La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/03/2014 | CANADA | N°2014_CSC_20

Canada | Canada (Procureur général) c. Whaling


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Canada (Procureur général) c. Whaling, 2014 CSC 20, [2014] 1 R.C.S. 392
Date : 20140320
Dossier : 35024

Entre :
Procureur général du Canada
Appelant
et
Christopher John Whaling
Intimé
Et entre :
Procureur général du Canada
Appelant
et
Judith Lynn Slobbe
Intimée
Et entre :
Procureur général du Canada
Appelant
et
Cesar Maidana
Intimé
- et -
Procureur général de l'Ontario et
Association des libertés civiles de la Colombie-Britanni

que
Intervenants


Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell,...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Canada (Procureur général) c. Whaling, 2014 CSC 20, [2014] 1 R.C.S. 392
Date : 20140320
Dossier : 35024

Entre :
Procureur général du Canada
Appelant
et
Christopher John Whaling
Intimé
Et entre :
Procureur général du Canada
Appelant
et
Judith Lynn Slobbe
Intimée
Et entre :
Procureur général du Canada
Appelant
et
Cesar Maidana
Intimé
- et -
Procureur général de l'Ontario et
Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique
Intervenants


Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner

Motifs de jugement :
(par. 1 à 89)
Le juge Wagner (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis)


Canada (Procureur général) c. Whaling, 2014 CSC 20, [2014] 1 R.C.S. 392
Procureur général du Canada Appelant
c.
Christopher John Whaling Intimé
‑ et ‑
Procureur général du Canada Appelant
c.
Judith Lynn Slobbe Intimée
‑ et ‑
Procureur général du Canada Appelant
c.
Cesar Maidana Intimé
et
Procureur général de l'Ontario et
Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique Intervenants
Répertorié : Canada (Procureur général) c. Whaling
2014 CSC 20
N o du greffe : 35024.
2013 : 15 octobre; 2014 : 20 mars.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.
en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique
Droit constitutionnel — Charte des droits — Double péril — Abrogation de dispositions sur la libération conditionnelle anticipée qui s'applique rétrospectivement aux délinquants déjà condamnés et punis — L'application rétrospective a‑t‑elle pour effet de « puni[r] de nouveau » le délinquant en contravention à l'art. 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés? — Dans l'affirmative, cette violation constitue‑t‑elle une restriction établie par une règle de droit dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique conformément à l'article premier de la Charte? — Loi sur l'abolition de la libération anticipée des criminels, L.C. 2011, ch. 11, art. 10(1).
W, S et M purgeaient tous des peines dans des pénitenciers fédéraux. À titre de délinquants non violents qui en étaient à leur première infraction, tous les trois étaient admissibles à la procédure d'examen expéditif (« PEE ») en vertu du régime en vigueur à l'époque où leur peine avait été prononcée. Quand elle est entrée en vigueur, la Loi sur l'abolition de la libération anticipée des criminels (« LALAC ») a aboli la PEE. Le paragraphe 10(1) de la LALAC prévoit que l'abolition de la PEE s'applique rétrospectivement aux délinquants purgeant déjà leur peine. Ce changement a modifié la date d'admissibilité à la semi‑liberté — le temps d'épreuve équivalant au sixième de la peine ou à six mois a été remplacé par une période se terminant six mois avant la date d'admissibilité à la libération conditionnelle totale. Puisque l'abolition de la PEE a eu pour effet de retarder leur admissibilité à la semi‑liberté, W, S et M ont contesté la constitutionnalité du par. 10(1). La juge de première instance et la Cour d'appel ont toutes deux conclu que le par. 10(1) portait atteinte à leur droit, garanti par l'al. 11 h ) de la Charte , de ne pas être « puni[s] de nouveau » pour une infraction, et que cette violation ne pouvait se justifier au regard de l'article premier.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
Le paragraphe 10(1) de la LALAC contrevient à l'al. 11 h ) de la Charte . L'énoncé liminaire de l'art. 11 réfère à « [t]out inculpé ». L'alinéa h ) dispose ensuite que l'inculpé a le droit de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été déclaré coupable et puni. L'emploi de la conjonction négative « ni », à caractère disjonctif, dans « jugé ni puni » indique que la protection conférée par l'al. 11 h ) contre l'imposition d'une peine supplémentaire diffère de la protection contre un nouveau procès. Autrement dit, la protection prévient l'abus de multiples procès et d'une peine supplémentaire. L'emploi de la conjonction de coordination « et » dans l'expression « déclaré coupable et puni » fait ressortir encore davantage le caractère disjonctif de l'expression « jugé ni puni ». En conséquence, il ressort clairement du sens ordinaire des mots que le fait d'être jugé de nouveau ou le fait d'être puni de nouveau suffit pour que l'al. 11 h ) s'applique.
Bien que les auteurs s'attachent essentiellement aux caractéristiques de ce qui constitue une deuxième instance pour l'application de l'al. 11 h ), rien dans leur thèse ne fait obstacle à l'application de cette disposition aux situations où le délinquant est « puni de nouveau » en l'absence d'une deuxième instance. En fait, le peu de doctrine qui existe sur le sujet fait ressortir le caractère exceptionnel de telles atteintes plutôt que la portée de la disposition en cause.
Même dans les quelques affaires fondées sur l'al. 11 h ), comme R. c. Wigglesworth , [1987] 2 R.C.S. 541, la Cour a décidé que la protection contre le double péril était mise en jeu par une instance de nature criminelle ou de « véritables conséquences pénales ». Plus récemment, dans R. c. Rodgers , 2006 CSC 15, [2006] 1 R.C.S. 554, la Cour a établi un critère permettant de déterminer si une conséquence ou une sanction en particulier constitue une peine. Toutefois, la question qui nous est soumise en l'espèce déborde le cadre de ces deux critères. En l'espèce, nous devons déterminer, non pas si une sanction donnée est de nature punitive, mais si les changements apportés rétrospectivement aux conditions d'admissibilité à la libération conditionnelle, qui modifient l'application d'une sanction infligée préalablement, emportent l'imposition d'une peine. La peine alléguée ne découle pas d'une deuxième instance, ni ne constitue une sanction au sens où ce terme est défini dans l'arrêt Rodgers . Or, ce sont les attentes des délinquants à propos de la peine ou de la sanction initiale qui ont été trompées, et c'est cette situation qui selon eux a l'effet d'une nouvelle peine.
L'effet des divers changements rétrospectifs dépend du contexte de chaque dossier. La principale considération dans chaque cas sera la mesure selon laquelle l'attente en matière de liberté aura été trompée par l'action législative rétrospective. La peine se cristallise par l'effet rétrospectif de l'atteinte aux attentes en matière de liberté. En fait, le changement rétrospectif ayant pour effet de prolonger automatiquement l'incarcération du délinquant représente l'un des cas les plus manifestes d'un changement rétrospectif qui emporte une double peine dans le contexte de l'al. 11 h ).
La réponse à la question de savoir si des changements moins draconiens apportés rétrospectivement au régime de libération conditionnelle emportent une double peine dépendra des circonstances de chaque affaire. En règle générale, un changement rétrospectif aux conditions de la peine n'est pas punitif s'il n'augmente pas considérablement le risque d'une incarcération prolongée. Une procédure prévoyant une prise de décisions reposant sur la situation particulière du délinquant et le respect des droits procéduraux dans le calcul du temps d'épreuve sont des indices d'un faible risque d'une incarcération prolongée. Un changement qui entraîne directement une prolongation de l'incarcération sans égard à la situation du délinquant et qui ne prévoit pas l'application de garantie procédurale à la procédure d'examen contrevient manifestement à l'al. 11 h ).
Les objectifs de l'application de la LALAC à tous les délinquants — la réadaptation, la réinsertion sociale, la sécurité publique et la confiance du public dans l'administration de la justice — ne sont pas remis en cause en l'espèce. Or, ce n'est pas parce que le législateur a le pouvoir légitime de légiférer à cette fin que la LALAC est à l'abri d'un examen qui vise à en déterminer la constitutionnalité sur le plan de son effet.
La LALAC a eu pour effet de priver W, S et M de la possibilité de voir leur dossier examiné en vue d'une semi‑liberté anticipée et de prolonger leur période minimale d'incarcération. Ainsi, le par. 10(1) a eu pour effet de punir de nouveau W, S et M. Comme cet effet était automatique et qu'il s'appliquait sans égard à leur situation individuelle, l'affaire participait de ces « cas les plus manifestes ». En fait, l'augmentation du temps d'épreuve pour la libération conditionnelle en l'espèce est analogue à l'augmentation du temps d'épreuve pour la libération conditionnelle ordonnée par un juge en vertu du Code criminel dans le cadre de la détermination de la peine. La loi rétrospective qui entraîne une telle conséquence enclenche la protection contre la double peine garantie à l' al. 11 h ) .
La violation de l'al. 11 h ) de la Charte par le par. 10(1) de la LALAC ne peut se justifier au regard de l'article premier. Les objectifs de la LALAC qui consistent à réformer l'administration du système de libération conditionnelle et à maintenir la confiance du public envers le système de justice sont urgents et réels, et son application rétrospective a un lien rationnel avec ces objectifs; toutefois, le ministère public n'a pas réussi à établir qu'il n'existe pas de moyen moins attentatoire que l'application rétrospective. En fait, le législateur aurait pu opter pour une application prospective — plutôt que rétrospective —, ce qui lui aurait permis de réaliser ses objectifs sans contrevenir à l' al. 11 h ) . Le pourvoi est rejeté, et la réparation ordonnée par la juge de première instance est confirmée.
Jurisprudence
Distinction d'avec les arrêts : R. c. Rodgers , 2006 CSC 15, [2006] 1 R.C.S. 554; R. c. Wigglesworth , [1987] 2 R.C.S. 541; arrêts mentionnés : R. c. Shropshire , [1995] 4 R.C.S. 227; R. c. Chaisson , [1995] 2 R.C.S. 1118; R. c. Zinck , 2003 CSC 6, [2003] 1 R.C.S. 41; Cunningham c. Canada , [1993] 2 R.C.S. 143; Kienapple c. La Reine , [1975] 1 R.C.S. 729; R. c. Van Rassel , [1990] 1 R.C.S. 225; R. c. Shubley , [1990] 1 R.C.S. 3; R. c. M. (C.A.) , [1996] 1 R.C.S. 500; R. c. Wust , 2000 CSC 18, [2000] 1 R.C.S. 455; R. c. Big M Drug Mart Ltd. , [1985] 1 R.C.S. 295; R. c. Gamble , [1988] 2 R.C.S. 595; R. c. Harrer , [1995] 3 R.C.S. 562; R. c. Généreux , [1992] 1 R.C.S. 259; R. c. Pearson , [1992] 3 R.C.S. 665; Schachter c. Canada , [1992] 2 R.C.S. 679.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés , art. 1 , 7 , 11 g ), h ), i ).
Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , art. 743.6(1) .
Loi sur l'abolition de la libération anticipée des criminels , L.C. 2011, ch. 11, art. 3, 5, 10(1).
Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , L.C. 1992, ch. 20 , art. 102 , 119 , 119.1 [aj. 1997, ch. 17, art. 21(1) ; abr. 2011, ch. 11, art. 3 ], 122, 125 [abr. 2011, ch. 11, art. 5 ], 126 [ idem ], 126.1 [ idem ], 140.
Traités et autres instruments internationaux
Pacte international relatif aux droits civils et politiques , 999 R.T.N.U. 171, art. 14.7.
Doctrine et autres documents cités
Association canadienne de justice pénale. « Comments on “Directions for Reform” : A Public Consultation Package on Sentencing, Corrections and Conditional Release », December 7, 1990.
Canada. Chambre des communes. Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Sous‑comité sur la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition . « En constante évolution : La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition », mai 2000 (en ligne : http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=2537364&Mode=1&Parl=36&Ses=2&Language=F).
Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes , vol. 145, n o 131, 3 e sess., 40 e lég., 15 février 2011, p. 8205.
Comité d'examen du Service correctionnel du Canada. Rapport du Comité d'examen du Service correctionnel du Canada : Feuille de route pour une sécurité publique accrue . Ottawa : Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2007.
Friedland, M. L. « Legal Rights Under The Charter » (1982), 24 Crim. L.Q. 430.
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada , 5th ed. Supp., vol. 2. Toronto : Carswell, 2007 (updated 2012, release 1).
Stuart, Don. Charter Justice in Canadian Criminal Law , 5th ed. Toronto : Carswell, 2010.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (les juges Levine, D. Smith et Groberman), 2012 BCCA 435, 329 B.C.A.C. 118, 560 W.A.C. 118, 98 C.R. (6th) 346, 292 C.C.C. (3d) 502, [2012] B.C.J. No. 2258 (QL), 2012 CarswellBC 3357, qui a confirmé une décision de la juge Holmes, 2012 BCSC 944, 264 C.R.R. (2d) 160, [2012] B.C.J. No. 1312 (QL), 2012 CarswellBC 1879. Pourvoi rejeté.
Cheryl D. Mitchell et Ginette Gobeil , pour l'appelant.
Eric Purtzki et Garth Barriere , pour les intimés.
David Lepofsky et Mabel Lai , pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.
Michael Jackson , c.r. , et Joana Thackeray , pour l'intervenante l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge Wagner —
I. Introduction
[1] Dans le cadre du présent pourvoi, la Cour est appelée à réexaminer la définition du terme « puni » à l' al. 11 h ) de la Charte canadienne des droits et libertés . Le droit criminel établit une distinction entre la peine infligée à un délinquant et les conditions de la peine. Les changements apportés aux conditions, par exemple à l'admissibilité à la libération conditionnelle, ne modifient pas la peine en soi. La Cour est appelée à déterminer si les changements apportés rétrospectivement aux conditions de la peine emportent l'imposition d'une peine, ce qui enfreindrait le droit garanti par l'al. 11 h ) de ne pas être puni deux fois pour la même infraction.
[2] Le présent pourvoi découle de la conclusion du législateur selon lequel la procédure d'examen expéditif, ou PEE, n'était pas adéquate. Établie par voie législative en novembre 1992, la PEE constituait une procédure simplifiée permettant au délinquant non violent qui en est à sa première infraction d'être évalué en vue d'une libération conditionnelle sur la base d'une seule question, soit celle de savoir s'il n'existe aucun motif raisonnable de croire que le délinquant, s'il est mis en liberté, commettra une infraction accompagnée de violence. (Voir la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , L.C. 1992, ch. 20 (« LSCMLSC »).)
[3] Le ministère public souligne les critiques émises contre la PEE qui remontent à l'époque de sa création. Avant même l'adoption de la loi établissant la PEE, l'Association canadienne de justice pénale émettait des réserves sur le critère de la récidive avec violence, faisant valoir que [ traduction] « [n]ul système ayant pour objet de prévoir le comportement futur et qui se veut sécuritaire ne saurait être fondé sur un seul facteur. » L'Association faisait valoir que la PEE s'appliquerait à certains délinquants qui « ont déjà purgé des peines dans des établissements provinciaux pour des infractions, notamment pour des infractions avec violence » (« Comments on “Directions for Reform” : A Public Consultation Package on Sentencing, Corrections and Conditional Release », 7 décembre 1990, p. 29 (d.a., vol. III, p. 165)).
[4] Malgré ces critiques et d'autres, en 1997, la PEE a été élargie et prévoyait l'admissibilité anticipée à la semi‑liberté, qui intervenait après un temps d'épreuve de six mois, ou après une période équivalant au sixième de la peine, si elle était supérieure, plutôt que six mois avant l'admissibilité à la libération conditionnelle totale (L.C. 1997, ch. 17, par. 21(1)).
[5] Le ministère public signale que les critiques à l'endroit de la PEE n'ont pas cessé au cours des années qui ont suivi. Dans un rapport présenté en 2000, un sous‑comité parlementaire, tout en recommandant que la PEE soit maintenue, a préconisé d'en « resserrer les critères d'admissibilité », de sorte que les délinquants incarcérés pour une infraction mentionnée à l'annexe I ou à l'annexe II de la LSCMLSC ne puissent en bénéficier, et de « modifier le critère de récidive qui doit être pris en compte par la Commission nationale des libérations conditionnelles » pour le remplacer par un critère de récidive générale (Sous‑comité sur la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, « En constante évolution : La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition », mai 2000, par. 4.25 (en ligne)).
[6] Dans un rapport préparé en 2007, le Comité d'examen du Service correctionnel du Canada concluait que « la libération d'office et la procédure d'examen expéditif ont toutes les deux nui à la mise en liberté discrétionnaire et, de façon générale, ne se sont pas avérées aussi efficaces que la mise en liberté discrétionnaire pour ce qui est de réduire la récidive avec violence » ( Rapport du Comité d'examen du Service correctionnel du Canada : Feuille de route pour une sécurité publique accrue (2007), p. 121).
[7] Par une mesure qui se voulait une réponse à ces critiques, le législateur a abrogé les dispositions pertinentes. La Loi sur l'abolition de la libération anticipée des criminels , L.C. 2011, ch. 11 (« LALAC »), dont les dispositions pertinentes sont entrées en vigueur le 28 mars 2011, supprime la PEE et de ce fait la possibilité d'une mise en liberté anticipée. Fait essentiel dans le présent pourvoi, par le jeu du par. 10(1) de la LALAC , l'abrogation s'applique rétrospectivement. M. Whaling, M me Slobbe et M. Maidana ont été condamnés pour des crimes graves, mais sans violence, à l'époque où la PEE s'appliquait. Ils auraient tous été admissibles à la semi‑liberté anticipée en vertu des dispositions abrogées.
[8] La Cour doit déterminer si l'augmentation rétrospective du temps d'épreuve pour l'admissibilité à la semi‑liberté à l'égard des détenus condamnés et punis avant l'abrogation des dispositions créant la PEE porte atteinte au droit des intimés, garanti par l' al. 11 h ) de la Charte , de ne pas être punis de nouveau pour les infractions commises.
[9] Le présent pourvoi permet à la Cour de réexaminer l'objet de l' al. 11 h ) et d'en définir la portée. Pour les motifs qui suivent, je conclus que l' al. 11 h ) s'applique au grief des intimés. L'augmentation rétrospective du temps d'épreuve pour l'admissibilité à la semi‑liberté porte atteinte au droit des intimés, garanti par l' al. 11 h ) , de ne pas être « puni[s] de nouveau ». Cette atteinte n'est pas justifiée au regard de l'article premier de la Charte .
[10] Comme je suis d'avis que le droit expressément garanti par l' al. 11 h ) a été enfreint, j'estime qu'il n'est pas nécessaire d'examiner la demande des intimés fondée sur le droit général protégé par l' art. 7 de la Charte .
II. Les faits
[11] Il s'agit en l'espèce d'un pourvoi contre une décision de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique, qui a confirmé la décision rendue à l'issue d'un procès par voie sommaire par la Cour suprême de la Colombie‑Britannique. Les deux juridictions ont tranché en faveur des intimés.
[12] Les intimés, M. Whaling, M me Slobbe et M. Maidana, purgeaient tous des peines dans des pénitenciers fédéraux. À titre de délinquants non violents qui en étaient à leur première infraction, tous les trois étaient admissibles à la PEE en vertu du régime en vigueur à l'époque où leur peine avait été prononcée ( par. 125(1) de la LSCMLSC (maintenant abrogé)).
[13] La PEE se distinguait à plusieurs égards de la procédure normale d'examen en vue de la libération conditionnelle. Premièrement, il s'agissait d'une procédure simplifiée. La PEE s'appliquait automatiquement, c.‑à‑d. que les dossiers des délinquants qui étaient admissibles étaient transmis à la Commission nationale des libérations conditionnelles sans qu'une demande soit présentée ( par. 126(4) de la LSCMLSC (abrogé)). La Commission procédait sans audience à l'examen des dossiers transmis ( par. 126(1) (abrogé)). Deuxièmement, la procédure expéditive appliquait un critère de mise en liberté fondé sur une présomption, moins strict que celui qui préside à la procédure normale de libération conditionnelle. Dès lors qu'elle concluait qu'« il n'existe aucun motif raisonnable de croire que le délinquant commettra une infraction accompagnée de violence s'il est remis en liberté », la Commission était privée de tout pouvoir discrétionnaire qui lui aurait permis de refuser la mise en liberté du délinquant ( par. 126(2) (abrogé)). L' article 126.1 (abrogé) prévoyait que ces dispositions s'appliquaient à la semi‑liberté et à la libération conditionnelle totale.
[14] Troisièmement, et il s'agit là d'un élément crucial du présent pourvoi, dès 1997, le processus prévu par la PEE s'enclenchait à une date antérieure à celle prévue pour la semi‑liberté dans le cadre de la procédure normale, soit une fois que le délinquant avait purgé le sixième de sa peine ou six mois (selon la plus longue de ces périodes) alors que l'admissibilité était fixée, selon la procédure normale, à six mois avant la date d'admissibilité à la libération conditionnelle totale ( art. 119.1 (abrogé)).
[15] Quand elle est entrée en vigueur, la LALAC a aboli la PEE, y compris l'admissibilité anticipée à la semi‑liberté. Les articles 3 et 5 de la LALAC abrogent les dispositions de la LSCMLSC relatives à la PEE ( art. 119.1 , 125 , 126 et 126.1 susmentionnés) et le par. 10(1) prévoit que l'abolition de la PEE s'applique rétrospectivement aux délinquants purgeant déjà leur peine. Le par. 10(1) est ainsi rédigé :
10. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la procédure d'examen expéditif prévue par les articles 125 à 126.1 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , dans leur version antérieure à la date d'entrée en vigueur de l' article 5 , cesse de s'appliquer, à compter de cette date, à l'égard de tous les délinquants condamnés ou transférés au pénitencier, que la condamnation ou le transfert ait eu lieu à cette date ou avant ou après celle‑ci .
[16] Autrement dit, la PEE, que la LALAC abolit, « cesse de s'appliquer » même à l'égard des délinquants condamnés et punis avant l'entrée en vigueur de la LALAC . Ce sont les dispositions relatives à la procédure normale de libération conditionnelle de la LSCMLSC qui s'appliquent dorénavant. Ce changement a modifié la date d'admissibilité à la semi-liberté — le temps d'épreuve équivalant au sixième de la peine ou à six mois ( art. 119.1 (abrogé)) a été remplacé par une période se terminant six mois avant la date d'admissibilité à la libération conditionnelle totale ( art. 119 ). Ce changement a aussi eu pour effet de modifier la procédure d'examen en vue de la semi‑liberté et de la libération conditionnelle totale — la transmission automatique des dossiers à la Commission ( par. 126(4) et art. 126.1 (abrogés)) a été supprimée, de sorte que le délinquant doit présenter une demande de libération conditionnelle ( art. 122 ), et l'examen sans audience des dossiers ( par. 126(1) (abrogé)) est remplacé par la procédure d'examen normale, qui prévoit la tenue d'une audience à laquelle le délinquant assiste ( art. 140 ). En outre, l'abrogation a supprimé le critère de la récidive avec violence — moins strict, fondé sur une présomption et qui ne permettait pas à la Commission de refuser la libération conditionnelle dès lors qu'il était satisfait au critère ( par. 126(2) (abrogé)) — et y a substitué le critère de libération conditionnelle du « risque [. . .] inacceptable pour la société » — applicable à la procédure normale — et qui confère à la Commission le pouvoir de refuser la libération conditionnelle ( art. 102 ).
[17] L'abrogation a eu pour effet immédiat de retarder l'admissibilité à la semi-liberté des trois intimés : de trois mois dans le cas de M. Whaling, de neuf mois dans le cas de M me Slobbe et de vingt et un mois dans celui de M. Maidana.
[18] Les intimés ont contesté la constitutionnalité du par. 10(1) de la LALAC lors d'un procès par voie sommaire devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique.
III. Historique judiciaire
A. Cour suprême de la Colombie‑Britannique, 2012 BCSC 944, 264 C.R.R. (2d) 160
[19] La juge du procès, la juge Holmes, a conclu que le par. 10(1) de la LALAC contrevenait à l' al. 11 h ) de la Charte parce qu'il entraînait l'imposition d'une peine supplémentaire et qu'il n'était pas justifié au regard de l'article premier de la Charte .
[20] La juge Holmes s'est demandé si l'abolition de la PEE punissait les intimés en contravention au droit que leur garantit l' al. 11 h ) de la Charte « de ne pas être jugé[s] ni puni[s] de nouveau pour une infraction dont [ils ont] été définitivement déclaré[s] coupable[s] et puni[s] ». La juge Holmes a conclu, sur la base de l'arrêt R. c. Rodgers , 2006 CSC 15, [2006] 1 R.C.S. 554, que [traduction] « les garanties offertes par [l'al.] 11 h ) s'appliquent après le procès, la déclaration de culpabilité (ou l'acquittement) et la peine antérieurs, pour empêcher la tenue d'un autre procès ou la condamnation à une autre peine à l'égard de l'infraction qui avait été reprochée à cette personne » (par. 46).
[21] Quant à la question de savoir si une conséquence particulière constitue une « peine », la juge Holmes a cité (au par. 52) le passage suivant de l'arrêt Rodgers (par. 63) :
En règle générale, il me semble que la conséquence constitue une peine lorsqu'elle fait partie des sanctions dont est passible un accusé pour une infraction donnée et qu'elle est conforme à l'objectif et aux principes de la détermination de la peine.
La juge Holmes a noté que l'augmentation du temps d'épreuve pour la libération conditionnelle constitue clairement une « peine » dans le contexte du prononcé des peines en matière criminelle, se référant à plusieurs arrêts de la Cour, dont R. c. Shropshire , [1995] 4 R.C.S. 227, R. c. Chaisson , [1995] 2 R.C.S. 1118, et R. c. Zinck , 2003 CSC 6, [2003] 1 R.C.S. 41. Bien que les procédures de détermination de la peine et de libération conditionnelle soient distinctes, l'inadmissibilité à la libération conditionnelle dont le Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , assortit certaines peines n'est pas essentiellement différente de l'inadmissibilité à la libération conditionnelle découlant de la modification rétrospective de la LSCMLSC , car les objectifs et les fonctions de ces deux procédures peuvent se recouper et se recoupent effectivement.
[22] La juge Holmes a conclu qu'une [traduction] « preuve abondante » révélait que les objectifs du par. 10(1) de la LALAC étaient de nature punitive (par. 112). La modification rétrospective de l'admissibilité à la semi‑liberté avait un effet punitif et elle a souligné, tout particulièrement, son « effet tangible significatif sur la façon dont les deux délinquants toujours incarcérés purgeront leur peine » (par. 113). Se référant à l'arrêt Cunningham c. Canada , [1993] 2 R.C.S. 143, la juge a reconnu qu'il est possible d'apporter des modifications au droit et aux politiques relatifs aux services correctionnels et à la libération conditionnelle sans dénaturer pour autant la peine infligée, mais que « ces modifications ne doivent pas limiter de façon importante, même sous réserve de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire accordé à la Commission, l'admissibilité à la libération conditionnelle des délinquants » qui ont déjà été condamnés et punis (par. 114), car il en découlerait une peine supplémentaire.
[23] Estimant qu'il y avait eu une atteinte à l' al. 11 h ) , la juge Holmes a conclu que cette atteinte n'était pas justifiée au regard de l'article premier de la Charte . Bien que les objectifs de l'abrogation rétrospective, dont le maintien ou le rétablissement de la confiance du public dans l'administration de la justice, soient urgents et réels, le procureur général du Canada n'a pas démontré que la mesure ne portait pas atteinte plus que nécessaire aux droits des intimés garantis par l' al. 11 h ) pour la réalisation des objectifs du législateur. Le paragraphe 10(1) a été déclaré invalide dans la mesure où il prévoyait l'application rétrospective de la LALAC aux délinquants condamnés avant le 28 mars 2011, date de l'entrée en vigueur de cette loi. Le jugement déclaratoire prenait effet immédiatement.
B. Cour d'appel de la Colombie‑Britannique, 2012 BCCA 435, 329 B.C.A.C. 118 (les juges Levine, D. Smith et Groberman)
[24] La Cour d'appel a confirmé la décision de la juge de première instance, mais a tenu un raisonnement quelque peu différent. S'exprimant au nom de la cour, la juge Levine a conclu que l' al. 11 h ) visait à protéger les inculpés contre le double péril et qu'il s'appliquait aux sanctions infligées après le prononcé de la peine. Elle a jugé que l'augmentation rétrospective du temps d'épreuve résultant du report de la date d'admissibilité à la libération conditionnelle portait atteinte au droit des intimés garanti par l'al. 11 h ) de ne pas être « puni[s] de nouveau » (par. 71).
[25] La juge Levine a insisté sur le rôle du juge chargé d'infliger la peine, distinct de celui de la Commission sous le régime de la LSCMLSC , et sur le devoir, pour les juges, de ne pas considérer l'impact de la libération conditionnelle lors du prononcé de la peine. Elle a néanmoins conclu que le par. 10(1) de la LALAC entraînait la création d'une peine, compte tenu de l'objet et de l'effet de son application rétrospective.
[26] La juge Levine a signalé qu'une interprétation trop étroite de l' al. 11 h ) était contraire aux principes corrects d'interprétation de la Charte . Elle a conclu que l'objectif de l' al. 11 h ) était d'interdire qu'une personne qui avait déjà été jugée, condamnée et punie pour une infraction écope d'une deuxième peine pour la même infraction. Il s'agissait donc de définir ce qu'il faut entendre à l' al. 11 h ) par le terme « puni » et, par extension, de déterminer si, en l'espèce, la conséquence « fai[sai]t partie des sanctions [possibles] » et si elle était conforme à « l'objectif et aux principes de la détermination de la peine » suivant l'arrêt Rodgers (par. 63). La juge Levine s'est demandé si la loi avait un objet punitif, mais elle a refusé de se prononcer sur l'argument fondé sur l' al. 11 h ) sous cet angle. La juge Levine a plutôt conclu que l' effet du report, imposé par la loi, de la date d'admissibilité à la libération conditionnelle était comparable à celui du report, imposé par le tribunal, de la date d'admissibilité à la libération conditionnelle, qui dans ce dernier cas entraîne manifestement la création d'une peine (renvoyant aux arrêts Chaisson et Zinck ). Les conséquences de l'application du par. 10(1) de la LALAC contrevenaient à l' al. 11 h ) de la Charte .
[27] La Cour d'appel partageait aussi l'opinion de la juge de première instance selon laquelle, malgré l'objectif urgent et réel de la loi en cause, le procureur général n'avait pas produit une preuve suffisante pour démontrer que la loi affectait minimalement les droits des intimés. Elle n'était donc pas justifiée au regard de l'article premier de la Charte .
IV. Analyse
A. L'abolition rétrospective de la PEE porte‑t‑elle atteinte au droit garanti à l' al. 11h) ?
[28] Les intimés font valoir que la disposition qui prévoit l'application rétrospective, en l'occurrence le par. 10(1) de la LALAC , porte atteinte à leur droit garanti par l' al. 11 h ) de la Charte de ne pas être « puni[s] de nouveau ». Ils exhortent la Cour à adopter une interprétation large de la notion de « peine » qui ne serait pas limitée à la répétition d'instances criminelles ou quasi criminelles. À leur avis, l'abrogation rétrospective, qui a supprimé l'admissibilité anticipée à la semi‑liberté à l'égard des délinquants déjà condamnés et punis, a eu un effet punitif. Les intimés prétendent, contrairement à l'opinion exprimée par la Cour d'appel sur ce point, que l'objet était punitif.
[29] Le ministère public propose une interprétation étroite et textuelle de l' al. 11 h ) , qui exclut de la notion de « peine » l'annulation de l'admissibilité anticipée à la semi‑liberté. Il fait valoir que l'abrogation rétrospective était conforme aux objectifs de réadaptation, de réinsertion sociale, de sécurité publique et de confiance du public dans l'administration de la justice, et qu'elle ne visait pas à punir. L'effet de l'application rétrospective témoigne de cette fin non punitive. Le ministère public fait aussi valoir devant notre Cour que l' al. 11 h ) ne s'applique pas parce que le fait d'être « puni de nouveau » suppose l'existence d'une deuxième instance procédurale de nature criminelle à l'égard de la même affaire.
[30] Je commencerai par examiner cette dernière question, soit celle de savoir si l' al. 11 h ) s'applique en l'absence d'une deuxième instance procédurale. Je me pencherai ensuite sur ce qu'il faut entendre par être « puni » pour l'application de l' al. 11 h ) , avant d'examiner la question de savoir si, en raison de son objet ou de son effet, la disposition contestée entraîne la création d'une peine.
(1) L' alinéa 11 h ) s'applique‑t‑il en l'absence d'une deuxième instance?
[31] Ni le tribunal de première instance ni la Cour d'appel n'ont examiné cette question. Les deux juridictions ont convenu que l' al. 11 h ) apporte une protection contre le double péril, défini par la juge Levine de la Cour d'appel comme le fait pour le délinquant d'être [traduction] « jugé et puni de nouveau pour une infraction dont il a déjà été déclaré coupable et puni » (par. 45), et ont concentré leur analyse sur ce qu'il faut entendre par être « puni » pour l'application de l' al. 11 h ) .
[32] L' alinéa 11 h ) de la Charte est ainsi libellé :
11. Tout inculpé a le droit :
. . .
h ) d'une part de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d'autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni;
[33] Le législateur avait pour objectif en adoptant l' al. 11 h ) d'offrir une protection contre le double péril. Cette disposition s'inspire du libellé et de l'objectif de l'art. 14.7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques , 999 R.T.N.U. 171, reproduit ci‑dessous :
7. Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays.
[34] Or, le fait d'associer l' al. 11 h ) au double péril ne règle pas pour autant la question de son objet, puisque la définition même de « double péril » ne fait pas l'unanimité. Don Stuart tient les propos suivants dans Charter Justice in Canadian Criminal Law (5 e éd. 2010) :
[traduction] Actuellement, en droit canadien, il n'existe assurément pas de règle absolue sur le double péril. Il s'agit d'un sujet d'une grande complexité et plein de subtilités qui aurait certainement besoin d'être clarifié. La loi prévient l'abus de multiples procès visant un même acte, mais aussi de multiples peines. Le souci d'agir pour éviter la double peine tient à une considération différente qui a plutôt rapport au caractère équitable d'une peine proportionnée. [p. 464]
[35] Comme le signalent plusieurs auteurs, l' al. 11 h ) a une portée restreinte (voir M. L. Friedland, « Legal Rights Under The Charter » (1982), 24 Crim. L.Q. 430, p. 435 et 449; Stuart, p. 467). Stuart affirme que cette disposition a eu [traduction] « peu d'incidence sur la protection de l'accusé contre le double péril et la double peine », en partie en raison de sa portée étroite ( ibid. ). Friedland et Stuart laissent tous deux entendre que l'interprétation élargie du double péril s'inscrirait davantage dans le cadre de l' art. 7 de la Charte (Friedland, p. 435; Stuart, p. 468). Ce point de vue peut paraître particulièrement convaincant dans le cas qui nous occupe, puisqu'il porte sur une peine qui découlerait d'une mesure législative rétrospective, soit un enjeu visé par deux dispositions qui traitent expressément de l'effet rétrospectif : l' al. 11 g ) (qui protège contre une loi criminelle rétroactive) et l' al. 11 i ) (qui protège contre l'imposition d'une peine plus sévère, lorsque la peine qui sanctionne l'infraction est modifiée entre le moment de la perpétration de l'infraction et celui du prononcé de la peine).
[36] À mon avis, il n'est pas nécessaire d'invoquer une autre disposition de la Charte . Le libellé de l' al. 11 h ) , la doctrine et la jurisprudence de la Cour appuient une interprétation de l' al. 11 h ) selon laquelle le droit de ne pas être « puni de nouveau » s'applique au délinquant qui a été condamné, même en l'absence de nouvelles procédures judiciaires.
[37] D'abord, j'examinerai le sens ordinaire du libellé de l' al. 11 h ) . Son énoncé liminaire réfère à « [t]out inculpé ». L'alinéa h ) dispose ensuite que l'inculpé a le droit « de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni ». L'emploi de la conjonction négative « ni », à caractère disjonctif, dans « jugé ni puni » indique clairement que la protection conférée par l' al. 11 h ) contre l'imposition d'une peine supplémentaire diffère de la protection contre un nouveau procès. Autrement dit, comme le signale Stuart à propos du double péril en général, la protection prévient l'abus de multiples procès et d'une peine supplémentaire (p. 464). L'emploi de la conjonction de coordination « et » dans l'expression « déclaré coupable et puni » fait ressortir encore davantage le caractère disjonctif de l'expression « jugé ni puni ». En conséquence, il ressort clairement du sens ordinaire des mots que le fait d'être jugé de nouveau ou le fait d'être puni de nouveau suffit pour que l' al. 11 h ) s'applique.
[38] Cette interprétation de la disposition suivant son sens ordinaire repose sur le gros bon sens. Une peine infligée sans procès serait nettement plus discutable qu'une peine infligée à l'issue d'un procès. L' alinéa 11 h ) ne saurait avoir pour objet la protection contre une peine infligée à l'issue d'un procès tenu en bonne et due forme, mais pas contre d'autres types de « peine » infligée sans les garanties qu'offre un procès régulier.
[39] Ensuite, les auteurs soulignent certes que l' al. 11 h ) a une portée restreinte et qu'il ne vise pas toutes les formes de double péril. À titre d'exemple, il se distingue des garanties légales et de common law, comme le principe d'autrefois acquit, ou celui établi dans l'arrêt Kienapple c. La Reine , [1975] 1 R.C.S. 729, à l'encontre de déclarations de culpabilité multiples pour des infractions distinctes qui découlent d'un seul acte ( R. c. Van Rassel , [1990] 1 R.C.S. 225, p. 233). Néanmoins, rien dans ce qui précède ne fait obstacle à une interprétation de l' al. 11 h ) selon laquelle cette disposition offre une protection contre une double peine dans les cas où aucune nouvelle instance n'a été tenue. À ma connaissance, aucun auteur n'appuie une telle thèse. Bien que certains auteurs s'attachent essentiellement aux caractéristiques de ce qui constitue une deuxième instance pour l'application de l' al. 11 h ) (voir P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (5 e éd. suppl.), vol. 2, p. 51‑35), rien dans leur thèse ne vient restreindre l'application de cette disposition aux situations où il y a création d'une double peine en l'absence d'une deuxième instance.
[40] En fait, le peu de doctrine qui existe sur le sujet fait ressortir le caractère exceptionnel de telles atteintes plutôt que la teneur de la disposition en cause. Dans les premières affaires portant sur l' al. 11 h ) , des accusations criminelles avaient été portées contre un accusé qui avait déjà fait l'objet de sanctions pénales ou disciplinaires à l'issue d'une instance non criminelle visant le même acte. Il s'agissait de savoir si l'instance ou la sanction non criminelle faisait intervenir la protection contre le double péril ( R. c. Wigglesworth , [1987] 2 R.C.S. 541, et R. c. Shubley , [1990] 1 R.C.S. 3). Les affaires susmentionnées ne portaient pas directement sur l'existence d'une peine en l'absence d'une deuxième instance. Le ministère public cite les propos suivants formulés par la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt Shubley (p. 19) : « L' alinéa 11 h ) protège contre la répétition des procédures de nature criminelle. Il n'empêche pas que deux sortes de procédures, les unes criminelles et les autres non criminelles, découlent du même acte » (m.a., par. 59). Or, la Cour doit examiner ce passage à la lumière de son contexte, dans le cadre de son analyse visant à déterminer si l'instance était « de nature » criminelle. Même dans les premières affaires fondées sur l' al. 11 h ) , il a été décidé que la protection contre le double péril était mise en jeu par une instance de nature criminelle ou par de « véritables conséquences pénales ».
[41] L'arrêt dans l'affaire Rodgers , rendu plus récemment, appuie ma conclusion. La question en litige était de savoir si l'ordonnance de prélèvement d'échantillons de substances corporelles pour analyse génétique rendue en vertu d'une loi adoptée après la condamnation du délinquant constituait une double peine. Les commentaires suivants de la juge Charron se révèlent on ne peut plus pertinents :
D'abord, il faut se demander si même l' art. 11 s'applique à la demande visée à l'art. 487.055. Il ressort de l'énoncé liminaire de l' art. 11 que la protection offerte ne peut être invoquée que lorsqu'une personne est « inculpé[e] ». Ainsi, comme telle, la demande d'autorisation de prélever un échantillon d'ADN ne met pas du tout en jeu l' art. 11 . On ne saurait raisonnablement prétendre que M. Rodgers est « inculpé » et, si je comprends bien, ce n'est pas en cette qualité qu'il ne demande à bénéficier de la protection offerte par l' art. 11 . Il invoque plutôt les infractions dont il a été accusé selon le fichier — soit les infractions sexuelles dont il a été déclaré coupable et qui fondent la demande d'autorisation. Il ne fait aucun doute que l' art. 11 s'applique aux instances criminelles y afférentes, et la question qui se pose dès lors est de savoir si le prélèvement autorisé en application de l'art. 487.055 constitue une « peine » supplémentaire pour la perpétration de ces infractions. [Je souligne; par. 58.]
Dans Rodgers , la Cour rejette l'interprétation étroite de l' al. 11 h ) avancée par le ministère public en l'espèce, selon laquelle cette disposition s'applique seulement aux affaires où il y a répétition d'instances de nature criminelle. J'estime que l' al. 11 h ) protège effectivement le délinquant qui a déjà été jugé, condamné et puni contre une peine additionnelle, et ce, même en l'absence d'une deuxième instance. Quant à la paucité de la doctrine sur cette question, il est peut‑être temps de procéder à une mise à jour des ouvrages de référence.
[42] Comme j'ai conclu que l' al. 11 h ) ne fait pas obstacle aux arguments fondés sur la double peine en l'absence d'une deuxième instance, je dois à cette étape déterminer si la situation en l'espèce emporte l'imposition d'une peine.
(2) Que faut‑il entendre par la notion de « peine » dans le contexte de l' al. 11 h ) ?
a) Jurisprudence antérieure à l'arrêt Rodgers
[43] La notion de ce qui constitue une « peine » dans le contexte de l' al. 11 h ) a évolué au fil des ans et des dossiers ayant repoussé les limites des vieilles définitions. Il n'a jamais fait l'ombre d'un doute que la protection contre le double péril s'applique aux instances criminelles ou quasi criminelles. Ainsi, une deuxième accusation de nature criminelle ou quasi criminelle à l'égard du même acte met en jeu la protection de l' al. 11 h ) même si elle n'entraîne que peu de conséquences.
[44] L'arrêt Wigglesworth a précisé que la protection contre le double péril s'applique, non seulement aux instances de nature criminelle ou quasi criminelle, mais également aux instances non criminelles qui se soldent par l'imposition de véritables conséquences pénales. Lorsqu'une personne est accusée « d'une affaire privée, domestique ou disciplinaire [. . .] destinée à maintenir la discipline, l'intégrité ou à réglementer une conduite dans une sphère d'activité privée et limitée » (p. 560), l' al. 11 h ) s'applique s'il est satisfait au critère des véritables conséquences pénales :
À mon avis, une véritable conséquence pénale qui entraînerait l'application de l' art. 11 est l'emprisonnement ou une amende qui par son importance semblerait imposée dans le but de réparer le tort causé à la société en général plutôt que pour maintenir la discipline à l'intérieur d'une sphère d'activité limitée.
( Wigglesworth , p. 561, la juge Wilson)
[45] Dans l'affaire Wigglesworth , la procédure interne de discipline entreprise contre un membre de la Gendarmerie royale du Canada ne constituait pas une instance « de nature » criminelle ou quasi criminelle. La Cour a décidé qu'elle comportait l'imposition de « véritables conséquences pénales », parce qu'une peine d'emprisonnement d'une durée maximale d'un an comptait parmi les sanctions possibles. Dans l'arrêt Shubley , la Cour a appliqué le même critère et a conclu qu'une sanction imposée à l'issue d'une instance disciplinaire de l'établissement carcéral — l'isolement cellulaire pendant cinq jours à un régime alimentaire particulier — n'équivaut pas à de « véritables conséquences pénales », notamment parce que l'imposition d'une amende ou l'emprisonnement ne comptaient pas parmi les sanctions possibles : « Puisqu'elles sont limitées à la façon dont le détenu doit purger sa peine et qu'elles ne comportent ni amende, ni peine d'emprisonnement, ces sanctions paraissent tout à fait proportionnées à l'objectif de promouvoir le respect de la discipline interne dans les prisons et elles n'ont ni l'ampleur ni les conséquences auxquelles on s'attendrait pour ce qui est de réparer les torts causés à la société en général » (p. 23, la juge McLachlin).
[46] Dans l'arrêt Rodgers , la Cour réexamine la définition du mot « peine » qu'elle avait élaborée dans les arrêts Wigglesworth et Shubley . Il s'agissait de savoir si le fait d'ordonner à un délinquant de se soumettre au prélèvement d'un échantillon de substances corporelles pour analyse génétique en vertu d'une disposition qui n'existait pas à l'époque de sa condamnation constituait une double peine. La juge Charron reconnaît certes que l'incarcération et une forte amende constituent de « véritables conséquences pénales », mais conclut qu'une « peine » ne se limite pas à ces deux types de sanctions. Elle énumère des éléments propres aux sanctions punitives permettant de déterminer si une sanction donnée, quoique moins pénible que l'incarcération ou une forte amende, constitue néanmoins une peine et mentionne diverses ordonnances que le tribunal chargé de la peine est susceptible de prononcer, telle la confiscation, l'interdiction de possession d'une arme à feu, l'interdiction de conduite automobile ou la restitution.
[47] La définition en deux volets d'une peine qu'établit la juge Charron dans l'arrêt Rodgers et appliquée par les tribunaux de juridiction inférieure et les parties en l'espèce est ainsi rédigée :
En règle générale, il me semble que la conséquence constitue une peine lorsqu'elle fait partie des sanctions dont est passible un accusé pour une infraction donnée et qu'elle est conforme à l'objectif et aux principes de la détermination de la peine. [par. 63]
À la lumière des faits au dossier, la juge Charron conclut que l'ordonnance visant le prélèvement d'échantillons de substances corporelles pour analyse génétique ne fait pas plus partie de l'arsenal des sanctions criminelles possibles que la prise de photographies ou des empreintes digitales. À elle seule, une telle ordonnance ne stigmatise pas le délinquant, et bien qu'elle puisse avoir un effet dissuasif, ce ne sont pas toutes les mesures de dissuasion qui peuvent être qualifiées de « peine ». La juge Charron donne l'exemple des contrôles routiers inopinés visant à vérifier l'alcoolémie des conducteurs, qui ont pour conséquence, espère‑t‑on, de dissuader la conduite en état d'ébriété, mais qui ne sont pas pour autant des peines.
b) L'inapplicabilité du critère établi dans l'arrêt Rodgers aux modifications rétrospectives apportées à l'admissibilité à la libération conditionnelle
[48] À mon avis, en l'espèce, le concept de « peine », tel qu'il était défini à ce jour, est de nouveau remis en question, et nous sommes appelés à réexaminer les principes qui définissent la portée de l' al. 11 h ) . Dans Wigglesworth , la Cour conclut qu'une instance non criminelle qui comporte de véritables conséquences pénales enclenche le mécanisme de l' al. 11 h ) , et, dans Rodgers , elle établit un critère permettant de déterminer si une conséquence ou une sanction en particulier constitue une peine, mais la question qui nous est soumise en l'espèce déborde le cadre de ces deux critères.
[49] En l'espèce, nous devons déterminer, non pas si une sanction donnée est de nature punitive, mais si les changements apportés rétrospectivement aux conditions d'admissibilité à la libération conditionnelle, qui modifient l'application d'une sanction infligée préalablement, emportent l'imposition d'une peine. La peine alléguée ne découle pas d'une deuxième instance, ni ne constitue une « sanction » au sens où ce terme est défini dans l'arrêt Rodgers . Or, ce sont les attentes des délinquants à propos de la peine ou de la sanction initiale qui ont été trompées, et c'est cette situation qui selon eux a l'effet d'une nouvelle peine.
[50] Il ressort à l'évidence de ce qui suit que l'application du critère à deux volets établi dans l'arrêt Rodgers ne permet pas de décider si les changements apportés rétrospectivement à l'admissibilité à la libération conditionnelle emportent l'imposition d'une peine. D'une part, la notion de « peine » est définie en fonction des formes traditionnelles de peines prévues au Code criminel , dans lequel « les mots “peine”, “punition” et “sanction” sont interchangeables » (par. 62). Ce volet du critère a pour fonction de permettre aux tribunaux de déterminer si d'autres types de sanction, comme l'ordonnance visant le prélèvement d'échantillons de substances corporelles pour analyse génétique ou l'interdiction de conduite automobile, présentent les caractéristiques propres aux sanctions punitives et constituent en conséquence des « peines ». Puisque « l'octroi de la libération conditionnelle représente une modification des conditions aux termes desquelles la peine imposée par le tribunal doit être purgée plutôt qu'une réduction de la peine elle‑même » ( R. c. M. (C.A.) , [1996] 1 R.C.S. 500, par. 62 (soulignement omis)), les changements apportés rétrospectivement au système de libération conditionnelle ne font généralement pas partie « [de l'arsenal] des sanctions » envisagées dans l'arrêt Rodgers .
[51] D'autre part, la modification rétrospective de l'admissibilité à la libération conditionnelle risque de prolonger la période d'incarcération que doit purger un délinquant. L'incarcération constitue « la privation de liberté la plus grave dans notre droit » ( Wigglesworth , p. 562), et l'exemple le plus évident d'une peine faisant partie « [de l'arsenal] des sanctions » prévues au Code criminel . La peine carcérale et les fortes amendes représentent l'aune à laquelle les sanctions moins graves doivent être mesurées suivant le critère établi dans l'arrêt Rodgers . Le principe voulant que l'incarcération constitue une « peine » est l'une des principales assises de ce critère.
[52] Bref, le critère établi dans l'arrêt Rodgers , lorsqu'il est appliqué dans le présent contexte, se révèle trop formaliste, puisque suivant le premier volet, celui « des sanctions dont est passible un accusé », la plupart des modifications aux critères d'admissibilité à la libération conditionnelle seraient exclues, alors que même la plus infime augmentation de la probabilité que l'incarcération soit prolongée suffit pour satisfaire au critère. Malheureusement, le critère établi dans l'arrêt Rodgers ne permet pas de cerner les situations où une mesure a pour effet d'aggraver la peine sur le plan, sinon formel, du moins fonctionnel. Ce critère avait été établi à une tout autre fin, c'est‑à‑dire celle de déterminer si une sanction donnée — qui ne modifie pas la peine originale — possède les caractéristiques propres à une sanction criminelle et constitue de ce fait une « peine ».
[53] Le second volet du critère établi dans l'arrêt Rodgers — qui permet de déterminer si une sanction est conforme à l'objectif et aux principes du prononcé des peines — ne sied pas non plus à la présente situation. À titre d'exemple, les principes de réadaptation et de réinsertion sociale s'appliquent non seulement à la gestion de la libération conditionnelle, mais également au prononcé des peines. Force est de constater que tous les changements apportés rétrospectivement à l'admissibilité à la libération conditionnelle pourraient favoriser la réalisation de l'objectif et des principes du prononcé des peines, mais il ne fait aucun doute à mon avis que tous ne sont pas forcément punitifs.
c) Peine rétrospective et double péril interdits par l' al. 11h)
[54] Dans les affaires antérieures à l'arrêt Rodgers et dans ce dernier, la Cour énumère deux types de situations dans lesquelles la règle interdisant le double péril énoncée à l' al. 11 h ) peut être violée, mais la présente espèce en propose un troisième. À mon avis, dans le cas où un délinquant a été définitivement acquitté d'une infraction, ou déclaré coupable et puni pour cette dernière, l' al. 11 h ) s'applique pour faire obstacle aux actes suivants de l'État relativement à cette infraction :
a) une instance de nature criminelle ou quasi criminelle (être « jugé de nouveau »);
b) une sanction ou une conséquence supplémentaire qui satisfait au critère à deux volets établi dans l'arrêt Rodgers en matière de peine (être « puni de nouveau »), c'est‑à‑dire qui est semblable aux types de sanctions que prévoit le Code criminel et qui est infligée pour réaliser l'objectif et les principes de détermination de la peine;
c) des changements apportés rétrospectivement aux conditions de la sanction originale ayant pour effet d'aggraver la peine du délinquant (être « puni de nouveau »).
Le présent pourvoi porte sur le troisième type de double peine interdit par l' al. 11 h ) . Ce n'est pas la constitutionnalité de l'abrogation des dispositions établissant la PEE qui est contestée en l'espèce, mais celle de son application rétrospective, qui a modifié l'attente en matière de libération conditionnelle des délinquants déjà condamnés et punis.
[55] Avant d'analyser la teneur de la double peine dans ce contexte, quelques commentaires s'imposent sur les rapports entre une peine rétrospective et le double péril dans le contexte de la Charte . Outre la présomption de non‑rétroactivité en common law, certains principes de non‑rétroactivité en matière criminelle sont consacrés dans la Charte . À ce sujet, la disposition la plus claire est l' al. 11 g ) , qui offre une protection contre l'application rétroactive des lois en matière criminelle. Pour reprendre les propos de Peter Hogg : [ traduction ] « Sous réserve de l' al. 11 g ) , le droit constitutionnel canadien n'interdit pas la rétroactivité (ex post facto) des lois » (p. 51‑33). L' alinéa 11 i ) concerne la rétroactivité, quoiqu'il soit libellé en des termes moins explicites à cet égard que la disposition précédente, et assure une protection contre l'aggravation de la peine intervenue entre le moment de la perpétration du crime et le moment de la sentence. Ces deux dispositions témoignent de l'aversion de la société pour les peines rétroactives, dans un sens large — pour la loi rétroactive qui crée une infraction criminelle, dans le cas de l' al. 11 g ) , et pour la loi rétroactive en vertu de laquelle une peine alourdie s'appliquerait à l'infraction commise avant son adoption, dans le cas de l' al. 11 i ) .
[56] L' alinéa 11 h ) ne concerne pas expressément la rétroactivité. Il a pour objet d'offrir une protection contre le double péril, c'est‑à‑dire le fait de juger ou de punir un accusé pour une infraction dont il a déjà été acquitté ou déclaré coupable et puni. Dans de nombreuses situations faisant intervenir l' al. 11 h ) — sinon dans la plupart d'entre elles —, le débat ne porte pas sur une peine rétroactive. À titre d'exemple, dans les premières affaires interpellant l' al. 11 h ) , la question était celle de savoir si une personne sanctionnée à l'issue d'une instance non criminelle pouvait être accusée en vertu du Code criminel pour le même acte. Au moment où les actes avaient été commis, les infractions pertinentes existaient déjà. Or, comme je l'explique précédemment, il se peut que l' al. 11 h ) s'applique en l'absence d'une nouvelle instance. La modification rétrospective du système de libération conditionnelle, ultérieure à la condamnation du délinquant, peut aggraver la peine de ce dernier, ce qui fait intervenir la protection de l' al. 11 h ) . La modification législative qui n'est pas punitive à proprement parler peut le devenir si elle est appliquée rétrospectivement.
d) Quels changements apportés rétrospectivement aux conditions de la peine emportent une double peine?
[57] En règle générale, l'attente des délinquants quant à la durée de leur peine, mais non quant à leurs conditions, est protégée sur le plan constitutionnel. Divers changements apportés à la gestion de la libération conditionnelle ne sont pas de nature punitive, même s'ils mettent en jeu le droit à la liberté du délinquant en augmentant un tant soit peu la probabilité d'une incarcération prolongée. À ce sujet, la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) tient, dans l'arrêt Cunningham , les propos suivants :
La Charte n'assure pas une protection contre les restrictions insignifiantes ou « négligeables » à l'égard des droits [. . .] Il en découle que la restriction de l'attente d'un détenu en matière de liberté ne fait pas nécessairement intervenir l'application de l' art. 7 de la Charte . La restriction doit être suffisamment importante pour justifier une protection constitutionnelle. Exiger que toutes les modifications apportées à la manière dont une peine est purgée soient conformes aux principes de justice fondamentale aurait pour effet de banaliser les protections conférées par la Charte . Selon le juge Lamer dans l'arrêt Dumas [ c. Centre de détention Leclerc , [1986] 2 R.C.S. 459], à la p. 464, il doit y avoir une « modification importante des conditions d'incarcération qui équivaut à une nouvelle privation de liberté ». [p. 151]
[58] L'exigence d'une « modification importante des conditions d'incarcération qui équivaut à une nouvelle privation de liberté » a été établie dans le contexte de l' art. 7 et il n'y a pas lieu de l'insérer dans l'étude de l' al. 11 h ) , dont l'objet est distinct. Les changements apportés rétrospectivement au système de libération conditionnelle qui font intervenir le droit à la liberté garanti à l' art. 7 n'emportent pas forcément l'imposition d'une peine pour l'application de l' al. 11 h ) . Cependant, certaines des conclusions de la Cour dans l'arrêt Cunningham s'appliquent à l'analyse entreprise relativement à l' al. 11 h ) . Premièrement, la Cour reconnaît que les délinquants ont des attentes de liberté qui sont fonction du système de libération conditionnelle en place au moment où ils ont été condamnés et que modifier ces attentes risque de mettre en jeu le droit à la liberté protégé par la Constitution. Il est possible que les changements apportés au système de libération conditionnelle qui ont pour effet de prolonger rétrospectivement la période d'incarcération d'un délinquant enfreignent l' art. 7 même s'ils ne modifient pas la peine elle‑même. Pour reprendre les propos tenus par la juge McLachlin dans Cunningham : « U ne personne jouit de “plus” de liberté ou d'une meilleure qualité de liberté, lorsqu'elle purge sa peine en liberté surveillée plutôt qu'en prison » (p. 150).
[59] Cela dit, la Cour a reconnu dans l'arrêt Cunningham que toutes les attentes en matière de liberté dans le contexte de la libération conditionnelle ne sont pas protégées sur le plan constitutionnel. Même une modification aux conditions de la peine qui met en jeu le droit à la liberté garanti par l' art. 7 peut être conforme aux principes de justice fondamentale. Des précisions s'imposent. À mon avis, le même raisonnement essentiel s'applique à la modification rétrospective qui emporte une double peine dans le contexte de l' al. 11 h ) . Certains changements apportés rétrospectivement au système de libération conditionnelle trompent les attentes en matière de liberté d'un délinquant ayant déjà reçu sa peine, et ce dans une telle mesure qu'ils créent une nouvelle peine, alors que dans d'autres circonstances, ils ont une incidence limitée, qui ne fait pas intervenir la protection garantie par la Charte .
[60] Je m'abstiendrai d'énoncer une formule universelle, car une telle formule n'est pas nécessaire pour trancher le présent pourvoi, et l'effet des divers changements rétrospectifs dépend du contexte de chaque dossier. Cela dit, à mon avis, la principale considération dans chaque cas sera la mesure selon laquelle l'attente légitime en matière de liberté aura été trompée par l'action législative rétrospective. La peine se cristallise par l'effet rétrospectif de l'atteinte aux attentes légitimes de liberté. D'une part, le changement apporté rétrospectivement aux règles régissant l'admissibilité à la libération conditionnelle qui a pour effet de prolonger automatiquement l'incarcération du délinquant emporte une peine supplémentaire, contrairement à l' al. 11 h ) de la Charte . Un changement qui trompe si catégoriquement l'attente en matière de liberté d'un délinquant qui a déjà été condamné et puni représente l'un des cas les plus manifestes d'un changement rétrospectif qui emporte une double peine dans le contexte de l' al. 11 h ) .
[61] J'en arrive à cette conclusion pour plusieurs des motifs énoncés par les tribunaux de juridiction inférieure et invoqués par les intimés. Bien que le juge qui détermine la peine ne doive pas tenir compte des conditions d'admissibilité à la libération conditionnelle dans l'évaluation de la peine juste et équitable ( Zinck , par. 18), l'effet punitif de l'augmentation du temps d'épreuve avant la libération conditionnelle est reconnu expressément dans le Code criminel , qui autorise le juge qui prononce la peine à augmenter le temps d'épreuve, dans certaines circonstances. À titre d'exemple, le par. 743.6(1) autorise le tribunal à retarder la libération conditionnelle pour des raisons de dénonciation ou de dissuasion individuelle ou générale. En outre, le juge qui prononce la peine peut accroître la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle d'un délinquant reconnu coupable de meurtre au deuxième degré ( Chaisson , par. 12). À ce sujet, la Cour tient les propos suivants dans R. c. Wust , 2000 CSC 18, [2000] 1 R.C.S. 455, par. 24 :
Le tribunal qui détermine la peine est rarement concerné par ce qui se produit après le prononcé de la peine, c'est‑à‑dire par l'exécution de la peine. Par contre, il doit parfois s'attacher à cet aspect de la question lorsqu'il recommande ou impose une forme particulière de traitement au délinquant. Dans les affaires de meurtre, par exemple, le tribunal qui détermine la peine fixe le délai préalable à la libération conditionnelle du contrevenant : art. 745.4 du Code . [Je souligne.]
Dans l'arrêt Shropshire , le juge Iacobucci précise que la seule différence sur le plan du châtiment entre le meurtre au premier degré et le meurtre au deuxième degré réside dans la durée de l'inadmissibilité à la libération conditionnelle, ce qui « indique clairement que l'inadmissibilité à la libération conditionnelle fait partie du “châtiment” et est donc un élément important de la politique en matière de détermination de la peine » (par. 23).
[62] Le fait que l'augmentation du temps d'épreuve peut être imposée au moment du prononcé de la peine confirme ma conclusion selon laquelle l'imposition rétrospective de délais additionnels avant la libération conditionnelle à un délinquant déjà condamné constitue une peine. Si le législateur impose, par une loi à effet rétrospectif, une conséquence qui fait partie de celles que le juge qui détermine la peine peut infliger à des fins de punition, alors la protection contre la double peine garantie par l' al. 11 h ) doit s'appliquer.
[63] La réponse à la question de savoir si des changements moins draconiens apportés rétrospectivement au régime de libération conditionnelle emportent une double peine dépendra des circonstances de chaque affaire. En règle générale, un changement rétrospectif aux conditions de la peine n'est pas punitif s'il n'augmente pas considérablement le risque d'une incarcération prolongée. Une procédure prévoyant une prise de décisions reposant sur la situation particulière du délinquant et le respect des droits procéduraux dans le calcul du temps d'épreuve sont des indices d'un faible risque d'une incarcération prolongée. Quoique je fasse une mise en garde contre la transposition automatique dans le présent contexte des principes tirés de la jurisprudence relative à l' art. 7 , dans l'arrêt Cunningham , la Cour a décidé que la substitution d'un système de mise en liberté discrétionnaire à un système de mise en liberté d'office était constitutionnelle, en partie en raison du respect de diverses garanties procédurales, comme le droit d'être entendu et le droit à l'avocat. Bien que l' al. 11 h ) ne concerne pas directement les garanties procédurales, la présence ou l'absence de ces dernières dans la procédure contestée est pertinente lorsqu'il s'agit de déterminer s'il est probable que la peine soit alourdie. Comme je l'ai souligné précédemment, la principale considération est la mesure dans laquelle l'attente légitime en matière de liberté du délinquant a été trompée. Un changement qui entraîne directement une prolongation de l'incarcération sans égard à la situation du délinquant et qui ne prévoit pas l'application de garantie procédurale à la procédure d'examen contrevient manifestement à l' al. 11 h ) .
(3) Le par. 10(1) de la LALAC contrevient‑il, par son objet ou son effet, à l' al. 11 h ) de la Charte ?
[64] Il se peut qu'une loi contrevienne à la Charte par son objet ou par son effet : « Si [une loi] ne satisfait pas au critère de l'objet, il n'est pas nécessaire d'étudier davantage ses effets parce que son invalidité est dès lors prouvée » ( R. c. Big M Drug Mart Ltd. , [1985] 1 R.C.S. 295, p. 334). Pour déterminer si le par. 10(1) de la LALAC est conforme à l' al. 11 h ) de la Charte , la juge de première instance et la Cour d'appel ont examiné tout d'abord l'objet de la loi, puis son effet. La juge de première instance a conclu que le par. 10(1) de la LALAC contrevenait à la Charte par son objet et par son effet, tandis que la Cour d'appel a refusé de statuer sur la constitutionnalité de l'objet de cette disposition parce que son effet en soi la rendait inconstitutionnelle. Je suis d'accord avec la Cour d'appel pour dire que le par. 10(1) contrevient à la Charte par son effet, mais pour des motifs différents.
a) Objet du par. 10(1) de la LALAC
[65] Premièrement, l'objet général de la LALAC n'est pas remis en cause. Je partage l'avis de la Cour d'appel, qui a conclu que la validité de l'objet de la loi n'était pas sérieusement contestée :
[traduction] Le procureur général invoque des éléments de preuve qu'il a présentés au procès qui étayent la proposition selon laquelle l'abolition de la PEE sert les objets et les principes sur lesquels reposent les régimes de libération conditionnelle : favoriser la réadaptation et la réinsertion des délinquants en passant de la mise en liberté à une date prédéterminée à la procédure normale de libération conditionnelle; assurer la sécurité publique et réduire la récidive; axer l'examen en vue de la libération conditionnelle non pas sur la mise en liberté à une date prédéterminée en fonction de l'infraction perpétrée, mais plutôt sur la situation du délinquant; et maintenir ou rétablir la confiance du public dans l'administration de la justice en veillant à ce que les peines purgées correspondent aux peines imposées par les tribunaux. Ces objets relèvent totalement des pouvoirs constitutionnels conférés au gouvernement. Les intimés ne contestent pas la LALAC sur ce point. [par. 54]
Autrement dit, les objets visés par la restriction de l'admissibilité à la libération conditionnelle de tous les délinquants relèvent de la prérogative du législateur et ne sont pas en litige en l'espèce. La question en litige concerne la décision du législateur de faire appliquer l'abrogation rétrospectivement, par le truchement du par. 10(1) de la LALAC , à des délinquants qui avaient déjà été condamnés et punis. Quel est l'objet visé par cette application rétroactive?
[66] L'analyse qui précède me porte à conclure que, lorsqu'une mesure législative engendre rétrospectivement des changements à l'admissibilité à la libération conditionnelle, elle contrevient à l' al. 11 h ) si elle a pour objectif de prolonger l'incarcération du délinquant. Le ministère public fait valoir que le législateur, en appliquant rétroactivement l'abrogation, voulait favoriser la réinsertion sociale, la sécurité publique et la confiance du public dans l'administration de la justice. L'abrogation applicable [traduction] « immédiatement et uniformément à tous les délinquants, y compris ceux qui avaient déjà été condamnés et qui n'avaient pas encore été mis en liberté » (m.a., par. 84) permettait davantage de réaliser ces objectifs. Les intimés soutiennent, comme l'a conclu d'ailleurs la juge de première instance, que cet argument dissimule l'objet véritable de la disposition à application rétroactive. Les intimés et la juge Holmes ont cité des extraits des débats parlementaires pour démontrer que l'application rétrospective visait à favoriser la réalisation des objectifs de dénonciation, de dissuasion et de sanction. Ces arguments s'articulent autour de la question de savoir si le législateur avait plutôt pour objectif d'augmenter le temps d'épreuve des délinquants qui avaient déjà été condamnés.
[67] Plus particulièrement, selon une députée, si l'abrogation ne s'appliquait pas rétroactivement, les victimes d'un crime médiatisé commis avant l'abrogation « n'obtiendraient alors aucune forme de justice » ( Débats de la Chambre des communes , vol. 145, n o 131, 3 e sess., 40 e lég., 15 février 2011, p. 8205). Cet énoncé suggère fortement que le législateur avait l'intention de prolonger l'incarcération de délinquants qui avaient déjà été condamnés et punis, ce qui alimenterait la proposition selon laquelle l'objet de la disposition contrevenait à l' al. 11 h ) .
[68] Malgré certains passages troublants des débats parlementaires qui suggèrent que l'objet de la loi était inconstitutionnel, j'accepte pour les motifs qui suivent l'interprétation suggérée par le ministère public de l'intention du législateur. L'administration du régime de libération conditionnelle est distincte du prononcé des peines. En réponse aux critiques portant sur la PEE, le législateur a jugé bon de changer son fusil d'épaule et de revenir aux règles normales régissant la libération conditionnelle qui s'appliquaient avant la PEE. Il a également cru bon d'appliquer à tous les délinquants, y compris ceux qui avaient déjà été condamnés, les objectifs qui sous‑tendent ces mêmes règles. Compte tenu de la distinction formelle entre le prononcé des peines et l'administration de la libération conditionnelle, je ne vois de prime abord rien d'inconstitutionnel dans l' objet qui consiste à appliquer à tous les délinquants les objectifs légitimes véhiculés par la libération conditionnelle.
[69] Or, ce n'est pas parce que le législateur a le pouvoir légitime de légiférer en matière de libération conditionnelle dans le cadre de la LSCMLSC que cette mesure législative est à l'abri d'un examen qui vise à en déterminer la constitutionnalité sur le plan de son effet. Le pouvoir du législateur qui l'autorise à modifier les conditions d'une peine déjà prononcée, qui tient à la distinction formelle établie entre l'administration de la libération conditionnelle et le prononcé des peines, est limité si l'effet d'une telle modification est tel qu'il constitue une peine.
b) L'effet du par. 10(1) de la LALAC
[70] La disposition d'application rétrospective, à savoir le par. 10(1) de la LALAC , a eu pour effet de priver les trois intimés de la possibilité de voir leur dossier examiné en vue d'une semi‑liberté anticipée à laquelle ils s'attendaient à l'époque où ils avaient été condamnés et punis. Cette conséquence entraîne une prolongation de la période minimale d'incarcération dans le cas des personnes qui, comme les intimés, auraient été admissibles à la semi‑liberté anticipée sous le régime de la PEE.
[71] À mon avis, le par. 10(1) a eu pour effet de punir les intimés de nouveau. Son application a retardé rétrospectivement leur admissibilité à la semi‑liberté à l'égard d'infractions dont ils avaient été définitivement déclarés coupables et punis. Leur incarcération était prolongée automatiquement sans égard à leur situation individuelle.
[72] La présente affaire participe des « cas les plus manifestes » pour reprendre l'expression employée précédemment. En l'espèce, l'augmentation du temps d'épreuve pour la libération conditionnelle est analogue à l'augmentation du temps d'épreuve pour la libération conditionnelle ordonnée par un juge en vertu du Code criminel dans le cadre de la détermination d'une peine. Comme le signale le juge Iacobucci dans l'arrêt Shropshire , cela « indique clairement que l'inadmissibilité à la libération conditionnelle fait partie du “châtiment” » (par. 23). La loi rétrospective qui entraîne une telle conséquence enclenche la protection contre la double peine garantie à l' al. 11 h ) .
[73] Ma conclusion reste inchangée malgré le fait que l'augmentation du temps d'épreuve en l'espèce était imposée par voie législative, dans le contexte d'une modification à la LSCMLSC , qui concerne notamment le régime d'administration de la peine, et non par voie judiciaire en vertu du Code criminel . Cette distinction sur le plan de la forme ne change rien au fait que, sur le plan pratique, la nouvelle période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle a modifié les attentes en matière de liberté des délinquants qui avaient déjà été « jugé[s] [ou] puni[s] » pour leurs infractions. Elle leur a imposé une peine plus lourde que celle qu'ils auraient purgée sous le régime de la loi qui était en vigueur au moment du prononcé de leur peine. Le fait que la mesure législative qui a retardé l'admissibilité à la libération conditionnelle dans leur cas a été adoptée sous le couvert de la LSCMLSC , plutôt que sous celui du Code criminel , ne met pas non plus cette mesure à l'abri de l'examen fondé sur l' al. 11 h ) de la Charte . Si c'était le cas, le législateur pourrait adopter des lois punitives qui créeraient une double peine en choisissant tout simplement de modifier la LSCMLSC plutôt que le Code criminel .
[74] Je signale que la constitutionnalité d'autres aspects de l'abolition de la PEE n'a pas été sérieusement soutenue. Comme je ne dispose pas d'un dossier complet, je ne suis pas en mesure de statuer sur l'effet des modifications apportées à la procédure d'examen (qui requiert la présentation d'une demande de mise en liberté, met fin à la transmission d'office du dossier, exige la tenue d'une audience et annule l'examen sans audience) et celles apportées au critère de mise en liberté (qui ont substitué au critère fondé sur une présomption, moins strict, de la récidive avec violence, qui privait la Commission de tout pouvoir discrétionnaire qui lui aurait permis de refuser la libération conditionnelle du délinquant, le critère, plus exigeant, du risque inacceptable pour la société). On peut certainement assimiler ces modifications au changement apporté à la procédure de gestion de la peine que la Cour dans l'arrêt Cunningham a jugée conforme à l' art. 7 . Cela dit, il faut examiner en détail chaque changement rétrospectif pour déterminer s'il est susceptible de produire un effet punitif. Plus grande est l'incidence sur l'attente fondée en matière de liberté du délinquant — ou la probabilité d'une incarcération prolongée — plus le changement rétrospectif risque de contrevenir à l' al. 11 h ) .
(4) Le paragraphe 10(1) de la LALAC enfreint‑il l' art. 7 de la Charte ?
[75] Les intimés soutiennent subsidiairement que le par. 10(1) enfreint l' art. 7 de la Charte , car il prive le délinquant de sa liberté, ce qui contrevient aux principes de justice fondamentale. La juge Wilson fait le commentaire suivant à cet égard dans l'arrêt R. c. Gamble , [1988] 2 R.C.S. 595, p. 647 :
On trouve les principes de justice fondamentale « dans les préceptes fondamentaux de notre système juridique » : Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.‑B. , [[1985] 2 R.C.S. 486,] à la p. 503. Il est essentiel à tout système juridique qui reconnaît « la primauté du droit » (voir le préambule de la Charte ) qu'un inculpé soit jugé et puni en vertu du droit en vigueur au moment où l'infraction a été commise.
Puisque j'ai déjà conclu que la disposition contestée enfreint l' al. 11 h ) de la Charte , j'estime qu'il n'est pas nécessaire de statuer sur l'application de l' art. 7 .
[76] De façon générale, la Cour a toujours préféré analyser la portée d'une garantie expresse lorsque l' art. 7 et cette garantie prévue par la Charte sont tous deux invoqués : R. c. Harrer , [1995] 3 R.C.S. 562, par. 13. À mon avis, les commentaires suivants formulés dans l'arrêt R. c. Généreux , [1992] 1 R.C.S. 259, sont pertinents, bien qu'ils portent sur l' al. 11 d ) plutôt que sur l' al. 11 h ) :
L'appelant invoque l' al. 11 d ) et l' art. 7 de la Charte . Toutefois, quelques mots sur l'argument relatif à l' art. 7 suffiront. Dans le Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.‑B. , [1985] 2 R.C.S. 486, notre Cour a décidé que les art. 8 à 14 de la Charte , qui énoncent les « garanties juridiques », représentent des exemples précis d'application des principes fondamentaux d'équité sur lesquels se fonde notre système juridique, que l' art. 7 a érigés en norme constitutionnelle minimale. Par conséquent, dans le contexte où l'appelant met en doute l'indépendance de la cour martiale générale qui l'a jugé, l' art. 7 n'offre pas plus de protection que la garantie très précise de l' al. 11 d ) . Je ne veux pas que l'on pense que j'affirme, par là, que les droits garantis par les art. 8 à 14 de la Charte sont les seuls garantis par l' art. 7 , ou qu'il n'existe aucun cas où l' art. 7 accordera une protection plus large que ces articles combinés. En l'espèce, toutefois, l'appelant s'est plaint d'une atteinte précise qui relève directement de l' al. 11 d ) ; par conséquent, sa thèse n'est pas renforcée par son argument qui repose sur la formulation plus générale de l' art. 7 . [Je souligne; p. 310.]
Dans l'arrêt R. c. Pearson , [1992] 3 R.C.S. 665, p. 688, notre Cour applique le même raisonnement dans le contexte d'un recours fondé sur l' al. 11 e ) . L' alinéa 11 h ) protège contre l'atteinte précise reprochée en l'espèce, à savoir l'augmentation rétrospective du temps d'épreuve pour l'admissibilité à la libération conditionnelle, qui fait en sorte que le délinquant est puni de nouveau. Je n'examinerai donc pas les arguments fondés sur l' art. 7 .
B. Le paragraphe 10(1) de la LALAC est‑il justifié au regard de l'article premier de la Charte ?
[77] La juge de première instance a conclu que les objectifs visés par le par. 10(1) sont urgents et réels, ce dont la Cour d'appel a convenu, mais chacune était d'avis que la disposition en litige ne satisfaisait pas au critère de l'atteinte minimale. Je suis d'accord sur cette conclusion.
[78] Comme je l'ai indiqué plus haut, le législateur a aboli la PEE sur la foi d'une preuve considérable, que le ministère public nous a présentée, démontrant que ce régime n'était pas adéquat. Il revenait au législateur d'adopter les mesures qu'il jugeait nécessaires pour améliorer ce régime. Selon la juge de première instance, l'objectif qui consiste à assurer que la peine purgée soit conforme à la peine infligée par le tribunal, ce qui englobe par extension celui de maintenir ou de rétablir la confiance du public dans l'administration de la justice, est urgent et réel (par. 121). La décision du législateur d'appliquer ces objectifs à tous les délinquants, même ceux qui avaient déjà été condamnés et punis, témoigne de sa volonté à assurer l'uniformité dans l'administration du programme de libération conditionnelle et à maintenir ou à rétablir la confiance du public dans le système de justice. Je reconnais que ces objectifs sont urgents et réels, et je suis d'avis que la mesure législative — la LALAC — choisie par le législateur, y compris l'application rétrospective de ses dispositions, a un lien rationnel avec ces objectifs.
[79] Toutefois, le ministère public n'a pas réussi à établir qu'il n'existe pas de moyen moins attentatoire que l'application rétrospective des dispositions de la LALAC . L'uniformité dans l'administration du programme de libération conditionnelle constitue certes un objectif louable, mais le ministère public ne m'a pas convaincu qu'il serait compromis si le régime de la PEE continuait à s'appliquer aux délinquants condamnés et punis avant l'abolition de cette procédure. Je souscris à la conclusion suivante de la Cour d'appel à cet égard :
[traduction] Les objectifs de la gestion des peines en général et ceux de la LALAC en particulier sont manifestement importants, mais ils ne le sont pas tant que leur réalisation doive priver les intimés de leurs droits constitutionnels. Les autorités correctionnelles sont depuis vingt ans chargées de l'administration de différents régimes de libération conditionnelle à l'intention de différents délinquants, dont la PEE. [par. 65]
[80] À mon avis, le législateur aurait pu opter pour une application prospective de l'abrogation, ce qui lui aurait permis de réaliser les objectifs qui consistent à réformer l'administration du système de libération conditionnelle et à maintenir la confiance du public envers le système de justice, sans porter atteinte aux droits que l' al. 11 h ) garantit aux délinquants qui avaient déjà été punis. Le ministère public soutient que l'application rétrospective est nécessaire pour maintenir la confiance du public dans le système de justice. Je signale que l'adoption de mesures législatives qui enfreignent les dispositions de la Charte peut saper cette confiance. Le ministère public n'a produit aucune preuve tendant à démontrer pourquoi l'autre solution, à savoir une abrogation prospective, qui n'aurait pas porté atteinte aux droits constitutionnels des intimés, aurait considérablement compromis ses objectifs.
C. La Cour d'appel a‑t‑elle ordonné la réparation convenable?
[81] Le ministère public fait valoir devant notre Cour que la réparation ordonnée par la juge du procès par voie sommaire, et confirmée par la Cour d'appel, a une portée trop large, parce qu'elle a invalidé tout le par. 10(1) , alors que seule l'augmentation du temps d'épreuve pour l'admissibilité à la semi‑liberté — l'une des conséquences de l'application rétroactive de l'abrogation — portait atteinte aux droits des intimés. Selon le ministère public, il faudrait que les délinquants puissent se prévaloir, non pas de l'ensemble des éléments du régime de la PEE qui a été aboli, dont le renvoi d'office de leur dossier à la Commission pour examen, l'examen sans audience et le critère de mise en liberté moins strict, mais seulement de l'admissibilité anticipée à la semi‑liberté dont l'annulation a été déclarée inconstitutionnelle.
[82] Les juridictions inférieures ont toutes deux jugé que l'annulation rétrospective de l'admissibilité anticipée à la semi‑liberté n'était pas constitutionnelle. Aucune analyse sérieuse n'a porté sur la constitutionnalité de l'annulation rétrospective des autres éléments du régime de la PEE. La « peine » circonscrite par la juge du procès et confirmée par la Cour d'appel correspondait à l'augmentation du temps d'épreuve pour la semi‑liberté, et non aux changements apportés à la procédure d'examen ni au critère de mise en liberté.
[83] Bien que je m'abstienne de trancher cette question, j'assimilerais la modification apportée rétrospectivement à la procédure d'examen et au critère de mise en liberté à une modification de gestion de la peine que la Cour a acceptée dans l'arrêt Cunningham . Bien qu'ils portent sur l' art. 7 de la Charte , les commentaires suivants formulés par la juge McLachlin sont pertinents :
Une modification de la façon dont une peine est purgée, qu'elle soit favorable ou défavorable à l'endroit du détenu, n'est, en soi, contraire à aucun principe de justice fondamentale. En fait, notre système de justice a toujours permis aux autorités correctionnelles d'apporter des modifications appropriées à la manière dont une peine doit être purgée, en ce qui a trait au lieu, aux conditions, aux installations de formation ou au traitement. Un grand nombre de modifications des conditions dans lesquelles les peines sont purgées sont apportées de façon administrative pour répondre aux besoins immédiats ou au comportement du détenu. D'autres modifications sont d'ordre plus général. Par exemple, à l'occasion, une loi ou un règlement introduit de nouvelles méthodes en droit correctionnel. Ces initiatives modifient la manière dont certains détenus dans le système purgent leurs peines. [Je souligne; p. 152‑153.]
En l'espèce, je suis d'avis que, par l'augmentation législative du temps d'épreuve pour la semi‑liberté, qui a pour effet de prolonger la période minimale d'incarcération, les délinquants déjà condamnés sont « puni[s] » au sens où il faut l'entendre pour l'application de l' al. 11 h ) . Je ne conclus pas à l'inconstitutionnalité d'autres éléments de la LALAC . A priori, je ne vois rien d'impossible ni de condamnable à ce que la procédure antérieure au régime de la PEE qui est dorénavant en vigueur s'applique et d'y assortir le temps d'épreuve pour la semi‑liberté anticipée.
[84] Cependant, les juridictions inférieures ne disposaient pas des arguments qui nous ont été présentés sur l'opportunité de prononcer une déclaration d'invalidité partielle. La Cour doit envisager avec prudence la décision de s'écarter de la réparation ordonnée par la juge de première instance et confirmée par la Cour d'appel. Selon moi, une telle prudence nous invite à confirmer la déclaration d'invalidité intégrale. J'en viens à cette conclusion pour deux raisons.
[85] Premièrement, le législateur a instauré le régime d'admissibilité anticipée à la semi‑liberté dans le cadre de la PEE, et je ne peux présumer qu'il l'aurait adopté sans y rattacher le reste du régime de la PEE. Le critère applicable en l'espèce est de savoir si les dispositions valides du régime sont si inextricablement liées aux dispositions invalides qu'elles ne sauraient subsister sans elles ( Schachter c. Canada , [1992] 2 R.C.S. 679, p. 697). Selon moi, l'argument des intimés selon lequel la semi‑liberté anticipée était liée sur le plan fonctionnel au reste du régime de la PEE n'est pas convaincant. Cependant, j'outrepasserais mon rôle judiciaire en concluant à l'absence de lien sans bénéficier d'une preuve suffisante sur la manière dont la procédure normale de libération conditionnelle s'appliquerait à la semi‑liberté anticipée. Je ne peux présumer que le législateur aurait adopté la loi prévoyant la semi‑liberté anticipée sans son complément.
[86] Deuxièmement, même s'il ne faisait aucun doute que l'admissibilité anticipée à la semi‑liberté est autonome sur le plan fonctionnel, la dissociation ne serait pas possible dans le contexte de cette mesure législative. L' article 119.1 , qui abrégeait le temps d'épreuve pour la semi‑liberté, était tributaire du libellé des art. 125 et 126 . Le premier définissait la catégorie de délinquants qui étaient admissibles d'office à la PEE; le deuxième établissait les conditions de la libération conditionnelle, sur les plans de la procédure et du fond. L' article 119.1 était ainsi libellé :
119.1 Le temps d'épreuve pour l'admissibilité à la semi‑liberté est, dans le cas d'un délinquant admissible à la procédure d'examen expéditif en vertu des articles 125 et 126 , six mois ou, si elle est supérieure, la période qui équivaut au sixième de la peine.
L' article 126.1 disposait que les art. 125 et 126 s'appliquaient à la semi‑liberté anticipée instaurée par l' art. 119.1 .
[87] Le paragraphe 10(1) de la LALAC a abrogé rétrospectivement les art. 125 , 126 et 126.1 de la LSCMLSC et a donc privé les délinquants admissibles avant l'abrogation du droit de voir leur dossier examiné en vue d'une semi‑liberté anticipée. Le renvoi exprès dans l' art. 119.1 au « cas d'un délinquant admissible à la procédure d'examen expéditif en vertu des articles 125 et 126 » laisse entendre que cette disposition dépend des art. 125 , 126 et 126.1 et ne produit aucun effet sans eux.
[88] L'interprétation atténuée du par. 10(1) de la LALAC que propose le ministère public, selon laquelle l'abrogation des art. 125 à 126.1 s'appliquerait rétrospectivement, mais pas celle de l' art. 119.1 , rendrait impossible l'application de ce dernier. En conséquence, je suis d'avis de confirmer la déclaration d'invalidité du par. 10(1) dans son ensemble.
V. Dispositif
[89] Je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de confirmer la réparation ordonnée par la juge de première instance. Le paragraphe 10(1) de la LALAC contrevient à l' al. 11 h ) de la Charte et il est ainsi inopérant. Les articles 125 , 126 , 126.1 et, par voie de conséquence, l' art. 119.1 de la LSCMLSC continuent donc de s'appliquer aux délinquants condamnés avant l'entrée en vigueur de la LALAC , le 28 mars 2011.
Pourvoi rejeté.
Procureur de l'appelant : Procureur général du Canada, Vancouver et Montréal.
Procureurs des intimés : Eric Purtzki, Vancouver; Garth Barriere, Vancouver.
Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario : Procureur général de l'Ontario, Toronto.
Procureurs de l'intervenante l'Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique : University of British Columbia, Vancouver; Heenan Blaikie, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : 2014 CSC 20 ?
Date de la décision : 20/03/2014
Proposition de citation de la décision: Canada (Procureur général) c. Whaling


Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2014
Fonds documentaire ?: Lexum
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2014-03-20;2014.csc.20 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award