêt de la justice et qu’elle ne soulève pas d’obstacle en pratique . . .

Dans cette affaire, étant donné que « l’essentiel de la preuve cruciale présentée au procès était de nature documentaire et non testimoniale », une nouvelle appréciation de cette preuve était réalisable. Dans le présent cas, notre Cour dispose également d’un dossier complet lui permettant de rendre une nouvelle décision, puisqu’elle a conclu que la preuve d’expert ne présente que peu ou pas d’utilité quant à la question de la confusion. Afin de ne pas prolonger davantage les procédures opposant les parties, j’estime qu’il est dans l’intérêt de la justice que la Cour tranche la présente affaire de façon définitive.

[104] Sans reprendre toutes les constatations susmentionnées, il ne fait aucun doute qu’il existe une forte ressemblance entre la marque de commerce de Masterpiece Inc., « Masterpiece the Art of Living », et celle d’Alavida, « Masterpiece Living ». Selon moi, le consommateur ordinaire qui observerait la seconde marque et ne posséderait qu’un vague souvenir de la première confondrait probablement la source des services liés à la marque de commerce d’Alavida avec celle des services liés à la marque de commerce de Masterpiece Inc. et se dirait que ces services émanent d’une seule et même source. Il s’agit maintenant de se demander si quelque autre circonstance de l’espèce a pour effet de réduire cette probabilité de confusion au point qu’il y ait peu de risque qu’elle survienne.

[105] En ce qui concerne le coût et l’importance des services de résidences pour personnes âgées, ces facteurs sont pertinents. Toutefois, vu l’étroite ressemblance entre les marques, même le consommateur à la recherche d’une résidence pour personnes âgées relativement onéreuse ne constaterait probablement pas que la marque « Masterpiece Living » d’Alavida désigne une source de services différente de la marque « Masterpiece the Art of Living » de Masterpiece Inc. Les idées évoquées par les marques des deux sociétés sont les mêmes. Si on considère les marques globalement, ainsi que le mot dominant « Masterpiece » en particulier, peu de choses empêchent le consommateur de penser que les marques émanent de la même source.

[106] En ce qui concerne le genre de marchandises, de services ou d’entreprises, Alavida a prétendu que les services qu’elle entend offrir sont de type « haut de gamme » alors que Masterpiece Inc. ne fournit que des services « de qualité intermédiaire ». Cette analyse des services est trop limitée. L’enregistrement d’Alavida décrit ainsi ses services :

[traduction] Services d’aménagement immobilier, services de gestion immobilière, services de construction immobilière résidentielle, services de restauration, à savoir un restaurant avec salle à manger, services d’entretien domestique, services médicaux, à savoir des services de clinique médicale, services de spa, services de conditionnement physique, à savoir un centre de conditionnement physique et services de conciergerie. [d.i., vol. I, p. 210]

[107] Rien dans cet enregistrement ne limite Alavida au « marché haut de gamme ». En effet, cet enregistrement autorisait Alavida à employer sa marque de commerce dans le même marché que celui desservi par Masterpiece Inc. Pour les besoins de l’analyse relative à la confusion, les services fournis par les parties sont essentiellement les mêmes services de résidences pour personnes âgées. Rien ne justifie de faire une distinction entre le « marché haut de gamme » et le « marché intermédiaire ». Selon moi, l’examen du genre de services en cause augmente la probabilité de confusion chez le consommateur ordinaire.

[108] Le juge de première instance a conclu que, bien que le mot « Masterpiece » soit fréquemment utilisé pour décrire des biens et des services, son emploi dans le secteur des résidences pour personnes âgées est quelque peu particulier en ce sens qu’il vise à distinguer les services de résidences pour personnes âgées fournis par son propriétaire des services de résidences pour personnes âgées fournis par des tiers. Je souscris à cette conclusion.

[109] En ce qui concerne l’acquisition d’un caractère distinctif, le juge a conclu que, à l’époque où la demande a été faite, ni Masterpiece Inc., ni aucune de ses marques de commerce n’étaient très connues. Bien que la preuve présentée par cette entreprise suffît à établir qu’il y avait eu emploi, au sens de la Loi, de son nom commercial et de ses marques de commerce, dont « Masterpiece the Art of Living », elle ne démontrait pas qu’il y avait eu acquisition d’un caractère distinctif. Je souscris à l’opinion du juge de première instance.

[110] Enfin, il existe en l’espèce une autre circonstance susceptible d’être pertinente. Comme je l’ai expliqué au par. 11, peu de temps après qu’Alavida eut présenté sa demande, Masterpiece Inc. a demandé l’enregistrement de « Masterpiece » ainsi que de « Masterpiece Living » en liaison avec des services de résidences pour personnes âgées. Ces demandes ont été rejetées par le registraire en raison de la demande déjà produite par Alavida.

[111] Ce refus était fondé sur la constatation que chacune des marques soumises par Masterpiece Inc. était similaire, au point de créer de la confusion, à la marque de commerce projetée d’Alavida. Pour les besoins de l’analyse relative à la confusion, la demande d’enregistrement de la marque « Masterpiece Living » présentée par Masterpiece Inc. n’a aucune importance, car cette dernière n’a pas utilisé ce libellé avant le 1er décembre 2005, date à laquelle Alavida a produit sa demande. Toutefois, le mot « Masterpiece » était le nom commercial sous lequel Masterpiece Inc. avait exercé ses activités avant cette date, et il constituait l’élément dominant de la marque de commerce « Masterpiece the Art of Living ».

[112] Bien que, au début de ses motifs, le juge de première instance ait fait état du rejet des demandes de Masterpiece Inc., rien n’indique qu’il en a tenu compte dans son analyse relative à la confusion. Il est vrai qu’il n’était pas en train d’instruire un appel ou de procéder à un contrôle judiciaire en ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision du registraire, qu’il n’avait pas à faire preuve de retenue à l’égard de cette décision, et qu’il n’était certainement pas lié par celle‑ci. Toutefois, comme il s’agissait d’une circonstance de l’espèce pertinente visée au par. 6(5), j’estime que le juge aurait dû, dans l’appréciation de la preuve dont il disposait, prendre acte de la conclusion du registraire, laquelle était diamétralement opposée à la sienne. En fait, la décision du registraire étaye la conclusion qu’il existe une probabilité de confusion entre la marque de commerce d’Alavida et le nom commercial de Masterpiece Inc. et, partant, la marque de commerce « Masterpiece the Art of Living ».

VIII. Conclusion

[113] La prise en compte de toutes les circonstances de l’espèce, notamment les facteurs énoncés au par. 6(5) de la Loi sur les marques de commerce et particulièrement la très grande ressemblance entre la marque de commerce « Masterpiece Living » d’Alavida et la marque de commerce « Masterpiece the Art of Living » de Masterpiece Inc., amène à conclure que cette dernière a prouvé que l’emploi de la marque de commerce d’Alavida dans la même région que celle où ses marques sont utilisées serait susceptible de faire conclure que les services liés aux marques de commerce de Masterpiece Inc. sont fournis par Alavida.

[114] Comme l’emploi par Masterpiece Inc. a précédé celui projeté par Alavida, cette dernière n’avait pas droit à l’enregistrement de sa marque de commerce en vertu du par. 16(3) de la Loi. Par conséquent, Alavida n’était pas « la personne ayant droit [d’]obtenir » l’enregistrement de sa marque de commerce au sens du par. 18(1) de la Loi, et ce motif d’invalidité a été établi. Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens devant la Cour et devant les juridictions inférieures et, en vertu du par. 57(1) de la Loi sur les marques de commerce, j’ordonne au registraire de biffer cet enregistrement du registre des marques de commerce.

ANNEXE

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

. . .

« créant de la confusion » Relativement à une marque de commerce ou un nom commercial, s’entend au sens de l’article 6.

. . .

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

« emploi » ou « usage » À l’égard d’une marque de commerce, tout emploi qui, selon l’article 4, est réputé un emploi en liaison avec des marchandises ou services.

. . .

« marque de commerce » Selon le cas :

a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d’autres;

b) marque de certification;

c) signe distinctif;

d) marque de commerce projetée.

« marque de commerce déposée » Marque de commerce qui se trouve au registre.

« marque de commerce projetée » Marque qu’une personne projette d’employer pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d’autres.

. . .

« nom commercial » Nom sous lequel une entreprise est exercée, qu’il s’agisse ou non d’une personne morale, d’une société de personnes ou d’un particulier.

. . .

« registraire » Le registraire des marques de commerce nommé en vertu de l’article 63.

« registre » Le registre tenu selon l’article 26.

. . .

4. (1) Une marque de commerce est réputée utilisée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

(3) Une marque de commerce mise au Canada sur des marchandises ou sur les colis qui les contiennent est réputée, quand ces marchandises sont exportées du Canada, être employée dans ce pays en liaison avec ces marchandises.

6. (1) Pour l’application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

(3) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec un nom commercial, lorsque l’emploi des deux dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à cette marque et les marchandises liées à l’entreprise poursuivie sous ce nom sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à cette marque et les services liés à l’entreprise poursuivie sous ce nom sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou services soient ou non de la même catégorie générale.

(4) L’emploi d’un nom commercial crée de la confusion avec une marque de commerce, lorsque l’emploi des deux dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à l’entreprise poursuivie sous ce nom et les marchandises liées à cette marque sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à l’entreprise poursuivie sous ce nom et les services liés à cette marque sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou services soient ou non de la même catégorie générale.

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

. . .

16. (1) Tout requérant qui a produit une demande selon l’article 30 en vue de l’enregistrement d’une marque de commerce qui est enregistrable et que le requérant ou son prédécesseur en titre a employée ou fait connaître au Canada en liaison avec des marchandises ou services, a droit, sous réserve de l’article 38, d’en obtenir l’enregistrement à l’égard de ces marchandises ou services, à moins que, à la date où le requérant ou son prédécesseur en titre l’a en premier lieu ainsi employée ou révélée, elle n’ait créé de la confusion :

a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;

b) soit avec une marque de commerce à l’égard de laquelle une demande d’enregistrement avait été antérieurement produite au Canada par une autre personne;

c) soit avec un nom commercial qui avait été antérieurement employé au Canada par une autre personne.

. . .

(3) Tout requérant qui a produit une demande selon l’article 30 en vue de l’enregistrement d’une marque de commerce projetée et enregistrable, a droit, sous réserve des articles 38 et 40, d’en obtenir l’enregistrement à l’égard des marchandises ou services spécifiés dans la demande, à moins que, à la date de production de la demande, elle n’ait créé de la confusion :

a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;

b) soit avec une marque de commerce à l’égard de laquelle une demande d’enregistrement a été antérieurement produite au Canada par une autre personne;

c) soit avec un nom commercial antérieurement employé au Canada par une autre personne.

. . .

17. (1) Aucune demande d’enregistrement d’une marque de commerce qui a été annoncée selon l’article 37 ne peut être refusée, et aucun enregistrement d’une marque de commerce ne peut être radié, modifié ou tenu pour invalide, du fait qu’une personne autre que l’auteur de la demande d’enregistrement ou son prédécesseur en titre a antérieurement employé ou révélé une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion, sauf à la demande de cette autre personne ou de son successeur en titre, et il incombe à cette autre personne ou à son successeur d’établir qu’il n’avait pas abandonné cette marque de commerce ou ce nom commercial créant de la confusion, à la date de l’annonce de la demande du requérant.

(2) Dans des procédures ouvertes après l’expiration de cinq ans à compter de la date d’enregistrement d’une marque de commerce ou à compter du 1er juillet 1954, en prenant la date qui est postérieure à l’autre, aucun enregistrement ne peut être radié, modifié ou jugé invalide du fait de l’utilisation ou révélation antérieure mentionnée au paragraphe (1), à moins qu’il ne soit établi que la personne qui a adopté au Canada la marque de commerce déposée l’a fait alors qu’elle était au courant de cette utilisation ou révélation antérieure.

18. (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :

a) la marque de commerce n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement;

b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement;

c) la marque de commerce a été abandonnée.

Sous réserve de l’article 17, l’enregistrement est invalide si l’auteur de la demande n’était pas la personne ayant droit de l’obtenir.

(2) Nul enregistrement d’une marque de commerce qui était employée au Canada par l’inscrivant ou son prédécesseur en titre, au point d’être devenue distinctive à la date d’enregistrement, ne peut être considéré comme invalide pour la seule raison que la preuve de ce caractère distinctif n’a pas été soumise à l’autorité ou au tribunal compétent avant l’octroi de cet enregistrement.

19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle‑ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.

20. (1) Le droit du propriétaire d’une marque de commerce déposée à l’emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l’employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. Toutefois, aucun enregistrement d’une marque de commerce ne peut empêcher une personne :

a) d’utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial;

b) d’employer de bonne foi, autrement qu’à titre de marque de commerce :

(i) soit le nom géographique de son siège d’affaires,

(ii) soit toute description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises ou services,

d’une manière non susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce.

(2) L’enregistrement d’une marque de commerce n’a pas pour effet d’empêcher une personne d’utiliser les indications mentionnées au paragraphe 11.18(3) en liaison avec un vin ou les indications mentionnées au paragraphe 11.18(4) en liaison avec un spiritueux.

21. (1) Si, dans des procédures relatives à une marque de commerce déposée dont l’enregistrement est protégé aux termes du paragraphe 17(2), il est démontré à la Cour fédérale que l’une des parties aux procédures, autre que le propriétaire inscrit de la marque de commerce, avait de bonne foi employé au Canada une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion, avant la date de la production de la demande en vue de cet enregistrement, et si le tribunal considère qu’il n’est pas contraire à l’intérêt public que l’emploi continu de la marque de commerce ou du nom commercial créant de la confusion soit permis dans une région territoriale définie simultanément avec l’emploi de la marque de commerce déposée, il peut, sous réserve des conditions qu’il estime justes, ordonner que cette autre partie puisse continuer à employer la marque de commerce ou le nom commercial créant de la confusion, dans cette région, avec une distinction suffisante et spécifiée d’avec la marque de commerce déposée.

(2) Les droits conférés par une ordonnance rendue aux termes du paragraphe (1) ne prennent effet que si, dans les trois mois qui suivent la date de l’ordonnance, cette autre partie demande au registraire de l’inscrire au registre, en ce qui regarde l’enregistrement de la marque de commerce déposée.

30. Quiconque sollicite l’enregistrement d’une marque de commerce produit au bureau du registraire une demande renfermant :

a) un état, dressé dans les termes ordinaires du commerce, des marchandises ou services spécifiques en liaison avec lesquels la marque a été employée ou sera employée;

b) dans le cas d’une marque de commerce qui a été employée au Canada, la date à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, ont ainsi employé la marque de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de marchandises ou services décrites dans la demande;

c) dans le cas d’une marque de commerce qui n’a pas été employée au Canada mais qui est révélée au Canada, le nom d’un pays de l’Union dans lequel elle a été employée par le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, et la date à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs l’ont fait connaître au Canada en liaison avec chacune des catégories générales de marchandises ou services décrites dans la demande, ainsi que la manière dont ils l’ont révélée;

d) dans le cas d’une marque de commerce qui est, dans un autre pays de l’Union, ou pour un autre pays de l’Union, l’objet, de la part du requérant ou de son prédécesseur en titre désigné, d’un enregistrement ou d’une demande d’enregistrement sur quoi le requérant fonde son droit à l’enregistrement, les détails de cette demande ou de cet enregistrement et, si la marque n’a été ni employée ni révélée au Canada, le nom d’un pays où le requérant ou son prédécesseur en titre désigné, le cas échéant, l’a employée en liaison avec chacune des catégories générales de marchandises ou services décrites dans la demande;

e) dans le cas d’une marque de commerce projetée, une déclaration portant que le requérant a l’intention de l’employer, au Canada, lui-même ou par l’entremise d’un licencié, ou lui-même et par l’entremise d’un licencié;

f) dans le cas d’une marque de certification, les détails de la norme définie que l’emploi de la marque est destiné à indiquer et une déclaration portant que le requérant ne pratique pas la fabrication, la vente, la location à bail ou le louage de marchandises ou ne se livre pas à l’exécution de services, tels que ceux pour lesquels la marque de certification est employée;

g) l’adresse du principal bureau ou siège d’affaires du requérant, au Canada, le cas échéant, et si le requérant n’a ni bureau ni siège d’affaires au Canada, l’adresse de son principal bureau ou siège d’affaires à l’étranger et les nom et adresse, au Canada, d’une personne ou firme à qui tout avis concernant la demande ou l’enregistrement peut être envoyé et à qui toute procédure à l’égard de la demande ou de l’enregistrement peut être signifiée avec le même effet que si elle avait été signifiée au requérant ou à l’inscrivant lui-même;

h) sauf si la demande ne vise que l’enregistrement d’un mot ou de mots non décrits en une forme spéciale, un dessin de la marque de commerce, ainsi que le nombre, qui peut être prescrit, de représentations exactes de cette marque;

i) une déclaration portant que le requérant est convaincu qu’il a droit d’employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les marchandises ou services décrits dans la demande.

35. Le registraire peut requérir celui qui demande l’enregistrement d’une marque de commerce de se désister du droit à l’usage exclusif, en dehors de la marque de commerce, de telle partie de la marque qui n’est pas indépendamment enregistrable. Ce désistement ne porte pas préjudice ou atteinte aux droits du requérant, existant alors ou prenant naissance par la suite, dans la matière qui fait l’objet du désistement, ni ne porte préjudice ou atteinte au droit que possède le requérant à l’enregistrement lors d’une demande subséquente si la matière faisant l’objet du désistement est alors devenue distinctive des marchandises ou services du requérant.

40. (1) Lorsqu’une demande d’enregistrement d’une marque de commerce, autre qu’une marque de commerce projetée, est admise, le registraire inscrit la marque de commerce et délivre un certificat de son enregistrement.

(2) Lorsqu’une demande d’enregistrement d’une marque de commerce projetée est admise, le registraire en donne avis au requérant. Il enregistre la marque de commerce et délivre un certificat de son enregistrement après avoir reçu une déclaration portant que le requérant, son successeur en titre ou l’entité à qui est octroyée, par le requérant ou avec son autorisation, une licence d’emploi de la marque aux termes de laquelle il contrôle directement ou indirectement les caractéristiques ou la qualité des marchandises et services a commencé à employer la marque de commerce au Canada, en liaison avec les marchandises ou services spécifiés dans la demande.

. . .

57. (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l’appelante : MacLeod Dixon, Calgary; Gowling Lafleur Henderson, Toronto.

Procureurs de l’intimée : MBM Intellectual Property Law, Ottawa.

Procureurs de l’intervenante : Bereskin & Parr, Toronto.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et la marque de commerce d’alavida doit être biffée

Analyses

Propriété intellectuelle - Marques de commerce - Confusion - Société albertaine employant des marques de commerce non déposées avant qu’une société ontarienne ne fasse enregistrer une marque de commerce similaire - Demande de la société albertaine visant à faire biffer l’enregistrement de la marque de commerce de la société ontarienne dans le registre des marques de commerce - Le lieu où la marque est employée est-il pertinent en ce qui concerne l’analyse relative à la confusion? - De quels facteurs faut-il tenir compte pour évaluer la ressemblance entre une marque de commerce dont l’emploi est projeté et une marque de commerce employée mais non déposée? - Incidence de la nature et du coût des marchandises ou des services sur l’analyse relative à la confusion - Utilisation de la preuve d’expert dans l’analyse relative à la confusion - Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13, art. 6, 16(3), 17, 19, 20, 21, 30, 35, 40(2), 57(1).

Masterpiece Inc. et Alavida Lifestyles Inc. (« Alavida ») font toutes les deux des affaires dans le secteur des résidences pour personnes âgées. Depuis 2001, Masterpiece Inc., qui exerce ses activités en Alberta, emploie plusieurs marques de commerce non déposées, y compris « Masterpiece the Art of Living ». Alavida, qui exerce ses activités en Ontario, a commencé à faire des affaires en 2005 et demandé l’enregistrement de la marque de commerce « Masterpiece Living » le 1er décembre 2005 au motif qu’elle en projetait l’emploi. Alavida a commencé à employer cette marque de commerce en janvier 2006. Peu de temps après le dépôt de la demande d’Alavida, Masterpiece Inc. a commencé à employer elle aussi « Masterpiece Living » et, en 2006, a demandé l’enregistrement de cette marque de commerce ainsi que de la marque de commerce « Masterpiece ». La demande antérieure d’Alavida ayant finalement été accordée, les demandes de Masterpiece Inc. ont été rejetées. Par la suite, Masterpiece Inc. a produit une demande visant à faire biffer l’enregistrement de la marque de commerce d’Alavida, mais cette demande a été rejetée par le juge de première instance, qui a conclu à l’absence de probabilité que les marques de Masterpiece Inc. et la marque d’Alavida créent de la confusion. Cette décision a été maintenue en appel.

Arrêt : Le pourvoi est accueilli et la marque de commerce d’Alavida doit être biffée.

La présente affaire porte sur la façon fondamentale d’aborder l’analyse relative à la confusion et sur les critères qu’il convient d’appliquer à cet égard. Plus particulièrement, il s’agit de savoir si la marque de commerce d’Alavida et les marques de commerce et le nom commercial de Masterpiece Inc. créent de la confusion au sens de l’art. 6 de la Loi sur les marques de commerce. Le critère est de savoir si, à partir de sa première impression, le « consommateur ordinaire plutôt pressé » qui voit la marque de commerce d’Alavida alors qu’il n’a qu’un vague souvenir de l’une ou l’autre des marques de commerce ou du nom commercial de Masterpiece Inc. considérerait probablement qu’Alavida et Masterpiece Inc. constituent un seul et même fournisseur de services de résidence pour personnes âgées. Le paragraphe 6(5) de la Loi établit la démarche à suivre dans l’analyse relative à la confusion. Il faut tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou des noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus; b) la période durant laquelle les marques de commerce ou les noms commerciaux ont été en usage; c) le genre de marchandises, services ou entreprises; d) la nature du commerce; et e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

La première question à trancher est de savoir si l’endroit où les marques sont employées est pertinent lorsqu’il s’agit de décider s’il existe une probabilité qu’une marque de commerce déposée crée de la confusion avec une marque de commerce non déposée mais déjà employée. De façon générale, selon l’art. 19, le propriétaire d’une marque de commerce déposée a le droit exclusif à l’emploi de celle‑ci dans tout le Canada. Le critère qu’il convient d’appliquer pour décider s’il y a confusion est fondé sur l’hypothèse que les noms commerciaux et les marques de commerce sont employés « dans la même région », que ce soit le cas ou non. Pour que le propriétaire d’une marque de commerce déposée ait le droit exclusif à l’emploi de celle‑ci dans tout le Canada, il ne faut pas qu’elle soit susceptible de créer de la confusion avec une autre marque de commerce à quelque autre endroit que ce soit au pays. Pour cette raison, l’endroit où les marques ont été réellement employées n’est pas pertinent.

La deuxième question à trancher est de savoir quels facteurs il convient de prendre en compte pour évaluer la ressemblance entre une marque de commerce dont l’emploi est projeté et une marque de commerce employée mais non déposée. C’est l’emploi d’une marque de commerce et non l’enregistrement qui confère un droit prioritaire sur la marque et le droit exclusif de l’employer. La Loi confère des droits de deux façons au premier utilisateur d’une marque de commerce. D’une part, selon l’art. 16, la partie qui est la première à employer la marque de commerce obtient normalement un droit prioritaire de l’enregistrer. D’autre part, l’utilisateur de la marque de commerce peut s’opposer aux demandes d’enregistrement d’autres personnes ou encore demander que des enregistrements soient biffés au motif qu’il emploie déjà une marque de commerce créant de la confusion. Le paragraphe 16(3) de la Loi reconnaît à l’utilisateur d’une marque de commerce le droit de s’opposer à toute demande d’enregistrement d’une marque au motif qu’il employait déjà sa marque au moment du dépôt de la demande. Masterpiece Inc. pouvait demander au registraire de biffer la marque de commerce d’Alavida en conformité avec le par. 16(3) de la Loi en invoquant la probabilité de confusion entre cette marque et l’une ou l’autre des marques de commerce qu’elle avait employées avant le 1er décembre 2005. En outre, Masterpiece Inc. avait le droit de faire comparer séparément chacune de ses marques de commerce à la marque de commerce « Masterpiece Living » d’Alavida. Le juge de première instance a commis une erreur en se livrant à une analyse globale dans laquelle il a examiné de façon générale la ressemblance entre la marque « Masterpiece Living » et l’ensemble des marques de commerce ainsi que le nom commercial de Masterpiece Inc. Dans la plupart des cas, l’évaluation de la ressemblance entre les marques en cause devrait constituer le point de départ de l’analyse relative à la confusion. Le juge de première instance a commis une erreur en n’examinant que l’emploi qu’Alavida faisait réellement de sa marque au lieu de tenir compte de toute la portée des droits exclusifs que l’enregistrement de la marque conférait à Alavida et des autres emplois qui pouvaient en être faits. Son approche ne reconnaissait pas qu’Alavida avait le droit d’employer les mots protégés sous la forme de son choix, y compris une forme qui ressemblait beaucoup à celle des marques de Masterpiece Inc. En l’espèce, comme la marque de commerce projetée d’Alavida n’est constituée que des mots « Masterpiece Living », la différence ou la similitude entre cette marque et chacune des marques de commerce de Masterpiece Inc. ainsi que le nom commercial de cette dernière s’apprécie uniquement en fonction de ces mots. L’aspect frappant ou unique de chaque marque de commerce est le mot « Masterpiece ». L’idée évoquée par chaque marque est également la même, à savoir la retraite dans le luxe. Il existe clairement une forte ressemblance entre « Masterpiece the Art of Living » et « Masterpiece Living ».

La troisième question à trancher est de savoir quelle est l’incidence de la nature et du coût des marchandises ou des services en cause sur l’analyse relative à la confusion. En l’espèce, le juge de première instance a commis une erreur en estimant que le fait qu’en général le consommateur à la recherche de biens et de services onéreux consacre un temps appréciable à s’informer sur la source de tels biens et services donne à penser que la probabilité de confusion dans un tel cas sera moins grande. Il convient plutôt d’évaluer la confusion en se fondant sur la première impression du consommateur s’apprêtant à faire un achat coûteux lorsqu’il voit la marque de commerce. La possibilité que des recherches approfondies puissent ultérieurement dissiper la confusion ne signifie pas qu’elle n’a jamais existé ou qu’elle cesserait de subsister dans l’esprit du consommateur qui n’a pas fait de telles recherches. Le juge de première instance aurait plutôt dû s’en tenir à la question de savoir comment le consommateur ayant un vague souvenir des marques de Masterpiece Inc. aurait réagi en voyant la marque d’Alavida. La question du coût ne mènera vraisemblablement pas à une conclusion différente dans les cas où l’existence d’une forte ressemblance donne à penser qu’il y a probabilité de confusion et où les autres facteurs énoncés au par. 6(5) de la Loi ne militent pas fortement contre l’existence d’une telle probabilité.

La dernière question à trancher est de savoir quel est le rôle de la preuve d’expert dans l’analyse relative à la confusion. En général, l’expert ne doit être autorisé à témoigner que si son témoignage contient des renseignements qui, selon toute vraisemblance, dépassent l’expérience et la connaissance du juge. Dans les cas où le « consommateur ordinaire » n’est pas censé posséder des connaissances particulières et où il existe une ressemblance entre les marques, il n’est généralement pas nécessaire de soumettre une preuve d’expert qui ne fournit qu’une simple appréciation de cette ressemblance. Les juges doivent examiner chaque marque litigieuse globalement, mais aussi eu égard à la caractéristique dominante de chacune, sa caractéristique la plus frappante ou singulière, en faisant appel à leur bon sens pour décider s’il y aurait probabilité de confusion chez le consommateur ordinaire qui voit la marque pour la première fois. En l’espèce, l’expert d’Alavida a fait une analyse de la morphologie et de la sémantique au lieu d’apprécier les marques globalement. Il a également fondé son analyse sur l’emploi qu’Alavida a réellement fait de sa marque après l’avoir fait enregistrer, au lieu de tenir compte de toute la portée des droits exclusifs que l’enregistrement de la marque conférait à Alavida. De même, le sondage invoqué par Masterpiece Inc. n’était d’aucune utilité car il tentait de simuler l’existence de consommateurs avec un « vague souvenir » alors qu’il n’en existait pas. Pour cette raison, le sondage ne constituait pas une appréciation valable de la question pertinente. Les juges devraient s’interroger sur la nécessité et l’utilité d’une telle preuve, peut‑être au stade de la gestion de l’instance, en particulier de manière à éviter que des ressources considérables soient consacrées à une preuve peu utile.

La prise en compte de toutes les circonstances de l’espèce, et particulièrement la très grande ressemblance entre la marque de commerce « Masterpiece Living » d’Alavida et la marque de commerce « Masterpiece the Art of Living » de Masterpiece Inc., amène à conclure que cette dernière a prouvé que l’emploi de la marque de commerce d’Alavida dans la même région que celle où ses marques sont employées serait susceptible de faire conclure que les services liés aux marques de commerce de Masterpiece Inc. sont fournis par Alavida. Comme l’emploi par Masterpiece Inc. a précédé celui projeté par Alavida, cette dernière n’avait pas droit à l’enregistrement de sa marque de commerce en vertu du par. 16(3), et celle-ci doit être biffée du registre.


Parties
Demandeurs : Masterpiece Inc.
Défendeurs : Alavida Lifestyles Inc.

Références :

Jurisprudence
Arrêts appliqués : Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772
Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 R.C.S. 824
Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235
Hollis c. Dow Corning Corp., [1995] 4 R.C.S. 634
arrêts examinés : R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9
Ultravite Laboratories Ltd. c. Whitehall Laboratories Ltd., [1965] R.C.S. 734
esure Insurance Ltd. c. Direct Line Insurance plc, 2008 EWCA Civ 842, [2008] R.P.C. 34
General Electric Co. c. The General Electric Co. Ltd., [1972] All E.R. 507
arrêts mentionnés : Partlo c. Todd (1888), 17 R.C.S. 196
Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp., [1969] R.C.S. 192
Leaf Confections Ltd. c. Maple Leaf Gardens Ltd., [1986] A.C.F. no 766 (QL), conf. par [1988] A.C.F. no 176 (QL)
Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91
Conde Nast Publications Inc. c. Union des éditions modernes (1979), 46 C.P.R. (2d) 183
General Motors Corp. c. Bellows, [1949] R.C.S. 678.
Lois et règlements cités
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13, art. 2, 4, 6, 16(1), (3), 17, 18, 19, 20, 21, 30, 35, 40, 57(1).
Règlement sur les marques de commerce, DORS/96-195.
Doctrine citée
Gill, Kelly, and R. Scott Jolliffe. Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition, 4th ed. Toronto : Carswell, 2002 (loose-leaf updated 2006, release 2).
Hughes, Roger T., and Toni Polson Ashton. Hughes on Trade Marks, 2nd ed. Markham, Ont. : LexisNexis, 2005 (loose-leaf updated 2010, release 22).
Nouveau Petit Robert : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris : Dictionnaires Le Robert, 2010, « ressemblance ».
Vaver, David. Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade-marks, 2nd ed. Toronto, Ont. : Irwin Law, 2011.

Proposition de citation de la décision: Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27 (26 mai 2011)


Origine de la décision
Date de la décision : 26/05/2011
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2011 CSC 27 ?
Numéro d'affaire : 33459
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2011-05-26;2011.csc.27 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award