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22/11/2013 | CANADA | N°2013_CSC_64

Canada | Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 R.C.S. 810
Date : 20131122
Dossier : 34647, 34649

Entre :
Katz Group Canada Inc.,
Pharma Plus Drug Marts Ltd. et Pharmx Rexall Drug Stores Ltd.
Appelantes
et
Ministre de la Santé et des Soins de longue durée,
Lieutenant-gouverneur en conseil de l'Ontario et procureur général de l'Ontario
Intimés
Et entre :
Shoppers Drug Mart Inc.,
Shoppers Drug Mart (London) Limited et Sanis Health Inc.


Appelantes
et
Ministre de la Santé et des Soins de longue durée,
Lieutenant-gouverneur en conseil d...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 R.C.S. 810
Date : 20131122
Dossier : 34647, 34649

Entre :
Katz Group Canada Inc.,
Pharma Plus Drug Marts Ltd. et Pharmx Rexall Drug Stores Ltd.
Appelantes
et
Ministre de la Santé et des Soins de longue durée,
Lieutenant-gouverneur en conseil de l'Ontario et procureur général de l'Ontario
Intimés
Et entre :
Shoppers Drug Mart Inc.,
Shoppers Drug Mart (London) Limited et Sanis Health Inc.
Appelantes
et
Ministre de la Santé et des Soins de longue durée,
Lieutenant-gouverneur en conseil de l'Ontario et procureur général de l'Ontario
Intimés


Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Wagner

Motifs de jugement :
(par. 1 à 51)
La juge Abella (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Wagner)


Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 R.C.S. 810
Katz Group Canada Inc.,
Pharma Plus Drug Marts Ltd. et
Pharmx Rexall Drug Stores Ltd. Appelantes
c.
Ministre de la Santé et des Soins de longue durée,
Lieutenant‑gouverneur en conseil de l'Ontario et
procureur général de l'Ontario Intimés
‑ et ‑
Shoppers Drug Mart Inc.,
Shoppers Drug Mart (London) Limited et Sanis Health Inc. Appelantes
c.
Ministre de la Santé et des Soins de longue durée,
Lieutenant‑gouverneur en conseil de l'Ontario et
procureur général de l'Ontario Intimés
Répertorié : Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée)
2013 CSC 64
N os du greffe : 34647, 34649.
2013 : 14 mai; 2013 : 22 novembre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Wagner.
en appel de la cour d'appel de l'ontario
Aliments et drogues — Règlements — Validité — Adoption, par la province de l'Ontario, de règlements ayant pour effet d'interdire effectivement la vente, par les pharmacies, de médicaments sous marque de distributeur — Règlements ayant pour objectif de réduire les prix des médicaments — Les règlements sont‑ils ultra vires au motif qu'ils sont incompatibles avec l'objet et le mandat de la loi? — Drug Interchangeability and Dispensing Fee Act Regulation, R.R.O. 1990, Règl. 935, art. 9 — Ontario Drug Benefit Act Regulation, O. Reg. 201/96, art. 12.0.2.
Depuis des décennies, l'Ontario lutte constamment en vue de contrôler la hausse des prix des médicaments. Les médicaments génériques ont constitué un élément clé de la stratégie visant à contrer ce problème. Des pratiques commerciales persistantes ont toutefois maintenu à des niveaux élevés les prix des médicaments génériques. En Ontario, on a ainsi assisté à des affrontements épisodiques et totémiques entre les organismes de réglementation et les entreprises chargées de la fabrication, de la distribution et de la vente des médicaments génériques.
En 1985, deux lois qui se complètent et se recoupent ont été adoptées ensemble afin de remédier au problème de la hausse des prix des médicaments pour les consommateurs : la Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation et la Loi sur le régime de médicaments de l'Ontario . La Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation habilite le ministère à désigner un médicament générique moins coûteux comme étant « interchangeable » avec un médicament de marque plus coûteux. Les pharmaciens doivent délivrer aux clients le produit générique interchangeable moins coûteux à moins que le médecin qui prescrit n'indique « pas de remplacement » ou que le client accepte de payer le coût plus élevé du médicament de marque. La loi limite également les honoraires de préparation que les pharmacies peuvent demander à leurs clients privés.
La Loi sur le régime de médicaments de l'Ontario régit le Programme de médicaments de l'Ontario, par lequel la province rembourse les pharmacies qui délivrent sans frais des médicaments sur ordonnance à des « personnes admissibles » — essentiellement les personnes âgées et les prestataires de l'aide sociale. Le Formulaire des médicaments énumère tous les médicaments remboursables par l'Ontario et indique les prix que la province paye pour ces médicaments. Lorsqu'une pharmacie délivre à une personne admissible un médicament énuméré, la Loi sur le régime de médicaments de l'Ontario oblige la province à rembourser à cette pharmacie un montant calculé en fonction du prix du médicament prévu au Formulaire des médicaments, auquel s'ajoutent une majoration prescrite ainsi que les honoraires de préparation prescrits. Ce régime législatif a pour effet de créer en Ontario deux marchés pour les médicaments de marque et les médicaments génériques. Le marché privé est composé de particuliers qui achètent des médicaments à leurs frais ou se font rembourser par leur régime d'assurance‑médicaments privé. Le « marché public » correspond au Programme de médicaments de l'Ontario financé par le gouvernement ontarien. Les médicaments génériques sont dispensés aux consommateurs ontariens sur le marché public et sur le marché privé au moyen d'une chaîne d'approvisionnement qui fait intervenir plusieurs participants assujettis à la réglementation fédérale et à la réglementation provinciale, ou à l'une ou l'autre. Il s'agit des participants suivants : les manufacturiers, qui fabriquent les médicaments génériques; les fabricants, qui vendent des médicaments génériques en leur propre nom à des grossistes ou directement aux pharmacies; les grossistes, qui achètent des médicaments aux fabricants en vue de leur distribution aux pharmacies; et les pharmacies, qui achètent les médicaments aux grossistes ou aux fabricants et les délivrent à leurs clients.
Avant 2006, le prix auquel les fabricants pouvaient demander que leurs médicaments génériques soient énumérés au Formulaire des médicaments était plafonné par les règlements d'application des deux lois. Pour être concurrentiels, les fabricants consentaient toutefois aux pharmacies des rabais substantiels pour les inciter à acheter leurs produits. Le prix que les fabricants demandaient — et que les clients payaient — était par conséquent artificiellement augmenté dans la même proportion que ces rabais. Pour stopper cette inflation des prix des médicaments génériques, les deux lois et leurs règlements d'application ont été modifiés en 2006 afin d'interdire les rabais. Les économies prévues ne se sont pas matérialisées et les fabricants ont continué à demander des prix élevés pour les médicaments génériques. Au lieu d'accorder des rabais, les fabricants payaient désormais aux pharmacies 800 millions de dollars par année en remises aux professionnels. Des modifications ont donc été introduites en 2010 pour supprimer l'exception relative aux « remises aux professionnels ».
Les règlements d'application des deux lois ont également été modifiés pour empêcher les pharmacies de contrôler les fabricants qui vendent des médicaments génériques en leur propre nom sans les fabriquer eux‑mêmes. Le législateur a créé à cette fin une catégorie appelée « produits sous marque de distributeur » qui englobe les produits vendus mais non fabriqués par un fabricant qui a un lien de dépendance avec des grossistes ou des pharmacies. Aux termes des règlements, les produits sous marque de distributeur ne peuvent être énumérés au Formulaire des médicaments ni être désignés comme étant interchangeables.
Sanis Health Inc., une filiale de Shoppers Drug Mart, a été constituée en personne morale par Shoppers en vue d'acheter des médicaments génériques de manufacturiers tiers et de les vendre sous la marque Sanis dans les magasins Shoppers Drug Mart. Katz Group Canada Inc., Pharma Plus Drug Marts Ltd. et Pharmx Rexall Drug Stores Ltd. exploitent elles aussi des pharmacies en Ontario et, à l'instar de Shoppers, ont entrepris des démarches en vue d'établir leur propre fabricant de médicaments génériques « sous marque de distributeur ». En 2010, Sanis a demandé que plusieurs médicaments génériques soient énumérés au Formulaire des médicaments et qu'ils soient désignés comme « interchangeables ». Sa demande a toutefois été rejetée parce que ces médicaments génériques étaient des « produits sous marque de distributeur ». Shoppers et Katz ont contesté les règlements interdisant la vente de produits sous marque de distributeur, les qualifiant d' ultra vires au motif qu'ils étaient incompatibles avec l'objet et le mandat de la loi. Elles ont obtenu gain de cause devant la Cour divisionnaire. La Cour d'appel a infirmé cette décision.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
Pour contester avec succès la validité d'un règlement, il faut démontrer qu'il est incompatible avec l'objectif de sa loi habilitante ou avec le cadre du mandat prévu par la Loi. Les règlements jouissent d'une présomption de validité. Cette présomption comporte deux aspects : elle impose à celui qui conteste le règlement le fardeau de démontrer que celui‑ci est invalide, plutôt que d'obliger l'organisme de réglementation à en justifier la validité; ensuite, la présomption favorise une méthode d'interprétation qui concilie le règlement avec sa loi habilitante de sorte que, dans la mesure du possible, le règlement puisse être interprété d'une manière qui le rend intra vires . Il convient de donner au règlement contesté et à sa loi habilitante u ne interprétation téléologique large compatible avec l'approche générale adoptée par la Cour en matière d'interprétation législative. Cette analyse ne comporte pas l'examen du bien‑fondé du règlement pour déterminer s'il est nécessaire, sage et efficace dans la pratique. L'analyse ne s'attache pas aux considérations sous‑jacentes d'ordre politique, économique ou social ni à la recherche, par les gouvernements, de leur propre intérêt.
En l'espèce, l'intention du législateur à l'origine des deux lois était de contrôler le coût des médicaments délivrés sur ordonnance en Ontario sans en compromettre l'innocuité. Comme le démontre l'historique législatif, on a tenté de promouvoir des méthodes de fixation des prix transparentes et de contrer la flambée des prix le long de la chaîne d'approvisionnement des médicaments, le tout en vue d'atteindre l'objectif ultime de réduire le coût des médicaments. Les règlements de 2010 interdisant les produits sous marque de distributeur visaient à empêcher un autre mécanisme susceptible de contourner l'interdiction des rabais qui maintenaient les prix des médicaments élevés. Si l'on permettait aux pharmacies de créer leurs propres fabricants affiliés et de les contrôler, elles participeraient directement à la fixation des prix affichés au Formulaire des médicaments, ce qui les inciterait fortement à maintenir des prix élevés.
Les règlements de 2010 relatifs aux produits sous marque de distributeur contribuent à l'atteinte de l'objectif législatif de transparence du prix des médicaments. Ils s'inscrivent dans cette stratégie en assurant que les pharmacies tirent leurs revenus exclusivement de la prestation de services professionnels de santé plutôt que de la part des revenus des fabricants qu'elles touchent en mettant sur pied des filiales qui offrent des médicaments sous leur propre marque. Les règlements étaient par conséquent conformes à l'objectif législatif consistant à réduire les prix des médicaments.
Jurisprudence
Arrêts mentionnés : Waddell c. Governor in Council (1983), 8 Admin. L.R. 266; United Taxi Drivers' Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville) , 2004 CSC 19, [2004] 1 R.C.S. 485; Glykis c. Hydro‑Québec , 2004 CSC 60, [2004] 3 R.C.S. 285; Jafari c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) , [1995] 2 C.F. 595; Ontario Federation of Anglers & Hunters c. Ontario (Ministry of Natural Resources) (2002), 211 D.L.R. (4th) 741; Thorne's Hardware Ltd. c. La Reine , [1983] 1 R.C.S. 106; CKOY Ltd. c. La Reine , [1979] 1 R.C.S. 2; Alaska Trainship Corp. c. Administration de pilotage du Pacifique , [1981] 1 R.C.S. 261; Re Doctors Hospital and Minister of Health (1976), 12 O.R. (2d) 164; Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville) , [1994] 1 R.C.S. 231; Municipal Corporation of City of Toronto c. Virgo , [1896] A.C. 88; Forget c. Québec (Procureur général) , [1988] 2 R.C.S. 90.
Lois et règlements cités
Loi de 2006 sur la législation , L.O. 2006, ch. 21, ann. F, art. 64, 82.
Loi de 2006 sur un régime de médicaments transparent pour les patients , L.O. 2006, ch. 14.
Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation , L.R.O. 1990, ch. P.23, art. 12.1, 14(1), (8).
Loi sur le régime de médicaments de l'Ontario , L.R.O. 1990, ch. O.10, art. 0.1, 1(1), 1.2(2)a), 1.3, 11.5, 18(1), (6).
O. Reg. 201/96, art. 1, 1(6) [abr. & rempl. O. Reg. 220/10, art. 1(1)], 12.0.2(1), (2) « private label product » [aj. O. Reg. 220/10, art. 3].
R.R.O. 1990, règl. 935, art. 2, 9(1), (2) « private label product » [aj. O. Reg. 221/10, art. 5].
Règlement sur les aliments et drogues , C.R.C., ch. 870.
Doctrine et autres documents cités
Brown, Donald J. M., and John M. Evans, with the assistance of Christine E. Deacon. Judicial Review of Administrative Action in Canada , vol. 3. Toronto : Canvasback, 1998 (loose‑leaf updated August 2012).
Canada. Bureau de la concurrence. Pour une concurrence avantageuse des médicaments génériques au Canada : Préparons l'avenir . Ottawa : Le Bureau, 2008 (en ligne :http://www.bureaudelaconcurrence.gc.ca/eic/site/cb‑bc.nsf/fra/03026.html).

Institut canadien d'information sur la santé. Tendances des dépenses nationales de santé, 1975 à 2012 . Ottawa : L'institut, 2012 (en ligne : https://secure.cihi.ca/free_products/NHEXTrendsReport2012FR.pdf).
Keyes, John Mark. Executive Legislation , 2nd ed. Markham, Ont. : LexisNexis, 2010.
Ontario. Assemblée législative. Hansard — Official Report of Debates , No. 41, 1st Sess., 33rd Parl., November 7, 1985, p. 1446.
Ontario. Assemblée législative. Journal des débats (Hansard) , n os 13, 19 et 23, 2 e sess., 39 e lég., 12, 21 et 28 avril 2010.
Organisation de coopération et de développement économiques. Panorama de la santé 2009 : Les indicateurs de l'OCDE . Paris : OCDE, 2009 (en ligne : http://www.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/panorama-de-la-sante-2009_health_glance-2009-fr).
Régimbald, Guy. Canadian Administrative Law . Markham, Ont. : LexisNexis, 2008.
Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes , 5th ed. Markham, Ont. : LexisNexis, 2008.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (les juges MacPherson, Epstein et Karakatsanis), 2011 ONCA 830, 109 O.R. (3d) 279, 286 O.A.C. 68, 345 D.L.R. (4th) 277, 37 Admin. L.R. (5th) 101, [2011] O.J. No. 5894 (QL), 2011 CarswellOnt 14816, qui a infirmé une décision des juges Whalen, Molloy et Swinton, 2011 ONSC 615, [2011] O.J. No. 480 (QL), 2011 CarswellOnt 720. Pourvoi rejeté.
Terrence J. O'Sullivan et M. Paul Michell , pour les appelantes Katz Group Canada Inc., Pharma Plus Drug Marts Ltd. et Pharmx Rexall Drug Stores Ltd.
Mahmud Jamal , Craig T. Lockwood , Eric Morgan et W. David Rankin , pour les appelantes Shoppers Drug Mart Inc., Shoppers Drug Mart (London) Limited et Sanis Health Inc.
Lise G. Favreau , Kim Twohig et Kristin Smith , pour les intimés.
Version française du jugement de la Cour rendu par
[1] La juge Abella — Le Canada dépense davantage par habitant pour les médicaments délivrés sur ordonnance que presque tous les autres pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques [1] . Les produits pharmaceutiques vendus sur ordonnance sont, en importance, la deuxième composante du coût des soins de santé [2] . En 1985, le coût des médicaments représentait environ 9,5 p. 100 du total des dépenses de santé du gouvernement. En 2010, cette proportion avait grimpé à 15,9 p. 100 [3] .
[2] Un élément clé de la stratégie de contrôle du coût des médicaments a consisté à remplacer les médicaments de marque par des médicaments génériques dans l'espoir que ces derniers soient beaucoup moins coûteux. Ces espoirs se sont toutefois estompés en raison de pratiques commerciales persistantes qui ont maintenu les prix des médicaments génériques à des niveaux élevés. En Ontario, on a ainsi assisté à des affrontements épisodiques entre les organismes de réglementation et les entreprises chargées de la fabrication, de la distribution et de la vente des médicaments génériques. Le présent pourvoi découle de l'un de ces épisodes conflictuels en matière de réglementation.
Contexte
[3] La vente et la fixation des prix des médicaments génériques sont réglementées par les provinces. En Ontario, deux lois qui se complètent et se recoupent ont été adoptées ensemble en 1985 afin de remédier au problème de la hausse des prix des médicaments : la Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation , L.R.O. 1990, ch. P.23, et la Loi sur le régime de médicaments de l'Ontario , L.R.O. 1990, ch. O.10 (« Lois »).
[4] La Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation fait en sorte que les patients ontariens reçoivent des médicaments génériques à la place de médicaments de marque, équivalents mais plus coûteux. À cette fin, cette loi habilite l'administrateur du ministère de la Santé et des Soins de longue durée à désigner un médicament générique comme étant « interchangeable » avec un médicament de marque. Les pharmaciens doivent préparer et délivrer aux clients le produit générique interchangeable moins coûteux, à moins que le médecin qui prescrit n'indique « pas de remplacement » ou que le client accepte de payer le coût plus élevé du médicament de marque. La Loi limite également les honoraires de préparation que les pharmacies peuvent demander à leurs clients privés.
[5] La Loi sur le régime de médicaments de l'Ontario régit le Programme de médicaments de l'Ontario, par lequel la province rembourse les pharmacies qui préparent et délivrent sans frais des médicaments sur ordonnance à des « personnes admissibles » — essentiellement les personnes âgées et les prestataires de l'aide sociale. Le Formulaire des médicaments énumère tous les médicaments remboursables par l'Ontario et indique les prix que la province paye pour ces médicaments. L'administrateur est chargé d'énumérer les médicaments au Formulaire des médicaments et d'en fixer les prix avec l'accord des fabricants des médicaments. Lorsqu'une pharmacie délivre à une personne admissible un médicament énuméré, la Loi sur le régime de médicaments de l'Ontario oblige la province à rembourser à cette pharmacie un montant calculé en fonction du prix du médicament prévu au Formulaire des médicaments, auquel s'ajoutent une majoration prescrite ainsi que les honoraires de préparation prescrits.
[6] Ce régime législatif a pour effet de créer en Ontario deux marchés pour les médicaments de marque et les médicaments génériques. Le « marché privé » est composé de particuliers qui achètent des médicaments à leurs frais ou se font rembourser par leur régime d'assurance‑médicaments privé. Ce marché englobe les régimes d'avantages sociaux des employeurs qui, en 2010, permettaient à 8,6 millions d'employés ontariens et aux membres de leur famille de bénéficier d'une assurance‑médicaments, au coût de quatre milliards de dollars pour les employeurs. Les médicaments génériques peuvent se retrouver sur le marché privé s'ils ont reçu l'approbation de Santé Canada quant à leur innocuité et leur efficacité et si l'administrateur ontarien les a désignés comme étant « interchangeables ».
[7] Le « marché public » correspond au Programme de médicaments de l'Ontario financé par le gouvernement ontarien. Les médicaments génériques accessibles sur ce marché doivent être approuvés par Santé Canada, être désignés par l'Ontario comme étant des médicaments interchangeables et être énumérés au Formulaire des médicaments de la province. En 2010, le Programme de médicaments de l'Ontario offrait une assurance‑médicaments à 2,5 millions de personnes pour l'achat de 3 300 médicaments énumérés au Formulaire des médicaments, au coût de 3,7 milliards de dollars.
[8] Les médicaments génériques sont offerts aux consommateurs ontariens sur le marché public et sur le marché privé au moyen d'une chaîne d'approvisionnement qui fait intervenir plusieurs participants assujettis à la réglementation fédérale et à la réglementation provinciale, ou à l'une ou l'autre. Il s'agit des participants suivants :
• Les manufacturiers , qui fabriquent les médicaments génériques. Le gouvernement fédéral leur délivre des licences en vertu du Règlement sur les aliments et drogues , C.R.C., ch. 870.
• Les fabricants , qui sont autorisés en vertu du Règlement sur les aliments et drogues à vendre des médicaments génériques en leur propre nom à des grossistes ou directement aux pharmacies. Les fabricants sont chargés de faire respecter la réglementation en faisant approuver les médicaments par Santé Canada, en les faisant désigner comme interchangeables et en les faisant énumérer au Formulaire des médicaments. Un fabricant peut soit fabriquer les médicaments lui‑même, auquel cas il est également assujetti à la réglementation en tant que manufacturier, soit les acheter à un manufacturier. Les prix auxquels les fabricants vendent les médicaments aux grossistes ou aux pharmacies sont réglementés par la Loi sur le régime de médicaments de l'Ontario et la Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation . Les prix auxquels les fabricants achètent des médicaments aux manufacturiers ne sont pas réglementés.
• Les grossistes , qui sont autorisés aux termes du Règlement sur les aliments et drogues fédéral à acheter des médicaments aux fabricants en vue de leur distribution aux pharmacies. Les prix auxquels les grossistes achètent et vendent des médicaments sont réglementés par les Lois ontariennes. Leur rôle n'est pas en jeu dans la question en litige soumise à notre Cour.
• Les pharmacies , qui achètent les médicaments aux grossistes ou aux fabricants et les délivrent à leurs clients. Ce terme s'entend, dans les présents motifs, des exploitants de pharmacies et des sociétés qui possèdent, exploitent ou contrôlent des pharmacies. Les prix que les pharmacies paient pour acheter des médicaments et pour les délivrer à leurs clients sont réglementés par les Lois ontariennes.
[9] La Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation et la Loi sur le régime de médicaments de l'Ontario confèrent au lieutenant‑gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements, et notamment celui de préciser les conditions que les médicaments doivent respecter pour qu'ils puissent être vendus en Ontario. L'Ontario a utilisé ce pouvoir de réglementation pour imposer des mesures de contrôle des prix dans la chaîne d'approvisionnement des médicaments.
[10] Avant 2006, le prix auquel les fabricants pouvaient demander que leurs médicaments génériques soient énumérés au Formulaire des médicaments était plafonné par les règlements d'application des Lois à 63 p. 100 du prix demandé pour les médicaments de marque. Les pharmacies achetaient les médicaments aux fabricants au prix prévu au Formulaire des médicaments et les vendaient à leurs clients au prix indiqué au Formulaire des médicaments, majoré d'un supplément et des honoraires de préparation prescrits. Pour être concurrentiels, les fabricants consentaient toutefois aux pharmacies des rabais substantiels pour les inciter à acheter leurs produits. Le prix que les fabricants demandaient — et que les clients payaient — était par conséquent artificiellement augmenté dans la même proportion que ces rabais. Ces rabais représentaient entre 600 et 800 millions de dollars par année et auraient représenté environ 40 p. 100 du prix que les fabricants demandaient pour leurs médicaments.
[11] Pour stopper cette inflation des prix des médicaments génériques, la Loi sur le régime de médicaments de l'Ontario , la Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation et leurs règlements d'application ont été modifiés en 2006 afin d'interdire les rabais [4] . Ces modifications ont été apportées par l'adoption de la Loi de 2006 sur un régime de médicaments transparent pour les patients , L.O. 2006, ch. 14. Elles ont aussi inséré dans la Loi sur le régime de médicaments de l'Ontario [5] une disposition relative aux « principes » affirmant que le régime public de médicaments « vise dans la mesure du possible la transparence envers les personnes qui ont un intérêt dans le régime, notamment [. . .] les consommateurs, les fabricants , les grossistes et les pharmacies » et qu'il « vise à réaliser constamment l'optimisation des ressources et leur meilleur emploi possible à chaque niveau ».
[12] Le législateur cherchait à tarir une source importante de revenus pour les pharmacies — les sommes versées par les fabricants de médicaments — et à y substituer les sommes que le gouvernement remboursait pour la prestation de services professionnels de santé. Les modifications ont confié à l'administrateur le paiement aux pharmacies des services professionnels qu'ils dispensent, elles ont établi un Conseil des pharmaciens chargé de conseiller le ministre principalement sur cette question et ont instauré un nouveau pouvoir de réglementation permettant au lieutenant‑gouverneur en conseil de régir tous les aspects de la prestation des services professionnels. L'Ontario a également augmenté les honoraires de préparation des médicaments vendus sur le marché public.
[13] Dans l'espoir que la suppression des rabais incite les fabricants à diminuer leurs prix, le gouvernement ontarien a également ramené le plafond des prix imposés par le règlement à 50 p. 100 dans le cas du marché public et a supprimé entièrement le plafond dans le cas du marché privé. Les fabricants pouvaient toutefois accorder aux pharmacies des « remises aux professionnels » dans le cas de programmes de soins directs aux patients.
[14] Mais les économies prévues ne se sont pas matérialisées et les fabricants ont continué à demander des prix élevés pour les médicaments génériques. Le ministre ontarien de la Santé et des Soins de longue durée a constaté en 2007 que certains des médicaments génériques les plus en demande coûtaient trois fois plus cher en Ontario qu'en France, en Allemagne et au Royaume‑Uni, cinq fois plus cher qu'aux États‑Unis et vingt‑deux fois plus cher qu'en Nouvelle‑Zélande. En fait, un rapport publié par le Bureau de la concurrence a conclu que les nouveaux médicaments génériques se vendaient sur le marché privé à des prix plus élevés qu'à leurs prix antérieurs plafonnés à 63 p. 100 ( Pour une concurrence avantageuse des médicaments génériques au Canada : Préparons l'avenir (2008), p. 12).
[15] De plus, au lieu d'accorder des rabais, les fabricants payaient désormais aux pharmacies 800 millions de dollars par année en remises aux professionnels. On a donc constaté que l'exception relative aux remises aux professionnels constituait une autre faille qui avait pour effet de gonfler les prix. Des vérifications effectuées auprès de 206 pharmacies ont permis de constater que la totalité d'entre elles contrevenaient aux règles relatives aux remises aux professionnels et que 70 p. 100 des sommes fournies par les fabricants à ce chapitre servaient à payer des salaires plus élevés et à gonfler les profits des entreprises au lieu de bénéficier aux patients. La ministre de la Santé et des Soins de longue durée de l'époque, M me Deborah Matthews, a conclu que les prix des médicaments génériques étaient toujours aussi élevés en Ontario par rapport à des pays semblables parce que les fabricants de médicaments continuaient à faire ce genre de paiement aux pharmacies. À son avis, les prix des médicaments pouvaient être réduits de 50 p. 100 si ces paiements étaient supprimés (Assemblée législative de l'Ontario, Journal des débats (Hansard) , n os 13, 19 et 23, 2 e sess., 39 e lég., 12, 21 et 28 avril 2010).
[16] Par conséquent, des modifications apportées en 2010 aux deux Lois et à leurs règlements d'application ont supprimé l'exception relative aux « remises aux professionnels ». En plus de l'interdiction de 2006 relative aux rabais, cette mesure a eu pour effet d'empêcher les fabricants d'accorder aux pharmacies quelque avantage que ce soit en contrepartie de l'achat de leurs médicaments, si ce n'est de modestes rabais autorisés par les règlements. En même temps, l'Ontario a ramené à 25 p. 100 le plafond des prix imposé par règlement dans le cas du marché public et a réintroduit le plafond des prix dans le cas du marché privé. L'Ontario a également modifié les règlements pour accorder un remboursement plus élevé aux pharmacies au titre des services professionnels en augmentant les honoraires de préparation prescrits à l'égard du marché public et en obligeant l'administrateur à payer, jusqu'au 31 mars 2013, des honoraires de services additionnels pour la plupart des demandes présentées sur le marché public [traduction] « compte tenu de la transition vers un modèle de remboursement des pharmacies visant à appuyer les services professionnels » (Règl. de l'Ont. 220/10, par. 1(1)). Le gouvernement a également alloué un financement de 100 millions de dollars pour le développement des services professionnels par les pharmacies.
[17] Les règlements d'application de la Loi sur le régime de médicaments de l'Ontario [6] et de la Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation [7] ont également été modifiés pour empêcher les pharmacies de contrôler les fabricants qui vendent des médicaments génériques en leur propre nom sans les fabriquer eux‑mêmes. Le législateur a créé à cette fin une catégorie appelée « produits sous marque de distributeur », une expression définie comme suit dans les deux règlements :
[ traduction ] « produit sous marque de distributeur » S'entend notamment d'un produit médicamenteux à l'égard duquel les conditions suivantes sont réunies :
(a) le fabricant qui demande que le produit soit désigné comme un produit médicamenteux énuméré ne fabrique pas directement le produit lui‑même, et
(i) il n'est pas contrôlé par une personne qui fabrique directement le produit, ou
(ii) il ne contrôle pas la personne qui fabrique directement le produit, et
(b) soit que
(i) le fabricant a un lien de dépendance avec un grossiste, un exploitant d'une pharmacie ou une société qui possède, exploite ou franchise des pharmacies, ou
(ii) le produit doit être offert aux termes d'une entente de commercialisation associant le produit à un grossiste ou à un ou plusieurs exploitants de pharmacies ou sociétés qui possèdent, exploitent ou franchisent des pharmacies.
(O. Reg. 220/10, art. 3; O. Reg. 221/10, art. 5)
[18] Les produits sous marque de distributeur ne peuvent être énumérés au Formulaire des médicaments [8] ni être désignés comme étant interchangeables [9] . Ces restrictions ont essentiellement pour effet d'interdire la vente de produits sous marque de distributeur sur le marché privé et le marché public en Ontario, et elles sont au cœur du présent pourvoi.
[19] Sanis Health Inc., une filiale de la société publique canadienne Shoppers Drug Mart Corp., est un fabricant de produits sous marque de distributeur. Elle a été constituée en personne morale par Shoppers en vue d'acheter des médicaments génériques de manufacturiers tiers et de les vendre sous la marque Sanis dans les magasins Shoppers Drug Mart. Elle a conclu des ententes de fabrication et d'échange de licences avec Cobalt Pharmaceuticals Inc. et Mylan Pharmaceuticals ULC, deux entreprises qui fabriquent présentement des médicaments génériques et les vendent en Ontario. Aux termes de ces ententes, Sanis s'en remet à Cobalt et à Mylan pour fabriquer des médicaments génériques en son nom et se sert des présentations réglementaires qu'elles ont déposées comme fabricants pour obtenir sa propre approbation de Santé Canada.
[20] En 2010, Sanis a demandé à l'administrateur d'énumérer au Formulaire des médicaments plusieurs médicaments génériques et de les faire désigner comme interchangeables. L'administrateur a refusé sa demande pour les raisons suivantes :
[ traduction ] Vous savez peut‑être que le Ministère a récemment annoncé, le 8 avril 2010, un projet de règlement visant à modifier les règlements d'application de la [ Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation ] et de la [ Loi sur le régime de médicaments de l'Ontario ]. Ces règlements proposent comme condition préalable à sa désignation sous le régime de la [ Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation ] qu'un produit ne soit pas un produit sous marque de distributeur, et comme condition préalable à sa désignation comme produit médicamenteux énuméré au sens de la [ Loi sur le régime de médicaments de l'Ontario ] qu'il ne soit pas un produit sous marque de distributeur. Ces règlements entreront en vigueur le 1 er juillet 2010.
Il me semble que [les produits de Sanis] seraient des « produits sous marque de distributeur » au sens de ces règlements. Sanis ne fabrique pas directement les produits et elle a un lien de dépendance avec une compagnie qui est propriétaire, exploitant ou franchiseur de pharmacies.
Les règlements en question ont pour objet d'empêcher une entité contrôlée par une société pharmaceutique ou par une entité connexe d'acheter des produits médicamenteux d'une personne qui fabrique effectivement le produit à un prix inférieur au prix au titre du régime de médicaments indiqué dans le Formulaire des médicaments de l'Ontario sans accorder de réduction de prix aux patients, aux assureurs, aux employeurs, au gouvernement de l'Ontario ou à tout autre payeur.
Les modifications que le gouvernement propose d'apporter aux règlements ontariens relatifs aux médicaments visent à inciter les fabricants à offrir des prix moins élevés aux patients ontariens. Dans le cas des produits sous marque de distributeur, les réductions de prix dont Sanis bénéficierait vraisemblablement ne seraient pas transmises à ceux qui les payent en bout de ligne comme le gouvernement, les assureurs et les patients. Il semble plutôt que les entreprises contrôlées par les pharmacies conserveraient les profits sans en faire bénéficier les consommateurs. Même s'il ne s'agirait pas d'un « rabais » au sens de la loi, le problème ressemble à celui que les dispositions interdisant les rabais visent à éviter. De plus, il y a lieu de craindre qu'il soit dans l'intérêt des pharmacies de la chaîne Shoppers Drug Mart de vendre [les produits Sanis] de préférence à tout autre, ce qui soulève la possibilité d'un conflit d'intérêts.
Par conséquent, je n'ai pas l'intention de désigner les produits comme des produits interchangeables au sens de la [ Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation ] ou comme des produits médicamenteux énumérés au sens de la [ Loi sur le régime de médicaments de l'Ontario ].
[21] Katz Group Canada Inc., Pharma Plus Drug Marts Ltd. et Pharmx Rexall Drug Stores Ltd. exploitent les pharmacies Pharma Plus et Rexall en Ontario et, à l'instar de Shoppers, ont entrepris des démarches en vue d'établir leur propre fabricant de médicaments génériques sous marque de distributeur. Elles ont indiqué avoir l'intention de suivre le même modèle d'entreprise que celui de Sanis.
[22] Shoppers et Katz ont contesté les règlements relatifs aux produits sous marque de distributeur, les qualifiant d' ultra vires au motif qu'ils étaient incompatibles avec l'objet et le mandat de la loi. Elles ont obtenu gain de cause devant la Cour divisionnaire, où la juge Molloy a conclu que les règlements relatifs aux produits sous marque de distributeur n'étaient pas compatibles avec l'objet de la Loi sur le régime de médicaments de l'Ontario et de la Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation et qu'ils n'étaient pas autorisés par les dispositions de ces lois relatives à la prise de règlements. Cette décision a été infirmée par la Cour d'appel, qui a jugé à la majorité (les juges MacPherson et Karakatsanis) que les règlements relatifs aux produits sous marque de distributeur étaient intra vires .
[23] Je suis d'accord avec les juges MacPherson et Karakatsanis et je suis d'avis de rejeter le pourvoi.
Analyse
[24] Pour contester avec succès la validité d'un règlement, il faut démontrer qu'il est incompatible avec l'objectif de sa loi habilitante ou encore qu'il déborde le cadre du mandat prévu par la Loi (Guy Régimbald, Canadian Administrative Law (2008), p. 132). Ainsi que le juge Lysyk l'a expliqué de manière succincte :
[traduction] Pour déterminer si le texte législatif subordonné contesté est conforme aux exigences de la loi habilitante, il est essentiel de cerner la portée du mandat conféré par le législateur en ce qui a trait à l'intention ou à l'objet de la loi dans son ensemble. Le simple fait de démontrer que le délégataire a respecté littéralement le libellé (souvent vague) de la loi habilitante lorsqu'il a pris le texte législatif subordonné n'est pas suffisant pour satisfaire au critère de la conformité à la loi. Le libellé de la disposition habilitante doit être interprété comme comportant l'exigence primordiale selon laquelle le texte législatif subordonné doit respecter l'intention et l'objet de la loi habilitante prise dans son ensemble.
( Waddell c. Governor in Council (1983), 8 Admin. L.R. 266, p. 292)
[25] Les règlements jouissent d'une présomption de validité (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5 e éd. 2008), p. 458). Cette présomption comporte deux aspects : elle impose à celui qui conteste le règlement le fardeau de démontrer que celui‑ci est invalide, plutôt que d'obliger l'organisme réglementaire à en justifier la validité (John Mark Keyes, Executive Legislation (2 e éd. 2010), p. 544‑550); ensuite, la présomption favorise une méthode d'interprétation qui concilie le règlement avec sa loi habilitante de sorte que, dans la mesure du possible , le règlement puisse être interprété d'une manière qui le rend intra vires (Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada , vol. 3 (feuilles mobiles), 15:3200 et 15:3230).
[26] Il convient de donner au règlement contesté et à sa loi habilitante u ne « interprétation téléologique large [. . .] compatible avec l'approche générale adoptée par la Cour en matière d'interprétation législative » ( United Taxi Drivers' Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville) , 2004 CSC 19, [2004] 1 R.C.S. 485, par. 8; voir également Brown et Evans, 13:1310; Keyes, p. 95‑97; Glykis c. Hydro‑Québec , 2004 CSC 60, [2004] 3 R.C.S. 285, par. 5; Sullivan, p. 368; Loi de 2006 sur la législation , L.O. 2006, ch. 21, ann. F, art. 64).
[27] Cette analyse ne comporte pas l'examen du bien‑fondé du règlement pour déterminer s'il est « nécessaire, sage et efficace dans la pratique » ( Jafari c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) , [1995] 2 C.F. 595 (C.A.), p. 604). Comme le tribunal l'a expliqué dans l'arrêt Ontario Federation of Anglers & Hunters c. Ontario (Ministry of Natural Resources) (2002), 211 D.L.R. (4th) 741 (C.A. Ont.) :
[traduction] . . . le contrôle judiciaire des règlements, contrairement à celui des décisions administratives, se limite normalement à la question de leur incompatibilité avec l'objet de la loi ou à l'inobservation d'une condition préalable prévue par la loi. Les raisons qui ont motivé la prise du règlement ne sont pas pertinentes. [par. 41]
[28] L'analyse ne s'attache pas aux considérations sous‑jacentes « d'ordre politique, économique ou social [ni à la recherche, par les gouvernements, de] leur propre intérêt » ( Thorne's Hardware Ltd. c. La Reine , [1983] 1 R.C.S. 106, p. 113). La validité d'un règlement ne dépend pas non plus de la question de savoir si, de l'avis du tribunal, il permettra effectivement d'atteindre les objectifs visés par la loi ( CKOY Ltd. c. La Reine , [1979] 1 R.C.S. 2, p. 12; voir également Jafari , p. 602; Keyes, p. 266). Pour qu'il puisse être déclaré ultra vires pour cause d'incompatibilité avec l'objet de la loi, le règlement doit reposer sur des considérations « sans importance », doit être « non pertinent » ou être « complètement étranger » à l'objet de la loi ( Alaska Trainship Corp. c. Administration de pilotage du Pacifique , [1981] 1 R.C.S. 261; Re Doctors Hospital and Minister of Health (1976), 12 O.R. (2d) 164 (Cour div.); Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville) , [1994] 1 R.C.S. 231, p. 280; Jafari , p. 604; Brown et Evans, 15:3261). En réalité, bien qu'il soit possible de déclarer un règlement ultra vires pour cette raison, comme le juge Dickson l'a fait observer, « seul un cas flagrant pourrait justifier une pareille mesure » ( Thorne's Hardware , p. 111).
[29] Les dispositions de la Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation qui confèrent le pouvoir de prendre des règlements relatifs aux produits sous marque de distributeur sont formulées comme suit :
14 (1) Le lieutenant‑gouverneur en conseil peut, par règlement :
a) prescrire les conditions auxquelles doivent répondre les produits ou les fabricants de produits pour que ces produits puissent être désignés comme étant interchangeables avec d'autres produits;
b) prescrire les conditions auxquelles il doit être satisfait pour qu'un produit continue d'être désigné comme étant interchangeable;
La Loi sur le régime de médicaments de l'Ontario prévoit ce qui suit :
18 (1) Le lieutenant‑gouverneur en conseil peut, par règlement :
. . .
b) prescrire les conditions auxquelles il doit être satisfait pour qu'un produit médicamenteux soit désigné comme produit médicamenteux énuméré [10] ;
b.1) prescrire les conditions auxquelles il doit être satisfait pour qu'un produit médicamenteux énuméré continue d'être désigné comme produit médicamenteux énuméré;
. . .
m) traiter de toute question qu'il considère utile ou nécessaire pour réaliser l'objet de la présente loi.
[30] Au début de l'analyse, il nous faut préciser en quoi consistent les objectifs visés par les lois habilitantes.
[31] L'intention du législateur à l'origine des deux Lois était de lutter contre les prix élevés des médicaments du fait que les fabricants affichaient au Formulaire des médicaments des prix artificiellement élevés tout en accordant des rabais cachés aux pharmacies. Lorsque les projets de loi ont été présentés pour la première fois en 1985, le ministre de la Santé de l'époque, M. Murray J. Elston, a expliqué qu'ils visaient à s'attaquer au problème des prix [ traduction ] « irréalistes » des médicaments :
[traduction] [Le] Formulaire des médicaments [. . .] indique les prix auxquels le gouvernement remboursera les pharmacies pour les médicaments vendus dans le cadre du Programme. Les prix indiqués au Formulaire des médicaments sont calculés en fonction des chiffres fournis par les fabricants de médicaments. Ils ne sont pas fixés par le gouvernement.
Certains fabricants ont constaté qu'en fixant des prix artificiellement élevés pour les médicaments énumérés ― des prix plus élevés que ceux que les pharmacies payaient effectivement pour les médicaments ― , les pharmacies étaient incitées à acheter leurs produits. Le montant que le gouvernement rembourse pour les médicaments vendus en vertu du Programme des médicaments de l'Ontario est par conséquent plus élevé que le coût que payent effectivement les pharmacies pour bon nombre des médicaments.
On peut aisément comprendre comment ce système a pu engendrer des coûts excessifs pour le Programme de médicaments de l'Ontario . Cette pratique d'écart des prix et le fait que le gouvernement précédent ait permis qu'elle se poursuive aussi longtemps a imposé un fardeau inutile à l'ensemble des contribuables ontariens.
. . . étant donné que le Formulaire des médicaments du Programme des médicaments de l'Ontario sert de guide d'établissement des prix pour la vente de médicaments sur ordonnance sur le marché au comptant, les prix artificiellement élevés qu'il prévoit ont entraîné des coûts excessifs pour les clients qui paient au comptant tout autant que pour ceux qui bénéficient d'autres régimes d'assurance‑médicaments. [Italiques ajoutés.]
(Assemblée législative, Hansard — Official Report of Debates , n o 41, 1 re sess., 33 e lég., 7 novembre 1985, p. 1446)
[32] En d'autres termes, l'objet prépondérant du régime législatif est, comme l'a expliqué la juge Molloy, [traduction] « de contrôler le coût des médicaments délivrés sur ordonnance en Ontario sans en compromettre l'innocuité ».
[33] Les Lois et leurs règlements d'application s'inscrivent dans la foulée d'une série de mesures énergiques et ambitieuses prises en réaction à ce qui s'est avéré un problème tenace au cours des 25 dernières années — les fabricants exigent des prix exceptionnellement élevés pour les médicaments génériques en raison non pas du coût réel de ces médicaments, mais du coût qu'assument les fabricants pour inciter financièrement les pharmacies à acheter leurs produits. Le gouvernement a cherché sans relâche à supprimer ces avantages cachés. Comme le démontre l'historique législatif, on a tenté de promouvoir des méthodes de fixation des prix transparentes et de contrer la flambée des prix le long de la chaîne d'approvisionnement des médicaments, le tout en vue d'atteindre l'objectif ultime de réduire le coût des médicaments. Le législateur a également exercé un contrôle sur la provenance des revenus des pharmacies, en tentant de faire en sorte que les revenus des pharmacies proviennent moins de la vente de médicaments et plus de la prestation des services professionnels. Par la force des choses, ces mesures législatives et réglementaires ont été prises graduellement.
[34] Les règlements de 2010 interdisant les produits sous marque de distributeur visaient à empêcher un autre mécanisme susceptible de contourner l'interdiction des rabais qui maintenaient les prix des médicaments élevés. Comme je l'ai déjà signalé, les rabais étaient problématiques parce qu'ils gonflaient les prix indiqués au Formulaire des médicaments. En interdisant les rabais, on s'attendait à ce que les fabricants baissent les prix affichés au Formulaire des médicaments et que les pharmacies, à leur tour, transmettent aux consommateurs les économies ainsi réalisées. Si l'on permettait aux pharmacies de créer leurs propres fabricants affiliés et de les contrôler, elles participeraient directement à la fixation des prix affichés au Formulaire des médicaments, ce qui les inciterait fortement à maintenir des prix élevés. Au lieu de recevoir des rabais financés à même les prix gonflés des médicaments, les pharmacies participeraient aux profits que ces prix engendrent pour les fabricants. On s'attendait à ce que cette pratique maintienne les prix élevés que paient les consommateurs pour les médicaments.
[35] Ces préoccupations ont été reprises dans la lettre explicative adressée par l'administrateur à Sanis en juin 2010. Les extraits pertinents de cette lettre sont reproduits ici par souci de commodité :
[ traduction] Les règlements en question ont pour objet d'empêcher une entité contrôlée par une société pharmaceutique ou par une entité connexe d'acheter des produits médicamenteux d'une personne qui fabrique effectivement le produit à un prix inférieur au prix au titre du régime de médicaments indiqué dans le Formulaire des médicaments de l'Ontario sans accorder de réduction de prix aux patients, aux assureurs, aux employeurs, au gouvernement de l'Ontario ou à tout autre payeur.
Les modifications que le gouvernement propose d'apporter aux règlements ontariens relatifs aux médicaments visent à inciter les fabricants à offrir des prix moins élevés aux patients ontariens. Dans le cas des produits sous marque de distributeur, les réductions de prix dont Sanis bénéficierait vraisemblablement ne seraient pas transmises à ceux qui les payent en bout de ligne comme le gouvernement, les assureurs et les patients. Il semble plutôt que les entreprises contrôlées par les pharmacies conserveraient les profits sans en faire bénéficier les consommateurs. Même s'il ne s'agirait pas d'un « rabais » au sens de la loi, le problème ressemble à celui que les dispositions interdisant les rabais visent à éviter . [Italiques ajoutés.]
[36] Les règlements relatifs aux produits sous marque de distributeur contribuent aussi à atteindre l'objectif législatif de transparence du prix des médicaments. Ils sont conformes à ce que le Bureau de la concurrence avait recommandé en 2008, soit que « le remboursement des services pharmaceutiques devrait être distinct du remboursement du coût des médicaments ». Le Bureau de la concurrence estimait que les gouvernements provinciaux ont de la difficulté à fixer des honoraires convenables pour les services pharmaceutiques dès lors que les pharmacies continuent à recevoir des fabricants de médicaments des sommes faramineuses qui leur permettent de compenser le sous‑financement des services professionnels et une prestation de services inefficace ( Pour une concurrence avantageuse des médicaments génériques , p. 25‑28 et 40). Amener les pharmacies à renoncer aux revenus que leur procurent les fabricants de médicaments et à passer à un modèle d'entreprise axé sur le remboursement de leurs services professionnels constituait donc une importante stratégie poursuivie dans les modifications apportées en 2006 et 2010 aux Lois et aux règlements.
[37] Les règlements sur les produits sous marque de distributeur s'inscrivent dans cette stratégie en assurant que les pharmacies tirent leurs revenus exclusivement de la prestation de services professionnels de santé plutôt que de la part des revenus des fabricants qu'elles touchent en mettant sur pied des filiales qui offrent des médicaments sous leur propre marque. Ainsi, les règlements correspondent à l'objectif visé par la loi consistant à réduire le coût des médicaments, étant donné que le fait de dissocier le coût des services pharmaceutiques de celui des médicaments place l'Ontario en meilleure posture pour réglementer les deux.
[38] Les règlements de 2010 relatifs aux produits sous marque de distributeur s'inscrivaient donc dans la foulée des démarches réglementaires entreprises en vue de réduire les prix des médicaments génériques et ils sont par conséquent conformes à l'objectif visé par les Lois .
[39] Shoppers et Katz ont toutefois plaidé que les règlements relatifs aux produits sous marque de distributeur sont incompatibles avec l'objectif visé par les Lois parce qu'ils ne pourraient pas réduire les prix des médicaments ou ne le réduiraient pas. En toute déférence, cet argument repose sur une interprétation erronée de la nature de l'exercice d'examen en cause. La préoccupation qui a suscité l'interdiction tient à ce que l'affiliation des fabricants de produits sous marque de distributeur avec les pharmacies serait susceptible de les rendre plus résistants aux mesures prises par l'Ontario pour promouvoir des prix moins élevés. Il existe donc un lien entre les règlements et l'objectif législatif consistant à contrôler — et à réduire — les prix des médicaments. Il n'est pas question de savoir si les règlements permettront ou non en bout de ligne d'atteindre cet objectif ou s'ils constituent ou non une saine politique économique. La question est de savoir si les règlements sont conformes à l'objectif du régime législatif. À mon avis, ils le sont manifestement.
[40] Shoppers et Katz ont également plaidé que les règlements relatifs aux produits sous marque de distributeur ne sont pas conformes à l'objectif législatif parce qu'ils ont une portée trop limitative : ils n'empêchent pas une pharmacie d'être propriétaire d'un fabricant qui est également le manufacturier du médicament. Pour le moment, il s'agit là de pures spéculations : en Ontario, aucune pharmacie n'est propriétaire à la fois de fabricants et de manufacturiers de médicaments génériques. Il se peut fort bien qu'une structure organisationnelle de ce genre devienne un jour une source de préoccupations, mais l'Ontario n'est pas obligé, dans sa réglementation, d'anticiper tous les scénarios problématiques éventuels. Dès lors que les mesures effectivement adoptées sont conformes à l'objet visé par la loi et à la portée de ses règlements, l'Ontario a le droit de s'attaquer au problème par étapes. L'interdiction frappant les produits sous marque de distributeur n'est pas incompatible avec l'objet de la loi ou étrangère à ce dernier simplement parce qu'elle n'englobe pas des modèles d'entreprise qui n'existent pas encore.
[41] Il convient de répéter que la lutte totémique, en Ontario, pour contrôler les prix des médicaments génériques a été menée graduellement , en partie parce qu'on a pris conscience peu à peu des mécanismes qui peuvent faire monter les prix des médicaments et en partie en raison de la dynamique du problème : chaque fois que le gouvernement a adopté de nouvelles mesures, les acteurs du marché ont modifié leurs pratiques commerciales pour se soustraire aux restrictions et pour maintenir les prix élevés.
[42] Les règlements relatifs aux produits sous marque de distributeur s'inscrivent dans la foulée d'un processus réglementaire graduel conçu pour réagir à un modèle d'entreprise dans lequel le fabricant de produits sous marque de distributeur se substitue au fabricant dont les médicaments se trouvent déjà sur le marché ontarien. Sanis, par exemple, comptait s'en remettre à Cobalt et à Mylan, deux fabricants qui vendent déjà des médicaments génériques en Ontario, pour fabriquer ses médicaments et pour préparer le terrain en vue d'obtenir l'approbation réglementaire. Brent Fraser, le directeur des Services liés aux programmes de médicaments du Ministère de la Santé et des Soins de longue durée, a exprimé ses craintes sur ce point précis en ce qui concerne la proposition de Sanis. À son avis, l'intention de Sanis de s'en remettre à d'autres compagnies comme Cobalt ou Mylan pour mettre au point les produits qu'elle se proposait de vendre faisait en sorte que [ traduction ] « le seul rôle que Sanis semble jouer se résume à engranger les profits d'un exploitant de pharmacie en plus des honoraires de préparation plus élevés, des frais de services nouvellement instaurés pendant la période de transition, des avantages associés aux conditions commerciales habituelles, sans oublier les paiements à venir pour la prestation des services professionnels ».
[43] Shoppers et Katz ont également plaidé que les règlements relatifs aux produits sous marque de distributeur sont ultra vires parce qu'ils portent atteinte à des droits commerciaux, interdisent une activité et établissent une distinction entre les fabricants de médicaments, ajoutant que rien de tout cela n'est autorisé par le pouvoir de réglementation prévu par la Loi sur le régime de médicaments de l'Ontario et la Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation . À mon avis, ces arguments ne sauraient être retenus.
[44] Il me semble quelque peu immatériel de parler d'un « droit » commercial de faire des échanges dans un marché aussi réglementé que le marché pharmaceutique ontarien. Les fabricants n'ont le droit de vendre des médicaments sur le marché public en Ontario que si ces médicaments sont énumérés au Formulaire des médicaments, et ils n'ont pas du tout le droit de vendre des médicaments génériques à moins que ceux‑ci n'aient été désignés comme interchangeables. Comme la Loi sur le régime de médicaments de l'Ontario et la Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation confèrent au lieutenant‑gouverneur en conseil le pouvoir de fixer les conditions qu'un médicament doit respecter pour pouvoir être énuméré au Formulaire des médicaments et pour être désigné comme interchangeable, ces lois permettent expressément de restreindre la possibilité pour un fabricant d'entrer sur le marché et d'y demeurer.
[45] Les règlements relatifs aux produits sous marque de distributeur ne contreviennent pas non plus au principe suivant lequel le pouvoir législatif de règlementer une activité ne comprend pas le pouvoir de l'interdire. Ce principe tire son origine de l'arrêt Municipal Corporation of City of Toronto c. Virgo , [1896] A.C. 88 (C.P.), dans lequel lord Davey a affirmé ce qui suit :
[ traduction ] [I]l faut nettement distinguer l'interdiction ou la prohibition d' un commerce et sa réglementation ou son contrôle, et il est évident que le pouvoir de réglementation et de contrôle présuppose l'existence ininterrompue de ce qui doit être réglementé ou contrôlé. [p. 93]
[46] Pour déterminer si un règlement a franchi la ligne de démarcation faisant en sorte qu'une condition acceptable devient une interdiction inacceptable, il faut préciser la portée de l'activité à réglementer et déterminer alors la mesure dans laquelle cette activité peut être poursuivie (Keyes, p. 312). Dans le cas qui nous occupe, l'activité à réglementer consiste en la vente de médicaments génériques sur le marché privé et le marché public en Ontario. Les règlements relatifs aux produits sous marque de distributeur n'interdisent pas aux fabricants de vendre des médicaments génériques sur les marchés ontariens; ils leur interdisent l'accès au marché uniquement s'ils utilisent une certaine structure organisationnelle. On ne saurait qualifier cette mesure d'interdiction totale ou quasi‑totale de la vente de médicaments génériques en Ontario.
[47] L'argument des « distinctions non autorisées » est également dénué de fondement juridique. Les distinctions établies par règlement doivent être autorisées par la loi, explicitement ou par voie d'inférence nécessaire ( Forget c. Québec (Procureur général) , [1988] 2 R.C.S. 90, p. 106‑107). Les dispositions législatives applicables en l'espèce permettent expressément d'établir des distinctions entre les divers fabricants de médicaments. L'alinéa 14(1)a) de la Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation prévoit explicitement que le lieutenant‑gouverneur en conseil peut, par règlement, « prescrire les conditions auxquelles doivent répondre les produits ou les fabricants de produits pour que ces produits puissent être désignés comme étant interchangeables avec d'autres produits » . Le fait de prescrire les conditions auxquelles doivent satisfaire les fabricants de médicaments crée nécessairement des catégories de fabricants qui respectent ou non ces conditions et, par conséquent, à qui le règlement s'applique de façon différente.
[48] Les deux Lois précisent également que leurs règlements d'application peuvent être « d'application générale ou particulière » ( Loi sur le régime de médicaments de l'Ontario , par. 18(6)), ou qu'ils « peuvent avoir une portée générale ou particulière » ( Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation , par. 14(8)). Qui plus est, les deux lois sont assujetties à l'art. 82 de la Loi de 2006 sur la législation , qui prévoit expressément que le pouvoir de prendre des règlements comprend le pouvoir de les appliquer à différentes catégories :
82. (1) Les règlements peuvent avoir une portée générale ou particulière.
(2) Le pouvoir de prendre des règlements comprend le pouvoir de prescrire des catégories.
(3) Pour l'application du paragraphe (2), une catégorie peut être définie :
a) soit en fonction d'un attribut ou d'une combinaison d'attributs;
b) soit de façon à être constituée d'un membre donné ou à comprendre ou exclure un tel membre.
[49] Les règlements sont axés sur la vente de médicaments par des fabricants de produits sous marque de distributeur parce que ces fabricants et leurs pharmacies affiliées sont considérés comme étant particulièrement disposés à contourner l'interdiction légale des rabais, interdiction qui vaut pour tous les fabricants et toutes les pharmacies en Ontario. Loin d'établir des « distinctions non autorisées », les distinctions que les règlements établissent découlent directement de l'objet de la loi et de la portée de son mandat.
[50] En toute déférence, Shoppers et Katz n'ont, par conséquent, pas démontré que les règlements sont ultra vires .
[51] Je suis d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs des appelantes Katz Group Canada Inc., Pharma Plus Drug Marts Ltd. et Pharmx Rexall Drug Stores Ltd. : Lax O'Sullivan Scott Lisus, Toronto.
Procureurs des appelantes Shoppers Drug Mart Inc., Shoppers Drug Mart (London) Limited et Sanis Health Inc. : Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto.
Procureur des intimés : Procureur général de l'Ontario, Toronto.

[1] Panorama de la santé 2009 : Les indicateurs de l'OCDE (2009) (en ligne), p. 167.
[2] Bureau de la concurrence du Canada. Pour une concurrence avantageuse des médicaments génériques au Canada : Préparons l'avenir (2008) (en ligne), p. 7.
[3] Institut canadien d'information sur la santé, Tendances des dépenses nationales de santé, 1975 à 2012 (2012), p. 23.
[4] Loi sur le régime de médicaments de l'Ontario , art. 11.5, et O. Reg. 201/96, art. 1; Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation , art. 12.1, et R.R.O. 1990, Règl. 935, art. 2.
[5] Loi sur le régime de médicaments de l'Ontario , art. 0.1
[6] O. Reg. 201/96.
[7] R.R.O. 1990, Règl. 935.
[8] Loi sur le régime de médicaments de l' Ontario , O. Reg. 201/96, par. 12.0.2(1).
[9] Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation , R.R.O. 1990, Règl. 935, par. 9(1).
[10] Un « produit médicamenteux énuméré » est un médicament énuméré dans le Formulaire des médicaments par l'administrateur (par. 1(1), al. 1.2(2)a) et art. 1.3).


Synthèse
Référence neutre : 2013 CSC 64 ?
Date de la décision : 22/11/2013
Proposition de citation de la décision: Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/08/2014
Fonds documentaire ?: Lexum
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2013-11-22;2013.csc.64 ?

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