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25/07/2013 | CANADA | N°2013_CSC_41

Canada | R. c. Youvarajah


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Youvarajah , 2013 CSC 41, [2013] 2 R.C.S. 720
Date : 20130725
Dossier : 34732

Entre :
Yousanthan Youvarajah
Appelant
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
- et -
Criminal Lawyers' Association
Intervenante

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Karakatsanis et Wagner

Motifs de jugement :
(par. 1 à 72)

Motifs dissidents :
(par. 73 à 153)
La juge Karakatsanis (avec l'ac

cord de la juge en chef McLachlin et des juges Fish, Abella et Cromwell)

Le juge Wagner (avec l'accord du juge Rothstein)


...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Youvarajah , 2013 CSC 41, [2013] 2 R.C.S. 720
Date : 20130725
Dossier : 34732

Entre :
Yousanthan Youvarajah
Appelant
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
- et -
Criminal Lawyers' Association
Intervenante

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Karakatsanis et Wagner

Motifs de jugement :
(par. 1 à 72)

Motifs dissidents :
(par. 73 à 153)
La juge Karakatsanis (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges Fish, Abella et Cromwell)

Le juge Wagner (avec l'accord du juge Rothstein)




R. c. Youvarajah, 2013 CSC 41, [2013] 2 R.C.S. 720
Yousanthan Youvarajah Appelant
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
et
Criminal Lawyers' Association Intervenante
Répertorié : R. c. Youvarajah
2013 CSC 41
N o du greffe : 34732.
2013 : 20 février; 2013 : 25 juillet.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Karakatsanis et Wagner.
en appel de la cour d'appel de l'ontario
Droit criminel — Preuve — Admissibilité — Ouï-dire — Procès pour meurtre — Témoin coaccusé revenant sur une déclaration antérieure impliquant l'accusé dans un meurtre — Conclusion du juge du procès selon laquelle la déclaration antérieure incompatible n'atteint pas le seuil de fiabilité nécessaire — La déclaration antérieure incompatible était-elle suffisamment fiable pour être présentée au jury comme preuve de la véracité de son contenu?
Le prévenu, Y, et D.S., le tireur, ont été accusés de meurtre au premier degré après qu'une transaction de drogue a mal tourné. D.S. a été jugé séparément en tant que jeune contrevenant. Il a plaidé coupable à une accusation de meurtre au deuxième degré. Dans le cadre de l'entente sur le plaidoyer, D.S. a souscrit l'exposé conjoint des faits qu'avait rédigé l'avocat du ministère public avec l'apport de l'avocat de la défense. Suivant l'exposé conjoint des faits, Y était directement impliqué dans le meurtre. Lors de l'inscription du plaidoyer, D.S. a attesté l'exactitude de l'exposé conjoint des faits. La lecture de ce dernier n'a pas été enregistrée sur bande vidéo ni n'était précédée d'un serment ou d'une affirmation solennelle.
Au procès d'Y, l'avocat du ministère public a demandé à D.S. d'adopter l'exposé conjoint des faits. D.S. a affirmé qu'il ne se souvenait pas d'avoir souscrit le document, mais il a reconnu qu'il portait bel et bien sa signature. Il a ensuite nié les faits impliquant Y qui y étaient énoncés. En réponse aux dénégations de D.S., le ministère public a voulu faire admettre l'exposé conjoint des faits comme preuve de la véracité de son contenu. À la suite d'un voir‑dire, le juge du procès estimait les moyens invoqués insuffisants pour permettre au jury d'apprécier la fiabilité de l'exposé signé à titre de déclaration antérieure incompatible, et a conclu que ce dernier n'atteignait pas le seuil de fiabilité nécessaire pour être admis en preuve pour établir la véracité de son contenu. En invoquant le secret professionnel de l'avocat, D.S. a coupé court au contre‑interrogatoire, et le juge du procès était d'avis que la possibilité d'y procéder de manière efficace au procès était dans une large mesure illusoire. Le juge du procès a accueilli la requête de la défense et imposé un verdict d'acquittement. La Cour d'appel a accueilli l'appel, annulé l'acquittement et ordonné la tenue d'un nouveau procès.
Arrêt (les juges Rothstein et Wagner sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli et l'acquittement est rétabli.
La juge en chef McLachlin et les juges Fish, Abella, Cromwell et Karakatsanis : Une déclaration antérieure incompatible d'un témoin non accusé peut être admise comme preuve de la véracité de son contenu si les indices de fiabilité suivants sont présents : (1) le témoin fait la déclaration sous serment ou affirmation solennelle après avoir reçu une mise en garde au sujet des sanctions qui peuvent lui être infligées s'il ne dit pas la vérité, (2) la déclaration est enregistrée intégralement sur bande vidéo ou audio et (3) la partie adverse a la possibilité voulue de contre‑interroger le témoin au sujet de la déclaration. Les éléments suivants peuvent également permettre de satisfaire au critère du seuil de fiabilité : (1) l'existence de substituts adéquats permettant de vérifier la véracité et l'exactitude (fiabilité d'ordre procédural) et (2) des garanties circonstancielles suffisantes ou une fiabilité intrinsèque (fiabilité découlant de la nature de la preuve). Le juge du procès est bien placé pour apprécier les dangers associés au ouï‑dire dans une affaire donnée et l'efficacité des garanties permettant de les écarter. Par conséquent, en l'absence d'une erreur de principe de la part du juge du procès, il faut faire preuve de retenue à l'égard de sa conclusion quant au seuil de fiabilité.
En l'espèce, le juge du procès n'a pas commis d'erreur en concluant que l'inexistence de garanties suffisantes empêchait d'établir le seuil de fiabilité nécessaire pour faire admettre l'exposé conjoint des faits comme preuve de la véracité de son contenu. Seule la possibilité voulue de contre‑interroger D.S. aurait véritablement permis d'évaluer la fiabilité de ses déclarations. Le fait qu'il ait invoqué le secret professionnel de l'avocat a toutefois restreint sensiblement les questions visant à déterminer si la déclaration antérieure incompatible atteint le seuil de fiabilité. Le ministère public n'aurait pas pu s'enquérir des conversations entre D.S. et son avocat au sujet des conseils juridiques sous‑tendant la décision du premier de plaider coupable ou de souscrire l'exposé conjoint des faits. Le juge du procès a peut‑être attribué une portée excessive au secret professionnel de l'avocat et aux conséquences de l'application de ce privilège sur le contre‑interrogatoire de D.S.; toutefois, il n'en a pas résulté d'incidence significative sur la conclusion selon laquelle le contre‑interrogatoire ne constituait pas, en l'espèce, un moyen suffisant d'établir le seuil de fiabilité.
Le ministère public ne peut demander la tenue d'un nouveau procès au motif que la poursuite aurait dû être menée différemment. Le juge du procès ne l'a pas empêché de procéder à un contre‑interrogatoire plus poussé du témoin ou d'en citer d'autres à témoigner sur la rédaction de l'exposé conjoint des faits. Il n'a pas laissé entendre qu'il fallait couper court au contre-interrogatoire dans le cadre du voir‑dire. On ne lui avait pas demandé de trancher la question. Si l'avocat du ministère public avait voulu présenter d'autres preuves, il aurait pu s'adresser au juge du procès. Comme il s'agissait du même avocat qui avait poursuivi D.S. dans le cadre d'un procès distinct devant le tribunal pour adolescents, négocié le plaidoyer et rédigé l'exposé conjoint des faits, il savait ce que D.S. ou ses avocats pouvaient dire à ce sujet sans violer le secret professionnel de l'avocat.
Le juge du procès n'a pas fait erreur en concluant que les circonstances entourant la déclaration antérieure incompatible ne fournissaient pas de garanties suffisantes de fiabilité découlant de la nature de la preuve. Les garanties circonstancielles de fiabilité invoquées par le ministère public — à savoir le processus exhaustif de rédaction de l'exposé conjoint des faits, la participation des avocats et le caractère solennel de l'audience relative au plaidoyer de culpabilité — ne permettent pas d'établir que les déclarations rétractées, qui minimisaient le rôle de D.S. dans le meurtre et en rejetaient la responsabilité sur Y, atteignaient le seuil de fiabilité. Dans les circonstances de l'espèce, la formalité de la procédure et la participation des avocats ne sont garantes que des déclarations de D.S. dans lesquelles il avoue sa culpabilité relativement au meurtre. Ce n'est pas dans l'intérêt de l'administration de la justice que d'admettre en preuve contre un prévenu des aveux intéressés faits par son coaccusé dans le but de négocier un chef d'accusation moindre et une peine qui lui soit favorable lorsque la fiabilité des déclarations ne peut être adéquatement vérifiée.
Les juges Rothstein et Wagner (dissidents) : Le seuil de fiabilité devrait être interprété généreusement lors de l'analyse de l'admissibilité. En principe, toute déclaration qui est admise en preuve par le tribunal pour établir la véracité de son contenu et qui est utilisée pour mettre dans la balance le droit à la liberté de l'accusé, d'une part, et des considérations sociales telles que la dissuasion et la répression, d'autre part, comporte implicitement un degré de fiabilité qui justifie qu'on en tienne compte lors de l'analyse de l'admissibilité au cours du procès ultérieur d'un tiers. Il ne s'ensuit pas pour autant que l'utilisation et l'admission de cette déclaration par le tribunal au cours d'une instance antérieure suffisent à elles seules à répondre à l'exigence de la fiabilité suivant la méthode d'analyse raisonnée. Il s'agit plutôt simplement d'un facteur dont il y a lieu de tenir compte dans le cadre de l'analyse de l'admissibilité, d'un facteur qui contribue à ce qu'il soit jugé que la déclaration en cause réponde au seuil de fiabilité requis. Chaque cas devrait être examiné en fonction de ses circonstances propres lorsqu'il s'agit de déterminer le seuil de fiabilité; on devrait toutefois tenir compte du fait que, dans l'ensemble, les tribunaux acceptent les déclarations qui sont lues à l'occasion de plaidoyers de culpabilité et s'y fient. On ne devrait pas appliquer de façon rigide et absolue des limites au contre‑interrogatoire lorsque le privilège du secret professionnel de l'avocat est invoqué. Les questions de privilège doivent plutôt être abordées au fur et à mesure qu'elles sont soulevées lors du contre‑interrogatoire. De cette manière, on peut quand même recueillir des renseignements pertinents dont le privilège du secret professionnel de l'avocat ne peut empêcher la communication, favorisant ainsi la recherche de la vérité qui est à la base de tout procès.
En l'espèce, l'admissibilité devrait être réexaminée et tranchée dans le cadre d'un nouveau procès au cours duquel la question du seuil de fiabilité pourrait être examinée comme il se doit. Le juge du procès a commis une erreur en concluant que l'exposé conjoint des faits n'atteignait pas le seuil de fiabilité requis. Il n'a pas bien apprécié les indices de fiabilité qui existaient, et c'est à tort qu'il a estimé que la possibilité de contre‑interroger D.S. était illusoire. Cela ne veut pas dire pour autant que les circonstances de la présente affaire offrent suffisamment de preuve pour pouvoir déterminer de manière concluante que l'exposé conjoint des faits était admissible. En réalité, l'analyse de l'admissibilité était incomplète et ne permettait pas au juge du procès d'exclure les éléments de preuve pertinents. La possibilité de contre‑interroger D.S. n'était pas entièrement perdue et le juge du procès a mal compris tant la portée du privilège du secret professionnel de l'avocat que ses répercussions sur la possibilité de contre‑interroger D.S. Si le juge du procès avait autorisé le contre‑interrogatoire et s'il avait tranché les questions de privilège du secret professionnel de l'avocat au fur et à mesure qu'elles se seraient présentées, on aurait peut‑être pu mettre en lumière des renseignements suffisants pour qu'il soit satisfait au critère de fiabilité. D.S. était disponible pour être contre‑interrogé, il se souvenait d'avoir fait plusieurs des déclarations contenues dans l'exposé conjoint des faits, ne prétendait pas ne pas comprendre les faits essentiels de l'exposé conjoint des faits qu'il avait par la suite niés au procès d'Y et se souvenait que l'exposé conjoint des faits avait été lu lors de l'audience durant laquelle il avait plaidé coupable.
Il existait d'autres facteurs qui auraient pu convaincre le juge du procès que les circonstances entourant la rédaction de l'exposé conjoint des faits et sa lecture à l'occasion du plaidoyer fournissaient des assurances de fiabilité équivalentes à un serment et à un enregistrement vidéo. Si ces indices avaient été examinés et que le contre-interrogatoire avait été autorisé, il aurait pu être satisfait au critère de fiabilité. C'est la nature de la déclaration et la façon dont elle a été élaborée qui constituent sans doute les indices de fiabilité les plus convaincants. L'exposé conjoint des faits déposé en preuve durant l'audience où D.S. a enregistré son plaidoyer de culpabilité constitue précisément un compte rendu de ce type. Comme il a été consigné par écrit, qu'il a été signé non seulement par D.S., mais aussi par le représentant du ministère public et par l'avocat de la défense, et qu'il a été lu à l'occasion du plaidoyer de culpabilité de D.S., la manière dont la déclaration a été enregistrée est incontestable. Il ne s'agit pas d'une déclaration qui a été rédigée unilatéralement et qu'on a forcé D.S. à adopter. Ce document a plutôt été rédigé en collaboration, et au moins un élément crucial de la preuve à charge du ministère public contre Y a été fourni par l'avocat de la défense, en l'occurrence l'affirmation suivant laquelle Y avait fourni le pistolet à D.S. Qui plus est, ce dernier a eu la possibilité d'examiner l'exposé conjoint des faits avec son avocat avant de le signer et de l'adopter. Cet élément est important, car il réfute toutes inférences négatives tirées de ce document, du fait qu'il ne reprend pas mot à mot les propos de D.S., ou que ce dernier n'en aurait pas compris la teneur. Fait peut‑être encore plus important, D.S. a expliqué qu'il comprenait bien les trois éléments cruciaux de l'exposé conjoint des faits, à savoir qu'Y lui avait donné le pistolet, lui avait dit d'abattre la victime et avait exigé qu'il lui remette le pistolet. À défaut d'éléments de preuve plus convaincants à l'effet contraire, tout argument que D.S. ne comprenait pas la teneur de l'exposé conjoint des faits se trouve d'emblée exclu. Indépendamment de la façon dont l'exposé conjoint des faits était libellé, le contexte de l'instance au cours de laquelle il a été versé au dossier et son contenu même fournissent des éléments supplémentaires qui appuient la thèse de l'atteinte du seuil de fiabilité.
Jurisprudence
Citée par la juge Karakatsanis
Arrêts mentionnés : R. c. B. (K.G.) , [1993] 1 R.C.S. 740; R. c. Conway (1997), 36 O.R. (3d) 579; R. c. Khelawon , 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787; R. c. Khan , [1990] 2 R.C.S. 531; R. c. Smith , [1992] 2 R.C.S. 915; R. c. U. (F.J.) , [1995] 3 R.C.S. 764; R. c. Blackman , 2008 CSC 37, [2008] 2 R.C.S. 298; R. c. Hawkins , [1996] 3 R.C.S. 1043; R. c. Devine , 2008 CSC 36, [2008] 2 R.C.S. 283; R. c. Couture , 2007 CSC 28, [2007] 2 R.C.S. 517; R. c. Graveline , 2006 CSC 16, [2006] 1 R.C.S. 609; R. c. Briscoe , 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411; R. c. Khela , 2009 CSC 4, [2009] 1 R.C.S. 104; R. c. Brooks , 2000 CSC 11, [2000] 1 R.C.S. 237.
Citée par le juge Wagner (dissident)
R. c. B. (K.G.) , [1993] 1 R.C.S. 740; R. c. Conway (1997), 36 O.R. (3d) 579; R. c. Khelawon , 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787; R. c. U. (F.J.) , [1995] 3 R.C.S. 764; R. c. Couture , 2007 CSC 28, [2007] 2 R.C.S. 517; R. c. Trieu (2005), 195 C.C.C. (3d) 373; R. c. Blackman , 2008 CSC 37, [2008] 2 R.C.S. 298; R. c. Hawkins , [1996] 3 R.C.S. 1043; R. c. Tran , 2010 ONCA 471, 103 O.R. (3d) 131; R. c. D.P. , 2010 ONCA 563, 268 O.A.C. 118; R. c. McGee , 2009 CanLII 60789; R. c. McClure , 2001 CSC 14, [2001] 1 R.C.S. 445; R. c. S.G.T. , 2010 CSC 20, [2010] 1 R.C.S. 688.
Doctrine et autres documents cités
Paciocco, David M., and Lee Stuesser. The Law of Evidence , 6th ed. Toronto : Irwin Law, 2011.
Proulx, Michel, and David Layton. Ethics and Canadian Criminal Law . Toronto : Irwin Law, 2001.
Wigmore, John Henry. Evidence in Trials at Common Law , vol. 8. Revised by John T. McNaughton. Boston, Mass. : Little, Brown, 1961.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (le juge en chef Winkler et les juges Moldaver et Simmons), 2011 ONCA 654, 107 O.R. (3d) 401, 284 O.A.C. 300, 278 C.C.C. (3d) 102, 90 C.R. (6th) 184, [2011] O.J. No. 4610 (QL), 2011 CarswellOnt 11167, qui a annulé un acquittement inscrit par le juge Flynn le 17 mars 2010 et qui a ordonné la tenue d'un nouveau procès. Pourvoi accueilli et acquittement rétabli; les juges Rothstein et Wagner sont dissidents.
Philip R. Campbell et Jonathan Dawe , pour l'appelant.
James K. Stewart et Nadia Thomas , pour l'intimée.
Marie Henein et Matthew Gourlay , pour l'intervenante.
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Fish, Abella, Cromwell et Karakatsanis rendu par
La juge Karakatsanis —
I. Introduction
[1] La question qui se pose dans le présent pourvoi consiste à savoir si la déclaration antérieure incompatible du coaccusé, impliquant l'appelant dans un meurtre, était suffisamment fiable pour être présentée au jury comme preuve de la véracité de son contenu.
[2] Selon la thèse du ministère public, l'appelant aurait planifié le meurtre et fourni l'arme du crime au tireur coaccusé. Dans une instance distincte devant le tribunal pour adolescents, le tireur a plaidé coupable à une accusation de meurtre au deuxième degré. Dans le cadre de son plaidoyer, il a souscrit un exposé conjoint des faits dans lequel il rejette sur l'appelant la responsabilité de la planification du meurtre et de l'obtention de l'arme du crime.
[3] Cité à témoigner au procès pour meurtre de l'appelant, le tireur a rétracté les faits incriminant l'appelant et a refusé d'adopter sa déclaration antérieure. La preuve du ministère public contre l'appelant s'est effondrée quand le juge du procès a conclu que l'exposé conjoint des faits n'atteignait pas le seuil de fiabilité nécessaire pour être admis comme preuve de la véracité de son contenu.
[4] La question dont nous sommes saisis est celle de savoir si le juge du procès a commis une erreur en concluant que l'exposé conjoint des faits n'atteignait pas le seuil de fiabilité nécessaire pour être présenté au jury.
[5] La Cour d'appel était d'avis que le juge du procès avait fait erreur. Cependant, pour les motifs qui suivent, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de rétablir l'acquittement.
II. Contexte
[6] L'appelant, Yousanthan Youvarajah, et D.S., un mineur, ont été accusés de meurtre au premier degré après qu'une transaction de drogue a mal tourné. Le ministère public prétend que M. Youvarajah aurait planifié le meurtre et fourni l'arme du crime à D.S. pour qu'il abatte la victime.
[7] D.S. a été jugé séparément en tant que jeune contrevenant. Il a plaidé coupable à une accusation de meurtre au deuxième degré et s'est vu infliger une peine spécifique. Dans le cadre de l'entente sur le plaidoyer, D.S. a souscrit l'exposé conjoint des faits qu'avait rédigé l'avocat du ministère public avec l'apport de l'avocat de la défense. D.S. y impliquait directement l'appelant dans le meurtre : il aurait remis à D.S. l'arme de poing ayant servi à commettre le crime, lui aurait ordonné de tirer sur la victime et aurait demandé que l'arme lui soit rendue après le meurtre.
[8] Lors de l'inscription du plaidoyer, D.S. a attesté l'exactitude de l'exposé conjoint des faits. Dans son témoignage au procès de l'appelant, il a affirmé n'avoir pas compris les mots [ traduction ] « attesté » et « exact » utilisés par son avocat à l'audience relative à son plaidoyer de culpabilité.
[9] La lecture de l'exposé conjoint des faits n'a pas été enregistrée sur bande vidéo ni n'était précédée d'un serment ou d'une affirmation solennelle. On avait dit à D.S. qu'en souscrivant l'exposé conjoint, il ne serait pas tenu de faire d'autres déclarations à propos du meurtre. Dans son témoignage au procès de l'appelant, il a déclaré que c'était notamment pour cette raison qu'il avait plaidé coupable.
[10] Pendant l'interrogatoire principal, l'avocat du ministère public a demandé à D.S. d'adopter l'exposé conjoint des faits. D.S. a affirmé qu'il ne se souvenait pas d'avoir souscrit le document, mais il a reconnu qu'il portait bel et bien sa signature. Il a ensuite nié les faits impliquant l'appelant qui y étaient énoncés. Il a déclaré au contraire que l'arme lui appartenait, qu'il avait abattu la victime à cause de la manière dont elle s'exprimait et qu'il avait jeté l'arme dans la rivière après le meurtre.
[11] En réponse aux dénégations de D.S., le ministère public a voulu faire admettre l'exposé conjoint des faits comme preuve de la véracité de son contenu, requête que le juge a rejetée. À l'issue de la plaidoirie finale du ministère public, le juge du procès a accueilli la requête de la défense et imposé un verdict d'acquittement.
III. Décisions des juridictions inférieures
[12] À la suite d'un voir‑dire, le juge Flynn a conclu que l'exposé conjoint des faits signé — une preuve par ouï‑dire du fait qu'il s'agit d'une déclaration extrajudiciaire présentée comme preuve de la véracité de son contenu — n'atteignait pas le seuil de fiabilité nécessaire pour être admis en preuve. Aucune des garanties énoncées dans l'arrêt R. c. B. (K.G.) , [1993] 1 R.C.S. 740 ( K.G.B. ), de notre Cour visant à atténuer les dangers associés au ouï‑dire n'était présente. La lecture de l'exposé n'avait pas été enregistrée sur bande vidéo, D.S. n'avait pas prêté serment ni fait d'affirmation solennelle et la transcription de l'audience relative au plaidoyer de culpabilité ne constituait pas un substitut adéquat permettant d'apprécier le comportement et la crédibilité de D.S. au moment de la déclaration. De plus, l'exposé avait été rédigé par les avocats; il ne s'agissait pas d'une déclaration spontanée, et il ne reprenait pas les paroles de D.S.
[13] Renvoyant à l'arrêt R. c. Conway (1997), 36 O.R. (3d) 579 (C.A.), le juge Flynn a souligné que la possibilité de procéder à un contre‑interrogatoire efficace au procès serait [ traduction ] « dans une large mesure illusoire » dans le cas où le déclarant a d'importants trous de mémoire ou se rétracte (d.a., vol. I, p. 61). Le refus par D.S. de renoncer au privilège du secret professionnel de l'avocat l'a soustrait, ainsi que son avocat, aux questions visant à élucider comment il en était venu à impliquer l'appelant (d.a., vol. I, p. 59).
[14] Le juge Flynn estimait les moyens invoqués insuffisants pour permettre au jury d'apprécier la fiabilité de l'exposé conjoint des faits à titre de déclaration antérieure incompatible et a conclu que ce dernier n'était pas admissible comme preuve de la véracité de son contenu.
[15] Selon la Cour d'appel de l'Ontario, le juge du procès a commis une erreur dans son interprétation de la portée du secret professionnel de l'avocat. Ce privilège n'aurait pas eu pour effet de soustraire D.S. et son avocat à toutes les questions à propos de l'exposé conjoint des faits ou de la décision du premier d'impliquer l'appelant. La Cour d'appel a aussi conclu que le juge du procès avait fait erreur en s'attachant strictement aux exigences énoncées dans K.G.B. pour établir la fiabilité et en ne tenant pas compte d'autres facteurs comme les circonstances solennelles dans lesquelles D.S. avait souscrit l'exposé conjoint des faits et la participation des avocats à sa rédaction.
[16] Convaincue que si le juge du procès n'avait pas commis ces erreurs il se peut qu'il ait admis l'exposé conjoint des faits en preuve, la Cour d'appel de l'Ontario a accueilli l'appel, annulé l'acquittement et ordonné la tenue d'un nouveau procès.
IV. Questions en litige
[17] La question qui se pose dans le présent pourvoi consiste à savoir si le juge du procès a commis une erreur en concluant que l'inexistence de garanties suffisantes empêchait d'établir le seuil de fiabilité nécessaire pour faire admettre en preuve l'exposé conjoint des faits et, dans l'affirmative, si l'erreur a eu une incidence significative sur l'issue de la cause. Pour répondre à cette question, il faut en examiner deux autres :
a) Le juge du procès a‑t‑il fait erreur en concluant que le contre‑interrogatoire n'offrait pas au jury une base suffisante pour lui permettre d'apprécier la véracité de la déclaration antérieure incompatible?
b) Le juge du procès a‑t‑il fait erreur en concluant que les circonstances entourant la déclaration antérieure incompatible ne fournissaient pas de garanties suffisantes de fiabilité découlant de la nature de la preuve?
V. Principes juridiques
A. Ouï-dire et seuil de fiabilité
[18] La preuve par ouï‑dire — une déclaration extrajudiciaire présentée pour établir la véracité de son contenu — est présumée inadmissible, parce que les dangers qui y sont associés risquent de compromettre la fonction de recherche de la vérité ou l'équité du procès. Ces dangers incluent habituellement l'incapacité de mettre à l'épreuve et d'évaluer la perception du déclarant, sa mémoire, sa relation du fait en question ou sa sincérité : R. c. Khelawon , 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787, par. 2.
[19] Traditionnellement, le droit favorise le témoignage d'une personne qui dépose au procès, du fait que le tribunal peut l'observer, une fois qu'elle a prêté serment ou fait une affirmation solennelle, et que sa crédibilité et sa fiabilité peuvent être mises à l'épreuve par contre‑interrogatoire. Ces éléments aident le juge des faits à apprécier la crédibilité du déclarant ou du témoin, la fiabilité de la preuve et son degré de force probante. S'il en est privé, comme lorsque lui est présentée une déclaration extrajudiciaire, une telle appréciation sera plus difficile.
[20] Toutefois, le droit a reconnu au fil du temps que, dans certaines circonstances, on peut invoquer sans danger la déclaration extrajudiciaire comme preuve de la véracité de son contenu. Des exceptions à la règle du ouï‑dire ont été établies à l'égard des déclarations comportant certaines garanties de fiabilité inhérente, souvent attribuables aux circonstances les entourant (par exemple, la déclaration d'un mourant et la déclaration contre l'intérêt de son auteur).
[21] Cependant, outre les exceptions traditionnelles, la Cour a élaboré une méthode d'analyse raisonnée permettant aux juges d'admettre une preuve par ouï‑dire si elle satisfait au double critère de nécessité et de fiabilité. Il s'agit d'un examen souple effectué au cas par cas. Voir en particulier R. c. Khan , [1990] 2 R.C.S. 531; R. c. Smith , [1992] 2 R.C.S. 915; K.G.B. ; R. c. U. (F.J.) , [1995] 3 R.C.S. 764; et R. c. Blackman , 2008 CSC 37, [2008] 2 R.C.S. 298, par. 38. Cependant, la souplesse accrue que permet la méthode d'analyse raisonnée se traduit pour le juge du procès, à titre de gardien en matière de preuve, par un rôle davantage complexe et nuancé.
[22] Quand un témoin revient sur une déclaration antérieure, la nécessité est établie : Khelawon , par. 78. En l'espèce, la question fondamentale est celle de savoir si la déclaration antérieure incompatible atteint le seuil de fiabilité.
[23] Le juge du procès, à titre de gardien, détermine si la déclaration relatée atteint le seuil de fiabilité. C'est au juge des faits qu'il appartient de déterminer la fiabilité en dernière analyse : Khelawon , par. 2. Même si la nécessité et la fiabilité de la preuve par ouï‑dire sont démontrées, le juge du procès conserve le pouvoir discrétionnaire d'exclure la preuve lorsque son « effet préjudiciable est disproportionné par rapport à sa valeur probante » : Khelawon , par. 3.
[24] Pourquoi ne pas simplement laisser au juge des faits le soin de déterminer et le seuil de fiabilité et la fiabilité en dernière analyse? Les professeurs D. M. Paciocco et L. Stuesser donnent l'explication suivante, à laquelle je souscris :
[ traduction ] En ce qui concerne la « fiabilité », une distinction est faite entre « seuil » de fiabilité et fiabilité « en dernière analyse ». Cette distinction reflète la différence importante entre admettre un élément de preuve et s'y fier. Le seuil de fiabilité ressortit au juge du procès et intéresse l'admissibilité de la déclaration. Le juge du procès agit comme gardien dont la tâche « se limite à déterminer si la déclaration relatée en question renferme suffisamment d'indices de fiabilité pour fournir au juge des faits une base satisfaisante pour examiner la véracité de la déclaration ». Dès lors que la déclaration est susceptible d'être appréciée et acceptée par un juge des faits raisonnable, elle doit être admise en preuve. Une fois la preuve admise, le jury demeure l'arbitre ultime de l'utilisation qui en sera faite et de sa véracité.
( The Law of Evidence (6 e éd. 2011), p. 122-123)
Voir R. c. Hawkins , [1996] 3 R.C.S. 1043, par. 75; et Khelawon , par. 50-52.
[25] Le seuil de fiabilité joue un rôle important. Les règles de preuve et les principes régissant l'admissibilité existent parce que l'expérience révèle que certains types de preuve peuvent être présumés peu fiables (ou préjudiciables) et risquent de compromettre la fonction de recherche de la vérité du procès. Les règles d'admissibilité ont pour objet l'équité du procès et assurent la prévisibilité. Elles permettent aussi de circonscrire la portée des procès criminels afin d'en assurer la bonne marche et de faire en sorte qu'ils demeurent axés sur la preuve probante et pertinente.
B. Admissibilité des déclarations antérieures incompatibles
[26] Dans le passé, une déclaration extrajudiciaire antérieure incompatible faite par un témoin non accusé n'était admissible que dans le but d'attaquer la crédibilité de ce témoin. Une telle déclaration — qui constitue une preuve par ouï‑dire — n'était pas admissible comme preuve de la véracité de son contenu sauf si le témoin l'adoptait au procès. Sinon, le jury ne pouvait que rejeter le témoignage de vive voix du témoin qui s'était rétracté; il ne pouvait y substituer le contenu de la déclaration extrajudiciaire.
[27] Cette règle traditionnelle excluant les déclarations antérieures incompatibles a été modifiée dans K.G.B. en phase avec l'évolution de la méthode d'analyse raisonnée en matière de ouï‑dire. Exceptionnellement, une déclaration antérieure incompatible est admissible comme preuve de la véracité de son contenu s'il est satisfait aux critères de nécessité et de fiabilité.
[28] Dans K.G.B. , p. 787, le juge en chef Lamer affirme que, dans le cas des déclarations antérieures incompatibles, l'examen est axé « sur la fiabilité relative de la déclaration antérieure et du témoignage entendu au procès, de sorte que des indices et garanties de fiabilité [. . .] doivent être prévus afin que la déclaration antérieure soit soumise à une norme de fiabilité comparable avant que les déclarations de ce genre soient admises quant au fond ».
[29] Par conséquent, le juge en chef Lamer conclut aux p. 795-796 qu'une déclaration antérieure incompatible d'un témoin non accusé peut être admise comme preuve de la véracité de son contenu si les indices de fiabilité énoncés dans K.G.B. sont présents : (1) le témoin fait la déclaration sous serment ou affirmation solennelle après avoir reçu une mise en garde au sujet des sanctions qui peuvent lui être infligées s'il ne dit pas la vérité, (2) la déclaration est enregistrée intégralement sur bande vidéo ou audio et (3) la partie adverse a la possibilité voulue de contre‑interroger le témoin au sujet de la déclaration. Les déclarations de type K.G.B. sont répandues, surtout dans les enquêtes relatives à un meurtre.
[30] Cependant, les indices énoncés dans K.G.B. ne constituent pas l'unique moyen d'établir le seuil de fiabilité. Dans le cas d'une déclaration antérieure incompatible, les éléments suivants peuvent permettre de satisfaire au critère : (1) l'existence de substituts adéquats permettant de vérifier la véracité et l'exactitude (fiabilité d'ordre procédural) et (2) des garanties circonstancielles suffisantes ou une fiabilité intrinsèque (fiabilité découlant de la nature de la preuve) : Khelawon , par. 61-63. Ces deux principales manières d'établir le seuil de fiabilité ne s'excluent pas mutuellement : R. c. Devine , 2008 CSC 36, [2008] 2 R.C.S. 283, par. 22.
[31] L'admissibilité d'une preuve par ouï‑dire, en l'occurrence la déclaration antérieure incompatible, est une question de droit. Évidemment, les conclusions de fait ayant mené à la décision commandent la déférence et ne sont pas remises en question en l'espèce. De même, le juge du procès est bien placé pour apprécier les dangers associés au ouï‑dire dans une affaire donnée et l'efficacité des garanties permettant de les écarter. Par conséquent, en l'absence d'une erreur de principe de la part du juge du procès, il faut faire preuve de retenue à l'égard de sa conclusion quant au seuil de fiabilité : R. c. Couture , 2007 CSC 28, [2007] 2 R.C.S. 517, par. 81.
[32] Pour obtenir la tenue d'un nouveau procès après un verdict d'acquittement, le ministère public doit démontrer que le juge du procès a commis une erreur et qu'il « serait raisonnable de penser [. . .] que l'erreur [. . .] [a] eu une incidence significative sur le verdict d'acquittement » : R. c. Graveline , 2006 CSC 16, [2006] 1 R.C.S. 609, par. 14. Il n'est toutefois pas tenu de prouver « que le verdict aurait nécessairement été différent » : Graveline , par. 14. Il s'agit tout de même d'un « lourd fardeau » pour le ministère public : R. c. Briscoe , 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411, par. 26.
VI. Application à l'espèce
[33] Étant donné que le juge du procès agit comme gardien en matière de preuve, je me penche d'abord sur les dangers particuliers associés au ouï‑dire qu'il a relevés en l'espèce à l'égard de la déclaration antérieure incompatible. Dans le contexte de la négociation du plaidoyer, D.S. avait de bonnes raisons de minimiser son rôle dans le crime et d'en rejeter la responsabilité sur l'appelant, un coaccusé, s'il voulait obtenir un jugement qui lui était favorable. Le juge du procès n'a pas eu la possibilité d'observer le comportement de D.S. ni d'évaluer son choix de mots puisque l'exposé conjoint des faits avait été rédigé par les avocats et qu'il ne s'agissait pas d'une déclaration spontanée. En invoquant le secret professionnel de l'avocat, D.S. a coupé court au contre‑interrogatoire.
[34] Le juge du procès s'est donc demandé si le contre‑interrogatoire de D.S. au procès de l'appelant donnerait au jury un moyen d'ordre procédural d'évaluer la véracité de la déclaration antérieure et s'il existait d'autres garanties circonstancielles de fiabilité.
A. Substituts d'ordre procédural : la possibilité de contre‑interroger le témoin qui se rétracte
[35] La principale raison qui milite pour l'admissibilité de la déclaration antérieure incompatible faite par un témoin non accusé comme preuve de la véracité de son contenu est la disponibilité de ce témoin pour un contre‑interrogatoire. Dans Couture , la juge Charron conclut que « la disponibilité du déclarant pour être contre‑interrogé contribue grandement à satisfaire à l'exigence d'autres moyens adéquats » de vérifier la preuve (par. 92) et que « [l]a possibilité de contre‑interroger [est] le facteur le plus concluant pour démontrer l'admissibilité » (par. 95).
[36] Lorsqu'il a évalué les moyens par lesquels le jury pourrait apprécier la véracité et l'exactitude de la déclaration de manière rationnelle, le juge du procès a souligné à juste titre l'importance du contre‑interrogatoire. Il a affirmé qu'il s'agissait là d'un moyen important par lequel le jury pouvait déterminer la fiabilité en dernière analyse de la déclaration antérieure d'un témoin. Cependant, en renvoyant à Conway , le juge du procès a fait remarquer que la possibilité d'un contre‑interrogatoire efficace de D.S. au procès de l'appelant serait [ traduction ] « dans une large mesure illusoire » en raison des trous de mémoire que faisait valoir D.S. à propos de l'exposé conjoint des faits et du fait qu'il avait invoqué le secret professionnel de l'avocat.
[37] Au sujet de ce type de privilège, le juge du procès a tenu les propos suivants :
[ traduction ] Le secret professionnel de l'avocat jouait pour soustraire [D.S.] et, évidemment, son avocat aux questions visant à expliquer comment il se faisait que la confession de [D.S.] — qu'il avait tiré le coup fatal et que l'accusé lui avait fourni l'arme et ordonné de tirer — a été faite le jour de son plaidoyer de culpabilité, près de deux ans après son arrestation, alors qu'il n'avait jamais avoué ou impliqué Yousanthan Youvarajah avant cette date. [d.a., vol. I, p. 59]
[38] L'intimée souscrit à l'opinion de la Cour d'appel de l'Ontario selon laquelle le juge du procès a attribué à tort une portée excessive au secret professionnel de l'avocat et a négligé les autres avenues importantes que les avocats auraient pu explorer en contre‑interrogatoire. La Cour d'appel était d'avis que le juge du procès avait commis une erreur en se fondant sur Conway pour conclure que le contre‑interrogatoire de D.S. serait [ traduction ] « dans une large mesure illusoire ». Par conséquent, selon elle, le juge du procès aurait peut‑être admis l'exposé conjoint des faits s'il avait envisagé la possibilité d'un contre‑interrogatoire élargi servant à en apprécier la fiabilité.
[39] Selon la Cour d'appel, l'avocat et le juge du procès semblaient [ traduction ] « croire à tort » que le secret professionnel de l'avocat aurait pour effet de soustraire D.S. à certaines questions à l'égard de l'exposé conjoint des faits (2011 ONCA 654, 107 O.R. (3d) 401, par. 93). De plus, au par. 95, la Cour d'appel reprend les propos du juge du procès portant qu'[ traduction ] « aucun témoin juriste ayant [déjà] parlé à [D.S.] » ne devrait être cité à témoigner (d.a., vol. II, p. 132).
B. Secret professionnel de l'avocat
[40] Suivant une interprétation stricte du passage précité, je conviens que le juge du procès a attribué une portée excessive au secret professionnel de l'avocat. Il aurait été plus juste de dire que ce privilège soustrayait D.S. à de nombreuses questions sur sa décision d'accepter le plaidoyer et les raisons qui l'avaient motivé à impliquer l'appelant. La juge Simmons, s'exprimant au nom des juges unanimes de la Cour d'appel, a énuméré plusieurs avenues qui s'offraient au ministère public en contre‑interrogatoire (voir par. 84).
[41] Cependant, pour les raisons énoncées ci‑après, selon mon interprétation des motifs et du dossier relatif au voir‑dire, je ne suis pas convaincue que le juge du procès a conclu à tort que le contre‑interrogatoire était [ traduction ] « dans une large mesure illusoire » et ne suffirait pas à écarter les dangers associés au ouï‑dire en l'espèce. Je ne crois pas non plus que le juge du procès ait empêché le ministère public de procéder à un contre‑interrogatoire plus poussé du témoin ou d'en citer d'autres à témoigner sur la rédaction de l'exposé conjoint des faits. Enfin, je ne suis pas non plus convaincue que l'attribution d'une portée excessive au secret professionnel de l'avocat a eu une incidence significative sur la conclusion selon laquelle le contre‑interrogatoire ne constituait pas, en l'espèce, un moyen suffisant d'établir le seuil de fiabilité.
[42] Dès lors que D.S. a confirmé qu'il ne renonçait pas au privilège du secret professionnel de l'avocat, le ministère public a choisi de mettre fin au contre‑interrogatoire. Le juge du procès n'a pas laissé entendre qu'il fallait couper court à cette étape de la procédure dans le cadre du voir‑dire.
[43] L'échange entre l'avocat du ministère public et le juge du procès reproduit plus bas a eu lieu après qu'un avocat indépendant a confirmé que D.S. ne renoncerait pas au privilège (d.a., vol. II, p. 132) :
[ traduction ]

[AVOCAT DU MINISTÈRE PUBLIC] : Et je n'envisage toujours pas, compte tenu des commentaires de M e Marentette [l'avocat indépendant de D.S.], je ne pense pas avoir besoin de citer d'autres témoins.

LA COUR : Aucun témoin juriste ayant déjà parlé à cet homme en tout cas.

[AVOCAT DU MINISTÈRE PUBLIC] : Bien.

LA COUR : Bien, je voulais dire que M e Marentette a le dernier mot à cet égard.

[AVOCAT DU MINISTÈRE PUBLIC] : Bien.
[44] Il faut situer cet échange entre le juge du procès et l'avocat du ministère public dans son contexte. Il ne s'agit pas d'une directive ou d'une décision interdisant de citer d'autres témoins. Le juge du procès n'a fait que reprendre l'affirmation de l'avocat du ministère public selon laquelle il ne citerait aucun [ traduction ] « témoin juriste ayant déjà parlé [au] » témoin (je souligne). On n'avait pas demandé au juge du procès de trancher. Si l'avocat du ministère public avait voulu présenter d'autres preuves, il aurait pu s'adresser au juge du procès, qui aurait sans doute demandé que des observations lui soient présentées et aurait étudié l'étendue des restrictions qu'emporte le secret professionnel de l'avocat avant de se prononcer.
[45] Comme il s'agissait du même avocat qui avait poursuivi D.S. dans le cadre d'un procès distinct devant le tribunal pour adolescents, négocié le plaidoyer et rédigé l'exposé conjoint des faits, il savait ce que D.S. ou ses avocats pouvaient dire à ce sujet sans violer le secret professionnel de l'avocat. Par conséquent, je rejette l'argument selon lequel le juge du procès a restreint la portée de la preuve lors du voir‑dire.
[46] J'estime que la manière dont le voir‑dire s'est déroulé est attribuable principalement aux décisions de la poursuite. Le juge du procès n'a pas empêché l'avocat du ministère public d'appeler d'autres témoins à la barre ou d'interroger davantage D.S. Le ministère public ne peut demander la tenue d'un nouveau procès au motif que la poursuite aurait dû être menée différemment.
[47] En outre, il ne faut pas supposer à la lecture de cet échange que le juge du procès n'avait pas bien saisi la portée du secret professionnel de l'avocat quand il a rendu sa décision à l'issue du voir‑dire. Les juges de procès sont présumés connaître le droit. En outre, vu le contexte de cet échange informel, je ne crois pas qu'il permette de conclure que le juge du procès n'avait pas saisi la portée du privilège. Le juge n'énonçait pas un principe juridique ni ne rendait de décision.
[48] Enfin, abstraction faite des sujets sur lesquels aurait pu porter le contre‑interrogatoire, en réalité, le secret professionnel de l'avocat restreindrait sensiblement les questions visant à déterminer si la déclaration antérieure incompatible atteint le seuil de fiabilité. Le ministère public n'aurait pas pu s'enquérir des conversations entre D.S. et son avocat au sujet des conseils juridiques sous‑tendant la décision du premier de plaider coupable ou de souscrire l'exposé conjoint des faits.
[49] Bref, D.S. est revenu sur les parties de l'exposé conjoint des faits qui impliquaient l'appelant et y a substitué des affirmations exonérant ce dernier. Le contre‑interrogatoire de D.S. n'a pas permis d'expliquer pourquoi il avait fait une telle volte‑face et rétracté les déclarations qui mêlaient l'appelant au meurtre. Au par. 46 de l'arrêt U. (F.J.) , la Cour affirme que si le témoin « donne une explication du changement de son récit, le juge des faits sera en mesure d'évaluer les deux versions du récit, ainsi que l'explication ». Les professeurs Paciocco et Stuesser font également observer qu'[ traduction ] « il est seulement possible de vérifier la rétractation du témoin si ce dernier admet avoir fait la déclaration antérieure et qu'il explique sa rétractation » (p. 131 (je souligne)). Voir également Khelawon , par. 76.
[50] En l'espèce, le secret professionnel de l'avocat empêcherait le juge des faits d'examiner pleinement toute explication donnée. Il ressort de la jurisprudence que la partie adverse doit avoir la « possibilité voulue de contre‑interroger le témoin au sujet de la déclaration » : K.G.B. , p. 796 (je souligne). Pour reprendre les propos de la juge Charron, dans l'arrêt Devine :
Il est important de noter que la disponibilité du déclarant pour être contre‑interrogé ne fera pas nécessairement pencher la balance du côté de l'admissibilité. Pour que ce facteur milite en faveur de l'admission, la partie adverse doit avoir eu la « possibilité voulue de contre‑interroger le témoin » au procès ( K.G.B. , p. 796). [par. 26]
[51] Le juge du procès a renvoyé à Conway , une affaire dans laquelle le témoin ne se rappelait pas avoir fait la déclaration antérieure, de sorte que le contre‑interrogatoire n'aurait pas permis de déterminer laquelle des deux versions était vraie. Or, en l'espèce, le juge du procès disposait de deux versions des faits susceptibles de faire l'objet d'un contre‑interrogatoire (c.-à-d. l'exposé conjoint des faits et le témoignage de D.S. au procès de l'appelant).
[52] Le juge du procès a souligné qu'en plus de s'être rétracté et directement contredit, D.S. avait invoqué des trous de mémoire importants. Je ne suis pas convaincue qu'une juste lecture des motifs du juge du procès révèle qu'il a mal compris la règle de droit. Bien qu'il ait cité l'arrêt Conway , dont les circonstances différaient quelque peu de la présente espèce, les passages qu'il a repris étaient pertinents.
[53] On l'a vu, le secret professionnel de l'avocat aurait grandement limité l'efficacité du contre‑interrogatoire. Par conséquent, même si le juge du procès avait commis une erreur en attribuant une portée excessive à ce privilège ou en faisant l'analogie avec l'arrêt Conway , je ne crois pas qu'elle a eu une incidence significative sur l'issue en pareilles circonstances.
[54] Vu la nature des dangers associés au ouï‑dire dans ce cas, le juge du procès n'a pas fait erreur en concluant que seul un contre‑interrogatoire complet aurait permis de les écarter. En l'espèce, le contre‑interrogatoire au procès serait fort limité par le secret professionnel de l'avocat invoqué. La déclaration n'avait pas été enregistrée sur bande vidéo. Elle n'avait pas été faite sous serment ni précédée d'une affirmation solennelle. La transcription de l'audience relative au plaidoyer de culpabilité reproduisait les termes de la déclaration antérieure, mais ne constituait pas un substitut adéquat permettant d'apprécier le comportement et la crédibilité de D.S. au moment de la déclaration. Enfin, l'exposé conjoint des faits n'était pas une déclaration spontanée et ne reprenait pas les paroles de D.S. Dans les circonstances, je ne puis reconnaître que le juge du procès a commis une erreur en concluant à l'inexistence de substituts adéquats qui auraient permis de mettre à l'épreuve le témoignage et d'en évaluer la véracité.
C. Fiabilité intrinsèque : les circonstances entourant la préparation et la présentation de l'exposé conjoint des faits
[55] Si les circonstances dans lesquelles la déclaration extrajudiciaire est faite ne suscitent pas de préoccupations quant à sa véracité, la déclaration présente une fiabilité intrinsèque ou fiabilité découlant de la nature de la preuve.
[56] La Cour d'appel de l'Ontario a conclu que le juge du procès avait eu tort de ne pas se demander si les circonstances entourant la préparation et la lecture de l'exposé conjoint des faits révélaient une fiabilité intrinsèque permettant d'établir que le seuil de fiabilité était atteint.
[57] À mon avis, les garanties circonstancielles de fiabilité invoquées par l'intimée — à savoir le processus exhaustif de rédaction de l'exposé conjoint des faits, la participation des avocats et le caractère solennel de l'audience relative au plaidoyer de culpabilité — ne permettent pas d'établir que les déclarations rétractées, qui minimisaient le rôle de D.S. dans le meurtre et en rejetaient la responsabilité sur l'appelant, atteignaient le seuil de fiabilité. Dans les circonstances de l'espèce, la formalité de la procédure et la participation des avocats ne sont garantes que des déclarations de D.S. dans lesquelles il avoue sa culpabilité relativement au meurtre.
[58] Certes, le plaidoyer de culpabilité de D.S. revêtait un caractère solennel. L'exposé conjoint des faits avait été rédigé par la poursuite et la défense. D.S. et son avocat l'ont signé et attesté à l'audience publique, au moment de l'inscription du plaidoyer de culpabilité pour meurtre au deuxième degré. D.S. était représenté par un avocat au moment où il a souscrit l'exposé conjoint des faits, et ce document a servi de fondement à la déclaration de culpabilité et à la détermination de la peine.
[59] Dans la mesure où l'exposé conjoint des faits incriminait D.S., allait à l'encontre de ses intérêts et constituait un aveu de sa culpabilité à l'audience, ces circonstances invitent fortement à conclure à la fiabilité de ces déclarations pour démontrer la conduite criminelle de D.S. Toutefois, la raison qui justifie l'admissibilité de la déclaration contre l'intérêt de son auteur ne tient plus lorsqu'il s'agit d'opposer cette déclaration à un tiers.
[60] En l'espèce, les passages de l'exposé conjoint des faits que le ministère public entendait faire admettre au procès de l'appelant avaient pour effet de transférer la responsabilité du meurtre de D.S., le tireur, à son coaccusé, l'appelant. Il s'agissait d'éléments susceptibles de fonder un plaidoyer de culpabilité pour meurtre au deuxième degré, une infraction moindre, de même qu'une peine plus clémente.
[61] De plus, la participation de l'avocat de la défense n'écarte pas le risque que l'accusé atteste de fausses allégations incriminant un tiers dans le but d'obtenir un plaidoyer de culpabilité qui lui soit favorable. Les avocats ont l'obligation déontologique de ne pas induire sciemment le tribunal en erreur. Toutefois, ils ne sont pas tenus de vérifier la véracité des renseignements qu'ils présentent; l'obligation entre en jeu seulement s'ils détiennent des renseignements menant à la [ traduction ] « conclusion inévitable » qu'une allégation est fausse. Voir M. Proulx et D. Layton, Ethics and Canadian Criminal Law (2001), p. 40-47 et 460.
[62] On ne saurait prétendre que le caractère solennel des circonstances ou la participation des avocats accroît la fiabilité intrinsèque de la déclaration, dans la mesure où celle‑ci incrimine un tiers — en l'occurrence un coaccusé. Le droit criminel se méfie généralement, et ce à juste titre, des déclarations accablantes contre un complice. Il est depuis longtemps reconnu que le témoignage d'un complice contre un autre risque d'être intéressé et qu'il est hasardeux de s'y fier en l'absence d'éléments corroborants. Le fait que ces déclarations soient consignées dans l'exposé conjoint des faits n'assure pas leur fiabilité. En effet, les déclarations d'un coaccusé ou d'un complice sont reconnues comme étant intrinsèquement peu fiables.
[63] Par exemple, par une mise en garde de type Vetrovec , le juge du procès demande aux jurés d'examiner « les facteurs susceptibles de miner [la] crédibilité [du témoignage du coaccusé ou des complices] » : R. c. Khela , 2009 CSC 4, [2009] 1 R.C.S. 104, par. 31. Dans de telles circonstances, le juge des faits peut déterminer si le« témoignage, évalué de façon appropriée, surmont[e] ses origines suspectes » : R. c. Brooks , 2000 CSC 11, [2000] 1 R.C.S. 237, par. 69.
[64] Ce n'est pas dans l'intérêt de l'administration de la justice que d'admettre en preuve contre un prévenu des aveux intéressés, faits par son coaccusé dans le but de négocier un chef d'accusation moindre et une peine qui lui soit favorable, lorsque la fiabilité des déclarations ne peut être adéquatement vérifiée.
[65] En l'espèce, le juge du procès était sensible aux circonstances entourant la préparation et la lecture de l'exposé conjoint des faits. Il les a décrites en détail, celles qui faisaient pencher la balance en faveur de la fiabilité comme les autres. Il s'est demandé si la solennité de l'audience relative au plaidoyer de culpabilité de D.S. permettait d'établir la fiabilité de l'exposé conjoint des faits. Il a reconnu que l'avocat de la défense avait aidé l'avocat du ministère public à le rédiger et que, d'après les déclarations faites lors du voir-dire, les renseignements sur la provenance de l'arme émanaient de la défense. Le juge du procès a également souligné l'affirmation de D.S. selon laquelle il n'avait pas compris tous les mots figurant dans l'exposé conjoint des faits et la garantie qui lui avait été donnée qu'il n'aurait plus à faire d'autres déclarations à la police, qui était l'une des raisons l'ayant incité à accepter le plaidoyer.
[66] Le juge du procès a admis qu'il était dans l'intérêt de D.S. de minimiser son rôle dans l'affaire s'il voulait obtenir une peine spécifique pour meurtre au deuxième degré. En effet, D.S. a déclaré avoir convenu de certains faits dont il n'avait pas une connaissance personnelle ou qu'il savait faux pour être admissible à la négociation de plaidoyer. Dans ce contexte, D.S. avait de bonnes raisons de minimiser sa propre conduite et d'amplifier celle de son coaccusé.
[67] Compte tenu des circonstances de l'espèce, je ne puis conclure que le juge du procès a fait erreur en omettant d'examiner si le caractère solennel de l'audience ou la participation des avocats constituaient des garanties circonstancielles de fiabilité découlant de la nature de la preuve.
VII. Résumé et conclusion
[68] Le juge du procès a peut‑être attribué une portée excessive au secret professionnel de l'avocat et aux conséquences de l'application de ce privilège sur le contre‑interrogatoire de D.S., mais je ne suis pas convaincue que le ministère public a prouvé qu'une quelconque erreur aurait eu une incidence significative sur la conclusion du juge du procès.
[69] Les circonstances soulignées par ce dernier suscitent des préoccupations non négligeables quant à savoir si certains passages de l'exposé conjoint des faits que le ministère public voulait invoquer au procès de l'appelant, lesquels minimisent le rôle de D.S. dans le meurtre, atteignent le seuil de fiabilité nécessaire. D.S. a souscrit l'exposé conjoint des faits dans le cadre de la négociation d'un plaidoyer de culpabilité pour meurtre au deuxième degré et d'une peine spécifique. Dans ces circonstances, il avait de bonnes raisons de rejeter la responsabilité sur son coaccusé. On lui avait assuré qu'il n'aurait pas à faire d'autres déclarations à la police, et il a affirmé au procès de l'appelant qu'il avait accepté l'entente sur le plaidoyer notamment pour cette raison. D.S. a ajouté qu'il avait convenu de certains faits dans l'exposé conjoint des faits dont il n'avait pas ou n'aurait pas pu avoir connaissance et qu'il n'avait pas compris tout le contenu de l'exposé avant de le souscrire. Les passages qui rejettent la responsabilité du meurtre sur l'appelant sont intrinsèquement peu fiables.
[70] En outre, le juge du procès a relevé des facteurs qui nuisaient à l'appréciation de la véracité de la déclaration antérieure incompatible. La déclaration n'avait été ni enregistrée sur bande vidéo ni faite sous serment. Il n'y a eu aucune possibilité d'évaluer le comportement de D.S. ou son choix spontané de mots. Les policiers et l'avocat du ministère public ont décidé de ne pas enregistrer la déclaration sur bande vidéo, sous serment, comme cela se fait couramment, surtout dans les affaires d'homicide.
[71] Compte tenu de ces problèmes, seule la possibilité voulue de contre‑interroger D.S. aurait véritablement permis d'évaluer la fiabilité de ses déclarations. Le fait qu'il ait invoqué le secret professionnel de l'avocat a toutefois écarté cette possibilité.
[72] Le juge du procès n'a pas commis d'erreur en concluant que le jury ne disposerait pas des outils nécessaires pour apprécier la véracité des passages disculpatoires de l'exposé conjoint des faits. Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de rétablir l'acquittement.
Version française des motifs des juges Rothstein et Wagner rendus par
Le juge Wagner ( dissident ) —
I. Contexte
[73] La présente affaire porte essentiellement sur l'admissibilité de déclarations relatées selon la méthode d'analyse raisonnée du ouï‑dire fondée sur la nécessité et la fiabilité. La preuve par ouï‑dire qui nous intéresse en l'espèce est une déclaration antérieure incompatible avec le témoignage livré par son auteur — aussi le coaccusé — lors du procès de l'accusé. Il s'agit plus précisément d'un exposé conjoint des faits qui a été lu à l'occasion du plaidoyer de culpabilité du coaccusé, jugé séparément en tant que jeune contrevenant.
[74] Bien qu'il existe une abondante jurisprudence sur les déclarations antérieures incompatibles qu'il convient ou non d'admettre en preuve selon la méthode d'analyse raisonnée, deux difficultés en rendent l'application unique dans la présente affaire. Tout d'abord, à la différence des déclarations faites à la police et des déclarations extrajudiciaires sur lesquelles la jurisprudence s'est surtout attardée jusqu'ici, l'exposé conjoint des faits a été accepté par les tribunaux comme faisant partie du plaidoyer de culpabilité, et a été pris en compte pour déterminer la peine du coaccusé relativement à sa participation au crime en question. De plus, l'examen fondé sur la méthode d'analyse raisonnée a été, en l'espèce, entaché d'erreurs procédurales attribuables tant aux agissements du juge du procès qu'à ceux des avocats du ministère public et de la défense. En gardant à l'esprit ces deux différences et pour les motifs qui suivent, j'estime que la question de l'admissibilité devrait être réexaminée et tranchée dans le cadre d'un nouveau procès.
II. Les faits
[75] L'appelant, Yousanthan Youvarajah, est accusé du meurtre au premier degré d'Andrew Freake, qui a été abattu le 11 octobre 2007 lors d'une transaction de drogue qui a mal tourné. Bien que M. Youvarajah n'ait pas appuyé sur la détente, selon le ministère public, c'est lui qui a orchestré l'assassinat de M. Freake pour se venger, après s'être fait rouler lors de deux transactions antérieures de cocaïne.
[76] Les événements à l'origine de l'incident qui a coûté la vie à la victime ont commencé lorsque M. Youvarajah a appelé M. Freake pour organiser l'achat d'une livre et demie de marijuana. Après une série de reports — notamment à la suite d'une première rencontre dans un immeuble d'habitation et de deux changements du lieu où la transaction devait se dérouler en raison de la densité de la foule —, les individus se sont rencontrés au parc Clyde pour clore la transaction. M. Freake a suivi l'appelant dans le parc en compagnie de deux amis.
[77] M. Youvarajah était accompagné d'un jeune homme, D.S., et de deux autres connaissances, Abhishaik Shinde et Raibeen Mohammad. Ils se sont rendus au lieu fixé pour la rencontre à bord d'un véhicule utilitaire sport qui était conduit par M. Shinde. D.S. occupait le siège du passager avant et l'appelant était assis directement derrière lui. M. Mohammad se trouvait, pour sa part, derrière M. Shinde, sur la banquette arrière.
[78] Une fois à l'intérieur du parc, M. Shinde a conduit le véhicule jusqu'à un espace gazonné. M. Freake s'est arrêté dans un stationnement situé tout près, puis, avec un des deux hommes qui l'accompagnaient, il s'est approché du véhicule utilitaire sport à pied, apportant trois sachets de marijuana. Il a remis deux de ces sachets aux occupants du véhicule pour les faire vérifier. Après que M. Freake a refusé de passer le troisième sachet, D.S. a sorti un pistolet et l'a atteint d'un coup de feu à la poitrine.
[79] Quelques jours plus tard, D.S. et M. Youvarajah ont été arrêtés et accusés de meurtre au premier degré. D.S. a été accusé en tant que tireur, tandis que M. Youvarajah a été accusé d'avoir planifié et orchestré le meurtre. Comme il était adolescent, D.S. a été jugé séparément. Avec le consentement du ministère public, il a plaidé coupable à l'accusation de meurtre au deuxième degré. Un exposé conjoint des faits, signé par D.S., par ses deux avocats au procès et par le représentant du ministère public, a été lu à l'occasion de son plaidoyer de culpabilité et a été versé au dossier.
[80] Dans cet exposé conjoint des faits, D.S. affirmait que l'appelant : (1) lui avait donné le pistolet qui avait été utilisé pour le meurtre; (2) lui avait dit d'abattre M. Freake à un certain moment au cours de la transaction de stupéfiants; et (3) avait exigé que D.S. lui remette le pistolet après le meurtre. Ces trois éléments de l'exposé conjoint des faits étaient des éléments cruciaux de la preuve à charge contre M. Youvarajah.
[81] Au procès de l'appelant, D.S. a été appelé à témoigner au sujet du rôle présumément joué par M. Youvarajah pour planifier le meurtre. D.S. a confirmé qu'il était le tireur, mais le témoignage qu'il a donné au sujet du rôle joué par l'appelant a contredit certaines parties de l'exposé conjoint des faits, en l'occurrence les trois éléments mentionnés précédemment. À la barre des témoins, D.S. a affirmé : (1) qu'il avait obtenu le pistolet antérieurement, lors d'une introduction par effraction; (2) qu'il n'avait pas abattu M. Freake sur l'ordre de M. Youvarajah, mais parce que M. Freake lui avait manqué de respect; (3) qu'il avait jeté l'arme du crime à la rivière après le meurtre.
[82] Compte tenu du témoignage de D.S., le ministère public a demandé que l'exposé conjoint des faits soit admis en preuve pour établir la véracité de son contenu. Le juge du procès a rejeté la demande du ministère public, ayant conclu que l'exposé conjoint des faits ne satisfaisait pas au critère de fiabilité requise pour qu'il soit admis en preuve en vertu de la méthode d'analyse raisonnée du ouï‑dire. À défaut d'éléments de preuve pertinents impliquant l'accusé, le juge du procès a fait droit à sa demande d'un verdict imposé d'acquittement.
[83] Pour tirer ses conclusions, le juge du procès s'est concentré sur les trois indices de fiabilité énoncés dans R. c. B. (K.G.) , [1993] 1 R.C.S. 740 (« B. (K.G.) »). Après avoir fait observer que D.S. n'avait pas prêté serment, le juge du procès a conclu que le jury n'aurait pas la possibilité d'évaluer le comportement du témoin, puisque son plaidoyer de culpabilité n'avait pas été enregistré sur bande vidéo. En conséquence, le juge du procès a axé son analyse de la fiabilité sur la possibilité de contre‑interroger D.S.
[84] Au procès, l'avocat de la défense a fait valoir que le privilège du secret professionnel de l'avocat pouvait empêcher l'interrogatoire de D.S. sur l'exposé conjoint des faits. D.S. s'était vu offrir la possibilité d'obtenir des conseils juridiques indépendants. Après avoir consulté M e Marentette, un avocat indépendant, D.S. a informé le tribunal qu'il refusait de renoncer au privilège du secret professionnel de l'avocat de quelque manière que ce soit. Le juge du procès s'est alors dit d'avis que, comme D.S. invoquait ce privilège, toute possibilité de le contre‑interroger relativement à l'exposé conjoint des faits devenait illusoire.
[85] Dans ses motifs, le juge du procès a aussi fait observer qu'on ne trouvait dans l'exposé conjoint des faits aucun indice de fiabilité autre que les trois énoncés dans B. (K.G.) . Il a précisé, par exemple, que l'exposé n'était pas le fruit d'une déclaration spontanée et que son libellé ne correspondait pas aux propres mots de D.S. En outre, les circonstances dans lesquelles il avait été rédigé permettaient au tribunal de penser que D.S. avait des raisons de mentir pour obtenir une peine moins sévère en plaidant coupable. Le juge du procès a également noté que D.S. n'avait jamais été informé des conséquences pénales auxquelles il s'exposait s'il se rétractait ultérieurement.
[86] Le ministère public a porté la décision en appel devant la Cour d'appel de l'Ontario, qui a annulé l'acquittement et ordonné la tenue d'un nouveau procès. Dans ses motifs, la juge Simmons a abordé trois questions. Premièrement, elle a estimé que le juge du procès avait commis une erreur en concluant que la possibilité de contre‑interroger D.S. était illusoire. Plus précisément, la juge Simmons a estimé que le juge du procès s'était [traduction] « contenté d'entériner » la thèse tant de l'avocat de la défense que de l'avocat du ministère public suivant laquelle ni D.S. ni son avocat ne pouvaient être contre-interrogés relativement aux circonstances à l'origine de l'exposé conjoint des faits, puisque D.S. avait invoqué le privilège du secret professionnel de l'avocat (2011 ONCA 654, 107 O.R. (3d) 401, par. 95). La juge Simmons a également établi une distinction entre la cause dont elle était saisie et l'arrêt R. c. Conway (1997), 36 O.R. (3d) 579, parce que, dans cette dernière affaire, la Cour d'appel de l'Ontario avait conclu que la possibilité de procéder au contre‑interrogatoire du témoin qui s'était rétracté était illusoire du fait que ce témoin ne pouvait se rappeler ses déclarations antérieures, tandis que, en l'espèce, la juge Simmons a conclu que D.S. pouvait, lui, se rappeler certaines parties de l'exposé conjoint des faits, notamment les trois éléments cruciaux de la preuve à charge contre M. Youvarajah.
[87] Deuxièmement, la juge Simmons a conclu que le juge du procès avait commis une erreur en insistant trop sur les garanties recommandées par l'arrêt B. (K.G.) , tout en ignorant d'autres facteurs pertinents en ce qui a trait à l'analyse de la fiabilité. Elle a conclu que l'incapacité du juge des faits d'évaluer le comportement du témoin parce qu'il n'était pas « présent » au moment où la déclaration a été faite (comme lors du visionnement d'une bande vidéo par exemple), n'était pas un facteur pertinent en raison du rôle minimal joué par D.S. au procès et du fait que les circonstances solennelles entourant le plaidoyer de culpabilité de D.S. ajoutaient à la fiabilité de la déclaration. En outre, selon la juge Simmons, on pouvait déduire que D.S. avait été informé des conséquences pénales d'une rétractation, puisque des avocats de la défense expérimentés avaient participé à la préparation et à la présentation de l'exposé conjoint des faits.
[88] Troisièmement, la juge Simmons a brièvement abordé la question des raisons personnelles qu'avait D.S. de mentir dans l'exposé conjoint des faits. Elle a conclu qu'il revenait au juge du nouveau procès de trancher cette question si les autres indices examinés n'étaient pas suffisants pour que soit atteint le seuil de fiabilité requis.
III. Questions en litige
[89] La question soumise à la Cour est simplement celle de savoir si l'exposé conjoint des faits était suffisamment fiable pour être admis en preuve pour établir la véracité de son contenu selon la méthode d'analyse raisonnée du ouï-dire fondée sur la nécessité et la fiabilité. Puisque la nécessité n'est pas en cause, l'analyse qui suit sera essentiellement axée sur la fiabilité de l'exposé en question. Cela dit, compte tenu des faits portés à la connaissance de la Cour, cette analyse soulève plusieurs sous-questions :
1. Le juge du procès a-t-il commis une erreur en estimant que la possibilité de contre‑interroger D.S. était illusoire du fait que ce dernier avait invoqué le privilège du secret professionnel de l'avocat?
2. La nature de l'exposé conjoint des faits et les circonstances dans lesquelles il a été rédigé et présenté fournissent‑elles suffisamment d'indices de fiabilité?
IV. Analyse
A. Rappel des règles d'admissibilité des déclarations antérieures incompatibles suivant la méthode d'analyse raisonnée
[90] La méthode d'analyse raisonnée en matière d'admissibilité des preuves par ouï‑dire a été adoptée par la Cour dans B. (K.G.) . Avant que cet arrêt ne soit prononcé, on ne pouvait utiliser les déclarations antérieures incompatibles ― ou toute forme de preuve par ouï‑dire ― que pour attaquer la crédibilité des témoins. Cette restriction visait à garantir que les éléments de preuve non vérifiés et peu fiables susceptibles de donner lieu à un verdict injuste soient exclus et que les plaideurs aient la possibilité de confronter les témoins dont la déposition leur était défavorable.
[91] Dans certains cas, la preuve par ouï‑dire risque peu de compromettre l'équité du procès. L'exclusion de ce type de preuve risque alors de nuire davantage au travail d'appréciation des faits du tribunal que son admission. En adoptant la méthode d'analyse raisonnée proposée dans B. (K.G.) , la Cour a tenté de trouver un meilleur équilibre entre l'équité du procès et l'objectif de recherche de la vérité poursuivi par les tribunaux. Suivant cette méthode d'analyse raisonnée, les déclarations relatées sont encore présumées non admissibles, mais elles peuvent être admises si leur nécessité et leur fiabilité sont suffisamment démontrées.
[92] Il y a nécessité lorsque des éléments de preuve importants menant à la vérité seraient par ailleurs perdus lorsqu'un témoin se rétracte. Vu l'ensemble des faits de l'espèce, il n'est pas nécessaire de pousser davantage ce volet de l'analyse.
[93] L'exigence de fiabilité quant à elle vise à déterminer les cas où les dangers inhérents à la preuve par ouï‑dire peuvent être surmontés. En effet, dans l'arrêt R. c. Khelawon , 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787, par. 62-63, la juge Charron a expliqué que, en règle générale, il sera satisfait à l'exigence de fiabilité s'il est démontré : soit (1) qu'il n'y a pas de préoccupation réelle quant au caractère véridique ou non de la déclaration, vu les circonstances dans lesquelles elle a été faite; soit (2) que le fait que la déclaration soit relatée ne suscite aucune préoccupation réelle puisque, dans les circonstances, sa véracité et son exactitude peuvent néanmoins être suffisamment vérifiées autrement qu'au moyen d'un contre-interrogatoire effectué au moment précis où elle est présentée. Ces deux principales façons de satisfaire à l'exigence de fiabilité ne s'excluent pas mutuellement, et elles servent uniquement de guides pour reconnaître les facteurs dont il y a lieu de tenir compte dans l'analyse de l'admissibilité.
[94] Dans l'affaire B. (K.G.) , la Cour s'est penchée sur l'existence de substituts acceptables aux garanties traditionnelles invoquées pour juger des preuves par ouï‑dire. Le problème d'admissibilité qui se posait dans l'affaire B. (K.G.) avait trait à des déclarations antérieures incompatibles faites par trois amis de l'accusé qui avaient dit à la police que ce dernier avait poignardé à mort la victime. Ces personnes étaient revenues sur leurs déclarations au procès et le ministère public cherchait à les faire admettre pour établir la véracité de leur contenu. Bien que la tenue d'un nouveau procès ait été ordonnée pour qu'il soit jugé de l'admissibilité des déclarations antérieures incompatibles, la Cour a pris soin d'expliquer la méthode raisonnée à utiliser pour procéder à l'analyse permettant de tirer une conclusion à cet égard.
[95] Le juge en chef Lamer a expliqué qu'il y a des garanties circonstancielles de fiabilité suffisantes s'il est satisfait à trois critères : (1) si la déclaration est faite sous serment ou affirmation ou déclaration solennelles après une mise en garde expresse au témoin quant à l'existence de sanctions pénales en cas de fausse déclaration, (2) si la déclaration est enregistrée intégralement sur bande vidéo, et (3) si la partie adverse a la possibilité de contre-interroger le témoin au procès.
[96] Fait important, le juge en chef Lamer a envisagé la possibilité de tenir compte d'autres indices de fiabilité, en déclarant à la p. 796 :
Subsidiairement, il se peut que d'autres garanties circonstancielles de fiabilité suffisent à rendre une telle déclaration admissible quant au fond, à la condition que le juge soit convaincu que les circonstances offrent des garanties suffisantes de fiabilité qui se substituent à celles que la règle du ouï‑dire exige habituellement.
[97] D'ailleurs, dans des décisions subséquentes, la Cour a estimé que la preuve par ouï‑dire était admissible même lorsque l'un ou l'autre des trois indices énoncés dans B. (K.G.) n'était pas présent. L'arrêt R. c. U. (F.J.) , [1995] 3 R.C.S. 764, en est un bon exemple. Dans cette affaire, l'accusé avait été arrêté à la suite d'un signalement selon lequel il avait eu des activités sexuelles avec sa fille âgée de 13 ans. Interrogés séparément par des policiers, l'accusé et sa fille avaient donné des versions détaillées correspondantes au sujet des mêmes faits et activités sexuelles, racontant notamment qu'ils avaient eu des rapports sexuels la nuit précédente. La question en litige en appel était celle de savoir si le juge du procès avait commis une erreur en permettant au jury de comparer la déclaration dont l'accusé s'était rétracté avec la déclaration antérieure incompatible dont la plaignante s'était rétractée. Malgré l'absence de serment et d'enregistrement sur bande vidéo des déclarations, la Cour a conclu que le seuil de fiabilité avait été atteint. Outre le fait qu'il était possible de contre‑interroger l'accusé, la Cour a constaté une « similitude frappante » entre la déclaration de l'accusé et celle de sa fille.
[98] Dans l'arrêt Khelawon , la Cour a en outre tenu à préciser que l'arrêt B. (K.G.) n'avait pas comme objectif de créer des catégories d'exceptions. L'admissibilité devait plutôt être déterminée, de préférence à l'application de critères rigides, cas par cas en fonction de la méthode d'analyse raisonnée en permettant aux indices du serment, de la présence à l'audience ou de l'enregistrement vidéo et du contre‑interrogatoire de servir de guide lors de l'examen de la fiabilité.
[99] Indépendamment des circonstances d'une affaire donnée et des indices dont il est possible de tenir compte dans le cadre de l'analyse de la fiabilité, il est crucial de ne pas perdre de vue l'objectif de recherche de la vérité qui est poursuivi dans le cadre de l'analyse de l'admissibilité selon la méthode raisonnée. Dans le cas de déclarations antérieures incompatibles, l'analyse de l'admissibilité ne vise pas à trancher de façon absolue la question de la fiabilité de la déclaration relatée par rapport au témoignage subséquent. Elle vise plutôt à assurer que la déclaration est suffisamment fiable pour que le juge des faits puisse y attribuer la valeur qui convient. Ainsi que la juge Charron l'a souligné dans Khelawon : « La règle d'exclusion générale reconnaît la difficulté pour le juge des faits d'apprécier le poids à donner, s'il y a lieu, à une déclaration d'une personne qui n'a été ni vue ni entendue et qui n'a pas eu à subir un contre‑interrogatoire » (par. 35).
[100] Ce principe a été énoncé dans B. (K.G.) , où la Cour a établi une distinction entre le seuil de fiabilité et la fiabilité absolue en déclarant ce qui suit :
En définitive, comme pour tout élément de preuve, c'est au juge des faits qu'il appartient de se prononcer sur la fiabilité de la déclaration et sur le poids qu'il y a lieu de lui accorder. Ce que vise l'élément fiabilité de l'analyse fondée sur des principes de la règle de l'exclusion du ouï‑dire, c'est un seuil de fiabilité, et non la fiabilité absolue ou indiscutable. [p. 787]
[101] Ainsi que la juge Charron l'a souligné aux par. 92-93 de l'arrêt Khelawon , cette distinction ne signifie pas que les facteurs pertinents devraient être rangés selon qu'ils se rapportent soit au seuil de fiabilité soit à la fiabilité absolue. On devrait plutôt adopter une approche plus fonctionnelle selon laquelle le contexte détermine si certains facteurs se rattachent davantage au seuil de fiabilité. L'analyse devrait se concentrer sur les dangers particuliers que comporte la preuve par ouï‑dire, de même que sur les circonstances invoquées pour écarter ces dangers. Cependant, « il est essentiel pour assurer l'intégrité du processus de constatation des faits que la question de la fiabilité en dernière analyse ne soit pas préjugée lors du voir‑dire portant sur l'admissibilité » (par. 93).
[102] Compte tenu de l'objectif de recherche de la vérité que poursuivent les tribunaux, je suis d'avis que le seuil de fiabilité devrait être interprété généreusement lors de l'analyse de l'admissibilité. L'équité du procès et la protection contre les dangers du ouï‑dire ne sont pas sacrifiées lorsque, en définitive, le juge des faits peut tirer des conclusions raisonnables quant à la valeur à accorder aux éléments de preuve soumis au tribunal. L'analyse de la fiabilité n'a pas à garantir une fiabilité absolue. Les circonstances entourant la preuve par ouï‑dire doivent plutôt fournir au juge des faits suffisamment d'éléments pour lui permettre d'apprécier la preuve et de lui accorder la valeur appropriée ainsi que pour, plus tard, se prononcer sur la fiabilité absolue.
B. Application à la présente affaire
[103] Comme l'analyse qui suit le démontrera, le juge du procès a commis une erreur en l'espèce en concluant que l'exposé conjoint des faits n'atteignait pas le seuil de fiabilité requis. Cela ne veut pas dire pour autant que les circonstances de la présente affaire offrent suffisamment de preuve pour pouvoir déterminer de manière concluante que l'exposé conjoint des faits était admissible. En réalité, l'analyse de l'admissibilité était incomplète et ne permettait pas au juge du procès d'exclure les éléments de preuve pertinents. Comme la Cour d'appel de l'Ontario l'a expliqué, la question de l'admissibilité devrait être examinée dans le cadre d'un nouveau procès au cours duquel la question du seuil de fiabilité pourrait être examinée comme il se doit.
(1) Nature de la preuve par ouï‑dire en question
[104] Les déclarations extrajudiciaires ne s'équivalent pas toutes. Cette idée ressort d'ailleurs du principe énoncé dans Khelawon suivant lequel la preuve par ouï-dire sera, en règle générale, admissible selon la méthode d'analyse raisonnée lorsqu'il existe soit une fiabilité inhérente, soit des circonstances qui permettent au juge des faits de vérifier la fiabilité. Bien qu'une grande partie de cette analyse s'articule autour de facteurs qui permettent de réduire les dangers du ouï-dire, on ne peut faire abstraction de la nature de la déclaration relatée sur laquelle la Cour est appelée à se pencher.
[105] Une grande partie de la jurisprudence relative à l'admissibilité des déclarations antérieures incompatibles porte sur des déclarations faites à la police (voir Khelawon ; B. (K.G.) ; U. (F.J.) ; R. c. Couture , 2007 CSC 28, [2007] 2 R.C.S. 517; R. c. Trieu (2005), 195 C.C.C. (3d) 373 (C.A. Ont.)) et, dans une moindre mesure, sur des déclarations extrajudiciaires (voir R. c. Blackman , 2008 CSC 37, [2008] 2 R.C.S. 298) ou sur des déclarations faites à l'enquête préliminaire en vue du procès lorsque l'admissibilité est en cause (voir R. c. Hawkins , [1996] 3 R.C.S. 1043).
[106] La déclaration relatée en cause dans la présente affaire est un exposé conjoint des faits, rédigé avec la contribution et l'assentiment de l'avocat du ministère public, de ceux de la défense et de l'accusé. Qui plus est, cette déclaration a été acceptée par un tribunal qui s'est appuyé sur elle pour déclarer un jeune contrevenant coupable du crime très grave de meurtre au deuxième degré. Bien que l'audience relative au plaidoyer de culpabilité et à l'exposé conjoint des faits ne renferme aucune mention explicite indiquant que le ministère public aurait accepté de porter des accusations réduites en échange d'une éventuelle collaboration de D.S. au procès de M. Youvarajah, l'entente sur le plaidoyer et les faits de l'espèce permettent certainement de le penser. En conséquence, on a utilisé, jusqu'à un certain point, l'exposé conjoint des faits pour réduire la peine infligée à D.S. pour un crime très grave.
[107] Les caractéristiques de l'exposé conjoint des faits, en l'espèce, sont relativement uniques lorsqu'on les compare à d'autres déclarations en cause dans la jurisprudence antérieure. Les déclarations extrajudiciaires et celles faites à la police ne sont généralement pas admises en preuve dans le cadre d'instances qui pourraient soit priver une personne de sa liberté en la condamnant à une peine d'emprisonnement, soit porter atteinte à l'intérêt qu'a la société à favoriser la dissuasion, la réhabilitation et la répression, sans parler de l'importance de protéger le public contre les contrevenants dangereux.
[108] Par contre, l'exposé conjoint des faits présenté à un tribunal comporte un degré de fiabilité intrinsèque que le système judiciaire reconnaît et sur lequel il mise implicitement dans le cadre de l'administration de la justice. Il s'ensuit que le refus d'admettre un tel exposé en preuve en vue d'en établir la véracité au cours d'une audience subséquente pour permettre au juge des faits de le soupeser et de l'évaluer est problématique lorsqu'on envisage la question sous l'angle plus large de la considération dont jouit le système d'administration de la justice. Que penser de cette administration si nos tribunaux considèrent qu'une déclaration est suffisamment fiable pour condamner un individu et modifier la durée de sa peine pour un crime aussi grave qu'un meurtre, mais refusent de soumettre cette même déclaration au juge des faits dans le cadre d'une autre instance pour lui permettre de soupeser et d'examiner cette déclaration à la lumière de la rétractation qui en a été faite?
[109] En principe, toute déclaration qui est admise en preuve par le tribunal pour établir la véracité de son contenu et qui est utilisée pour mettre dans la balance le droit à la liberté de l'accusé, d'une part, et des considérations sociales telles que la dissuasion et la répression, d'autre part, comporte implicitement un degré de fiabilité qui justifie qu'on en tienne compte lors de l'analyse de l'admissibilité au cours du procès ultérieur d'un tiers. Il ne s'ensuit pas pour autant que l'utilisation et l'admission de cette déclaration par le tribunal au cours d'une instance antérieure suffisent à elles seules à répondre à l'exigence de la fiabilité suivant la méthode d'analyse raisonnée. Il s'agit plutôt simplement d'un facteur dont il y a lieu de tenir compte dans le cadre de l'analyse de l'admissibilité, d'un facteur qui contribue à ce qu'il soit jugé que la déclaration en cause réponde au seuil de fiabilité requis.
[110] Certes, l'utilisation de telles déclarations lors de procès ultérieurs n'est pas sans risques. D'ailleurs, ces préoccupations ont été exprimées dans une série de décisions ontariennes qui ont invité à la prudence lorsqu'il s'agit d'examiner la possibilité d'admettre une déclaration en preuve pour établir la véracité de son contenu selon la méthode d'analyse raisonnée lorsque cette déclaration fait partie intégrante du plaidoyer de culpabilité antérieur d'un témoin (voir R. c. Tran , 2010 ONCA 471, 103 O.R. (3d) 131; R. c. D.P. , 2010 ONCA 563, 268 O.A.C. 118; R. c. McGee , 2009 CanLII 60789 (C.S.J. Ont.)). Il y a une foule de raisons pour lesquelles un accusé pourrait avoir intérêt à donner des renseignements non véridiques dans le contexte de l'enregistrement d'un plaidoyer de culpabilité, notamment pour qu'il obtienne une peine moins sévère, pour qu'il accélère le déroulement de multiples procès, pour qu'il se venge de la personne qui sera jugée après lui en témoignant comme collaborateur, voire parce qu'il ne comprend pas le sens de la déclaration ou des accusations portées contre lui.
[111] Toutefois, ces dangers potentiels n'existent pas dans tous les cas. En affirmant sans ambages que toutes ces déclarations ne sont pas fiables, on fait donc fi de la démarche nuancée que l'on doit suivre et dans le cadre de laquelle on doit tenir compte de facteurs qui viennent renforcer ou affaiblir la fiabilité de la déclaration lorsqu'on procède à l'analyse de la fiabilité en fonction du contexte particulier dans laquelle elle a été faite. Bien que la jurisprudence précitée ait à juste titre fait ressortir certaines des préoccupations que soulève ce type de déclaration en matière de fiabilité, elle ne dit rien au sujet des éventuels indices de fiabilité qui peuvent se dégager dans certaines circonstances. Sans avoir à faire preuve d'une grande imagination, on peut facilement concevoir des circonstances dans lesquelles le témoin qui ferait une déclaration défavorable à ses amis, aux membres de sa famille ou à des connaissances professionnelles et qui se rétracterait par la suite pourrait avoir à en souffrir sur le plan social ou même sur le plan physique. Ces conséquences sociales et physiques donnent une idée de la fiabilité qui peut être soupesée par rapport à l'intérêt qu'a le témoin à mentir. Il s'agit toutefois de considérations qui doivent être étayées par la preuve et par les circonstances uniques de chaque cas et il n'est peut-être même pas nécessaire de les examiner à fond à cette étape de l'analyse. Chose certaine, il n'est pas nécessaire d'examiner la motivation du témoin si on peut établir la fiabilité par d'autres moyens, mais elle reste néanmoins un élément susceptible d'établir un contexte lors de l'analyse du seuil de fiabilité.
[112] Je n'accepte pas plus l'argument suivant lequel seuls les éléments essentiels du crime qui sont allégués dans l'exposé conjoint des faits seraient admis comme preuve de la véracité de leur contenu par les tribunaux dans le cas d'un plaidoyer de culpabilité. Une telle proposition suppose que les tribunaux sont disposés à accepter une déclaration qui n'est vraie qu'en partie, dans la mesure où elle leur fournit les éléments nécessaires pour pouvoir condamner un individu. Outre les préoccupations évidentes concernant l'atteinte à la liberté des personnes ou la réduction des peines sur la base de documents qui sont réputés, à tout le moins en partie, peu fiables ou inexacts, cette proposition, si elle était acceptée, créerait une distinction arbitraire quant aux aspects d'un plaidoyer de culpabilité qui sont admis comme preuve de leur véracité.
[113] Certes, on pourrait prétendre que la fiabilité d'un plaidoyer de culpabilité dépend des admissions qu'a faites l'accusé à l'encontre de ses propres intérêts. Toutefois, comme je l'ai déjà affirmé, la nature d'une déclaration défavorable aux intérêts de l'accusé peut varier d'un cas à l'autre, selon les circonstances. D'ailleurs, un individu peut mettre en péril sa sécurité ou même sa vie en s'incriminant relativement à un crime grave. Ce facteur doit être examiné en fonction des circonstances de chaque affaire. Une règle rigide selon laquelle tous les plaidoyers de culpabilité enregistrés lors de procès de tiers ne sont pas fiables risquerait de nuire à l'objectif de recherche de la vérité poursuivi par les tribunaux.
[114] En outre, accepter qu'il soit nécessaire d'admettre uniquement les éléments essentiels d'un plaidoyer de culpabilité comme preuve de la véracité de leur contenu fait fi des liens indissociables qui unissent ce plaidoyer et la détermination de la peine. Les facteurs qui ne font pas partie des éléments essentiels d'un crime peuvent néanmoins s'avérer pertinents lorsqu'on examine les circonstances atténuantes et les circonstances aggravantes au moment de la détermination de la peine. Cela est particulièrement vrai lorsque le ministère public et l'avocat de l'accusé soumettent des observations conjointes au juge du procès au sujet de la peine à infliger et que le juge est appelé à déterminer si la peine recommandée est appropriée compte tenu de l'ensemble des circonstances du crime en question.
[115] S'agissant de l'affaire dont la Cour est saisie, les trois faits principaux qui se dégagent de l'exposé conjoint des faits et sur lesquels se fonde le ministère public ne sont certainement pas des éléments essentiels du crime commis par D.S. En effet, la provenance du pistolet, les raisons pour lesquelles D.S. a abattu M. Freake et la façon dont il s'est débarrassé du pistolet ne sont des éléments constitutifs ni de l' actus reus ni de la mens rea du crime qu'il a commis. Ces facteurs sont toutefois pertinents quant aux motivations de l'auteur du crime et quant au degré de planification et de réflexion — tous des facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer la peine. Permettre au juge de prendre ces facteurs en compte lors de la détermination de la peine tout en estimant qu'ils ne sont pas suffisamment fiables pour que le juge des faits les prenne même en considération dans une autre affaire conduirait à une application incohérente de la fiabilité de la preuve et soulèverait des doutes au sujet de l'administration de la justice.
[116] En résumé, en ce qui concerne le seuil de fiabilité, le fait que les tribunaux acceptent les déclarations qui sont lues à l'occasion du plaidoyer de culpabilité lorsqu'il s'agit de déclarer l'accusé coupable et de déterminer sa peine est un facteur qui milite en faveur de la fiabilité des déclarations incompatibles antérieures, même lorsque ces déclarations impliquent un tiers. Il ne serait pas prudent de tirer des conclusions générales au sujet des dangers que comporte ce genre de déclarations ou de leur fiabilité intrinsèque. Chaque cas devrait être examiné en fonction de ses circonstances propres lorsqu'il s'agit de déterminer le seuil de fiabilité; on devrait toutefois tenir compte du fait que, dans l'ensemble, les tribunaux acceptent les déclarations qui sont lues à l'occasion de plaidoyers de culpabilité et s'y fient.
[117] Bien qu'il soit justifié de se pencher sur la nature de la déclaration en question, il est quand même nécessaire, dans le cas qui nous occupe, de décider si l'exposé conjoint des faits satisfait aux exigences de la nécessité et de la fiabilité suivant la méthode d'analyse raisonnée. Comme la nécessité n'est pas en cause, le reste de mon analyse portera sur la question de savoir s'il a été satisfait au critère de fiabilité.
(2) Fiabilité
[118] La question essentielle soumise à la Cour est celle de savoir si le juge du procès a commis une erreur en concluant que l'exposé conjoint des faits n'était pas suffisamment fiable pour être admis en preuve en vue de prouver la véracité de son contenu. Pour les motifs qui suivent, je suis d'accord avec la conclusion de la Cour d'appel de l'Ontario selon laquelle le juge du procès n'a pas bien apprécié les indices de fiabilité qui existaient en l'espèce et que c'est à tort qu'il a estimé que la possibilité de contre‑interroger D.S. était illusoire. Bien que l'exposé conjoint des faits puisse en fin de compte s'avérer trop peu fiable pour être admis en preuve, l'appréciation du juge des faits n'était pas suffisante pour qu'il puisse tirer pareille conclusion. Ainsi que la juge Charron l'a souligné dans Khelawon , le facteur contextuel le plus important dans le cadre de l'analyse de la fiabilité est la possibilité de contre‑interroger le déclarant. C'est donc par là que je vais commencer mon analyse.
a) Contre‑interrogatoire
[119] La possibilité de contre‑interroger l'auteur d'une déclaration antérieure incompatible nécessite un examen sérieux dans le cadre de l'analyse de la fiabilité. Bien que les préoccupations que soulève la preuve par ouï‑dire existent encore, même lorsque le déclarant est présent au procès, la possibilité de le contre‑interroger contribue largement à apaiser ces préoccupations. Ainsi que le juge en chef Lamer l'a fait observer dans B. (K.G.) , « dans le cas des déclarations antérieures incompatibles, l'examen est axé sur la fiabilité relative de la déclaration antérieure et du témoignage entendu au procès » (p. 787). La possibilité de contre‑interroger l'auteur de la déclaration permet à la partie adverse de vérifier sa version la plus récente, tout en le confrontant à sa déclaration initiale. Comme l'a expliqué la juge Charron dans Khelawon (par. 41):
Ainsi, bien qu'il se puisse que la raison d'être de la règle d'exclusion générale ne soit pas aussi évidente lorsque le déclarant est disponible pour témoigner, elle reste la même, soit la difficulté de vérifier la fiabilité de la déclaration extrajudiciaire. La difficulté d'apprécier la déclaration extrajudiciaire de W explique pourquoi elle est visée par la définition du ouï‑dire et est assujettie à la règle d'exclusion générale. Toutefois, on le comprendra aisément, la difficulté peut être atténuée substantiellement lorsque le déclarant peut être contre‑interrogé au sujet de sa déclaration antérieure, en particulier lorsqu'il est possible de déposer en preuve un compte rendu exact de la déclaration. Je reviendrai sur cette question plus loin. Je ne tiens ici qu'à expliquer pourquoi, par définition, le ouï‑dire englobe les déclarations extrajudiciaires présentées pour établir la véracité de leur contenu, et ce, même lorsque le déclarant est devant le tribunal. [Je souligne.]
[120] La question à laquelle la Cour doit répondre est celle de savoir si le fait que D.S. a invoqué le privilège du secret professionnel de l'avocat a rendu le contre‑interrogatoire tellement illusoire qu'il ne pouvait contribuer à établir la fiabilité de sa déclaration antérieure. Pour les motifs qui suivent, je souscris à la conclusion de la Cour d'appel de l'Ontario suivant laquelle le juge du procès a commis une erreur en concluant que la possibilité de contre-interroger l'auteur de la déclaration était illusoire.
[121] La première erreur commise par le juge du procès a été d'exagérer l'étendue du privilège du secret professionnel de l'avocat ainsi que les répercussions qu'a eues, sur la possibilité de le contre‑interroger, le fait pour D.S. de l'invoquer. En effet, le juge du procès a estimé que le privilège du secret professionnel de l'avocat empêchait d'interroger D.S. et son ancien avocat au sujet des circonstances dans lesquelles le plaidoyer de culpabilité avait été enregistré, de celles dans lesquelles l'exposé conjoint des faits avait été rédigé et de la façon dont D.S. impliquait M. Youvarajah comme étant la personne qui lui avait remis le pistolet et lui avait ordonné de faire feu. Bien que j'hésite à donner au ministère public des consignes sur la façon d'agir lors d'un nouveau procès, j'estime que la Cour d'appel de l'Ontario a eu raison de conclure que la possibilité de contre‑interroger D.S. n'était pas entièrement perdue et que le juge du procès a mal compris tant la portée du privilège du secret professionnel de l'avocat que ses répercussions sur la possibilité de contre‑interroger D.S.
[122] Le secret professionnel de l'avocat vise à interdire la divulgation de toute communication échangée entre un avocat et un client — voulue confidentielle par ce dernier et faite dans le but légitime d'obtenir de l'aide ou des conseils professionnels licites — sauf si le client renonce à cette protection ou qu'une exception reconnue s'applique. J. H. Wigmore résume bien cette définition dans le passage suivant de son ouvrage Evidence in Trials at Common Law (McNaughton rev. 1961), vol. 8, p. 554, que la Cour a repris dans R. c. McClure , 2001 CSC 14, [2001] 1 R.C.S. 445, par. 36 :
[TRADUCTION] Les communications faites par le client qui consulte un conseiller juridique ès qualité, voulues confidentielles par le client, et qui ont pour fin d'obtenir un avis juridique font l'objet à son instance d'une protection permanente contre toute divulgation par le client ou le conseiller juridique, sous réserve de la renonciation à cette protection.
[123] Cette définition n'englobe pas toutes les communications échangées entre l'avocat et son client. Mais, fait encore plus important pour ce qui est de l'analyse de l'admissibilité dans le cas qui nous occupe, le privilège du secret professionnel de l'avocat n'empêchait pas de contre‑interroger D.S. sur plusieurs des aspects de l'exposé conjoint des faits. Plus précisément, la Cour d'appel de l'Ontario a relevé les six aspects suivants au sujet desquels D.S. aurait pu être contre‑interrogé si le juge du procès n'avait pas mal interprété la portée du privilège en cause :
(1) La compréhension qu'avait D.S. de l'exposé conjoint des faits;
(2) La compréhension qu'avait D.S. des conditions dont était assortie l'entente conclue quant au plaidoyer;
(3) La compréhension qu'avait D.S. des conséquences du fait d'induire la police, le tribunal et le ministère public en erreur;
(4) L'intérêt qu'avait D.S. à faire ce qu'il affirme maintenant être de fausses déclarations;
(5) Les directives données par D.S. à son avocat au sujet des communications faites au tribunal et au ministère public;
(6) La connaissance qu'avait D.S. de la thèse du ministère public au moment où il a donné ses instructions à son avocat.
[124] Il est vrai que le privilège du secret professionnel de l'avocat pouvait éventuellement être invoqué pour réduire l'éventail des questions relatives à ces six sujets. Il s'agit toutefois là d'une question qu'il revenait au juge du procès de régler au fur et à mesure que ces obstacles se présentaient. En tout état de cause, il était certainement possible de contre‑interroger D.S. relativement à ces six sujets. D'ailleurs, tant l'avocat de la défense que celui du ministère public ont contre‑interrogé D.S. sur certaines de ces questions précises et ont recueilli des renseignements qui auraient pu être pertinents pour apprécier la fiabilité de sa déclaration antérieure.
[125] Le ministère public a obtenu de D.S. des éléments de preuve au sujet de sa compréhension de l'exposé conjoint des faits. Plus précisément, D.S. a reconnu que, lorsqu'il avait plaidé coupable, il avait convenu que [ traduction ] « Yousanthan Youvarajah [lui] a[vait] remis [. . .] un petit pistolet noir chargé » et qu'il comprenait ce que cela voulait dire. De plus, le ministère public a lu à D.S. la déclaration suivante tirée de l'exposé conjoint des faits : « Après lui avoir remis le pistolet, Yousanthan Youvarajah a dit à [D.S.] d'abattre M. Freake à un certain moment au cours de la transaction de drogue » (d.a., vol. V, p. 62-63). Contre‑interrogé par le ministère public, D.S. a admis qu'il se souvenait que cette déclaration avait été lue à l'occasion de son plaidoyer de culpabilité et qu'il avait admis ces faits par l'entremise de son avocat.
[126] De même, l'avocat de la défense a été en mesure d'obtenir des renseignements importants au sujet des raisons qui avaient motivé D.S. à plaider coupable et à accepter l'exposé conjoint des faits. Plus précisément, contre‑interrogé par l'avocat de la défense, D.S. a admis qu'il avait été incité à plaider coupable notamment parce qu'il avait l'impression qu'il n'aurait plus à faire d'autres déclarations. Il s'est également dit d'accord avec l'assertion de l'avocat de la défense suivant laquelle il avait signé un exposé conjoint des faits sachant qu'il contenait de faux renseignements [ traduction ] « pour en finir avec toute cette histoire ce jour‑là en plaidant coupable de meurtre au deuxième degré » (d.a., vol. III, p. 92). L'avocat de la défense a également été en mesure de faire dire à D.S. qu'il n'avait jamais impliqué M. Youvarajah dans le meurtre jusqu'à ce qu'il plaide coupable le 17 septembre 2009.
[127] Ces exemples ne font qu'illustrer le type de renseignements que l'on pouvait obtenir en contre‑interrogatoire sans violer le secret professionnel de l'avocat revendiqué par D.S. Si le juge du procès avait autorisé le contre‑interrogatoire et s'il avait tranché les questions de privilège du secret professionnel de l'avocat au fur et à mesure qu'elles se seraient présentées, on aurait peut‑être pu mettre en lumière des renseignements suffisants pour qu'il soit satisfait au critère de fiabilité.
[128] L'appelant prétend que tout contre‑interrogatoire sur les six sujets mentionnés précédemment éluderait les questions critiques ou serait entièrement restreint par le privilège du secret professionnel de l'avocat. Je ne suis pas de cet avis. L'argument de l'appelant présuppose que la rétractation de D.S. découle de communications directes ou indirectes avec son avocat. Bien que cette hypothèse ne puisse certainement pas être écartée et qu'elle soit même probable, l'analyse de l'admissibilité ne saurait reposer sur des hypothèses. De plus, et comme j'y ai déjà fait allusion, on ne devrait pas appliquer de façon rigide et absolue des limites au contre‑interrogatoire lorsque le privilège du secret professionnel de l'avocat est invoqué. Les questions de privilège doivent plutôt être abordées au fur et à mesure qu'elles sont soulevées lors du contre‑interrogatoire. De cette manière, on peut quand même recueillir des renseignements pertinents dont le privilège du secret professionnel de l'avocat ne peut empêcher la communication, favorisant ainsi la recherche de la vérité qui est à la base de tout procès.
[129] Bien que la question n'ait pas été soumise à la Cour, il vaut la peine de mentionner que cette approche ne se veut pas une invitation lancée aux avocats de chercher à esquiver le privilège en amenant un témoin, qui ne se doute de rien et qui a de toute évidence invoqué le privilège du secret professionnel de l'avocat, à renoncer à ce privilège. Le secret professionnel de l'avocat est un élément fondamental du système juridique canadien et toute tentative éhontée visant à éroder le privilège du secret professionnel de l'avocat ne doit pas être encouragée. Bien que ce privilège ne soit pas absolu et qu'il existe des circonstances dans lesquelles il sera subordonné à d'autres droits, on ne doit pas encourager les manœuvres visant à tromper un témoin de manière à l'inciter à y renoncer.
[130] Comme D.S. aurait pu être contre-interrogé sur plusieurs sujets et que cela aurait pu aider à juger de la fiabilité de l'exposé conjoint des faits, le juge du procès a commis une erreur en concluant que D.S. ne pouvait pas être contre-interrogé au motif qu'il avait invoqué le privilège du secret professionnel de l'avocat.
[131] L'appelant soutient que cette conception erronée de la portée du privilège du secret professionnel de l'avocat est uniquement imputable à l'avocat du ministère public et que l'on ne peut tenir le juge du procès responsable des décisions stratégiques des avocats. Compte tenu des faits portés à la connaissance de la Cour, je ne puis souscrire à cet argument. L'avocat du ministère public a certainement mal saisi les conséquences du privilège revendiqué par D.S., mais la transcription nous donne des indices nous permettant clairement de penser qu'il n'a pas été le seul à commettre cette erreur. En effet, c'est l'avocat de la défense qui a lancé l'idée selon laquelle dès que D.S. a invoqué le privilège, le contre-interroger était exclu, un argument qui, que ce soit par hasard ou non, était favorable à la cause de l'accusé. L'avocat du ministère public a apparemment souscrit à ce point de vue en expliquant qu'il ne prévoyait pas assigner d'autres témoins puisque le privilège avait été invoqué. Le juge du procès n'a pas rectifié ces postulats erronés. Pour sa part, la juge Simmons de la Cour d'appel a fait observer à juste titre que : [ traduction ] « le juge du procès s'est contenté d'entériner cette façon de voir et a effectivement empêché le ministère public de réexaminer la possibilité de rappeler l'avocat de D.S. » (par. 95), comme le démontre à l'évidence l'échange suivant :
[traduction]
[ AVOCAT DU MINISTÈRE PUBLIC ] : Et je n'envisage toujours pas, compte tenu des commentaires de M e Marentette, je ne pense pas avoir besoin de citer d'autres témoins.
LA COUR : Aucun témoin juriste ayant déjà parlé à cet homme en tout cas.
[AVOCAT DU MINISTÈRE PUBLIC] : Bien.
LA COUR : Bien, je voulais dire que M e Marentette a le dernier mot à cet égard.
[AVOCAT DU MINISTÈRE PUBLIC] : Bien. [d.a., vol. II, p. 132]
[132] Les erreurs du juge du procès ressortent aussi à l'évidence du commentaire suivant qu'il a formulé : [ traduction ] « Et bien, on tombe sur le privilège du secret professionnel de l'avocat [. . .] à tout bout de champ dans ce dossier » (d.a., vol III, p. 1). Cela dit, le passage peut-être le plus révélateur est l'extrait suivant de ses motifs dans lequel le juge du procès a résumé les conséquences du privilège du secret professionnel de l'avocat sans avoir entendu le moindre argument sur la question :
[traduction ] Le privilège du secret professionnel de l'avocat interdisait de poser des questions à [D.S.] ou, évidemment, à son avocat, à propos de la raison pour laquelle la confession dans laquelle [D.S.] s'identifiait comme étant le tireur et impliquait l'accusé comme étant la personne lui ayant fourni l'arme et ordonné de tirer a été faite la même journée que son plaidoyer de culpabilité près de deux ans après son arrestation, alors qu'il n'avait jamais avoué ou impliqué Yousanthan Youvarajah. [d.a., vol. I, p. 59]
[133] L'appelant a raison d'affirmer qu'un juge doit demeurer l'arbitre impartial du procès et s'abstenir d'intervenir lorsque les parties ne soulèvent pas de questions se rapportant à la preuve (voir R. c. S.G.T. , 2010 CSC 20, [2010] 1 R.C.S. 688, par. 36). On ne saurait toutefois dire que le juge du procès, en l'espèce, est demeuré impartial en intervenant et en exprimant aussi clairement l'interdiction. L'argument de l'appelant serait plus convaincant si le juge du procès était resté muet sur la question et avait simplement permis à l'avocat du ministère public d'aller de l'avant. De toute évidence, ce n'est toutefois pas ce qui s'est passé. À tout le moins, les remarques du juge du procès ont influencé de façon irrégulière la conduite des avocats.
[134] Bien que l'appelant n'ait pas avancé devant la Cour l'argument selon lequel la présente affaire était analogue à la situation dans Conway , il convient de s'arrêter brièvement sur cet arrêt pour étayer la conclusion selon laquelle il n'était pas illusoire de contre‑interroger D.S.
[135] Dans l'affaire Conway , deux hommes avaient été accusés du meurtre au deuxième degré d'un homme âgé handicapé au cours d'un vol qualifié. Ils avaient plaidé non coupables aux accusations de meurtre, mais coupables à l'accusation moindre d'homicide involontaire coupable. En effet, ils soutenaient ne pas avoir eu la mens rea requise puisqu'ils avaient ingéré des substances intoxicantes avant de perpétrer l'infraction. Un des témoins avait fait une déclaration écrite à la police dans laquelle il niait être au courant du meurtre et avait par la suite fait une déclaration écrite dans laquelle il impliquait les accusés. Cette déclaration ne comportait aucun des indices de fiabilité énoncés dans B. (K.G.) . Au procès, le témoin ne se rappelait pas avoir fait ces déclarations écrites à la police. Pour conclure que la seconde déclaration écrite ne pouvait pas être admise en preuve pour établir la véracité de son contenu, le juge Labrosse a conclu que la possibilité de contre‑interroger un témoin qui s'était rétracté et qui affirmait n'avoir aucun souvenir de sa déclaration antérieure incompatible était illusoire.
[136] Il convient d'établir une distinction importante entre cette affaire et celle qui nous occupe. En effet, dans l'affaire Conway , on ne peut affirmer que les deux versions du témoin avaient été soumises au juge des faits. La déposition de ce témoin revenait à déclarer : [ traduction ] « je ne m'en souviens pas » (p. 589). Or, comme le juge Labrosse l'a souligné, la valeur du contre‑interrogatoire d'un témoin qui se rétracte réside dans l'évaluation de la fiabilité comparative des deux versions. Lorsque les deux versions ne peuvent être vérifiées par le juge des faits, on ne peut procéder à cette comparaison.
[137] Dans le cas qui nous occupe, le contre‑interrogatoire potentiel de D.S. quant à ses déclarations ne souffre pas des mêmes lacunes que celles qui avaient été signalées dans l'affaire Conway . La juge Simmons a affirmé à juste titre que, bien que D.S. eût tout d'abord prétendu ne pas se souvenir d'avoir signé l'exposé conjoint des faits, il avait par la suite confirmé qu'il se souvenait de certains des faits relatés dans ce document. D'ailleurs, la juge Simmons de la Cour d'appel a judicieusement souligné, au par. 74, que le juge du procès avait reconnu ce fait précis en déclarant que [ traduction ] « [l]orsqu'il a été contre‑interrogé par le ministère public, [D.S.] a admis avoir fait bon nombre ds déclarations contenues dans l'exposé conjoint des faits et a admis que beaucoup d'entre elles étaient vraies » (d.a., vol. I, p. 49‑50).
[138] Ainsi, bien qu'il soit possible que le contre‑interrogatoire du témoin qui se rétracte s'avère trop illusoire pour qu'on puisse procéder à une analyse de la fiabilité, ce n'était pas nécessairement le cas en l'espèce. D.S. était disponible pour être contre‑interrogé, il se souvenait d'avoir fait plusieurs des déclarations contenues dans l'exposé conjoint des faits, ne prétendait pas ne pas comprendre les faits essentiels de l'exposé conjoint des faits qu'il avait par la suite niés au procès de M. Youvarajah et se souvenait que l'exposé conjoint des faits avait été lu lors de l'audience durant laquelle il avait plaidé coupable. En conséquence, c'est à juste titre que la juge Simmons a conclu à une erreur du juge du procès du fait qu'il n'a pas vérifié [ traduction ] « si l'on pouvait, à bon droit, dire que les deux versions des faits avaient été soumises au tribunal et si D.S. se souvenait suffisamment des faits pour permettre au jury de déterminer laquelle des deux versions était véridique, le cas échéant » (par. 79).
[139] En conséquence, le juge du procès a commis une erreur en empêchant la tenue d'un contre‑interrogatoire qui aurait pu contribuer à établir le degré de fiabilité de l'exposé conjoint des faits. Compte tenu de l'importance du contre‑interrogatoire dans le cadre de l'analyse de l'admissibilité, cette erreur suffit à elle seule à justifier la tenue d'un nouveau procès. Toutefois, par souci d'exhaustivité et pour proposer certaines balises pour la tenue d'un nouveau procès, je vais brièvement examiner les erreurs commises par le juge du procès au sujet des autres indices de fiabilité.
b) Autres indices de fiabilité
[140] Les deux autres indices de fiabilité énoncés par B. (K.G.) — à savoir l'existence d'une déclaration faite sous serment et son enregistrement sur bande vidéo — n'existaient pas dans le cas de l'exposé conjoint des faits en l'espèce. L'analyse ne se termine toutefois pas là. En effet, l'analyse de la fiabilité ne se limite pas aux trois indices prévus dans B. (K.G.) . En fait, comme l'a affirmé le juge en chef Lamer dans cette affaire : « d'autres garanties circonstancielles de fiabilité suffisent à rendre une telle déclaration admissible quant au fond » (p. 796) . La Cour d'appel de l'Ontario a bien saisi cette nuance dans le cas qui nous occupe puisque la juge Simmons a déclaré que [ traduction ] « le point de mire de l'analyse du seuil de fiabilité peut changer selon les circonstances de l'espèce » (par. 123). Je suis également d'accord avec la conclusion de la Cour d'appel de l'Ontario suivant laquelle il existait, en l'espèce, d'autres facteurs qui auraient pu convaincre le juge du procès que les circonstances entourant la rédaction de l'exposé conjoint des faits et sa lecture à l'occasion du plaidoyer fournissaient des assurances de fiabilité équivalentes à un serment et à un enregistrement vidéo. Si ces indices avaient été examinés et que le contre-interrogatoire avait été autorisé, il aurait pu être satisfait au critère de fiabilité.
[141] Dans le cas qui nous occupe, c'est la nature de la déclaration et la façon dont elle a été élaborée qui constituent sans doute les indices de fiabilité les plus convaincants. Dans l'extrait déjà cité du par. 41 de Khelawon , la juge Charron a expliqué que, lorsque le déclarant peut être contre‑interrogé au sujet de sa déclaration antérieure, un compte rendu exact de sa déclaration contribue grandement à atténuer les dangers du ouï‑dire.
[142] L'exposé conjoint des faits déposé en preuve durant l'audience où D.S. a enregistré son plaidoyer de culpabilité constitue précisément un compte rendu de ce type. Comme il a été consigné par écrit, qu'il a été signé non seulement par D.S., mais aussi par le représentant du ministère public et par l'avocat de la défense et qu'il a été lu à l'occasion du plaidoyer de culpabilité de D.S., la manière dont la déclaration a été enregistrée est incontestable.
[143] La façon dont l'exposé conjoint des faits a été élaboré confirme également sa fiabilité. Il ne s'agit pas d'une déclaration qui a été rédigée unilatéralement et qu'on a forcé D.S. à adopter. Ce document a plutôt été rédigé en collaboration, et au moins un élément crucial de la preuve à charge du ministère public contre M. Youvarajah a été fourni par l'avocat de la défense, en l'occurrence l'affirmation suivant laquelle il avait fourni le pistolet à D.S.
[144] Qui plus est, ce dernier a eu la possibilité d'examiner l'exposé conjoint des faits avec son avocat avant de le signer et de l'adopter. Cet élément est important, car il réfute toutes inférences négatives tirées de ce document, du fait qu'il ne reprend pas mot à mot les propos de D.S., ou que ce dernier n'en aurait pas compris la teneur.
[145] L'appelant soutient à juste titre que l'obligation déontologique selon laquelle les avocats ne peuvent pas présenter sciemment de fausses déclarations au tribunal ne garantit pas la véracité du contenu de l'exposé conjoint des faits. Elle garantit toutefois jusqu'à un certain point que D.S. a été mis en garde au sujet des conséquences d'une fausse déclaration. Avant d'enregistrer un plaidoyer de culpabilité, l'avocat a l'obligation suivant le code de déontologie de s'assurer que son client : (1) est disposé à admettre de son plein gré les éléments de l'infraction et (2) comprend les implications et les conséquences éventuelles d'un plaidoyer de culpabilité, en particulier quant au pouvoir général et au pouvoir discrétionnaire du tribunal. En l'absence de preuve contraire en l'espèce, il n'est pas déraisonnable de présumer que l'avocat de la défense a conseillé D.S. sur la teneur de l'exposé conjoint des faits, sur les conséquences éventuelles d'impliquer l'appelant et les conséquences pénales d'une rétractation ultérieure. Cette hypothèse est également confirmée au dossier par l'aveu de D.S. suivant lequel il comprenait que son plaidoyer de culpabilité était fondé sur l'exposé conjoint des faits.
[146] Fait peut‑être encore plus important, D.S. a expliqué qu'il comprenait bien les trois éléments cruciaux de l'exposé conjoint des faits, à savoir que l'appelant lui avait donné le pistolet, lui avait dit d'abattre M. Freake et avait exigé qu'il lui remette le pistolet. À défaut d'éléments de preuve plus convaincants à l'effet contraire, tout argument que D.S. ne comprenait pas la teneur de l'exposé conjoint des faits se trouve d'emblée exclu.
[147] Indépendamment de la façon dont l'exposé conjoint des faits était libellé, le contexte de l'instance au cours de laquelle il a été versé au dossier et son contenu même fournissent des éléments supplémentaires qui appuient la thèse de l'atteinte du seuil de fiabilité. En effet, ainsi que la Cour d'appel de l'Ontario l'a déclaré : [ traduction ] « la solennité de l'occasion au cours de laquelle l'exposé conjoint des faits a été présenté » est une caractéristique qui favorise cette thèse (par. 137). Certes, dans un monde idéal, l'exposé en cause aurait été adopté sous la foi du serment ou d'une déclaration solennelle, mais la nature du plaidoyer de culpabilité peut contribuer à combler cette lacune lorsqu'on tient compte des autres indices de fiabilité portés à la connaissance du tribunal.
[148] La Cour d'appel de l'Ontario a également rejeté à bon droit l'affirmation du juge du procès suivant laquelle le manque de spontanéité de la déclaration et le fait qu'elle ne reprenait pas mot à mot les paroles de D.S. affaiblissaient sa fiabilité. Bien que la spontanéité puisse constituer un indice de fiabilité, son absence ne lui enlève pas nécessairement toute sa fiabilité à une déclaration. En ce qui concerne l'exposé conjoint des faits préparé dans le contexte d'un plaidoyer de culpabilité, la fiabilité ne se juge pas en fonction de la spontanéité, mais à la lumière des termes soigneusement choisis qui sont par la suite adoptés par le déclarant après un examen minutieux avec son avocat.
[149] Enfin, la Cour d'appel de l'Ontario a conclu que l'absence d'un enregistrement vidéo — lorsque l'exposé conjoint des faits a été lu à l'occasion du plaidoyer de culpabilité — n'avait pas de conséquences, puisque la seule contribution de D.S. avait été de répondre « oui » aux deux questions posées par l'avocat (par. 128). Je ne puis, en toute déférence, souscrire à cette analyse. On ne peut régulièrement écarter la preuve vidéo comme indice de fiabilité en invoquant simplement le faible degré de participation du déclarant ou la brièveté de sa déclaration. S'il y avait eu un enregistrement vidéo, on aurait pu observer le comportement de D.S. au moment où l'exposé conjoint a été lu à l'occasion du plaidoyer de culpabilité et examiner ses réponses aux deux questions qui lui ont été posées. Même en ne tenant compte que des deux courtes réponses données par D.S., la preuve vidéo pouvait donner des renseignements précieux sur le comportement de D.S. et, en dernière analyse, sur la véracité de la déclaration.
[150] Bien que je ne puisse souscrire à l'évaluation que la Cour d'appel de l'Ontario a faite de la question, je ne crois pas que l'absence d'une présence vidéo empêche en fin de compte de satisfaire au critère de fiabilité. Si le contre‑interrogatoire est jugé suffisamment solide et que d'autres indices confirment la fiabilité de l'exposé conjoint des faits, une telle preuve vidéo peut s'avérer superflue. Comme je l'ai déjà expliqué, les indices de fiabilité donnés dans B. (K.G.) ne sont pas exclusifs et l'absence d'un facteur peut être compensée par d'autres facteurs si ceux‑ci sont suffisants pour établir l'atteinte du seuil de fiabilité. Il n'est pas nécessaire que je tire une conclusion définitive sur le sujet, puisqu'il est préférable de laisser au juge qui présidera le nouveau procès le soin d'apprécier globalement tous les facteurs.
V. Conclusion
[151] Bien qu'on puisse à juste titre avoir des réserves quant à l'admissibilité d'éléments de preuve tirés de l'audience relative à un plaidoyer de culpabilité enregistré lors du procès d'un tiers, je ne peux me résigner à appliquer une interdiction absolue à l'étape de l'analyse de l'admissibilité. Une analyse appropriée de l'admissibilité ne vise qu'à déterminer si la déclaration antérieure incompatible présente des indices de fiabilité suffisants pour permettre au juge des faits d'évaluer raisonnablement la valeur qu'il convient de lui attribuer. Il s'agit d'une question contextuelle qui varie selon les circonstances particulières de chaque cas.
[152] Compte tenu de mon analyse, je ne crois pas que le juge du procès a mené, en l'espèce, une analyse appropriée — plus particulièrement sur la possibilité de contre-interroger D.S. et sur l'examen d'indices éventuels de fiabilité. En conséquence, je suis d'avis de confirmer la décision de la Cour d'appel de l'Ontario et d'ordonner la tenue d'un nouveau procès. La question de la fiabilité pourra être convenablement examinée dans le cadre d'un nouveau procès au cours duquel les éléments de preuve pourront être admis ou exclus comme il se doit, après examen de tous les facteurs pertinents.
[153] Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.
Pourvoi accueilli, les juges Rothstein et Wagner sont dissidents.
Procureurs de l'appelant : Lockyer Campbell Posner, Toronto; Dawe & Dineen, Toronto.
Procureur de l'intimée : Procureur général de l'Ontario, Toronto.
Procureurs de l'intervenante : Henein Hutchison, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : 2013 CSC 41 ?
Date de la décision : 25/07/2013
Proposition de citation de la décision: R. c. Youvarajah


Origine de la décision
Date de l'import : 28/08/2014
Fonds documentaire ?: Lexum
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2013-07-25;2013.csc.41 ?

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