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25/07/1989 | FRANCE | N°89-256

France | France, Conseil constitutionnel, 25 juillet 1989, 89-256


Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 27 juin 1989. par MM Jean-Claude Gaudin, Roland Blum, Jean-Pierre de Peretti della Rocca, Gilbert Gantier, Jean Seitlinger, Philippe Vasseur, Jean Proriol, Pierre Lequiller, Gilles de Robien, Jean Desanlis, Daniel Colin, Hubert Falco, Rudy Salles, José Rossi, Jean-Yves Haby, Marc Laffineur, Philippe Mestre, Hervé de Charette, Paul Chollet, Georges Mesmin, François d'Aubert, Georges Durand, Michel Meylan, Francisque Perrut, Jean Rigaud, Gérard Longuet, Jean-Marie Caro, Alain Lamassoure, André Rossinot, André Santini, Bernard Pons, Jacques Chira

c, Alain Juppé, Jean-Marie Demange, Dominique Perben, G...

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 27 juin 1989. par MM Jean-Claude Gaudin, Roland Blum, Jean-Pierre de Peretti della Rocca, Gilbert Gantier, Jean Seitlinger, Philippe Vasseur, Jean Proriol, Pierre Lequiller, Gilles de Robien, Jean Desanlis, Daniel Colin, Hubert Falco, Rudy Salles, José Rossi, Jean-Yves Haby, Marc Laffineur, Philippe Mestre, Hervé de Charette, Paul Chollet, Georges Mesmin, François d'Aubert, Georges Durand, Michel Meylan, Francisque Perrut, Jean Rigaud, Gérard Longuet, Jean-Marie Caro, Alain Lamassoure, André Rossinot, André Santini, Bernard Pons, Jacques Chirac, Alain Juppé, Jean-Marie Demange, Dominique Perben, Gautier Audinot, Auguste Legros, Alain Jonemann, Jacques Masdeu-Arus, Patrick Balkany, Nicolas Sarkozy, Robert Poujade, Mme Roselyne Bachelot, MM Gabriel Kaspereit, Georges Gorse, Mme Michèle Barzach, MM Jacques Baumel, Philippe Séguin, Michel Giraud, Jean-Claude Mignon, François Fillon, Jacques Toubon, Mme Elisabeth Hubert, M Franck Borotra, Mme Françoise de Panafieu, MM René Couveinhes, Charles Miossec, Antoine Rufenacht, Jean Besson, Michel Inchauspé, Philippe Auberger, Jean-Claude Thomas, Robert-André Vivien, Emmanuel Aubert, Guy Drut, Jean Kiffer, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi portant dispositions diverses en matière d'urbanisme et d'agglomérations nouvelles ;

Le Conseil constitutionnel,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Vu l'ordonnance n° 58-997 du 23 octobre 1958 portant réforme des règles relatives à l'expropriation pour cause d'utilité publique, et notamment son article 58, dans sa rédaction résultant de la loi n° 62-898 du 4 août 1962 ;

Vu l'article unique de la loi n° 70-1263 du 23 décembre 1970 tendant à accélérer les travaux de construction de voies rapides, de routes nationales et d'oléoducs ;

Vu la loi n° 72-535 du 30 juin 1972 relative à la codification des textes législatifs concernant l'urbanisme, la construction et l'habitation, l'expropriation pour cause d'utilité publique, la voirie routière, le domaine public fluvial et la navigation intérieure ;

Vu le décret n° 77-392 du 28 mars 1977 portant codification des textes législatifs concernant l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les députés auteurs de la saisine défèrent au Conseil constitutionnel la loi portant dispositions diverses en matière d'urbanisme et d'agglomérations nouvelles ; qu'à l'appui de leur saisine ils font valoir que l'article 9 de cette loi serait contraire à la Constitution ;

2. Considérant que l'article 9 est ainsi libellé : " Dans le premier alinéa de l'article L 15-9 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, les mots : " de voies de chemins de fer sont insérés après les mots : " de sections nouvelles de routes nationales " ;

3. Considérant que l'article 9 a pour conséquence de rendre applicable à l'exécution des travaux de construction de voies de chemins de fer la procédure de prise de possession par l'expropriant d'un ou plusieurs terrains non bâtis régie par l'article L 15-9 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, qui codifie l'article unique de la loi n° 70-1263 du 23 décembre 1970 tendant à accélérer les travaux de construction de voies rapides, de routes nationales et d'oléoducs ;

4. Considérant que les auteurs de la saisine critiquent tant la procédure suivie pour l'adoption de l'article 9 de la loi que le contenu de cet article ;

Sur la procédure législative :

5. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que l'article 9 de la loi a été adopté suivant une procédure non conforme à la Constitution ; qu'en effet, selon eux, les dispositions de cet article, issues d'un amendement parlementaire déposé lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale du projet de loi portant dispositions diverses en matière d'urbanisme et d'agglomérations nouvelles, ne présentent pas de lien avec les dispositions de ce projet ;

6. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 39, 44 et 45 de la Constitution que le droit d'amendement, qui est le corollaire de l'initiative législative, peut, sous réserve des limitations posées aux troisième et quatrième alinéas de l'article 45, s'exercer à chaque stade de la procédure législative ; que, toutefois, les adjonctions ou modifications ainsi apportées au texte en cours de discussion ne sauraient, sans méconnaître les articles 39, alinéa 1, et 44, alinéa 1, de la Constitution ni être sans lien avec ce dernier, ni dépasser par leur objet et leur portée les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement qui relève d'une procédure spécifique ;

7. Considérant qu'a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, à la date du 28 septembre 1988, un projet de loi portant dispositions diverses en matière d'urbanisme et d'agglomérations nouvelles ; que, par son contenu, ce texte concernait des aspects variés du droit de l'urbanisme, qu'il s'agisse des règles applicables aux schémas directeurs, aux plans d'occupation des sols, aux zones d'aménagement concerté ou à l'exercice du droit de préemption à l'intérieur des zones d'aménagement différé ; qu'en raison de l'incidence de la réalisation des équipements d'infrastructure sur les choix d'urbanisme et la politique foncière des collectivités publiques, ne peuvent être regardées comme dépourvues de lien avec le projet soumis à la délibération des assemblées des dispositions qui, comme celles de l'article 9 de la loi déférée, ont pour objet de faciliter la réalisation d'équipements publics d'infrastructure ;

8. Considérant qu'il suit de là que l'article 9 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel a été adopté selon une procédure conforme à la Constitution ;

Sur le fond :

9. Considérant que, selon les auteurs de la saisine, l'article 9 de la loi est contraire à la Constitution dans la mesure où il étend le champ d'application des dispositions de l'article L 15-9 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique qui sont elles-mêmes inconstitutionnelles ;

En ce qui concerne la détermination des dispositions soumises au contrôle du Conseil constitutionnel :

10. Considérant que la régularité au regard de la Constitution des termes d'une loi promulguée peut être utilement contestée à l'occasion de la soumission au Conseil constitutionnel de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine ;

11. Considérant qu'il appartient par suite au Conseil constitutionnel de s'assurer que les termes, tant de l'article unique de la loi n° 70-1263 du 23 décembre 1970, codifié sous l'article L 15-9 du code susvisé, que des textes de force législative auxquels renvoie l'article L 15-9, ne sont pas contraires à la Constitution ;

12. Considérant que l'article L 15-9 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans sa rédaction en vigueur antérieurement à l'intervention de la loi déférée, dispose dans son premier alinéa que " lorsque l'exécution des travaux de construction de voies rapides, de routes nationales ou de sections nouvelles de routes nationales et d'oléoducs régulièrement déclarés d'utilité publique risque d'être retardée par des difficultés tenant à la prise de possession d'un ou plusieurs terrains non bâtis, situés dans les emprises de l'ouvrage, un décret pris sur avis conforme du Conseil d'Etat pourra, à titre exceptionnel, autoriser la prise de possession de ces terrains " ;

13. Considérant qu'en vertu du renvoi opéré par le deuxième alinéa de l'article L 15-9 du code susvisé à l'article L 15-7 du même code, l'administration soumet au Conseil d'Etat un projet motivé accompagné d'un plan parcellaire indiquant les communes où sont situés les terrains qu'elle se propose d'occuper et la description générale des ouvrages projetés et, dans les vingt-quatre heures de la réception du décret autorisant la prise de possession, le préfet prend les arrêtés permettant une occupation temporaire, sur le fondement et dans les limites fixées par les articles 1er, 3, 4, 5 et 7 de la loi du 29 décembre 1892 sur les dommages causés à la propriété privée par l'exécution de travaux publics ;

14. Considérant qu'il résulte du troisième alinéa de l'article L 15-9 que la prise de possession ne peut avoir lieu qu'après paiement provisionnel d'une somme égale à l'évaluation du service des domaines ou à l'offre de l'autorité expropriante si celle-ci est supérieure ; qu'en cas d'obstacle au paiement ou de refus de recevoir la provision, obligation est faite à l'administration de consigner la somme correspondante ;

15. Considérant que le quatrième et dernier alinéa de l'article L 15-9 dispose que : " Faute par l'administration de poursuivre la procédure d'expropriation dans le mois qui suit la prise de possession, le juge, saisi par le propriétaire, prononce le transfert de propriété si celui-ci n'a pas encore été ordonné et, en tout état de cause, fixe le prix du terrain et, éventuellement, l'indemnité spéciale prévue à l'alinéa 1er de l'article L 15-8 " ; que, selon ce dernier texte, le juge de l'expropriation " attribue, le cas échéant, une indemnité spéciale aux intéressés qui justifient d'un préjudice causé par la rapidité de la procédure " ;

16. Considérant que, pour contester l'extension du champ d'application de ces dispositions opérée par l'article 9 de la loi déférée, les auteurs de la saisine font valoir que l'article L 15-9 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique méconnaît l'article 17 de la déclaration des droits de 1789 en ce qu'il permet la prise de possession d'un bien exproprié sans qu'il y ait versement préalable d'une indemnité ; qu'en outre, le principe fondamental reconnu par les lois de la République, selon lequel l'autorité judiciaire est garante de la propriété, implique que le montant de la provision payée à l'exproprié ou consignée soit fixé par le juge de l'expropriation ; qu'enfin, l'article L 15-9 provoque une rupture de l'égalité des citoyens car les propriétaires visés par le texte perçoivent une simple provision au lieu d'être intégralement indemnisés avant leur éviction ;

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen :

17. Considérant que l'article 2 de la déclaration de 1789 range la propriété au nombre des droits de l'homme ; que l'article 17 de la même déclaration proclame également : " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment et sous la condition d'une juste et préalable indemnité " ;

18. Considérant que les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont subi une évolution caractérisée par une extension de son champ d'application à des domaines nouveaux et par des limitations exigées au nom de l'intérêt général ; que c'est en fonction de cette évolution que doit s'entendre la réaffirmation par le préambule de la Constitution de 1958 de la valeur constitutionnelle du droit de propriété ;

19. Considérant qu'afin de se conformer à ces exigences constitutionnelles la loi ne peut autoriser l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers que pour la réalisation d'une opération dont l'utilité publique est légalement constatée ; que la prise de possession par l'expropriant doit être subordonnée au versement préalable d'une indemnité ; que, pour être juste, l'indemnisation doit couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation ; qu'en cas de désaccord sur la fixation du montant de l'indemnisation, l'exproprié doit disposer d'une voie de recours appropriée ;

20. Considérant, toutefois, que l'octroi par la collectivité expropriante d'une provision représentative de l'indemnité due n'est pas incompatible avec le respect de ces exigences si un tel mécanisme répond à des motifs impérieux d'intérêt général et est assorti de la garantie des droits des propriétaires intéressés ;

21. Considérant que l'article L 15-9 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique rend possible la prise de possession de terrains non bâtis dont l'expropriation est poursuivie en vue de la réalisation de grands ouvrages publics d'intérêt national ; qu'en réservant la possibilité d'utiliser la procédure exceptionnelle qu'il prévoit dans le seul cas de " difficultés tenant à la prise de possession d'un ou plusieurs terrains non bâtis situés dans les emprises de l'ouvrage ", le texte de l'article L 15-9 implique qu'il ne peut être invoqué que lorsque apparaissent des difficultés bien localisées susceptibles de retarder l'exécution des travaux et que la procédure normale est déjà largement avancée ; que le recours à la procédure exceptionnelle requiert dans chaque cas l'intervention d'un décret pris sur avis conforme du Conseil d'Etat ; que la prise de possession, lorsqu'elle est autorisée, est subordonnée au paiement au propriétaire, et en cas d'obstacle au paiement, à la consignation, d'une indemnité provisionnelle égale à l'évaluation du service des domaines ou à celle de la collectivité expropriante si elle est supérieure ; qu'il revient en tout état de cause au juge de l'expropriation de fixer le montant de l'indemnité définitive ; que le juge peut être saisi à l'initiative du propriétaire ; qu'est prévue l'allocation au propriétaire d'une indemnité spéciale pour tenir compte du préjudice qu'a pu entraîner la rapidité de la procédure ;

22. Considérant qu'en raison, tant de son champ d'application qui est étroitement circonscrit que de l'ensemble des garanties prévues au profit des propriétaires intéressés, l'article L 15-9 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique n'est pas contraire à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

En ce qui concerne le moyen tiré de la violation d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République :

23. Considérant que la procédure régie par l'article L 15-9, si elle permet, sous les conditions susanalysées, une prise de possession anticipée de terrains non bâtis, ne fait nullement échec à l'intervention du juge judiciaire pour la fixation définitive du montant de l'indemnité ; qu'ainsi, en tout état de cause, n'est pas méconnue l'importance des attributions conférées à l'autorité judiciaire en matière de protection de la propriété immobilière par les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ;

En ce qui concerne le moyen tiré de la violation du principe d'égalité :

24. Considérant que le principe constitutionnel d'égalité implique que tout propriétaire d'un bien exproprié pour cause d'utilité publique soit indemnisé de l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation ; que les dispositions précitées de l'article L 15-9, loin de méconnaître cette exigence, en font au contraire une exacte application puisqu'elles prévoient l'octroi d'une indemnité spéciale destinée à compenser le préjudice causé par la rapidité de la procédure adoptée ;

25. Considérant, en outre, qu'il est loisible au législateur, compétent pour déterminer les principes fondamentaux du régime de la propriété en vertu de l'article 34 de la Constitution, de prévoir en matière d'expropriation des règles de procédure différentes selon les situations, pourvu que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées aux propriétaires de biens expropriés des garanties équivalentes ; que les règles de procédure fixées par l'article L 15-9, qui sont justifiées par des motifs impérieux d'intérêt général et sont assorties de garanties au profit des propriétaires intéressés, ne portent pas atteinte au principe d'égalité ;

26. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'article L 15-9 n'est contraire à aucune règle non plus qu'à aucun principe de valeur constitutionnelle ; que l'extension de son champ d'application limitée aux voies de chemin de fer, qu'opère l'article 9 de la loi présentement examinée, n'est pas non plus contraire à la Constitution ;

27. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen,

Décide :

Article premier :

La loi portant dispositions diverses en matière d'urbanisme et d'agglomérations nouvelles n'est pas contraire à la Constitution.

Article 2 :

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Synthèse
Numéro de décision : 89-256
Date de la décision : 25/07/1989
Loi portant dispositions diverses en matière d'urbanisme et d'agglomérations nouvelles
Sens de l'arrêt : Conformité
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

SAISINE DEPUTES

Monsieur le président et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,

Les députés dont les noms suivent demandent à ce qu'il plaise au Conseil constitutionnel de déclarer non conforme à la Constitution l'article 11 de la loi portant dispositions diverses en matière d'urbanisme et d'agglomérations nouvelles pour les raisons de procédure et de fond exposées ci-après.

Sur la procédure

Le Conseil constitutionnel a considéré dans sa décision n° 89-251 DC du 12 janvier 1989 " que le droit d'amendement, qui est le corollaire de l'initiative législative peut, sous réserve des limitations posées aux troisième et quatrième alinéas de l'article 45, s'exercer à chaque stade de la procédure législative ; que, toutefois, les adjonctions ou modifications ainsi apportées au texte en cours de discussion ne sauraient, sans méconnaître les articles 39 (alinéa 1) et 44 (alinéa 1) de la Constitution, ni être sans lien avec ce dernier, ni dépasser par leur objet et leur portée, les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement qui relève d'une procédure spécifique ".

L'article 11 de la loi, qui autorise l'extension à la construction de voies ferrées de l'expropriation selon la procédure d'extrême urgence, résulte de l'adoption d'un amendement déposé par le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République de l'Assemblée nationale, lors de la seconde lecture de la loi déférée au Conseil.

Nous soutenons au vu du titre de la loi et de l'examen de l'exposé des motifs du projet de loi que l'adjonction de l'article 11 est sans lien avec le texte, car sans rapport avec l'urbanisme et encore moins avec les agglomérations nouvelles (le rapport n° 305 du Sénat souligne à la page 23 le caractère circonstanciel de cette mesure).

Aussi, nous demandons au conseil de faire application à l'article 11 de la loi déférée de sa jurisprudence précitée car la disposition qui lui est soumise est sans lien avec l'objet du texte en cours de discussion.

Sur le fond

L'article 11 de la loi portant dispositions diverses en matière d'urbanisme et d'agglomérations nouvelles viole l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 qui dispose que " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ".

En effet, il résulte de l'article L 15-9 du code de l'expropriation dont le champ d'application est ici élargi que l'indemnisation des expropriés ne peut être considérée comme intervenant préalablement à la dépossession : le versement d'une provision ne peut, par définition, être assimilé à celui de l'indemnité.

D'autre part, le principe fondamental reconnu par les lois de la République, au terme duquel l'autorité judiciaire est la garante des libertés publiques et de la propriété implique que le montant de la provision ne peut pas, s'agissant d'une expropriation, être déterminé par l'administration. Il doit nécessairement être fixé par le juge de l'expropriation.

Il faut noter que dans une décision du 28 décembre 1967, le Conseil constitutionnel fait référence dans le domaine de l'expropriation pour cause d'utilité publique aux " garanties de la fixation d'une juste indemnité ". L'article L 15-9 ne permet pas d'obtenir cette garantie et provoque une rupture de l'égalité entre les citoyens, certains étant intégralement indemnisés avant leur éviction, ceux visés à l'article L 15-9 du code de l'expropriation percevant une simple provision dont le montant est fixé sans garantie judiciaire, ce qui est en contradiction avec la décision n° 85-189 DC du 17 juillet 1985 dont la rédaction implique " a contrario, que l'autorité judiciaire est seule compétente pour fixer, en cas de désaccord, l'indemnité due par l'administration à un propriétaire privé en cas de dépossession d'un bien immobilier. Un parallèle peut être établi avec la jurisprudence du Conseil d'Etat qui avait interdit au Gouvernement de dessaisir le juge judiciaire en matière d'expropriation (CE du 12 février 1960, Fédérale algérienne des syndicats de défense des irrigants) " (1).

(1)Bruno Genevoix : La Jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Principes directeurs, page 256.

Il résulte de cette jurisprudence que le juge de l'expropriation doit intervenir préalablement à la dépossession, et non après celle-ci comme le prévoit le texte déféré au Conseil.

C'est pour l'ensemble des motifs ci-dessus exposés que les députés soussignés ont l'honneur, conformément à l'article 61 de la Constitution, de demander au Conseil constitutionnel que la loi qui lui a été déférée soit déclarée non conforme à la Constitution.


Références :

DC du 25 juillet 1989 sur le site internet du Conseil constitutionnel
DC du 25 juillet 1989 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Loi portant dispositions diverses en matière d'urbanisme et d'agglomérations nouvelles (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°89-256 DC du 25 juillet 1989
Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:1989:89.256.DC
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