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30/03/2017 | CANADA | N°2017CSC20

Canada | Canada, Cour suprême, 30 mars 2017, 2017CSC20


Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Côté

Motifs de jugement (par. 1 à 69) : Le juge Wagner (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Moldaver, Karakatsanis et Gascon)

Motifs dissidents (par. 70 à 98) : La juge Abella (avec l’accord de la juge Côté)

No du greffe : 36583.

2016 : 9 novembre; 2017 : 30 mars.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Côté.

en appel de la c

our d’appel du manitoba

Droit des professions — Avocats et procureurs — Formation ...

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Côté

Motifs de jugement (par. 1 à 69) : Le juge Wagner (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Moldaver, Karakatsanis et Gascon)

Motifs dissidents (par. 70 à 98) : La juge Abella (avec l’accord de la juge Côté)

No du greffe : 36583.

2016 : 9 novembre; 2017 : 30 mars.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Côté.

en appel de la cour d’appel du manitoba

Droit des professions — Avocats et procureurs — Formation professionnelle continue — Permis d’exercice d’un avocat suspendu par le Barreau pour non‑respect des Règles de la Société du Barreau du Manitoba qui prévoient une formation professionnelle obligatoire — Décision sollicitée par un avocat, déclarant que les règles contestées sont invalides parce qu’elles prescrivent la suspension du droit de pratique en cas de non-respect, et ce, sans droit d’être entendu et sans droit d’appel — Les règles sont-elles valides compte tenu du mandat conféré au Barreau par la Loi sur la profession d’avocat, C.P.L.M., c. L107?

Droit des professions — Avocats et procureurs — Barreau — Règles — Norme de contrôle — Loi sur la profession d’avocat conférant le pouvoir aux conseillers de la Société du Barreau du Manitoba d’adopter des règles applicables à l’ensemble de ses membres — Norme de contrôle applicable aux règles adoptées par le Barreau.

G a été admis au Barreau en 1955 et il exerce sa profession et est membre de La Société du Barreau du Manitoba (« Barreau » ou « Société du Barreau ») depuis plus de 60 ans. Malgré les règles obligatoires du Barreau qui exigent que tous les avocats en exercice participent à 12 heures de perfectionnement professionnel permanent (« PPP ») par année, G n’a déclaré aucune activité de formation pour les années 2012 et 2013. Plus d’un an après que G a fait défaut de déclarer des heures de PPP, le Barreau l’avisait que s’il ne se conformait pas aux règles dans un délai de 60 jours, son permis d’exercice serait suspendu. On a aussi invité G à corriger toute erreur dans son rapport de déclaration de PPP et on l’a informé de la possibilité de prolonger le délai de 60 jours. G n’a pas répondu et n’a pas non plus sollicité le contrôle judiciaire de la décision de le suspendre. Il a plutôt présenté une demande de jugement déclaratoire, par laquelle il a contesté la validité des dispositions des Règles de la Société du Barreau du Manitoba (« Règles ») relatives au PPP. Le juge de première instance a rejeté la demande de G, concluant que les règles contestées relèvent nettement du mandat que la Loi sur la profession d’avocat (« Loi ») confère au Barreau. La Cour d’appel a rejeté l’appel pour des motifs semblables.

Arrêt (les juges Abella et Côté sont dissidentes) : L’appel est rejeté.

La juge en chef McLachlin et les juges Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon : La norme de contrôle applicable à l’examen de règles adoptées par un barreau est celle de la décision raisonnable. Une règle ne sera annulée que si elle est du type qui n’aurait pu être adopté par un organisme raisonnable tenant compte des facteurs pertinents. Cela signifie que la teneur de la règle doit être conforme à la raison d’être du régime mis sur pied par la législature. La norme de la décision raisonnable est celle qui convient, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, lorsqu’ils adoptent des règles qui s’appliquent de façon générale à la profession, les conseillers agissent en qualité de législateurs. La norme de contrôle doit refléter le large pouvoir d’un barreau de réglementer la profession d’avocat en fonction de plusieurs considérations de principe dans l’intérêt public. Deuxièmement, les conseillers des barreaux sont nombreux à être élus par les membres de la profession juridique et à devoir leur rendre des comptes; appliquer la norme de la décision raisonnable garantit que les cours respecteront le devoir des conseillers de servir ces membres. Troisièmement, un barreau agit conformément à sa loi constitutive lorsqu’il adopte des règles comme celles qui sont contestées par G; il y a donc une présomption d’assujettissement à la norme de la décision raisonnable. Un barreau doit donc jouir d’une vaste latitude pour adopter des règles fondées sur son interprétation de « l’intérêt public » aux termes de sa loi habilitante. Enfin, un barreau est doté de l’expertise particulière des organismes professionnels autonomes pour prescrire les politiques et les procédures qui régissent l’exercice de leur profession en particulier.

Pour décider si les règles contestées sont raisonnables, la portée du mandat légal confié au Barreau doit d’abord être interprétée. L’objet, le libellé et l’économie de la Loi militent en faveur d’une interprétation généreuse du pouvoir du Barreau d’adopter des règles. Le législateur a confié au Barreau un large mandat d’intérêt public accompagné de vastes pouvoirs réglementaires pour accomplir ce mandat — un mandat qui doit être interprété de façon large et compatible avec l’objet de la Loi. Le libellé et l’économie de la Loi indiquent également la portée de l’autorité du Barreau et de son pouvoir de réglementation. Plus particulièrement, il peut fixer les sanctions qu’entraînent les contraventions à la Loi ou aux Règles, comme la suspension, en cas de manquement aux normes de formation que la Loi lui prescrit d’adopter. Puisque le Barreau a le pouvoir de créer un régime de PPP, il a nécessairement le pouvoir d’en imposer l’application.

En l’espèce, les règles contestées sont raisonnables compte tenu du mandat conféré au Barreau par la Loi. Il est raisonnable que les Règles exposent un avocat à une suspension parce qu’il ne s’est pas conformé au programme de PPP. La Loi confère clairement au Barreau le pouvoir de créer un programme de PPP dont le non-respect peut entraîner une suspension et l’objectif général de la Loi, son libellé et son économie démontrent que les règles contestées sont raisonnables compte tenu du mandat que la Loi confère au Barreau. Une telle suspension, qui se rapporte au manquement aux normes et qui ne constitue ni une punition ni une remise en question de la compétence professionnelle de l’avocat visé, est un moyen raisonnable et efficace d’assurer l’uniformité des services juridiques à l’échelle de la province et de garantir que même les avocats qui n’ont aucune envie de respecter les normes en matière de formation s’y conformeront. Exercer la profession d’avocat n’est ni un droit issu de la common law ni un droit de propriété, mais plutôt un droit prévu par la Loi qui est tributaire des principes énoncés dans la Loi et les Règles.

En outre, l’infliction d’une suspension aux membres sans audience et sans droit d’appel en cas de manquement aux règles de PPP n’est pas déraisonnable compte tenu des pouvoirs que la Loi confère au Barreau. En fait, elle concorde parfaitement avec l’obligation du Barreau d’établir et de faire appliquer des normes de formation. La suspension qui fait l’objet du présent litige est de nature administrative, et il est raisonnable que les règles contestées ne prévoient ni le droit à une audience ni un droit d’appel parce que les avocats sont les seuls responsables de se conformer aux règles, au moment qui leur convient. Seuls les membres peuvent mettre fin à la suspension en se conformant aux exigences. En outre, les règles qui autorisent l’infliction d’une suspension ne s’appliquent pas automatiquement. En effet, en plus des garanties procédurales de common law dont jouit un avocat, les règles qui prévoient la suspension attribuent expressément au directeur général du Barreau le pouvoir discrétionnaire de s’assurer que les Règles ne soient pas trop sévères. L’omission d’un avocat de se conformer aux règles contestées relatives à la formation, même après avoir été avisé et s’être vu offrir l’occasion de demander une prorogation de délai, justifie clairement que le Barreau inflige une suspension temporaire.

Les juges Abella et Côté (dissidentes) : La question en litige dans le présent pourvoi n’est pas celle de savoir si la Société du Barreau peut suspendre le droit d’exercice d’un avocat pour un manquement à l’obligation de suivre les 12 heures annuelles de formation permanente obligatoire, mais bien celle de savoir si elle peut infliger une suspension automatique.

Un barreau ne peut adopter que des règles conformes à l’objet, au champ d’application et aux objectifs de sa loi habilitante et ce pouvoir doit être exercé de manière raisonnable. Cela dit, le fait qu’il faille faire preuve de retenue ne signifie pas qu’un barreau a carte blanche; il existe plusieurs fondements pour conclure au caractère déraisonnable de la législation déléguée, comme lorsqu’elle est manifestement injuste.

Au Manitoba, la Société du Barreau a pour objet « de défendre et de protéger l’intérêt public relativement à la prestation de services juridiques d’une manière compétente, intègre et indépendante ». Il s’agit là des valeurs fondamentales du professionnalisme de l’avocat. La protection de l’intérêt public emporte non seulement l’obligation de veiller à ce que les avocats fournissent des services juridiques conformément à ces valeurs, mais également celle de protéger la perception de professionnalisme de ces services au sein du public. Bien que l’objectif premier d’un barreau soit la protection de l’intérêt public, il ne saurait réaliser cet objectif sans protéger également la capacité de ses membres à exercer le droit de manière professionnelle. En conséquence, les barreaux doivent s’acquitter de leur mandat d’une manière qui non seulement protège la capacité des avocats d’agir de façon professionnelle, mais qui renforce aussi, au sein du public, la perception que les avocats se comportent de telle façon. Corollairement, cela signifie que les barreaux ne peuvent adopter des règles qui érodent de manière déraisonnable la confiance du public envers les avocats.

En l’espèce, la règle de la Société du Barreau portant que les membres qui omettent de compléter les 12 heures de perfectionnement professionnel permanent obligatoire au cours d’une année civile sont automatiquement suspendus est déraisonnable parce qu’elle est incompatible avec le mandat qui a été confié à la Société du Barreau, à savoir protéger la confiance du public envers la profession juridique. Lorsqu’un avocat est suspendu, la confiance du public à son endroit l’est également. C’est la raison pour laquelle la Société du Barreau enquête avec autant de soin sur les plaintes concernant une faute professionnelle ou une allégation d’incompétence, veillant ainsi à n’imposer une suspension qu’après avoir accordé certaines garanties procédurales minimales, et après avoir envisagé des sanctions moins sévères. Lorsqu’une suspension est infligée au terme d’un tel processus, la perte de confiance du public en résultant est alors justifiée. Cependant, lorsqu’une suspension est imposée automatiquement à l’égard de l’infraction la moins grave qui soit — le défaut de suivre les 12 heures d’activités de formation — la Société du Barreau contrevient à son obligation de protéger la confiance du public envers le professionnalisme des avocats contre une érosion inutile.

Les incidences financières de la suspension sont évidentes. Il en est de même des incidences sur la réputation, compte tenu particulièrement du fait que le directeur général doit aviser les membres de la Société du Barreau, ainsi que les juges en chef des tribunaux au Manitoba, du nom du membre qui a été suspendu. Il s’agit de la seule question liée à la compétence des membres et régie par la Société du Barreau qui n’est assortie d’aucune garantie procédurale et d’aucun recours pour le membre, et d’aucune latitude en faveur du directeur général, et lui seul entraîne une suspension automatique, sans égard à l’existence ou non de circonstances susceptibles de le justifier. Ces facteurs rendent la suspension arbitraire. L’absence de pouvoir discrétionnaire, de mesures d’équité procédurale et de mesures réparatrices contraste nettement avec les mesures prévues par d’autres dispositions de la Loi ou des Règles qui tendent à la réalisation du mandat de la Société du Barreau pour établir les normes de compétence pour les avocats. Elle contraste aussi nettement avec les exigences des règlements et des politiques de formation professionnelle obligatoire de la plupart des autres provinces et territoires du Canada.

L’absence d’un pouvoir discrétionnaire en l’espèce est fatale. Une règle qui entraîne la suspension automatique du permis d’exercice d’un avocat parce qu’il n’a pas suivi 12 heures de perfectionnement professionnel permanent est si loin de garantir la confiance du public envers les avocats qu’elle est manifestement injuste, et donc déraisonnable.

Jurisprudence

Citée par le juge Wagner

Arrêts appliqués : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5; arrêts mentionnés : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 R.C.S. 135; Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 R.C.S. 810; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 S.C.R. 654; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293; Pearlman c. Comité judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 R.C.S. 869; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), 2004 CSC 19, [2004] 1 R.C.S. 485; Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. McKercher LLP, 2013 CSC 39, [2013] 2 R.C.S. 649; ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140; Culligan c. Miller, J. (1996), 178 R.N.-B. (2e) 321; Shewchuk‑Dann c. Assn. of Social Workers (Alberta) (1996), 38 Admin. L.R. (2d) 19; Laferrière c. Canada (Procureur général), 2015 CF 612; Irwin c. Alberta Veterinary Medical Association, 2015 ABCA 396, 609 A.R. 299; Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Moreau‑Bérubé c. Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, [2002] 1 R.C.S. 249; Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 R.C.S. 504; Kruse c. Johnson, [1898] 2 Q.B. 91.

Citée par la juge Abella (dissidente)

Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5; Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 R.C.S. 810; Waddell c. Governor in Council (1983), 8 Admin. L.R. 266; Kruse c. Johnson, [1898] 2 Q.B. 91; Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247; Law Society of British Columbia c. Mangat, 2001 CSC 67, [2001] 3 R.C.S. 113; Canada (Procureur général) c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307; Pett c. Greyhound Racing Assn., Ltd., [1968] 2 All E.R. 545; Joplin c. Chief Constable of the City of Vancouver (1982), 144 D.L.R. (3d) 285; Kane c. Conseil d’administration de l’Université de la Colombie‑Britannique, [1980] 1 R.C.S. 1105.

Lois et règlements cités

Law Society Rules 2015 [prises en vertu de la Legal Profession Act, S.B.C. 1998, c. 9], règles 3‑29(1), (5), 3‑32.

Loi d’interprétation, C.P.L.M., c. I80, art. 6, 32(1).

Loi sur la profession d’avocat, C.P.L.M., c. L107, art. 3, 4(1), (2), (5), (6), 5, 12(2), 19(5), 43c)(ii), 65, 68b), c), 72, 75(1), 76(1)a)(i).

Règlement administratif no 6.1 — Formation professionnelle continue [pris en vertu de la Loi sur le Barreau, L.R.O. 1990, c. L.8], art. 2(4).

Règlement sur la formation continue obligatoire des avocats, RLRQ, c. B‑1, r. 12, art. 15 à 17.

Règles du Barreau du Yukon [prises en vertu de la Loi sur la profession d’avocat, L.R.Y. 2002, c. 134], règle 95.3(5).

Règles de la Société du Barreau du Manitoba [prises en vertu de la Loi sur la profession d’avocat, C.P.L.M., c. L107], règles 2‑81.1(1), (6), (8), (9), (12), (13), 2‑81.2(3), 2‑88, 2‑91, 2‑97, 5‑47(10), 5‑64(2), (3), 5‑65(1), 5‑66, 5‑72(1), (4), 5‑74(1), 5‑81(2), 5‑96(2).

Règles sur la formation professionnelle continue obligatoire [prises en vertu de la Loi de 1996 sur le Barreau, L.N.‑B. 1996, c. 89], art. 7(1) à (3), 8(1), (2).

Regulations [pris en vertu de la Legal Profession Act, S.N.S. 2004, c. 28], règle 8.3.9.

Doctrine et autres documents cités

Barreau du Québec. Guide sur les dispenses de l’obligation de formation continue, édité en mars 2015, p. 10 (en ligne : http://www.barreau.qc.ca/pdf/publications/guides-fco/fco-guide-dispenses.pdf; version archivée : http://www.scc-csc.ca/cso-dce/2017SCC-CSC20_1_fra.pdf ).

Brown, Donald J. M., and John M. Evans, with the assistance of David Fairlie. Judicial Review of Administrative Action in Canada, Toronto, Thomson Reuters, 2013 (loose‑leaf updated December 2016, release 4).

Huscroft, Grant, « From Natural Justice to Fairness : Thresholds, Content, and the Role of Judicial Review », in Flood, Colleen M., and Lorne Sossin, eds., Administrative Law in Context, 2nd ed., Toronto, Emond Montgomery, 2013, 147.

Law Society of Saskatchewan. Continuing Professional Development Policy, revised September 15, 2016, sections 16, 18, and 19 (en ligne : https://www.lawsociety.sk.ca/media/61741/policy.pdf; version archivée : http://www.scc-csc.ca/cso-dce/2017SCC-CSC20_2_eng.pdf).

MacKenzie, Gavin. Lawyers and Ethics : Professional Responsibility and Discipline, 5th ed., Toronto, Carswell, 2009.

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6th ed., Markham (Ont.), LexisNexis, 2014.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba (les juges Monnin, Cameron et Mainella), 2015 MBCA 67, 319 Man. R. (2d) 189, 638 W.A.C. 189, 75 C.P.C. (7th) 73, 386 D.L.R. (4th) 511, [2015] 10 W.W.R. 239, [2015] M.J. No. 175 (QL), 2015 CarswellMan 332 (WL Can.), qui a confirmé une décision du juge Rempel, 2014 MBQB 249, 313 Man. R. (2d) 19, 66 C.P.C. (7th) 430, [2015] 5 W.W.R. 769, [2014] M.J. No. 350 (QL), 2014 CarswellMan 760 (WL Can.). Pourvoi rejeté, les juges Abella et Côté sont dissidentes.

Charles R. Huband et Kevin T. Williams, pour l’appelant.

Rocky Kravetsky et Jeffrey W. Beedell, pour l’intimée.

Neil Finkelstein et Brandon Kain, pour l’intervenante.

Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon rendu par

Le juge Wagner —

I. Introduction

[1] La formation professionnelle des avocats est un processus continu. Les lois sont modifiées, la common law évolue et les normes de pratique changent en raison des progrès de la technologie et d’autres facteurs. Les avocats doivent veiller à tenir leurs connaissances à jour et à renforcer leurs compétences, et ils doivent s’assurer que l’exercice de leur profession est toujours respectueux des normes déontologiques et professionnelles.

[2] Ce pourvoi porte sur un élément fondamental de la formation continue des avocats, soit le perfectionnement professionnel permanent (« PPP »). La question à trancher est celle de savoir si La Société du Barreau du Manitoba (« Barreau ») peut imposer des règles selon lesquelles le manquement par un avocat aux exigences d’un programme de PPP obligatoire est susceptible d’entraîner la suspension de son droit de pratique.

[3] À l’instar des tribunaux d’instances inférieures, je suis d’avis que le Barreau possède un tel pouvoir. En effet, il est légalement tenu de protéger les membres du public qui souhaitent obtenir des services juridiques en établissant des normes de formation pour les avocats en exercice et en les faisant respecter. Les programmes de PPP servent cet intérêt public et permettent d’accroître la confiance du public envers la profession juridique en exigeant que les avocats participent, de façon continue, à des activités qui rehaussent leurs compétences, leur intégrité et leur professionnalisme. Les programmes de PPP sont de fait devenus un aspect essentiel de la formation professionnelle au Canada et la plupart des barreaux canadiens ont d’ailleurs mis en œuvre des programmes obligatoires de PPP.

[4] Cela dit, les normes de formation ne peuvent assurer l’excellence des services juridiques que si les membres du Barreau s’y conforment. Si un avocat omet de compléter le nombre d’heures de formation requis (« heures de PPP »), même après avoir été averti de son manquement, sa suspension temporaire jusqu’à ce qu’il les ait respectées est une façon raisonnable d’en assurer la conformité. Cette suspension est de nature administrative, et non punitive.

[5] Ce pourvoi doit être rejeté. Les règles contestées relatives au PPP sont raisonnables compte tenu de l’importance des programmes de PPP et du vaste pouvoir du Barreau d’adopter des règles pour établir des normes de formation.

II. Faits

[6] L’appelant, M. Sidney Green, a été admis au barreau du Manitoba en 1955. Il exerce sa profession et est membre du Barreau depuis plus de 60 ans. Il a déjà été conseiller du Barreau[1]; il a aussi participé à de nombreux programmes de PPP et y a prononcé des conférences. Il n’a aucun dossier disciplinaire, et ne fait face à aucune accusation d’infraction disciplinaire.

[7] En l’espèce, M. Green conteste les Règles de la Société du Barreau du Manitoba (« Règles ») qui rendent le programme de PPP obligatoire. Ce programme n’a pas toujours été obligatoire au Manitoba. D’abord, en 2007, les conseillers ont approuvé des règles selon lesquelles tous les avocats devaient obligatoirement déclarer les heures qu’ils avaient consacrées au PPP. Le Barreau a colligé et évalué ces déclarations sur une période de deux ans. Bon nombre de membres ont déclaré n’avoir participé à aucune activité de perfectionnement professionnel, ou d’y avoir consacré moins d’une heure par mois. Ensuite, le Comité des admissions et de la formation professionnelle du Barreau (« Comité ») a recommandé que les conseillers adoptent un programme de PPP obligatoire. À cette époque, le directeur général du Barreau a également avisé les conseillers que le PPP volontaire ne fonctionnait pas.

[8] De la fin mars 2010 à mai 2011, tout en consultant les membres, les conseillers ont examiné l’opportunité de rendre le programme de PPP obligatoire. Au cours de cette période, ces derniers et les membres du Comité se sont chacun réunis à plusieurs reprises et ont reçu divers commentaires et suggestions. En aucun temps M. Green n’a‑t‑il présenté d’observation aux conseillers concernant les exigences de PPP proposées, bien que le Barreau ait invité ses membres à le faire.

[9] Par la suite, les conseillers ont approuvé les exigences du PPP obligatoire et ont modifié les Règles afin qu’elles exigent que tous les avocats en exercice participent à ces activités de formation permanente (à raison d’une heure par mois d’exercice, soit un total de 12 heures par année). Le manquement à ces exigences peut entraîner la suspension du permis d’exercice de l’avocat. Le texte des règles se lit ainsi :

2‑81.1(8) À compter du 1er janvier 2012 et sous réserve du paragraphe (10), les avocats en exercice sont tenus d’effectuer une heure d’activités admissibles par mois ou partie de mois de l’année civile au cours de laquelle ils exercent activement le droit. . . .

. . .

2‑81.1(12) Le directeur général peut aviser par écrit l’avocat en exercice qui ne s’est pas conformé au paragraphe (8) qu’il est tenu de le faire avant l’expiration d’un délai de 60 jours à compter de l’envoi de l’avis. L’avocat qui ne se conforme pas à ce paragraphe avant l’expiration du délai est automatiquement suspendu et ne peut exercer le droit avant de s’être conformé à ce paragraphe et d’avoir versé les droits de réinscription.

2‑81.1(13) Le directeur général peut renvoyer au comité d’enquête sur les plaintes le cas de l’avocat qui est suspendu plusieurs fois pour défaut d’observation du paragraphe (8).

[10] Malgré ces règles obligatoires, M. Green n’a déclaré aucune activité de PPP pour les années 2012 et 2013. Le 30 mai 2014, soit plus d’un an après que ce dernier a fait défaut de déclarer des heures de PPP, le directeur général du Barreau lui a envoyé une lettre qui l’avisait que, s’il ne se conformait pas aux Règles dans un délai de 60 jours, son permis d’exercice serait suspendu. Le directeur général a aussi invité M. Green à corriger toute erreur dans son rapport de déclaration de PPP et lui a offert de prolonger le délai de 60 jours dont il disposait pour s’acquitter de ses obligations de formation.

[11] Monsieur Green n’a pas répondu à la lettre et n’a pas non plus sollicité le contrôle judiciaire de la décision de le suspendre. Il a plutôt présenté une demande de jugement déclaratoire le 25 juin 2014, par laquelle il a contesté la validité des règles de PPP (« règles contestées »). Bien que le Barreau ait suspendu le certificat d’exercice de M. Green à partir du 30 juillet 2014, il a accepté de ne pas donner effet à la suspension tant que ce litige ne serait pas réglé.

III. Décisions des juridictions d’instances inférieures

A. Cour du Banc de la Reine du Manitoba, 2014 MBQB 249, 313 Man. R. (2d) 19

[12] Le juge de première instance a rejeté la demande de M. Green, concluant que les règles relatives au PPP relèvent nettement du mandat que la Loi sur la profession d’avocat, C.P.L.M., c. L107 (« Loi »), confère au Barreau. Celui‑ci est tenu d’« établi[r] des normes régissant la formation, la responsabilité professionnelle et la compétence » des avocats : par. 3(2). Les règles contestées sont donc conformes au large pouvoir que le par. 4(5) de la Loi confère au Barreau pour adopter les règles qu’elle juge souhaitables pour s’acquitter du mandat que lui confère la loi et pour protéger l’intérêt public.

[13] Le juge de première instance a également rejeté les arguments soulevés par l’appelant portant sur la justice naturelle et sur l’équité procédurale.

B. Cour d’appel du Manitoba, 2015 MBCA 67, 319 Man. R. (2d) 189

[14] La Cour d’appel a rejeté l’appel pour des motifs semblables à ceux énoncés par le juge de première instance. Elle a souligné que la loi qui régit le Barreau est une loi d’intérêt public conçue pour protéger les membres du public qui veulent obtenir des services juridiques. Elle a donc conclu que, pour lui permettre d’atteindre cet objectif, il faut donner une interprétation large et libérale au pouvoir de réglementation du Barreau.

[15] L’appelant a reconnu en Cour d’appel que le Barreau a le pouvoir d’adopter des règles pour mettre sur pied un programme de PPP. La Cour d’appel a conclu que le Barreau a également le pouvoir de rendre ce programme obligatoire et, en vertu de l’art. 65 de la Loi, d’établir des sanctions en cas de manquement à l’égard du programme en question.

[16] De plus, la Cour d’appel a conclu que la suspension d’un avocat parce qu’il n’a pas effectué ses heures de PPP est de nature administrative et ne nécessite pas la mise en œuvre de mesures plus poussées applicables dans une instance contre un avocat pour faute professionnelle ou incompétence — décrites à l’art. 72 de la Loi.

IV. Questions en litige

[17] Ce pourvoi soulève deux questions : (1) quelle norme de contrôle s’applique à la question de la validité des règles adoptées par un barreau, et (2) à la lumière de la norme de contrôle applicable, les règles contestées sont‑elles valides compte tenu des pouvoirs du Barreau définis par la Loi?

V. Analyse

[18] Monsieur Green a contesté les règles relatives au PPP parce qu’il n’est absolument pas intéressé à s’y conformer. Depuis l’entrée en vigueur de ces règles en 2012, il n’a déclaré aucune heure de PPP. Il soutient que les règles relatives à ce programme de formation sont injustes parce qu’elles prévoient l’infliction d’une suspension, sans audience et sans droit d’appel. Monsieur Green n’a cependant pas sollicité de contrôle judiciaire de la décision du Barreau de le suspendre. Il ne s’est pas plaint non plus que le Barreau l’avait traité de façon injuste. Il conteste plutôt les règles en cause en se fondant sur ces motifs d’ordre procédural, non pas par crainte d’une injustice, mais tout simplement parce qu’il n’est pas intéressé à assister au nombre requis d’heures de PPP.

[19] En dépit des motivations pour lesquelles M. Green conteste les règles de PPP, la Cour doit maintenant déterminer si celles‑ci relèvent du mandat légal du Barreau. La Cour ne s’est jamais penchée sur la question de déterminer quelle est la norme de contrôle appropriée devant être appliquée dans le cas de l’examen de la validité des règles adoptées par un barreau. Le cadre relatif à la norme de contrôle judiciaire énoncé dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, s’applique en l’espèce parce qu’il est applicable à « tout exercice de l’autorité publique » et à « [ceux qui exercent des] pouvoirs légaux » : par. 28; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 R.C.S. 135, par. 53.

A. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable

[20] À mon avis, la norme de contrôle applicable à l’examen d’une règle d’un barreau est celle de la décision raisonnable. Une règle du Barreau ne sera annulée que « s’il s’agit d’un[e] règl[e] qui n’aurait pu être adopté[e] par un organisme raisonnable tenant compte [des] facteurs [pertinents] » : Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 24. Cela signifie que « la teneur » des Règles du Barreau « doit être conforme à la raison d’être du régime mis sur pied par la législature » : par. 25; voir également Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 R.C.S. 810, par. 25.

[21] Les règles adoptées par les barreaux sont semblables aux règlements adoptés par les conseils municipaux. La juge en chef McLachlin a expliqué la raison d’être de cette norme de contrôle dans l’arrêt Catalyst Paper :

. . . la révision des règlements municipaux doit refléter le large pouvoir discrétionnaire que les législateurs provinciaux ont traditionnellement conféré aux municipalités en matière de législation déléguée. Les conseillers municipaux qui adoptent des règlements accomplissent une tâche qui a des répercussions sur l’ensemble de leur collectivité et qui est de nature législative plutôt qu’adjudicative. Les règlements municipaux ne sont pas des décisions quasi judiciaires. Ils font plutôt intervenir toute une gamme de considérations non juridiques, notamment sur les plans social, économique et politique. [par. 19]

[22] Des considérations similaires sont de mise dans le contexte de règles adoptées par un barreau. Dans le cas qui nous occupe, le législateur a expressément accordé au Barreau un large pouvoir discrétionnaire pour réglementer la profession d’avocat en fonction de plusieurs considérations de principe dans l’intérêt public. La Loi habilite les conseillers du Barreau à adopter des règles qui s’appliquent de façon générale à la profession et, à ce titre, les conseillers agissent en qualité de législateurs.

[23] La norme de la décision raisonnable convient bien parce que les conseillers du Barreau sont nombreux à être élus par les membres de la profession juridique et à devoir leur rendre des comptes. S’il est vrai que les membres du public n’élisent pas directement les conseillers, les Règles adoptées par ces derniers ne s’appliquent qu’aux membres de la profession. En conséquence, les commentaires que la juge en chef McLachlin a formulés dans l’arrêt Catalyst Paper sur les règlements municipaux sont également pertinents en l’espèce : « . . . la norme de la décision raisonnable signifie que les tribunaux doivent respecter le devoir qui incombe aux représentants élus de servir leurs concitoyens, qui les ont élus et devant qui ils sont ultimement responsables » : par. 19.

[24] En plus de l’enseignement spécifique fourni dans Catalyst Paper — qui selon moi s’applique à la présente affaire —, les principes généraux établis par la Cour sur la norme de contrôle favorisent également l’application de celle de la décision raisonnable. Le Barreau a agi conformément à sa loi constitutive lorsqu’il a adopté les règles contestées, ce qui entraîne une présomption d’assujettissement à la norme de la décision raisonnable : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, par. 34 et 39. Dans le cas qui nous occupe, le Barreau doit donc jouir d’une vaste latitude pour adopter des règles fondées sur son interprétation de « l’intérêt public » aux termes de sa loi habilitante : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, par. 50 et 87.

[25] De plus, le Barreau a l’expertise voulue pour réglementer la profession juridique « sur le plan institutionnel » : Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293, par. 33. La Cour a déjà reconnu l’expertise particulière d’organismes professionnels autonomes pour prescrire les politiques et procédures qui régissent l’exercice d’une profession en particulier : Pearlman c. Comité judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 R.C.S. 869, p. 887.

B. Les règles contestées sont‑elles raisonnables compte tenu du mandat que la Loi confère au Barreau?

[26] Pour décider si les règles contestées sont raisonnables, je vais adopter une approche en deux étapes. Tout d’abord, je vais interpréter la portée du mandat légal confié au Barreau, et ce, conformément au principe moderne d’interprétation des lois adopté par la Cour : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21. Ensuite, j’examinerai si, à la lumière de ce mandat, les règles contestées sont déraisonnables parce qu’elles exposent les avocats à une suspension en cas de manquement aux Règles et eu égard aux protections procédurales qu’elles procurent.

(1) Le mandat légal

[27] L’objet, le libellé et l’économie de la Loi militent en faveur d’une interprétation généreuse du pouvoir du Barreau d’adopter des règles.

a) Objet de la Loi

[28] Je commence mon analyse avec l’examen de l’objet de la Loi. Le législateur a confié au Barreau un large mandat d’intérêt public accompagné de vastes pouvoirs réglementaires pour accomplir ce mandat. Ce dernier doit être interprété de façon large et compatible avec l’objet de la Loi : United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), 2004 CSC 19, [2004] 1 R.C.S. 485, par. 6-8; Loi d’interprétation, C.P.L.M., c. I80, art. 6.

[29] D’abord, la Loi contient une disposition détaillée exposant son objet, qui oblige le Barreau à agir dans l’intérêt public : « La Société a pour objet de défendre et de protéger l’intérêt public relativement à la prestation de services juridiques d’une manière compétente, intègre et indépendante » : par. 3(1). Il revient au Barreau de définir le sens de l’expression « intérêt public » qui figure dans cette disposition. Dans la poursuite de cet objet, le Barreau doit : « a) établi[r] des normes régissant la formation [. . .] des personnes qui exercent ou veulent exercer le droit dans la province; [et] b) réglemente[r] l’exercice du droit dans la province » : par. 3(2).

[30] De plus, l’indépendance que le législateur accorde au Barreau démontre son intention de donner à celui‑ci tous les pouvoirs nécessaires pour qu’il régisse la conduite de ses membres. Comme la Cour l’a déjà écrit, la profession d’avocat au Manitoba « est [. . .] autonome à presque tous les points de vue » : Pearlman, p. 886.

[31] Enfin, l’interprétation large du pouvoir de réglementation du Barreau est conforme à l’approche adoptée par la Cour dans des décisions antérieures. À titre d’exemple, selon le juge Iacobucci dans Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247 : « Il est clairement entendu que le Barreau est l’organisme chargé au premier titre d’établir les normes professionnelles et de les faire appliquer par ses membres » : par. 40. De plus, la juge en chef McLachlin a écrit dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. McKercher LLP, 2013 CSC 39, [2013] 2 R.C.S. 649, que « [l]es règles du barreau se veulent des règles générales applicables à tous les membres pour assurer l’éthique professionnelle, protéger le public et imposer des sanctions disciplinaires aux avocats qui enfreignent les règles — bref, ces règles assurent le bon encadrement de la profession » : par. 15. Ces affirmations générales témoignent du vaste pouvoir de réglementation du Barreau.

b) Le sens grammatical ordinaire des mots

[32] Le libellé de la Loi indique également la portée de l’autorité du Barreau et de son pouvoir de réglementation. La Loi impose aux conseillers l’obligation d’« établi[r] des normes régissant la formation [. . .] des personnes qui exercent ou veulent exercer le droit » au Manitoba : par. 3(2)a). Compte tenu de cette obligation, ses par. 4(5) et 4(6) investissent le Barreau d’un pouvoir de réglementation non limitatif afin que celui‑ci puisse atteindre cet objectif ainsi que ses autres objectifs d’intérêt public. Le paragraphe 4(5) indique qu’« [e]n plus de pouvoir ou de devoir prendre des règles à des fins déterminées », les conseillers peuvent adopter des règles pour « poursuivre son objet et exercer ses fonctions ». En plus des pouvoirs déjà énoncés dans la Loi, les conseillers ont donc le pouvoir d’adopter des règles pour favoriser la réalisation de l’objet et des obligations du Barreau. Le paragraphe 4(6) confère aux Règles établies par les conseillers un caractère obligatoire pour tous les membres du Barreau.

[33] Plus précisément, la Loi prévoit que les conseillers peuvent « créer et maintenir ou soutenir d’une autre façon un système de formation juridique, y compris [. . .] un programme de formation juridique permanente » : sous‑al. 43c)(ii).

[34] En ce qui concerne une possible suspension, l’art. 65 habilite expressément le Barreau à « fixer les sanctions qu’entraînent les contraventions à la présente loi ou aux règles ». Cette formulation ne saurait être plus claire — le Barreau peut fixer des sanctions, comme la suspension, en cas de manquement aux normes de formation que la Loi lui prescrit d’adopter.

[35] L’appelant invoque en outre la règle d’interprétation des lois relative à « l’exclusion implicite » pour soutenir qu’une suspension ne peut être infligée en vertu de la Loi. Puisque cette dernière habilite expressément le Barreau à infliger une « suspension » dans quatre cas précis, mais pas dans le contexte du PPP, l’appelant soutient que le législateur voulait délibérément exclure la suspension des sanctions applicables à un cas autre que ceux mentionnés.

[36] Cet argument est mal fondé pour deux raisons. D’abord, il ne tient pas compte de la démarche d’évaluation appropriée de la légalité des règles contestées. La Cour n’est pas appelée à décider si la Loi énonce expressément ce pouvoir, mais plutôt à déterminer si les règles contestées sont raisonnables compte tenu du mandat prévu par la Loi.

[37] Ensuite, la thèse de l’appelant est incompatible avec la méthode d’interprétation téléologique mise de l’avant par la Cour. Les arguments portant sur l’exclusion implicite sont simplement des arguments de texte, et ne peuvent fonder à eux seuls l’interprétation d’une loi : R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd. 2014), p. 256-257. Le libellé de la loi doit être considéré parallèlement à son objet et à son économie. À mon avis, l’objet de la Loi ajoute à la formulation non limitative des dispositions pertinentes pour conclure que la règle de l’exclusion implicite ne devrait pas être appliquée en l’espèce.

c) Économie de la Loi

[38] L’économie de la Loi fragilise davantage la position de l’appelant. Il faut se rappeler que la Loi n’exige pas que le Barreau mette sur pied un programme de PPP; elle prévoit seulement qu’un tel programme « peut » être établi et maintenu par le Barreau : sous‑al. 43c)(ii). Il serait donc absurde que le législateur établisse des sanctions en cas de non‑conformité à un programme que le Barreau n’est même pas tenu de mettre sur pied.

[39] S’il est vrai que seulement quatre dispositions dans la Loi prévoient que la « suspension » peut constituer une sanction, chacune de ces dispositions est le pendant de règles et procédures obligatoires qui sont déjà établies par la Loi. La suspension en cas de défaut de paiement des droits correspond à l’obligation des membres de payer ces droits : par. 19(5). La suspension infligée par le Comité d’enquête sur les plaintes correspond à l’obligation du comité d’examiner les plaintes : al. 68c). La suspension infligée par le Comité de discipline correspond à son obligation d’instruire la procédure disciplinaire : par. 72(1) et (2). La Loi exige le paiement de droits et la création de ces comités, elle énonce donc ensuite les conséquences et les pouvoirs connexes à ces exigences.

[40] En revanche, le Barreau n’est pas tenu d’établir un programme de PPP : sous‑al. 43c)(ii). Si le législateur avait indiqué expressément les sanctions auxquelles ferait face un avocat qui ne respecte pas les exigences de PPP, mais que le Barreau n’avait jamais fait respecter de telles exigences, ces sanctions seraient superflues. Or, le législateur n’adopte pas de dispositions inutiles.

[41] À mon avis, les renvois précis à une « suspension » dans la Loi ne traduisent pas l’intention du législateur de limiter l’application de cette sanction à certaines circonstances. Ils démontrent plutôt que lorsque le législateur a voulu prévoir les pouvoirs disciplinaires d’un comité ou les sanctions en cas de manquement à une exigence imposée par la Loi, il l’a fait de façon expresse. Autrement, le législateur laisse le Barreau décider, en vertu de son pouvoir général de réglementation, s’il prévoit des sanctions en cas de violation des Règles qu’il a adoptées. La portée du pouvoir d’adoption de règlements et d’établissement de sanctions décrite au par. 4(5) et à l’art. 65 l’indique également.

[42] Quoi qu’il en soit, puisque le Barreau a le pouvoir de créer un régime de PPP, elle a nécessairement le pouvoir d’en imposer l’application. Étant donné la portée de son libellé, la Loi doit être interprétée de telle sorte que « sont compris dans les pouvoirs conférés par la loi habilitante non seulement ceux qui y sont expressément énoncés, mais aussi, par déduction, tous ceux qui sont de fait nécessaires à la réalisation de l’objectif du régime législatif » : ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, par. 51. Ce principe est compatible avec la Loi d’interprétation qui prévoit que « [l]e pouvoir de prendre une mesure ou de la faire exécuter comporte les pouvoirs connexes qui sont nécessaires » : par. 32(1).

(2) Est‑il raisonnable que les Règles exposent un avocat à une suspension parce qu’il ne s’est pas conformé au programme de PPP?

[43] Après avoir interprété la Loi, je me penche maintenant sur le caractère raisonnable des règles contestées. Monsieur Green a admis en Cour d’appel que le Barreau a le pouvoir d’adopter des règles pour établir un programme de PPP. Contrairement à sa position devant les juridictions d’instances inférieures, M. Green a aussi admis devant la Cour que le Barreau peut rendre le programme de PPP obligatoire. Il reste donc à déterminer si les règles contestées sont déraisonnables parce qu’elles permettent l’infliction d’une suspension à un avocat qui ne s’est pas conformé au programme de PPP obligatoire.

[44] À mon avis, la Loi confère clairement au Barreau le pouvoir de créer un programme de PPP dont le non‑respect peut entraîner une suspension. Plus particulièrement, l’art. 3, les par. 4(5) et 4(6), le sous‑al. 43c)(ii) et l’art. 65, interprétés à la lumière de l’objectif d’intérêt public de la loi, confèrent le pouvoir d’adopter les règles contestées relatives au PPP. L’objectif général de la Loi, son libellé et son économie démontrent que les règles contestées sont raisonnables compte tenu du mandat que la loi confère au Barreau.

[45] La mise en œuvre de normes obligatoires comme celles établies par les règles contestées est conforme à l’objet et aux fonctions du Barreau énoncés à l’art. 3 de la Loi. Je souscris à l’opinion de la Cour d’appel, selon laquelle [traduction] « [l]e fait que le Barreau établisse une telle norme à laquelle les avocats doivent se conformer pour conserver leur certificat d’exercice lequel sert, de l’avis des conseillers, à protéger le public, s’inscrit dans les fonctions qui lui sont confiées par la Loi » : par. 17 (italiques omis).

[46] Pour que ces normes aient un effet, le Barreau doit établir des sanctions auxquelles s’exposent les avocats qui y contreviennent. D’un point de vue pratique, une norme de formation dont l’application n’est pas contrôlée n’est pas du tout une norme, elle n’est qu’un vœu pieux.

[47] La suspension est un moyen raisonnable par lequel le Barreau peut faire en sorte que les avocats respectent les exigences de PPP. Cette suspension se rapporte au manquement aux normes; il ne s’agit ni d’une punition ni d’une remise en question de la compétence professionnelle de l’avocat visé. J’estime par ailleurs que d’autres conséquences, comme une amende, ne seraient peut‑être pas suffisantes pour faire en sorte que les membres du Barreau se conforment aux exigences en matière de formation puisqu’un programme duquel on peut se soustraire en payant une amende n’a pas véritablement d’application universelle. Pour conclure de la sorte, je tiens compte du fait qu’en adoptant ces règles obligatoires, le Barreau agissait en réaction à l’habitude de certains avocats de ne pas se conformer aux normes en matière de PPP lorsqu’elles n’avaient pas de caractère contraignant.

[48] Afin d’assurer l’uniformité des services juridiques à l’échelle de la province, la possibilité d’une suspension garantit de façon efficace que même les avocats qui n’ont aucune envie de respecter les normes en matière de formation s’y conformeront. À preuve, M. Green a soutenu que, à son avis, les activités de PPP qui lui étaient offertes ne lui auraient été d’aucune utilité dans le cadre de sa pratique. Or, ce n’est pas à M. Green de décider si le PPP est utile ou adéquat. Le législateur a décidé que le Barreau doit imposer des normes pour régir la formation de tous ceux qui exercent le droit (par. 3(2)), et qu’il appartient à ce dernier de déterminer la nature de ces normes.

[49] Monsieur Green soutient également que les règles contestées qui exposent un avocat à une suspension sont déraisonnables parce que son [traduction] « droit issu de la common law » d’exercer la profession d’avocat ne peut lui être enlevé en l’absence d’un texte législatif clair. Cet argument ne me convainc pas. Le droit d’exercer la profession d’avocat n’est ni issu de la common law ni un droit de propriété, mais plutôt un droit conféré par la loi qui est tributaire des principes énoncés dans la Loi et des Règles adoptées par le Barreau. Comme la Cour l’a déjà conclu, « la Société du Barreau a les pleins pouvoirs pour déterminer les personnes qui peuvent exercer le droit dans la province, les conditions ou exigences qui leur sont imposées et, ce qui est peut‑être le plus important, les moyens de faire respecter ces conditions ou exigences » : Pearlman, p. 886. Le Barreau n’a pas porté atteinte aux droits de l’appelant. Il fait seulement ce que la loi exige qu’il fasse, soit réglementer la formation des avocats dans l’intérêt public.

[50] À la lumière des dispositions pertinentes de la Loi et des préoccupations pratiques relatives à l’application des normes de formation, les règles créant un programme de PPP obligatoire qui permettent la suspension d’un avocat en cas de manquement à celles‑ci ne sont pas déraisonnables.

(3) Est‑il raisonnable que les Règles prévoient la possibilité d’une suspension d’un avocat sans audience et sans droit d’appel?

[51] L’appelant met également en doute l’équité procédurale des règles contestées. En effet, il soutient que ces règles sont invalides parce qu’elles ne prévoient ni audience ni droit d’appel pour le membre avant sa suspension. À mon avis, cette contestation des règles n’est pas appropriée dans le contexte d’une demande de jugement déclaratoire. L’équité procédurale en common law ne s’applique que lorsque le Barreau prend une décision précise qui touche les intérêts d’une personne. Puisqu’il n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de sa suspension, M. Green ne peut que faire valoir que les règles contestées sont déraisonnables compte tenu du pouvoir que la Loi confère au Barreau.

[52] Étant donné la nature administrative de la suspension et du pouvoir discrétionnaire conféré au directeur général par des règles lorsqu’il inflige une suspension, je conclus que les règles contestées ne sont pas déraisonnables pour le seul motif qu’elles ne prévoient ni audience ni droit d’appel.

a) Les Règles n’englobent pas toutes les garanties procédurales prévues en common law

[53] L’équité procédurale en common law ne réside pas dans un ensemble de règles adoptées. Comme l’expliquent Brown et Evans, la [traduction] « législation déléguée qui semble permettre une violation fondamentale de l’obligation d’équité ne sera normalement pas considérée comme englobant tous les droits procéduraux » : Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), rubrique 7:1512. Un organisme décisionnel établi par la loi peut toujours prévoir des procédures s’ajoutant à celles énoncées dans une règle afin de s’assurer que les principes de l’équité procédurale sont respectés : voir Culligan c. Miller, J. (1996), 178 R.N.-B. (2e) 321 (B.R.), par. 23-24; Shewchuk‑Dann c. Assn. of Social Workers (Alberta) (1996), 38 Admin. L.R. (2d) 19 (C.A.); Laferrière c. Canada (Procureur général), 2015 CF 612, par. 13-14 (CanLII); Irwin c. Alberta Veterinary Medical Association, 2015 ABCA 396, 609 A.R. 299, par. 58 et 63. Toutefois, l’obligation d’équité issue de la common law [traduction] « complète les obligations existantes imposées par la loi et comble les lacunes » lorsque les procédures ne sont pas expressément prévues : G. Huscroft, « From Natural Justice to Fairness : Thresholds, Content, and the Role of Judicial Review », dans C. M. Flood et L. Sossin, dir., Administrative Law in Context (2e éd. 2013), 147, p. 152.

[54] Si l’appelant avait contesté la décision prise par le Barreau de le suspendre plutôt que contesté les règles de PPP, la Cour aurait pu examiner le processus précis que le Barreau a suivi pour prendre sa décision. Si le Barreau avait pris une décision qui n’était pas équitable sur le plan procédural, celle‑ci aurait été annulée. Mais l’obligation d’équité ne s’applique que lorsque le Barreau prend une décision qui touche « les droits, les privilèges ou les biens d’une personne », comme lorsqu’elle inflige une suspension, et non lorsqu’il agit en qualité de législateur et qu’il adopte des règles d’application générale dans l’intérêt public : Dunsmuir, par. 79; voir également Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, p. 669.

[55] En circonscrivant sa contestation des Règles comme il l’a fait, M. Green présume, à tort, que le Barreau ne prend pas au sérieux ses obligations d’équité procédurale et qu’il ne prévoit pas de processus approprié adapté aux faits propres à l’affaire et aux attentes raisonnables des parties en cause. Les conseillers peuvent déléguer au directeur général le pouvoir de prévoir un processus supplémentaire si les circonstances dans une situation donnée justifient des protections qui s’ajoutent à celles prévues par les Règles. La Loi autorise les conseillers à, d’une part, « prendre les mesures qu’ils estiment nécessaires à son avancement, à sa protection, à ses intérêts ou à son bien‑être, pour autant que ces mesures soient compatibles avec la présente loi » et à, d’autre part, déléguer ce pouvoir au directeur général : par. 4(2) et 12(2).

[56] De plus, l’évaluation du caractère équitable d’une décision sur le plan procédural doit se faire au cas par cas. La Cour reconnaît depuis longtemps que les exigences de l’obligation d’équité sont « éminemment variable[s] et [leur] contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas » : Dunsmuir, par. 79, citant Knight, p. 682, Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 21 et Moreau‑Bérubé c. Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, [2002] 1 R.C.S. 249, par. 74-75; voir également Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 R.C.S. 504, par. 42. En l’absence de contrôle judiciaire, il serait malavisé que la Cour se prononce sur le processus que le Barreau pourrait suivre dans le cadre de la prise de décision concernant un avocat.

[57] Bien que la décision prise par le Barreau de suspendre M. Green n’ait pas été contestée, elle démontre pourquoi l’équité procédurale ne peut être évaluée en l’absence de fondement factuel. Dans sa lettre à M. Green, le directeur général l’a invité à corriger toute erreur dans son dossier d’heures rapportées de PPP et a écrit que le Barreau pourrait [traduction] « volontiers lui accorder une extension raisonnable » afin qu’il puisse effectuer les heures manquantes. Or, le directeur général n’a pas ce pouvoir en vertu des Règles. Il est seulement habilité à proroger le délai de déclaration des activités de PPP des membres ou le délai de dépôt de leur rapport annuel : par. 2‑81.1(6) et 2‑81.2(3) des Règles. Le directeur général était donc prêt à offrir à M. Green un processus prolongé par rapport à ce que les Règles prescrivent en l’invitant à répondre à la lettre et en envisageant cette prorogation.

b) Les règles imposant une suspension administrative sans audience et sans droit d’appel sont raisonnables

[58] Puisque M. Green n’a pas contesté la décision du Barreau, ses arguments procéduraux ne sont autre chose qu’une autre façon d’attaquer la validité des règles de PPP. À mon avis, l’infliction d’une suspension administrative aux membres sans audience et sans droit d’appel en cas de manquement aux règles de PPP n’est pas déraisonnable compte tenu des pouvoirs que la Loi confère au Barreau — en fait, elle concorde parfaitement avec l’obligation du Barreau d’établir et de faire appliquer des normes de formation.

[59] Il est important de réaliser que la suspension qui fait l’objet du présent litige ne constitue pas une mesure disciplinaire. Les normes PPP, telles qu’elles sont définies par les Règles, ne concernent pas uniquement la compétence des avocats. Certes, elles peuvent contribuer à mettre à jour leurs connaissances, mais elles protègent également l’intérêt public en renforçant l’intégrité et la responsabilité professionnelle des avocats et en favorisant la confiance du public envers la profession : par. 2‑81.1(1) des Règles. Un membre raisonnable du public comprend qu’une suspension temporaire pour défaut d’avoir complété les heures de PPP n’est pas de la même nature qu’une suspension disciplinaire plus sérieuse. La compétence d’un avocat dans le traitement d’un dossier, par exemple, n’est pas en cause s’il ne respecte pas les exigences de PPP.

[60] C’est pourquoi le simple défaut de respecter les règles contestées ne justifie pas une conclusion d’inconduite ou d’incompétence, comme en font foi les Règles elles‑mêmes — le directeur général peut renvoyer le défaut d’observation du par. 2‑81.1(8) des Règles (qui exige des membres qu’ils suivent une heure de PPP par mois) au comité d’enquête sur les plaintes du Barreau, mais seulement si un membre a été suspendu en application des Règles plus d’une fois : par. 2‑81.1(13) des Règles.

[61] De plus, une ordonnance de suspension prononcée en application des règles contestées est publiée et archivée différemment des autres suspensions infligées par le Barreau. En effet, ce dernier n’est pas tenu de communiquer au public et aux membres de la profession le même avis de la suspension obligatoire en application des règles de PPP, que celui pour une suspension infligée par le comité d’enquête sur les plaintes : par. 5‑81(2) des Règles. En outre, la suspension fondée sur les règles de PPP n’est pas inscrite au dossier disciplinaire de l’avocat.

[62] La suspension d’un avocat pour manquement aux exigences de PPP est de nature administrative. Il est raisonnable que les règles de PPP ne prévoient ni le droit à une audience ni un droit d’appel parce que les avocats sont les seuls responsables de se conformer aux règles, au moment qui leur convient. Les membres déclarent eux même s’être conformés aux règles de PPP — aucune décision n’est nécessaire pour déterminer si le membre a fait défaut de respecter les exigences. La suspension fondée sur les règles de PPP se termine dès que le membre a satisfait à ces dernières. Il n’y a aucune peine ou amende, mis à part un droit de réinscription. En conséquence, cette suspension est semblable à celle qui peut être infligée à un membre qui fait défaut de payer les droits (par. 19(5), art. 2‑88 et 2‑91 des Règles) ou de produire un rapport annuel sur les comptes en fiducie (par. 5‑47(10) des Règles). Dans les deux cas, il n’y a raisonnablement ni audience ni droit d’appel prévu dans la Loi et les Règles, puisque seul le membre peut mettre fin à la suspension en se conformant aux exigences.

[63] Il faut se rappeler que M. Green a admis n’avoir aucun intérêt à se conformer au programme de PPP obligatoire. Or, même si les Règles avaient prévu un processus plus élaboré préalable à l’infliction d’une suspension, ces procédures additionnelles ne dispenseraient pas une personne comme M. Green de se conformer au programme de PPP.

[64] En outre, les règles qui autorisent l’infliction d’une suspension ne s’appliquent pas automatiquement. En effet, en plus des garanties procédurales de common law dont jouit un avocat, les règles de PPP attribuent expressément au directeur général du Barreau le pouvoir discrétionnaire de s’assurer que les Règles ne soient pas trop sévères, quelle que soit la situation. Une suspension n’est pas infligée automatiquement lorsqu’un avocat n’a pas effectué toutes les heures de PPP requises. En effet, le directeur « peut » aviser par écrit un membre qu’il est tenu de se conformer aux exigences de PPP. Dans ce cas, l’avocat dispose de 60 jours pour se conformer aux Règles. Rien dans ces dernières n’empêche par ailleurs le directeur général de retirer sa lettre au cours de la période de 60 jours si les circonstances justifient un tel retrait.

[65] Dans le cas qui nous occupe, le directeur général a exercé son pouvoir discrétionnaire : plutôt que d’envoyer un avis écrit à M. Green dès qu’il a appris le défaut de ce dernier, il lui a envoyé l’avis une année complète après son premier manquement aux exigences. Ce faisant, le directeur général a, dans les faits, levé les exigences de PPP applicables à M. Green pour la première année de leur application.

[66] Même si les règles contestées avaient pu inclure des procédures plus élaborées, il n’existe pas de formule magique pour l’adoption de règles de PPP. Chaque barreau provincial a mis en œuvre un programme de PPP de manière différente. Il n’appartient pas à la Cour de réécrire les Règles afin d’y inclure toutes les protections imaginables; son rôle est plutôt de déterminer si les règles contestées sont raisonnables compte tenu de la Loi. L’approche énoncée par Lord Russell dans Kruse c. Johnson, [1898] 2 B.R. 91 (Div. Ct.) et approuvée par la juge en chef McLachlin dans Catalyst Paper, par. 21, s’applique en l’espèce :

[traduction] . . . je ne veux pas dire qu’il ne peut y avoir de cas où la Cour aurait le devoir d’invalider des règlements, pris en vertu du même pouvoir que ceux‑ci l’ont été, en se fondant sur leur caractère déraisonnable. Mais déraisonnable en quel sens? On peut penser, par exemple, à des règlements partiaux et d’application inégale pour des catégories distinctes, à des règlements manifestement injustes, à des règlements empreints de mauvaise foi, à des règlements entraînant une immixtion abusive ou gratuite dans les droits des personnes qui y sont assujetties, au point d’être injustifiables aux yeux d’hommes raisonnables; la Cour pourrait alors dire « le Parlement n’a jamais eu l’intention de donner le pouvoir de faire de telles règles; elles sont déraisonnables et ultra vires. » C’est en ce sens et uniquement en ce sens qu’il faut, à mon avis, considérer la question du caractère raisonnable. Un règlement n’est pas déraisonnable simplement parce que certains juges peuvent estimer qu’il va au‑delà ce qui est prudent ou nécessaire ou commode, ou parce qu’il n’est pas assorti d’une réserve ou d’une exception qui devrait y figurer de l’avis de certains juges. [Je souligne; p. 99-100.]

[67] Même s’il reste vrai que la règle est déraisonnable si elle entraîne « une immixtion abusive ou gratuite dans les droits des personnes qui y sont assujetties, au point d’être injustifiable aux yeux d’hommes raisonnables », les règles en cause en l’espèce sont loin d’être de ce type. L’omission d’un avocat de se conformer aux règles contestées relatives à la formation, même après avoir été avisé et s’être vu offrir l’occasion de demander une prorogation de délai, justifie clairement que le Barreau inflige une suspension temporaire. Ces règles ne sont ni « “sans importance”, [ni] “non pertinent[es]” ou [. . .] “complètement étrang[ères]” à l’objet de la loi » relative au Barreau de quelque façon que ce soit : Katz, par. 28.

[68] En conséquence, je ne peux accepter les arguments procéduraux de M. Green. Eu égard au mandat législatif du Barreau, il était tout à fait raisonnable qu’il adopte les règles contestées de PPP conférant à son directeur général le pouvoir discrétionnaire d’infliger une suspension administrative sans audience et sans droit d’appel.

VI. Dispositif

[69] Je suis d’avis de rejeter le pourvoi, avec dépens devant toutes les cours en faveur de La Société du Barreau du Manitoba.

Version française des motifs des juges Abella et Côté rendus par

[70] La juge Abella (dissidente) — Les sanctions dont est passible au Manitoba un avocat reconnu coupable d’une faute professionnelle ou d’incompétence vont de la réprimande ou de l’amende jusqu’à la suspension ou la radiation. Par ailleurs, un avocat qui omet de compléter les 12 heures de Perfectionnement Professionnel Permanent obligatoire au cours d’une année civile est automatiquement suspendu.

[71] Je reconnais que La Société du Barreau du Manitoba a le pouvoir d’obliger ses membres à suivre 12 heures de cours obligatoires de Perfectionnement Professionnel Permanent. Je reconnais également qu’elle a, en théorie, le pouvoir de suspendre les membres qui ne respectent pas les exigences applicables à cet égard. Mais ni l’une ni l’autre de ces questions ne sont au cœur du présent pourvoi.

[72] La véritable question concerne plutôt le caractère raisonnable de la règle de la Société du Barreau portant que les membres qui ne se conforment pas à ces exigences sont automatiquement suspendus. À mon humble avis, cette situation est incompatible avec le mandat qui a été confié à la Société du Barreau, à savoir protéger la confiance du public envers la profession juridique, parce qu’elle érode gratuitement — et donc déraisonnablement — la confiance du public envers les avocats.

Analyse

[73] Dans la panoplie des sanctions disciplinaires dont dispose la Société du Barreau, la suspension constitue l’une des deux plus sévères, la sanction ultime étant la radiation. Lorsqu’un avocat est suspendu, la confiance du public à son endroit l’est également. C’est la raison pour laquelle La Société du Barreau du Manitoba enquête avec autant de soin sur les plaintes concernant une faute professionnelle ou une allégation d’incompétence, veillant ainsi à n’imposer une suspension qu’après avoir accordé certaines garanties procédurales minimales, et après avoir envisagé des sanctions moins sévères.

[74] Lorsqu’une suspension est infligée au terme d’un tel processus, la perte de confiance du public en résultant est alors justifiée. Cependant, lorsqu’une suspension est imposée automatiquement à l’égard de l’infraction la moins grave qui soit — le défaut de suivre des activités de formation —, la Société du Barreau contrevient à son obligation de protéger la confiance du public envers le professionnalisme des avocats contre une érosion inutile.

[75] Infliger automatiquement une des sanctions les plus sévères qui soit entraîne automatiquement l’opprobre du public pour la faute professionnelle la moins grave qui existe. Une telle mesure dilapide la confiance du public sans aucune raison valable. Une sanction pour défaut d’assister à des activités de formation? Peut‑être. Mais pas une suspension dans tous les cas, sans égard aux motifs de l’inobservation.

[76] Les barreaux ont adopté des règles et des sanctions pour maintenir le professionnalisme de leurs membres et faire respecter par ceux‑ci leurs obligations à cet égard, mais ils ne peuvent pas adopter n’importe quelle règle. Ils ne peuvent adopter que des règles conformes à l’objet, au champ d’application et aux objectifs de leur loi habilitante (Donald J. M. Brown et John M. Evans, avec le concours de David Fairlie, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), rubrique 15:3261).

[77] Dans Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), [2012] 1 R.C.S. 5, la juge en chef McLachlin a expliqué qu’un tel pouvoir doit être exercé « de manière raisonnable » (par. 15). Ce raisonnement a trouvé écho dans Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), [2013] 3 R.C.S. 810, où la Cour, par. 24, citant Waddell c. Governor in Council (1983), 8 Admin. L.R. 266 (C.S. C.‑B.), p. 292, a confirmé que la législation déléguée doit être conforme à l’objet de la loi habilitante « prise dans son ensemble ».

[78] Je reconnais que l’arrêt Katz suggère une approche empreinte de déférence lors de l’examen de la législation déléguée contestée, mais la liste d’adjectifs énumérés au par. 28 n’est pas exhaustive. Comme l’énonce l’arrêt Catalyst Paper, par. 21, il existe en effet d’autres fondements pour conclure au caractère déraisonnable de la législation déléguée, tels ceux auxquels réfère l’arrêt Kruse c. Johnson, [1898] 2 Q.B. 91 (Div. Ct.), p. 99, où Lord Russell s’est exprimé comme suit :

[traduction] . . . je ne veux pas dire qu’il ne peut y avoir de cas où la Cour aurait le devoir d’invalider des règlements, pris en vertu du même pouvoir que ceux‑ci l’ont été, en se fondant sur leur caractère déraisonnable. [. . .] On peut penser, par exemple, à des règlements partiaux et d’application inégale pour des catégories distinctes, à des règlements manifestement injustes. . . [Je souligne.]

La Cour l’a confirmé dans Catalyst Paper lorsqu’elle a précisé que « [l]e fait qu’il faille faire preuve d’une grande retenue [. . .] ne signifie pas [que le délégué a] carte blanche » (par. 24). C’est le mandat « dans son ensemble » qui guide l’analyse.

[79] Ce mandat général, tel que l’a décrit la Cour dans Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, consiste à protéger « [l]es intérêts du public » (par. 36). (Voir aussi Law Society of British Columbia c. Mangat, [2001] 3 R.C.S. 113, par. 41.) Au Manitoba, la Société du Barreau a pour objet « de défendre et de protéger l’intérêt public relativement à la prestation de services juridiques d’une manière compétente, intègre et indépendante »[2]. Il s’agit là des valeurs fondamentales du professionnalisme de l’avocat. La protection de l’intérêt public emporte non seulement l’obligation de veiller à ce que les avocats fournissent des services juridiques conformément à ces valeurs, mais également celle de protéger la perception de professionnalisme de ces services au sein du public. Les services doivent non seulement être fournis avec professionnalisme, ils doivent également être perçus comme étant fournis de la sorte.

[80] Par conséquent, les barreaux représentent — et protègent — les valeurs fondamentales de la profession juridique. Ils représentent — et protègent — aussi la confiance qu’a le public que ces valeurs guideront le travail des avocats qui les servent. Bien que l’objectif premier d’une société du barreau soit la protection de l’intérêt public, elle ne saurait réaliser cet objectif sans protéger également la capacité de ses membres à exercer le droit de manière professionnelle. Comme l’a affirmé le juge Estey dans Canada (Procureur général) c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307 :

Du point de vue de l’intérêt public dans une société libre, il est des plus importants que les membres du barreau soient indépendants, impartiaux et accessibles et que le grand public ait, par leur intermédiaire, accès aux conseils et aux services juridiques en général. [p. 336]

(Voir aussi Gavin MacKenzie, Lawyers and Ethics : Professional Responsibility and Discipline (5e éd. 2009), par. 27‑2.)

[81] En conséquence, les barreaux doivent s’acquitter de leur mandat d’une manière qui non seulement protège la capacité des avocats d’agir de façon professionnelle, mais qui renforce aussi, au sein du public, la perception que les avocats se comportent de telle façon. Corollairement, cela signifie que les barreaux ne peuvent adopter des règles qui érodent de manière déraisonnable la confiance du public envers les avocats.

[82] Et pourtant, c’est exactement ce qui se produit lorsqu’un avocat au Manitoba ne se conforme pas aux exigences relatives à la période de 12 heures de formation obligatoire.

[83] Ces exigences, définies comme étant des « [a]ctivités de formation qui protègent le public en augmentant la compétence, l’intégrité et la responsabilité professionnelle des avocats »[3], visent à accroître la compétence des avocats et ont été établies en application de l’al. 3(2)a) de la Loi sur la profession d’avocat, C.P.L.M., c. L107 (« Loi »), du Manitoba, lequel est rédigé ainsi :

3(2) Dans la poursuite de son objet, la Société :

a) établit des normes régissant la formation, la responsabilité professionnelle et la compétence des personnes qui exercent ou veulent exercer le droit dans la province;

[84] Lorsque le directeur général est informé qu’un avocat n’a pas complété la période de 12 heures de formation requise, il envoie à ce dernier une lettre l’informant qu’il dispose de 60 jours pour effectuer les heures manquantes. Cette lettre est envoyée automatiquement[4], sans que des observations soient demandées ou acceptées de l’avocat en défaut. Le non‑respect des exigences par cet avocat entraîne la suspension de son droit d’exercer sa profession[5].

[85] Le directeur général ne possède que les pouvoirs que lui confèrent la Loi et les Règles de la Société du Barreau du Manitoba (« Règles »)[6]. Mis à part celui d’accorder plus de temps à l’avocat pour qu’il se conforme aux exigences relatives au Perfectionnement Professionnel Permanent, il ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire l’habilitant à faire autre chose en vertu du par. 2‑81.1(12) des Règles que suspendre automatiquement l’avocat :

L’avocat qui ne se conforme pas à ce paragraphe avant l’expiration du délai est automatiquement suspendu et ne peut exercer le droit avant de s’être conformé à ce paragraphe et d’avoir versé les droits de réinscription.

[86] Il n’existe aucune exception ou dispense que pourrait invoquer un avocat qui, pour des raisons personnelles ou de santé par exemple, serait incapable de se conformer aux exigences. Tout au plus, le directeur général peut, dans « des circonstances exceptionnelles »[7], permettre le « report » à l’année suivante des heures non accomplies. Toutefois, il ne peut y renoncer ou en réduire le nombre. Concrètement, cela se traduit par une suspension automatique, peu importe que l’avocat ait eu une raison impérieuse de ne pas se conformer aux exigences. Aucune mesure d’équité procédurale, aussi minimale soit‑elle, n’est accordée — par exemple la faculté de fournir des explications. Et tous les avocats, sans égard aux circonstances, sont assujettis à la même sanction.

[87] L’absence de pouvoir discrétionnaire, de mesures d’équité procédurale et de mesures réparatrices contraste nettement avec les mesures prévues par d’autres dispositions de la Loi ou des Règles qui tendent à la réalisation du mandat de la Société du Barreau énoncé au par. 3(2) de la Loi pour établir les normes de compétence pour les avocats. Contrairement à la suspension automatique qui s’applique en cas de manquement à l’obligation de compléter 12 heures par année d’« activités de formation », les garanties procédurales suivantes s’appliquent à tous les autres manquements liés à la « compétence » : l’avocat qui fait l’objet d’une enquête par suite d’une plainte reçoit un avis de la plainte formulée contre lui[8]; il peut présenter une réponse écrite[9]; et le directeur général peut tenter de régler la plainte à l’amiable[10]. Celui‑ci peut également décider de ne prendre aucune autre mesure, ou encore renvoyer l’affaire au Comité d’enquête sur les plaintes pour enquête plus approfondie[11].

[88] Si le Comité d’enquête sur les plaintes est saisi de l’affaire, il peut inviter un membre à répondre par écrit aux faits allégués dans la plainte[12] ou à comparaître devant lui[13]. Le comité peut décider de ne prendre aucune autre mesure, d’envoyer une lettre au membre pour lui rappeler ses obligations, de recommander au membre des mesures visant à lui permettre d’améliorer sa pratique, ou de délivrer un avertissement formel[14]. Le comité peut également ordonner qu’une accusation soit déposée contre le membre et renvoyée au Comité de discipline[15], et il peut suspendre le membre jusqu’à la fin de l’enquête et de toute procédure disciplinaire qui peut en résulter[16]. Le membre qui fait l’objet d’une suspension à cette étape peut interjeter appel de cette décision devant un juge de la Cour du Banc de la Reine en vertu du par. 75(1) de la Loi.

[89] Si une plainte liée à la compétence d’un membre est renvoyée devant le Comité de discipline, le membre a le droit d’être représenté par un avocat[17]. Le paragraphe 72(2) de la Loi prévoit l’éventail des conséquences dont est passible un avocat déclaré incompétent par le Comité de discipline :

a) si le membre est avocat, le radier et ordonner que son nom soit rayé des tableaux de la Société;

. . .

c) imposer au membre des restrictions relativement à l’exercice du droit ou confirmer ou modifier de telles restrictions ou suspendre le membre, jusqu’à ce que celui‑ci le convainque qu’il a les compétences voulues pour exercer le droit;

d) ordonner au membre de payer une amende;

e) ordonner au membre de payer tout ou partie des frais engagés par la Société à l’occasion de toute enquête, procédure ou instance relative à l’affaire ayant donné lieu à la déclaration de culpabilité;

f) réprimander le membre;

g) permettre au membre de démissionner et ordonner que son nom soit rayé des tableaux de la Société;

h) si le membre est administrateur, dirigeant ou actionnaire d’un cabinet d’avocats à responsabilité limitée, révoquer ou suspendre le permis du cabinet ou assortir ce permis de conditions;

i) ordonner au membre d’obtenir la formation et de se présenter aux examens qu’il estime indiqués ou de faire l’une de ces choses;

j) annuler ou modifier toute ordonnance rendue ou toute mesure prise en vertu du présent paragraphe;

k) rendre toute autre ordonnance ou prendre toute autre mesure qu’il estime indiquée dans les circonstances.

Si le comité de discipline décide d’infliger à un membre, pour cause d’incompétence, une sanction prévue au par. 72(2), notamment une suspension, ce dernier a le droit d’interjeter appel de cette décision devant la Cour d’appel[18].

[90] Il n’y a qu’une seule question liée à la « compétence » des membres et régie par la Société du Barreau qui n’est assortie d’aucune garantie procédurale et d’aucun recours pour le membre, et d’aucune latitude en faveur du directeur général : le non‑respect des exigences de Perfectionnement Professionnel Permanent. Bien qu’il soit difficile d’imaginer un manquement qui corresponde d’aussi près à un crime sans victimes, il est pourtant le seul qui entraîne automatiquement la perte de la capacité à exercer le droit. Lui seul entraîne une suspension automatique, sans égard à l’existence ou non de circonstances susceptibles de le justifier. Ces facteurs rendent la suspension arbitraire.

[91] Il convient de comparer cette situation avec les règlements intérieurs et les politiques de la plupart des autres barreaux provinciaux et territoriaux du Canada qui disposent de règles en matière de Perfectionnement Professionnel Permanent. Toutes ces mesures permettent expressément à l’organisme de réglementation concerné d’exercer un pouvoir discrétionnaire à l’égard d’un manquement aux exigences de Perfectionnement Professionnel Permanent lorsqu’une explication raisonnable justifie d’accorder une exemption ou une dispense. Ces barreaux offrent explicitement à leurs membres la possibilité d’être exempté ou dispensé des exigences de Perfectionnement Professionnel Permanent obligatoire.

[92] Au Nouveau‑Brunswick, les membres peuvent demander une dispense et, si elle leur est refusée, ils peuvent demander d’être entendus par le comité[19]. En Ontario, le Barreau du Haut‑Canada peut dispenser un avocat des exigences de formation professionnelle continue obligatoire, ou réduire le nombre d’heures exigées[20]. Le directeur général du barreau de la Nouvelle‑Écosse peut renoncer à l’application des exigences si une telle mesure est [traduction] « dans l’intérêt public »[21]. En Colombie‑Britannique, s’il existe des [traduction] « circonstances particulières », un avocat peut demander au comité sur les normes de pratique d’exercer son pouvoir discrétionnaire afin d’ordonner qu’il ne soit pas suspendu[22]. En Saskatchewan, le directeur de la formation peut accorder une dispense dans des [traduction] « circonstances exceptionnelles »[23]. Au Québec, le règlement et les politiques relatives aux dispenses précisent les circonstances exceptionnelles qui permettent à un membre d’être « dispensé », et celles qui ne le permettent pas[24]. Les motifs de dispense admissibles comprennent notamment le congé parental; les motifs d’ordre médical, comme les accidents; le fait de devoir agir à titre d’aidant naturel; le fait de se trouver dans une zone sinistrée ou une zone de guerre et de ne pas être en mesure de participer à des séances de formation. Les motifs de dispense non admissibles comprennent le retour progressif suivant un arrêt de travail pour des raisons médicales; le travail à temps partiel; la précarité de la situation financière; une période de travail intensif; le fait d’être à l’extérieur du Québec pour des raisons professionnelles ou personnelles; le fait de ne pas pratiquer activement la profession juridique; le fait de ne pas être tenu de cotiser à l’assurance‑responsabilité professionnelle; le fait d’être sans emploi; la prise d’une année sabbatique ou de vacances. Au Yukon, le président du comité de l’éducation juridique permanente « peut ordonner [. . .] que le membre ne soit pas suspendu »[25].

[93] Il n’existe aucun pouvoir discrétionnaire de ce genre au Manitoba. À mon avis, l’absence d’un tel pouvoir est fatale. C’est aussi pourquoi il n’est pas possible de demander un contrôle judiciaire de la décision du directeur général. Le seul recours est une contestation du caractère raisonnable de la règle en tant que telle. Les conseillers pourraient, éventuellement, décider de changer la Règle et d’accorder au directeur général ce pouvoir discrétionnaire, mais, pour le moment, aucun pouvoir de ce type ne lui a été délégué.

[94] La Société du Barreau a fait valoir que la suspension imposée en cas de non‑respect de l’obligation de Perfectionnement Professionnel Permanent a un caractère administratif, et non punitif et que, en conséquence, elle ne reflète pas l’incompétence du membre visé par la sanction. Le fait de dire que cette sanction n’a pas été infligée pour faute professionnelle ou incompétence « grave » n’a pas pour effet d’en atténuer la sévérité et de réconforter l’intéressé. Une suspension est une suspension, est une suspension. Comme l’a souligné lord Denning dans Pett c. Greyhound Racing Assn., Ltd., [1968] 2 All E.R. 545 (C.A. Div. Civ.), la décision de suspendre une personne ou de ne pas renouveler son permis d’exercer une profession [traduction] « affecte sa réputation et son gagne‑pain » (p. 549). (Voir également Joplin c. Chief Constable of the City of Vancouver (1982), 144 D.L.R. (3d) 285 (C.S. C.-B.), p. 298-299.) C’est pourquoi, dans Kane c. Conseil d’administration de l’Université de la Colombie-Britannique, [1980] 1 R.C.S. 1105, le juge Dickson a conclu qu’« [u]ne justice de haute qualité est exigée lorsque le droit d’une personne d’exercer sa profession ou de garder son emploi est en jeu » (p. 1113).

[95] La confiance des membres du public envers le professionnalisme d’un avocat est inévitablement érodée lorsqu’ils apprennent que ce dernier a été suspendu. La raison de cette suspension ne transforme pas par magie une conséquence de nature punitive en conséquence de nature administrative. Les incidences financières de la suspension sont évidentes. Il en est de même des incidences sur la réputation, compte tenu particulièrement du fait que le directeur général doit, en vertu des Règles, aviser les membres de la Société du Barreau, ainsi que les juges en chef des tribunaux au Manitoba, du nom du membre qui a été suspendu[26].

[96] Bien qu’il soit essentiel de renforcer la compétence des avocats, il est tout aussi essentiel de soutenir la responsabilité qu’a la Société du Barreau de protéger la capacité des avocats de jouir de la confiance du public dans l’exercice de leur profession, ou, à tout le moins, de ne pas causer de manière injustifiée la perte de cette confiance. Or, une Règle qui entraîne la suspension automatique du permis d’exercice d’un avocat parce qu’il n’a pas suivi 12 heures de formation annuelle est si loin de garantir la confiance du public envers les avocats qu’elle est « manifestement injuste ». Elle est donc déraisonnable (Kruse, p. 99-100).

[97] Puisque le par. 2‑81(12) des Règles érode de façon injustifiable la confiance du public envers les avocats touchés par son application, il est incompatible avec l’obligation de protection du public qui incombe à la Société du Barreau. Il est indéniablement dans l’intérêt du public que la Société du Barreau sanctionne les avocats coupables de manquements au professionnalisme; il n’est toutefois dans l’intérêt de personne de leur infliger arbitrairement une sanction.

[98] J’accueillerais le pourvoi et j’infirmerais la Règle.

Pourvoi rejeté avec dépens, les juges Abella et Côté sont dissidentes.

Procureurs de l’appelant : Taylor McCaffrey, Winnipeg.

Procureurs de l’intimée : Société du Barreau du Manitoba, Winnipeg; Gowling WLG (Canada), Ottawa.

Procureurs de l’intervenante : McCarthy Tétrault, Toronto.

[1] Les conseillers sont des membres du Barreau qui ont été élus ou nommés pour le régir : Loi sur la profession d’avocat, C.P.L.M., c. L107, par. 4(1) et art. 5.

[2] Le paragraphe 3(1) de la Loi sur la profession d’avocat, C.P.L.M., c. L107.

[3] Le paragraphe 2‑81.1(1) des Règles de la Société du Barreau du Manitoba.

[4] Affidavit de Joan Holmstrom, directrice de la formation de la Société du Barreau, fait sous serment le 7 novembre 2014, d.a., vol. II, p. 59-60.

[5] Le paragraphe 2‑81.1(12) des Règles.

[6] Le paragraphe 12(2) de la Loi : « Le directeur général exerce les attributions qui lui sont conférées sous le régime de la présente loi et des règles et celles que lui assignent ou lui délèguent les conseillers, le président ou le vice-président. »

[7] Les paragraphes 2‑81.1(6) et (9) des Règles.

[8] Le paragraphe 5‑64(2) des Règles.

[9] Le paragraphe 5‑64(3) des Règles.

[10] Le paragraphe 5‑65(1) des Règles.

[11] L’article 5‑66 des Règles.

[12] Le paragraphe 5‑72(1) des Règles.

[13] Le paragraphe 5‑72(4) des Règles.

[14] Le paragraphe 5‑74(1) des Règles.

[15] L’alinéa 68b) de la Loi.

[16] Le sous-alinéa 68b)(i) de la Loi.

[17] Le paragraphe 5‑96(2) des Règles.

[18] Le sous-alinéa 76(1)a)(i) de la Loi.

[19] Voir les Règles sur la formation professionnelle continue obligatoire du Barreau du Nouveau-Brunswick, par. 7(1) à (3) et 8(1) et (2).

[20] Voir le Règlement administratif no 6.1 — Formation professionnelle continue du Barreau du Haut-Canada, par. 2(4).

[21] Voir les règlements du Barreau de la Nouvelle-Écosse, art. 8.3.9.

[22] Voir les Law Society Rules 2015 de la Colombie-Britannique, par. 3‑29(1) et (5) et art. 3‑32.

[23] Voir la Continuing Professional Development Policy du Barreau de la Saskatchewan qui porte sur les « dispenses » (en ligne) et les paragraphes 16, 18 et 19.

[24] Voir le Règlement sur la formation continue obligatoire des avocats, RLRQ, c. B‑1, r. 12, art. 15 à 17 pris par le Barreau du Québec, et le Guide sur les dispenses de l’obligation de formation continue (en ligne), p. 10.

[25] Voir les Règles du Barreau du Yukon, par. 95.3(5).

[26] L’article 2‑97 des Règles.


Synthèse
Référence neutre : 2017CSC20 ?
Date de la décision : 30/03/2017

Analyses

Droit des professions — Avocats et procureurs — Formation professionnelle continue — Permis d’exercice d’un avocat suspendu par le Barreau pour non‑respect des Règles de la Société du Barreau du Manitoba qui prévoient une formation professionnelle obligatoire — Décision sollicitée par un avocat, déclarant que les règles contestées sont invalides parce qu’elles prescrivent la suspension du droit de pratique en cas de non-respect, et ce, sans droit d’être entendu et sans droit d’appel — Les règles sont-elles valides compte tenu du mandat conféré au Barreau par la Loi sur la profession d’avocat, C.P.L.M., c. L107 - Droit des professions — Avocats et procureurs — Barreau — Règles — Norme de contrôle — Loi sur la profession d’avocat conférant le pouvoir aux conseillers de la Société du Barreau du Manitoba d’adopter des règles applicables à l’ensemble de ses membres — Norme de contrôle applicable aux règles adoptées par le Barreau.

G a été admis au Barreau en 1955 et il exerce sa profession et est membre de La Société du Barreau du Manitoba (« Barreau » ou « Société du Barreau ») depuis plus de 60 ans. Malgré les règles obligatoires du Barreau qui exigent que tous les avocats en exercice participent à 12 heures de perfectionnement professionnel permanent (« PPP ») par année, G n’a déclaré aucune activité de formation pour les années 2012 et 2013. Plus d’un an après que G a fait défaut de déclarer des heures de PPP, le Barreau l’avisait que s’il ne se conformait pas aux règles dans un délai de 60 jours, son permis d’exercice serait suspendu. On a aussi invité G à corriger toute erreur dans son rapport de déclaration de PPP et on l’a informé de la possibilité de prolonger le délai de 60 jours. G n’a pas répondu et n’a pas non plus sollicité le contrôle judiciaire de la décision de le suspendre. Il a plutôt présenté une demande de jugement déclaratoire, par laquelle il a contesté la validité des dispositions des Règles de la Société du Barreau du Manitoba (« Règles ») relatives au PPP. Le juge de première instance a rejeté la demande de G, concluant que les règles contestées relèvent nettement du mandat que la Loi sur la profession d’avocat (« Loi ») confère au Barreau. La Cour d’appel a rejeté l’appel pour des motifs semblables.


Parties
Demandeurs : Sidney Green
Défendeurs : La Société du Barreau du Manitoba
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 30 mars 2017, 2017CSC20


Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2018
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2017-03-30;2017csc20 ?
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