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14/07/2011 | CANADA | N°2011_CSC_35

Canada | Schreyer c. Schreyer, 2011 CSC 35 (14 juillet 2011)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Schreyer c. Schreyer, 2011 CSC 35, [2011] 2 R.C.S. 605

Date : 20110714

Dossier : 33443

Entre :

Susan Wilma Schreyer

Appelante

et

Anthony Leonard Schreyer

Intimé

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Abella, Rothstein et Cromwell

Motifs de jugement :

(par. 1 à 43)

Le juge LeBel (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, Deschamps, Abella, Rothstein et Cromwell)

Schreyer c. Schreyer, 2011 CSC 35, [2011] 2 R.C.S. 605

Susan Wilma Schreyer Appelante

c.

Anthony Leonard Schreyer Intimé

Répertorié : Schreye...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Schreyer c. Schreyer, 2011 CSC 35, [2011] 2 R.C.S. 605

Date : 20110714

Dossier : 33443

Entre :

Susan Wilma Schreyer

Appelante

et

Anthony Leonard Schreyer

Intimé

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Abella, Rothstein et Cromwell

Motifs de jugement :

(par. 1 à 43)

Le juge LeBel (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, Deschamps, Abella, Rothstein et Cromwell)

Schreyer c. Schreyer, 2011 CSC 35, [2011] 2 R.C.S. 605

Susan Wilma Schreyer Appelante

c.

Anthony Leonard Schreyer Intimé

Répertorié : Schreyer c. Schreyer

2011 CSC 35

No du greffe : 33443.

2010 : 9 novembre; 2011 : 14 juillet.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Abella, Rothstein et Cromwell.

en appel de la cour d’appel du manitoba

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba (les juges Hamilton, Freedman et MacInnes), 2009 MBCA 84, 245 Man. R. (2d) 86, 466 W.A.C. 86, 57 C.B.R. (5th) 157, 70 R.F.L. (6th) 237, [2009] 10 W.W.R. 588, [2009] M.J. No. 299 (QL), 2009 CarswellMan 403, qui a modifié une ordonnance de la juge Guertin‑Riley (non publiée). Pourvoi rejeté.

Martin W. Mason, Robert A. Klotz, Alain J. Hogue et Matthew Estabrooks, pour l’appelante.

Gerald S. Ashcroft, pour l’intimé.

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge LeBel —

I. Aperçu

[1] Le pourvoi porte sur un conflit apparent entre le droit de la famille et le droit de la faillite. L’appelante conteste vivement l’issue du litige découlant de sa séparation et de son divorce d’avec l’intimé : elle s’est vue privée du paiement de compensation qui lui était dû par suite du partage de l’actif familial, alors que l’intimé est demeuré propriétaire de la ferme familiale après avoir été libéré de sa faillite, puisque la ferme est un bien insaisissable selon la législation manitobaine. Je suis d’avis de confirmer le jugement de la Cour d’appel du Manitoba, qui a rejeté la réclamation de l’appelante, car il n’est entaché selon moi d’aucune erreur de droit. Je rejetterais donc le pourvoi. Toutefois, certains commentaires s’imposent sur l’interaction entre le droit de la faillite et le droit de la famille, ainsi que sur la façon de les appliquer de concert, sans qu’ils se contredisent.

II. Les faits

[2] L’appelante, Susan Wilma Schreyer, et l’intimé, Anthony Leonard Schreyer, se sont mariés en 1980. Ils ont essayé à plusieurs reprises durant leur mariage de lancer une entreprise agricole au Manitoba. En 1997, l’intimé a finalement acquis une partie de la ferme appartenant à ses parents, y compris une résidence et des bâtiments agricoles. Seul son nom figure sur le titre de la propriété en qualité de propriétaire inscrit. L’intimé a contracté une hypothèque pour financer l’achat.

[3] Le mariage a pris fin en décembre 1999. La séparation s’est faite dans l’amertume. L’appelante a quitté la ferme, tandis que l’intimé a continué d’y vivre. En mars 2000, l’appelante a demandé le divorce et réclamé notamment le partage égal des biens familiaux, y compris la ferme.

[4] En décembre 2000, les parties ont consenti à une ordonnance confiant à la conseillère‑maître la reddition de comptes et l’évaluation de leurs éléments d’actif en vertu de la Loi sur les biens matrimoniaux, C.P.L.M. ch. M45 (« LBM »), maintenant la Loi sur les biens familiaux, C.P.L.M. ch. F25 (« LBF »). Comme les dispositions pertinentes de ces deux lois sont identiques, les parties ont fondé leurs observations à la Cour sur la LBF. La date de l’évaluation a été fixée rétroactivement au jour de la séparation des parties, en l’occurrence le 4 décembre 1999.

[5] M. Schreyer a fait cession de ses biens en faillite le 20 décembre 2001, avant que la conseillère‑maître ne procède à l’évaluation. Mme Schreyer n’a pas été inscrite à la liste des créanciers, n’a pas été avisée de la cession des biens et affirme qu’elle n’était pas au courant de celle‑ci. L’intimé a été libéré de sa faillite le 29 novembre 2002. L’appelante a sans doute été informée de la faillite quelque temps plus tard, mais avant que la conseillère‑maître ne procède à l’évaluation, comme on peut le déduire des modifications apportées dans une nouvelle ordonnance de renvoi à la conseillère‑maître rendue sur consentement en date du 8 octobre 2004. La nouvelle ordonnance était identique à l’ordonnance sur consentement initiale, sauf pour l’ajout de deux paragraphes, dont l’un autorisait la conseillère‑maître à trancher les questions découlant de la faillite de M. Schreyer, comme la Cour d’appel du Manitoba l’a mentionné dans son jugement (par. 14‑15). La conseillère‑maître a procédé à l’évaluation à l’origine du présent litige.

III. Historique judiciaire

A. Cour du Banc de la Reine du Manitoba (la conseillère‑maître Sharp), 2007 MBQB 263 (CanLII)

[6] La conseillère‑maître Sharp a produit un rapport détaillé à l’issue d’une longue audition. Je n’ai pas à examiner l’évaluation de l’actif et du passif des parties pour les besoins du pourvoi. Je mentionnerai simplement que la conseillère‑maître a souligné que la ferme ne pouvait pas faire l’objet d’une mesure d’exécution et que le syndic de faillite, ayant vraisemblablement vérifié qu’elle était insaisissable, avait dû la laisser à l’intimé. Après avoir évalué les éléments d’actif et de passif des parties au moment de la séparation, la conseillère‑maître a jugé que l’appelante avait droit à une compensation de 41 063,48 $. La conseillère‑maître Sharp n’a toutefois pas traité de l’effet de la faillite et de la libération de l’intimé sur la réclamation de l’appelante qui a mené à l’établissement d’une compensation.

B. Cour du Banc de la Reine du Manitoba, Division de la famille (la juge Guertin‑Riley), 23 juin 2008 (non publiée)

[7] Les deux parties se sont opposées à la confirmation du rapport de la conseillère‑maître. Malgré leurs objections, la juge Guertin‑Riley a confirmé le rapport dans son intégralité et a ordonné à l’intimé de verser la compensation établie par la conseillère‑maître. Les deux parties ont fait appel de cette ordonnance à la Cour d’appel du Manitoba.

C. Cour d’appel du Manitoba (les juges Hamilton, Freedman et MacInnes), 2009 MBCA 84, 245 Man. R. (2d) 86

[8] S’exprimant au nom de la Cour d’appel à l’unanimité, le juge MacInnes a étudié plusieurs questions, dont la plupart ne sont plus pertinentes pour les besoins du pourvoi. La Cour d’appel a examiné principalement l’effet de la faillite et de la libération sur la réclamation de Mme Schreyer au titre de la compensation. Elle a conclu que Mme Schreyer n’avait qu’un recours personnel en compensation contre son ex‑mari et qu’elle ne détenait aucun intérêt dans la ferme elle‑même, le Manitoba ayant opté pour un régime de « compensation », plutôt que de « partage des biens ». Sa réclamation constituait une réclamation prouvable en matière de faillite et s’était éteinte par suite de la libération du failli. La Cour d’appel a donc jugé que la Cour du Banc de la Reine avait fait erreur en confirmant le rapport et en concluant que l’intimé demeurait tenu d’exécuter l’obligation de compensation même après avoir été libéré de sa faillite.

IV. Analyse

A. Les questions en litige

[9] Les parties ont soulevé plusieurs problèmes, mais la question fondamentale en l’espèce consiste à déterminer si l’application de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B‑3 (« LFI »), a libéré l’intimé de la réclamation de Mme Schreyer au titre de la compensation relative à l’actif familial sous le régime de la LBF — qui a succédé à la LBM. (Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites en annexe.) Le résultat obtenu peut certes sembler injuste, mais on ne peut faire abstraction de la faillite de l’intimé et du problème qu’elle pose. Il faut résoudre la question de l’effet juridique de la faillite et de la libération de M. Schreyer. Pour ce faire, je dois d’abord établir la nature juridique de la réclamation au titre de la compensation. Je vais ensuite déterminer s’il s’agissait d’une réclamation prouvable en matière de faillite et si l’ordonnance de libération de l’intimé l’a libéré de cette réclamation. Je traiterai en outre brièvement d’autres points, tel le recours de l’appelante pour enrichissement injustifié, qui ne jouent pas un rôle déterminant en l’espèce.

B. Les thèses des parties

[10] L’appelante avance plusieurs arguments pour démontrer que sa réclamation au titre de la compensation a survécu à la faillite de son mari et qu’une mesure d’exécution peut être prise contre le bien insaisissable, c’est‑à‑dire la ferme familiale. L’appelante fait valoir en premier lieu que sa réclamation est de nature propriétale, de sorte qu’elle n’a pas été touchée par l’application de la LFI et qu’il ne s’agissait pas d’une réclamation prouvable en matière de faillite. Elle affirme en outre que sa réclamation n’était pas une réclamation prouvable parce qu’elle n’était pas liquidée. Subsidiairement, s’il s’agissait d’une réclamation prouvable, elle plaide la préclusion, affirmant que l’intimé ne peut opposer sa libération à la réclamation de l’appelante parce qu’il ne l’a pas inscrite à la liste des créanciers et a participé à la procédure d’évaluation devant la conseillère‑maître. Si l’appelante avait été informée de la faillite de l’intimé en temps opportun, elle aurait pu demander au tribunal de faillite, en vertu de l’art. 69.4 de la LFI, l’autorisation de faire valoir sa réclamation contre le bien insaisissable.

[11] Si ces deux premiers arguments ne peuvent être retenus, l’appelante soutient à titre subsidiaire que l’intimé s’est enrichi injustement. En effet, il a gardé la ferme à l’abri de la réclamation au titre de la compensation, et ses dettes envers ses créanciers ordinaires ont été effacées. L’appelante estime que cette situation, attribuable à l’omission par M. Schreyer de l’avoir avisée de sa faillite, donne ouverture à un recours pour enrichissement injustifié et que la Cour devrait y remédier en imposant une fiducie par interprétation à l’égard de la moitié de la ferme familiale.

[12] Pour sa part, l’intimé se fonde essentiellement sur le jugement de la Cour d’appel. À son avis, la réclamation au titre de la compensation était de nature pécuniaire. Il s’agissait d’une réclamation prouvable en matière de faillite, dont il a été libéré par son ordonnance de libération. De plus, l’appelante n’a pris aucune mesure pour obtenir l’annulation ou la suspension de la libération en vertu de la LFI. Toujours selon l’intimé, la question de la fiducie par interprétation n’a jamais été évoquée devant les juridictions inférieures, aucune preuve n’a été produite à ce sujet et, par conséquent, la Cour ne devrait pas étudier cette question.

C. La nature juridique de la réclamation au titre de la compensation sous le régime de la LBM et de la LBF

[13] En l’espèce, la qualification juridique d’une réclamation au titre de la compensation après la rupture d’un mariage, selon le droit de la famille manitobain, revêt une importance capitale. Un conjoint, telle Mme Schreyer, obtient‑il un intérêt propriétal dans l’actif familial ou une créance pécuniaire à l’issue du processus de compensation? Comme nous le verrons, le Manitoba, qui a opté pour la compensation, n’a pas modifié ce choix pour joindre les rangs des provinces qui ont instauré un régime de partage des biens. Par conséquent, un conjoint a droit à une ordonnance fixant le montant qui lui est payable par l’autre conjoint en application du régime de compensation et peut demander une somme d’argent en paiement de ce montant ou le transfert d’éléments d’actif à titre de paiement.

[14] Toutes les provinces canadiennes ont essayé de résoudre d’une façon ou d’une autre les injustices ou difficultés attribuables au partage de l’actif familial par suite de la rupture d’un mariage ou d’une union de fait — qui est assujettie aux mêmes règles. De façon générale, les législatures provinciales ont choisi entre deux solutions : la compensation, ou égalisation des biens, et le partage des biens (R. A. Klotz, Bankruptcy, Insolvency and Family Law (2e éd. (feuilles mobiles)), p. 4‑29 à 4‑30).

[15] Un régime de compensation demande l’évaluation de l’actif familial et une reddition de comptes. La valeur de l’actif est ensuite partagée entre les conjoints, habituellement à parts égales, sous réserve des pouvoirs limités des tribunaux de la famille d’ordonner un partage inégal. L’évaluation et le partage créent une relation débiteur‑créancier, en ce sens que le conjoint créancier obtient une créance pécuniaire sur le conjoint débiteur, mais l’actif lui‑même n’est pas partagé. Chaque conjoint demeure propriétaire de ses propres biens avant et après la rupture du mariage. Aucun des conjoints n’acquiert un intérêt propriétal ou bénéficiaire dans l’actif de l’autre. Des éléments d’actif ne sont cédés qu’au stade de la réparation, comme mode d’acquittement ou d’exécution du jugement, conformément à la convention conclue entre les parties ou à l’ordonnance rendue par le tribunal de la famille dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (T. A. Gutkin, « Family Law and Bankruptcy » (1999), 16 Nat’l Insolv. Rev. 26, p. 31‑32; Balyk c. Balyk (1994), 113 D.L.R. (4th) 719 (C. Ont. (Div. gén.)), p. 723‑725; Burson c. Burson (1990), 4 C.B.R. (3d) 1 (C. Ont. (Div. gén.)), par. 24‑25). Pour leur part, les régimes de partage des biens accordent un intérêt propriétal ou bénéficiaire dans les éléments d’actif eux‑mêmes, et pas seulement dans leur valeur (Balyk, p. 723‑724).

[16] Le Manitoba a adopté un régime de compensation. Ce régime repose sur le principe du partage égal de la valeur de l’actif familial à l’issue d’un processus d’évaluation et de reddition de comptes (art. 13 et 14 de la LBF). La reddition de comptes sert à établir la valeur qui sera partagée entre les conjoints et tout montant dû doit être payé au conjoint créancier. Le conjoint débiteur conserve les biens dont il est propriétaire, mais il doit verser une somme d’argent, la compensation, si la valeur de son actif est supérieure à celle de l’actif de l’autre conjoint (art. 15 de la LBF). Le tribunal a toujours le pouvoir discrétionnaire de modifier le partage égal de la valeur des éléments d’actif s’il « conclut qu’une compensation serait manifestement injuste ou moralement inadmissible » (par. 14(1) de la LBF). Aucune disposition de la LBF n’a pour effet d’investir un conjoint de quelque titre relatif aux biens de l’autre conjoint (par. 6(1) de la LBF) au cours du processus d’évaluation et de reddition de comptes. À la fin du processus, un conjoint a une dette pécuniaire envers l’autre.

[17] Aucun intérêt propriétal n’est transmis avant le stade du paiement de la compensation, l’exécution pouvant alors prendre la forme de la transmission d’un tel intérêt, de façon que la compensation soit effectivement payée. L’article 17 de la LBF prévoit que la dette établie au moyen de la reddition de comptes doit être réglée par le paiement d’une somme d’argent ou la cession d’éléments d’actif ou par une combinaison des deux. Le mode de paiement peut être déterminé par convention des parties ou par une ordonnance du tribunal, comme le prévoit l’art. 17 :

17 La dette due par un conjoint ou un conjoint de fait à l’autre, en vertu d’une reddition de comptes effectuée en application de l’article 15, peut être réglée d’une des manières qui suivent, selon ce que les conjoints ou les conjoints de fait conviennent ou, en l’absence de convention, selon l’ordonnance du tribunal saisi d’une demande d’un des conjoints ou d’un des conjoints de fait présentée en vertu de la présente loi et qui tient compte des effets de toute ordonnance provisoire rendue en vertu de l’article 18.1 :

a) par le paiement de la dette en un versement global ou par versements échelonnés;

b) par la cession d’un ou de plusieurs éléments d’actif au lieu du paiement de la dette;

c) par toute combinaison des modes de paiement visés aux alinéas a) et b).

[18] Selon la LBF, la réclamation au titre de la compensation constitue une dette d’un conjoint envers l’autre. La Cour d’appel n’a donc pas eu tort de considérer la réclamation de l’appelante comme une créance. La qualification de la réclamation au titre de la compensation joue un rôle particulièrement important en l’occurrence — dans le contexte de l’application de la LFI — pour ce qui est de déterminer si la créance de l’appelante a survécu à la libération de faillite de son mari.

D. L’effet de la faillite de l’intimé

[19] L’élaboration même de la législation sur l’insolvabilité comporte des difficultés pour le législateur sur le plan des principes. Une mesure législative établissant une procédure de liquidation ordonnée dans les cas où une réorganisation est impossible, évitant les courses à l’exécution et donnant aux débiteurs la possibilité d’un nouveau départ est habituellement considérée comme un choix de politique judicieux. Ce type de législation fait maintenant partie du paysage juridique et économique des sociétés modernes. Mais elle a un prix, et les personnes qui pourraient avoir à le payer font parfois des efforts considérables pour se soustraire à cette obligation. Malgré la sagesse éprouvée des principes de politique générale qui sous‑tendent la législation en matière d’insolvabilité, on peut comprendre que peu de gens se réjouissent de « perdre des plumes », voire de tout perdre, à la suite d’une faillite. Les créanciers cherchent donc à obtenir des sûretés ou des garanties de la part d’un tiers. Dans d’autres cas, il se peut que des exemptions légales de l’application de la LFI entrent en jeu. Pendant longtemps, les gouvernements ont pris soin de protéger leurs propres intérêts, mais ils acceptent désormais généralement, quoiqu’avec une certaine réticence, de partager le sort des créanciers ordinaires (Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, [2010] 3 R.C.S. 379). D’autres exemptions qui paraissent justes ou même indispensables sont énoncées dans la LFI. Toutefois, plus il y a d’exemptions, plus il s’avère difficile d’atteindre les objectifs fondamentaux de la législation en matière d’insolvabilité.

[20] Il nous faut donc accepter, dans l’interprétation de la LFI, le principe que toutes les réclamations sont emportées dans la faillite et que le failli est libéré de toutes les réclamations lors de sa libération, à moins que la loi ne prévoie clairement une exclusion ou une exemption. Comme je l’expliquerai plus en détail, la réclamation au titre de la compensation de l’appelante était une réclamation prouvable dans la faillite de l’intimé. Au regard des dispositions de la LFI, on trouve donc difficilement matière à critiquer — hormis une réserve mineure quant à la terminologie utilisée — la conclusion de la Cour d’appel que la réclamation au titre de la compensation s’est [traduction] « éteinte » par suite de la libération de l’intimé. Cette conclusion semble respecter à la fois le libellé de la LBF et les dispositions de la LFI. À cet égard, comme l’Ontario a aussi opté pour un régime de compensation, il vaut la peine de mentionner que la Cour d’appel de l’Ontario a adopté récemment ce raisonnement dans Thibodeau c. Thibodeau, 2011 ONCA 110, 104 O.R. (3d) 161. Je souscris aux remarques suivantes, formulées par le juge Blair :

[traduction] Les conjoints qui se séparent n’ont pas droit au partage des biens. Ils ont plutôt droit (en règle générale) à la moitié de la valeur des biens accumulés au cours du mariage. Le législateur a choisi un paiement de compensation comme solution par défaut. Sur le plan de la faillite, les créanciers non garantis sont traités à égalité et les avoirs du failli sont répartis également entre eux, sous réserve du régime établi par l’art. 136 de la LFI. Le législateur n’a accordé aucune priorité ni aucun statut garanti à une réclamation au titre de la compensation. Bien qu’il ait récemment décidé de modifier la LFI pour accorder priorité à certaines dettes ou obligations découlant d’une réclamation alimentaire, il n’a édicté aucune disposition à l’égard des réclamations au titre de la compensation relative aux biens familiaux. [Je souligne; par. 37.]

[21] Ma seule réserve à l’égard de la décision de la Cour d’appel concerne le fait qu’elle a écrit à plusieurs reprises que l’application du par. 178(2) de la LFI avait [traduction] « éteint » la réclamation au titre de la compensation. Soit dit en toute déférence, cette disposition n’a pas pour objet d’éteindre les réclamations prouvables en matière de faillite au sens de l’art. 121 de la LFI, mais « libère » le débiteur de ces réclamations : voir à ce sujet Re Kryspin (1983), 40 O.R. (2d) 424 (H.C.J.), p. 438‑439; et Ross, Re (2003), 50 C.B.R. (4th) 274 (C.S.J. Ont.), par. 15. Le libellé du par. 178(2) de la LFI énonce clairement que l’ordonnance de libération libère le failli de toutes les réclamations prouvables en matière de faillite. Pour leur part, les créanciers [traduction] « cessent de pouvoir faire valoir contre le failli leurs réclamations prouvables en matière de faillite » (L. W. Houlden, G. B. Morawetz et J. Sarra, Bankruptcy and Insolvency Law of Canada (4e éd. (feuilles mobiles)), vol. 3, p. 6‑283).

[22] Durant sa plaidoirie, Me Klotz, l’avocat de l’appelante, a exhorté la Cour à voir la réclamation au titre de la compensation comme une « réclamation hybride ». Selon cette thèse, dans la mesure où la réclamation au titre de la compensation donne à un ex‑conjoint le droit au paiement d’une somme d’argent, elle constituerait une réclamation prouvable dont le failli est libéré par l’ordonnance de libération. Toutefois, compte tenu de la réparation de nature propriétale dont elle est assortie suivant l’art. 17 de la LBF, la réclamation au titre de la compensation serait aussi une réclamation de nature propriétale qui survit au processus de faillite.

[23] On ne saurait retenir cet argument pour deux raisons. Premièrement, il modifie le rôle de l’art. 17 de la LBF. Comme je l’ai déjà mentionné, cet article prévoit un mécanisme visant à ce que la compensation soit effectivement payée. Bien que ce mécanisme permette notamment, en application des al. 17b) ou c) de la LBF, la cession d’éléments d’actif à un ex‑conjoint en règlement du montant qui lui est payable par l’autre conjoint, cela ne change rien au fait qu’aucun intérêt propriétal n’est conféré avant que, le cas échéant, les parties concluent une convention en ce sens ou le tribunal de la famille, sur présentation d’une requête, rende une ordonnance à cet effet. En l’espèce, il n’est pas nécessaire que j’examine un éventuel argument selon lequel, même après que le débiteur a été libéré d’une réclamation dans une procédure de faillite, le tribunal de la famille conserverait le pouvoir discrétionnaire d’ordonner le transfert d’éléments d’actif exclus. Pareil argument pourrait soulever d’importantes questions et difficultés qui n’ont pas été étudiées ni plaidées et à l’égard desquelles je ne dirai rien de plus.

[24] Deuxièmement, s’il est retenu, l’argument relatif à la « réclamation hybride » placerait en fait les provinces qui ont adopté un régime de compensation sur le même pied que celles qui ont opté pour un régime de partage des biens et confondrait essentiellement ces deux types de régimes. En donnant une interprétation nouvelle de l’art. 17 de la LBF, la Cour s’immiscerait dans le choix politique de la législature manitobaine de ne pas accorder aux ex‑conjoints un intérêt propriétal dans les biens familiaux. La Cour doit donner effet à cette intention claire du législateur, et non l’écarter en interprétant la LBF.

[25] Je ne doute pas qu’un résultat comme celui obtenu en l’espèce semble inéquitable, puisque la réclamation au titre de la compensation de l’appelante était principalement fondée sur la valeur d’un élément d’actif — la ferme — exclu de la faillite, auquel les autres créanciers n’avaient donc pas accès. Aucun des principes qui sous-tendent la LFI n’exige que l’appelante se retrouve, après la rupture du mariage, privée de tout élément d’actif substantiel. Le législateur pourrait modifier la LFI en ce qui a trait à l’effet de la libération d’un failli sur les réclamations au titre de la compensation et sur les éléments d’actif exclus. En l’absence d’une telle modification, l’issue de l’affaire s’avère toutefois inéluctable. Pour y échapper, Mme Schreyer aurait dû obtenir du tribunal de faillite une ordonnance levant la suspension des procédures survenue en application de l’art. 69.3 de la LFI, afin de pouvoir demander une réparation de nature propriétale en vertu de l’art. 17 de la LBF. Or, comme nous le verrons plus loin, les circonstances ont fait que Mme Schreyer n’a pas emprunté cette voie.

E. Qu’est-ce qu’une réclamation prouvable?

[26] L’article 121 de la LFI attribue une grande portée à la définition d’une réclamation prouvable, de façon à englober toutes les créances et tous les engagements existants au moment de la faillite ou découlant d’obligations contractées avant la date à laquelle le débiteur est devenu failli. Aux termes de l’art. 121, « [t]outes créances et tous engagements, présents ou futurs, auxquels le failli est assujetti à la date à laquelle il devient failli, ou auxquels il peut devenir assujetti avant sa libération, en raison d’une obligation contractée antérieurement à cette date », sont réputés des réclamations prouvables. Suivant le par. 121(2), le syndic décide, conformément à l’art. 135 de la LFI, si une réclamation éventuelle ou non liquidée constitue une réclamation prouvable. Si la créance existe déjà et peut être liquidée, si l’obligation sous‑jacente existe à la date de la faillite et si aucune exemption ne s’applique, la réclamation sera réputée prouvable.

[27] La date de la faillite revêt une importance cruciale. Il ne fait aucun doute qu’une réclamation au titre de la compensation liquidée avant la faillite constitue une réclamation prouvable. Si la réclamation au titre de la compensation n’était pas liquidée à la date de la faillite, il faut se demander si elle demeure trop incertaine pour que le syndic puisse l’évaluer en vertu de l’art. 135 de la LFI. Vu la nature du régime de compensation manitobain, j’estime que la réclamation de l’appelante constituait une réclamation prouvable. La LBF établit le principe de l’égalité entre les conjoints. La reddition de comptes effectuée relativement à l’actif et au passif sous le régime de l’art. 15 de la LBF mène à un partage égal, sous réserve du pouvoir discrétionnaire limité que l’art. 14 confère au tribunal de modifier la formule établie à l’art. 15. Le droit à un paiement existait en l’espèce depuis la séparation des conjoints, de sorte qu’il existait au moment de la faillite. Il restait seulement à en établir le montant en appliquant une formule claire qui laissait peu de latitude au tribunal pour l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Dans les circonstances, la réclamation ne pouvait être considérée comme suffisamment incertaine pour que l’art. 135 de la LFI ne trouve pas application. Au contraire, la réclamation de l’appelante, qui avait pris naissance avant la faillite et dont le montant pouvait être établi conformément à la LBF, constituait une réclamation prouvable (Klotz, p. 5-3 à 5-5 et 5-9).

[28] La situation en l’espèce diffère de celle que notre Cour a analysée dans Lacroix c. Valois, [1990] 2 R.C.S. 1259. Dans cette affaire, la Cour a jugé qu’une demande de prestation compensatoire déposée après la rupture d’un mariage sous le régime du droit de la famille québécois ne constituait pas une réclamation prouvable en matière de faillite et que le débiteur n’en était pas libéré par son ordonnance de libération. Contrairement au régime manitobain, le régime de prestation compensatoire du Québec a instauré un mécanisme particulier de compensation en cas d’enrichissement injustifié, conférant un vaste pouvoir discrétionnaire au juge. Au Québec, le droit à une prestation compensatoire ne découle pas directement de la rupture du mariage, comme c’est le cas sous le régime de la LBF. Il procède uniquement du jugement rendu dans les circonstances et pour les motifs mentionnés dans la disposition qui se trouve maintenant à l’art. 427 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64. Une réclamation au titre de la prestation compensatoire ne pourrait donc pas constituer une réclamation prouvable en matière de faillite avant le prononcé d’un jugement qui l’accorde. Qui plus est, dans l’affaire Lacroix, la loi instaurant le régime de prestation compensatoire était entrée en vigueur après la faillite. Par conséquent, il ne faut pas interpréter cet arrêt comme statuant que les réclamations non liquidées prévues par les régimes de compensation des provinces de common law ne sont pas des réclamations prouvables en matière de faillite.

[29] La réclamation au titre de la compensation de l’appelante n’est pas de nature propriétale. Il s’agissait d’une réclamation prouvable suivant les art. 121 et 135 de la LFI. Contrairement à une pension ou obligation alimentaire visée aux al. 178(1)b) et c), la réclamation de l’appelante n’était pas exclue de l’ordonnance de libération. L’intimé en a été libéré par suite de sa faillite et de sa libération. La LFI et les recours possibles créent une exception qui s’applique uniquement aux aliments. Malgré son importance aussi grande, une réclamation en vertu d’un régime de compensation ne peut être assimilée à des aliments (R. J. Wood, Bankruptcy and Insolvency Law (2009), p. 291-292).

[30] Je déterminerai maintenant si l’insaisissabilité de la ferme et l’omission de l’intimé d’inscrire l’appelante à la liste des créanciers lors de la faillite ont une incidence quelconque sur le statut juridique de la réclamation au titre de la compensation.

F. L’insaisissabilité de la ferme familiale

[31] Selon l’article 13 de la Loi sur les jugements du Manitoba, C.P.L.M., ch. J10, les créanciers ne pouvaient pas saisir la ferme des Schreyer, mais, comme nous le verrons, l’appelante aurait eu le droit, à titre de conjointe, de prendre des mesures contre le bien insaisissable pour le règlement de sa réclamation au titre de la compensation. Ce bien échappait à la portée du syndic de faillite, qui ne pouvait pas en disposer au profit de l’actif du failli en vue de son partage entre les créanciers.

[32] En pareilles circonstances, le recours que devrait exercer un créancier comme l’appelante consiste à demander au tribunal de faillite, en vertu de l’art. 69.4 de la LFI, l’autorisation de faire valoir sa réclamation contre le bien insaisissable. Comme ce bien demeure hors de la portée des créanciers ordinaires, la levée de la suspension des procédures ne peut porter atteinte à l’actif qui sera distribué. Pour reprendre les termes de l’art. 69.4 de la LFI, c’est la raison pour laquelle il serait, « pour d’autres motifs, équitable » de prononcer pareille ordonnance. Cette façon de faire s’accorde en outre avec l’objectif du droit de la faillite qui consiste à maximiser, sous le régime de la LFI, la valeur recouvrée par la cellule familiale dans son ensemble, plutôt que de pourvoir simplement aux besoins du failli : voir, à ce sujet, Hildebrand c. Hildebrand (1999), 13 C.B.R. (4th) 226 (B.R. Man.), par. 15; et, en général, sur la préoccupation du législateur pour le soutien aux familles, Marzetti c. Marzetti, [1994] 2 R.C.S. 765, p. 800‑801.

[33] Une fois la suspension des procédures levée, l’appelante aurait ainsi pu demander au tribunal de la famille de lui accorder un intérêt propriétal dans la ferme familiale en règlement de sa réclamation au titre de la compensation. La faillite n’aurait pas eu d’incidence sur un tel intérêt. Le problème, toutefois, tient à ce que l’appelante affirme en l’espèce qu’elle ne pouvait pas exercer ce recours parce que M. Schreyer n’a pas déclaré sa réclamation au titre de la compensation dans le bilan qu’il a soumis au syndic lors de la cession de ses biens en faillite. En conséquence, l’appelante soutient n’avoir appris l’existence de la faillite qu’après la libération de l’intimé.

[34] L’appelante sollicite maintenant une réparation en raison de l’omission de l’intimé de l’inscrire à la liste des créanciers au moment où il a fait faillite. Elle soutient essentiellement que, en raison de cette omission qui constitue un manquement aux obligations légales d’un débiteur failli, elle devrait pouvoir passer outre à la libération de son mari et faire valoir sa réclamation contre la ferme familiale, qui est un bien exclu de l’application de la LFI. Sur ce point, l’al. 178(1)f) de la LFI n’offre apparemment qu’un recours limité au créancier (Wood, p. 294‑295). Le législateur ne voulait pas que chaque omission d’inscrire un nom à la liste des créanciers prive la libération de ses effets. Il a reconnu que bon nombre des omissions peuvent être involontaires ou imputables à des erreurs administratives. Le législateur a donc opté pour un recours restreint permettant au créancier de réclamer le dividende qu’il n’a pas reçu. Il est possible de poursuivre en justice un failli libéré qui n’a pas déclaré un créancier, mais seulement pour le montant du dividende que ce créancier aurait autrement reçu. Ce recours aurait été vain en l’espèce, car aucun dividende n’a été versé aux créanciers de M. Schreyer. Je signale qu’il n’a pas été allégué que l’omission de communiquer le nom d’un créancier était de nature frauduleuse, ce qui aurait peut‑être pu faire intervenir une autre exception, applicable en cas de fraude, établie à l’al. 178(1)d) de la LFI.

[35] Les autres recours possibles semblent complexes et semés d’embûches. La libération du failli fait obstacle à toute solution envisagée par un créancier se trouvant dans la même situation que Mme Schreyer. Certes, il est possible de faire réviser, rescinder ou modifier toute ordonnance rendue par le tribunal dans l’exercice de sa compétence en matière de faillite, y compris une ordonnance de libération, en vertu du par. 187(5) de la LFI. L’appelante pourrait peut‑être, du moins en théorie, déposer une requête en suspension de la libération fondée sur la conduite répréhensible de l’intimé, plus particulièrement en raison de son omission de l’aviser de la cession de ses biens. Si la libération était suspendue, l’appelante pourrait demander à la cour compétente en matière de faillite l’autorisation de faire valoir, contre le bien exclu de la faillite, sa réclamation au titre de la compensation alors réactivée par la suspension. Elle pourrait ainsi demander au tribunal de la famille de lui accorder un intérêt propriétal dans la ferme familiale en règlement de sa réclamation au titre de la compensation.

[36] En l’occurrence, il serait hasardeux de tenter de déterminer si le passage de la théorie à la pratique serait réussi. Les faits suffiraient‑ils à justifier une suspension de la libération? Une telle réparation pourrait‑elle être accordée en vertu du par. 187(5) de la LFI? En ces matières, les juges doivent exercer un large pouvoir discrétionnaire, mais ils doivent aussi tenir compte des principes qui sous‑tendent la LFI. Plusieurs années se sont écoulées depuis la libération. Serait‑il indiqué de la réviser aujourd’hui? Dans quel état se trouverait le bien, lourdement hypothéqué lorsque les parties se sont séparées? L’appelante n’ayant pas emprunté cette voie, je m’abstiendrai d’exprimer quelque opinion que ce soit sur l’utilité et le bien‑fondé d’une telle demande en l’espèce. J’estime toutefois opportun de mentionner que, pour déterminer la portée des pouvoirs discrétionnaires conférés au tribunal de la faillite par le par. 187(5) de la LFI, il faut en donner une interprétation compatible avec les principes qui sous‑tendent les dispositions précisant dans quelles situations une ordonnance de libération peut être suspendue, annulée ou assortie de conditions. Il faut se rappeler que le par. 187(5) de la LFI est une disposition résiduelle qui s’applique à toutes les ordonnances rendues par le tribunal de faillite. À ce titre, il sert à compléter les dispositions plus spécifiques de la LFI, et non à créer une exception à leur application.

[37] Le régime actuel établi par la LFI offre donc des recours limités aux conjoints qui se trouvent dans une situation semblable à celle de l’appelante. Le droit de la famille leur offre peut‑être une meilleure protection après la libération du failli, plus particulièrement grâce à une pension alimentaire pour conjoint. Le présent dossier ne révèle pas si une ordonnance de pension alimentaire a été rendue et la question de savoir si une telle ordonnance devrait être rendue ou modifiée n’a pas été soumise à la Cour. L’opportunité d’ordonner le paiement d’une pension alimentaire ou de la modifier et le montant d’une telle pension relèvent du pouvoir discrétionnaire du tribunal de la famille. Une ordonnance de pension alimentaire dans un cas comme celui‑ci pourrait vraisemblablement servir à atténuer les effets inéquitables de la faillite, comme le fait que le conjoint débiteur soit libéré de la réclamation au titre de la compensation ou conserve un bien exclu de la faillite (voir Turgeon c. Turgeon, [1997] O.J. No. 4269 (QL) (Div. gén.); et Sim c. Sim (2009), 50 C.B.R. (5th) 295 (C.S.J. Ont.)). Pareilles décisions doivent être rendues au cas par cas.

[38] La possibilité d’atténuer les conséquences du présent litige au moyen d’une pension alimentaire ne doit cependant pas occulter les problèmes dus à l’absence de distinction, dans la LFI, entre les régimes de compensation et les régimes de partage des biens. Modifier la LFI demeure la meilleure solution pour remédier aux conséquences injustes que le droit de la faillite pourrait avoir sur le partage des biens familiaux : voir, à ce sujet, Shea c. Fraser, 2007 ONCA 224, 85 O.R. (3d) 28, par. 48. Au cours des vingt dernières années, le législateur a pris des mesures concrètes, en modifiant la LFI, pour remédier aux effets économiques du divorce combiné à l’insolvabilité et en atténuer le rôle dans la [traduction] « féminisation de la pauvreté » (M. J. Bray, « To Whom the Swords, for Whom the Shields? The Feminization of Poverty in Canadian Insolvency Practice », dans J. P. Sarra, dir., Annual Review of Insolvency Law 2008 (2009), 455).

[39] Avant 1997, les réclamations alimentaires ne constituaient pas expressément des réclamations prouvables au sens de la LFI, de sorte que l’actif du failli pouvait demeurer hors de la portée de son conjoint. Depuis les modifications apportées en 1997 (L.C. 1997, ch. 12), le nouveau par. 121(4) de la LFI prévoit expressément que ces réclamations constituent des réclamations prouvables. Elles survivent à l’ordonnance de libération par application des al. 178(1)b) et c) de la LFI. Le législateur a aussi manifesté sa volonté d’accorder aux conjoints une priorité limitée sur les créanciers non garantis relativement aux sommes payables au titre d’une pension alimentaire qui se sont accumulées avant la faillite (al. 136d.1) de la LFI). Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a aussi examiné d’autres modifications relatives au partage des biens familiaux. Dans son rapport publié en novembre 2003 (Les débiteurs et les créanciers doivent se partager le fardeau : Examen de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies), le Comité s’est dit d’avis que les injustices comme celle qui semble s’être produite en l’espèce exigent « une résolution rapide » (p. 96). Il a recommandé à cette fin que la LFI soit modifiée de sorte que « la faillite ne suspende ni n’éteigne de réclamation au titre de l’égalisation ou de la division de l’actif exempté en vertu des lois provinciales ou territoriales pertinentes » (p. 96).

[40] Plus de sept années se sont écoulées depuis la production du rapport du Comité. Le temps est venu pour le législateur d’intervenir et de veiller à assurer l’harmonie et éviter les contradictions entre le droit de la faillite et le droit de la famille.

[41] En attendant que le législateur modifie la loi, les conjoints créanciers doivent être conscients non seulement des pièges que comporte la LFI, mais aussi de l’importance des voies de droit qu’elle offre en pareilles situations. Dans le présent dossier, toutefois, vu la nature et le stade de l’instance dont la Cour est saisie, je suis d’avis que la Cour d’appel n’a commis aucune erreur et qu’on ne peut pas accorder à l’appelante les réparations particulières qu’elle sollicite.

[42] Je suis d’accord avec l’intimé qu’il faut rejeter la réclamation fondée sur l’enrichissement injustifié et la demande d’imposition d’une fiducie par interprétation. La question n’a pas été évoquée comme il se doit en première instance, et aucune preuve n’a été produite à ce sujet.

V. Conclusion

[43] Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi, mais sans dépens, vu les circonstances particulières de l’espèce.

ANNEXE

Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B‑3

BIENS DU FAILLI

67. (1) Les biens d’un failli, constituant le patrimoine attribué à ses créanciers, ne comprennent pas les biens suivants :

a) les biens détenus par le failli en fiducie pour toute autre personne;

b) les biens qui, selon le droit applicable dans la province dans laquelle ils sont situés et où réside le failli, ne peuvent faire l’objet d’une mesure d’exécution ou de saisie contre celui‑ci;

. . .

Suspension des procédures

. . .

69.3 (1) Sous réserve des paragraphes (1.1) et (2) et des articles 69.4 et 69.5, à compter de la faillite du débiteur, ses créanciers n’ont aucun recours contre lui ou contre ses biens et ils ne peuvent intenter ou continuer aucune action, mesure d’exécution ou autre procédure en vue du recouvrement de réclamations prouvables en matière de faillite.

(1.1) Le paragraphe (1) cesse de s’appliquer à tout créancier le jour de la libération du syndic.

. . .

69.4 Tout créancier touché par l’application des articles 69 à 69.31 ou toute personne touchée par celle de l’article 69.31 peut demander au tribunal de déclarer que ces articles ne lui sont plus applicables. Le tribunal peut, avec les réserves qu’il estime indiquées, donner suite à la demande s’il est convaincu que la continuation d’application des articles en question lui causera vraisemblablement un préjudice sérieux ou encore qu’il serait, pour d’autres motifs, équitable de rendre pareille décision.

Réclamations prouvables

121. (1) Toutes créances et tous engagements, présents ou futurs, auxquels le failli est assujetti à la date à laquelle il devient failli, ou auxquels il peut devenir assujetti avant sa libération, en raison d’une obligation contractée antérieurement à cette date, sont réputés des réclamations prouvables dans des procédures entamées en vertu de la présente loi.

(2) La question de savoir si une réclamation éventuelle ou non liquidée constitue une réclamation prouvable et, le cas échéant, son évaluation sont décidées en application de l’article 135.

(3) Un créancier peut établir la preuve d’une créance qui n’est pas échue à la date de la faillite, et recevoir des dividendes tout comme les autres créanciers, en en déduisant seulement un rabais d’intérêt au taux de cinq pour cent par an calculé à compter de la déclaration d’un dividende jusqu’à la date où la créance devait échoir selon les conditions auxquelles elle a été contractée.

(4) Constitue une réclamation prouvable la réclamation pour une dette ou une obligation mentionnée aux alinéas 178(1)b) ou c) découlant d’une ordonnance judiciaire rendue ou d’une entente conclue avant l’ouverture de la faillite et à un moment où l’époux, l’ex-époux ou ancien conjoint de fait ou l’enfant ne vivait pas avec le failli, que l’ordonnance ou l’entente prévoie une somme forfaitaire ou payable périodiquement.

Admission et rejet des preuves de

réclamation et de garantie

135. (1) Le syndic examine chaque preuve de réclamation ou de garantie produite, ainsi que leurs motifs, et il peut exiger de nouveaux témoignages à l’appui.

(1.1) Le syndic décide si une réclamation éventuelle ou non liquidée est une réclamation prouvable et, le cas échéant, il l’évalue; sous réserve des autres dispositions du présent article, la réclamation est dès lors réputée prouvée pour le montant de l’évaluation.

(2) Le syndic peut rejeter, en tout ou en partie, toute réclamation, tout droit à un rang prioritaire dans l’ordre de collocation applicable prévu par la présente loi ou toute garantie.

(3) S’il décide qu’une réclamation est prouvable ou s’il rejette, en tout ou en partie, une réclamation, un droit à un rang prioritaire ou une garantie, le syndic en donne sans délai, de la manière prescrite, un avis motivé, en la forme prescrite, à l’intéressé.

(4) La décision et le rejet sont définitifs et péremptoires, à moins que, dans les trente jours suivant la signification de l’avis, ou dans tel autre délai que le tribunal peut accorder, sur demande présentée dans les mêmes trente jours, le destinataire de l’avis n’interjette appel devant le tribunal, conformément aux Règles générales, de la décision du syndic.

(5) Le tribunal peut rayer ou réduire une preuve de réclamation ou de garantie à la demande d’un créancier ou du débiteur, si le syndic refuse d’intervenir dans l’affaire.

Obligations des faillis

158. Le failli doit :

. . .

d) dans les cinq jours suivant sa faillite, à moins que le séquestre officiel ne prolonge le délai, préparer et soumettre en quatre exemplaires au syndic un bilan en la forme prescrite attesté par affidavit et indiquant les détails de ses avoirs et de ses obligations, ainsi que les noms et adresses de ses créanciers, les garanties qu’ils détiennent respectivement, les dates auxquelles les garanties ont été respectivement données, et les renseignements supplémentaires ou autres qui peuvent être exigés; si les affaires du failli sont mêlées ou compliquées au point qu’il ne peut adéquatement lui‑même en préparer un relevé convenable, le séquestre officiel peut, comme dépenses d’administration de l’actif, autoriser l’emploi d’une personne compétente pour aider à la préparation du relevé;

. . .

Libération des faillis

. . .

178. (1) Une ordonnance de libération ne libère pas le failli :

. . .

b) de toute dette ou obligation pour pension alimentaire;

c) de toute dette ou obligation aux termes de la décision d’un tribunal en matière de filiation ou d’aliments ou aux termes d’une entente alimentaire au profit d’un époux, d’un ex-époux ou ancien conjoint de fait ou d’un enfant vivant séparé du failli;

d) de toute dette ou obligation résultant de la fraude, du détournement, de la concussion ou de l’abus de confiance alors qu’il agissait, dans la province de Québec, à titre de fiduciaire ou d’administrateur du bien d’autrui ou, dans les autres provinces, à titre de fiduciaire;

e) de toute dette ou obligation résultant de l’obtention de biens ou de services par des faux-semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits, autre qu’une dette ou obligation qui découle d’une réclamation relative à des capitaux propres;

f) de l’obligation visant le dividende qu’un créancier aurait eu droit de recevoir sur toute réclamation prouvable non révélée au syndic, à moins que ce créancier n’ait été averti ou n’ait eu connaissance de la faillite et n’ait omis de prendre les mesures raisonnables pour prouver sa réclamation;

g) de toute dette ou obligation découlant d’un prêt consenti ou garanti au titre de la Loi fédérale sur les prêts aux étudiants, de la Loi fédérale sur l’aide financière aux étudiants ou de toute loi provinciale relative aux prêts aux étudiants lorsque la faillite est survenue avant la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel, au regard de la loi applicable, ou dans les sept ans suivant cette date;

h) de toute dette relative aux intérêts dus à l’égard d’une somme visée à l’un des alinéas a) à g).

(1.1) Lorsque le failli qui a une dette visée à l’alinéa (1)g) n’est plus un étudiant à temps plein ou à temps partiel depuis au moins cinq ans au regard de la loi applicable, le tribunal peut, sur demande, ordonner que la dette soit soustraite à l’application du paragraphe (1) s’il est convaincu que le failli a agi de bonne foi relativement à ses obligations découlant de cette dette et qu’il a et continuera à avoir des difficultés financières telles qu’il ne pourra pas acquitter celle-ci.

(2) Une ordonnance de libération libère le failli de toutes autres réclamations prouvables en matière de faillite.

180. (1) Lorsqu’un failli, après sa libération, ne remplit pas les obligations que lui impose la présente loi, le tribunal peut, sur demande, annuler sa libération.

(2) Lorsque le tribunal juge que la libération du failli a été obtenue par fraude, il peut, sur demande, annuler sa libération.

(3) Une ordonnance révoquant ou annulant la libération d’un failli ne porte pas atteinte à la validité de toute vente, de toute disposition de biens, de tout paiement effectué ou de toute chose dûment faite avant la révocation ou l’annulation.

181. (1) Lorsque le tribunal est d’avis qu’une ordonnance de faillite n’aurait pas dû être rendue, ou une cession produite, il peut rendre une ordonnance qui annule la faillite.

(2) Lorsqu’une ordonnance est rendue en vertu du paragraphe (1), toutes les ventes et dispositions de biens, tous les paiements dûment effectués et tous les actes faits antérieurement par le syndic, par une autre personne agissant sous son autorité ou par le tribunal sont valides; mais les biens du failli sont dévolus à la personne que le tribunal peut nommer, ou, à défaut de cette nomination, retournent au failli pour tout droit, domaine ou intérêt du syndic, aux conditions, s’il en est, que le tribunal peut ordonner.

(3) Malgré l’annulation de la faillite, le syndic prépare sans délai l’état définitif des recettes et des débours visé à l’article 151.

Autorité des tribunaux

187. . . .

(5) Tout tribunal peut réviser, rescinder ou modifier toute ordonnance qu’il a rendue en vertu de sa juridiction en matière de faillite.

Loi sur les biens familiaux, C.P.L.M. ch. F25

PARTIE I

APPLICATION DE LA LOI

. . .

SECTION 2

APPLICATION À L’ACTIF

. . .

Disposition d’actif

6(1) Aucune disposition de la présente loi non plus que la reddition de comptes effectuée sous le régime de la présente loi n’ont pour effet d’investir un conjoint ou un conjoint de fait de quelque titre ou droit relatif à un élément d’actif de l’autre conjoint ou conjoint de fait. Le conjoint ou conjoint de fait qui est propriétaire de l’élément d'actif peut, sous réserve des paragraphes (7), (7.1), (8), (8.1), (9), (9.1) et (10) et de toute ordonnance rendue par le tribunal en application de la partie III ou IV, soit vendre, donner à bail, hypothéquer, donner en gage, réparer, améliorer, démolir, dépenser l’élément d’actif, soit autrement agir quant à celui‑ci, soit en disposer à n’importe quelle fin, tout comme si la présente loi n’avait jamais été adoptée.

. . .

PARTIE II

PARTAGE D’ACTIF

Droit à la reddition de comptes et à la compensation des éléments d’actif

13 Les conjoints ou les conjoints de fait ont chacun droit, sur demande, à une reddition de comptes et, sous réserve de l’article 14, à une compensation des éléments d’actif en conformité avec la présente partie.

Pouvoir de modifier le partage égal de l’actif familial

14(1) Sur demande d’un des conjoints ou d’un des conjoints de fait en vertu de la partie III, le tribunal peut ordonner qu’en ce qui concerne l’actif familial des conjoints ou des conjoints de fait, le montant que doit verser un conjoint ou un conjoint de fait à l’autre, suite à une reddition de comptes effectuée en vertu de l’article 15, soit modifié si le tribunal conclut qu’une compensation serait manifestement injuste ou moralement inadmissible, eu égard soit à toute circonstance extraordinaire de nature financière ou autre des conjoints ou des conjoints de fait, soit à la valeur ou à la nature extraordinaire de l’un de leurs éléments d’actif.

. . .

Conduite d’un conjoint ou d’un conjoint de fait

14(3) En exerçant sa discrétion en vertu du présent article, nul tribunal ne tient compte de la conduite d’un conjoint ou d’un conjoint de fait, à moins que cette conduite n’équivaille à de la dilapidation.

Reddition de comptes et partage

15(1) La reddition de comptes entre conjoints ou conjoints de fait effectuée sous le régime de la présente loi doit faire ressortir les éléments suivants :

a) la valeur de l’inventaire complet de l’actif de chaque conjoint ou conjoint de fait après l’addition à l’inventaire ou la déduction de celui-ci des montants dont la présente loi exige l’addition ou la déduction;

b) la valeur de la part à laquelle chaque conjoint ou conjoint de fait a droit lors du partage; cette part est obtenue en additionnant ou en déduisant les sommes visées à l’alinéa a) et en divisant le total en deux parts égales ou, si la demande de reddition de comptes n’est pas présentée en vertu de la partie IV, en parts inégales si le tribunal l’ordonne en application de l’article 14;

c) le montant que chaque conjoint ou conjoint de fait doit à l’autre afin que chacun reçoive la part qui lui revient en vertu de l’alinéa b).

Juste valeur marchande

15(2) Pour l’application du paragraphe (1), la valeur d’un élément d’actif est le montant qu’un vendeur peut raisonnablement s’attendre à réaliser si l’élément d’actif est vendu sur le marché libre par un vendeur qui veut vendre à un acheteur qui veut acheter.

Évaluation d’éléments d’actif non vendables

15(3) Lorsqu’un élément d’actif ne peut être vendu de par sa nature, le paragraphe (2) ne s’applique pas et la valeur de l’élément d’actif, pour l’application du paragraphe (1), doit être déterminée sur toute autre base ou par tout autre moyen approprié pour des éléments d’actif de cette nature.

Dates de clôture et d'évaluation

16 Pour toute reddition de comptes effectuée en application de l’article 15, la date de clôture pour l’inclusion d’éléments d’actif et de passif dans les comptes et la date d’évaluation de chaque élément d’actif et de passif sont celles convenues entre les conjoints ou les conjoints de fait. En l’absence d'une convention, il s’agit :

a) soit de la date du dernier jour de cohabitation des conjoints ou des conjoints de fait;

b) soit, lorsque les conjoints ou les conjoints de fait continuent à cohabiter ensemble, de la date à laquelle l’un d’entre eux présente au tribunal, sous le régime de la partie III, une demande de reddition de comptes.

Modes de paiement

17 La dette due par un conjoint ou un conjoint de fait à l’autre, en vertu d’une reddition de comptes effectuée en application de l’article 15, peut être réglée d’une des manières qui suivent, selon ce que les conjoints ou les conjoints de fait conviennent ou, en l’absence de convention, selon l’ordonnance du tribunal saisi d’une demande d’un des conjoints ou d’un des conjoints de fait présentée en vertu de la présente loi et qui tient compte des effets de toute ordonnance provisoire rendue en vertu de l’article 18.1 :

a) par le paiement de la dette en un versement global ou par versements échelonnés;

b) par la cession d’un ou de plusieurs éléments d’actif au lieu du paiement de la dette;

c) par toute combinaison des modes de paiement visés aux alinéas a) et b).

Loi sur les jugements, C.P.L.M. ch. J10

Biens insaisissables

13(1) Sous réserve des paragraphes (2), (3) et (4) et sauf disposition contraire, des procédures ne peuvent être engagées en vertu d’un jugement ou d’un bref de saisie enregistré, contre les biens suivants :

a) le fonds agricole sur lequel le débiteur judiciaire ou sa famille réside réellement, qu’il cultive en totalité ou en partie ou qu’il utilise réellement pour le pâturage ou pour d’autres fins, lorsque la superficie du bien-fonds n’est pas supérieure à 160 acres;

. . .

Pourvoi rejeté sans dépens.

Procureurs de l’appelante : Gowling Lafleur Henderson, Ottawa.

Procureurs de l’intimé : Thompson Dorfman Sweatman, Winnipeg.


Synthèse
Référence neutre : 2011 CSC 35 ?
Date de la décision : 14/07/2011
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit de la famille - Biens familiaux - Faillite et insolvabilité - Consentement des conjoints lors de la séparation à l’évaluation de l’actif en vertu de la Loi sur les biens familiaux du Manitoba - Époux propriétaire de la ferme familiale - Cession en faillite des biens de l’époux et libération avant l’évaluation de l’actif - Droit de l’épouse à un paiement de compensation confirmé par l’évaluation - Effet de la faillite et de la libération sur le paiement de compensation - La réclamation au titre de la compensation est-elle une réclamation prouvable en matière de faillite? - La libération de l’époux failli a-t-elle eu pour effet de le libérer de la réclamation au titre de la compensation? - Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B‑3, art. 69.4, 121(1), 121(2), 135, 178(1)f), 178(2) - Loi sur les biens familiaux, C.P.L.M. ch. F25, art. 17.

Les parties se sont mariées en 1980, se sont séparées en 1999 et ont demandé le divorce en 2000. L’époux a continué de vivre sur la ferme familiale, dont il était le seul propriétaire inscrit. En décembre 2000, les parties ont consenti à une reddition de comptes et à une évaluation de leurs éléments d’actif. Avant l’évaluation par la conseillère‑maître, l’époux a fait cession de ses biens en faillite. L’épouse n’a pas été inscrite sur la liste des créanciers et n’a pas été avisée de la cession en faillite. L’époux a été libéré de la faillite en novembre 2002. La conseillère‑maître a procédé ultérieurement à l’évaluation et conclu que l’épouse avait droit à un paiement de compensation de 41 063,48 $. Le rapport de la conseillère‑maître, confirmé par la Cour du Banc de la Reine, ne traitait pas de l’effet de la faillite et de la libération de l’époux sur la réclamation de l’épouse au titre de la compensation. La Cour d’appel a statué que la réclamation de l’épouse au titre de la compensation était une réclamation prouvable en matière de faillite et qu’elle avait été éteinte par l’ordonnance de libération de l’époux.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

Le Manitoba est un ressort qui a opté pour la compensation, et non pour le partage des biens. Le régime de compensation est fondé sur le principe du partage égal de la valeur de l’actif familial à l’issue d’un processus de reddition de comptes et d’évaluation. La reddition de comptes sert à établir la valeur qui sera partagée entre les conjoints et tout montant dû doit être payé au conjoint créancier. Le conjoint débiteur conserve les biens dont il est propriétaire, mais il doit verser une somme d’argent à l’autre conjoint. L’actif lui-même n’est pas partagé et aucun des conjoints n’acquiert un intérêt propriétal ou bénéficiaire dans l’actif de l’autre. Aucune disposition de la Loi sur les biens familiaux du Manitoba (« LBF ») n’a pour effet d’investir un conjoint de quelque titre relatif aux biens de l’autre conjoint. Aucun intérêt propriétal n’est transmis avant le stade du paiement de la compensation, l’exécution pouvant alors prendre la forme de la transmission d’un tel intérêt en vertu de l’art. 17 de la LBF. Ainsi, sous le régime de la LBF, la réclamation au titre de la compensation constitue une dette d’un conjoint envers l’autre.

La réclamation au titre de la compensation de l’épouse était une réclamation prouvable dans la faillite de l’époux. L’article 121 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (« LFI ») attribue une grande portée à la définition d’une réclamation prouvable, de façon à englober toutes les créances et tous les engagements existants au moment de la faillite ou découlant d’obligations contractées avant la date à laquelle le débiteur est devenu failli. Vu la nature du régime de compensation manitobain, la réclamation de l’épouse en l’espèce constituait une réclamation prouvable. Le droit à un paiement existait depuis la séparation des conjoints, de sorte qu’il existait au moment de la faillite. Il restait seulement à en établir le montant en appliquant une formule claire qui laissait peu de latitude au tribunal pour l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Dans les circonstances, la réclamation ne pouvait être considérée comme suffisamment incertaine pour que l’art. 135 de la LFI ne trouve pas application. L’époux a été libéré de la réclamation au titre de la compensation par suite de sa faillite et de sa libération. La réclamation de l’épouse n’était ni de nature propriétale, ni exclue de l’ordonnance de libération, comme s’il s’agissait d’une pension ou obligation alimentaire visée aux al. 178(1)b) et c) de la LFI.

Selon la Loi sur les jugements du Manitoba, les créanciers ne pouvaient pas saisir la ferme familiale. Le recours que devrait exercer un créancier comme l’épouse consiste à demander au juge de faillite, en vertu de l’art. 69.4 de la LFI, l’autorisation de faire valoir sa réclamation contre le bien insaisissable. Comme ce bien demeure hors de la portée des créanciers ordinaires, la levée de la suspension des procédures ne peut porter atteinte à l’actif à distribuer. Pour reprendre les termes de l’art. 69.4, il serait, « pour d’autres motifs, équitable » de prononcer pareille ordonnance. Cette façon de faire s’accorde en outre avec l’objectif du droit de la faillite qui consiste à maximiser, sous le régime de la LFI, la valeur recouvrée par la cellule familiale dans son ensemble, plutôt que de pourvoir simplement aux besoins du failli, et avec la préoccupation du législateur pour le soutien aux familles.

Le régime actuel établi par la LFI offre des recours limités aux conjoints qui se trouvent dans une situation semblable à celle de l’épouse. Le droit de la famille peut leur offrir d’autres formes de recours après la libération du failli, notamment grâce à une pension alimentaire pour conjoint.


Parties
Demandeurs : Schreyer
Défendeurs : Schreyer

Références :

Jurisprudence
Distinction d’avec l’arrêt : Lacroix c. Valois, [1990] 2 R.C.S. 1259
arrêts mentionnés : Balyk c. Balyk (1994), 113 D.L.R. (4th) 719
Burson c. Burson (1990), 4 C.B.R. (3d) 1
Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, [2010] 3 R.C.S. 379
Thibodeau c. Thibodeau, 2011 ONCA 110, 104 O.R. (3d) 161
Re Kryspin (1983), 40 O.R. (2d) 424
Ross, Re (2003), 50 C.B.R. (4th) 274
Hildebrand c. Hildebrand (1999), 13 C.B.R. (4th) 226
Marzetti c. Marzetti, [1994] 2 R.C.S. 765
Turgeon c. Turgeon, [1997] O.J. No. 4269 (QL)
Sim c. Sim (2009), 50 C.B.R. (5th) 295
Shea c. Fraser, 2007 ONCA 224, 85 O.R. (3d) 28.
Lois et règlements cités
Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 427.
Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B‑3, art. 69.3, 69.4, 121, 135, 136d.1), 178(1)b), c), d), f), 178(2), 187(5).
Loi sur les biens familiaux, C.P.L.M. ch. F25, art. 6(1), 13, 14, 15, 17.
Loi sur les biens matrimoniaux, C.P.L.M. ch. M45.
Loi sur les jugements, C.P.L.M. ch. J10, art. 13.
Doctrine citée
Bray, Michael J. « To Whom the Swords, for Whom the Shields? The Feminization of Poverty in Canadian Insolvency Practice », in Janis P. Sarra, ed., Annual Review of Insolvency Law 2008. Toronto : Thomson Carswell, 2009, 455.
Canada. Sénat. Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Les débiteurs et les créanciers doivent se partager le fardeau : Examen de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Ottawa : Sénat du Canada, 2003.
Gutkin, Terry A. « Family Law and Bankruptcy » (1999), 16 Nat’l Insolv. Rev. 26.
Houlden, L. W., G. B. Morawetz and Janis Sarra. Bankruptcy and Insolvency Law of Canada, vol. 3, 4th ed. Toronto : Carswell, 2009 (loose‑leaf updated 2011, release 5).
Klotz, Robert A. Bankruptcy, Insolvency and Family Law, 2nd ed. Scarborough, Ont. : Thomson Carswell, 2001 (loose‑leaf updated 2007, release 1).
Wood, Roderick J. Bankruptcy and Insolvency Law. Toronto : Irwin Law, 2009.

Proposition de citation de la décision: Schreyer c. Schreyer, 2011 CSC 35 (14 juillet 2011)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2011-07-14;2011.csc.35 ?
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