La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/06/2012 | CANADA | N°2012_CSC_31

Canada | R. c. Mayuran, 2012 CSC 31 (28 juin 2012)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Mayuran, 2012 CSC 31

Date : 20120628

Dossier : 34526

Entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante

et

Suganthini Mayuran

Intimée

Traduction française officielle

Coram : Les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis

Motifs de jugement :

(par. 1 à 51)

La juge Abella (avec l’accord des juges LeBel, Deschamps, Fish, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis)

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parutio

n de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

r. c. mayuran

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Suganthini Ma...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Mayuran, 2012 CSC 31

Date : 20120628

Dossier : 34526

Entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante

et

Suganthini Mayuran

Intimée

Traduction française officielle

Coram : Les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis

Motifs de jugement :

(par. 1 à 51)

La juge Abella (avec l’accord des juges LeBel, Deschamps, Fish, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis)

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

r. c. mayuran

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Suganthini Mayuran Intimée

Répertorié : R. c. Mayuran

2012 CSC 31

No du greffe : 34526.

2012 : 19 avril; 2012 : 28 juin.

Présents : Les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis.

en appel de la cour d’appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Beauregard, Rochon et Duval Hesler), 2011 QCCA 1823 (CanLII), [2011] J.Q. no 13938 (QL), 2011 CarswellQue 10626, qui a annulé la déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré prononcée contre l’accusée et ordonné la tenue d’un nouveau procès. Pourvoi accueilli.

Louis Bouthillier et Alexandre Boucher, pour l’appelante.

Martin Latour et Maude Pagé‑Arpin, pour l’intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

la juge Abella —

[1] Suganthini Mayuran (Suganthini) a immigré au Canada en provenance du Sri Lanka en 2004. Plus tôt la même année, elle avait épousé Mayuran Thangarajah (Mayuran) à la faveur d’un mariage arrangé. À son arrivée au Canada, elle a emménagé dans un appartement à Montréal avec son mari, son beau‑père, sa belle‑mère, la sœur cadette de son mari ainsi qu’avec Manchutan, le frère de ce dernier et Dayani, la femme de Manchutan.

[2] Le 3 décembre 2004, Suganthini a été arrêtée pour le meurtre de sa belle‑sœur Dayani. Celle‑ci avait été poignardée à 45 reprises.

[3] Selon la thèse que le ministère public a présentée lors du procès tenu devant jury, Suganthini se trouvait seule dans l’appartement avec Dayani au moment de la mort et a donc été la seule à pouvoir commettre l’infraction. Pour établir sa thèse, le ministère public s’est fondé sur le témoignage de la famille Thangarajah, appuyé par une preuve indépendante corroborant le récit de ses membres et liant Suganthini au meurtre.

[4] Plusieurs membres de la famille ont témoigné. Leur témoignage collectif peut se résumer comme suit. Le père de Mayuran est parti au temple à 7 h 30 le matin du meurtre, tandis que Mayuran, sa mère et son frère se sont rendus au dépanneur que possède la famille à Laval. Le frère et la mère de Mayuran sont allés faire des achats, laissant à Mayuran le soin de s’occuper du magasin. Une fois leurs achats terminés, le frère est resté au magasin, tandis que Mayuran et sa mère sont retournés à Montréal. Quant à la sœur cadette, elle a dit avoir quitté l’appartement à 10 h ou 10 h 30 pour se rendre à un cours particulier avec un tuteur, de sorte que Suganthini et sa belle‑sœur Dayani étaient dès lors seules dans l’appartement.

[5] Divers éléments de preuve ont corroboré le récit de la famille : un livreur a vu le frère de Mayuran, Manchutan, dans le magasin familial à 10 h 30 puis, de nouveau, à 11 h 30; des reçus ont confirmé les courses qu’avaient faites la mère et le frère de Mayuran, dont un reçu d’un magasin Loblaws à Laval attestant un achat peu après 10 h; et des registres de téléphone cellulaire confirmaient que le frère avait reçu un appel téléphonique à Laval à 10 h 52. Tous ces éléments étayaient leur récit, à savoir que Suganthini était restée seule avec sa belle‑sœur Dayani dans l’appartement jusqu’aux environs de11 h 30.

[6] Vers 11 h ou 11 h 30 le 3 décembre 2004, Suganthini a appelé son beau‑père au temple, disant qu’un voleur était entré dans l’appartement et avait blessé Dayani. Le beau‑père a alors appelé le mari de Dayani, qui se trouvait au magasin. Il a également demandé à un membre du temple de communiquer avec la police, puis il est retourné chez lui. À son arrivée à l’appartement, le beau‑père a sonné à l’interphone, sans recevoir de réponse. Il a alors tenté d’appeler à la maison à partir d’un magasin voisin, mais là encore sans obtenir de réponse. Lorsqu’un voisin l’a finalement laissé entrer dans l’immeuble, il s’est rendu dans l’appartement et a entendu Suganthini pleurer dans la chambre principale qui était verrouillée. Elle lui a indiqué d’aller dans une autre chambre où Dayani gisait sur le plancher. Le beau-père a appelé le 911. La police est arrivée avant qu’il n’ait terminé son appel.

[7] Un élément revêt une pertinence particulière dans le présent pourvoi : Mayuran, le mari de Suganthini, ainsi que la belle-mère de celle-ci ont affirmé durant leur témoignage que, au cours de plusieurs conservations téléphoniques qu’elle a eues avec eux pendant qu’elle était en prison, Suganthini avait admis être l’auteur du meurtre. Elle leur a dit qu’elle avait tué Dayani parce que celle‑ci l’avait ridiculisée au sujet de son aptitude à apprendre et de son degré d’instruction. Ils ont dit que, quelques appels téléphoniques plus tard, Suganthini avait toutefois nié avoir tué Dayani. Selon sa dernière version, elle avait été menacée par le meurtrier véritable, dont elle n’avait pas voulu révéler le nom.

[8] Les policiers sont arrivés vers midi. Ils ont trouvé Suganthini qui pleurait et avait une coupure à la main. Elle leur a dit que le meurtre avait été commis par un voleur qui était entré au rez‑de‑chaussée en passant par la cuisine. La porte de la cuisine était ouverte, mais la neige fraîchement tombée ne portait aucune trace y conduisant. Des vêtements de Suganthini — une jupe et un tee‑shirt — ont été trouvés dans un seau d’eau teintée de sang dans la salle de bain.

[9] Luc Simoncelli, un médecin qui est arrivé sur les lieux peu après midi, a estimé que le décès était survenu peu avant son arrivée, bien qu’il ait reconnu que les blessures auraient pu être infligées jusqu’à deux heures auparavant.

[10] L’autopsie a révélé que le corps de Dayani portait 45 coups de couteau. Selon le témoignage du Dr André Lauzon, pathologiste, puisqu’elles étaient peu profondes, les blessures avaient probablement été infligées par un couteau dont la pointe était brisée. Un tel couteau a de fait été trouvé sur les lieux et François Julien, l’expert en ADN du ministère public, a déclaré au procès avoir trouvé des traces du sang à la fois de Dayani et de Suganthini sur la lame du couteau en question. Seul l’ADN de Suganthini a été retrouvé sur le manche. Le Dr Lauzon a également dit que les coupures que Suganthini avait à la main étaient compatibles avec une blessure pouvant avoir été causée par le geste de poignarder quelqu’un.

[11] Au procès, Suganthini a fait valoir en défense que ce n’était pas elle qui avait tué Dayani. Elle a affirmé qu’elle s’était réveillée à 9 h et qu’elle avait vu la sœur cadette quitter l’appartement avant 9 h 30. Elle a dit avoir entendu, vers 9 h 45, son beau‑frère Manchutan et sa femme Dayani se disputer avec vigueur. Elle est allée dans leur chambre, où elle dit avoir vu Manchutan qui pointait un couteau en direction de Dayani. Lorsqu’elle est entrée dans la chambre, Manchutan l’aurait regardée en lui disant : [traduction] « Savais‑tu qu’elle m’a trompé? Savais‑tu que le bébé dans son ventre est - - le père de l’enfant est Mayuran [le mari de Suganthini]. »

[12] Suganthini a dit qu’elle a essayé d’[traduction] « attraper » le couteau, ce qui explique qu’elle se soit coupée à la main. Manchutan l’aurait poussée hors de la chambre et elle se serait alors enfermée dans la chambre de sa belle‑mère. Elle a raconté que Manchutan s’était ensuite mis à crier après elle à travers la porte, l’avertissant de ne jamais révéler ce qui s’était passé et de dire à tous ceux qui poseraient des questions qu’un voleur s’était introduit par effraction dans la maison. Après une période indéterminée, Suganthini serait sortie de la chambre, aurait vu Dayani gisant dans son sang sur le plancher de sa chambre à coucher et aurait ensuite appelé son beau‑père.

[13] Suganthini a nié avoir admis être l’auteur du meurtre au cours de conservations téléphoniques qu’elle a eues en prison. Elle a raconté qu’elle avait essayé de dire la vérité à sa belle‑mère à propos de la querelle à laquelle elle avait assisté entre Dayani et son mari Manchutan, mais que sa belle‑mère avait raccroché. Au sujet des vêtements tachés de sang, elle a témoigné qu’elle les avait mis dans le seau parce qu’ils avaient été souillés la veille à cause de ses menstruations.

[14] Suganthini a été déclarée coupable de meurtre au deuxième degré.

[15] En appel, les juges majoritaires de la Cour d’appel du Québec ont annulé la déclaration de culpabilité et ordonné la tenue d’un nouveau procès. À leur avis, la juge du procès aurait dû soumettre la défense de provocation au jury sur la base des conversations téléphoniques alléguées tenues en prison durant lesquelles Suganthini aurait admis avoir tué Dayani parce que celle‑ci l’avait ridiculisée.

[16] La Cour d’appel a également relevé quatre autres erreurs dans les directives au jury, mais elle a appliqué la disposition réparatrice parce que ces erreurs [traduction] « ont pu n’avoir aucune incidence sur le verdict vu la preuve ».

[17] Dans la dissidence qui donne ouverture au présent appel de plein droit, le juge Rochon s’est dit d’accord pour appliquer la disposition réparatrice, mais il a estimé que les faits de l’affaire ne rendaient pas vraisemblable la défense de provocation. Je souscris à sa conclusion.

Analyse

[18] La principale question que pose le présent pourvoi est celle de savoir si la Cour d’appel a commis en erreur en concluant que la défense de provocation reposait sur un fondement probant suffisant pour être soumise à l’appréciation du jury même si elle n’avait pas été invoquée par la défense lors du procès.

[19] La défense de provocation est prévue à l’art. 232 du Code criminel :

232. (1) Un homicide coupable qui autrement serait un meurtre peut être réduit à un homicide involontaire coupable si la personne qui l’a commis a ainsi agi dans un accès de colère causé par une provocation soudaine.

(2) Une action injuste ou une insulte de telle nature qu’elle suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser, est une provocation pour l’application du présent article, si l’accusé a agi sous l’impulsion du moment et avant d’avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid.

(3) Pour l’application du présent article, les questions de savoir :

a) si une action injuste ou une insulte déterminée équivalait à une provocation;

b) si l’accusé a été privé du pouvoir de se maîtriser par la provocation qu’il allègue avoir reçue,

sont des questions de fait, mais nul n’est censé avoir provoqué un autre individu en faisant quelque chose qu’il avait un droit légal de faire, ou en faisant une chose que l’accusé l’a incité à faire afin de fournir à l’accusé une excuse pour causer la mort ou des lésions corporelles à un être humain.

[20] Notre Cour a statué qu’il n’y a lieu de soumettre un moyen de défense à l’appréciation du jury que s’il est « vraisemblable » (R. c. Cinous, [2002] 2 R.C.S. 3, par. 50). Le critère de la vraisemblance exige du juge du procès qu’il satisfasse à une double exigence : qu’il « soumett[e] au jury tous les moyens de défense qui peuvent être invoqués d’après les faits, peu importe que l’accusé les ait expressément invoqués ou non »; et qu’il « soustrai[e] à l’appréciation du jury le moyen de défense qui est dépourvu de fondement probant » (Cinous, par. 51). Qu’un moyen de défense ressorte de la preuve de l’accusé ou de celle du ministère public, le juge du procès doit le soumettre au jury s’il est vraisemblable (Cinous, par. 53; R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595).

[21] Pour déterminer si un moyen de défense est vraisemblable, il faut se demander si la preuve est suffisante. Il ne suffit pas qu’il existe « une preuve » étayant le moyen de défense (Cinous, par. 83). Il faut se demander s’il existe (1) une preuve (2) « qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement de prononcer l’acquittement, [s’il y ajoutait foi] » (Cinous, par. 65). S’agissant de moyens de défense qui se fondent sur une preuve indirecte ou de moyens — telle la provocation — qui ont une composante objective de raisonnabilité, le juge du procès doit examiner les « inférences de fait » qui peuvent raisonnablement être tirées au vu de la preuve (Cinous, par. 91).

[22] La question de la relation entre la vraisemblance et la défense de provocation a été examinée récemment par notre Cour dans l’arrêt R. c. Tran, [2010] 3 R.C.S. 350, où la juge Charron a expliqué que

[l]e sort réservé au moyen de défense dépend de ce que les jurés auront ou non un doute raisonnable sur l’existence de chacun des éléments constitutifs de la provocation. Un fondement probant suffisant est donc requis à l’égard de chacun des volets du moyen de défense pour que celui-ci puisse être soumis au jury : la vraisemblance exige que la preuve soit raisonnablement susceptible d’étayer les inférences nécessaires à l’application du moyen de défense [. . .]. [par. 41]

[23] La défense de provocation comporte deux éléments : un, objectif, l’autre, subjectif. Les deux éléments sont ainsi décrits dans R. c. Thibert, [1996] 1 R.C.S. 37 :

Premièrement, pour satisfaire à l’élément objectif, il faut établir qu’il y a eu une action injuste ou une insulte de telle nature qu’elle suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser. Deuxièmement, l’élément subjectif exige la preuve que l’accusé a agi sous l’impulsion du moment et avant d’avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid. [Soulignement omis ; par. 4]

(Voir aussi Tran, par. 23.)

L’élément objectif de la défense s’entend de deux exigences : « (1) il doit y avoir une action injuste ou une insulte et (2) l’action injuste ou l’insulte doit être suffisante pour priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser » (Tran, par. 25).

[24] Pour que la défense de provocation soit vraisemblable dans la présente affaire, la preuve doit pouvoir soulever un doute raisonnable quant au fait qu’une personne ordinaire placée dans la même situation que Suganthini aurait été privée du pouvoir de se maîtriser en entendant les insultes à propos de son niveau d’instruction. À mon humble avis, cette conclusion est tout simplement indéfendable.

[25] Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont conclu que la défense de provocation était vraisemblable étant donné la conversation en prison au cours de laquelle Suganthini aurait admis avoir tué Dayani parce que celle‑ci s’était moquée d’elle. Le fait qu’il y avait 45 plaies par arme blanche, a conclu la cour, permettait d’inférer que le meurtre s’était [traduction] « produit dans un accès de colère causé par une provocation soudaine ». Toutefois, les juges majoritaires n’ont aucunement examiné la question de savoir s’il avait été satisfait au critère objectif du moyen de défense.

[26] Notre Cour a souligné à maintes reprises l’importance de l’élément objectif. Comme l’a dit le juge en chef Dickson dans R. c. Hill, [1986] 1 R.C.S. 313, « [n]ous cherchons à encourager une conduite qui se conforme à certaines normes de la société en matière de responsabilité et d’actes raisonnables. Pour le faire, le droit emploie très logiquement la norme objective de la personne raisonnable » (p. 324‑25), qu’il a définie comme une personne qui a « un tempérament et un niveau de maîtrise de soi normaux », et qui n’est pas « exceptionnellement excitable ou querelleuse, ni en état d’ivresse » (p. 331).

[27] Le juge en chef Dickson a reconnu que « des caractéristiques particulières qui ne sont pas spéciales ni une idiosyncrasie peuvent être attribuées à une personne ordinaire sans bouleverser la logique du critère objectif de la provocation », ce qui comprend des caractéristiques « comme le sexe, l’âge ou la race » (Hill , p. 331; voir aussi Thibert, par. 14). Mais il a souligné que ces caractéristiques ne sont pertinentes que dans la mesure où elles aident à déterminer la façon dont une personne ordinaire réagirait dans les circonstances. La juge Charron a fait la mise en garde suivante dans l’arrêt Tran :

La situation personnelle de l’accusé peut importer pour déterminer s’il y a eu provocation dans les faits — c’est l’élément subjectif du moyen de défense — , mais elle n’a pas pour effet de modifier la norme de la personne ordinaire pour qu’elle convienne à l’individu accusé. Autrement dit, il existe une distinction importante entre la contextualisation de la norme objective, qui est nécessaire et opportune, et son individualisation, qui contrecarre son objectif même. [italiques ajoutés; par. 35.]

[28] En plaidant que la provocation aurait dû être une question soumise à l’appréciation du jury et pour étayer la vraisemblance de ce moyen de défense, la défense s’est fondée sur le témoignage du mari de Suganthini, Mayuran, à propos de la conversation en prison qu’il avait eue avec elle :

[traduction]

R. . . . À ce moment, nous lui avons demandé ce qui était arrivé et elle a dit que sous le coup de la colère, qu’elle l’a fait et alors, pour ma part, je lui ai demandé pourquoi elle avait fait ça et elle a répondu qu’elle en apprenait plus que moi et j’étais très en colère. C’était à cause de ça, j’ai fait ça et après un certain temps, l’appel téléphonique a été automatiquement coupé.

. . .

R. C’est [ma mère] qui lui a demandé ce qui était arrivé. J’étais là à ce moment et elle a dit ce qui était arrivé et à ce moment, quand nous lui avons demandé, elle a dit comme ça et elle a dit qu’elle a fait ça parce qu’elle était fâchée et après qu’elle a parlé, ma mère, avec elle et moi, moi‑même, je lui ai demandé de mon côté pourquoi elle avait fait ça et elle a répondu de la même façon qu’elle avait fait ça.

. . .

R. . . . Je lui ai demandé . . . ce qui était arrivé, elle m’a dit en vérité, je l’ai fait. Alors, quand je lui ai demandé pourquoi elle l’avait fait, elle m’a expliqué que c’était parce qu’elle lui disait qu’elle était plus instruite que moi.

Q. Qui disait cela?

R. Suganthini m’a dit qu’elle l’avait ridiculisée à propos de son degré d’instruction.

Q. Qui la ridiculisait?

. . .

R. Dayani.

. . .

R. Au moment où je lui ai parlé, je lui ai demandé pourquoi elle l’avait fait et elle a dit que c’était elle qui l’avait fait et ensuite je lui ai demandé pourquoi et elle a dit à propos des études et c’était à cause de cette querelle, elle était fâchée et elle a dit qu’elle a agi sous le coup de la colère. [italiques ajoutés.]

[29] La défense a également insisté sur le témoignage de la belle‑mère de Suganthini :

[traduction]

R. Je lui ai demandé ce qui était arrivé, pourquoi elle avait fait cela.

Q. Qu’a répondu Suganthini?

R. Suganthini a dit : je l’ai fait. Et quand je lui ai demandé pourquoi as‑tu fait cela, elle a dit elle m’a réprimandée, elle m’a fait des reproches et c’est pourquoi elle l’a fait.

Q. A‑t‑elle dit quelque chose d’autre?

R. Je lui ai dit : d’accord, elle t’a réprimandée, mais pourquoi n’es‑tu pas simplement partie, sortie de l’appartement si elle t’avait provoquée?

Q. Qu’a‑t‑elle répondu?

R. Elle a dit : elle m’a fait des reproches et c’est pourquoi je l’ai fait.

. . .

R. Elle a dit : elle m’a fait des reproches et c’est pourquoi elle l’a fait. [italiques ajoutés.]

[30] En outre, Suganthini a fait valoir que, en ce qui a trait à l’appréciation de sa réaction, sa situation personnelle était pertinente, y compris le fait qu’elle était une nouvelle immigrante qui tentait de s’intégrer dans la communauté aussi rapidement que possible, ce qui la rendait plus sensible aux insultes concernant son degré d’instruction et sa capacité d’apprendre. Bien que pertinentes, ces considérations ne font pas de sa conduite un acte qu’une personne ordinaire aurait commis. Comme la juge Charron l’a fait observer dans Tran, cela « individualiserait » l’élément objectif du test et contrecarrerait son objectif même.

[31] En se fondant sur ce dossier, un jury ayant reçu des directives appropriées ne pouvait conclure qu’une personne ordinaire placée dans les mêmes circonstances que Suganthini serait privée du pouvoir de se maîtriser lorsqu’on la « réprimande » à propos de son degré d’instruction, au point qu’elle en viendrait à poignarder la personne à 45 reprises dans un accès de rage. Cela, me semble‑t‑il, n’est absolument pas vraisemblable. La juge du procès n’avait donc aucune obligation de donner des directives au jury concernant la défense de provocation.

[32] Les quatre autres erreurs signalées par la Cour d’appel se rapportent à l’exposé au jury. À l’instar de la Cour d’appel, j’appliquerais la disposition réparatrice.

[33] La Cour d’appel a conclu que la juge du procès a commis une erreur dans la directive donnée quant au mobile. Elle a dit aux jurés qu’ils pouvaient prendre en considération le mobile qui aurait pu pousser Suganthini à commettre le meurtre, à savoir [traduction] « que [Dayani] grognait, lui faisait des reproches, l’humiliait et la ridiculisait », pour arriver à leur conclusion. La Cour d’appel a estimé que la juge du procès aurait dû aussi dire aux jurés de prendre en considération le mobile de Manchutan, soit, comme l’a prétendu Suganthini, que sa femme était enceinte de l’enfant du mari de Suganthini.

[34] Le juge Dickson a souligné dans l’arrêt Lewis c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 821, que les juges de première instance doivent donner au jury des directives équilibrées sur la question du mobile de façon à « présenter au jury les éléments de preuve indispensables pour parvenir à une juste conclusion » (p. 837, (italiques ajoutés) citant Colpitts c. La Reine, [1965] R.C.S. 739, p. 752; voir également R. c. White (1996), 29 O.R. (3d) 577 (C.A.), p. 607‑8, conf. [1998] 2 R.C.S. 72). Or, la thèse du ministère public reposait sur l’occasion exclusive qu’avait eue Suganthini de commettre l’infraction, non sur un mobile. Certes, il aurait été préférable que la juge du procès rappelle au jury le témoignage de Suganthini, mais cette omission en l’espèce était relativement mineure étant donné le rôle marginal du mobile dans la thèse du ministère public.

[35] La Cour d’appel a également estimé que la remarque suivante qu’a formulée la juge du procès à propos de l’état de fatigue de Suganthini constituait une erreur :

Vous pouvez aussi prendre en considération le témoignage de l’accusée lorsqu’elle dit qu’elle mesure cinq pieds et pèse 90 livres, soit le même poids que celui de la victime. Elle a dit à plusieurs reprises qu’après les incidents dans la maison, à l’hôpital et au poste de police, elle était très fatiguée. On peut penser qu’une personne pesant 90 livres, qui vient d’assener 45 coups de couteau au point de tuer une autre personne, doit éprouver une grande fatiguée. [italiques ajoutés.]

[36] La question du droit du juge d’exprimer une opinion sur la preuve a été examinée dans R. c. Gunning, [2005] 1 R.C.S. 627, où la juge Charron a affirmé ce qui suit :

Un principe de droit peut‑être élémentaire, mais néanmoins fondamental veut que, dans un procès avec jury, il appartienne au juge de trancher toutes les questions de droit et de donner des directives en conséquence au jury; toutefois le jury, qui doit tenir du juge ses directives sur le droit applicable, est le seul arbitre des faits. Dans la mesure où cela est nécessaire, le juge a aussi l’obligation d’aider le jury en passant en revue la preuve qui se rapporte aux questions en litige. Le juge a également le droit d’exprimer une opinion sur une question de fait et de le faire aussi fermement que le permettent les circonstances, à la condition de dire clairement au jury qu’il s’agit seulement d’un conseil et non d’une directive.

. . .

[. . .] [D]ans un procès avec jury, il n’appartient jamais au juge d’apprécier la preuve et de décider si le ministère public a prouvé l’un ou plusieurs éléments essentiels de l’infraction, pour ensuite donner des directives en conséquence au jury. Il n’importe pas de savoir jusqu’à quel point la réponse peut paraître évidente au juge. Il est également sans importance que le juge puisse être d’avis que toute autre conclusion serait contraire à la preuve. Le juge du procès peut exprimer une opinion sur la question lorsque cela est justifié, mais il ne peut jamais donner des directives à cet égard. [italiques ajoutés; par. 27 et 31.]

[37] Dans l’affaire Gunning, le juge du procès avait dit au jury comment trancher un élément essentiel de l’infraction. La présente affaire est très différente. La juge du procès a émis une hypothèse qui ne faisait qu’indiquer une inférence pouvant éventuellement être tirée de la preuve. Idéalement, elle n’aurait pas dû avancer ainsi d’hypothèse devant le jury sur la cause possible de la fatigue de Suganthini. Mais cette déclaration n’équivaut pas à une « directive » sur la façon dont le jury devait trancher un élément quelconque de l’infraction, et elle s’accompagnait de plusieurs directives rappelant aux jurés qu’ils étaient les arbitres ultimes des faits. S’il y a eu erreur, elle était donc mineure.

[38] La Cour d’appel a également dit que la juge du procès a commis une erreur parce que, la preuve en l’espèce étant essentiellement circonstancielle, une directive spéciale était requise, à savoir qu’il aurait fallu dire aux jurés qu’ils ne pouvaient prononcer la culpabilité que s’ils étaient convaincus que la seule [traduction] « inférence raisonnable » pouvant être tirée de la preuve était que Suganthini était coupable. Or, comme nous l’avons expliqué dans R. c. Griffin, [2009] 2 R.C.S. 42, « [c]ette Cour a depuis longtemps écarté toute obligation que des « directives spéciales » soient données au jury relativement à la preuve circonstancielle ». Ce qui importe, c’est que dans les affaires où la preuve est purement circonstancielle, le jury soit informé de la façon dont il peut l’utiliser pour établir la culpabilité hors de tout doute raisonnable. En l’espèce, la juge du procès a expliqué au jury la nature de la preuve circonstancielle, les inférences qui pouvaient en être légitimement tirées et le fardeau de la preuve hors de tout doute raisonnable. À mon avis, les directives ont satisfait au test énoncé dans l’arrêt Griffin (voir également R. c. Fleet (1997), 120 C.C.C. (3d) 457 (C.A. Ont.), par. 20, cité dans Griffin, par. 33).

[39] La dernière erreur concernait la directive au jury au sujet de la confession qui aurait été faite en prison. La Cour d’appel a estimé que, puisque Suganthini avait contesté la véracité de ces déclarations, la juge du procès aurait dû dire aux jurés qu’ils devaient être convaincus hors de tout doute raisonnable que Suganthini avait effectivement fait les déclarations admettant le meurtre avant de les prendre en considération avec le reste de la preuve pour déterminer si elle était coupable.

[40] Après avoir passé en revue la preuve relative à la confession, la juge du procès a invité les jurés à [traduction] « se servir de [leur] bon sens » pour décider si Suganthini avait fait les déclarations :

[traduction] Si vous décidez que l’accusée a fait une déclaration qui peut l’aider dans sa défense ou si vous ne pouvez pas décider si elle l’a faite ou non, vous allez prendre cette déclaration en considération avec les autres éléments de preuve pour décider si vous avez un doute raisonnable en ce qui concerne la culpabilité de l’accusée.

Vous pouvez donner à tout ce que vous estimez que l’accusée a dit l’importante, grande ou petite, que ces déclarations méritent selon vous dans cette affaire. C’est à vous de décider. Toutefois, ce que, selon vous, l’accusée a dit, ne constitue qu’une partie de la preuve. Vous devez prendre cet élément de preuve en considération avec tous les autres éléments de preuve et de la même façon. [italiques ajoutés.]

[41] Devant la Cour d’appel et devant notre Cour, le ministère public a convenu que cette directive était erronée. L’erreur découle de l’arrêt de notre Cour R. c. MacKenzie, [1993] 1 R.C.S. 212. Règle générale, il faut considérer la preuve dans son ensemble pour déterminer s’il existe un doute raisonnable quant à la culpabilité (R. c. Morin, [1988] 2 R.C.S. 345; R. c. Rojas, [2008] 3 R.C.S. 111, par. 43). Or, dans MacKenzie, la Cour a précisé que « sur des questions importantes de preuve, [le jury] peut avoir besoin de conseils sur la façon d’accomplir sa tâche ». Ainsi, dans les affaires

[. . .] où la déclaration que l’accusé a faite au procès est aux antipodes d’une déclaration extrajudiciaire antérieure, si le jury croit la déclaration faite au procès, ou qu’il subsiste dans son esprit un doute raisonnable à son sujet, il doit alors rejeter la déclaration extrajudiciaire; l’accusé doit recevoir le bénéfice du doute. Pour arriver à cette conclusion, le jury doit, naturellement, prendre en considération la preuve dans son ensemble. [p. 239]

[42] Il n’est pas nécessaire de donner une directive particulière de ce genre dans tous les cas où il existe une preuve contradictoire à propos de déclarations extrajudiciaires de l’accusé. Une directive de type MacKenzie n’est requise que dans les cas où « la crédibilité de[s] déclarations contradictoires [a] une incidence directe sur la question à trancher ultimement » et que la décision du jury d’accepter une déclaration « rev[ient] nécessairement à opter pour l’une ou l’autre des thèses avancées en l’espèce » (White (C.S.C.), par. 52). Il n’y a aucune raison de donner une directive particulière lorsque les déclarations contradictoires « n’ont pas, individuellement, une incidence décisive sur la question ultime à trancher » (par. 53).

[43] Si le jury croyait hors de tout doute raisonnable la preuve concernant la confession de Suganthini en prison, il devait nécessairement la reconnaître coupable de meurtre. Par conséquent, suivant l’arrêt MacKenzie, la juge du procès aurait dû dire aux jurés que, considérant la preuve dans son ensemble, s’ils croyaient le témoignage de Suganthini au procès, ou s’il subsistait dans leur esprit un doute raisonnable au sujet de la confession, ils devaient rejeter la déclaration extrajudiciaire. L’omission à cet égard constituait une erreur.

[44] Cela nous amène à la question de l’applicabilité de la disposition réparatrice.

[45] La disposition réparatrice peut s’appliquer dans deux situations : lorsque l’erreur est si inoffensive ou mineure qu’elle n’a pu avoir aucune incidence sur le verdict; et lorsque, même si l’erreur n’est pas mineure, la preuve présentée contre l’accusé est à ce point accablante qu’il aurait été impossible de rendre un autre verdict (R. c. Van, [2009] 1 R.C.S. 716, par. 34; R. c. Trochym, [2007] 1 R.C.S. 239, par. 81; R. c. Khan, [2001] 3 R.C.S. 823, par. 26).

[46] La défense n’a pas élevé d’objections au procès en ce qui touche les erreurs qu’elle a soulevées en appel, un fait qui, s’il n’est pas déterminant, « mérite néanmoins d’être pris[. . .] en considération par la cour de révision » en tant qu’indication que l’erreur n’était « ni grave ni importante » (R. c. Jaw, [2009] 3 R.C.S. 26, par. 44; Van, par. 43; R. c. Jacquard, [1997] 1 R.C.S. 314, par. 38).

[47] La plupart des erreurs étaient mineures et ne peuvent avoir eu d’incidence sur le verdict. L’erreur commise selon l’interprétation qu’il convient de donner à l’arrêt MacKenzie était plus grave, mais je suis convaincue qu’elle n’était pas fatale puisque la cause du ministère public contre Suganthini était accablante. Le ministère public a présenté un récit largement basé sur le témoignage de la famille Thangarajah, récit selon lequel Suganthini se trouvait seule dans l’appartement avec Dayani au moment crucial, version qui était corroborée par une preuve testimoniale et matérielle. Suganthini a admis s’être trouvée dans l’appartement, mais elle a présenté une version totalement contradictoire des événements de la journée, où elle figurait comme l’unique témoin du meurtre de Dayani par Manchutan, le mari de cette dernière.

[48] Selon Suganthini, Dayani et son mari se querellaient à 9 h 45 et le meurtre est survenu autour de 10 h. Or, selon les témoignages de la famille Thangarajah, le mari de Dayani est parti dans la matinée en compagnie de Mayuran et de sa mère pour se rendre à Laval et n’est revenu à l’appartement que plus tard dans la journée, bien après son père. Le récit de la famille, suivant lequel il était impossible que le frère se soit trouvé dans l’appartement au moment du meurtre, a été corroboré par un témoin qui l’a vu au magasin, par des reçus et par des registres de téléphone cellulaire.

[49] De façon encore plus cruciale, la preuve dans son ensemble minait entièrement la version des événements de Suganthini. Selon ce qu’elle a initialement raconté, un voleur s’était introduit dans l’appartement par la porte de la cuisine — malgré l’absence de traces dans la neige — et elle s’était coupée lorsque sa main était restée coincée dans une porte. Au procès, elle a changé son récit, expliquant que sa version initiale était attribuable aux menaces proférées par son beau-frère. Or, des vêtements lui appartenant ont été trouvés dans un seau d’eau teintée de sang dans la salle de bain, son sang était mêlé à celui de la victime sur la lame du couteau, son ADN se trouvait sur le manche, et ses coupures à la main étaient compatibles avec une blessure causée par le geste de poignarder quelqu’un. En revanche, aucune preuve matérielle ne reliait le mari de Dayani à l’infraction.

[50] La juge du procès a fait aux jurés un exposé approprié suivant l’arrêt W.(D.), leur disant que si le témoignage de Suganthini ou la preuve dans son ensemble soulevaient un doute raisonnable dans leur esprit quant à sa culpabilité, ils devaient prononcer l’acquittement. En déclarant Suganthini coupable de meurtre au second degré, le jury a clairement rejeté son témoignage et a accepté la version du ministère public hors de tout doute raisonnable. Même si nous devions ignorer totalement la preuve relative à la confession, le reste de la preuve en l’espèce a si sévèrement miné le récit de Suganthini et renforcé celui de la famille Thangarajah qu’il n’y a pas de possibilité réaliste que le verdict eût été différent si le jury avait reçu des directives différentes.

[51] Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir la déclaration de culpabilité.

Pourvoi accueilli.

Procureur de l’appelante : Poursuites criminelles et pénales du Québec, Montréal.

Procureurs de l’intimée : Labelle, Boudrault, Côté et Associés, Montréal.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli. la déclaration de culpabilité est rétablie

Analyses

Droit criminel - Moyens de défense - Provocation - Déclaration de culpabilité prononcée à l’encontre de l’accusée pour meurtre au deuxième degré - Le moyen de défense de provocation aurait‑il dû être soumis au jury? - L’élément objectif de la défense de provocation est‑il établi de sorte que la défense est vraisemblable? - La juge du procès a‑t‑elle commis des erreurs en instruisant le jury? - Si oui, la disposition réparatrice s’applique‑t‑elle?.

L’accusée a été déclarée coupable du meurtre au deuxième degré de sa belle-sœur, poignardée à 45 reprises. Deux de ses proches ont témoigné que l’accusée avait admis avoir tué la victime parce que celle‑ci l’avait ridiculisée au sujet de son aptitude à apprendre et de son degré d’instruction. L’accusée a nié avoir commis le meurtre et avoir admis en être l’auteur et a présenté une version des événements de la journée incompatible avec le témoignage des autres membres de la famille. Le récit de la famille a été corroboré par un témoin indépendant, par des reçus et par des registres de téléphone cellulaire. Des vêtements appartenant à l’accusée ont été trouvés dans un seau d’eau teintée de sang dans la salle de bain, son sang était mêlé à celui de la victime sur la lame d’un couteau qui aurait servi à commettre le meurtre, son ADN se trouvait sur le manche et, aux dires d’un expert, ses coupures à la main étaient compatibles avec une blessure causée par le geste de poignarder quelqu’un. En appel, les juges majoritaires de la Cour d’appel du Québec ont annulé la déclaration de culpabilité et ordonné la tenue d’un nouveau procès. À leur avis, la juge du procès aurait dû soumettre la défense de provocation au jury sur la base de l’aveu qu’aurait fait l’accusée d’avoir tué la victime parce que celle‑ci l’avait ridiculisée. Le juge dissident a estimé que les faits de l’affaire ne rendaient pas vraisemblable la défense de provocation.

Arrêt : Le pourvoi est accueilli. La déclaration de culpabilité est rétablie.

La défense de provocation exige une action injuste ou une insulte de telle nature qu’elle suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser et que l’accusée ait agi avant d’avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid. Pour qu’il soit satisfait au critère objectif du moyen de défense, la preuve doit pouvoir soulever un doute raisonnable quant au fait qu’une personne ordinaire placée dans la même situation que l’accusée aurait été privée du pouvoir de se maîtriser en entendant les insultes à propos de son niveau d’instruction. En se fondant sur le dossier de l’espèce, un jury ayant reçu des directives appropriées ne pouvait conclure qu’une personne ordinaire placée dans les mêmes circonstances que l’accusée serait privée du pouvoir de se maîtriser pour avoir été « réprimandée » à propos de son degré d’instruction, au point qu’elle en viendrait à poignarder la personne à 45 reprises dans un accès de rage. Cela n’est pas vraisemblable. La juge du procès n’avait donc aucune obligation de donner des directives au jury concernant la défense de provocation.

La disposition réparatrice peut s’appliquer dans deux situations : lorsque l’erreur est inoffensive ou si mineure qu’elle n’a pu avoir aucune incidence sur le verdict; et lorsque, même si l’erreur n’est pas mineure, la preuve présentée contre l’accusé est à ce point accablante qu’il aurait été impossible de rendre un autre verdict. En l’espèce, les instructions de la juge du procès au jury contenaient plusieurs erreurs, mais la plupart étaient mineures et ne pouvaient avoir eu d’incidence sur le verdict. Si l’erreur commise par la juge du procès sur le poids à accorder à l’aveu fait par l’accusée n’était pas inoffensive, en revanche la cause contre l’accusée était accablante. Par conséquent, la disposition réparatrice s’applique.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Mayuran

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés : R. c. Cinous, 2002 CSC 29, [2002] 2 R.C.S. 3
R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595
R. c. Tran, 2010 CSC 58, [2010] 3 R.C.S. 350
R. c. Thibert, [1996] 1 R.C.S. 37
R. c. Hill, [1986] 1 R.C.S. 313
Lewis c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 821
Colpitts c. The Queen, [1965] R.C.S. 739
R. c. White (1996), 29 O.R. (3d) 577, conf. par [1998] 2 R.C.S. 72
R. c. Gunning, 2005 CSC 27, [2005] 1 R.C.S. 627
R. c. Griffin, 2009 CSC 28, [2009] 2 R.C.S. 42
R. c. Fleet (1997), 120 C.C.C. (3d) 457
R. c. MacKenzie, [1993] 1 R.C.S. 212
R. c. Morin, [1988] 2 R.C.S. 345
R. c. Rojas, 2008 CSC 56, [2008] 3 R.C.S. 111
R. c. Van, 2009 CSC 22, [2009] 1 R.C.S. 716
R. c. Trochym, 2007 CSC 6, [2007] 1 R.C.S. 239
R. c. Khan, 2001 CSC 86, [2001] 3 R.C.S. 823
R. c. Jaw, 2009 CSC 42, [2009] 3 R.C.S. 26
R. c. Jacquard, [1997] 1 R.C.S. 314.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 232.

Proposition de citation de la décision: R. c. Mayuran, 2012 CSC 31 (28 juin 2012)


Origine de la décision
Date de la décision : 28/06/2012
Date de l'import : 29/06/2012

Numérotation
Référence neutre : 2012 CSC 31 ?
Numéro d'affaire : 34526
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2012-06-28;2012.csc.31 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award