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09/06/2011 | CANADA | N°2011_CSC_29

Canada | R. c. O'Brien, 2011 CSC 29 (9 juin 2011)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. O’Brien, 2011 CSC 29, [2011] 2 R.C.S. 485

Date : 20110609

Dossier : 33817

Entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante

et

Marty David O’Brien

Intimé

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Abella, Rothstein et Cromwell

Motifs de jugement :

(par. 1 à 20)

Motifs dissidents :

(par. 21 à 49)

La juge Abella (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Deschamps, Rot

hstein et Cromwell)

Le juge Binnie (avec l’accord du juge LeBel)

R. c. O’Brien, 2011 CSC 29, [2011] 2 R.C.S. 485

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Marty ...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. O’Brien, 2011 CSC 29, [2011] 2 R.C.S. 485

Date : 20110609

Dossier : 33817

Entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante

et

Marty David O’Brien

Intimé

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Abella, Rothstein et Cromwell

Motifs de jugement :

(par. 1 à 20)

Motifs dissidents :

(par. 21 à 49)

La juge Abella (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Deschamps, Rothstein et Cromwell)

Le juge Binnie (avec l’accord du juge LeBel)

R. c. O’Brien, 2011 CSC 29, [2011] 2 R.C.S. 485

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Marty David O’Brien Intimé

Répertorié : R. c. O’Brien

2011 CSC 29

No du greffe : 33817.

2011 : 23 février; 2011 : 9 juin.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Abella, Rothstein et Cromwell.

en appel de la cour d’appel de la nouvelle‑écosse

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse (les juges Fichaud, Beveridge et Farrar), 2010 NSCA 61, 293 N.S.R. (2d) 78, 928 A.P.R. 78, 258 C.C.C. (3d) 358, [2010] N.S.J. No. 385 (QL), 2010 CarswellNS 425, qui a annulé les déclarations de culpabilité prononcées par le juge Murphy, 2009 NSSC 194, 279 N.S.R. (2d) 157, 887 A.P.R. 157, [2009] N.S.J. No. 290 (QL), 2009 CarswellNS 357, et qui a ordonné la tenue d’un nouveau procès. Pourvoi accueilli, les juges Binnie et LeBel sont dissidents.

Kenneth W. F. Fiske, c.r., et William D. Delaney, pour l’appelante.

Robert Gregan et Pavel Boubnov, pour l’intimé.

Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Deschamps, Abella, Rothstein et Cromwell rendu par

[1] La juge Abella — Un homme portant un masque d’Halloween bleu et armé d’un grand couteau de boucher est entré dans un dépanneur et a demandé à l’employée qui travaillait au magasin ce soir‑là de lui remettre l’argent. Lorsqu’elle a ouvert la caisse enregistreuse, le voleur s’est emparé de l’argent qui s’y trouvait et s’est enfui du magasin en courant. Il a été filmé par la caméra de surveillance du magasin.

[2] Le lendemain matin, la police a trouvé un certain nombre d’objets aux environs du magasin : un masque d’Halloween bleu, un grand couteau et ce qui s’est avéré être le revêtement de plastique de la caisse enregistreuse du magasin. Les empreintes génétiques (ADN) qui ont été prélevées sur le masque bleu correspondaient à celles d’une seule personne : Marty David O’Brien. Dans son rapport, l’experte en ADN donne les précisions suivantes sur cette correspondance :

[traduction] On estime à 1 sur 33 milliards la probabilité qu’elles soient associées à un Canadien de race blanche pris au hasard [. . .] qui n’est pas mêlé à l’affaire.

[3] M. O’Brien a été accusé et reconnu coupable de trois infractions, dont celle de vol qualifié.

[4] Neuf personnes ont témoigné lors du procès sans jury présidé par le juge John D. Murphy. Durant son témoignage, l’enquêteur a fait de brefs commentaires sur les antécédents judiciaires et le comportement de M. O’Brien. Non seulement la défense ne s’est pas opposée à cette preuve, ni n’a demandé qu’elle soit considérée uniquement comme un élément du récit des faits, mais elle l’a utilisée dans son contre‑interrogatoire de l’enquêteur :

[traduction] D’accord. Maintenant, dans votre témoignage, vous avez mentionné brièvement que vous saviez que M. O’Brien était connu comme un criminel et que c’est pour cette raison que vous avez en quelque sorte enquêté sur lui relativement à cet incident particulier.

[5] Seule l’avocate de la défense a parlé à nouveau, dans son exposé final, de la réputation de « criminel notoire » de M. O’Brien. Le ministère public n’a pas mentionné la preuve de moralité dans son exposé final et le juge du procès n’y a jamais fait allusion, de quelque façon que ce soit.

[6] M. O’Brien n’a pas témoigné, et la défense n’a produit aucune preuve.

[7] Le moyen invoqué par M. O’Brien pour interjeter appel à la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse était que le verdict était déraisonnable. Avant l’audition, le greffier de la Cour d’appel a écrit aux avocats, à la demande de la formation chargée de statuer sur l’appel, pour leur demander de se préparer à débattre de la preuve de moralité. M. O’Brien n’avait invoqué ce moyen d’appel ni dans son avis d’appel, ni dans son mémoire.

[8] En appel, le ministère public a reconnu que le juge du procès avait eu tort de ne pas exclure la preuve de moralité, ni même préciser à quelle fin elle pouvait être utilisée, mais il a soutenu que la disposition réparatrice du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, trouvait application, car il ne s’agissait pas d’une erreur grave.

[9] Les trois juges ont conclu à l’unanimité que le verdict n’était pas déraisonnable, mais ils ont statué à la majorité que le juge du procès avait commis une erreur grave en autorisant la présentation de la preuve relative à la moralité. Selon la majorité, même si le juge du procès n’a pas mentionné cette preuve dans ses motifs, rien n’indique qu’il [traduction] « a fait abstraction de cette preuve ou qu’il était autrement conscient qu’elle ne pouvait pas être prise en considération » (2010 NSCA 61, 293 N.S.R. (2d) 78, par. 94). Le ministère public ne s’était donc pas acquitté de son fardeau de démontrer que le juge n’avait pas été influencé, « consciemment ou non », par la preuve préjudiciable attaquée (par. 95). La disposition réparatrice ne trouvait donc pas application. L’appel a été accueilli et un nouveau procès ordonné.

[10] Le juge Fichaud, dissident, aurait rejeté l’appel. À son avis, le fait de recevoir le témoignage de l’enquêteur relativement à la propension au crime ne constituait pas une erreur grave et n’avait causé aucun tort important, ni entraîné d’erreur judiciaire grave. Il a conclu en ces termes :

[traduction] Les motifs écrits du juge du procès me convainquent nettement que la preuve irrégulière n’a eu aucune incidence. À mon avis, le ministère public s’est donc acquitté du fardeau que lui impose cette disposition. Les propos du juge selon lesquels il s’est fondé [traduction] « entièrement sur la preuve génétique » pour faire le lien entre M. O’Brien et le vol qualifié excluent toute possibilité d’attribuer au juge un raisonnement voilé qui prendrait sa source dans le témoignage problématique [de l’enquêteur]. Mon collègue n’explique pas comment un tel raisonnement voilé peut cadrer avec l’affirmation claire du juge qu’il s’est fondé [traduction] « entièrement sur la preuve génétique ». Mon collègue dit qu’il aurait pu avoir une opinion différente au sujet de la disposition si le juge « avait tiré sa conclusion en s’appuyant expressément sur la preuve non viciée par l’élément de preuve attaqué ». D’après mon interprétation de la décision, c’est ce que le juge a fait. . .

. . . Rien dans la décision ne tend à indiquer, même indirectement, que le témoignage de moralité irrégulier de [l’enquêteur] ait joué sur la question de l’identification. [par. 151-152]

Il était donc possible d’appliquer la disposition réparatrice. Je suis du même avis.

[11] La question qui nous est soumise est de savoir si l’erreur qu’a commise le juge du procès en entendant la preuve de « mauvaise moralité » — et son omission connexe d’en traiter expressément dans ses motifs — était une erreur inoffensive, ou si elle échappait au champ d’application de la disposition réparatrice.

[12] Au procès, l’identification de l’accusé était la seule question en litige. Le juge a rappelé la nécessité d’examiner avec circonspection la preuve soumise à cet égard puis il a tiré les conclusions suivantes (2009 NSSC 194, 279 N.S.R. (2d) 157, par. 6‑7) :

[traduction] Ensuite, nous avons un élément de preuve circonstancielle : un masque bleu trouvé le lendemain matin à proximité du magasin, sur le trajet vers la voiture. Nous avons aussi le couteau et une pièce de la caisse enregistreuse trouvés le lendemain près du masque bleu. Je suis convaincu que la preuve circonstancielle est solide et suffisante pour établir hors de tout doute raisonnable l’existence d’un lien entre le masque bleu et le vol qualifié du dépanneur [. . .] survenu la veille en soirée.

Puisque la vidéo montre clairement un individu portant un masque bleu ou le masque bleu et noir, elle montre clairement l’usage d’un couteau, et le témoignage de l’employée responsable de la caisse au magasin, et qui y est retournée cette nuit-là, établit clairement un lien entre la caisse enregistreuse et la pièce trouvée, parce qu’elle portait les inscriptions de l’employée et celles d’autres personnes. Je suis convaincu que la preuve démontre l’existence d’un rapport entre le masque bleu et le vol qualifié. Et j’en suis convaincu hors de tout doute raisonnable.

La preuve de moralité présentée par l’enquêteur n’a eu aucune incidence sur cette conclusion.

[13] Passant ensuite à la preuve génétique, le juge du procès a affirmé :

[traduction] Il faut alors se demander s’il existe, hors de tout doute raisonnable, un rapport entre le masque et l’accusé, M. O’Brien, et, comme je l’ai dit, la réponse à cette question dépend entièrement de la preuve génétique. [Je souligne; par. 8.]

[14] Après avoir analysé la preuve génétique dans plusieurs paragraphes, le juge du procès a conclu que celle‑ci [traduction] « établit clairement un lien » entre M. O’Brien et le masque, étant donné la correspondance irréfutable entre ses empreintes génétiques et celles prélevées sur le masque (par. 13). Toutes ces constatations ont amené le juge du procès à conclure que :

[traduction] . . . la preuve génétique montre hors de tout doute raisonnable que l’accusé est l’auteur du vol qualifié, établit un rapport entre lui et le masque bleu qui a été retrouvé, un masque qui, comme je l’ai dit sur le fondement de la preuve circonstancielle, est sans aucun doute le masque utilisé lors du vol qualifié. [par. 16]

[15] Le témoignage de l’enquêteur relatif à la propension au crime n’a manifestement pas influé sur les déclarations de culpabilité. Comme l’a signalé le juge Fichaud, non seulement le juge du procès a affirmé expressément s’être fondé entièrement sur la preuve génétique pour identifier M. O’Brien, mais ses motifs détaillés confirment qu’il ne s’est appuyé sur rien d’autre. Cela n’est pas sans rappeler les propos tenus par la juge McLachlin dans R. c. Leaney, [1989] 2 R.C.S. 393, p. 415-416, où elle a fait remarquer que, si le juge du procès arrive expressément à sa conclusion sur la question cruciale « indépendamment des témoignages qui se révèlent inadmissibles, [. . .] il ne peut y avoir ni injustice, ni erreur judiciaire grave » (voir aussi R. c. Khan, 2001 CSC 86, [2001] 3 R.C.S. 823, par. 30).

[16] Dans ses motifs, le juge du procès a dit s’être [traduction] « entièrement » fondé sur la preuve génétique (par. 8), ce qui veut dire qu’il ne s’est pas appuyé sur la preuve de moralité. Inférer qu’il l’a fait, alors que ses motifs disent le contraire, revient à créer un nouvel univers de révision en appel impossible à baliser, où même si les motifs d’un juge de première instance démontrent qu’il a bien saisi les faits et le droit, l’intégrité de sa décision pourrait être compromise par la possibilité que son silence sur un point soit considéré comme une erreur judiciaire « inconsciente ».

[17] Le juge de première instance doit montrer dans ses motifs comment il est arrivé à sa décision. Il n’est pas tenu pour autant d’énumérer chacun des points, arguments ou raisonnements imaginables. Les juges de première instance ont droit à ce que leurs motifs soient révisés en fonction de ce qu’ils ont écrit et non en fonction de l’imagination conjecturale des cours de révision. Comme l’a souligné le juge Binnie dans R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869, au par. 55, les juges de première instance ne devraient pas être tenus à une quelconque « norme abstraite de perfection ».

[18] Les motifs du juge du procès doivent être tenus pour refléter fidèlement sa pensée. Son analyse factuelle, juridique et logique était impeccable. Je ne vois rien dans son approche qui révèle qu’il aurait inconsciemment déformé ses pensées exprimées.

[19] Je suis donc d’accord avec le juge Fichaud pour dire que l’admission de la preuve irrégulière de moralité est une erreur de droit inoffensive qui n’a causé aucun tort important, ni entraîné d’erreur judiciaire grave.

[20] Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir les déclarations de culpabilité.

Version française des motifs des juges Binnie et LeBel rendus par

Le juge Binnie (dissident) —

I. Introduction

[21] En l’espèce, le ministère public invoque la magie de la preuve génétique pour sauvegarder des déclarations de culpabilité prononcées à l’issue d’un procès que tous les juges de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse ont jugé inéquitable.

[22] L’intimé a été condamné comme le « voleur masqué » d’un dépanneur d’Amherst, en Nouvelle-Écosse. La seule question à trancher était celle de l’identification. Aucune preuve, circonstancielle ou autre, ne reliait l’intimé au crime, à l’exception des traces d’ADN laissées sur l’un des deux masques abandonnés près du lieu du crime et retrouvés par la suite. Le procès a été jugé inéquitable parce que la police a décidé, faute d’autres éléments de preuve, d’informer en détail la cour de la réputation de repris de justice que l’intimé avait acquise relativement à d’autres affaires sans lien avec les infractions dont il était accusé.

[23] Le juge du procès a reçu la preuve de propension au crime sans faire quelque commentaire que ce soit ni indiquer de quelque façon que ce soit dans ses motifs qu’il reconnaissait qu’il était contraire aux principes de l’équité procédurale que la police catalogue ainsi l’intimé comme un criminel endurci. Les juges de première instance sont présumés connaître le droit, mais il leur arrive parfois de mal l’appliquer. D’où la raison d’être des cours d’appel.

[24] Condamné à six ans et six mois d’emprisonnement, l’intimé a le droit d’avoir l’assurance que le juge du procès était conscient du risque associé à la preuve de propension au crime et a sciemment écarté cette preuve. Or, les motifs du juge du procès ne le démontrent aucunement (2009 NSSC 194, 279 N.S.R. (2d) 157).

[25] La majorité de mes collègues estiment que l’emploi, par le juge du procès, du mot [traduction] « entièrement », lorsqu’il dit s’être fondé sur la preuve génétique, suffit pour que le manquement à l’équité du procès soit inoffensif. À mon avis, ce point de vue fait abstraction du contexte du procès dans son ensemble. La fiabilité de la génétique est bien établie, mais des problèmes dans la manipulation des échantillons d’ADN et dans la gestion des résultats des tests ont entraîné plusieurs déclarations de culpabilité injustifiées dans des cas où (comme en l’espèce) il n’existait pas l’ombre d’une preuve, autre que génétique, reliant l’accusé au crime. Compte tenu des circonstances révélées par le dossier, la preuve génétique ne peut être considérée comme un substitut valable à un procès équitable. C’est au ministère public, et non à la défense, que la disposition réparatrice du sous-al. 686(1)b)(iii) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, impose le fardeau de démontrer que le procès inéquitable n’a pas causé de tort important ni entraîné d’erreur judiciaire grave. Pour les motifs qui suivent, je ne crois pas que le ministère public se soit acquitté de ce fardeau. La prudence dont ont fait preuve les juges majoritaires de la juridiction inférieure est selon moi justifiée. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

A. La preuve de mauvaise moralité

[26] La preuve présentée par le ministère public au procès visait à dépeindre l’intimé comme le genre de « mauvaise personne » susceptible de commettre un vol qualifié dans un dépanneur. Le juge Beveridge a mentionné que [traduction] « la preuve inadmissible n’a pas été produite simplement par inadvertance. Elle occupe plusieurs pages de la transcription. Il s’agissait notamment de la preuve que les policiers connaissaient [l’accusé] pour sa participation au type même d’infraction dont était saisi le tribunal » (2010 NSCA 61, 293 N.S.R. (2d) 78, par. 68). Au paragraphe 70, il a cité le juge Doherty, dans R. c. Suzack (2000), 141 C.C.C. (3d) 449 (C.A. Ont.) :

[traduction] Il est établi depuis plus de 100 ans que la poursuite ne peut démontrer le bien-fondé de sa cause en prouvant que l’accusé a commis un autre acte répréhensible que celui qui lui est reproché, dans le but d’établir que l’accusé est le type de personne susceptible de commettre le crime allégué. [par. 116]

En l’espèce, l’enquêteur de police, le sergent Blakeney, a néanmoins affirmé dans son témoignage :

[traduction] Alors, à ce moment précis, en octobre 2004, il y avait . . ., on croyait que Marty O’Brien était mêlé à plusieurs incidents survenus à Amherst et dans le comté . . . [Je souligne; d.a., vol. II, p. 183.]

L’agent a dit que la réputation de criminel de l’intimé était « notoire » :

[traduction] Je connais Marty O’Brien et il me connaît depuis plusieurs années. Je ne sais pas, peut-être 10 ou peut-être 15, 20 ans, et je sais qu’il . . ., je ne suis pas au courant de tous ses faits et gestes, mais je connais ses antécédents criminels, et il était notoire parmi le personnel de notre bureau et du détachement de la GRC à Amherst que Marty O’Brien était un criminel actif qui se promenait à Amherst . . . dans le secteur du comté de Cumberland, et nous savions que Marty participait à ces activités. [d.a., vol. III, p. 3]

Il n’y avait aucun lien entre cette « preuve » générale de criminalité et les infractions dont l’intimé était accusé. L’agent a poursuivi en ces termes :

[traduction] Alors, je suis allé à la prison du comté, et j’ai parlé à Marty O’Brien de sa participation dans l’incident et il a nié quelque participation que ce soit. Donc, j’ai . . . après, j’ai fait une vérification . . . on a appris que Marty O’Brien avait été reconnu coupable de plusieurs infractions et une ordonnance de prélèvement génétique sur Marty O’Brien a été rendue. J’ai donc continué de faire le suivi des ordonnances de prélèvement génétique. [Je souligne; d.a., vol. II, p. 184.]

[27] Il est vrai que l’avocate de la défense ne s’est pas opposée à ce témoignage. Le juge du procès n’est pas non plus intervenu et n’a exprimé aucune réserve relativement à l’irrégularité du témoignage (ni même indiqué qu’il en était conscient). Les juges majoritaires et le juge dissident de la Cour d’appel ont néanmoins tous conclu que la preuve de mauvaise moralité était totalement inadmissible et que, pour cette raison, le procès était inéquitable. Comme notre Cour l’a fait remarquer dans R. c. Handy, 2002 CSC 56, [2002] 2 R.C.S. 908, par. 139 :

On mentionne souvent que le « préjudice » dans ce contexte n’est pas le risque de déclaration de culpabilité. Le préjudice réside davantage dans le risque de procès diffus et de déclaration de culpabilité injustifiée. Le raisonnement interdit est l’inférence de culpabilité à partir d’une prédisposition ou propension générale. La preuve, si on y ajoute foi, démontre que l’accusé a des tendances déshonorantes. En définitive, le verdict peut être fondé sur un préjudice plutôt que sur une preuve, compromettant ainsi la présomption d’innocence consacrée à l’art. 7 et à l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés.

La preuve de propension au crime a pour objet de prédisposer le juge des faits à croire plus facilement à la culpabilité de l’accusé qu’il n’y croirait autrement. Comme je l’ai mentionné précédemment, le juge Beveridge a signalé qu’en l’espèce cette preuve n’avait pas été utilisée [traduction] « simplement par inadvertance » (par. 68).

B. La preuve d’identification

[28] L’identification de l’intimé comme étant le voleur reposait sur deux éléments.

(1) La voiture rouge

[29] À peu près au moment du vol qualifié, un témoin a aperçu une voiture rouge quitter le secteur où le masque et d’autres objets ont été retrouvés par la suite. L’ancienne petite amie de l’intimé a témoigné qu’elle était propriétaire d’une voiture rouge à laquelle l’intimé avait « accès » durant leur relation. Elle n’a pas dit que leur relation se poursuivait à la date du vol qualifié ni que l’intimé avait toujours accès à sa voiture. On a montré au témoin des photos de la voiture de l’ancienne petite amie, mais le témoin n’a pas affirmé qu’il s’agissait de la voiture qu’il avait vue, ni fourni aucun détail caractéristique de la voiture, à l’exception de sa couleur rouge. Le témoin n’était même pas en mesure de dire si la voiture sur la photo avait la même teinte de rouge ou une teinte semblable à celle de la voiture qu’il avait aperçue. Le juge du procès a conclu à bon droit que la preuve relative à la « voiture rouge » était foncièrement inutile.

(2) La preuve génétique

[30] Un expert en criminalistique a prélevé des échantillons d’ADN sur les deux masques abandonnés et a témoigné que l’ADN sur l’un de ces masques correspondait à celui de l’intimé. Il va de soi que la preuve d’une « correspondance » n’établit pas la culpabilité pour l’infraction. Le ministère public a admis que la preuve génétique en l’espèce équivalait à une preuve d’empreinte digitale, en ce sens qu’elle démontrait que l’intimé avait manipulé, ou même porté le masque, à un moment donné. Cette preuve n’établissait pas, à elle seule, que l’intimé était le voleur masqué du 11 octobre 2004.

[31] Le juge du procès a dit s’être fondé [traduction] « entièrement » sur la preuve génétique pour faire le lien entre l’intimé et le masque qui, d’après le juge du procès (sur la foi d’autres éléments de preuve), était celui qui avait été utilisé lors du vol qualifié. Il subsiste cependant un écart inférentiel entre conclure que l’intimé a déjà touché le masque et conclure qu’il l’a bel et bien porté pour commettre le vol qualifié. La preuve génétique à elle seule ne permet guère de combler cet écart inférentiel — à moins que l’on apprenne aussi du sergent Blakeney que l’ADN prélevé sur le masque appartenait non pas à n’importe quel membre de la collectivité, mais à un criminel endurci connu pour avoir participé à une série d’incidents semblables survenus dans le même secteur à peu près au même moment.

C. La disposition réparatrice

[32] Le sous-alinéa 686(1)b)(iii) autorise une cour d’appel à confirmer une déclaration de culpabilité en dépit d’une erreur de droit du juge du procès si cette erreur n’a pas causé un tort important, ni entraîné d’erreur judiciaire grave. L’erreur de droit en l’espèce réside dans l’admission du témoignage dépeignant l’intimé comme un criminel endurci — exactement le type de personne qui aurait vraisemblablement perpétré un vol qualifié dans le dépanneur en question.

[33] La « disposition réparatrice » ne doit être appliquée que dans les cas où l’issue du procès aurait été forcément la même, sans égard à l’erreur commise (Colpitts c. The Queen, [1965] R.C.S. 739). C’est au ministère public qu’il incombe de satisfaire à cette norme élevée : R. c. Jolivet, 2000 CSC 29 [2000] 1 R.C.S. 751; R. c. Khan, 2001 CSC 86, [2001] 3 R.C.S. 823; R. c. Van, 2009 CSC 22, [2009] 1 R.C.S. 716.

[34] La disposition réparatrice, telle qu’elle est interprétée aujourd’hui, trouve application lorsque le ministère public peut établir selon la prépondérance des probabilités que l’erreur de droit est inoffensive, en ce sens qu’elle n’a causé aucun préjudice, ou que, peu importe le préjudice causé par l’erreur de droit du juge du procès, la preuve contre l’accusé est à ce point accablante que le juge des faits rendrait inévitablement un verdict de culpabilité : Khan, par. 26-31; Jolivet, par. 48-54; Van, par. 34-36.

[35] En ce qui concerne l’application de la disposition réparatrice dans les circonstances, je ne crois pas qu’il soit suffisant d’invoquer le silence du juge du procès sur les questions concernant la preuve inadmissible fournie par la police. Le refus de la Cour d’ordonner un nouveau procès ne devrait pas non plus ne tenir qu’à un fil, soit l’emploi par le juge du procès du mot « entièrement » qui — à mon sens — indique uniquement qu’il ne disposait d’aucune autre preuve d’identification. Si le juge du procès avait employé ce mot dans l’intention de se distancier de la preuve inadmissible de propension au crime, je pense qu’il l’aurait précisé.

[36] Mes réserves ne procèdent pas d’une « imagination conjecturale » m’amenant à « inférer » que le raisonnement du juge du procès est déficient (motifs de la juge Abella, par. 16-17). Elles relèvent plutôt du principe général selon lequel c’est au ministère public, et non à la défense, de démontrer que la preuve irrégulière était « inoffensive ». Soit dit en toute déférence, le raisonnement de la juge Abella inverse en quelque sorte le fardeau de la preuve qui incombe au ministère public.

[37] Selon l’intimé, la preuve de mauvaise moralité lui a porté préjudice en prédisposant le juge du procès à accepter la preuve génétique sans exercer son sens critique. On a fait valoir en son nom que [traduction] « la connaissance judiciaire des “tendances” de M. O’Brien aurait pu exagérer dangereusement, par inadvertance, l’incidence de la preuve génétique recueillie sur le masque d’Halloween » (m.i., par. 28).

[38] Le ministère public répond que la preuve de mauvaise moralité n’a pas influencé le juge du procès, puisqu’il n’en a pas fait mention dans ses motifs. Cependant, comme l’a souligné le juge Beveridge, le juge du procès n’a jamais donné la moindre indication qu’il était même conscient du problème — que ce soit au moment de la présentation de la preuve ou dans ses motifs de jugement.

D. L’admission irrégulière de la preuve de mauvaise moralité était‑elle « inoffensive »?

[39] Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont refusé en l’espèce d’appliquer la disposition réparatrice, notamment parce qu’aucun autre élément de preuve ne reliait l’intimé au crime. Ils ont cité les propos suivants tenus par le juge Doherty, dans R. c. Mars (2006), 205 C.C.C. (3d) 376 (C.A. Ont.), au sujet des empreintes digitales :

[traduction] Les empreintes digitales fournissent presque toujours une preuve convaincante que la personne ayant laissé ses empreintes digitales sur un objet a touché cet objet. Cependant, la capacité des empreintes digitales d’établir un rapport entre l’accusé et le crime qu’on lui reproche est fonction de l’existence ou de l’absence d’autres éléments de preuve susceptibles d’établir que l’accusé a touché l’objet au moment et à l’endroit en cause et de faire ainsi le lien entre l’accusé et le crime. [Je souligne; par. 19.]

Voir aussi R. c. D.D.T., 2009 ONCA 918, 257 O.A.C. 258. En revanche, dans R. c. Samuels, 2009 ONCA 719 (CanLII), la Cour d’appel a fait une distinction d’avec Mars parce qu’il existait [traduction] « d’autres éléments de preuve » reliant l’accusé au crime (par. 17).

[40] En Cour d’appel, le juge Beveridge a souligné : [traduction] « Le ministère public admet en l’espèce que l’ADN prélevé sur le masque bleu et noir n’établit pas, à lui seul, la culpabilité [de l’accusé] » (par. 24).

[traduction] L’empreinte génétique de l’appelant sur le masque est assimilable à une empreinte digitale. L’expert du ministère public a affirmé qu’une petite quantité d’ADN suffit et peut subsister durant des années. De plus, la preuve d’expert du ministère public montre essentiellement que l’ADN peut être déplacé ou laissé par manipulation. [par. 25]

[41] Dans les circonstances, je ne partage pas l’opinion de la juge Abella que l’admission de la preuve ternissant la réputation de l’intimé était inoffensive. L’omission du juge du procès de traiter, dans ses motifs, de la preuve problématique fournie par la police constitue une lacune qu’on ne saurait oblitérer simplement en soulignant l’emploi du mot « entièrement » par le juge. Le ministère public fait valoir que les juges de première instance sont présumés connaître le droit. Toutefois, dans l’arrêt R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869, la Cour a rejeté, comme excuse universelle, l’argument voulant que des lacunes importantes dans les motifs du juge du procès puissent être ignorées parce qu’il est présumé connaître le droit. Elle devrait à nouveau la rejeter en l’espèce.

E. Utilisation de l’arrêt Leaney par le ministère public

[42] Le ministère public s’appuie sur R. c. Leaney, [1989] 2 R.C.S. 393. Dans cette affaire, le juge du procès avait reçu les témoignages d’opinion inadmissibles de policiers, mais la disposition réparatrice avait tout de même été appliquée (la juge McLachlin, p. 415) :

En raison de l’affirmation catégorique du juge du procès qu’il est arrivé à sa conclusion sur l’identité indépendamment des dépositions des agents de police, leurs dépositions ont un caractère purement superfétatoire qui n’infirme pas la conclusion du juge que Leaney est l’une des personnes apparaissant à l’écran. [Je souligne.]

À mon avis, il y a une grande différence entre, d’une part, la tolérance d’une cour d’appel à l’égard d’un témoignage d’opinion inadmissible lorsque le juge du procès a estimé qu’il n’avait pas besoin de ce témoignage d’opinion pour constater ce qu’il pouvait voir lui‑même à l’écran (témoignage d’opinion inadmissible qui a été qualifié de « purement superfétatoire ») et, d’autre part, la preuve préjudiciable de mauvaise moralité. La teneur des témoignages des policiers dans Leaney ne posait pas problème en soi. Le problème était qu’il ne leur appartenait pas de donner pareil témoignage. En l’espèce, par contre, c’est l’information elle‑même, et non seulement sa source, qui pose problème.

[43] J’estime que le ministère public ne devrait pas pouvoir recourir à la disposition réparatrice, parce que le juge du procès n’a pas montré dans ses motifs qu’il était conscient du problème que posait le témoignage de la police. La situation et, par conséquent, l’issue de l’instance étaient différentes dans R. c. Rahm, 2006 ABCA 111, 384 A.R. 341, où le juge Conrad a affirmé :

[traduction] Les questions persistantes du poursuivant sur la mauvaise moralité nous troublent, mais en définitive nous sommes convaincus que la présentation de cette preuve de moralité n’a entraîné aucune erreur judiciaire. Il ne s’agissait pas d’un procès devant jury. Au cours du procès, le juge a clairement indiqué savoir que la preuve de mauvaise moralité était inadmissible lorsque la moralité n’a pas été mise en cause. [Je souligne; par. 13.]

En l’espèce, il ne ressort pas des motifs du juge du procès qu’il en était conscient.

[44] Dans ces circonstances, je ne crois pas qu’il soit possible de traiter comme « inoffensive » l’erreur de droit commise par le juge du procès et, à moins que nous soyons en mesure de conclure formellement le contraire, l’intimé a droit à un nouveau procès.

F. La preuve de culpabilité n’était pas accablante

[45] La disposition réparatrice peut aussi s’appliquer dans les cas où, malgré l’existence d’une erreur de droit qui n’est pas inoffensive, la preuve contre l’accusé est à ce point accablante qu’un verdict de culpabilité est la seule issue sur laquelle pourrait raisonnablement déboucher un nouveau procès.

[46] En Cour d’appel, le ministère public n’a même pas fait valoir que sa preuve était convaincante à un point tel que le juge des faits rendrait inévitablement un verdict de culpabilité. Le juge dissident ne l’a pas laissé entendre non plus. Selon moi, ces concessions ont été faites à juste titre.

[47] Il est exceptionnel que l’on refuse à un accusé le nouveau procès auquel il aurait par ailleurs droit parce que la juridiction d’appel émet l’hypothèse que l’erreur était « inoffensive » ou qu’un juge des faits raisonnable, bien informé, considérerait simplement que la preuve de culpabilité est accablante.

[48] S’exprimant à cet égard au nom des juges majoritaires de notre Cour dans R. c. Trochym, 2007 CSC 6, [2007] 1 R.C.S. 239, au par. 82, la juge Deschamps a mentionné que le fardeau dont doit s’acquitter le ministère public lorsqu’il invoque la disposition réparatrice « est beaucoup plus élev[é] que [celui] voulant qu’[il] prouve ses allégations “hors de tout doute raisonnable” lors du procès ».

La norme que la juridiction d’appel doit utiliser, savoir déterminer si la preuve contre un accusé est à ce point accablante qu’une déclaration de culpabilité est inévitable ou serait forcément prononcée, est beaucoup plus élevée que celle voulant que le ministère public prouve ses allégations « hors de tout doute raisonnable » lors du procès. Cette norme plus élevée tient compte du fait qu’il est difficile pour une juridiction d’appel [. . .] de déterminer rétroactivement quel effet, par exemple, l’exclusion de certains éléments de preuve aurait raisonnablement pu avoir sur l’issue du procès. [Je souligne; par. 82.]

À mon avis, le ministère public ne peut établir que sa preuve contre l’intimé était « accablante ».

II. Dispositif

[49] Comme je souscris à l’opinion des juges majoritaires de la Cour d’appel que la disposition réparatrice ne trouve pas application en l’espèce, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi accueilli, les juges Binnie et LeBel sont dissidents.

Procureur de l’appelante : Public Prosecution Service of Nova Scotia, Halifax.

Procureur de l’intimé : Nova Scotia Legal Aid, Amherst.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et les déclarations de culpabilité sont rétablies

Analyses

Droit criminel - Appels - Pouvoirs de la cour d’appel - Erreur de droit - Disposition réparatrice - L’erreur du juge du procès de ne pas exclure la preuve de mauvaise moralité et de ne pas traiter explicitement de cette preuve dans ses motifs a-t-elle causé un tort important ou entraîné une erreur judiciaire grave? - Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 686(1)b)(iii).

Un vol à main armée a été commis dans un dépanneur par un individu portant un masque d’Halloween bleu. Le lendemain matin, la police a trouvé aux alentours un masque de ce type, un grand couteau et le revêtement de plastique de la caisse enregistreuse du magasin. L’analyse des empreintes génétiques prélevées sur le masque a révélé qu’elles correspondaient uniquement à celle d’O, qui a été accusé de trois infractions, dont celle de vol qualifié. À plusieurs reprises, dans son témoignage lors du procès sans jury, l’enquêteur a mentionné brièvement les antécédents judiciaires et le comportement d’O. La défense ne s’est pas opposée à cette preuve, n’a pas demandé que son utilisation soit restreinte et l’a en fait utilisée en contre‑interrogatoire. La défense a aussi mentionné la réputation de « criminel notoire » d’O dans son exposé final. O a été déclaré coupable. Le juge du procès n’a jamais fait allusion à la preuve de moralité de quelque façon que ce soit dans ses motifs. En appel, le ministère public a reconnu que la preuve de moralité avait été admise à tort, mais il a soutenu que la disposition réparatrice du sous-al. 686(1)b)(iii) du Code criminel trouvait application, car il s’agissait d’une erreur inoffensive. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont accueilli l’appel d’O et ordonné un nouveau procès, concluant que, même si le juge du procès n’a pas mentionné la preuve de moralité dans ses motifs, rien n’indique qu’il a fait abstraction de cette preuve ou qu’il était autrement conscient qu’elle ne pouvait pas être prise en considération. Le ministère public ne s’était donc pas acquitté de son fardeau de démontrer que le juge n’avait pas été influencé par cette preuve, et la disposition réparatrice ne trouvait pas application. Le juge dissident a estimé que l’erreur était inoffensive et il aurait appliqué la disposition réparatrice.

Arrêt (les juges Binnie et LeBel sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli et les déclarations de culpabilité sont rétablies.

La juge en chef McLachlin et les juges Deschamps, Abella, Rothstein et Cromwell : L’admission de la preuve de moralité par le juge du procès est une erreur de droit inoffensive qui n’a causé aucun tort important, ni entraîné d’erreur judiciaire grave. Dans ses motifs, le juge du procès a dit s’être « entièrement » fondé sur la preuve génétique, ce qui veut dire qu’il ne s’est pas appuyé sur la preuve de moralité. Inférer qu’il l’a fait, alors que ses motifs disent le contraire, revient à créer un nouvel univers de révision en appel impossible à baliser où, même si les motifs d’un juge de première instance démontrent qu’il a bien saisi les faits et le droit, l’intégrité de sa décision pourrait être compromise par la possibilité que son silence sur un point soit considéré comme une erreur judiciaire « inconsciente ». Le juge du procès n’est pas tenu d’énumérer chacun des points, arguments ou raisonnements imaginables. Les juges de première instance ont droit à ce que leurs motifs soient révisés en fonction de ce qu’ils ont écrit et non en fonction de l’imagination conjecturale des cours de révision. En l’espèce, le juge du procès a affirmé expressément s’être fondé seulement sur la preuve génétique et n’a pas parlé de la preuve de moralité dans ses motifs. Ses motifs doivent être tenus pour refléter fidèlement sa pensée. Son analyse factuelle, juridique et logique était impeccable. Rien dans son approche ne révèle qu’il aurait inconsciemment déformé ses pensées exprimées.

Les juges Binnie et LeBel (dissidents) : La disposition réparatrice ne trouve pas application en l’espèce. Le juge du procès n’est pas intervenu et n’a exprimé aucune réserve relativement à l’irrégularité de la preuve de mauvaise moralité produite par la poursuite (ni même indiqué qu’il en était conscient). Les juges majoritaires de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse ont conclu que « la preuve inadmissible n’a pas été produite simplement par inadvertance. Elle occupe plusieurs pages de la transcription. Il s’agissait notamment de la preuve que les policiers connaissaient l’accusé pour sa participation au type même d’infraction dont était saisi le tribunal. »

Le ministère public a admis que la preuve génétique n’établissait pas, à elle seule, la culpabilité d’O. Il subsistait un écart inférentiel entre conclure que l’intimé avait déjà touché le masque et conclure qu’il l’avait bel et bien porté pour commettre le vol qualifié.

Le fardeau dont doit s’acquitter le ministère public lorsqu’il invoque la disposition réparatrice est beaucoup plus élevé que celui voulant qu’il prouve ses allégations hors de tout doute raisonnable au procès. Des lacunes importantes dans les motifs du juge du procès ne peuvent être ignorées parce qu’il est présumé connaître le droit. En l’espèce, l’emploi par le juge du procès du mot « entièrement » lorsqu’il a parlé de la preuve génétique indique uniquement qu’il ne disposait d’aucune autre preuve d’identification. Dans les circonstances, l’admission de la preuve de moralité n’était pas inoffensive, car elle aurait pu fort bien prédisposer le juge du procès à accepter la preuve génétique sans exercer son sens critique. Si le juge du procès avait employé le mot « entièrement » dans l’intention de se distancier de la preuve inadmissible, il l’aurait précisé. Il ne s’agit pas d’un cas où, peu importe le préjudice causé par l’erreur de droit du juge du procès, la preuve contre O était à ce point accablante qu’un verdict de culpabilité est la seule issue sur laquelle pourrait forcément déboucher un nouveau procès.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : O'Brien

Références :

Jurisprudence
Citée par la juge Abella
Arrêt appliqué : R. c. Leaney, [1989] 2 R.C.S. 393
arrêts mentionnés : R. c. Khan, 2001 CSC 86, [2001] 3 R.C.S. 823
R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869.
Citée par le juge Binnie (dissident)
R. c. Suzack (2000), 141 C.C.C. (3d) 449
R. c. Handy, 2002 CSC 56, [2002] 2 R.C.S. 908
Colpitts c. The Queen, [1965] R.C.S. 739
R. c. Jolivet, 2000 CSC 29, [2000] 1 R.C.S. 751
R. c. Khan, 2001 CSC 86, [2001] 3 R.C.S. 823
R. c. Van, 2009 CSC 22, [2009] 1 R.C.S. 716
R. c. Mars (2006), 205 C.C.C. (3d) 376
R. c. D.D.T., 2009 ONCA 918, 257 O.A.C. 258
R. c. Samuels, 2009 ONCA 719 (CanLII)
R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869
R. c. Leaney, [1989] 2 R.C.S. 393
R. c. Rahm, 2006 ABCA 111, 384 A.R. 341
R. c. Trochym, 2007 CSC 6, [2007] 1 R.C.S. 239.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 686(1)b)(iii).

Proposition de citation de la décision: R. c. O'Brien, 2011 CSC 29 (9 juin 2011)


Origine de la décision
Date de la décision : 09/06/2011
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2011 CSC 29 ?
Numéro d'affaire : 33817
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2011-06-09;2011.csc.29 ?
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