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25/09/2015 | CANADA | N°2015_CSC_45

Canada | ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Utilities Commission)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Utilities Commission), 2015 CSC 45
Date : 20150925
Dossier : 35624

Entre :
ATCO Gas and Pipelines Ltd. et ATCO Electric Ltd.
Appelantes
et
Alberta Utilities Commission et
Office of the Utilities Consumer Advocate of Alberta
Intimés

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Gascon

Motifs de jugement :
(par. 1 à 66)

Le juge Rothst

ein (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Gascon)

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COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Utilities Commission), 2015 CSC 45
Date : 20150925
Dossier : 35624

Entre :
ATCO Gas and Pipelines Ltd. et ATCO Electric Ltd.
Appelantes
et
Alberta Utilities Commission et
Office of the Utilities Consumer Advocate of Alberta
Intimés

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Gascon

Motifs de jugement :
(par. 1 à 66)

Le juge Rothstein (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Gascon)

Note : Ce document fera l'objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada .



atco gas and pipelines c. alberta (utilities commission)
ATCO Gas and Pipelines Ltd. et
ATCO Electric Ltd. Appelantes
c.
Alberta Utilities Commission et
Office of the Utilities Consumer Advocate of Alberta Intimés
Répertorié : ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Utilities Commission)
2015 CSC 45
N o du greffe : 35624.
2014 : 3 décembre; 2015 : 25 septembre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Gascon.
en appel de la cour d'appel de l'alberta
Services publics — Gaz — Électricité — Décision d'un organisme de réglementation des services publics relativement à l'établissement des tarifs — Demande de services publics en vue de recouvrer certaines charges de retraite grâce aux tarifs établis par l'Alberta Utilities Commission — Le régime réglementaire impose‑t‑il une méthode en particulier pour apprécier le caractère prudent des dépenses? — L'interprétation par la Commission de son pouvoir en matière d'établissement des tarifs et l'exercice de ce pouvoir étaient‑ils raisonnables? — Electric Utilities Act, S.A. 2003, c. E‑5.1, art. 102, 121 et 122 — Gas Utilities Act, R.S.A. 2000, c. G‑5, art. 36.
L'Alberta Utilities Commission a rejeté la demande présentée par ATCO Gas and Pipelines Ltd. et ATCO Electric Ltd. (les « services publics ATCO ») en vue de recouvrer, selon les taux approuvés, certaines charges de retraite correspondant à l'ajustement annuel au coût de la vie (« AACV ») pour l'année 2012. Au lieu d'approuver ce recouvrement à raison de 100 p. cent de l'indice des prix à la consommation (« IPC ») de l'année (AACV d'au plus 3 p. cent), la Commission a jugé raisonnable le recouvrement de seulement 50 p. cent de l'IPC annuel. La Cour d'appel de l'Alberta a rejeté l'appel de cette décision par les services publics ATCO.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
Un principe clé du droit réglementaire canadien veut qu'un service public réglementé ait la possibilité de recouvrer ses dépenses d'exploitation et ses coûts en capital grâce à sa tarification. C'est ce qui ressort de l' Electric Utilities Act et de la Gas Utilities Act de l'Alberta, lesquelles renvoient à une possibilité raisonnable de recouvrer les dépenses et les charges dans la mesure où elles sont prudentes. La Commission doit donc déterminer si les dépenses du service public peuvent être recouvrées parce qu'elles sont raisonnables ou, sous le régime de l' Electric Utilities Act et de la Gas Utilities Act , parce qu'elles sont « prudentes ». Lorsque les dépenses sont jugées prudentes, la Commission doit permettre au service public de les recouvrer grâce à sa tarification.
L' exigence de la prudence doit s'interpréter selon le sens ordinaire de ce mot : pour justifier l'octroi d'une possibilité raisonnable de recouvrement, les dépenses et les charges énumérées doivent résulter d'une décision sage ou bonne; autrement dit, elles doivent être raisonnables. Ni le sens ordinaire du mot « prudentes », ni son emploi en tant que condition autonome dans la loi ne permettent de déterminer le moment en fonction duquel la prudence doit être appréciée. En conséquence, ni le sens ordinaire du mot « prudentes », ni le texte de la loi n'indiquent que la Commission est tenue de se prononcer sur les dépenses en cause sans recul; la loi n'impose pas non plus de présomption de prudence en pareilles circonstances. Dans le contexte de la réglementation de services publics, il n'existe aucune différence entre des dépenses « prudentes » au sens ordinaire de ce terme et des dépenses que l'on pourrait qualifier de raisonnables. Il ne serait pas imprudent de faire des dépenses raisonnables, pas plus qu'il ne serait prudent de faire des dépenses déraisonnables . De plus, il incombe au service public de démontrer que la tarification qu'il propose est juste et raisonnable , ce qui l'oblige nécessairement à démontrer que ses dépenses sont prudentes . L'incidence de l'augmentation des tarifs sur le consommateur ne saurait justifier la Commission de refuser le recouvrement des dépenses. Cela ne veut pas dire pour autant que la Commission n'a pas à prendre en considération les intérêts des consommateurs. La réglementation tarifaire les prend en considération en ne permettant que le recouvrement des dépenses raisonnables ou prudentes que le service public fait pour la prestation efficace du service. Autrement dit, l'organisme de réglementation s'assure que le consommateur ne paie pas plus que ce qui est raisonnablement nécessaire.
Même si le libellé de leurs dispositions permet le recouvrement de dépenses « prudentes », l' Electric Utilities Act et la Gas Utilities Act n'imposent pas expressément à la Commission une méthode d'analyse donnée chaque fois que la notion de « prudence » est invoquée. La Commission peut donc s'en remettre à son expertise pour décider si les dépenses sont prudentes (au sens ordinaire de raisonnables) et tenir alors compte de divers outils d'analyse et éléments de preuve à condition, au final, que les tarifs fixés soient justes et raisonnables tant pour le consommateur que pour le service public.
La norme de contrôle applicable à la décision de la Commission lorsque celle‑ci met son expertise à contribution pour fixer les tarifs et approuver les paiements est celle de la décision raisonnable. Suivant cette norme de contrôle, l'interprétation de sa loi constitutive par la Commission commande la déférence. Dans la présente affaire, il n'était pas déraisonnable que la Commission décide, sans recourir à une méthode excluant le recul, que 50 p. cent de l'IPC (AACV d'au plus 3 p. cent) représentait un taux raisonnable d'AACV pour les besoins de la détermination de la charge de retraite à des fins réglementaires : la Commission n'était pas légalement tenue d'appliquer une méthode précise pour apprécier les dépenses en cause; on ne peut considérer que, à lui seul, l'emploi du mot « prudentes » dans l' Electric Utilities Act et dans la Gas Utilities Act oblige la Commission à recourir à une méthode particulière excluant le recul; les dépenses refusées étaient des dépenses prévues. Il était donc raisonnable que la Commission se penche sur les recettes jugées nécessaires par les services publics ATCO à la lumière de toutes les circonstances pertinentes. De plus, comme la Commission n'a pas eu recours à une méthode injustifiée, il n'était pas déraisonnable qu'elle ordonne aux services publics ATCO de réduire la charge de retraite répercutée sur les recettes nécessaires en abaissant l'AACV .
Jurisprudence
Arrêts mentionnés : Ontario (Commission de l'énergie) c. Ontario Power Generation Inc. , 2015 CSC 44; Northwestern Utilities Ltd. c. City of Edmonton , [1929] R.C.S. 186; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick , 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board) , 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140; Shaw c. Alberta Utilities Commission , 2012 ABCA 378, 539 A.R. 315; ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta Utilities Commission , 2009 ABCA 246, 464 A.R. 275; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association , 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Power Workers' Union, Canadian Union of Public Employees, Local 1000 c. Ontario Energy Board , 2013 ONCA 359, 116 O.R. (3d) 793; Enbridge Gas Distribution Inc. c. Ontario Energy Board (2006), 210 O.A.C. 4; McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission) , 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re) , [1998] 1 R.C.S. 27; TransCanada Pipelines Ltd. c. Office national de l'Énergie , 2004 CAF 149.
Lois et règlements cités
Electric Utilities Act , S.A. 2003, c. E‑5.1, art. 102, 121, 122.
Employment Pension Plans Act , R.S.A. 2000, c. E‑8, art. 13, 14, 48(3).
Employment Pension Plans Act , S.A. 2012, c. E‑8.1, art. 13, 35(2), 52(2)(b).
Employment Pension Plans Regulation , Alta. Reg. 35/2000, art. 9, 10, 48(3).
Employment Pension Plans Regulation , Alta. Reg. 154/2014, art. 48, 49, 60(2)(b), (3).
Gas Utilities Act , R.S.A. 2000, c. G‑5, art. 36, 37(3), 44(1), (3).
Loi de 1998 sur la Commission de l'énergie de l'Ontario , L.O. 1998, c. 15, ann. B.
Roles, Relationships and Responsibilities Regulation , Alta. Reg. 186/2003, art. 4(3).
Doctrine et autres documents cités
Concise Oxford English Dictionary , 12th ed., by Angus Stevenson and Maurice Waite, eds., Oxford, Oxford University Press, 2011, « prudent ».
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes , 2nd ed., Toronto, Butterworths, 1983.
Merriam‑Webster's Collegiate Dictionary , 11th ed., Springfield (Mass.), Merriam‑Webster, 2003, « prudent ».
Oxford English Dictionary , 2nd ed., Oxford, Clarendon Press, 1989, « prudent ».
Reid, Laurie, and John Todd. « New Developments in Rate Design for Electricity Distributors », in Gordon Kaiser and Bob Heggie, eds., Energy Law and Policy , Toronto, Carswell, 2011, 519.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (les juges Costigan, Martin et Slatter), 2013 ABCA 310, 93 Alta. L.R. (5th) 234, 556 A.R. 376, 7 C.C.P.B. (2d) 171, 584 W.A.C. 376, [2013] A.J. No. 989 (QL), 2013 CarswellAlta 1984 (WL Can.), qui a confirmé une décision de l'Alberta Utilities Commission, 2011 CarswellAlta 1646 (WL Can.), [2011] A.E.U.B.D. No. 506 (QL). Pourvoi rejeté.
John N. Craig, c.r., Loyola G. Keough et E. Bruce Mellett , pour les appelantes.
Catherine M. Wall et Brian C. McNulty , pour l'intimée Alberta Utilities Commission.
Todd A. Shipley , C. Randall McCreary, Michael Sobkin et Breanne Schwanak , pour l'intimé Office of the Utilities Consumer Advocate of Alberta.


Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge Rothstein —
[1] Dans sa décision du 27 septembre 2011, l'Alberta Utilities Commission a refusé la demande présentée par ATCO Gas and Pipelines Ltd. et ATCO Electric Ltd. (collectivement, les « services publics ATCO ») en vue de recouvrer, selon les taux approuvés, certaines charges de retraite correspondant à l'ajustement annuel au coût de la vie (« AACV ») pour l'année 2012. Au lieu d'approuver ce recouvrement à raison de 100 p. cent de l'indice des prix à la consommation (« IPC ») de l'année (AACV d'au plus 3 p. cent), la Commission a jugé raisonnable le recouvrement de seulement 50 p. cent de l'IPC annuel (AACV d'au plus 3 p. cent). La Cour d'appel de l'Alberta a rejeté l'appel des services publics ATCO, lesquels se pourvoient aujourd'hui devant notre Cour.
[2] La présente affaire et Ontario (Commission de l'énergie) c. Ontario Power Generation Inc. , 2015 CSC 44 (« CÉO »), qui concerne également le contrôle de la décision d'un organisme de réglementation relative à l'établissement des tarifs, ont fait l'objet d'une audition commune. Bien que les faits diffèrent dans l'une et l'autre, les deux affaires soulèvent les mêmes questions en ce qui a trait à la méthode à appliquer et, notamment, aux conditions auxquelles un organisme de réglementation pourrait, le cas échéant, être tenu d'appliquer ce qu'on appelle le « critère de l'investissement prudent » pour apprécier les dépenses d'un service public.
[3] Les services publics ATCO soutiennent que la Commission doit d'abord se prononcer sur la prudence des dépenses invoquées par le service public et que les dépenses faites avec prudence doivent être approuvées aux fins de leur prise en compte dans les « recettes nécessaires » de l'entreprise. Ce poste s'entend des [ traduction ] « recettes dont l'entreprise a besoin au total pour le paiement de toutes ses dépenses susceptibles d'approbation et, également, pour recouvrer tous les coûts liés aux capitaux investis » (L. Reid et J. Todd, « New Developments in Rate Design for Electricity Distributors » dans G. Kaiser et B. Heggie, dir., Energy Law and Policy (2011), 519, p. 521). Les recettes nécessaires approuvées sont ensuite imputées aux clients au moyen d'une tarification juste et raisonnable. Les services publics ATCO soutiennent que la Commission n'a pas dûment apprécié le caractère prudent de ces dépenses. Selon eux, une dépense est présumée prudente faute de conclusion explicite contraire. Ils ajoutent que la prudence doit être appréciée en fonction du contexte au moment de la décision — et non avec le recul et à partir de renseignements dont ne disposait pas l'entreprise lorsqu'elle a décidé de faire la dépense.
[4] Le bureau du défenseur des droit des clients des services publics (Office of the Utilities Consumer Advocate) de l'Alberta fait valoir que le régime réglementaire albertain n'impose pas à la Commission de méthode précise pour l'établissement des tarifs; c'est à la Commission qu'il appartient de décider du critère et de la méthode à appliquer. Plus particulièrement, il soutient que la Commission n'est pas tenue de recourir à une méthode particulière fondée sur le principe de la prudence lorsqu'elle examine des dépenses sur une base prévisionnelle. Il n'existe pas non plus de présomption de prudence. Au contraire, il incombe au service public de démontrer que la tarification proposée est juste et raisonnable.
[5] Comme dans CÉO , le régime législatif applicable n'impose pas à la Commission la méthode fondée sur la « prudence » que préconisent les services publics ATCO. De plus, suivant l'approche énoncée dans CÉO , la méthode adoptée par la Commission et l'application de cette méthode par cette dernière étaient raisonnables eu égard à la nature des dépenses en cause. Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.
I. Régime réglementaire
[6] En Alberta, la Commission établit la tarification [ traduction ] « juste et raisonnable » des services publics d'électricité ou de gaz désireux de recouvrer les dépenses et les charges prudentes (al. 121(2) a ) de l' Electric Utilities Act , S.A. 2003, c. E‑5.1 (« EUA ») et al. 36 a ) de la Gas Utilities Act , R.S.A. 2000, c. G‑5 (« GUA »).
[7] En droit canadien, la tarification « juste et raisonnable » est celle qui est équitable tant pour le consommateur que pour le service public ( Northwestern Utilities Ltd. c. City of Edmonton , [1929] S.C.R. 186, p. 192‑193 (juge Lamont)). Selon un modèle fondé sur le coût du service, la tarification doit permettre à l'entreprise de recouvrer, à long terme, ses dépenses d'exploitation et son coût en capital. Grâce au recouvrement de ceux‑ci, le service public peut continuer d'exercer ses activités et obtenir l'équivalent du coût du capital de manière à susciter l'investissement et à le maintenir ( CÉO , par. 16). Le consommateur doit payer ce que la Commission « prévoit qu'il en coûtera pour la prestation efficace du service » de sorte que, « globalement, il ne paie pas plus que ce qui est nécessaire pour obtenir le service » ( CÉO , par. 20).
II. Faits
A. Le régime de pension
[8] Les employés des services publics ATCO bénéficient du régime de retraite des employés de la société mère des services publics ATCO, Canadian Utilities Limited (« CUL »), et de sociétés participantes (le « régime de pension »). Le régime est administré par CUL, qui n'est pas elle‑même réglementée par la Commission. En tant qu'administratrice du régime, CUL exerce la fonction de fiduciaire vis‑à‑vis des participants et des autres bénéficiaires (par. 13(5) de l' Employment Pension Plans Act , R.S.A. 2000, c. E‑8 [1] ).
[9] Le régime de pension comporte un volet à prestations déterminées (le « régime APD »), lequel n'est plus offert aux nouveaux employés depuis le 1 er janvier 1997, et un volet à cotisations déterminées. L'AACV s'applique uniquement au régime APD. L' Employment Pension Plans Act dispose que le régime APD fait l'objet de calculs actuariels présentés périodiquement au surintendant des pensions de l'Alberta (art. 13 et 14 [2] ; art. 9 et 10 de l' Employment Pension Plans Regulation , Alta. Reg. 35/2000 [3] ). Les calculs actuariels permettent notamment de déterminer les cotisations que doit verser l'employeur pour combler le passif du régime APD.
[10] L'actif du régime de pension de CUL est commun à toutes les sociétés participantes, qu'elles soient ou non des services publics réglementés (comme les services publics ATCO). Le financement par l'employeur est déterminé globalement. Lorsque des paiements spéciaux doivent être effectués pour combler un déficit actuariel, le financement global requis est réparti entre les entités participantes.
[11] Comme le régime affichait un excédent actuariel, l'employeur n'a pas eu à verser de cotisations entre 1996 et la fin de l'année 2009. Les services publics ATCO n'ont donc pas eu à tenir compte de telles cotisations dans les demandes relatives aux recettes nécessaires qu'ils ont soumises à la Commission. Après la crise financière de 2008, la valeur au marché de l'actif du régime a chuté, ce qui a donné lieu à un important déficit actuariel et forcé les employeurs participants, y compris les services publics ATCO, à verser à nouveau des cotisations en 2010.
B. Les obligations relatives au financement du régime de pension
[12] Selon le par. 48 (3) de l'ancienne Employment Pension Plans Act , (2000) [4] , le régime est financé en conformité avec les rapports d'évaluation actuarielle. Le 29 juin 2010, l'actuaire du régime, Mercer (Canada) Limited, a remis au surintendant des pensions de l'Alberta le rapport d'évaluation actuarielle pertinent en l'espèce (le « rapport actuariel de 2009 »). Le rapport indique que deux types de paiement s'imposent. Premièrement, il établit les paiements estimatifs nécessaires pour permettre le versement des prestations projetées auxquelles auraient droit les bénéficiaires pour les années 2010, 2011 et 2012 (aussi appelés « coût des prestations pour service courant »). Deuxièmement, il précise que le régime à APD affiche un déficit actuariel de 157,1 millions de dollars pour toutes les entités membres de CUL, de sorte que l'ensemble des employeurs qui participent au régime, y compris les services publics ATCO, doivent effectuer des paiements spéciaux annuels globaux d'au moins 16,4 millions de dollars jusqu'au 31 décembre 2024 pour combler le déficit. De ces montants annuels globaux, les services publics ATCO doivent payer à eux seuls environ 13,9 millions de dollars.
[13] Les questions liées à l'ajustement au coût de la vie soulevées en l'espèce visent non seulement les cotisations que les services publics ATCO sont tenus de faire au régime APD, mais aussi les sommes prélevées sur ce régime pour verser des prestations aux retraités. Pour ce qui est des cotisations des services publics ATCO au régime, le rapport actuariel de 2009 prévoit l'[ traduction ] « augmentation des prestations versées aux retraités » selon la formule d'AACV du régime APD et le taux d'inflation retenu. Cette clause a une incidence sur les sommes que les services publics ATCO doivent verser au régime APD pour la période de trois ans visée par le rapport. En l'espèce, l'augmentation est de 2,25 p. cent par année pour toute la période.
[14] En ce qui concerne le versement des prestations de retraite selon le régime APD, la société mère des services publics ATCO, CUL, fixe annuellement l'AACV. Suivant les al. 6.9 a ) et 6.12 a ) du régime APD, CUL établit l'AACV en tenant compte du taux de variation annuelle de l'IPC au Canada et de tout autre ajustement déjà versé. Ces dispositions plafonnent cet ajustement à 3 p. cent par année.
III. Décisions des juridictions inférieures
A. Alberta Utilities Commission : ATCO Utilities Re (2010), 84 C.C.P.B. 89 (« Décision 2010‑189 »)
[15] Le 10 juillet 2009, les services publics ATCO ont demandé à la Commission de déterminer, entre autres, le montant des cotisations de l'employeur pouvant être prises en compte dans ses recettes nécessaires pour l'année 2010. Le montant proposé se fondait sur un AACV correspondant à 100 p. cent de l'IPC pour l'année au Canada (au plus 3 p. cent) — soit la valeur utilisée par CUL depuis des années. Or, de l'avis de la Commission, le libellé du régime de pension n'exige pas que l'AACV soit fixé, année après année, à raison de 100 p. cent de l'IPC. Elle conclut [ traduction ] « que les contribuables ne doivent pas assumer le coût différentiel du financement d'un régime de pension » qui résulte de la manière dont CUL a déterminé l'AACV au fil des ans [ traduction ] « lorsqu'il [est] démontré qu'un tel coût se révèle déraisonnable ou imprudent dans les circonstances » (par. 118).
[16] Toutefois, la Commission ne juge pas la preuve suffisante pour tirer des conclusions quant à savoir si l'AACV était prudent ou non. Elle ne réduit donc pas l'ajustement correspondant à 100 p. cent de l'IPC de l'année (au plus 3 p. cent) pour les besoins des recettes nécessaires des services publics ATCO pour l'année 2010. Elle dit néanmoins [ traduction ] « vouloir examiner la possibilité de revoir l'AACV en tant que mécanisme de gestion prudente de la charge de retraite d'un service public » pour 2011 et les années suivantes (par. 123). Elle ordonne aux services publics ATCO de préparer une demande d'examen de questions communes relatives au régime de pension pour l'année 2011 qui traite des questions relatives à l'AACV et du pouvoir discrétionnaire de CUL dans l'établissement de l'AACV.
B. Alberta Utilities Commission : 2011 CarswellAlta 1646 (WL Can.) (« Décision 2011‑391 »)
[17] Le 15 décembre 2010, les services publics ATCO ont déposé une demande d'examen de questions communes relatives au régime de pension conformément à la directive de la Commission dans sa Décision 2010‑189 . La Commission a rendu publique sa Décision 2011‑391 le 27 septembre 2011. C'est cette décision que vise le pourvoi.
[18] Dans son examen de l'AACV prévu dans la demande d'approbation des recettes nécessaires des services publics ATCO, la Commission opine que la question de savoir s'il est raisonnable au non de le faire correspondre à 100 p. cent de l'IPC doit être tranchée [ traduction ] « eu égard aux circonstances en présence lorsque les services publics ATCO ont demandé d'inclure la charge de retraite dans ses recettes nécessaires » ( Décision 2011‑391 , par. 87). L'important déficit actuariel du régime de pension est l'une de ces circonstances. La Commission estime que le régime APD permettait à CUL d'exercer son pouvoir discrétionnaire dans l'établissement de l'AACV et que ce pouvoir est un [ traduction ] « outil à la disposition » de cette entreprise pour lui permettre de gérer activement l'important déficit actuariel du régime APD dans l'exercice de ses obligations fiduciaires et contractuelles (par. 83). [ traduction ] « [L]'existence de ce pouvoir discrétionnaire et le fait de l'exercer ou non constituent une considération pertinente et importante » pour déterminer si la charge de retraite des services publics ATCO est raisonnable et doit être prise en compte dans les recettes nécessaires (par. 83).
[19] La Commission conclut que la fixation par les services publics ATCO d'un AACV à raison de 100 p. cent de l'IPC n'est pas une [ traduction ] « pratique courante reconnue » à la lumière de la preuve voulant que les régimes de pension APD d'autres entités d'un groupe de comparaison fassent correspondre l'AACV à des pourcentages très variables ( Décision 2011‑391 , par. 87). La majorité de ces autres entités font correspondre l'AACV à un pourcentage situé entre 50 p. cent et 75 p. cent de l'IPC. La Commission conclut également qu'une réduction de l'AACV ne nuirait pas au recrutement par les services publics ATCO de nouveaux employés et n'encouragerait pas non plus les employés actuels à quitter leur emploi.
[20] Selon la Commission, l'AACV inclus dans le coût des prestations pour services courants à recouvrer grâce aux tarifs imposés après le 1 er janvier 2012 et jusqu'à l'évaluation actuarielle suivante doit correspondre à 50 p. cent de l'IPC pour l'année au Canada (au plus 3 p. cent). Les recettes nécessaires des services publics ATCO pour l'année 2012 doivent être réduites en conséquence.
[21] Cependant, pour ce qui est des paiements spéciaux destinés à combler le déficit actuariel pour l'année 2012, la Commission affirme qu'elle n'obligerait pas les services publics ATCO à déposer un rapport actuariel actualisé faisant état d'un pourcentage d'AACV moindre et qu'elle commencerait uniquement par refuser que l'AACV corresponde à 100 p. cent de l'IPC à compter de 2013. Cette décision découle de sa conclusion selon laquelle le dépôt d'un nouveau rapport actuariel [ traduction ] « serait coûteux et exigerait trop de ressources de la part de la société, de la partie intervenante et de la Commission compte tenu du temps qui reste en 2011 pour établir un nouveau rapport et le soumettre à l'approbation de la Commission, puis du surintendant des pensions », d'autant plus qu'un nouveau rapport était censé être déposé au plus tard le 1 er janvier 2013 ( Décision 2011‑391 , par. 99). La Commission ne réduit pas les paiements spéciaux à recouvrer en 2012 parce qu'il n'est pas [ traduction ] « dans l'intérêt véritable des services publics ATCO, des clients et des retraités de modifier aujourd'hui le calcul de l'AACV étant donné les répercussions incertaines sur le financement du régime de pension qu'auraient une nouvelle évaluation et un nouveau rapport actuariels » (par. 100). La réduction du déficit découlant de la réduction de l'AACV serait prise en compte dans les cotisations spéciales en cours pour 2013 et les années suivantes.
C. Alberta Utilities Commission : ATCO Utilities Re (2012), 97 C.C.P.B. 298 (« Décision 2012‑077 »)
[22] Le 2 novembre 2011, les services publics ATCO ont déposé une demande de révision et de modification de la Décision 2011‑391 . Ils ont demandé à la Commission d'annuler sa directive d'abaisser l'AACV à 50 p. cent de l'IPC à des fins réglementaires.
[23] La Commission a conclu que les arguments des services publics ATCO ne permettaient pas de douter sérieusement de la justesse de la Décision 2011‑391 et elle a rejeté la demande de révision et de modification.
D. Cour d'appel de l'Alberta, 2013 ABCA 310, 93 Alta. L.R. (5th) 234
[24] La Cour d'appel de l'Alberta a autorisé l'appel de la Décision 2011‑391 . Après s'être penchée sur le caractère raisonnable de celle‑ci, elle conclut qu'il était loisible à la Commission de réduire les recettes nécessaires des services publics ATCO de manière qu'elles tiennent compte d'un AACV correspondant à 50 p. cent de l'IPC. Elle rejette donc l'appel.
IV. Questions en litige
[25] Le pourvoi soulève trois questions :
1. Quelle est la norme de contrôle applicable?
2. Le régime réglementaire impose‑t‑il une méthode en particulier pour apprécier le caractère prudent des dépenses?
3. Était‑il raisonnable que la Commission refuse de prendre en compte un AACV correspondant à 100 p. cent de l'IPC (AACV d'au plus 3 p. cent) pour déterminer les recettes nécessaires des services publics ATCO?
V. Analyse
A. Norme de contrôle
[26] La norme de contrôle applicable à la décision de la Commission lorsque celle‑ci met son expertise à contribution pour fixer les tarifs et approuver les paiements conformément à l' EUA et à la GUA est celle de la décision raisonnable ( CÉO , par. 73; voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick , 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 53‑54).
[27] Les services publics ATCO soutiennent néanmoins que la jurisprudence privilégie l'application de la norme de la décision correcte.Or, les faits à l'origine des arrêts qu'ils citent ( ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board) , 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140 (l'arrêt relatif au « Calgary Stores Block »), Shaw c. Alberta Utilities Commission , 2012 ABCA 378, 539 A.R. 315, et ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta Utilities Commission , 2009 ABCA 246, 464 A.R. 275) diffèrent de ceux de la présente espèce. Chacune de ces affaires soulevait, prétendait‑on, de « véritables questions de compétence », l'organisme de réglementation étant appelé à déterminer s'il avait le pouvoir légal de trancher une question donnée. Dans sa jurisprudence récente, la Cour insiste sur le fait que les véritables questions de compétence, à supposer qu'elles forment bel et bien une catégorie, ce sur quoi la Cour n'a pas encore statué, sont rares et exceptionnelles ( Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association , 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, par. 34). Quoi qu'il en soit, la présente affaire porte sur l'établissement de tarifs. Comme le souligne le juge Bastarache dans l'arrêt relatif au « Calgary Stores Block », l'établissement des tarifs est au cœur de l'expertise d'un organisme de réglementation et commande donc une grande déférence (par. 30).
[28] Lorsque l'appel porte également sur l'interprétation de sa loi constitutive par la Commission, l'application de la norme de la décision raisonnable est aussi présumée ( Alberta Teachers' Association , par. 30). Cette présomption n'est pas réfutée en l'espèce.
B. Méthode d'appréciation des dépenses et d'établissement de tarifs justes et raisonnables sous le régime de l'Electric Utilities Act et de la Gas Utilities Act
[29] La demande des services publics ATCO — l'un de ces services exerçant ses activités dans le secteur de l'électricité, l'autre dans celui du gaz — fait intervenir les deux lois à la fois. L' EUA et la GUA enjoignent à la Commission de fixer des tarifs justes et raisonnables. L' EUA contraint la Commission à [ traduction ] « tenir compte du principe selon lequel le tarif qu'elle approuve doit faire en sorte que le propriétaire des installations d'électricité ait la possibilité raisonnable de recouvrer » diverses dépenses « prudentes » ou « faites avec prudence » (art. 122; voir également art. 102). Quant au service public gazier, il [ traduction ] « peut recouvrer grâce à ses tarifs » les dépenses que la Commission juge « prudentes » (par. 4(3) du Roles, Relationships and Responsibilities Regulation , Alta. Reg. 186/2003 (le « règlement RRR »); voir également l'art. 36 de la GUA ).
[30] Selon la thèse des services publics ATCO, pour qu'un service public soit assuré d'une possibilité raisonnable de recouvrer ses dépenses, la Commission doit d'abord se demander si la décision de faire les dépenses était prudente et présumer qu'elle l'était. Sauf si elle conclut à la non‑prudence, elle prend en compte les dépenses dans les recettes nécessaires de l'entreprise. Les services publics ATCO font valoir que la Commission doit, dans son appréciation de la prudence, appliquer le critère énoncé par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Power Workers' Union, Canadian Union of Public Employees, Local 1000 c. Ontario Energy Board , 2013 ONCA 359, 116 O.R. (3d) 793, lequel fait l'objet du pourvoi connexe. Dans cette affaire, la Cour d'appel de l'Ontario fait siens les paramètres établis dans Enbridge Gas Distribution Inc. c. Ontario Energy Board (2006), 210 O.A.C. 4, au par. 10, pour statuer sur la prudence :
[ traduction ]
• La décision de la direction du service public est généralement présumée prudente, sauf contestation pour motifs valables.
• Pour qu'elle soit prudente, la décision doit être raisonnable eu égard aux circonstances que connaissait ou qu'aurait dû connaître le service public au moment où il l'a prise.
• Le recul est exclu de l'appréciation de la prudence, même lorsque les conséquences de la décision peuvent légitimement servir à réfuter la présomption de prudence.
• La prudence est appréciée dans le cadre d'une analyse factuelle rétrospective en ce que la preuve doit porter sur le moment où la décision a été prise et reposer sur des faits quant aux éléments qui ont pu entrer en ligne de compte ou qui sont effectivement entrés en ligne de compte dans la décision. [par. 16]
[31] Selon les services publics ATCO, le fait que les deux lois renvoient expressément à la notion de [ traduction ] « prudence » de pair avec les dépenses et les charges que les fournisseurs d'électricité et de gaz sont autorisés à recouvrer commande nécessairement l'application de ces paramètres (ci‑après, le critère excluant le recul).
[32] Le libellé des dispositions pertinentes de l' EUA et de la GUA diffère de celui des dispositions de la Loi de 1998 sur la Commission de l'énergie de l'Ontario , L.O. 1998, c. 15, ann. B, considérées dans le pourvoi connexe CÉO . Alors que l' EUA et la GUA y renvoient expressément, la Loi de 1998 sur la Commission de l'énergie de l'Ontario ne comporte aucune mention de la notion de « prudence ». De plus, les règlements pris en vertu de la loi ontarienne autorisent expressément la Commission de l'énergie de l'Ontario à établir une méthode qui permet de déterminer si des recettes nécessaires sont justes et raisonnables. L' EUA et la GUA n'accordent pas directement un pouvoir discrétionnaire qui permet de choisir une méthode. Cependant, non plus que le régime législatif en cause dans le pourvoi CÉO , ni l' EUA ni la GUA n'imposent une méthode précise [5] et, nous le verrons plus loin, le fait qu'elles recourent à la notion de « prudence » n'a pas pour effet d'imposer à la Commission la méthode que préconisent les services publics ATCO.
(1) La notion de prudence suivant l' EUA
[33] La question que la Cour est appelée à trancher est celle de savoir si l'interprétation par la Commission de son pouvoir en matière d'établissement des tarifs et son exercice de ce pouvoir étaient raisonnables ou non. Les services publics ATCO soutiennent que le cadre législatif étaye leur prétention selon laquelle ils avaient droit à un contrôle de la prudence excluant le recul. Suivant la norme de contrôle de la décision raisonnable, l'interprétation de sa loi constitutive par la Commission commande la déférence. Dans la présente affaire, la Commission ne s'est pas expressément demandé si le régime législatif commandait le recours à une démarche sans recul. Sa décision de ne pas effectuer un contrôle de la prudence excluant le recul permet plutôt de conclure que, selon son interprétation, les dispositions pertinentes ne l'obligeaient pas à employer la méthode souhaitée par les services publics ATCO. L'examen du libellé des dispositions en cause s'impose donc pour décider si l'approche de la Commission était raisonnable ou non. À cette fin, la Cour peut s'en remettre aux outils traditionnels d'interprétation des lois pour se prononcer sur le caractère raisonnable ou non de l'approche de la Commission ( McLean c. British Columbia (Securities Commission) , 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, par. 37‑41).
[34] Il faut lire les termes d'une loi « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'économie de la loi, son objet et l'intention du législateur » ( Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re) , [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2 e éd. 1983), p. 87). Nous verrons plus loin que le débat porte en grande partie sur la signification de la notion de « prudence », si bien qu'il est utile d'examiner d'abord le sens ordinaire de ce terme comme point de référence pour l'analyse qui suivra. Les dictionnaires offrent une gamme de définitions de l'adjectif « prudent », dont les suivantes : [ traduction ] « qui a ou qui exerce un bon jugement dans les affaires d'ordre pratique » ( The Oxford English Dictionary (2 e éd. 1989), vol. XII, p. 729), [ traduction ] « qui agit en se souciant du lendemain ou qui manifeste un tel souci » ( Concise Oxford English Dictionary (12 e éd. 2011), p. 1156), ou [ traduction ] « qui est empreint de sagesse ou de pertinence, [ou] qui est rompu à la gestion des affaires d'ordre pratique » ( Merriam‑Webster's Collegiate Dictionary (11 e éd. 2003), p. 1002). Bien que ces définitions comportent des nuances, on peut en conclure, suivant le sens ordinaire de l'adjectif, qu'une dépense prudente est celle qui résulte d'une décision sage ou bonne.
[35] Cependant, ces définitions ne sont pas suffisamment uniformes et exhaustives pour apporter une réponse définitive à la question de savoir ce qu'il faut entendre par des dépenses « prudentes » dans le contexte des lois qui réglementent les services publics en Alberta. Une interprétation contextuelle des dispositions législatives en cause offre donc un autre élément de réponse. Dans le contexte de la réglementation de services publics, je ne vois aucune différence entre des dépenses « prudentes » au sens ordinaire de ce terme et des dépenses que l'on pourrait qualifier de raisonnables. Ainsi, il ne serait pas imprudent de faire des dépenses raisonnables, pas plus qu'il ne serait prudent de faire des dépenses déraisonnables.
[36] Selon l' EUA , le propriétaire d'un réseau de distribution d'électricité doit établir un tarif de distribution « pour recouvrer les dépenses prudentes du service de distribution d'électricité assuré au moyen de son réseau » (par. 102(1)). Pour faire approuver son tarif de distribution, il doit s'adresser à la Commission (par. 102(2)). Dans l'examen de la demande, la Commission s'assure notamment que la tarification est [ traduction ] « juste et raisonnable » (al. 121(2) a )), et il appartient [ traduction ] « à la personne qui sollicite l'approbation de la tarification » de le démontrer (par. 121(4)).
[37] Suivant le par. 122(1) de l' EUA , la Commission [ traduction ] « tient compte du principe selon lequel la tarification qu'elle approuve doit donner au propriétaire d'un service de distribution d'électricité une possibilité raisonnable de recouvrer » huit types de dépenses et de charges :
[ traduction ]
a) les dépenses et les charges se rapportant au capital relatif à l'investissement du propriétaire dans le service d'électricité, . . .
si elles sont prudentes [. . .]
b) d'autres dépenses et charges prudentes se rapportant à des groupes électrogènes isolés et à la transmission, à l'échange ou à la distribution d'électricité, [. . .] si la Commission estime qu'elles s'appliquent au service d'électricité,
c) toute somme que le propriétaire est tenu de verser en application de la présente loi ou de ses règlements,
d) les dépenses et les charges applicables au service d'électricité qui découlent d'obligations contractées avant l'entrée en vigueur de la présente disposition et qui ont été approuvées par un organisme de réglementation des services publics, telles la Public Utilities Board ou l'Alberta Energy and Utilities Board, si la Commission estime qu'elles continuent d'être raisonnables et faites avec prudence ,
e) ses dépenses et ses charges prudentes nécessaires au respect des règles de la Commission relatives à l'établissement de la demande d'électricité,
f) ses dépenses et ses charges prudentes liées à la gestion de la responsabilité juridique,
g) les dépenses et les charges liées aux arrangements financiers conclus pour gérer les risques financiers associés au prix du réseau commun, si la Commission estime que ces arrangements ont été conclus avec prudence ,
h) toutes autres dépenses et charges prudentes qui, selon la Commission sont appropriées, y compris une imputation juste des dépenses et des charges du propriétaire se rapportant en tout ou en partie à ses installations.
[38] L'article 122 renvoie à la notion de prudence de deux façons. Le plus souvent, le législateur utilise l'adjectif « prudentes » de pair avec « dépenses et charges », ce qui indique que le service public a une possibilité raisonnable de recouvrer les dépenses et les charges qui sont prudentes. Faute d'une définition de la notion ou d'une inférence claire selon laquelle il faut y voir l'exclusion d'une appréciation avec recul comme dans l'arrêt Enbridge , cette exigence de prudence doit s'interpréter selon le sens ordinaire de ce mot : pour justifier l'octroi d'une possibilité raisonnable de recouvrement, les dépenses et les charges énumérées doivent résulter d'une décision sage ou bonne; autrement dit, elles doivent être raisonnables.
[39] En revanche, dans certaines dispositions, les mots « avec prudence » sont employés de pair avec la décision du service public de faire les dépenses : l'al. 122(1) d ) parle de dépenses et de charges « raisonnables et faites avec prudence », et l'al. 122(1) g ) fait état de dépenses et de charges liées à des arrangements financiers « conclus avec prudence ». Bien que la Cour ne soit pas appelée en l'espèce à se prononcer sur les types de charges visés aux al. 122(1) d ) ou g ), la disposition législative qui fait mention de dépenses « faites avec prudence » semble se rapporter plus directement à la décision du service public de faire les dépenses au moment où cette décision a été prise. Un tel libellé peut emporter plus directement l'application du critère excluant le recul préconisé par les services publics ATCO qu'un libellé faisant simplement état de « dépenses prudentes ». L'affaire se complique encore dans le cas des dépenses visées à l'al. 122(1) d ), lesquelles doivent « demeurer raisonnables et faites avec prudence ». Il est préférable de laisser à la cour de justice qui sera un jour saisie de la question le soin de décider de la juste interprétation de ces dispositions.
[40] Dans leurs prétentions, les services publics ATCO n'analysent pas les différents contextes dans lesquels les termes « prudentes » et « avec prudence » sont employés à l'art. 122. Ils soutiennent de façon générale que le renvoi à la « prudence » suppose l'application d'un critère excluant le recul et qu'il faut présumer que les dépenses d'un service public sont prudentes.
[41] Cependant, à l'art. 122, les différents renvois à la notion de « prudence » sont instructifs. Si la loi exige de la Commission qu'elle approuve les dépenses « faites avec prudence », il peut se révéler déraisonnable pour la Commission de ne pas employer une méthode excluant le recul lorsqu'elle se penche sur de telles dépenses. Toutefois, les dépenses visées en l'espèce n'appartiennent pas aux catégories de dépenses dont la loi autorise le recouvrement lorsqu'elles sont « faites avec prudence ». L'emploi dans la disposition de l'adjectif « prudentes » de pair avec « les dépenses et les charges » n'emporte pas en soi l'application d'une méthode particulière. Ni le sens ordinaire du mot « prudentes », ni son emploi en tant que condition autonome dans la loi ne permettent de déterminer le moment en fonction duquel la prudence doit être appréciée.
[42] De plus, suivant le par. 121(4) de l' EUA , il incombe au service public de démontrer que la tarification qu'il propose est juste et raisonnable. L'établissement de tarifs justes et raisonnables constitue une exigence fondamentale des dispositions pertinentes de l' EUA. Les tarifs ne seront pas justes et raisonnables s'ils ne satisfont pas à l'exigence de prudence des dépenses et des charges prévue à l'art. 122. En conséquence, contrairement à ce que suppose la méthode préconisée par les services publics ATCO, l'obligation d'un service public d'établir que sa tarification est juste et raisonnable l'oblige nécessairement à démontrer que ses dépenses sont prudentes.
[43] En somme, ni le sens ordinaire du mot « prudentes », ni le texte de l' EUA n'indiquent que cette loi oblige la Commission à se prononcer sur les dépenses en cause sans recul; l' EUA n'impose pas non plus de présomption de prudence en pareilles circonstances.
(2) La notion de prudence suivant la GUA
[44] La GUA exige notamment que, à la demande du propriétaire d'installations gazières, la Commission [ traduction ] « fix[e] des tarifs [. . .] justes et raisonnables » qui « seront ensuite appliqués et respectés par le propriétaire d'installations gazières » (al. 36 a )). Suivant le par. 44(1), la modification des tarifs doit être approuvée par la Commission, et [ traduction ] « il incombe au propriétaire des installations gazières » d'établir que la modification qu'il demande est juste et raisonnable (par. 44(3)). De plus, le par. 4(3) du règlement RRR prévoit :
[ traduction ]
[u]n distributeur de gaz peut, au moyen de sa tarification, recouvrer les dépenses faites que la Commission juge prudentes [. . .].
[45] Le règlement RRR mentionne certes expressément le recouvrement des dépenses « prudentes » mais, selon moi, cette exigence de prudence ne crée pas de présomption de prudence et elle n'exclut pas le recul. Pour ce qui est de l'« absence de recul », dans les dispositions législatives applicables, la « prudence » s'applique non pas à la décision de faire les dépenses, mais plutôt aux dépenses comme telles. Même si le terme [ traduction ] « faites » est employé au par. 4(3) du règlement RRR , il l'est pour montrer que la disposition s'applique aux dépenses que fait le service public. Aucune inférence temporelle ne peut être tirée de l'utilisation du mot « faites » dans ce contexte; ce mot n'est pas utilisé de manière à imposer l'appréciation de la prudence de la décision de faire certaines dépenses. Le par. 4(3) du règlement RRR exige plutôt qu'on se demande si les dépenses comme telles peuvent être tenues pour « prudentes ». La GUA n'exclut pas le recul dans l'appréciation du caractère prudent des dépenses, et ni le texte de la GUA ni celui du règlement RRR ne permettent de conclure à une telle exclusion. En ce qui concerne la présomption de prudence, le par. 44(3) de la GUA dispose que c'est au service public d'établir que ses tarifs sont justes et raisonnables. Comme le dispose également l' EUA , il incombe alors au service public d'établir la prudence des dépenses faites.
(3) Conclusion sur les exigences de l' EUA et de la GUA
[46] Même si le libellé de leurs dispositions permet le recouvrement de dépenses « prudentes », l' EUA et la GUA n'imposent pas expressément à la Commission une méthode d'analyse donnée chaque fois que la notion de « prudence » est invoquée. De plus, bien que je n'exprime pas d'opinion sur la question de savoir si l'expression « faites avec prudence » pourrait commander l'application d'une méthode excluant le recul, le seul renvoi à la notion de « prudence » en l'espèce n'impose pas en soi de méthode particulière.
[47] Il appert donc que l'on peut raisonnablement interpréter les dispositions pertinentes de manière que la Commission ne soit pas tenue d'employer la méthode axée sur la prudence que préconisent les services ATCO. L'existence d'une interprétation raisonnable à l'appui de la conception que se fait tacitement la Commission de son pouvoir discrétionnaire suffit pour que la décision de la Commission résiste au contrôle de son caractère raisonnable ( McLean , par. 40‑41). La Commission peut donc s'en remettre à son expertise pour décider si les dépenses sont prudentes (au sens ordinaire de raisonnables) et tenir alors compte de divers outils d'analyse et éléments de preuve à condition, au final, que les tarifs fixés soient justes et raisonnables tant pour le consommateur que pour le service public.
C. Qualification des dépenses en cause : prévues ou convenues
[48] Comme je l'explique dans CÉO , pour se prononcer sur le caractère raisonnable de la méthode que choisit un organisme de réglementation, il peut être utile de savoir si les dépenses en cause sont prévues ou convenues (par. 83). Les dépenses convenues sont celles que le service public a déjà acquittées ou qu'il s'est engagé à acquitter en contractant une obligation, notamment dans un accord obligatoire, qui le prive de tout pouvoir discrétionnaire qui lui permettrait de ne pas acquitter la somme ultérieurement (par. 82). Lorsque les dépenses sont prévues, il n'y a aucune raison d'appliquer un critère de prudence qui exclut le recul, car l'entreprise conserve un pouvoir discrétionnaire qui lui permet de faire ou non les dépenses (par. 83). En revanche, il pourrait convenir d'appliquer un tel critère lorsque l'organisme de réglementation examine des dépenses convenues (par. 102‑105).
[49] Que des dépenses soient convenues ou prévues dépend de la preuve factuelle pertinente y afférente ainsi que des obligations juridiques susceptibles de les régir. La preuve factuelle peut s'entendre de précisions sur la structure des activités du service public, de certains actes du service public et des circonstances dans lesquelles les dépenses ont vu le jour. Les questions juridiques soulevées peuvent avoir trait à toute obligation contractuelle, fiduciaire ou réglementaire qui reconnaît ou non au service public un pouvoir discrétionnaire dans la décision de faire ou non les dépenses. La décision que prend l'organisme de réglementation après s'être demandé si les dépenses sont convenues ou prévues commande la déférence de la Cour.
[50] Sur le fondement de la preuve et des arguments qui lui ont été présentés, la Commission conclut qu'un [ traduction ] « montant correspondant à l'AACV n'a pas encore été accordé pour l'année 2012 parce que l'examen de ce poste intervient vers la fin de l'année civile » ( Décision 2011‑391 , par. 93). La Commission juge qu'il s'est écoulé suffisamment de temps entre la publication de la Décision 2011‑391 le 27 septembre 2011 et la fin de l'année civile pour permettre aux services publics ATCO et à leur société mère CUL de [ traduction ] « décider pour l'avenir s'il y a lieu ou non de financer séparément toute différence que CUL pouvait décider de payer au‑delà de l'AACV approuvé à des fins réglementaires pour 2012 et les années suivantes » (par. 93). Cette conclusion étaye l'idée d'assimiler à des dépenses prévues les dépenses liées à l'AACV qui ont été refusées au motif que ce refus permet à CUL d'abaisser à 50 p. cent de l'IPC l'AACV applicable aux prestations versées en 2012 ou de fixer malgré tout l'AACV à 100 p. cent de l'IPC en sachant que les services publics prendront la différence à leur charge ( CÉO , par. 82).
[51] Cependant, la Commission n'écarte pas l'utilisation d'un AACV correspondant à 100 p. cent de l'IPC (au plus 3 p. cent) en ce qui concerne les paiements spéciaux destinés à combler le déficit actuariel, paiements fixés par le rapport actuariel de 2009 pour l'année 2012. Selon elle, tout paiement excédentaire de la part du consommateur en 2012 serait compensé par la réduction des paiements spéciaux dès l'établissement d'un nouveau rapport pour 2013 et les années suivantes.
[52] Dans leur mémoire, les services publics ATCO prétendent que les dépenses liées à l'AACV sont convenues tout comme celles déterminées par des conventions collectives obligatoires dans le dossier connexe CÉO . Dans sa plaidoirie, l'avocat des services publics ATCO explique que l'actuaire du régime de pension prépare à des intervalles d'au plus trois ans un rapport actuariel qu'il remet au surintendant des pensions (voir art. 13 et 14 de l' Employment Pension Plans Act (2000) [6] et art. 9 et 10 de l' Employment Pension Plans Regulation (2000) [7] ).
[53] En l'espèce, le rapport actuariel de 2009 vise les années 2010, 2011 et 2012. L'actuaire du régime détermine la cotisation que doit verser l'employeur pour financer les prestations projetées auxquelles auraient droit les bénéficiaires et combler tout déficit actuariel du régime APD. Pour chacune des trois années, l'actuaire suppose une augmentation annuelle de 2,25 p. cent des prestations versées aux retraités [8] . Les services publics ATCO prétendent que l'employeur est légalement tenu de verser une telle cotisation (par. 48(3) de l' Employment Pension Plans Regulation (2000) [9] ). Ils font donc valoir que dès le dépôt du rapport actuariel visant les années 2010, 2011 et 2012, les dépenses qui y sont indiquées, y compris celles liées à l'augmentation de 2,25 p. cent des prestations versées aux retraités, doivent être considérées comme des dépenses convenues.
[54] Pour répondre à cet argument, une distinction s'impose entre l'AACV utilisé pour décider de l'augmentation des prestations versées aux retraités, qui détermine à son tour la cotisation de l'employeur au régime APD, et l'AACV qui s'applique aux prestations payées sur le régime. Même si les services publics ATCO étaient légalement tenus de verser une cotisation comportant une augmentation de 2,25 p. cent des prestations versées aux retraités pour 2012, l'AACV réel versé aux bénéficiaires était établi annuellement par CUL. Les réponses fournies par les services publics ATCO aux demandes d'information de la Commission en vue de leur demande d'examen de questions communes relatives au régime de pension pour l'année 2011 indiquent que l'AACV établi par CUL était de 0 p. cent pour 2010 et de 1,7 p. cent pour 2011.
[55] La thèse des services publics ATCO voulant que les dépenses soient des dépenses convenues repose sur l'idée que, si la Commission abaisse l'AACV recouvrable à 50 p. cent de l'IPC (au plus 3 p. cent), ils risquent de subir un manque à gagner du fait que l'AACV qu'ils recouvreront grâce à la tarification sera alors inférieur à l'augmentation de 2,25 p. cent des prestations versées aux retraités qu'ils sont légalement tenus de financer.
[56] Cependant, bien que la cotisation de l'employeur au régime APD et les prestations versées aux bénéficiaires fassent toutes deux l'objet d'ajustements au coût de la vie, la partie de la Décision 2011‑391 visée par le présent pourvoi porte précisément sur le caractère raisonnable de l'AACV que doit fixer CUL à l'égard des prestations versées en 2012. En conséquence, le refus de la Commission vise l'AACV dû aux bénéficiaires en 2012, non la cotisation de l'employeur au régime APD.
[57] Contrairement aux prétentions des services publics ATCO, les faits de la présente espèce diffèrent de ceux de CÉO , où le service public devait payer certaines dépenses en raison de conventions collectives intervenues avec des parties distinctes, les syndicats. Dans la présente affaire, la Commission conclut que l'AACV des prestations payées sur le régime APD a été établi par la société mère des services publics ATCO, CUL et que cette dernière demeurait investie d'un pouvoir discrétionnaire lui permettant de fixer le pourcentage de l'AACV pendant la période de référence. Au bout du compte, les participants au régime APD ne toucheraient en 2012 des prestations majorées d'un AACV correspondant à 100 p. cent de l'IPC que si CUL décidait d'un tel AACV.
[58] CUL a pu exercer son pouvoir discrétionnaire de manière à ne pas obliger ses filiales réglementées à supporter des dépenses dont elle savait qu'elles ne seraient pas recouvrées. En conséquence, même si, selon le rapport actuariel de 2009, les services publics ATCO étaient tenus de verser au régime APD une cotisation établie en fonction d'une augmentation de 2,25 p. cent des prestations versées aux retraités, l'AACV appliqué aux prestations versées pour 2012 ne faisait pas l'objet d'un engagement lorsque la Commission a rendu sa Décision 2011‑391 . Il en est ainsi parce que CUL n'avait pas encore fixé l'AACV pour 2012.
[59] Il n'était pas déraisonnable que la Commission décide, sans recourir à une méthode excluant le recul, que 50 p. cent de l'IPC (au plus 3 p. cent) [ traduction ] « représent[ait] un taux raisonnable d'AACV pour les besoins de la détermination de la charge de retraite à des fins réglementaires » en 2012 ( Décision 2011‑391 , par. 92).
D. Prise en compte de l'incidence sur la tarification dans l'appréciation de la prudence des dépenses
[60] Les services publics ATCO font valoir que, dans son appréciation de la prudence des dépenses liées à l'AACV, le souci de la Commission était de réduire les tarifs imposés aux consommateurs.
[61] Rappelons qu'un principe clé du droit réglementaire canadien veut qu'un service public réglementé ait la possibilité de recouvrer ses dépenses d'exploitation et ses coûts en capital grâce à sa tarification ( CÉO , par. 16). C'est ce qui ressort de l' EUA et de la GUA , lesquelles renvoient en effet à une possibilité raisonnable de recouvrer les dépenses et les charges dans la mesure où elles sont prudentes. L'organisme de réglementation doit déterminer si les dépenses du service public peuvent être recouvrées parce qu'elles sont raisonnables ou, sous le régime de l' EUA et de la GUA , parce qu'elles sont « prudentes ». Lorsque les dépenses sont jugées prudentes, l'organisme doit permettre au service public de les recouvrer grâce à sa tarification. L'incidence de l'augmentation des tarifs sur le consommateur ne saurait justifier la Commission de refuser leur recouvrement [10] . Cela ne signifie pas pour autant que la Commission n'a pas à prendre en considération les intérêts des consommateurs. La réglementation tarifaire les prend en considération en ne permettant que le recouvrement des dépenses raisonnables ou prudentes que le service public fait pour la prestation efficace du service. Autrement dit, l'organisme de réglementation s'assure que le consommateur ne paie pas plus que ce qui est raisonnablement nécessaire ( CÉO , par. 20).
[62] En l'espèce, la Commission insiste sur l'incidence de la réduction de l'AACV sur le déficit actuariel des services publics ATCO. Aussi, un déficit actuariel moins élevé fondé sur un rapport actuariel où l'AACV correspond à 50 p. cent plutôt qu'à 100 p. cent de l'IPC se traduirait par des recettes nécessaires moindres et, par conséquent, des tarifs moindres pour les consommateurs. Je ne conviens toutefois pas avec les services publics ATCO que la Commission, en se souciant de l'incidence de l'AACV sur le déficit actuariel du régime de pension, fonde son refus sur la crainte d'une majoration des tarifs. Un organisme de réglementation ne peut refuser d'approuver des dépenses prudentes pour le seul motif que leur approbation entraînerait une augmentation des tarifs. Il ne s'ensuit toutefois pas qu'il ne peut aucunement tenir compte de l'ampleur d'une dépense donnée pour se prononcer sur son caractère prudent.
[63] Il paraît en effet aller de soi que chaque fois qu'il refuse d'approuver une dépense, l'organisme de réglementation le fait après avoir conclu que la dépense est supérieure à celle qui doit être autorisée, ce qui permet d'inférer que le coût pour le consommateur serait excessif si la dépense était répercutée sur les tarifs. Il ne s'agit toutefois pas de refuser d'approuver une dépense pour le seul motif qu'elle entraînerait une hausse tarifaire pour le consommateur. Dans la présente affaire, la Commission conclut qu'il est déraisonnable que les services publics ATCO touchent des paiements pour recouvrer un AACV correspondant à 100 p. cent de l'IPC alors que leurs documents comptables font état d'un important déficit actuariel. La raison en est en partie que, suivant la preuve constituée de données sur des sociétés comparables, un AACV correspondant à moins de 100 p. cent de l'IPC est fréquent et la conclusion de la Commission portant qu'un AACV correspondant à ce pourcentage n'est pas nécessaire pour permettre aux services publics ATCO de recruter du personnel et de le conserver. Même si cette conclusion tient compte d'une baisse consécutive des tarifs, la Commission se fonde sur la prudence des dépenses comme telles, non sur la volonté de faire en sorte que les tarifs demeurent peu élevés, pour conclure qu'il y a lieu de refuser d'approuver les dépenses. Je ne vois rien de déraisonnable dans le raisonnement de la Commission sur ce point.
VI. Conclusion
[64] La Commission n'était pas légalement tenue en l'espèce d'appliquer une méthode précise pour apprécier le caractère prudent des dépenses. On ne peut considérer que, à lui seul, l'emploi du mot « prudentes » dans l' EUA et la GUA oblige la Commission recourir à la méthode sans recul que préconisent les services publics ATCO.
[65] Bien qu'il existe sans aucun doute des situations où l'omission d'appliquer une méthode qui exclut le recul peut conduire à des résultats injustes pour les services publics et emporter ainsi l'inobservation de l'obligation légale de fixer des tarifs qui établissent un équilibre juste et raisonnable entre les intérêts du consommateur et ceux du service public, la Commission n'a pas agi de manière déraisonnable. Les dépenses refusées étaient des dépenses prévues. Il était donc raisonnable que la Commission se penche sur les recettes jugées nécessaires par les services publics ATCO à la lumière de toutes les circonstances pertinentes. De plus, comme la Commission n'a pas eu recours à une méthode injustifiée, il n'était pas déraisonnable qu'elle ordonne aux services publics ATCO de réduire la charge de retraite répercutée sur les recettes nécessaires en abaissant l'AACV à 50 p. cent de l'IPC (au plus 3 p. cent) en ce qui concerne, d'une part, le coût des prestations pour services courants à compter de 2012 et, d'autre part, les paiements spéciaux visant à combler le déficit actuariel à compter de 2013.
[66] Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.




Pourvoi rejeté.
Procureurs des appelantes : Bennett Jones, Calgary.
Procureurs de l'intimée Alberta Utilities Commission : Alberta Utilities Commission, Calgary.
Procureurs de l'intimé Office of the Utilities Consumer Advocate of Alberta : Reynolds, Mirth, Richards & Farmer, Edmonton; Michael Sobkin, Ottawa.
[1] Cette disposition a depuis été remplacée par le par. 35(2) de l' Employment Pension Plans Act , S.A. 2012, c. E‑8.1.
[2] Ces dispositions ont depuis été remplacées par l'art. 13 de l' Employment Pension Plans Act (2012) .
[3] Ces dispositions ont depuis été remplacées par les art. 48 et 49 de l' Employment Pension Plans Regulation , Alta. Reg. 154/2014.
[4] Cette disposition a depuis été remplacée par l'al. 52(2) b ) de l' Employment Pension Plans Act (2012).
[5] La GUA donne à la Commission certaines indications sur la manière de calculer le rendement qu'un service public peut toucher sur sa base de tarification en précisant quelles données peuvent être prises en compte dans ce processus : [ traduction ] « Pour établir le juste rendement auquel a droit le propriétaire d'un service public de gaz sur sa base de tarification, la Commission tient dûment compte de tous les faits qu'elle estime pertinents. » (par. 37(3)). Toutefois, elle ne fournit aucune autre indication sur la méthode à appliquer pour déterminer si les dépenses d'un service public sont susceptibles de recouvrement.
[6] Ces dispositions ont depuis été remplacées par l'art. 13 de l' Employment Pension Plans Act (2012).
[7] Ces dispositions ont depuis été remplacées par les art. 48 et 49 de l' Employment Pension Plans Regulation (2014).
[8] Par souci de clarté, le rapport actuariel 2009 et le régime APD utilisent deux termes différents, quoique liés sur le plan conceptuel, pour désigner l'augmentation annuelle des prestations versées aux retraités : le régime APD renvoie à l'ajustement au coût de la vie (AACV), alors que le rapport actuariel 2009 parle de l'« augmentation des prestations versées aux retraités ». L'augmentation de 2,25 p. cent des prestations versées aux retraités prévue dans le rapport actuariel 2009 est établie selon la formule d'AACV du régime APD et le taux d'inflation retenu dans le rapport.
[9] Cette disposition a depuis été remplacée par l'al. 60(2) b ) et le par. 60(3) de l' Employment Pension Plans Regulation (2014).
[10] Pour déterminer la façon dont le service public recouvrera ses dépenses, l'organisme de réglementation peut toutefois tenir compte de l'incidence des tarifs sur le consommateur. Une augmentation tarifaire imprévue et importante peut, par exemple, justifier l'organisme de réglementation d'imposer un échelonnement afin d'éviter la « perturbation tarifaire », à condition que le service public soit indemnisé des répercussions financières du report du recouvrement de ses dépenses ( TransCanada Pipelines Ltd. c. Office national de l'énergie , 2004 CAF 149, 319 N.R. 171, par. 43).



Références :
Proposition de citation de la décision: ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Utilities Commission)


Origine de la décision
Date de la décision : 25/09/2015
Date de l'import : 25/10/2015

Fonds documentaire ?: Lexum


Numérotation
Référence neutre : 2015 CSC 45 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2015-09-25;2015.csc.45 ?

Source

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