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12/07/2012 | CANADA | N°2012_CSC_34

Canada | Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 34 (12 juillet 2012)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique,

2012 CSC 34

Date : 20120712

Dossier : 33921

Entre :

Entertainment Software Association et Association canadienne du logiciel de divertissement

Appelantes

et

Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique

Intimée

- et -

CMRRA-SODRAC Inc., Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson-Glushko et Cineplex Divert

issement LP

Intervenantes

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abe...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique,

2012 CSC 34

Date : 20120712

Dossier : 33921

Entre :

Entertainment Software Association et Association canadienne du logiciel de divertissement

Appelantes

et

Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique

Intimée

- et -

CMRRA-SODRAC Inc., Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson-Glushko et Cineplex Divertissement LP

Intervenantes

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis

Motifs de jugement conjoints :

(par. 1 à 44)

Motifs dissidents :

(par. 45 à 128)

Les juges Abella et Moldaver (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Deschamps et Karakatsanis)

Le juge Rothstein (avec l’accord des juges LeBel, Fish et Cromwell)

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

entertainment software association c. socan

Entertainment Software Association et

Association canadienne du logiciel de divertissement Appelantes

c.

Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique Intimée

et

CMRRA‑SODRAC Inc., Clinique d’intérêt public et de

politique d’internet du Canada Samuelson‑Glushko et

Cineplex Divertissement LP Intervenantes

Répertorié : Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique

2012 CSC 34

No du greffe : 33921.

2011 : 6 décembre; 2012 : 12 juillet.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis.

en appel de la cour d’appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Létourneau, Nadon et Pelletier), 2010 CAF 221, 406 N.R. 288, 323 D.L.R. (4th) 62, 86 C.P.R. (4th) 258, 14 Admin. L.R. (5th) 151, [2010] A.C.F. no 1088 (QL), 2010 CarswellNat 3113, qui a confirmé une décision de la Commission du droit d’auteur (2007), 61 C.P.R. (4th) 353, [2007] C.B.D. No. 7 (QL), 2007 CarswellNat 3467. Pourvoi accueilli, les juges LeBel, Fish, Rothstein et Cromwell sont dissidents.

Barry B. Sookman et Daniel G. C. Glover, pour les appelantes.

Gilles Daigle, D. Lynne Watt, Paul Spurgeon et Henry Brown, c.r., pour l’intimée.

Argumentation écrite seulement par Casey M. Chisick, Timothy Pinos et Jason Beitchman, pour l’intervenante CMRRA‑SODRAC Inc.

Argumentation écrite seulement par Jeremy de Beer et David Fewer, pour l’intervenante la Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson‑Glushko.

Argumentation écrite seulement par Tim Gilbert, Sana Halwani et Sundeep Chauhan, pour l’intervenante Cineplex Divertissement LP.

Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Deschamps, Abella, Moldaver et Karakatsanis rendu par

Les juges Abella et Moldaver —

[1] Dans le secteur de l’édition de jeux vidéo, les redevances de reproduction pour toute œuvre musicale qui est intégrée à un jeu sont actuellement négociées avant l’emballage et la vente au public. Une fois ces droits négociés, le titulaire du droit d’auteur sur l’œuvre musicale ne peut plus prétendre à des droits supplémentaires lors de la vente du jeu. La question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si les droits renaissent néanmoins lorsque l’œuvre est vendue sur Internet plutôt qu’en magasin. À notre avis, il serait illogique de faire une distinction entre les deux modes de vente d’une même œuvre.

[2] La Commission du droit d’auteur conclut que la vente sur Internet d’un jeu vidéo contenant une œuvre musicale dont les redevances ont déjà été négociées avec le titulaire du droit d’auteur emporte néanmoins l’exigibilité d’une nouvelle redevance (2007 CarswellNat 3467). La Cour d’appel fédérale confirme sa décision (2010 CAF 221, 406 N.R. 288). À notre humble avis, la Commission interprète mal les dispositions en cause de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C‑42, et elle fait abstraction de décennies d’évolution législative. Sa décision va à l’encontre du principe de la neutralité technologique voulant que la Loi s’applique uniformément malgré la diversité technologique des supports.

Analyse

[3] Le présent pourvoi porte sur l’application de l’al. 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur, qui confère au titulaire du droit d’auteur le droit exclusif :

. . . de communiquer au public, par télécommunication, une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique.

[4] Le litige porte principalement sur le sens du verbe « communiquer » employé à l’al. 3(1)f), mais non défini dans la Loi. Chargée de la gestion du droit de « communiquer » les œuvres pour le compte des titulaires du droit d’auteur, la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (la « SOCAN ») a demandé à la Commission, en application de cette disposition, l’homologation d’un tarif pour le téléchargement d’œuvres musicales sur Internet. Au nom d’une large coalition d’éditeurs et de distributeurs de jeux vidéo, Entertainment Software Association et l’Association canadienne du logiciel de divertissement (collectivement, « ESA ») se sont opposées au tarif en faisant valoir que « télécharger » un jeu vidéo contenant une œuvre musicale n’équivalait pas à « communiquer » ce jeu au public par télécommunication aux fins de l’al. 3(1)f). En fait, le « téléchargement » ne constitue qu’un mode supplémentaire et plus efficace de distribuer des exemplaires d’un jeu à la clientèle. La copie téléchargée est identique à l’exemplaire acheté en magasin ou expédié au client par la poste, et les éditeurs de jeux versent déjà aux titulaires du droit d’auteur des redevances pour l’ensemble de ces activités de reproduction.

[5] Nous sommes d’accord avec ESA. À notre avis, la conclusion de la Commission selon laquelle un tarif distinct s’applique au téléchargement pour la « communication » d’une œuvre musicale va à l’encontre du principe de la neutralité technologique, à savoir que la Loi sur le droit d’auteur s’applique uniformément aux supports traditionnels et aux supports plus avancés sur le plan technologique : Robertson c. Thomson Corp., [2006] 2 R.C.S. 363, au par. 49. Le paragraphe 3(1) de la Loi adhère au principe de la neutralité technologique en reconnaissant un droit de produire ou de reproduire une œuvre « sous une forme matérielle quelconque ». À notre avis, il n’y a aucune différence d’ordre pratique entre acheter un exemplaire durable de l’œuvre en magasin, recevoir un exemplaire par la poste ou télécharger une copie identique sur le Web. Internet ne représente qu’un taxi technologique assurant la livraison d’une copie durable de la même œuvre à l’utilisateur.

[6] David Vaver reprend cette thèse dans son ouvrage intitulé Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade‑marks (2e éd. 2011). Il semble critiquer la décision de la Commission rendue dans la présente affaire :

[traduction] En principe, les autres modes de distribution doivent rivaliser en fonction de leurs avantages respectifs : les deux doivent payer ou aucun ne le doit. La législation sur le droit d’auteur doit tendre à la neutralité technologique.

. . .

Auparavant, lorsqu’un client achetait un enregistrement sonore ou un jeu vidéo en personne dans un magasin ou qu’il le commandait par la poste, le titulaire du droit d’auteur n’y voyait aucune différence : il ne touchait aucun supplément pour la remise au client de l’exemplaire par le commis ou le messager. Aujourd’hui, en raison du droit de télécommunication, le titulaire du droit d’auteur peut exiger et exige effectivement un supplément pour la distribution électronique d’un même contenu acquis sur le Web. [Italiques ajoutés; p. 172‑173.]

[7] De plus, la thèse d’ESA se concilie avec la mise en garde de notre Cour dans l’arrêt Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., [2002] 2 R.C.S. 336, c’est‑à‑dire que, en matière d’application du droit d’auteur, l’équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres et, d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur commande de reconnaître la « nature limitée » des droits du créateur :

On atteint le juste équilibre entre les objectifs de politique générale, dont ceux qui précèdent, non seulement en reconnaissant les droits du créateur, mais aussi en accordant l’importance qu’il convient à la nature limitée de ces droits. D’un point de vue grossièrement économique, il serait tout aussi inefficace de trop rétribuer les artistes et les auteurs pour le droit de reproduction qu’il serait nuisible de ne pas les rétribuer suffisamment. Une fois qu’une copie autorisée d’une œuvre est vendue à un membre du public, il appartient généralement à l’acheteur, et non à l’auteur, de décider du sort de celle‑ci. [Italiques ajoutés; par. 31.]

[8] L’équilibre traditionnel entre auteurs et utilisateurs doit être préservé dans le monde numérique : Carys Craig, « Locking Out Lawful Users : Fair Dealing and Anti‑Circumvention in Bill C‑32 », dans Michael Geist, dir., From “Radical Extremism” to “Balanced Copyright” : Canadian Copyright and the Digital Agenda (2010), 177, à la p. 192.

[9] La SOCAN n’a jamais pu percevoir de redevances pour la copie d’un jeu vidéo sur cartouche ou sur disque achetée en magasin ou obtenue par la poste. Or, elle soutient que la copie identique d’un jeu vendu et distribué sur Internet donne droit à une redevance à la fois pour la reproduction de l’œuvre et pour sa communication. Le principe de la neutralité technologique veut que, sauf intention contraire avérée du législateur, nous interprétions la Loi sur le droit d’auteur de manière à ne pas créer un palier supplémentaire de protection et d’exigibilité d’une redevance qui soit uniquement fondé sur le mode de livraison de l’œuvre à l’utilisateur. Toute autre interprétation imposerait en fait un coût injustifié pour l’utilisation de technologies Internet plus efficaces.

[10] L’impair de la Commission ressort de sa définition du « téléchargement » : « fichier contenant des données . . . que l’usager peut conserver » (par. 13). La Commission reconnaît que le téléchargement est une activité de reproduction qui crée une copie exacte et durable du fichier numérique dans l’ordinateur de l’utilisateur, identique à l’exemplaire acheté en magasin ou par la poste. Néanmoins, elle conclut que la distribution d’une copie sur Internet emporte l’exigibilité de deux redevances — une pour la reproduction et une pour la communication — , tandis que la distribution d’un exemplaire en magasin ou par la poste emporte le paiement d’une redevance seulement pour la reproduction. Elle arrive à cette conclusion en méconnaissant le principe de la neutralité technologique.

[11] Le juge Rothstein soutient (au par. 126) que la Commission du droit d’auteur peut éviter cette « double rémunération » du titulaire du droit d’auteur en rajustant les deux redevances de manière à répartir les « parts du gâteau » entre, d’un côté, les sociétés qui gèrent les droits de reproduction et, de l’autre, celles qui gèrent les droits de communication. Cependant, cette avenue paraît contraire à l’intention qui a présidé à la création des sociétés de gestion collective à l’origine, le législateur ayant recherché une gestion et une administration efficaces des différents droits d’auteur en application de la Loi. L’inefficacité de cette solution est préjudiciable à la fois aux utilisateurs et aux titulaires du droit d’auteur :

[traduction] Lorsque, à elle seule, une activité économique emporte l’application de plus d’un type de droit, chacun étant géré par une société de gestion collective distincte, la multiplicité des licences nécessaires peut entraîner une inefficacité . . . Dès lors, le prix que doit verser l’utilisateur au total est trop élevé . . .

. . .

L’octroi par plusieurs monopoles de gestion collective des licences nécessaires à l’exercice d’une seule activité crée des inefficiences dont souffre également la collectivité des titulaires du droit d’auteur.

(Ariel Katz, « Commentary: Is Collective Administration of Copyrights Justified by the Economic Literature? », dans Marcel Boyer, Michael Trebilcock et David Vaver, dir., Competition Policy and Intellectual Property (2009), 449, aux p. 461‑463)

[12] À notre avis, la Commission conclut à tort que distribuer sur Internet une copie d’un jeu vidéo qui renferme une œuvre musicale équivaut à « communiquer » cette œuvre au public. L’historique de la Loi sur le droit d’auteur, dont il ressort que le droit de « communiquer » a toujours été lié à celui d’exécuter ou de représenter une œuvre, et non au droit de créer une copie permanente de l’œuvre, le confirme.

[13] Comme notre Cour l’a rappelé dans l’arrêt Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467, aux p. 473‑474, la Loi de 1921 concernant le droit d’auteur a été conçue pour appliquer les dispositions suivantes de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques de 1886, révisée à Berlin en 1908 :

Article 11

Les stipulations de la présente Convention s’appliquent à la représentation publique des œuvres dramatiques ou dramatico‑musicales, et à l’exécution publique des œuvres musicales, que ces œuvres soient publiées ou non.

. . .

Article 13

Les auteurs d’œuvres musicales ont le droit exclusif d’autoriser: (1) l’adaptation de ces œuvres à des instruments servant à les reproduire mécaniquement; (2) l’exécution publique des mêmes œuvres au moyen de ces instruments.

. . .

Article 14

Les auteurs d’œuvres littéraires, scientifiques ou artistiques ont le droit exclusif d’autoriser la reproduction et la représentation publique de leurs œuvres par la cinématographie.

[14] La teneur de ces articles a été reprise dans le texte introductif du par. 3(1) de la Loi de 1921 concernant le droit d’auteur, S.C. 1921, ch. 24, lequel accordait :

. . . le droit exclusif de produire ou de reproduire une œuvre sous une forme matérielle quelconque, d’exécuter ou de représenter ou, s’il s’agit d’une conférence, de débiter en public, et si l’œuvre n’est pas publiée, de publier l’œuvre ou une partie importante de celle‑ci; . . .

[15] Dans la Loi de 1921, l’al. 2q) définissait comme suit l’« exécution » ou la « représentation » (en anglais, « performance ») :

. . . toute reproduction sonore d’une œuvre, ainsi que toute représentation visuelle d’une action dramatique, contenue dans une œuvre, y compris la représentation effectuée à l’aide d’un instrument mécanique; . . .

[16] À l’époque, le droit d’exécution ou de représentation supposait la présence d’un auditoire sur place. Cependant, avec l’avènement de la radiodiffusion, un débat s’est engagé sur l’application du droit d’auteur à cette nouvelle technologie, un débat qui s’apparentait à celui que suscitent actuellement les technologies Internet. Suivant le consensus international, la radiodiffusion devait être considérée comme un prolongement de l’exécution ou de la représentation de manière à englober l’auditoire éloigné : Paul Goldstein et P. Bernt Hugenholtz, International Copyright : Principles, Law and Practice (2e éd. 2010), §9.1.4.3; Pierre‑Emmanuel Moyse, Le droit de distribution : analyse historique et comparative en droit d’auteur (2007), aux p. 309‑310. La Convention de Berne a donc été révisée à Rome en 1928 pour élargir le droit d’exécution prévu à l’article 11. Le nouvel article 11bis conférait aux auteurs le « droit exclusif d’autoriser la communication de leurs œuvres au public par la radiodiffusion ».

[17] En 1928, le Canada a adhéré à la Convention de Berne ainsi révisée puis, en 1931, il a adopté l’al. 3(1)f) de la Loi du droit d’auteur qui intégrait le nouvel article 11bis :

f) S’il s’agit d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique, de transmettre cette œuvre au moyen de la radiophonie.

(Loi modifiant la Loi du droit d’auteur, 1931, S.C. 1931, ch. 8, art. 3)

[18] Par la même occasion, la Loi modifiant la Loi du droit d’auteur de 1931 modifiait la définition d’« exécution » ou de « représentation » (en anglais, « performance ») afin qu’elle englobe la notion nouvelle de communication à distance :

« représentation » ou « exécution » ou « audition » désigne toute reproduction sonore d’une œuvre . . . y compris la représentation à l’aide de quelque instrument mécanique ou par transmission radiophonique. [par. 2(3)]

[19] À l’instar des représentation, exécution ou audition, la transmission au moyen de la radiophonie (c.‑à‑d. une émission radiodiffusée) visée à l’al. 3(1)f) supposait la « reproduction sonore » de l’œuvre. En outre, comme la représentation, l’exécution ou l’audition, la transmission visée à l’al. 3(1)f) n’englobait pas la distribution d’une copie permanente de l’œuvre, car les ondes hertziennes ne le permettaient pas.

[20] La justesse de cette interprétation de l’al. 3(1)f) initial est étayée par les débats en Chambre. Pour expliquer l’objet de cette disposition au Parlement, le ministre responsable des modifications, C.H. Cahan, a déclaré que l’al. 3(1)f) visait à rendre la Loi du droit d’auteur conforme à la Convention de Berne, révisée à Rome (Débats de la Chambre des communes, vol. 1, 2e sess., 17 e législature, 23 avril 1931, aux p.892‑893) , et que la « transmission radiophonique » constituait une forme de représentation (en anglais, « performance ») :

En Angleterre les tribunaux ont décidé que la transmission radiophonique tombe sous le coup du terme « représentation »; mais afin d’établir clairement que les droits de l’auteur embrassent non seulement toute reproduction sonore, et le reste, mais aussi la transmission par radiophonie, nous avons ajouté à la définition du terme « représentation » dans le présent texte les mots « ou par transmission radiophonique ». . . . J’ajoute simplement les mots : « ou par transmission radiophonique » pour établir clairement que l’auteur a les mêmes droits concernant la radiodiffusion que pour toute autre reproduction de son œuvre. [Italiques ajoutés.]

(Vol. 3, 8 juin 1931, aux p. 2373‑2374)

[21] C’est également ainsi que notre Cour interprète le texte initial de l’al. 3(1)f) dans l’arrêt Composers, Authors and Publishers Assn. of Canada Ltd. c. CTV Television Network Ltd., [1968] R.C.S. 676. Elle statue alors que les signaux transmis par CTV à ses stations affiliées ne communiquent pas des [traduction] « œuvres de musique » — alors définies comme étant « manuscrite[s] » — , mais communiquent plutôt leur « exécution ». Dans une remarque incidente, notre Cour ajoute que l’article 11bis de la Convention de Rome, dont s’inspirait l’al. 3(1)f), vise à englober l’exécution publique par radiodiffusion (p. 680‑682). De plus, elle statue que la [traduction] « communication . . . peut s’entendre de l’exécution » (p. 681). Elle conclut donc que l’al. 3(1)f) doit englober le droit exclusif d’exécution publique par radiodiffusion.

[22] Après 1931, le texte de l’al. 3(1)f) n’a été modifié qu’en 1988 pour devenir le suivant :

f) de communiquer au public, par télécommunication, une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique; . . .

(Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre‑échange Canada ‑États‑Unis, L.C. 1988, ch. 65, art. 62.

[23] La SOCAN allègue que cette modification (substituant à l’expression « au moyen de la radiophonie » le terme « par télécommunication ») atteste l’intention du législateur de supprimer, à l’al. 3(1)f), toute mention des activités traditionnelles d’exécution ou de représentation, ou encore, de radiodiffusion, et d’étendre la portée du droit de communication de manière à englober les technologies comportant la transmission de données qui permettent à l’utilisateur de conserver une copie permanente de l’œuvre.

[24] Avec égards, nous ne somme pas de cet avis. Les modifications de 1988 découlant des art. 61 à 65 de la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre‑échange Canad‑États‑Unis visaient à donner effet aux art. 2005 et 2006 de l’Accord de libre‑échange Canada‑États‑Unis de 1987 : voir Association canadienne des télécommunications sans fil c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2008 CAF 6, [2008] 3 R.C.F. 539 (« ACTSF c. SOCAN »), au par. 27. Avant cet accord, les tribunaux canadiens avaient statué que, pour l’application de l’ancien al. 3(1)f), la « radiophonie » s’entendait seulement des ondes hertziennes, pas de la communication par câbles coaxiaux : Canadian Admiral Corp v. Rediffusion Inc., [1954] R.C.É. 382, à la p. 410. L’accord obligeait toutefois le Canada à indemniser les titulaires de droit d’auteur pour la retransmission de signaux de télévision par câble. Les modifications avaient donc pour but de faire en sorte que l’al. 3(1)f) visent les câblodistributeurs, et non uniquement les radiodiffuseurs : John S. McKeown, Fox on Canadian Law of Copyright and Industrial Designs (4e éd. (feuilles mobiles)), aux p. 21‑86, 21‑87 et 29‑1.

[25] Dans ce contexte, on ne doit voir dans le remplacement de « radiophonie » par « télécommunication » que l’élargissement des modes de communication d’une œuvre, de sorte qu’aux ondes radio (« au moyen de la radiophonie ») s’ajoutent la câblodistribution puis les nouvelles technologies ultérieures (« au public, par télécommunication »). À notre avis, lorsqu’il a substitué le mot « télécommunication » en 1988, le législateur n’avait pas l’intention de changer la nature fondamentale du droit de communication, lequel se rapportait depuis plus de 50 ans aux activités d’exécution ou de représentation. En fait, il a seulement modifié les modes de transmission de la communication. Dans la version anglaise, le mot « communicate » n’a jamais été remplacé.

[26] L’ajout des mots « au public » à l’al. 3(1)f) nous conforte dans cette interprétation des modifications de 1988. Avant celles‑ci, il ne faisait aucun doute que toutes les communications étaient destinées « au public » puisque la diffusion par ondes hertziennes était nécessairement de nature publique. Or, le terme « télécommunication » risquait de créer une ambiguïté dans la Loi, car la télécommunication pouvait également s’entendre d’une communication privée. En juxtaposant « au public » avant « télécommunication », le législateur a clairement signifié son intention que le droit de communication demeure un droit d’exécution ou de représentation.

[27] Par conséquent, nous partageons l’avis du juge Rothstein (au par. 98) selon lequel il existe, dans la Loi sur le droit d’auteur, un « lien historique » entre le droit d’exécution ou de représentation et le droit de communication, mais nous ne souscrivons pas à sa conclusion voulant que, au vu des modifications de 1988, le législateur ait voulu rompre ce lien. Selon nous, le lien historique entre communication et exécution ou représentation subsiste de nos jours. Soit dit en tout respect, la Commission fait abstraction de son existence lorsqu’elle conclut que la transmission du téléchargement d’une œuvre musicale sur Internet peut équivaloir à une « communication ».

[28] La conclusion de la Commission repose en partie sur le point de vue erroné voulant qu’on ne puisse distinguer le « téléchargement » de la « transmission en continu ». Bien que les deux constituent des « transmissions » sur le plan technique (l’un et l’autre utilisent la « technologie de transmission des données par paquets »), les deux ne sont pas des « communications » pour l’application de la Loi sur le droit d’auteur. C’est ce qui ressort de la définition de transmission en continu retenue par la Commission : « une transmission de données permettant à l’usager d’entendre ou de voir le contenu au moment de la transmission et qui n’est pas destinée à la reproduction » (par. 15). À la différence du téléchargement, la transmission en continu s’apparente plutôt à la radiodiffusion ou à l’exécution ou représentation.

[29] La Commission semble également se fonder sur l’arrêt Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, [2004] 2 R.C.S. 427 (« SOCAN c. ACFI »), où le juge Binnie fait observer que l’œuvre a nécessairement été « communiquée » lorsque, « [à] l’issue de la transmission, l’utilisateur final a en sa possession une œuvre musicale qu’il n’avait pas auparavant » (au par. 45), et sur l’arrêt ACTSF c. SOCAN, dans lequel la juge Sharlow, invoquant l’arrêt SOCAN c. ACFI, affirme que la « communication » s’entend de « la transmission d’informations d’une personne à une autre » (par. 19‑20).

[30] Toutefois, comme le souligne le juge Rothstein, les remarques formulées dans l’arrêt SOCAN c. ACFI sont incidentes, car la signification du verbe « communiquer » employé à l’al. 3(1)f) n’était pas directement en cause dans cette affaire. Ni l’arrêt SOCAN c. ACFI ni l’arrêt ACTSF c. SOCAN ne se penchent sur l’historique législatif du verbe « communiquer » ou sur le lien entre communication et exécution ou représentation.

[31] Pour la même raison, nous ne pouvons convenir avec le juge Rothstein que, suivant sa définition lexicographique, le mot « communiquer » s’entend de toute transmission de données, y compris le téléchargement qui permet à l’utilisateur de conserver une copie durable de l’œuvre. Bien qu’ils offrent souvent une panoplie utile de définitions possibles, les dictionnaires permettent difficilement de déterminer le sens d’un mot lorsque celui se voit arraché à son contexte : Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4e éd. 2002), à la p. 27; voir également Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031, au par. 67 (le juge Gonthier). À notre avis, l’effet du recours aux définitions lexicographiques en l’espèce est de faire abstraction du long historique législatif qui relie fermement le terme « communiquer » aux activités d’exécution ou de représentation.

[32] Dans son interprétation de l’al. 3(1)f), la Commission méconnaît également la distinction traditionnelle entre droit d’exécution ou de représentation et droit de reproduction en élargissant à tort le sens du verbe « communiquer » pour englober la distribution sur Internet d’une copie permanente de l’œuvre. Selon nous, cette interprétation va beaucoup plus loin que le législateur l’a jamais voulu en employant le terme « communiquer ».

[33] Lors de l’adoption du par. 3(1), le législateur a établi une distinction entre droit de reproduction et droit d’exécution ou de représentation :

3. (1) Pour les fins de la présente loi, le « droit d’auteur » désigne le droit exclusif de produire ou de reproduire une œuvre sous une forme matérielle quelconque, d’exécuter ou de représenter ou, s’il s’agit d’une conférence, de débiter en public . . . l’œuvre ou une partie importante de celle‑ci.

(Loi de 1921 concernant le droit d’auteur)

[34] Cette distinction a toujours subsisté jusqu’à la version actuelle du par. 3(1) de la Loi.

[35] L’exécution d’une œuvre diffère fondamentalement de sa reproduction. Comme le conclut notre Cour dans l’arrêt Bishop c. Stevens, une exécution est de nature passagère et ne laisse pas le téléspectateur ou l’auditeur en possession d’une copie durable de l’œuvre :

Le droit d’exécuter une œuvre (notamment celui de la radiodiffuser) et le droit de faire un enregistrement sont mentionnés de façon distincte au par. 3(1). Ce sont des droits distincts en théorie et en pratique . . . [L]e droit d’exécuter une œuvre et celui de l’enregistrer sont suffisamment distincts pour être ordinairement cédés séparément et administrés par des organismes différents.

. . .

. . . Une exécution est par sa nature même fugace, momentanée, passagère. Lorsqu’elle est terminée, il n’en reste plus que le souvenir. . . . De plus, aucune imitation d’une exécution n’en est une reproduction parfaite. En revanche, un enregistrement est permanent. Il est facile d’en faire des reproductions exactes et privées. Dès qu’une œuvre a été enregistrée, son enregistrement acquiert une sorte d’autonomie. . . . Après avoir enregistré son œuvre ou en avoir autorisé l’enregistrement, un compositeur a cédé de façon définitive une large part de contrôle sur la présentation de son œuvre au public. C’est pour cela que la Loi établit une distinction entre le droit d’exécuter une œuvre et celui de l’enregistrer et qu’un auteur peut, en pratique, vouloir autoriser l’exécution de son œuvre mais non son enregistrement. [Italiques ajoutés; p. 477‑479.]

[36] Dans cette affaire, la personne accusée de violation du droit d’auteur a fait valoir que le « droit de diffuser » une œuvre musicale suivant l’al. 3(1)f) comportait le droit accessoire d’en tirer une copie éphémère à la seule fin de faciliter la radiodiffusion. Notre Cour a finalement conclu que le droit d’exécuter une œuvre — y compris celui de la communiquer — ne pouvait être interprété de façon à englober le droit de la reproduire, puisque l’exécution ou la représentation et la communication diffèrent intrinsèquement de l’enregistrement.

[37] Bien que, dans l’arrêt Bishop, notre Cour interprète la version de la Loi sur le droit d’auteur antérieure à la modification de 1988 qui a intégré le mot « télécommunication », la distinction entre le droit d’exécution ou de représentation et celui de reproduction établie au par. 3(1) se retrouve dans les dispositions de la Loi actuelle. Par exemple, au par. 2.2(1), le terme « publication » s’entend de la « mise à disposition . . . d’exemplaires », mais exclut expressément « la représentation ou l’exécution en public » d’une œuvre ou sa « communication au public par télécommunication ». De même, l’exception que prévoit le par. 29.4(2) au bénéfice des établissements d’enseignement tient pour distincts le droit de « reproduction » et celui de « communication par télécommunication . . . au public ». Il en va de même du par. 15(1), qui scinde en deux catégories les droits voisins prévus par la Loi : le droit de « communiquer » la prestation et de l’« exécuter », et celui d’en « reproduire » la fixation.

[38] La distinction entre, d’une part, droits d’exécution ou de représentation et de communication et, d’autre part, droit de reproduction ressort également de la gestion collective des tarifs de redevances en vertu de la Loi sur le droit d’auteur. En 1993, la SOCAN — une société de gestion du droit d’exécution — s’est vu confier l’administration du droit de communication prévu à l’al. 3(1)f) en liaison avec les œuvres musicales : L.C. 1993, ch. 23, art. 3 : voir McKeown, aux p. 3‑12, 27‑2 et 27‑3. Les dispositions pertinentes figurent dans la partie de la Loi intitulée « Gestion collective du droit d’exécution et de communication » : art. 67 à 68.2 (L.C. 1997, ch. 24, art. 45) : voir McKeown, à la p. 26‑3. Même la Commission du droit d’auteur répartit ses décisions relatives aux œuvres musicales entre deux catégories : « Exécution publique de la musique » et « Reproduction d’œuvres musicales » : http://www.cb‑cda.gc.ca/decisions/index‑f.html.

[39] Dès lors, le verbe « communiquer » employé à l’al. 3(1)f), qui a de tous temps été lié au droit d’exécution ou de représentation, ne doit pas être transformé par la présence du mot « télécommunication » de telle sorte qu’il englobe des activités apparentées à la reproduction. Une telle mutation équivaudrait à l’abandon de la distinction traditionnelle établie dans la Loi entre droit d’exécution ou de représentation et droit de reproduction. Aucune disposition ayant modifié la Loi en 1988 ou par la suite n’atteste que le législateur a voulu un tel abandon.

[40] La SOCAN soutient que la distinction entre le droit de reproduction et le droit d’exécution ou de représentation reconnue dans l’arrêt Bishop étaye en fait sa thèse selon laquelle le téléchargement d’une œuvre musicale sur Internet peut emporter l’application de deux tarifs. Comme le droit de reproduction et le droit d’exécution ou de représentation sont distincts et indépendants, le titulaire du droit d’auteur devrait avoir droit à une redevance distincte pour l’exercice de chacun d’eux. Cette prétention repose sur le renvoi que fait la Cour, dans l’arrêt Bishop, à la p. 477, aux propos tenus par le lord juge Greene dans l’arrêt Ash c. Hutchinson & Co. (Publishers), Ltd., [1936] 2 All E.R. 1496 (C.A.), à la p. 1507 :

[traduction] . . . la Copyright Act, 1911 [sur laquelle la Loi canadienne est modelée] expose les droits du titulaire d’un droit d’auteur. Il énumère certains actes que seul le titulaire d’un droit d’auteur peut accomplir. Le droit d’accomplir chacun de ces actes est, à mon avis, un droit distinct, créé par la loi, et quiconque accomplit l’un de ces actes sans le consentement du titulaire du droit d’auteur commet de ce fait un délit; s’il en accomplit deux, il commet deux délits et ainsi de suite. [Italiques ajoutés.]

[41] À notre avis, dans l’arrêt Bishop, la Cour cite ce passage uniquement pour mettre en évidence le caractère distinct des droits énumérés au par. 3(1). Elle n’affirme pas qu’une seule activité (le téléchargement) peut porter atteinte à deux droits distincts en même temps. C’est ce qui ressort de l’extrait tiré de l’arrêt Ash v. Hutchinson, qui renvoie à [traduction] « deux actes ». Par exemple, dans l’affaire Bishop, deux activités étaient en cause : 1) la réalisation d’une copie éphémère de l’œuvre musicale en vue de sa diffusion et 2) la diffusion effective de celle‑ci. Or, une seule activité fait l’objet de la présente espèce : le téléchargement de la copie d’un jeu vidéo contenant une œuvre musicale.

[42] Le droit de communication prévu à l’al. 3(1)f) n’est pas non plus un droit sui generis qui s’ajoute aux droits généraux énoncés au par. 3(1). La partie introductive définit ce qui constitue le « droit d’auteur ». Elle dispose que le droit d’auteur « comporte » le droit exclusif de produire ou reproduire une œuvre sous une forme matérielle quelconque, d’exécuter l’œuvre ou de la représenter en public et de publier une œuvre non publiée. Il s’agit d’une définition exhaustive, car dans sa version anglaise, le terme « means » en circonscrit la portée. Le texte introductif précise à la fin que le droit d’auteur « comporte, en outre » plusieurs autres droits, qui sont énumérés aux al. a) à i). Partant, les droits énoncés dans la partie introductive constituent l’assise fondamentale du droit d’auteur. Ceux qui font l’objet des alinéas suivants ne sont que des exemples : Sunny Handa, Copyright Law in Canada (2002), à la p. 195; voir également Apple Computer, Inc. c. Mackintosh Computers Ltd., [1987] 1 C.F. 173 (1re inst.), à la p. 197). Par exemple, le droit de location prévu à l’al. 3(1)i) et auquel renvoie le juge Rothstein entre aisément dans la catégorie générale des droits de reproduction.

[43] À notre avis, la conclusion de la Commission selon laquelle distribuer sur Internet une copie permanente d’un jeu vidéo qui renferme une œuvre musicale équivaut à « communiquer » cette œuvre pour l’application de l’al. 3(1)f) doit donc être annulée.

[44] Par conséquent, nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens.

Version française des motifs des juges LeBel, Fish, Rothstein et Cromwell rendus par

Le juge Rothstein —

[45] Suivant l’alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C‑42 (la « Loi »), le titulaire du droit d’auteur a le droit exclusif de « communiquer [son œuvre] au public, par télécommunication » et d’autoriser pareille communication. La question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si l’œuvre musicale est « communiqu[ée] . . . par télécommunication » lorsque le fichier qui la contient est téléchargé sur Internet.

[46] Lorsqu’un fichier contenant une œuvre protégée est téléchargé, le titulaire du droit d’auteur a le droit d’être rémunéré pour la reproduction de son œuvre. Le présent pourvoi a pour objet l’œuvre musicale que renferme le jeu vidéo téléchargeable sur Internet. Les appelantes, Entertainment Software Association et l’Association canadienne du logiciel de divertissement (collectivement « ESA »), font valoir que la transmission d’une œuvre qui résulte de son téléchargement sur Internet ne donne pas droit à une rémunération supplémentaire au titre de l’al. 3(1)f). L’intimée, la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (la « SOCAN »), soutient que, suivant la Loi, droit de reproduction et droit de communication sont distincts et que le titulaire du droit d’auteur doit être rémunéré pour la communication de son œuvre par téléchargement Internet.

[47] Mes collègues les juges Abella et Moldaver sont en désaccord avec moi en ce qui concerne certains principes fondamentaux du droit d’auteur. J’estime que notre Cour a déjà établi les principes devant présider à l’analyse qui s’impose en l’espèce. Le droit d’auteur tire son origine de la loi (Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34, [2002] 2 R.C.S. 336, au par. 5; Compo Co. Ltd. c. Blue Crest Music Inc., [1980] 1 R.C.S. 357, à la p. 373; Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467, à la p. 477) et il est constitué d’un ensemble de droits légaux distincts (Bishop c. Stevens, à la p. 477; Compo Co. Ltd. c. Blue Crest Music Inc., à la p. 373). Les tribunaux doivent appliquer ces droits distincts conformément à la volonté exprimée par le législateur. Ils doivent respecter le libellé de la loi et se garder d’y passer outre même s’il leur faut se rappeler que la Loi sur le droit d’auteur « établ[it] un équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles et, d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur », ce qui requiert « non seulement [de reconnaître] les droits du créateur, mais aussi [d’accorder] l’importance qu’il convient à la nature limitée de ces droits » (Théberge, aux par. 30 et 31).

[48] À mon humble avis, la position de mes collègues écarte ces principes bien établis. Ils estiment d’abord qu’une fois négociés les droits de reproduction de l’œuvre musicale contenue dans le jeu vidéo, « le titulaire du droit d’auteur sur l’œuvre musicale ne peut plus prétendre à des droits supplémentaires lors de la vente du jeu » (les juges Abella et Moldaver, au par. 1). Ils invoquent à l’appui le principe de la neutralité technologique selon lequel la vente d’un exemplaire numérique du jeu vidéo, par transmission Internet, ne doit pas emporter l’application d’autres droits protégés que celui de reproduire, car la production et la vente d’un exemplaire du jeu sur support traditionnel ne met en cause que le droit de reproduire l’œuvre musicale qu’il renferme. Pour mes collègues, « Internet ne représente qu’un taxi technologique assurant la livraison d’une copie durable de la même oeuvre à l’utilisateur » (par. 5). Ils affirment que la question en litige dans le pourvoi est celle de savoir « si les droits renaissent néanmoins lorsque l’œuvre est vendue sur Internet plutôt qu’en magasin » (par. 1).

[49] En règle générale, la neutralité technologique est souhaitable en matière de droit d’auteur. Il ne s’agit cependant pas d’une exigence légale susceptible de primer le texte de la Loi ou de faire obstacle à l’application des différents droits protégés par le législateur. Fondamentalement, la thèse défendue par mes collègues empêche l’application d’autres droits du titulaire du droit d’auteur dans les circonstances considérées et dépouille ces droits de leur objet distinct. Point n’est besoin de faire renaître des droits qui n’ont jamais été épuisés.

[50] Sous bien des rapports, il est certes légitime de voir dans Internet un taxi technologique; or, celui‑ci n’a pas à offrir de courses gratuites.

I. Faits et historique judiciaire

[51] Saisie d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour d’appel fédérale (la « CAF ») a confirmé la décision de la Commission du droit d’auteur, à savoir que télécharger une œuvre musicale équivaut à la « communiquer au public, par télécommunication » pour l’application de l’al. 3(1)f) de la Loi et emporte le droit des membres de la SOCAN à une rémunération selon le tarif homologué. C’est contre cette décision de la CAF qu’ESA se pourvoit devant notre Cour.

[52] ESA représente les éditeurs et les distributeurs de jeux vidéo. Un jeu vidéo est un logiciel de divertissement constitué de millions de lignes de codes. Une fois installé dans l’ordinateur puis activé, le logiciel crée des effets audiovisuels au gré de l’utilisateur. La bande sonore du jeu peut inclure une œuvre musicale.

[53] On peut acheter un jeu vidéo sur Internet. Le client accède au site du fournisseur, paie le prix d’achat, puis télécharge le jeu vidéo. Une copie permanente du logiciel lui est alors transmise sur son disque dur. Ce mode de distribution fait concurrence à l’acquisition traditionnelle en magasin d’un jeu vidéo stocké sur disque compact ou sur cartouche.

[54] Le client doit ensuite installer le programme dans son ordinateur, qu’il l’ait téléchargé sur Internet ou acheté sur CD. Ce n’est qu’une fois l’installation terminée que le client peut lancer le jeu et en percevoir les effets audiovisuels. Ni le jeu ni ses effets ne sont perceptibles pendant la transmission du fichier du vendeur à l’utilisateur, ce qui revêtirait une importance cruciale en l’espèce.

[55] Dans ce secteur d’activité, l’usage veut que l’éditeur négocie l’affranchissement des droits de reproduction d’une œuvre musicale avant de lancer le jeu vidéo auquel celle‑ci est intégrée. Il est admis que, une fois les droits de reproduction acquittés, le titulaire du droit d’auteur sur l’œuvre musicale ne peut prétendre à des droits supplémentaires lorsque le jeu vidéo est vendu dans un magasin ayant pignon sur rue ou expédié par la poste sur disque compact.

[56] La SOCAN représente les compositeurs, les auteurs et les éditeurs de musique. Elle gère les droits d’exécution en public et de communication au public par télécommunication de leurs œuvres protégées. Elle dépose des projets de tarifs auprès de la Commission et perçoit pour le compte de ses membres les redevances établies par cette dernière.

[57] La présente instance vise des projets tarifaires déposés par la SOCAN en 1995 pour diverses utilisations d’œuvres musicales protégées constituant à son avis des communications au public sur Internet. Ces projets ont fait l’objet d’oppositions. En 1996, la Commission a décidé d’examiner d’abord les questions juridiques puis d’établir le tarif des redevances. La première phase consistait à « déterminer[] quelles activités sur []Internet, le cas échéant, constituent une utilisation protégée [d’une œuvre musicale du répertoire de la SOCAN] visée par le tarif » (Tarif des redevances, Exécution publique d’œuvres musicales 1996, 1997, 1998 (Tarif 22, Internet) (en ligne) (la « décision concernant le tarif 22 »)(à la p. 2).

[58] Le 27 octobre 1999, à l’issue de cette phase initiale, la Commission a statué sur les questions de droit et de compétence (la décision concernant le tarif 22). Sa décision a été contestée en appel jusque devant notre Cour, mais sur une autre question que celle de la communication au public par télécommunication dont nous sommes aujourd’hui saisis. Toutefois, dans l’arrêt Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427 (« SOCAN c. ACFI »), au par. 30, le juge Binnie relève la conclusion de la Commission suivant laquelle « une communication Internet a lieu au moment où l’œuvre est transmise du serveur hôte à l’ordinateur de l’utilisateur final, que l’écoute ou le visionnement soit immédiat ou ultérieur, ou n’ait jamais lieu » (voir la décision concernant le tarif 22, à la p. 36), un point qui, selon lui, « n’est plus contesté ».

[59] En 2005, la SOCAN a modifié son projet tarifaire pour créer sept catégories correspondant chacune à une activité Internet distincte. La sixième catégorie, celle des « Sites de jeux » regroupe « les communications d’œuvres musicales faisant partie de jeux, y compris le jeu de hasard, de sites ou de services qui consistent surtout [dans des] jeux » (Projet de tarifs des redevances à percevoir par la SOCAN pour l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication, au Canada, d’oeuvres musicales ou dramatico‑musicales (2005), 139 Gaz. Can. I (suppl.), à la p. 18). Lors de la deuxième phase du processus, celle de l’établissement d’un tarif pour la communication d’œuvres musicales sur Internet pour les années 1996 à 2006, ESA a fait valoir devant la Commission que, l’utilisateur ne pouvant percevoir le logiciel du jeu ni par la vue ni par l’ouïe au moment du téléchargement, [traduction] « [l]a transmission consiste simplement dans la distribution d’une reproduction de l’œuvre qui est identique à celle offerte sur disque en magasin. La transmission n’[est] donc pas une “communication au public” » (M.A., au par. 20 (souligné dans l’original)).

[60] La deuxième phase s’est conclue par deux décisions. Dans la première rendue le 18 octobre 2007 (2007 CarswellNat 3467) (la « décision concernant le tarif 22.A »), la Commission rejette la thèse d’ESA et confirme sa conclusion antérieure assimilant le téléchargement à une « communication ». Même si la décision concernant le tarif 22.A fixe en détail le tarif des redevances exigibles pour l’utilisation par les services de musique en ligne des œuvres qui figurent dans leurs catalogues et qui sont téléchargeables contre paiement, la Commission précise que les principes juridiques qu’elle y établit s’appliquent également aux autres utilisations de musique sur Internet. Dans la seconde décision issue de la deuxième phase rendue le 24 octobre 2008 (Tarif des redevances à percevoir par la Socan, Internet — Autres utilisations de musique (en ligne)) (la « décision concernant le tarif 22.B‑G »), la Commission établit le détail des redevances exigibles pour les autres utilisations d’œuvres musicales sur Internet, notamment l’utilisation sur des sites de jeux, celle qui est en cause dans le présent pourvoi (le « tarif 22.G »).

[61] Des opposants ont saisi la CAF d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur différents motifs, et la CAF s’est prononcée dans des décisions séparées sur les questions ainsi soulevées. Dans l’affaire Bell Canada c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2010 CAF 220 (« Bell Canada »), des services de musique en ligne ont demandé le contrôle de la conclusion tirée par la Commission dans la décision concernant le tarif 22.A, à savoir que le téléchargement d’un fichier de musique par l’utilisateur à partir du site Web du service de musique en ligne constitue une « communication au public ». La CAF a conclu que la Commission avait raisonnablement interprété l’al. 3(1)f) de la Loi, elle a estimé que l’arrêt SOCAN c. ACFI faisait déjà le tour de la question de savoir ce qu’il faut entendre par « communication » et elle a donc confirmé qu’un téléchargement constitue une communication (par. 5).

[62] Rappelons qu’ESA a été déboutée à l’issue du contrôle judiciaire de la décision concernant le tarif 22.B‑G. Quant à savoir si le téléchargement d’un jeu vidéo constitue une communication au public de l’œuvre musicale qui y est contenue, la CAF renvoie à ses motifs dans Bell Canada selon lesquels le téléchargement d’un fichier renfermant une œuvre musicale constitue une communication au public par télécommunication (2010 CAF 221, au par. 13).

II. Question en litige

[63] La question que soulève le présent pourvoi est celle de savoir si la transmission d’un jeu vidéo par téléchargement Internet peut être assimilée à une « communication » au public pour l’application de l’al. 3(1)f) de la Loi. Dans l’affirmative, la SOCAN peut percevoir des redevances pour la communication de toute oeuvre musicale comprise dans le jeu.

III. Analyse

A. Aperçu

[64] ESA soutient que, selon une interprétation de la disposition en entier qui tient compte de l’ensemble de la Loi et de l’historique législatif, l’al. 3(1)f) [traduction] « crée un droit exclusif d’exécution en public (ou de représentation dans le cas des œuvres qui ne sont pas exécutées en public) par voie de télécommunication » (M.A., au par. 33). Elle affirme que « communiquer » doit s’entendre de [traduction] « faire en sorte qu’une information sous une forme perceptible par l’être humain parvienne à une autre personne pour écoute ou visualisation immédiates » (par. 33 (je souligne)). Le législateur n’a jamais voulu que le droit de communication s’applique à la mise à disposition d’une copie permanente d’une œuvre protégée par le droit d’auteur, une situation où le droit de reproduction s’applique déjà et où le titulaire du droit d’auteur est déjà rémunéré. Étant donné que l’utilisateur ne peut percevoir le logiciel du jeu ni par la vue, ni par l’ouïe pendant le téléchargement, la transmission par le fournisseur en ligne à l’utilisateur ne constitue pas une communication au public. ESA prétend de plus que la Loi emploie à la fois les termes « communiquer » et « transmettre » et que les deux ne peuvent avoir la même signification. Selon elle, le téléchargement d’un jeu par un utilisateur constitue une transmission et non une communication. En outre, ESA prend appui sur la jurisprudence américaine et fait valoir certaines [traduction] « conséquences inattendues » des décisions des tribunaux inférieurs.

[65] En l’espèce, ESA ne présente pas d’arguments quant à savoir si, dans l’éventualité où la transmission serait considérée comme une « communication » pour l’application de l’al. 3(1)f), cette transmission constituerait une communication « au public », une question examinée dans le pourvoi connexe Rogers Communication Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35.

[66] Selon la SOCAN, les décisions de la Commission et de la Cour d’appel fédérale sont correctes. À son avis, « communiquer » une information s’entend seulement de « de la transmettre, de la faire savoir, de la faire connaître, d’en faire part » (M.I., au par. 32 (soulignement supprimé)), et faire droit aux prétentions d’ESA restreindrait artificiellement le sens ordinaire du mot. La SOCAN ajoute qu’ESA méconnaît le principe fondamental du droit d’auteur qui veut que les droits conférés au par. 3(1) pour la reproduction, la représentation ou l’exécution et la communication d’une oeuvre soient des droits distincts (M.I., au par. 9).

B. Norme de contrôle

[67] Pour les raisons que je donne aux par. 10 à 16 de mes motifs dans Rogers, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

C. Transmettre une œuvre musicale par téléchargement Internet équivaut‑il à la « communiquer »?

(1) L’alinéa 3(1)f) et l’article 2

[68] La Cour doit en l’espèce définir le droit de « communiquer . . . par télécommunication » prévu dans la Loi. Pour ESA, il s’agirait de [traduction] « faire en sorte qu’une information sous une forme perceptible par l’être humain parvienne à une autre personne pour écoute ou visualisation immédiates » (M.A., au par. 33 (je souligne)).

[69] Le droit exclusif de « communiquer au public, par télécommunication » est conféré au titulaire du droit d’auteur à l’al. 3(1)f) de la Loi.

3. (1) Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif :

. . .

f) de communiquer au public, par télécommunication, une oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique;

. . .

Est inclus dans la présente définition le droit exclusif d’autoriser ces actes.

[70] L’article 2 de la Loi définit la « télécommunication ».

« télécommunication » Vise toute transmission de signes, signaux, écrits, images, sons ou renseignements de toute nature par fil, radio, procédé visuel ou optique, ou autre système électromagnétique;

Les parties ne contestent pas qu’une transmission numérique constitue une « télécommunication ».

(2) La méthode d’interprétation de la loi

[71] Il convient d’interpréter la Loi conformément aux règles générales d’interprétation législative : « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut‑Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339, au par. 9, où notre Cour cite E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p. 87).

(3) La jurisprudence

[72] Comme le mot « communiquer » n’est pas défini dans la Loi, je pars de sa définition lexicographique. Le Nouveau Petit Robert de la langue française (en ligne) en donne la définition suivante : « Faire connaître (qqch.) à qqn. [. . .] dire, divulguer, donner, livrer, publier, transmettre. Communiquer une nouvelle [. . .] annoncer [. . .] livrer, révéler [. . .] échanger [. . .] Faire partager [. . .] Rendre commun à; transmettre (qqch.) ». Selon le Trésor de la langue française (en ligne), « communiquer » s’entend de ce qui suit : « Faire part de, donner connaissance de quelque chose à quelqu’un, par relation plus ou moins directe avec le destinataire [. . .] Faire partager quelque chose à quelqu’un ». Aucun élément dans ces définitions ne donne à entendre que le verbe « communiquer » ne peut signifier « transmettre ». D’ailleurs, dans Le Nouveau Petit Robert, le mot « transmettre » est expressément employé pour définir « communiquer ».

[73] Dans l’arrêt SOCAN c. ACFI, même si la question n’est pas directement en litige (voir par. 30), le juge Binnie retient le sens ordinaire du verbe « communiquer » employé à l’al. 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur :

La Commission a statué qu’il y avait télécommunication lors de la transmission de l’œuvre musicale du serveur hôte à l’utilisateur final. Je suis d’accord.

. . .

Dans son sens ordinaire, le mot « communiquer » signifie « faire connaître » ou « transmettre » (Le Nouveau Petit Robert (2003), p. 485). [par. 42 et 46]

[74] Depuis cet arrêt, la CAF a eu l’occasion de se prononcer directement sur la portée du droit de « communiquer » conféré à l’al. 3(1)f) : Association canadienne des télécommunications sans fil c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2008 CAF 6, [2008] 3 R.C.F. 539, autorisation d’appel refusée, [2008] 2 R.C.S. vi (« ACTSF »). La question qui se posait alors et à laquelle la CAF répond par l’affirmative était celle de savoir si une personne communique au public l’œuvre musicale contenue dans une sonnerie lorsqu’un particulier télécharge celle‑ci dans son téléphone portable. La juge Sharlow rejette la prétention voulant que la transmission ne puisse être assimilée à la communication parce que « le mot communication ne doit s’entendre que d’une transmission qui est censée être entendue ou perçue par le destinataire en même temps que la transmission ou immédiatement après » (par. 18). Elle écrit :

À mon avis, les demanderesses proposent une définition du terme « communication » qui est trop limitative. Le terme « communication » s’entend de la transmission d’informations d’une personne à une autre. Une sonnerie musicale est une information présentée sous forme de fichier audionumérique apte à être communiqué. Le mode normal de communication d’un fichier audionumérique est sa transmission. La transmission sans fil d’une sonnerie musicale à un téléphone cellulaire constitue une communication, que le propriétaire du cellulaire y accède immédiatement, pour écouter la musique, ou plus tard. Le fait que la technologie employée pour la transmission ne permet pas au propriétaire du cellulaire d’écouter la musique au cours de la transmission ne signifie pas qu’il n’y a pas de communication. À mon avis, dans le contexte d’une transmission sans fil, c’est la réception de la transmission qui complète la communication.

Cette conclusion s’accorde avec l’arrêt SOCAN (précité). Dans cet arrêt, le juge Binnie, qui écrivait pour la majorité, a expliqué que la transmission d’informations par Internet constitue une « communication » une fois que l’information est reçue (voir le paragraphe 45). . . . [C]ette affirmation est incontestablement véridique. [Je souligne; par. 19‑20.]

(4) Les motifs invoqués par ESA à l’encontre de l’application en l’espèce des arrêts SOCAN c. ACFI et ACTSF

[75] ESA fait valoir qu’il n’y a pas lieu de suivre les arrêts SOCAN c. ACFI (dans la mesure où il porte sur la question) et ACTSF.

a) « Communiquer » et « transmettre »

[76] ESA soutient d’abord qu’il y a forcément une différence entre « communiquer » et « transmettre ». Les deux verbes ne sont pas interchangeables dans la Loi, et si le législateur emploie deux mots, c’est qu’il entend leur donner des sens différents. Par conséquent, « communiquer au public » ne s’entendrait pas [traduction] « seulement du fait de transmettre un fichier d’un point à un autre sans que le fichier ne soit vu ou entendu » (M.A., au par. 73), de sorte que le téléchargement ne serait pas une communication pour les besoins de l’al. 3(1)f), mais une simple transmission.

[77] L’argument ne me convainc pas. Le législateur est présumé employer les mots dans leur sens ordinaire : R. Sullivan, Statutory Interpretation (2e éd. 2007), à la p. 49. Rappelons que « communiquer » s’entend de « faire part » ou de « transmettre ». Selon Le Nouveau Petit Robert (en ligne), « transmettre » s’entend de « [f]aire passer d’une personne à une autre, d’un lieu à un autre (le plus souvent lorsqu’il y a un ou plusieurs intermédiaires) [. . .][f]aire passer (un objet matériel) d’une personne à une autre [. . .] [f]aire passer d’une personne à une autre (un écrit, des paroles) [. . .] [c]ommuniquer, [f]aire connaître; faire passer à un autre ou à d’autres (des connaissances) » (je souligne); et, dans un sens plus technique : « Faire connaître, diffuser par radio [. . .] Faire parvenir [au moyen d’un] [d]ispositif qui transmet des informations, des signaux sous forme d’impulsions électriques. » Le Trésor de la langue française (en ligne) renferme la définition suivante du mot « transmettre » :

Faire passer d’une personne à une autre . . . [f]aire passer quelque chose d’un lieu à un autre, [f]aire parvenir (un signal, une image . . .) d’un lieu à un autre.

Je ne vois pas pourquoi, eu égard au contexte, il faudrait écarter le chevauchement sémantique des deux mots.

[78] Nous l’avons vu, suivant l’art. 2 de la Loi, le mot « télécommunication » vise « toute transmission de signes, signaux, écrits, images, sons ou renseignements de toute nature par fil, radio, procédé visuel ou optique, ou autre système électromagnétique ». La « télécommunication » s’entend donc de la transmission d’un quelconque objet par système électromagnétique. L’emploi du préfixe « télé », qui signifie simplement « au loin, à distance », fait en sorte qu’il s’agit d’une communication à distance par un moyen prévu dans la Loi. Il serait étrange que, dans celle‑ci, « télécommunication » et transmission par système électromagnétique soient interchangeables, mais pas « communiquer » et « transmettre ». L’interprétation la plus évidente voudrait que, pour l’application de l’al. 3(1)f) de la Loi, le droit exclusif du titulaire du droit d’auteur de communiquer son œuvre au public par télécommunication corresponde simplement au droit de la transmettre au public par système électromagnétique, dont Internet.

[79] Les définitions susmentionnées des mots « communiquer » et « transmettre » et le contexte dans lequel ceux‑ci sont employés dans la Loi n’appuient pas la conclusion d’ESA selon laquelle, à l’al. 3(1)f), « communiquer » s’entend forcément de faire parvenir une information sous une forme perceptible par l’être humain à une autre personne pour écoute ou visualisation immédiates. À supposer même que communiquer consiste à faire passer une idée, rien n’exige que l’idée soit perçue et entendue immédiatement.

[80] ESA fonde essentiellement sur l’al. 2.4(1)c) sa thèse voulant que « transmettre » et « communiquer » doivent forcément correspondre à des actes différents. Voici le libellé de la disposition :

2.4 (1) Les règles qui suivent s’appliquent dans les cas de communication au public par télécommunication :

. . .

c) toute transmission par une personne par télécommunication, communiquée au public par une autre — sauf le retransmetteur d’un signal, au sens du paragraphe 31(1) — constitue une communication unique au public, ces personnes étant en l’occurrence solidaires,

dès lors qu’elle s’effectue par suite de l’exploitation même d’un réseau au sens de la Loi sur la radiodiffusion ou d’une entreprise de programmation.

[81] ESA soutient que les notions de « transmission » et de « communication » y figurent l’une et l’autre un certain nombre de fois, de sorte qu’elles doivent avoir des sens différents. Elle avance que la transmission consiste seulement dans l’action de faire parvenir ou de recevoir les informations ou les données en cause, que la « communication » intervient après la transmission et que, dès lors, la différence tient à ce que la transmission ne consiste pas à faire passer une information sous une forme perceptible par l’être humain. La transmission ne serait donc pas visée à l’al. 3(1)f), car le législateur y emploie le verbe communiquer, qui suppose au contraire de faire passer une information sous une forme perceptible par l’être humain. Par conséquent, puisqu’il n’y a communication qu’après la transmission, le téléchargement ne donne droit à aucune redevance sur le fondement de l’al. 3(1)f).

[82] La thèse d’ESA ne tient pas compte du contexte et de l’objet de l’al. 2.4(1)c), une disposition adoptée en 1988 pour contrer l’arrêt Composers, Authors and Publishers Assn. of Canada Ltd. c. CTV Television Network Ltd., [1968] R.C.S. 676 (« CAPAC »). La Cour avait en effet statué que la transmission d’émissions par CTV à ses stations affiliées afin que celles‑ci les diffusent à leur tour au public échappait au droit exclusif de communication au public reconnu à l’al. 3(1)f) au motif que cette transmission demeurait dans le domaine privé (voir J. S. McKeown, Fox on Canadian Law of Copyright and Industrial Designs (4e éd. feuilles mobiles), à la p. 21‑90). Dans le contexte de l’al. 2.4(1)c), « transmission » renvoie à l’acheminement de l’œuvre au sein d’un réseau ou d’une entreprise de programmation avant qu’elle ne parvienne au public, alors que « communiquer » s’entend de faire parvenir l’œuvre « au public » par une autre personne au sein du réseau ou de l’entreprise de programmation. Sans l’al. 2.4(1)c), seule la seconde opération, celle qui consiste à communiquer au public, emporterait l’application de l’al. 3(1)f), et la transmission privée entre personnes d’un même groupe échapperait à l’application du droit d’auteur. Lorsqu’il s’applique, l’al. 2.4(1)c) fait de la transmission et de la communication une communication unique au public. Par conséquent, la personne qui transmet l’œuvre et celle qui la communique au public sont solidairement responsables de la communication au public.

[83] On peut seulement conclure de l’al. 2.4(1)c) que l’expression « communication au public » renvoie au cas où il y a protection du droit d’auteur, et non que le terme « communication » s’entend du transfert d’informations sous une forme perceptible par l’être humain. Par contre, le verbe « transmettre » et le substantif « transmission » renvoient à la situation qui ne fait pas intervenir la protection du droit d’auteur prévue à l’al. 3(1)f). Je conviens avec ESA que l’al. 2.4(1)c) donne à penser que « communiquer » et « transmettre » ne sont pas employés indifféremment dans la Loi. Or, la disposition ne permet pas de conclure que ces mots renvoient à des opérations différentes. En fait, la distinction tient à ce que les mots sont employés de pair avec des destinataires de différents types et des effets juridiques différents. La transmission qui n’est pas également une communication au public échappe à l’application de l’al. 3(1)f). Lorsque, en fin de compte, la transmission constitue une communication au public, l’al. 2.4(1)c) dispose que la transmission et la communication au public forment une communication unique au public qui est assujettie au droit d’auteur suivant l’al. 3(1)f). En effet, dans la Loi, le verbe « communiquer » est toujours accompagné des mots « au public ». ESA ne peut invoquer l’intention du législateur qui sous‑tend l’al. 2.4(1)c) pour dissocier le verbe « communiquer » de son complément « au public » et lui conférer un autre sens, différent de celui du verbe « transmettre ». Interprété dans son contexte, le libellé de l’al. 2.4(1)c) n’appuie pas la distinction que tente d’établir ESA.

b) L’arrêt CAPAC

[84] Prenant appui sur l’arrêt CAPAC de notre Cour, ESA avance que communiquer s’entend de diffuser l’exécution d’une œuvre à l’intention du public pour écoute immédiate et non simplement d’envoyer des signaux pouvant être perçus ultérieurement. Or, cette décision n’étaye en rien sa prétention.

[85] Rappelons que, dans cette affaire, la Cour devait déterminer si la transmission par CTV à ses stations affiliées d’émissions de télévision contenant des œuvres musicales en vue de leur diffusion au public revenait à « transmettre [ces émissions] au moyen de la radiophonie » (à la p. 679), une activité bénéficiant de la protection prévue à l’al. 3(1)f) suivant son libellé d’alors.

[86] Signalons d’abord que, dans l’arrêt CAPAC, la Cour interprète des dispositions de la Loi qui ont été modifiées depuis, et ce, d’une manière qui importe pour circonscrire la portée de l’al. 3(1)f). J’y reviendrai. Quoi qu’il en soit, le motif déterminant retenu par la Cour était que la transmission par CTV à ses affiliées d’émissions de télévision enregistrées contenant de la musique n’équivalait pas à la communication d’une œuvre musicale par radiophonie. En fait, comme CTV transmettait l’exécution de l’œuvre musicale (p. ex. dans une émission ordinaire), et non l’œuvre musicale elle‑même (p. ex. la partition), l’al. 3(1)f) ne trouvait pas application, car il ne visait pas l’exécution d’une œuvre musicale. Il importe de signaler que cette distinction découle de la définition d’« œuvre musicale » qui figurait alors dans la Loi et qu’elle n’a plus raison d’être.

[87] ESA invoque néanmoins certaines remarques du juge Pigeon dans CAPAC (aux p. 681 et 682) qui comportent une analyse de l’article 11bis de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, 828 R.T.N.U 221, l’assise de l’al. 3(1)f). Pour elle, cette analyse démontre qu’une communication ne se résume pas à l’envoi de signaux, alors que c’est tout ce qui se produit lorsqu’une œuvre est téléchargée comme dans la situation considérée en l’espèce. Elle soutient au contraire que l’article 11bis vise l’exécution ou la représentation publiques par radiodiffusion, en d’autres mots, la communication sous une forme perceptible par l’être humain. Par conséquent, la « communi[cation] » visée à l’al. 3(1)f) s’entend aussi forcément du transfert d’information sous une forme perceptible par l’être humain.

[88] Le juge Pigeon fait toutefois observer que [traduction] « la "communication" ne s’entend habituellement pas de l’"exécution", mais . . . [qu’]elle pourrait l’englober » (p. 681 (je souligne)). Il s’ensuit nécessairement que le sens du mot « communication » est plus large que celui du mot « exécution ». Partant, l’analyse du juge Pigeon n’appuie pas la thèse d’ESA, à savoir que la communication s’entend nécessairement de l’exécution ou d’une opération qui ne se résume pas à l’envoi de signaux.

(5) « Communiquer » une oeuvre s’entend‑il de l’« exécuter » ou de la « représenter » à distance?

[89] Prenant appui sur l’historique de l’al.3(1)f), ESA soutient de plus que le droit de communication n’est qu’une variante du droit d’exécution ou de représentation, soit celui d’exécuter ou de représenter une œuvre au bénéfice d’un auditoire qui se trouve à distance. Comme elle prétend que l’exécution ou la représentation est intrinsèquement éphémère et ne peut déboucher sur la transmission d’une copie durable de l’œuvre à l’auditoire, le téléchargement ne peut constituer une exécution ou une représentation ni, par conséquent, une communication.

[90] J’ouvre brièvement une parenthèse pour signaler qu’il appert de la formulation même du par. 3(1) que le droit de communication prévu à l’alinéa f) est autonome et distinct du droit d’exécution ou de représentation énoncé dans la partie introductive de l’article. Au début de sa version anglaise, le par. 3(1) dispose :

“copyright” . . . means the sole right to produce or reproduce the work . . ., to perform the work . . . in public or . . . to publish the work . . . and includes the sole right . . .

La partie introductive est suivie de l’énumération de droits spécifiques aux al. 3(1)a) à i). L’alinéa f) confère le droit exclusif « to communicate the work to the public by telecommunication ».

[91] Certes, l’emploi du mot « includes » pourrait être l’indice que les droits énumérés aux al. a) à i) constituent des exemples de l’un ou l’autre des droits conférés au début du par. 3(1), mais le contexte va dans le sens contraire. Plusieurs des droits énumérés sont clairement distincts du droit de produire ou de reproduire, d’exécuter, de représenter ou de publier. Par exemple, l’al. 3(1)i) prévoit le droit de louer l’enregistrement sonore d’une œuvre musicale. On voit mal comment ce droit pourrait s’insérer dans le droit de produire ou de reproduire, d’exécuter, de représenter ou de publier l’œuvre. Ce serait effectivement contraire à la conclusion des juges majoritaires de la Cour dans l’arrêt Théberge selon laquelle, pour les besoins de la Loi, la « reproduction » implique la multiplication des copies (voir en particulier les par. 42 et 45). Il convient donc de considérer l’ensemble des prérogatives que le par. 3(1) reconnaît au titulaire du droit d’auteur comme des droits distincts les uns des autres (Bishop c. Stevens, à la p. 477, la juge McLachlin; Compo Co. c. Blue Crest Music Inc., à la p. 373, le juge Estey).

[92] Cette interprétation de la version anglaise du par. 3(1) est conforme au texte de la version française : « [l]e droit d’auteur sur l’oeuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire . . . l’œuvre, [de la représenter ou de la publier]; ce droit comporte, en outre, [les droits énumérés aux al. a) à i)] ». L’utilisation du terme « en outre » confirme que les droits énumérés aux al. a) à i) s’ajoutent à ceux qui sont énoncés au début de la disposition.

[93] Cependant, ESA invoque l’historique législatif pour ramener le droit de communiquer une œuvre au public à celui d’exécuter ou de représenter l’œuvre en public à distance, sous une forme perceptible par l’être humain, ce qui serait distinct du téléchargement.

[94] La loi canadienne s’inspire de la Convention de Berne de 1886, révisée à Berlin en 1908 (voir Bishop c. Stevens, à la p. 473). La Convention de Berne ainsi révisée prévoyait certains droits d’exécution en public de certains types d’œuvre. Or, l’avènement de la radio a rendu nécessaire une nouvelle révision. En 1928, l’article 11bis a été ajouté et garantissait dès lors ce qui suit :

(1) Les auteurs d’œuvres littéraires et artistiques jouissent du droit exclusif d’autoriser la communication de leurs œuvres au public par la radiodiffusion.

[95] En 1931, le Canada a mis en œuvre le texte révisé par l’adoption de l’al. 3(1)f), qui prévoyait alors le droit, « [s]’il s’agit d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique, de transmettre cette œuvre au moyen de la radiophonie » (Loi modificative du droit d’auteur, 1931, 21‑22 Geo. 5, ch. 8) (voir CAPAC, aux p. 680‑681).

[96] L’alinéa 3(1)f) a fait l’objet d’une nouvelle modification en 1988. Suivant l’arrêt Canadian Admiral Corp. c. Rediffusion, Inc., [1954] R.C. de l’É. 382, le droit jusqu’alors conféré s’appliquait à la radiodiffusion et à la télédiffusion traditionnelle par ondes hertziennes, mais pas à la câblodistribution. Ce droit axé sur une technologie en particulier a été remplacé par celui, neutre sur le plan technologique, de « communiquer au public, par télécommunication » dans le respect des obligations du Canada découlant de l’Accord nord-américain de libre‑échange, R.T Can. 1994, no 2 (Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre‑échange Canada/États‑Unis, L.C. 1988, ch. 65, art. 61 et 62). En remplaçant « radiophonie » par « télécommunication » et en apportant d’autres modifications en 1993, le législateur a fait en sorte que les câblodistributeurs canadiens, qui n’étaient pas visés par le droit de « radiophonie », ainsi que d’autres utilisateurs, paient désormais des redevances : S. Handa, Copyright Law in Canada (2002), à la p. 320; D. Vaver, Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade-marks (2e éd. 2011), à la p. 90.

[97] ESA fait valoir que l’al. 3(1)f) et l’article 11bis de la Convention de Berne dont il est inspiré ont toujours conféré un droit de diffusion, c’est‑à-dire celui de [traduction] « faire parvenir un contenu [soit l’exécution ou la représentation d’une œuvre] au public pour écoute ou visionnement immédiats » M.A., au par. 40). Selon elle, la modification de 1988 (qui a substitué « télécommunication » à « radiophonie ») n’a pas changé la nature essentielle du droit de communication, en ce sens qu’il visait la diffusion. Dans la version anglaise, le verbe « communicate » est demeuré, mais les moyens par lesquels s’opère la communication ont été élargis (M.A., au par. 52). Dans la version française, le verbe « transmettre » qui figurait à l’al. 3(1)f) avant la modification de 1988 a été remplacé par « communiquer ».

[98] L’existence d’un lien historique entre le droit d’exécution ou de représentation en public et le droit de communication au public ne fait guère de doute :

[C]omme l’exécution devant un auditoire a été l’une des premières formes d’exploitation protégée par le droit d’auteur, il était logique de créer un droit afin de fournir une protection lorsque l’exécution avait lieu à distance grâce aux ondes hertziennes (radio) et aux autres technologies de communication inventées depuis (télévision, câble, satellite et Internet).

(E. F. Judge et D. J. Gervais, Le droit de la propriété intellectuelle (2e éd. 2011, à la p. 53)

[99] La législation a évolué en phase avec la technologie. En 1988, vu l’importance acquise par la câblodistribution, il allait de soi que le droit de communication devait viser ce mode de télécommunication.

[100] Bien que l’avènement du câble, surtout, ait pu être à son origine, la modification de 1988 ne visait pas uniquement à englober les communications par câble; le nouveau libellé neutre devait s’appliquer aux technologies encore inconnues. Le législateur a adopté le terme neutre « télécommunication » et cessé de faire mention de la diffusion traditionnelle. Le fait que, en 1988, le législateur n’a pas prévu l’évolution technologique — ou ne pouvait pas la prévoir — ne saurait limiter l’application du droit de communication à une technologie nouvelle.

[101] Ainsi, l’application de longue date de l’al. 3(1)f) aux entreprises de (radio ou télé) diffusion ne justifie pas de voir dans la Loi des restrictions implicites qui ne ressortent pas de son libellé actuel et qui, même, le contredisent. En particulier, cette association historique n’étaye pas la thèse d’ESA voulant que la Loi établisse implicitement l’exigence substantielle que la transmission [traduction] « revête une forme perceptible par l’être humain pour écoute ou visualisation immédiates » (M.A., au par. 74). Certes, la modification de 1988 (remplacement de « radiophonie » par « télécommunication ») s’attachait aux moyens techniques de la communication au public, mais rien ne permet de conclure que l’al. 3(1)f) ne peut également s’appliquer aux nouvelles technologies dont le fonctionnement diffère de celui de la diffusion traditionnelle, y compris la communication qui génère une copie durable de l’œuvre que l’utilisateur peut consulter ultérieurement. La question de savoir si l’œuvre transmise dans Internet est perceptible immédiatement ou à un moment ultérieur ou si la technologie utilisée suppose ou non la production d’une copie temporaire, comme dans le cas de la transmission en continu, ou d’une copie permanente, n’est pas pertinente pour déterminer s’il y a communication de l’œuvre et si cette dernière sera visionnée ou écoutée par le destinataire ou si elle est susceptible de l’être. Comme le dit la Cour dans SOCAN c. ACFI, au par. 45 :

À l’issue de la transmission, l’utilisateur final a en sa possession une œuvre musicale qu’il n’avait pas auparavant. L’œuvre a nécessairement été communiquée . . . . Conclure en sens contraire irait . . . à l’encontre du sens ordinaire des mots . . . .

(6) La jurisprudence américaine

[102] ESA invoque l’arrêt United States c. American Society of Composers, Authors and Publishers, 627 F.3d 64 (2010) (« U.S. c. ASCAP ») (requête en certiorari rejetée, 565 U.S. (2011)), 28 septembre 2010 (dossiers nos 09‑0539, 09-0542, 09-0666, 09-0692 et 09-1572), où la Court of Appeals for the Second Circuit des États‑Unis statue que le téléchargement d’une copie de l’œuvre n’est pas visé par le droit d’exécution ou de représentation en public pour l’application de la Copyright Act, 17 U.S.C. §§101 et 106(4).

[103] Cette décision n’est d’aucune utilité à ESA. Aux États‑Unis, la loi ne confère pas au titulaire du droit d’auteur le droit exclusif de communiquer son œuvre au public. Elle lui reconnaît plutôt celui de l’exécuter ou de la représenter en public (17 U.S.C. § 106(4)), ce qui comprend aussi le droit de radiodiffuser ou de télédiffuser à l’intention d’un public qui se trouve à distance. C’est là une différence fondamentale d’avec le droit de communiquer une œuvre par télécommunication prévu à l’al. 3(1)f) de la loi canadienne, comme je l’explique précédemment. Les deux ne peuvent être tenus pour équivalents.

[104] Notre Cour a reconnu l’existence de différences importantes entre les lois canadienne et américaine sur le droit d’auteur en ce qui concerne tant le libellé que les principes sous‑jacents. Elle a fait la mise en garde suivante : « [l]a jurisprudence américaine doit . . . être analysée avec prudence même si elle porte sur des faits semblables » (voir Compo Co. c. Blue Crest Music Inc., à la p. 367). Les seules différences de formulation rendent inutile le recours à la jurisprudence américaine. En fait, interpréter les dispositions canadiennes sur le droit d’auteur à la lumière de la jurisprudence américaine reviendrait, dans la présente affaire, à modifier leur teneur.

(7) Le but de la communication n’est pas déterminant aux fins de décider si l’alinéa 3(1)f) s’applique ou non

[105] Lorsqu’elle fait valoir que, dans le cas d’un téléchargement, la transmission vise seulement à faire parvenir une copie au client, ESA ne réfute pas l’existence de la transmission au public par télécommunication et, par conséquent, de la communication visée à l’al. 3(1)f).

[106] Dans l’affaire Bishop c. Stevens, une prétention semblable était formulée. La Cour devait décider si une station de télévision qui avait acquitté les redevances exigibles pour la diffusion de l’exécution d’une œuvre musicale avait également le droit d’en faire un enregistrement « éphémère » dans le seul but de faciliter la diffusion. La Cour a estimé que le droit d’exécuter l’œuvre n’englobait pas celui de l’enregistrer, même de manière « éphémère » à des fins strictement techniques. La juge McLachlin conclut que « l’al. 3(1)d) ne mentionne pas le but » (p. 479) :

L’interprétation des lois doit toujours commencer par le sens ordinaire des mots employés et rien dans cet alinéa ne limite son application aux enregistrements faits aux fins de reproduction et de vente. Un enregistrement fait dans n’importe quel but, même non préjudiciable au titulaire du droit d’auteur, sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur constitue une violation de ses droits. [p. 480]

[107] De même, transmettre l’œuvre dans Internet, et donc la « communiquer . . . par télécommunication » au sens ordinaire de ces mots, afin de faire parvenir à l’utilisateur une copie du jeu vidéo auquel elle est intégrée ne change rien au fait qu’il y a communication Internet devant être autorisée par le titulaire du droit d’auteur.

(8) Des conséquences inattendues

[108] ESA fait état d’un certain nombre de « conséquences inattendues » qu’emporterait l’assimilation du téléchargement à une communication pour l’application de l’al. 3(1)f).

[109] Elle renvoie d’abord au par. 2.2(1) de la Loi, qui définit la « publication » et dont voici le texte :

2.2 (1) Pour l’application de la présente loi, « publication » s’entend :

a) à l’égard d’une œuvre, de la mise à la disposition du public d’exemplaires de l’œuvre,

. . .

Sont exclues de la publication la représentation ou l’exécution en public d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique ou d’un enregistrement sonore, leur communication au public par télécommunication . . .

[110] ESA soutient que, selon [traduction] « une interprétation extensive qui assimilerait à “communiquer au public” le fait de mettre en circulation une copie permanente de l’œuvre dans un réseau », l’œuvre « mise en circulation » dans Internet ne serait pas « publiée », car la publication, au sens du par. 2.2(1) de la Loi, exclut la communication au public par télécommunication (M.A., aux par. 102‑110).

[111] À mon avis, on ne saurait circonscrire le droit de communiquer au public par télécommunication conféré à l’al. 3(1)f) en fonction du par. 2.2(1), car celui‑ci ne définit la publication que pour l’application des dispositions de la Loi où ce mot est employé. La publication s’entend alors de « la mise à la disposition du public d’exemplaires de l’œuvre », à l’exclusion de la communication de l’œuvre au public par télécommunication. Par contre, le par. 2.2(1) n’énonce pas une définition qui vaut pour toutes les dispositions de la Loi et qui rend toujours incompatibles entre elles la « mise à la disposition du public d’exemplaires de l’œuvre » et la communication au public par télécommunication. On ne peut inférer que le droit distinct de communiquer une œuvre au public par télécommunication prévu à l’al. 3(1)f) ne peut s’appliquer dès lors qu’un exemplaire de l’œuvre est mis à la disposition du public.

[112] ESA fait valoir que l’interprétation extensive peut aller à l’encontre de la neutralité technologique de la publication étant donné que l’œuvre mise en circulation uniquement par téléchargement Internet ne serait pas tenue pour publiée. La question de savoir s’il s’agit de la conclusion inéluctable à tirer quant au sens du par. 2.2(1) devra être tranchée lorsqu’elle sera soulevée dans un autre dossier. De fait, certains auteurs estiment que [traduction] « [l]’œuvre mise en ligne ou stockée dans une banque de données peut donc être tenue pour ‘publiée’ », et ce, sans égard au fait que le transfert d’une œuvre dans Internet constitue une communication au public par télécommunication (Vaver, aux p. 157 et 172-173).

[113] En outre, selon ESA, si le droit conféré à l’al. 3(1)f) s’appliquait à la [traduction] « livraison numérique d’un exemplaire d’une œuvre », le par. 27(2), qui porte sur la violation à une étape ultérieure, serait [traduction] « en grande partie redondant » dans l’environnement électronique (M.A., au par. 117) et il ne serait pas vraiment nécessaire pour régir la mise en circulation électronique d’un exemplaire de l’œuvre. J’estime que c’est confondre sans justification à l’appui communication et mise en circulation en application de la Loi. Bien que la redondance soit une considération qui relève du législateur et qu’il appartienne à ce dernier d’agir s’il juge non souhaitable le chevauchement allégué, j’examine brièvement la question.

[114] De façon générale, une personne peut se rendre coupable de violation du droit conféré au par. 3(1) de façon involontaire. Toutefois, elle ne sera coupable d’une violation à une étape ultérieure — et c’est là une différence fondamentale — que si elle a une connaissance réelle ou implicite du fait que la mise en circulation d’un exemplaire emporte la violation du droit d’auteur. Voici le texte pertinent du par. 27(2) :

Constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement de tout acte ci‑après en ce qui a trait à l’exemplaire d’une œuvre. . . alors que la personne qui accomplit l’acte sait ou devrait savoir que la production de l’exemplaire constitue une violation de ce droit

. . .

b) la mise en circulation de façon à porter préjudice au titulaire du droit d’auteur;

[115] Une même personne peut être à l’origine de la première violation et de celle commise ultérieurement, mais il peut s’agir de deux personnes différentes. Le paragraphe 27(2) a pour objet d’élargir la violation du droit d’auteur de façon à viser non seulement la personne qui viole le par. 3(1), mais aussi celle qui, tout en sachant réellement ou implicitement qu’elle porte préjudice au titulaire du droit d’auteur, met en circulation un exemplaire qui constitue une violation de ce droit. Le distributeur qui sait ou devrait savoir qu’il met en circulation un exemplaire de l’œuvre qui emporte la violation du droit d’auteur (p. ex. parce qu’il y a eu reproduction sans autorisation du titulaire du droit d’auteur) peut être tenu responsable de violation du droit d’auteur même s’il n’est pas à l’origine de la première violation. En revanche, le distributeur qui met en circulation un exemplaire autorisé de l’œuvre n’engage pas sa responsabilité sous le régime du par. 27(2)b).

[116] Suivant la preuve présentée en l’espèce, dans le secteur de l’édition de jeux vidéo, l’usage veut que l’éditeur négocie l’affranchissement des droits de reproduction d’une œuvre musicale avant de lancer le jeu auquel celle‑ci est intégrée. Ainsi, le vendeur qui n’a pas encore communiqué le jeu vidéo n’enfreint pas le droit d’auteur, car les droits de reproduction ont été acquittés. Or, à moins d’être autorisée par le titulaire des droits conférés à l’al. 3(1)f), la communication du jeu contrevient à cet alinéa. Cependant, le par. 27(2) ne s’applique pas.

[117] ESA étaye d’exemples choisis son argument relatif à la redondance. Or, ces exemples ne cadrent pas avec les faits de la présente affaire où ce sont des exemplaires autorisés, et non des exemplaires qui violent le droit d’auteur, qui sont communiqués ou mis en circulation. Partant, l’al.3(1)f) s’applique, à l’exclusion du par. 27(2).

(9) Les considérations de principe

[118] Suivant la considération de principe que fait valoir ESA, le titulaire du droit d’auteur ne saurait se voir reconnaître à la fois le droit de reproduire et le droit de communiquer dans le cas d’un téléchargement Internet.

[119] La réponse à cette prétention est simple : les droits conférés au par. 3(1) sont distincts. L’arrêt Bishop c. Stevens confirme cette conclusion tirée par le juge Estey dans l’affaire Compo Co. c. Blue Crest Music Inc., à la p. 373 :

Il ressort nettement de l’examen du par. 3(1) qu’il énumère un certain nombre de droits distincts qui appartiennent au titulaire du droit d’auteur. Comme le dit le lord juge Greene dans l’arrêt Ash v. Hutchinson & Co. (Publishers), Ltd., [1936] 2 All E.R. 1496 (C.A.), à la p. 1507:

[traduction] Le paragraphe 1(2) de la Copyright Act, 1911 [sur laquelle la Loi canadienne est modelée] expose les droits du titulaire d’un droit d’auteur. Il énumère certains actes que seul le titulaire d’un droit d’auteur peut accomplir. Le droit d’accomplir chacun de ces actes est, à mon avis, un droit distinct, créé par la loi, et quiconque accomplit l’un de ces actes sans le consentement du titulaire du droit d’auteur commet de ce fait un délit; s’il en accomplit deux, il commet deux délits et ainsi de suite.

Voir également Compo Co. c. Blue Crest Music Inc., à la p. 373. [Je souligne.]

[120] La violation d’un droit n’exclut pas la violation d’un autre. Puisque « [la violation] consiste simplement [dans] l’exécution d’un acte que seul “le titulaire [du droit d’auteur] a la faculté d’exécuter” » (Compo Co. c. Blue Crest Music Inc. à la p. 375), deux actes protégés accomplis sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur se traduisent par deux violations. L’existence de deux droits protégés ne restreint pas la protection conférée par chacun des droits.

[121] Je ne puis convenir avec mes collègues que « nous interprétions la Loi sur le droit d’auteur de manière à ne pas créer un palier supplémentaire de protection et d’exigibilité d’une redevance qui soit uniquement fondé sur le mode de livraison de l’œuvre à l’utilisateur » (par. 9 (italiques employés dans l’original)). Assimiler une transmission Internet à un simple « mode de livraison » de l’œuvre neutralise l’application du droit de communiquer par télécommunication prévu à l’al. 3(1)f). En outre, leur avis est incompatible avec la définition de la neutralité du support énoncée par les juges LeBel et Fish au nom des juges majoritaires dans l’arrêt Robertson c. Thomson Corp., 2006 CSC 43, [2006] 2 R.C.S. 363, au par. 49 :

La neutralité du support signifie que la Loi sur le droit d’auteur continue de s’appliquer malgré l’usage de supports différents, y compris ceux qui dépendent d’une technologie plus avancée. Elle ne signifie toutefois pas qu’après sa conversion en données électroniques, une œuvre peut être utilisée n’importe comment. . . . Le principe de la neutralité du support ne permet pas d’écarter les droits des auteurs — il a été établi pour protéger les droits des auteurs et des autres à mesure que la technologie évolue.

[122] Suivant une application — neutre quant au support — de la Loi aux faits de l’espèce, le droit de reproduction demeure applicable à l’exemplaire obtenu par téléchargement, même si celui‑ci est numérique, et le droit de communication s’applique toujours aux communications numériques, bien qu’elles puissent différer des technologies de diffusion traditionnelles. Cependant, pareille application de la Loi ne saurait permettre à une cour de justice de faire abstraction du sens ordinaire des mots employés par le législateur et d’accorder au titulaire du droit d’auteur la protection qu’elle estime indiquée.

[123] L’existence de droits protégés distincts dans l’environnement numérique tient à des considérations de politique générale dont tient compte à juste titre le législateur lorsqu’il définit le droit d’auteur. « La Loi est généralement présentée comme établissant un équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles et, d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur » (Théberge, par. 30). Dans la mesure où « les tribunaux doivent s’efforcer de maintenir un juste équilibre entre ces deux objectifs » (CCH Canadienne Ltée, au par. 10), ils outrepasseraient leurs pouvoirs si, en l’espèce, ils déduisaient l’existence de limites applicables au droit de communication. « Au Canada, le droit d’auteur tire [encore] son origine de la loi » (SOCAN c. ACFI, au par. 82). Voir également CCH, au par. 9; Théberge, au par. 5; Bishop c. Stevens, à la p. 477; Compo Co. c. Blue Crest Music Inc., à la p. 373.

[124] En effet, il serait hasardeux que, sans disposer d’une vue d’ensemble des répercussions sur tous les intéressés, les tribunaux circonscrivent l’application, dans l’environnement numérique, de droits qui sont définis de manière générale. Dans SOCAN c. ACFI, le juge Binnie dit ce qui suit au par. 40 :

La possibilité de diffuser des « œuvres artistiques et intellectuelles » grâce à []Internet est l’une des grandes innovations de l’ère de l’information. Le recours à [] Internet doit être facilité, et non découragé, mais pas de manière injuste, au détriment des auteurs d’œuvres artistiques et intellectuelles.

[125] Au vu de ces considérations, prévoir des exceptions au droit de communiquer par télécommunication ressortit à juste titre au législateur. De fait, ce dernier légifère lorsqu’il l’estime nécessaire pour rétablir le juste équilibre en matière de protection du droit d’auteur, ce qu’il a notamment fait en donnant suite à l’arrêt Bishop par l’adoption de l’exception relative à l’enregistrement éphémère (L.C. 1997, ch. 24, art. 18); McKeown, aux p. 21-82 à 21-83.

[126] De plus, rappelons que la SOCAN ne fait que présenter des projets tarifaires qui doivent ensuite être homologués par la Commission, laquelle peut alors ajuster au besoin le montant d’une redevance pour une utilisation donnée. Tout particulièrement, lorsqu’une activité fait intervenir deux droits protégés, la Commission est en mesure de considérer chacun de ces droits au regard de l’utilisation qui sous‑tend l’activité. Cette faculté est conforme à sa mission essentielle en tant qu’organisme administratif à vocation économique, à savoir « la mise au point d’un tarif de redevances approprié » (SOCAN c. ACFI, au par. 49) fondé sur la valeur économique des différents modes d’utilisation des œuvres protégées. Le pouvoir de la Commission de fixer le montant d’une redevance en fonction de données factuelles permet la prise en compte de la valeur du service offert par un fournisseur de jeux en ligne comparativement à celle du service qu’offre un magasin traditionnel, ainsi que du chevauchement des droits et de la « double rémunération » éventuelle du titulaire du droit d’auteur.

IV. Conclusion — Le sens du mot « communiquer » employé à l’alinéa 3(1)f)

[127] Communiquer une œuvre au public par télécommunication est un droit autonome et distinct des autres droits que confère à l’auteur le par. 3(1). Ce droit est exercé dès réception de la communication, en l’occurrence au moment du téléchargement du fichier dans l’ordinateur de l’utilisateur, bien que le fichier puisse ne pas être perçu dès sa transmission, ni même jamais. Comme le dit le professeur Vaver, [traduction] « [l]’envoi d’œuvres par radio, télévision, câble, télécopieur, modem, satellite ou micro‑ondes implique une télécommunication »; si, en outre, la communication est faite « au public », elle engage la responsabilité (à la p. 172).

[128] Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Pourvoi accueilli avec dépens, les juges LeBel, Fish, Rothstein et Cromwell sont dissidents.

Procureurs des appelantes : McCarthy Tétrault, Toronto.

Procureurs de l’intimée : Gowling Lafleur Henderson, Ottawa.

Procureurs de l’intervenante CMRRA‑SODRAC Inc. : Cassels Brock & Blackwell, Toronto.

Procureur de l’intervenante la Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson‑Glushko : Université d’Ottawa, Ottawa.

Procureurs de l’intervenante Cineplex Divertissement LP : Gilbert’s, Toronto.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Propriété intellectuelle - Droit d’auteur - Droit de communiquer une oeuvre au public par télécommunication - Homologation d’un tarif par la Commission du droit d’auteur relativement au droit de communication d’une oeuvre musicale protégée contenue dans un jeu vidéo vendu par téléchargement Internet - La transmission d’une oeuvre musicale contenue dans un jeu vidéo par téléchargement Internet constitue-t-elle une communication au public ? - Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C‑42, art. 3(1)f).

Les appelantes, ESA, représentent une coalition d’éditeurs et de distributeurs de jeux vidéo qui permettent à leurs clients de télécharger des jeux vidéo sur Internet. La copie téléchargée est identique à l’exemplaire acheté en magasin ou expédié par la poste. Les jeux vidéo renferment des œuvres musicales protégées par le droit d’auteur. Les redevances de reproduction de l’œuvre musicale sont négociées avant la vente au public du jeu qui la renferme. L’intimée, la SOCAN, qui gère le droit de « communiquer » une œuvre musicale pour le compte du titulaire du droit d’auteur, a demandé à la Commission du droit d’auteur d’homologuer un tarif applicable au téléchargement Internet d’œuvres musicales. La Commission du droit d’auteur a conclu que télécharger un fichier contenant une œuvre musicale équivaut à communiquer celle-ci au public par télécommunication pour l’application de l’al. 3(1)f) de la Loi et donne droit aux membres de la SOCAN à une rémunération selon le tarif homologué. Saisie d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision de la Commission.

Arrêt (les juges LeBel, Fish, Rothstein et Cromwell sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli.

La juge en chef McLachlin et les juges Deschamps, Abella, Moldaver et Karakatsanis : La conclusion de la Commission du droit d’auteur selon laquelle livrer par Internet une copie permanente d’un jeu vidéo qui renferme une œuvre musicale équivaut à « communiquer » cette œuvre pour l’application de l’al. 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur doit être annulée.

La conclusion de la Commission voulant qu’un tarif distinct s’applique au téléchargement pour la « communication » d’une œuvre musicale va à l’encontre du principe de la neutralité technologique, à savoir que la Loi s’applique uniformément aux supports traditionnels et aux supports plus avancés sur le plan technologique. Dans les faits, il n’y a aucune différence entre acheter un exemplaire durable de l’œuvre en magasin, recevoir un exemplaire par la poste ou télécharger une copie identique dans Internet. ESA a déjà versé aux titulaires du droit d’auteur des redevances pour la reproduction de l’œuvre dans le jeu vidéo. Sauf intention contraire avérée du législateur, nous interprétons la Loi de manière à ne pas créer un palier supplémentaire de protection et d’exigibilité de redevances qui soit uniquement fondé sur le mode de livraison de l’œuvre à l’utilisateur. Toute autre interprétation imposerait en fait un coût injustifié pour l’utilisation de technologies Internet à l’efficacité accrue. Internet doit être considéré comme un taxi technologique assurant la livraison d’une copie durable de la même œuvre à l’utilisateur. L’équilibre que commande traditionnellement l’application du droit d’auteur entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres et, d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur, doit être préservé dans le monde numérique.

Le verbe « communiquer » employé à l’al. 3(1)f) n’est pas défini dans la Loi, mais l’historique législatif confirme que le droit de « communiquer » a toujours été lié à celui d’exécuter ou de représenter une œuvre, et non au droit de créer une copie permanente de l’œuvre. La modification apportée à la Loi en 1988 (substituant à l’expression « au moyen de la radiophonie » les mots « par télécommunication ») n’atteste pas l’intention du législateur de supprimer, à l’al. 3(1)f), toute mention des activités traditionnelles d’exécution ou de représentation, ou encore, de radiodiffusion, non plus que celle d’étendre la portée du droit de communication de manière à englober des technologies de transmission de données, tel le téléchargement, qui permettent à l’utilisateur de conserver une copie permanente de l’œuvre. En fait, on ne doit voir dans le remplacement de « radiophonie » par « télécommunication » que l’élargissement des modes de communication d’une œuvre, de sorte qu’aux ondes radio s’ajoutent la câblodistribution ainsi que les nouvelles technologies qui verront le jour. Lorsqu’il a substitué le mot « télécommunication » en 1988, le législateur n’avait pas l’intention de changer la nature fondamentale du droit de communication, lequel se rapportait depuis plus de 50 ans aux activités d’exécution ou de représentation.

L’effet du recours à la définition lexicographique du verbe « communiquer » est de faire abstraction du long historique législatif qui relie fermement ce terme aux activités d’exécution ou de représentation. Le verbe « communiquer » employé à l’al. 3(1)f) ne doit pas être transformé par la présence du mot « télécommunication » de telle sorte qu’il englobe des activités apparentées à la reproduction. Une telle mutation équivaudrait à l’abandon de la distinction traditionnelle établie dans la Loi entre droit d’exécution ou de représentation et droit de reproduction.

Les juges LeBel, Fish, Rothstein et Cromwell (dissidents) : L’auteur d’une œuvre téléchargée sur Internet a droit à des redevances à la fois pour la communication et pour la reproduction. Le droit d’auteur tire son origine de la loi et il est constitué d’un ensemble de droits légaux distincts. Même si la neutralité technologique est souhaitable en matière de droit d’auteur, la Loi ne doit pas être interprétée de manière à dépouiller ces droits de leur objet distinct. Le droit de reproduction demeure applicable à l’exemplaire obtenu par téléchargement même si celui‑ci est numérique, et le droit de communication s’applique toujours aux communications numériques même si elles peuvent différer des technologies de diffusion traditionnelles.

Suivant les règles générales d’interprétation législative, il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. Le mot « communiquer » n’est pas défini dans la Loi. Le législateur est présumé employer les mots dans leur sens ordinaire. Suivant les définitions lexicographiques, il y a chevauchement sémantique entre les verbes « communiquer » et « transmettre ». Aucun élément du contexte dans lequel ces termes sont employés dans la Loi ne permet de conclure que « communiquer » n’a pas le même sens que « transmettre » ou qu’il ne s’entend que de la transmission d’une information sous une forme perceptible par l’être humain pour écoute ou visualisation immédiates.

Le droit de communication prévu à l’al. 3(1) f) de la Loi est autonome et distinct du droit d’exécution ou de représentation énoncé dans la partie introductive de l’article. Les droits énumérés aux al. 3(1)a) à i) s’ajoutent au droit de produire ou de reproduire l’œuvre, de la représenter ou de l’exécuter ou encore, de la publier. L’historique législatif de l’al. 3(1)f) ne ramène pas non plus le droit de communiquer à une simple variante du droit d’exécution ou de représentation. Même s’il a déjà existé un lien historique entre le droit d’exécution et de représentation en public et le droit de communication au public, la loi a évolué. La disposition emploie le terme « télécommunication » et ne fait plus mention de la diffusion traditionnelle, de sorte qu’elle peut s’appliquer aux nouvelles technologies. Le libellé actuel de la Loi ne permet pas de conclure que l’al. 3(1)f) ne s’applique qu’aux technologies de diffusion traditionnelle.

Le but de la communication n’est pas déterminant aux fins de décider si le droit de communiquer s’applique ou non. Que la transmission Internet fasse parvenir un exemplaire du jeu vidéo qui renferme une œuvre musicale ne change rien au fait qu’il y a communication Internet devant être autorisée par le titulaire du droit d’auteur.

Aucune considération de principe n’entre en jeu du fait que le droit de reproduction et le droit de communication sont distincts. L’existence de deux droits protégés ne restreint pas la protection conférée par chacun d’eux. Assimiler une transmission Internet à un simple « mode de livraison » de l’œuvre et limiter le droit d’auteur au droit de reproduction neutralisent l’application du droit de communiquer. Les tribunaux outrepassent leurs pouvoirs en déduisant, pour des considérations de politique générale, l’existence de limites applicables au droit de communication.


Parties
Demandeurs : Entertainment Software Association
Défendeurs : Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique

Références :

Jurisprudence
Citée par les juges Abella et Moldaver
Arrêts mentionnés : Robertson c. Thomson Corp., 2006 CSC 43, [2006] 2 R.C.S. 363
Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34, [2002] 2 R.C.S. 336
Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467
Composers, Author and Publishers Assn. of Canada Ltd. c. CTV Television Network Ltd., [1968] R.C.S. 676
Assoc. canadienne des télécommunications sans fil c. Societé canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2008 CAF 6, [2008] 3 R.C.F. 539
Canadian Admiral Corp. c. Rediffusion, Inc., [1954] Ex. C.R. 382
Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427
Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031
Ash c. Hutchinson & Co. (Publishers), Ltd., [1936] 2 All E.R. 1496
Apple Computer Inc. c. Mackintosh Computers Ltd., [1987] 1 C.F. 173.
Citée par le juge Rothstein (dissident)
Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34, [2002] 2 R.C.S. 336
Compo Co. c. Blue Crest Music Inc., [1980] 1 R.C.S. 357
Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467
Tarif des droits à percevoir par la SOCAN pour l’exécution publique d’œuvres musicales 1996, 1997, 1998 (Tarif 22, Internet) (Re), www.cb‑cda.gc.ca/decisions/1999/19991027‑m‑b.pdf
Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427
Exécution publique d’œuvres musicales (Renvoi), 2008 CarswellNat 4083
Shaw Cablesystems G.P. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2010 CAF 220 (CanLII)
Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35
CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut‑Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339
Assoc. canadienne des télécommunications sans fil c. Societé canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2008 CAF 6, [2008] 3 R.C.F. 539, autorisation d’appel refusée, [2008] 2 R.C.S. vi
Composers, Author and Publishers Assn. of Canada Ltd. c. CTV Television Network Ltd., [1968] R.C.S. 676
Canadian Admiral Corp. c. Rediffusion, Inc., [1954] Ex. C.R. 382
United States c. American Society of Composers, Authors and Publishers, 627 F.3d 64 (2010), cert. refusé, 565 U.S. 2011 (10-1337)
Robertson c. Thomson Corp., 2006 CSC 43, [2006] 2 R.C.S. 363.
Lois et règlements cités
17 U.S.C. § 101, 106(4).
Loi de 1921 concernant le droit d’auteur, S.C. 1921, ch. 24, art. 2q) « exécution », 3(1).
Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre‑échange Canada — États‑Unis, L.C. 1988, ch. 65, art. 61 à 65.
Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, S.C. 1997, ch. 24, art. 45.
Loi modificative du droit d’auteur, 1931, S.C. 1931, ch. 8, art. 2(3) « représentation », 3.
Loi sur le droit d’auteur, L.C. 1993, ch. 23, art. 3.
Loi sur le droit d’auteur, L.C. 1997, ch. 24, art. 18, 45.
Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C‑42, art. 2 « télécommunication », 2.2(1) « publication », 2.4(1)c), 3(1), 15(1), 27(2), 29.4(2), 30.8(1), 67 à 68.2.
Projet de tarifs des redevances à percevoir par la SOCAN pour l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication, au Canada, d’œuvres musicales ou dramatico‑musicales, (2005) 139 Gaz. Can. I (suppl.).
Traités et autres instruments internationaux
Accord de libre‑échange nord‑américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États‑Unis d’Amérique et le gouvernement des États‑Unis du Mexique, R.T. Can. 1994 no 2.
Accord de libre‑échange entre le Canada et les États‑Unis, 1987, art. 2005, 2006.
Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, 828 R.T.N.U. 221, 9 septembre 1886
rev. à Berlin le 13 novembre 1908, art. 11, 13, 14
rev. à Rome le 2 juin 1928, art. 11bis.
Doctrine et autres documents cités
Canada. Accord de libre‑échange entre le Canada et les États‑Unis. Ottawa : Affaires extérieures, 1987.
Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, t. 1, 2e sess., 17e lég., 23 avril 1931, p. 892‑893.
Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, t. 3, 2e sess., 17e lég., 8 juin 1931, p. 2373‑2374.
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Vaver, David. Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade‑marks, 2nd ed. Toronto : Irwin Law, 2011.

Proposition de citation de la décision: Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 34 (12 juillet 2012)


Origine de la décision
Date de la décision : 12/07/2012
Date de l'import : 13/07/2012

Numérotation
Référence neutre : 2012 CSC 34 ?
Numéro d'affaire : 33921
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2012-07-12;2012.csc.34 ?
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