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06/05/1991 | FRANCE | N°91-291

France | France, Conseil constitutionnel, 06 mai 1991, 91-291


Le Conseil constitutionnel a été saisi, d'une part, le 18 avril 1991, par MM Bernard Pons, Jacques Chirac, Alain Juppé, Jean-Pierre Delalande, Jean-Louis Debré, Pierre Mazeaud, Patrick Ollier, Michel Giraud, Pierre Pasquini, Mme Michèle Alliot-Marie, MM Eric Raoult, Arthur Dehaine, Jean-Louis Goasduff, Jacques Toubon, Jean-Yves Chamard, Mme Nicole Catala, MM Bernard Debré, Christian Cabal, Mme Roselyne Bachelot, MM Philippe Auberger, Robert Pandraud, Pierre Bachelet, Gautier Audinot, Michel Terrot, Mme Christiane Papon, MM Jean-Luc Reitzer, Georges Tranchant, Lucien Guichon, Régis Perbe

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Le Conseil constitutionnel a été saisi, d'une part, le 18 avril 1991, par MM Bernard Pons, Jacques Chirac, Alain Juppé, Jean-Pierre Delalande, Jean-Louis Debré, Pierre Mazeaud, Patrick Ollier, Michel Giraud, Pierre Pasquini, Mme Michèle Alliot-Marie, MM Eric Raoult, Arthur Dehaine, Jean-Louis Goasduff, Jacques Toubon, Jean-Yves Chamard, Mme Nicole Catala, MM Bernard Debré, Christian Cabal, Mme Roselyne Bachelot, MM Philippe Auberger, Robert Pandraud, Pierre Bachelet, Gautier Audinot, Michel Terrot, Mme Christiane Papon, MM Jean-Luc Reitzer, Georges Tranchant, Lucien Guichon, Régis Perbet, Guy Drut, Alain Cousin, Robert Poujade, Gérard Léonard, Claude-Gérard Marcus, Jean-Paul Charie, Louis de Broissia, Jean Besson, Bernard Schreiner, Eric Dolige, Richard Cazenave, Didier Julia, Jean de Lipkowski, Jean-François Mancel, Edouard Balladur, Michel Péricard, Jean Valleix, René Couveinhes, Roland Nungesser, Jean-Michel Couve, René Galy-Dejean, Mme Françoise de Panafieu, MM Gabriel Kaspereit, Claude Barate, Patrick Balkany, Georges Gorse, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM Olivier Dassault, Jean-Paul de Rocca-Serra, Jacques Masdeu-Arus, Maurice Menou, Pierre Mauger, Pierre-Rémy Houssin, Bruno Bourg-Broc, Léon Vachet, Jacques Baumel, Jacques Limouzy, Nicolas Sarkozy, Jean Tiberi, députés, d'autre part, les 19 avril 1991 et 22 avril 1991, par MM Paul Girod, Michel Rufin, Michel Alloncle, Jean Amelin, Hubert d'Andigné, Alphonse Arzel, Honoré Bailet, Henri Belcour, Jacques Bérard, Roger Besse, Christian Bonnet, Amédée Bouquerel, Yvon Bourges, Jean Boyer, Jacques Braconnier, Mme Paulette Brisepierre, MM Camille Cabana, Guy Cabanel, Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Jean-Pierre Camoin, Paul Caron, Ernest Cartigny, Joseph Caupert, Auguste Cazalet, Jean Chamant, Jean-Paul Chambriard, Michel Chauty, Jean Chérioux, Henri Collard, Henri Collette, Maurice Couve de Murville, Michel Crucis, Etienne Dailly, Désiré Debavelaere, Luc Dejoie, Jean Delaneau, Jacques Delong, Charles Descours, Michel Doublet, Franz Duboscq, Alain Dufaut, Pierre Dumas, Jean Dumont, Marcel Fortier, Jean-Pierre Fourcade, Philippe François, Jean François-Poncet, Philippe de Gaulle, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginesy,
Mme Marie-Fanny Gournay, MM Adrien Gouteyron, Paul Graziani, Georges Gruillot, Yves Guéna, Bernard Guyomard, Hubert Haenel, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Daniel Hoeffel, Bernard Hugo, Roger Husson, André Jourdain, Lucien Lanier, Gérard Larcher, René-Georges Laurin, Marc Lauriol, Jean-François Le Grand, Max Lejeune, Maurice Lombard, Paul Masson, Serge Mathieu, Michel Maurice-Bokanowski, Jacques de Menou, Michel Miroudot, Mme Hélène Missoffe, MM Geoffroy de Montalembert, Paul Moreau, Jean Natali, Lucien Neuwirth, Jacques Oudin, Soséfo Makapé Papilio, Charles Pasqua, Alain Pluchet, Christian Poncelet, Claude Prouvoyeur, Henri de Raincourt, Roger Rigaudière, Jean-Jacques Robert, Mme Nelly Rodi, MM Josselin de Rohan, Roger Romani, Marcel Rudloff, Bernard Seillier, Jean Simonin, Jacques Sourdille, Pierre-Christian Taittinger, Jean-Pierre Tizon, René Trégouët, Jacques Valade, Serge Vinçon, Jean Grandon, Philippe Adnot, Jacques Habert, Charles Ornano, Hubert Durand-Chastel, François Delga, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi instituant une dotation de solidarité urbaine et un fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France, réformant la dotation globale de fonctionnement des communes et des départements et modifiant le code des communes ;

Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu le code des communes ;
Vu la loi n° 85-1628 du 29 novembre 1985 relative à la dotation globale de fonctionnement ;
Vu la loi n° 90-669 du 30 juillet 1990 relative à la révision générale des immeubles retenus pour la détermination des bases des impôts directs locaux, ensemble la décision n° 90-277 DC du 25 juillet 1990 ;
Vu le mémoire en rectification d'erreur matérielle présenté au nom des sénateurs auteurs de la seconde saisine, enregistré au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 24 avril 1991 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les députés auteurs de la première saisine contestent la conformité à la Constitution de l'article 14 de la loi instituant une dotation de solidarité urbaine et un fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France, réformant la dotation globale de fonctionnement des communes et des départements et modifiant le code des communes ; que les sénateurs critiquent le même article et font valoir, en outre, que sont contraires à la Constitution, d'une part, l'entrée en vigueur dès 1991 des articles 4, 5, 7, 10 et 17 de la loi et, d'autre part, l'article 18 de la loi ainsi que le paragraphe II de l'article L. 234-16-1 du code des communes issu de l'article 19, qui en est inséparable ;
- SUR LES ARTICLES 4, 5, 7, 10 ET 17 DE LA LOI :
2. Considérant que les sénateurs auteurs de la seconde saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer contraires à la Constitution "les articles 4, 5, 7, 10 et 17 de la loi déférée" en critiquant les conditions de leur entrée en vigueur ; qu'il est soutenu que les dispositions de ces articles affectent les budgets des communes pour l'exercice 1991 et portent ainsi atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales ;
. En ce qui concerne les articles 4 et 5 de la loi :
3. Considérant que par l'effet de l'article 4 de la loi, l'article L. 234-12 du code des communes dispose que la proportion des ressources affectée aux concours particuliers institués au sein de la dotation globale de fonctionnement des communes est fixée non plus à 2 p. 100 de cette dotation mais à 3 p. 100 et que le comité des finances locales peut porter cette proportion non plus seulement à 3 p. 100 mais jusqu'à 4 p. 100 ;
4. Considérant qu'en vertu de la modification apportée par l'article 5 de la loi à l'article L. 214-13 du code des communes, le montant annuel des crédits affectés au concours particulier intitulé "dotation supplémentaire aux communes touristiques ou thermales" est fixé par le comité des finances locales non plus à un montant compris entre 50 p. 100 et 60 p. 100 du total des sommes affectées aux concours particuliers mais à un montant qui ne peut être inférieur à 30 p. 100 ni supérieur à 40 p. 100 de ces sommes ;
5. Considérant qu'il est spécifié au paragraphe II tant de l'article 4 que de l'article 5 de la loi que les modifications apportées respectivement aux articles L. 234-12 et L. 234-13 du code des communes entreront en vigueur pour la répartition de la dotation globale de fonctionnement de l'exercice 1994 ;
6. Considérant, dès lors, qu'il ne saurait être valablement soutenu que les articles 4 et 5 de la loi puissent avoir pour conséquence d'affecter les conditions d'exécution des budgets adoptés par les communes pour l'exercice 1991 ; que l'argumentation invoquée est par suite inopérante à l'encontre des articles 4 et 5 de la loi ;
. En ce qui concerne les articles 7, 10 et 17 de la loi :
7. Considérant que l'article 7 de la loi présentement soumise à l'examen du Conseil constitutionnel insère dans le code des communes un article L. 234-14-1 à l'effet d'ajouter, au sein de la dotation globale de fonctionnement des communes, un concours particulier nouveau appelé "dotation de solidarité urbaine", afin "de contribuer à l'amélioration des conditions de vie dans les communes urbaines confrontées à une insuffisance de leurs ressources et supportant des charges élevées" ; que l'article 7 de la loi détermine les critères et les modalités d'attribution de cette dotation ; que le montant des crédits qui lui sont affectés est fixé à 400 millions de francs en 1991, 700 millions de francs en 1992 et un milliard de francs en 1993 ; qu'à compter de 1994 le taux de progression de la dotation est arrêté chaque année par le comité des finances locales sans que son montant puisse être inférieur à 35 p. 100 des sommes affectées aux concours particuliers ;
8. Considérant que l'article 10 de la loi a pour objet d'assurer le financement de la dotation de solidarité urbaine sans qu'il en résulte sur un plan d'ensemble une majoration du montant de la dotation globale de fonctionnement des communes ; qu'en conséquence, l'article 10 modifie les dispositions de l'article L. 234-19-1 du code des communes à l'effet de limiter, pour les communes qui répondent aux conditions posées au paragraphe II ou au paragraphe III dudit article, l'importance des sommes qui leur sont versées au titre de la garantie minimale d'évolution de la dotation globale de fonctionnement ;
9. Considérant que l'article 17 de la loi tire les conséquences des articles 7 et 10 s'agissant des modalités d'attribution aux communes de la dotation globale de fonctionnement ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 17 "pour chaque commune concernée, la différence entre les attributions au titre de la dotation globale de fonctionnement initialement notifiées pour l'exercice 1991 et les attributions résultant de l'application de la présente loi est imputée sur la régularisation de la dotation globale de fonctionnement afférente à l'exercice 1990 versée en 1991" ; que selon le deuxième alinéa de l'article 17, "au cas où, pour certaines communes, la modification du montant de l'attribution de la dotation globale de fonctionnement pour l'exercice 1991 serait supérieure au montant de la régularisation afférente à l'exercice 1990, le solde de l'ajustement serait opéré sur les versements afférents à la dotation globale de fonctionnement 1991" ; qu'en vertu du troisième alinéa de l'article 17, l'application de la garantie de progression minimale des attributions de la dotation globale de fonctionnement sera fondée en 1992 sur les attributions de la dotation globale de fonctionnement résultant pour 1991 de l'application des nouvelles dispositions législatives ;
10. Considérant que les sénateurs auteurs de la seconde saisine font valoir que l'institution dès l'année 1991 de la dotation de solidarité urbaine implique que soit modifié pour 1991 le montant attribué à certaines communes au titre de la dotation globale de fonctionnement ; qu'il en va spécialement ainsi pour les communes qui contribuent au financement de la nouvelle dotation, par le biais d'une minoration du taux d'évolution minimale garanti de leur dotation globale de fonctionnement ; qu'il est soutenu que cette minoration porte atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales dans la mesure où les communes concernées ont adopté, avant le 31 mars 1991, leur budget en se fondant sur les montants de dotation globale de fonctionnement qui leur avaient été notifiés pour l'année 1991 ;
11. Considérant que si, en vertu de l'article 72 de la Constitution, les collectivités territoriales "s'administrent librement par des conseils élus", chacune d'elles le fait "dans les conditions prévues par la loi" ; que l'article 34 de la Constitution réserve au législateur la détermination des principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources ;
12. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 234-1 du code des communes "une dotation globale de fonctionnement est instituée en faveur des communes et de certains de leurs groupements. Elle se compose d'une dotation de base, d'une dotation de péréquation, d'une dotation de compensation et, le cas échéant, de concours particuliers" ; qu'en vertu du même article, chaque année, le montant de la dotation globale de fonctionnement des communes est arrêté, par le comité des finances locales, pour être inscrit dans le projet de loi de finances ; que selon l'article L. 234-19 du code précité, la dotation de base, la dotation de péréquation et la dotation de compensation font l'objet de versements mensuels alors que les concours particuliers font l'objet d'un versement annuel, avant la fin de l'exercice en cours, avec la possibilité d'acomptes ; que l'article L. 234-19-1 ajouté au code des communes par la loi n° 85-1268 du 29 novembre 1985 a instauré un mécanisme d'attribution de garantie minimale ;
13. Considérant que dans le cadre de ces dispositions les communes ont arrêté avant le 31 mars 1991, terme imparti par l'article 7 de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 modifiée, leur budget primitif pour l'exercice 1991 ; que si l'article 10 de la loi déférée réduit pour certaines catégories de communes de plus de 10 000 habitants disposant notamment d'un potentiel fiscal par habitant élevé la garantie de progression minimale des attributions de la dotation globale de fonctionnement, les conséquences qui en résultent pour les communes concernées ne peuvent être regardées comme constituant une entrave à la libre administration des collectivités territoriales ; qu'en effet, l'application de l'article 10 de la loi n'est susceptible d'entraîner, dans l'hypothèse la plus défavorable, qu'une diminution minime de la progression de leur dotation globale de fonctionnement, laquelle ne constitue d'ailleurs qu'une partie des recettes de fonctionnement des communes ;
14. Considérant dans ces conditions que le moyen tiré de ce que les articles 7, 10 et 17 de la loi seraient contraires au principe de libre administration des collectivités territoriales doit être écarté ;
- SUR L'ARTICLE 14 RELATIF A LA SOLIDARITE ENTRE LES COMMUNES D'ILE-DE-FRANCE :
15. Considérant que l'article 14 de la loi introduit dans le code des communes une section intitulée "Fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France", comprenant des articles L. 263-13 à L. 263-16 ;
16. Considérant que l'article L. 263-13 crée, à compter du 1er janvier 1991, un fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France, afin de contribuer à l'amélioration des conditions de vie dans les communes urbaines de cette région qui supportent des charges particulières au regard de besoins sociaux de leur population ; que le même article L. 263-13 fixe la procédure de répartition des crédits du fonds qu'il institue en prévoyant l'intervention, à titre consultatif, d'un comité d'élus de la région ;
17. Considérant que l'article L. 263-14 dispose que le fonds de solidarité précité "est alimenté par un prélèvement sur les ressources fiscales des communes de la région d'Ile-de-France" ; qu'il est posé en principe que sont soumises au prélèvement les communes "dont le potentiel fiscal par habitant est supérieur à une fois et demie le potentiel fiscal moyen par habitant des communes de la région" ; que le taux du prélèvement est fonction de l'ampleur du potentiel fiscal par habitant au-delà du seuil ainsi fixé ; qu'il est spécifié cependant par le cinquième alinéa de l'article L. 263-4 que le prélèvement ne peut excéder 5 p. 100 du montant des dépenses réelles de fonctionnement de la commune ;
18. Considérant que l'article L. 263-15 détermine, dans un paragraphe I, les catégories de communes qui bénéficient d'une attribution du fonds, à l'effet de tenir compte de l'insuffisance de leurs ressources fiscales et des charges particulièrement élevées qu'elles supportent ; que le paragraphe II de l'article L. 263-15 fixe les critères généraux de répartition des ressources du fonds ;
19. Considérant que l'article L. 263-16 du code des communes dispose que le Gouvernement présente annuellement au comité d'élus institué par l'article L. 263-13 un rapport qui retrace les actions entreprises par les communes ayant bénéficié du fonds de solidarité ;
20. Considérant que les auteurs des saisines font grief à l'article 14 de la loi de méconnaître aussi bien le principe d'égalité que le principe de libre administration des collectivités territoriales ; que les sénateurs auteurs de la seconde saisine estiment, en outre, que cet article viole les dispositions de l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
. En ce qui concerne le moyen tiré de l'atteinte au principe d'égalité :
21. Considérant qu'il est soutenu par les auteurs de la saisine que la spécificité de la région d'Ile-de-France ne suffit pas à justifier l'institution d'un dispositif de solidarité intercommunale qui ne serait applicable qu'à l'intérieur de cette région ; que les députés auteurs de la première saisine font observer également que le respect de l'égalité fonde le principe républicain selon lequel il appartient à l'État d'organiser la péréquation des ressources entre les collectivités ; Quant aux responsabilités respectives de l'État et des communes en matière de solidarité :

Quant aux responsabilités respectives de l'État et des communes en matière de solidarité :
22. Considérant que le principe de solidarité nationale proclamé par le douzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et réaffirmé par le Préambule de la Constitution de 1958, ne fait pas obstacle à l'institution par la loi d'un mécanisme de solidarité entre les habitants d'une même région ;

23. Considérant que le principe constitutionnel d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ;
24. Considérant que la région d'Ile-de-France présente, en ce qui concerne la situation des communes urbaines au regard des besoins sociaux de leur population, des traits spécifiques : la masse de sa population, l'importance globale de ses ressources et la présence de la capitale ; que la répartition des emplois entre le centre et la périphérie entraîne, en règle générale, une distribution très inégale du potentiel fiscal des communes à population équivalente ; qu'il en découle d'importants écarts dans les niveaux d'équipement et de service que les communes sont en mesure d'offrir à leurs habitants ;
25. Considérant que l'ampleur et le cumul de ces éléments justifient que le législateur institue pour la région d'Ile-de-France, indépendamment de la création de la dotation de solidarité urbaine, un mécanisme intercommunal de redistribution de ressources ayant pour objet de contribuer à l'amélioration des conditions de vie dans celles des communes qui supportent des charges particulières sans disposer d'un potentiel fiscal par habitant élevé ;
26. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la création d'un mécanisme de solidarité financière intercommunale propre à la région d'Ile-de-France, n'est pas contraire au principe d'égalité ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la violation du principe de libre administration des collectivités territoriales :
27. Considérant que les auteurs des saisines soutiennent que l'institution d'un prélèvement sur les ressources fiscales des communes est contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales ; que, pour les auteurs de la première saisine, ce principe implique qu'une commune puisse déterminer seule le montant de ses impôts locaux et la destination des fonds ainsi prélevés ; que les auteurs de la seconde saisine estiment que l'article 14 de la loi entrave la libre administration des communes du fait de l'ampleur du prélèvement fiscal qu'il opère ainsi que de ses effets sur le budget des communes dont les ressources sont par ailleurs diminuées au titre de la dotation de solidarité urbaine ;
28. Considérant que, comme il a été dit ci-dessus, le principe de libre administration des collectivités territoriales reçoit application "dans les conditions prévues par la loi" ; qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution il appartient au législateur de déterminer les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources, ainsi que de fixer les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ;
29. Considérant que dans l'exercice de sa compétence en matière fiscale le législateur n'est pas tenu de laisser à chaque collectivité territoriale la possibilité de déterminer seule le montant de ses impôts locaux ;
30. Considérant de même que le législateur peut, à titre exceptionnel, décider que le produit d'un impôt communal pourra en partie être attribué à une autre collectivité territoriale ; qu'un prélèvement sur les ressources fiscales d'une collectivité est assimilable par ses effets à une charge obligatoire ;
31. Considérant toutefois que le prélèvement sur les ressources fiscales d'une collectivité territoriale dans le but d'accroître les ressources d'autres collectivités territoriales doit être défini avec précision quant à son objet et sa portée et qu'il ne saurait avoir pour conséquence d'entraver la libre administration des collectivités territoriales concernées ;
32. Considérant que le prélèvement sur les ressources fiscales de certaines communes de la région d'Ile-de-France institué par l'article 14 de la loi n'est pas contraire à ces exigences ; qu'il y a lieu de relever que les communes assujetties à ce prélèvement sont déterminées en fonction de critères objectifs ; que la loi procède à la fixation du taux applicable compte tenu du potentiel fiscal des communes concernées ; que la finalité du prélèvement, qui commande l'utilisation de son produit, est définie par le législateur ; que, comme le prescrit le cinquième alinéa de l'article L. 263-14 du code des communes, le prélèvement ne pourra excéder 5 p. 100 du montant des dépenses réelles de fonctionnement de la commune ;
33. Considérant sans doute que quelques communes auront à supporter tant une minoration de la garantie minimale d'évolution de la dotation globale de fonctionnement que la charge du prélèvement sur leurs ressources fiscales ;
34. Considérant toutefois que l'article 16 de la loi énonce, dans son paragraphe I, que les dispositions de l'article L. 263-14 du code des communes qui instituent le prélèvement sur les ressources fiscales n'entreront en vigueur qu'à compter du 1er janvier 1992 ; que si, dans son paragraphe II, l'article 16 prévoit l'attribution dès 1991 aux communes remplissant les conditions définies à l'article L. 263-15 du code des communes de prêts alloués par la Caisse des dépôts et consignations dans la limite d'une enveloppe globale de 300 millions de francs, le remboursement ultérieur de ces prêts par le fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France est échelonné sur six années et s'impute par priorité sur les ressources de ce fonds ; qu'à compter de 1992, si l'application des dispositions conjuguées des articles 7, 10 et 14 de la loi conduira, dans les limites déterminées par celle-ci, à un accroissement des charges de quelques communes, cette situation ne concernera que des communes dont le potentiel fiscal par habitant est très élevé ; que, dans ces conditions, ni dans l'immédiat, ni à terme, il n'en résultera une entrave à la libre administration de la collectivité communale ;
35. Considérant qu'il suit de là que le moyen tiré de la violation de l'article 72 de la Constitution ne saurait être accueilli ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la violation de l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen :
36. Considérant que les sénateurs auteurs de la seconde saisine estiment que le principe d'un prélèvement direct de l'État sur les ressources fiscales d'une collectivité territoriale au profit d'une ou plusieurs autres collectivités porte atteinte aux dispositions de l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; qu'en effet, les citoyens "d'une commune ponctionnée" en application de l'article 14 de la loi déférée, pas plus que leurs représentants, ne pourront suivre l'emploi de la partie du produit de leur imposition locale destinée à alimenter le budget d'autres communes ;
37. Considérant qu'aux termes de l'article 14 de la Déclaration de 1789 : "Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée" ;
38. Considérant que si ces dispositions réaffirmées par le Préambule de la Constitution de 1958 ont valeur constitutionnelle, les règles touchant à la compétence des représentants des citoyens qu'elles édictent, doivent être mises en œuvre en fonction des dispositions de la Constitution qui fondent la compétence du législateur ;
39. Considérant que selon l'article 72 de la Constitution les collectivités territoriales de la République s'administrent librement par des conseils élus dans les conditions fixées par la loi ; qu'en vertu de l'article 34 il revient au législateur de déterminer les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources ainsi que de fixer les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions ;
40. Considérant que le législateur tient des dispositions précitées des articles 34 et 72 de la Constitution le pouvoir de décider que le produit d'une imposition perçue au profit d'une catégorie de collectivités territoriales pourra, dans des conditions respectant le principe de libre administration de ces collectivités, être affecté pour partie à une ou plusieurs autres collectivités territoriales ; que la loi déférée implique qu'il revient au Conseil municipal de la commune bénéficiaire de régler par ses délibérations la destination des sommes qui lui seront allouées par le fonds de solidarité ; qu'au surplus, l'article L. 263-16 du code des communes, tel qu'il résulte de l'article 14 de la loi ainsi que l'article 15 prévoient des mesures d'information sur les actions entreprises par les communes bénéficiaires ;
41. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'article 14 de la loi déférée n'est pas contraire à la Constitution ;
- SUR LES DISPOSITIONS INSTITUANT UN PRELEVEMENT SUR LA DOTATION GLOBALE DE FONCTIONNEMENT DE CERTAINS DEPARTEMENTS :
42. Considérant que l'article 18 de la loi déférée ajoute à la loi n° 85-1268 du 29 novembre 1985 un article 34 bis qui comprend trois paragraphes ; que le paragraphe I institue, à compter de 1992, un mécanisme de solidarité financière entre des départements contributifs et, d'une part, des départements bénéficiaires au sein de la dotation globale de fonctionnement des départements afin de contribuer à l'amélioration des conditions de vie en milieu rural et, d'autre part,des communes urbaines confrontées à des difficultés particulières de développement social ; que le paragraphe II détermine ceux des départements qui bénéficient de cette ressource ; que le paragraphe III range les départements contributifs en deux catégories en fonction de l'importance de leur potentiel fiscal par habitant et fixe le taux du prélèvement pratiqué selon le cas à 15 p. 100 ou à 24 p. 100 de la dotation globale de fonctionnement ; qu'il est spécifié que le prélèvement ne peut excéder 5 p. 100 du montant des dépenses réelles de fonctionnement du département ; que, pour 1992, le taux du prélèvement est ramené selon le cas à 10 p. 100 ou à 16 p. 100 de la dotation globale de fonctionnement ;
43. Considérant que l'article 19 de la loi introduit dans le code des communes un article L. 234-16-1 qui comprend deux paragraphes ; que le paragraphe I institue une "dotation particulière de solidarité urbaine" ; qu'il ressort du paragraphe II que le financement de cette dotation est assuré par un prélèvement sur les ressources dégagées par l'application de l'article 34 bis de la loi n° 85-1268 du 29 novembre 1985 ; que le même paragraphe précise que le montant de ce prélèvement, fixé à 150 millions de francs pour 1992, évolue pour les années ultérieures comme la dotation globale de fonctionnement des départements ;
44. Considérant que les sénateurs auteurs de la seconde saisine soutiennent que l'ampleur du prélèvement résultant de l'article 18 de la loi déférée et du paragraphe II de l'article L. 234-16-1 du code des communes a pour effet de restreindre les ressources de certains départements au point d'entraver leur libre administration ; qu'il en va d'autant plus ainsi qu'en vertu du 5 du paragraphe II de l'article 56 de la loi n° 90-669 du 30 juillet 1990, le produit de la taxe départementale sur le revenu ne pourra pas, en 1992, être supérieur au produit perçu l'année précédente par le département au titre de la taxe d'habitation due pour les résidences principales majoré de 4 p. 100 ; que les auteurs de la seconde saisine en déduisent que l'article 18 de la loi déférée est inconstitutionnel de même que le paragraphe II de l'article L. 234-16-1 du code des communes issu de l'article 19, qui en est inséparable ;
45. Considérant que l'article 18 prescrit que le prélèvement qu'il institue ne peut excéder 5 p. 100 du montant des dépenses réelles de fonctionnement du département constatées dans le compte administratif afférent au pénultième exercice ; que les sommes constituant, en vertu de l'article 31 de la loi n° 85-1268 du 29 novembre 1985, la dotation globale de fonctionnement des départements ne représentent qu'une proportion réduite des recettes des budgets départementaux ; que, pour l'année 1992, le taux du prélèvement applicable aux départements dont le potentiel fiscal par habitant est élevé, n'est égal qu'à 10 p. 100 ou 16 p. 100 de la dotation globale de fonctionnement des départements ; que, dans ces conditions, et en admettant même que les prescriptions de l'article 56 de la loi n° 90-669 du 30 juillet 1990 entreraient en vigueur dès 1992, l'application conjuguée des dispositions de cet article et de celles des articles 18 et 19 de la loi déférée ne serait pas de nature à entraver la libre administration de la collectivité départementale ;

Décide :
Article premier :
La loi instituant une dotation de solidarité urbaine et un fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France, réformant la dotation globale de fonctionnement des communes et des départements et modifiant le code des communes n'est pas contraire à la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Synthèse
Numéro de décision : 91-291
Date de la décision : 06/05/1991
Loi instituant une dotation de solidarité urbaine et un fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France, réformant la dotation globale de fonctionnement des communes et des départements et modifiant le code des communes
Sens de l'arrêt : Conformité
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, les sénateurs soussignés ont l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel l'ensemble de la loi instituant une dotation de solidarité urbaine et un fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France, réformant la dotation globale de fonctionnement des communes et des départements et modifiant le code des communes, aux motifs suivants :

1. Le paragraphe II de l'article L 234-14-1, que l'article 7 de la loi déférée insère dans le code des communes, instaure une dotation de solidarité urbaine à compter de 1991. Les articles 10 (dernier alinéa du paragraphe III) et 17 de la loi déférée prévoient des conditions particulières d'application de cette mesure pour l'année 1991. Quant aux dispositions des articles 4 et 5 de la loi déférée, la date de leur entrée en vigueur, soit 1994, découle du fait que la dotation de solidarité urbaine est créée dès 1991 par l'article 7 susmentionné.

Or, l'institution dès 1991 de cette dotation de solidarité urbaine implique que soit modifié, pour 1991, le montant attribué à certaines communes au titre de la dotation globale de fonctionnement, notamment à celles qui contribueront par la minoration du taux d'évolution minimale garanti de leur dotation globale de fonctionnement. Or ces montants avaient déjà été notifiés aux communes, lesquelles en ont tenu compte lors de l'élaboration de leur budget dont l'adoption est intervenue le 31 mars dernier au plus tard. Il s'agit pour certaines communes d'une réduction substantielle. En effet, pour celles d'entre elles dont la part de la garantie au sein de leur attribution de dotation globale de fonctionnement se situe entre 10 p 100 et 20 p 100 le taux de progression minimale garanti serait ramené de + 4,13 p 100 à + 1,5 p 100. Quant à celles dont la part de la garantie représente plus de 20 p 100, ce taux deviendrait négatif (- 0,35 p 100). Pour ces dernières donc, non seulement le montant de leur dotation globale de fonctionnement déjà notifié pour 1991 serait réduit, mais cette réduction se traduirait par une réduction de leur dotation globale de fonctionnement en 1991 par rapport à 1990.

Aux termes de l'article 7 de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 modifiée relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, les collectivités locales doivent, comme ci-dessus rappelé, adopter leur budget avant le 31 mars de l'exercice auquel il s'applique. L'article 1639 A du code général des impôts prévoit en outre que les taux d'imposition retenus pour chacune des quatre taxes directes locales doivent être notifiés par les communes aux services fiscaux avant le 1er mars de l'année.

Pour voter leur budget comme pour fixer leurs taux d'imposition des taxes directes locales, les organes délibérants des communes se sont donc fondés sur les montants de dotation globale de fonctionnement qui leur avaient été notifiés pour l'année 1991, lesquels ne pouvaient pas prendre en compte les conséquences des modifications entraînées par la mise en uvre de la loi déférée puisque l'Assemblée nationale, appelée à statuer définitivement, ne l'a adopté que le 18 avril 1991.

Les sénateurs soussignés observent qu'aux termes de l'article 72 de la Constitution, les collectivités territoriales de la République " s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi ".

Les sénateurs soussignés rappellent que c'est donc dans les conditions prévues par la loi que les communes ont élaboré et adopté leur budget pour 1991 avant la date limite du 31 mars 1991.

Admettre qu'une loi postérieure à cette date puisse remettre en cause les recettes de ces budgets revient à porter atteinte au principe de la libre administration des communes par les conseils municipaux.

Les sénateurs soussignés considèrent que, dans la mesure où ils prévoient l'entrée en vigueur dès 1991 de la dotation de solidarité urbaine, les articles 4, 5, 7, 10 et 17 de la loi déférée ne sont pas conformes à la Constitution.

2. L'article 14 de la loi déférée institue un fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France, alimenté par un prélèvement direct de l'Etat sur le produit des quatre taxes directes locales (taxes foncières, taxe d'habitation et taxe professionnelle) de certaines communes de la région d'Ile-de-France sélectionnées à partir d'un critère présumé représentatif de leur richesse, à savoir un potentiel fiscal moyen par habitant supérieur à une fois et demie le potentiel fiscal moyen par habitant des communes de la région.

L'article 14 de la loi déférée dispose en outre que les ressources du fonds de solidarité seront réparties entre certaines communes de la région, sélectionnées à partir d'un critère lié au nombre de logements sociaux et d'un critère fondé sur le niveau de leur potentiel fiscal.

Les sénateurs soussignés considèrent que cet article 14 n'est pas conforme à la Constitution pour les motifs suivants :

a) Le principe même d'un prélèvement direct de l'Etat sur les recettes fiscales d'une collectivité territoriale, au profit d'une ou de plusieurs autres collectivités, porte atteinte au droit du citoyen que proclame l'article XIVde la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, savoir : " Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ".

Or les citoyens d'une commune ponctionnée en application de l'article 14 de la loi déférée, pas plus que ses représentants, n'auront aucune possibilité de suivre l'emploi de la partie du produit de leur imposition locale puisqu'elle aura été prélevée pour alimenter, par le biais d'un fonds, les budgets d'autres communes dont les élus ne sont pas, de surcroît, responsables devant eux.

Aucune disposition particulière de cet article 14 ne prévoit pour les communes contributrices le moindre droit de contrôle sur l'emploi des ressources ainsi attribuées à ce fonds de solidarité. La loi ne prévoit, en outre, aucune garantie d'affectation de ses ressources à l'amélioration des conditions de vie dans les communes urbaines d'Ile-de-France, objectif certes proclamé du dispositif, mais qui constitue, lui aussi, une atteinte à la libre administration des communes, mais cette fois à la libre administration de celles qui sont bénéficiaires de versements de fonds.

b) Dès lors qu'une partie des recettes provenant des impôts locaux dont le conseil municipal a voté les taux échappe au budget de la commune et alimente les budgets d'autres communes, la liberté d'administration de la commune se trouve singulièrement limitée. La commune ne percevant plus le produit correspondant aux impôts votés, serait contrainte d'augmenter ses impôts non plus pour faire face à ses dépenses propres mais pour compenser un prélèvement de l'Etat destiné à financer d'autres collectivités.

Les sénateurs soussignés n'ignorent pas que le principe de libre administration des collectivités territoriales posé par l'article 72 de la Constitution n'est pas sans limite, cet article disposant que, si ces collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus, ce ne peut être que " dans les conditions prévues par la loi ". Le législateur peut donc imposer des obligations à des collectivités territoriales. Encore faudrait-il que ces obligations soient définies avec précision et qu'elles ne soient pas de nature ou n'aient pas pour effet d'entraver leur libre administration.

Or, le prélèvement institué par l'article 14 de la loi déférée entrave précisément cette libre administration :

: en raison de l'ampleur de la restriction de ressources des communes contributrices, le prélèvement pouvant en effet atteindre, aux termes de l'article 14, jusqu'à 5 p 100 du budget de fonctionnement des communes contributrices. Selon les simulations opérées par le Gouvernement, ce prélèvement représenterait pour la majorité des communes ponctionnées, entre 5 p 100 et 10 p 100 du produit des quatre taxes et même, pour quelques communes, plus de 10 p 100 de ce produit ;

: parce que, s'il est prévu que le prélèvement opéré au titre du fonds de solidarité en Ile-de-France ne peut excéder 5 p 100 du montant des dépenses réelles de fonctionnement de la commune, ce plafond ne prend pas en compte la diminution des ressources intervenue au titre de la dotation globale de fonctionnement, pour les communes qui entrent par ailleurs dans le champ d'application de l'article 10 de la loi déférée, lequel a pour effet d'entraîner, pour les communes concernées, une réduction de la garantie minimale d'évolution de la dotation globale de fonctionnement.

c) L'instauration de ce dispositif spécifique à la région d'Ile-de-France constitue une rupture de l'égalité devant la loi.

Certes, la spécificité de la région d'Ile-de-France, marquée par une concentration urbaine exceptionnelle, est évidente, mais les sénateurs soussignés estiment qu'elle ne suffit pas à justifier l'instauration d'un dispositif de solidarité, qui ne serait applicable qu'à l'intérieur de cette seule région.

Pour justifier cette disposition, l'exposé des motifs du projet de loi du Gouvernement invoquait deux raisons : " l'absence en Ile-de-France de mécanisme généralisés de coopération intercommunale " qui " interdit de fait aux communes défavorisées, et à leurs habitants, de bénéficier dans des conditions égales des conséquences du dynamisme économique de la région ", d'une part, et " l'importance des inégalités entre communes en termes de richesse fiscale ", d'autre part.

On ne recense certes aucune communauté urbaine en Ile-de-France, mais c'est aussi le cas dans treize autres régions et le nombre de communautés urbaines pour l'ensemble des régions métropolitaines n'est que de neuf.

Il est également notable qu'en Ile-de-France la part des communes regroupées en syndicats de communes (377 communes groupées en 63 syndicats sur 1 281 communes, soit 29,4 p 100) est inférieure à la moyenne nationale (environ 52 p 100), mais, en revanche, c'est dans la région d'Ile-de-France que la proportion de communes groupées en districts est la plus importante : plus de 10 p 100, alors que la moyenne nationale se situe aux environs de 4 p 100.

Les sénateurs soussignés reconnaissent que la coopération intercommunale est peut-être encore insuffisante en région d'Ile-de-France, mais constatent qu'elle est loin d'en être " absente " et que, à cet égard, la situation en Ile-de-France est la même que dans d'autres régions.

Certes, l'importance des inégalités entre communes en termes de richesse fiscale est évidente dans la région d'Ile-de-France : si l'on se réfère au critère de richesse retenu par la loi, c'est-à-dire le potentiel fiscal par habitant, les inégalités entre communes d'au moins 10 000 habitants sont effectivement importantes en Ile-de-France puisque ce potentiel fiscal par habitant est douze fois plus important dans la commune la mieux dotée que dans la commune la moins favorisée.

Mais les sénateurs soussignés constatent que les mêmes écarts, sinon même des écarts beaucoup plus importants, existent dans bien d'autres régions, telle la région Nord : Pas-de-Calais où le potentiel fiscal par habitant le plus élevé est 19,8 fois plus important que celui de la commune où il est le plus bas. Les sénateurs soussignés constatent donc que l'instauration d'un mécanisme de solidarité au sein de la seule région d'Ile-de-France relève d'une erreur manifeste d'appréciation et que cette erreur manifeste est d'autant plus grave que les communes de la région d'Ile-de-France considérées comme pauvres sont, d'une manière générale, moins défavorisées que les communes considérées comme pauvres des autres régions, puisque les potentiels fiscaux sont en effet en moyenne plus élevés dans la région d'Ile-de-France, même dans les communes les moins favorisées.

Les sénateurs soussignés constatent aussi que l'instauration de ce fonds de solidarité des communes d'Ile-de-France aboutirait au résultat paradoxal suivant : les communes défavorisées d'Ile-de-France bénéficieront, dans leur quasi-totalité, du cumul des deux mécanismes créés par la loi, dotation de solidarité urbaine et fonds de solidarité, alors que les communes défavorisées des autres régions, dans l'ensemble encore plus défavorisées, ne bénéficieront que du seul dispositif de la dotation de solidarité urbaine.

C'est pour toutes ces raisons que les sénateurs soussignés considèrent que l'article 14 de la loi déférée n'est pas conforme à la Constitution.

3. L'article 18 de la loi, introduit dans la loi par un amendement portant article additionnel adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, institue un prélèvement sur la dotation globale de fonctionnement de certains départements.

Au vu des simulations transmises par le Gouvernement, ce dispositif concernerait deux départements dont le potentiel fiscal par habitant est supérieur au double du potentiel fiscal moyen par habitant des départements et douze départements dont le potentiel fiscal par habitant est compris entre le potentiel fiscal moyen par habitant des départements et le double de cette valeur et dont le rapport entre le nombre de logements sociaux et la populaton est inférieur à 10 p 100.

Les taux de prélèvement initialement destinés à fournir un complément de ressources aux départements éligibles à la dotation de fonctionnement minimale ont sensiblement augmenté par suite de l'introduction de l'article 19 de la loi résultant, lui aussi, d'un amendement portant article additionnel adopté en nouvelle lecture par l'Assemblée.

L'article 19 prévoit que le prélèvement opéré sur la dotation globale de fonctionnement des départements aura également pour objet d'abonder les crédits de la dotation particulière de solidarité urbaine dont les attributions sont réparties entre certaines communes par le comité des finances locales sur proposition du ministre chargé de la ville.

Le taux de prélèvement a été porté en conséquence, à compter de 1993, à 24 p 100 du montant de la dotation globale de fonctionnement de l'exercice considéré pour les deux départements considérés comme les plus favorisés et à 15 p 100 du montant attribué pour les douze autres départements.

Par référence à la décision n° 90-277 DC du 25 juillet 1990 du Conseil constitutionnel, les sénateurs soussignés estiment que cette disposition a pour effet de restreindre les ressources de certaines collectivités locales au point d'entraver leur libre administration.

En effet, la mise en uvre de l'article 18 entravera abusivement la liberté des départements concernés pour l'établissement de leurs budgets à compter de 1993.

Les sénateurs soussignés constatent, en outre, que la mise en uvre de prélèvements d'un montant correspondant aux taux prévus par l'article 18 de la loi, à partir de 1992, entravera d'autant plus la libre administration des départements concernés, qu'en vertu du 5 du paragraphe II de l'article 56 de la loi n° 90-669 du 30 juillet 1990 relative à la révision générale des évaluations des immeubles retenus pour la détermination des bases des impôts directs locaux, le produit de la taxe départementale sur le revenu ne pourra pas, en 1992, être supérieur au produit perçu l'année précédente par le département au titre de la taxe d'habitation due pour les résidences principales majoré de 4 p 100.

Pour les sénateurs soussignés, les taux de prélèvement résultant des articles 18 et du paragraphe II de l'article 19 ne sont donc pas compatibles avec le mécanisme de plafonnement des ressources fiscales des départements prévu dans l'hypothèse d'une mise en uvre de la réforme de la taxe départementale sur le revenu.

C'est pour toutes ces raisons que les sénateurs soussignés considèrent que l'article 18 de la loi déférée et le paragraphe II de l'article 19 qui en est inséparable ne sont pas conformes à la Constitution.

Conformément à l'article 61 de la Constitution, les députés soussignés saisissent le Conseil constitutionnel de la loi instituant une dotation de solidarité urbaine et un fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France, adoptée en dernière lecture par l'Assemblée nationale, jeudi 18 avril 1991, afin qu'il lui plaise d'en déclarer inconstitutionnel le titre II pour les motifs développés ci-après :

Le titre II de la présente loi instituant un mécanisme de solidarité entre les communes d'Ile-de-France apparaît porter atteinte au principe d'égalité et à celui de libre administration des collectivités territoriales.

I : Rupture de principe d'égalité

L'article 7 de la loi instaure un fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France alimenté par un prélèvement sur les ressources fiscales des communes d'Ile-de-France répondant à certains critères fondés sur leur potentiel fiscal.

Ces fonds seront reversés à d'autres communes de la même région répondant à d'autres critères désignés eux aussi par la loi et fondés sur le potentiel fiscal ainsi que sur le nombre de logements sociaux.

Ce texte instaure de ce fait une inégalité fondée uniquement sur la géographie et non sur des critères fondés sur le but poursuivi par le législateur à savoir promouvoir une meilleure solidarité intercommunale.

En effet, deux communes qui sont dans une situation économique équivalente seront traitées différemment selon qu'elles seront ou non situées dans la région Ile-de-France.

Une commune favorisée risque de se voir amputée d'une partie de ses ressources au seul motif de sa situation géographique, alors que son homologue disposant du même potentiel fiscal ne sera pas soumise à ce prélèvement si elle fait partie d'une autre région de France.

Votre jurisprudence a toujours considéré que le principe d'égalité pourrait être adapté en fonction des différences de situation et du but poursuivi par le législateur.

L'inégalité opérée par le texte est-elle justifiée par la différence de situation ? Les critères retenus par le législateur aboutissent à répondre négativement.

Il existe des communes en dehors de l'Ile-de-France qui bénéficient d'un potentiel fiscal largement supérieur à la moyenne nationale. Elles échappent pourtant au prélèvement.

De même, il existe hors de l'Ile-de-France nombre de communes qui répondent aux critères de pauvreté édictés par l'article L 263-15, mais elles ne bénéficient pas de cette solidarité intercommunale.

L'inégalité est-elle justifiée par le but poursuivi par le législateur ?

Le renforcement d'une solidarité entre les seules communes d'Ile-de-France ne pourrait être justifié que s'il apparaissait indiscutable que les communes d'Ile-de-France sont dans une situation manifestement différente de celle des autres régions françaises.

Qu'il existe en Ile-de-France des communes favorisées et des communes défavorisées ne différencie pas fondamentalement cette région de ces homologues et ne constitue donc pas en tant que tel un élément justifiant une telle inégalité de traitement.

On peut donc conclure que le but poursuivi par le législateur étant lui-même injustifé, il ne saurait fonder les inégalités qui en découlent.

A supposer toutefois que l'on puisse reconnaître au législateur le droit souverain de décider qu'une seule région française doit bénéficier d'un meilleur système de péréquation, cela ne suffirait pas à justifier l'inégalité de traitement dans la mesure où le législateur disposait d'autres solutions pour atteindre le but poursuivi.

En effet, le respect de l'égalité fonde le principe républicain selon lequel il appartient à l'Etat d'organiser la péréquation des ressources entre les collectivités. Cette péréquation est opérée sur les ressources de l'Etat reversée aux collectivités et non sur les ressources propres de ces dernières.

Le respect de ce principe d'égalité aurait donc dû amener le législateur à confier à l'Etat au travers de ses propres instances le soin d'opérer une meilleure péréquation.

En choisissant une solution qui repose sur une ponction opérée sur les ressources fiscales des communes, le législateur a dont institué une inégalité qui doit être sanctionnée.

II. : Atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales

Ce principe posé par les articles 34 et 72 de la Constitution a pour corollaire obligé la liberté ouverte à chacune de ces collectivités de déterminer librement le montant de ses ressources propres dans les limites fixées par le législateur.

Il est parfaitement conforme à la lettre et à l'esprit de l'article 34 que ce soit le législateur qui détermine la nature de ces ressources ainsi que l'ensemble des modalités de leur recouvrement.

Il en fixe aussi les limites et éventuellement les plafonds. Mais une fois ce cadre établi par la loi, le principe de libre administration des collectivités territoriales implique que ces dernières puissent déterminer librement le montant de la fiscalité propre ainsi que l'utilisation de ces fonds dans les limites posées par leur domaine de compétences respectif.

Ce principe aboutit donc à ce que toute commune française puisse déterminer seule le montant de ses impôts locaux et la destination des fonds ainsi prélevés.

La loi qui vous est déférée porte gravement atteinte à cette double liberté.

En instituant un prélèvement sur les ressources fiscales de certaines communes d'Ile-de-France, le législateur limite la liberté des conseils municipaux élus de déterminer souverainement le poids de leur fiscalité locale sur leurs administrés.

De plus, en pré-affectant une partie de ces ressources, la loi porte atteinte à la liberté de gestion reconnue à chaque collectivité territoriale.

La loi méconnaît donc le principe de libre administration des collectivités territoriales et doit être reconnue comme contraire à la Constitution.


Références :

DC du 06 mai 1991 sur le site internet du Conseil constitutionnel
DC du 06 mai 1991 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Loi instituant une dotation de solidarité urbaine et un fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France, réformant la dotation globale de fonctionnement des communes et des départements et modifiant le code des communes (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°91-291 DC du 06 mai 1991
Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:1991:91.291.DC
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